67
8 L’IMPRESSIONNISME
Les représentants du style officiel de la seconde moitié
du XIXe siècle, fidèles à l’académisme, ont l’occasion de
présenter leurs œuvres dans des expositions annuelles appelées
« Salons » . Le Salon38 officiel, étant dominé par un jury peu
favorable aux nouveautés, refuse d’y admettre les tableaux qui
ne correspondent pas, selon les autorités, aux canons de la
peinture académique. Ceux à qui les portes du Salon sont
fermées, exposent en 1863 leurs œuvres au Salon des refusés,
autorisé par Napoléon III, qui se tient au Palais de
l’Industrie construit pour l’Exposition universelle de 1855.
Les années suivantes, ce salon n’existe plus et les peintres
avant-gardistes doivent trouver une solution pour pouvoir
exposer leurs œuvres. Ceux qui se réunissent régulièrement au
café Guerbois, avenue de Clichy, pour y échanger leurs idées
sur la peinture, sur ses thèmes et ses techniques décident
d’organiser leur propre exposition.
Ainsi, le 15 avril 1874, dans les ateliers du photographe
Nadar, au 35, boulevard des Capucines à Paris, un groupe, qui
s’est constitué en 1873 comme Société anonyme des peintres,
sculpteurs et graveurs à capital et personnel variable, expose
pour la première fois ses peintures. Événement d’une grande
portée qui marquera à jamais l’histoire de l’art moderne.
Trente artistes, tous inconnus du grand public, présentent au
total 165 tableaux. Parmi ceux qui ne s’appellent pas encore
« impressionnistes », nommons les paysagistes Claude Monet,
Camille Pissarro, Alfred Sisley et Paul Cézanne, ensuite des
peintres de la vie parisienne Edgar Degas et Pierre-Auguste
Renoir et une jeune femme, la seule de l’équipe : Berthe
Morisot. Parmi les cinq tableaux exposés par Monet, la
célébrissime toile Impression, soleil levant qui sera à
38 Depuis 1725, les expositions de peinture se tenaient dans le Salon carré
du Louvre, d’où leur nom. Elles sont liées à l’apparition d’un nouveau
genre littéraire: la critique d’art.
68
l’origine du nom du nouveau mouvement pictural. Le mot
« impressionniste » est en fait dû au journaliste du
Charivari39 Louis Leroy qui le conçoit comme une moquerie,
presque une injure. Mais quelle est donc la raison de cette
critique ? Les artistes exposant chez Nadar refusent tout ce
qui caractérise la peinture officielle. Ils rejettent les
sujets historiques, mythologiques, sentimentaux et leur
technique est bien éloignée du style propre, « léché »,
enseigné à l’École des beaux-arts. Ils empruntent leurs sujets
à la réalité quotidienne, choisissent de peindre la ville et
la campagne, les gens dans leur milieu naturel, devenant ainsi
peintres de la vie moderne, témoins de leur époque. Ils ne
travaillent pas dans les ateliers obscurs, mais peignent à
l’extérieur pour pouvoir fixer sur leurs toiles les sensations
provoquées par les couleurs vives de la nature, les jeux
momentanés d’ombres et de lumière, le ciel que les nuages ne
cessent de métamorphoser, les reflets sur les eaux de la Seine
et de l’Oise, leurs rivières préférées. Les impressionnistes
sont également des innovateurs dans le domaine de la technique
picturale. Ils utilisent des couleurs pures qu’ils posent en
petites taches, en virgules, sans éviter toujours que celles-
ci se croisent, s’enchevêtrent.
Les peintres impressionnistes n’ont pas l’intention de
constituer une école. Certes, leurs œuvres ont des points
communs, mais ils n’appartiennent pas tous à la même tendance
et ils n’offrent pas tous les mêmes qualités. Ils sont trente
à exposer chez Nadar, et huit d’entre eux seulement
deviendront célèbres : Claude Monet, désigné habituellement
comme chef de file de l’impressionnisme, Pierre-Auguste
Renoir, Camille Pissarro, Alfred Sisley, Berthe Morisot,
Armand Guillaumin, Edgar Degas et Paul Cézanne. Ils sont de
tempéraments différents et leurs préoccupations sont parfois
opposées sur certains points. Chacun d’eux a ses sujets 39 Le Charivari est un journal satirique français qui paraissait de 1832 à
1937.
69
favoris. Monet se consacre aux séries, ayant pour objectif de
capter les phénomènes lumineux qui, tout au long de la
journée, transforment sans cesse l’objet qu’il a choisi de
peindre. Renoir peint principalement des figures. Pissaro et
Sisley, passionnés de brouillard, de neige et d’eau, sont
paysagistes, Degas est connu par ses portraits, ses nus et ses
scènes représentant les danseuses de ballet, Cézanne a une
prédilection pour les villages.
Georges Duby et Robert Mandrou dans leur Histoire de la
civilisation française constatent, à propos de
l’impressionnisme qu’ « au temps de Cézanne, Degas, Monet,
Renoir et combien d’autres, le génie poétique de la France
semble fait de la seule peinture, tant les œuvres se font
nombreuses, riches de lumière et de couleur, de joie de vivre
et d’émotions contenues : les peintres dépassent les poètes,
lorsque ceux-ci se perdent dans les recherches de Mallarmé et
Valéry. Le style nouveau est une redécouverte de la couleur
pour elle-même et du plein-air » (pp. 315-316).
De 1874 à 1886, il y aura huit expositions publiques à
Paris et durant un quart de siècle, tout l’art de la peinture
en France, puis en Europe et aux États-Unis, sera influencé
par ces novateurs, les impressionnistes. À la fin du XIXe et au
début du XXe siècle, la réaction à la peinture impressionniste
française se reflète aussi dans la création d’artistes vivant
sur le territoire de la Slovaquie actuelle. Ladislav
Mednyánszky, Dominik Skutecký, Martin Benka, Želmíra
Duchajová-Švehlová, Max Schurmann, Tivadar Zemplényi, Pál
Szinyei Merse et bien d’autres ne restent pas insensibles aux
œuvres de leurs collègues français. Ils quittent les ateliers
et adoptent les sujets et les techniques de la peinture
impressionniste. Et ils y réussissent comme l’a montré une
grande exposition intitulée Impressionnisme SK, organisée en
70
mars 2014 à la Galerie nationale slovaque de Bratislava qui a
réuni 120 toiles40.
L’œuvre de Claude Monet, Impression, soleil levant, qui
fait date dans l’histoire de la peinture moderne, est une vue
du port du Havre noyé de brume à l’aube. Le tableau fait
aujourd’hui partie des collections du Musée Marmottan à Paris.
Cette sorte de manifeste de l’impressionnisme réunit déjà tous
les traits qui vont caractériser le style du nouveau mouvement
artistique. Sa peinture, aux touches fragmentées et rapides,
saisit l’eau, la lumière et les reflets. L’artiste veut
reproduire l’atmosphère du port, dans les brumes du petit
matin que perce un soleil encore rouge et qui se reflète dans
l’eau.
En septembre 2014, l’hebdomadaire Le Point publie un
article41 sur les incertitudes qui ont régné autour de la date
de réalisation de l’un des plus célèbres tableaux du monde, le
moment de la journée où il a été peint (ne s’agit-il pas
plutôt d’un coucher de soleil ?) et les lieux que l’artiste a
représentés. Différents spécialistes – astronomes,
météorologues, physiciens et historiens de l’art – mènent une
enquête minutieuse pour trouver les réponses à ces questions.
Monet a noté qu’il avait peint le tableau le 13 novembre 1872,
vers 7 heures 35, à l’hôtel de l’Amirauté donnant sur le port
du Havre. Or, dans le Catalogue raisonné de l’œuvre de Monet
du collectionneur Daniel Wildenstein, la toile est datée de
1873. C’est en se basant sur l’absence de documents
historiques attestant la présence du peintre en Normandie en
1872, alors qu’il y en a pour 1873, que Wildenstein a daté le
tableau en 1873. Les chercheurs, après avoir consulté toutes
sortes de documents de l’époque, décident de retenir la
datation de l’artiste comme la plus probable.
40 À ce propos, nous recommandons de lire le texte suivant:
http://kultura.pravda.sk/galeria/clanok/316940-impresionizmus-farba-
svetlo-priestor/ [8.6.2017] 41 http://www.lepoint.fr/arts/impression-soleil-levant-aux-origines-du-chef-
d-oeuvre-de-monet-19-09-2014 [8.6.2017]
71
Impression, soleil levant
Présentons maintenant celui qui incarne sans doute le
mieux l’impressionnisme et qui l’a illustré avec plus
d’audace, plus de logique et plus d’intransigeance que
n’importe quel autre peintre appartenant au mouvement
impressionniste.
8.1 CLAUDE MONET (1840-1926)
Monet commence à peindre en plein air après sa rencontre
avec Eugène Boudin42 en 1858. Il peint des paysages, mais aussi
des scènes de la vie quotidienne. Lors de son séjour à
Londres, pendant la guerre de 1870, Monet découvre les
42 Peintre français, Eugène Boudin (1824-1898) est considéré comme l’un des
précurseurs de l’impressionnisme.
72
tableaux de Turner43 et il est attiré par la manière dont ce
dernier traite la lumière.
Claude Monet est surtout l’homme des séries. La première
qu’il peint d’après La Gare Saint-Lazare à Paris, date de 1876
et il la présente lors de la troisième exposition des
impressionnistes en 1877. Ses tableaux sont des
représentations de l’architecture métallique vue à différentes
heures de la journée. La gare Saint-Lazare lui offre aussi
l’occasion d’étudier un élément encore plus fugitif que l’eau:
la fumée des locomotives. Il est fasciné par son flou, son
cheminement capricieux, les métamorphoses qu’elle fait subir
aux machines, aux constructions métalliques, aux maisons
avoisinantes.
C’est à partir de 1889 qu’apparaîtront les séries
„systématiques“ sur un même sujet dont l’une des plus
significatives sera celle des Cathédrales de Rouen (1892-
1894). Elle comporte plus d’une vingtaine de variantes, mais
c’est toujours la même façade que nous retrouvons, et Monet
l’a presque toujours regardée sous le même angle.
Lorsqu’en 1899 il commence à peindre ses Nymphéas, son
point de départ est encore la nature. Dans sa propriété de
Giverny, il a aménagé un magnifique jardin avec une grande
variété de fleurs, avec un petit étang et un pont
d’inspiration japonaise que l’on peut admirer notamment dans
le Bassin aux nymphéas, harmonie verte, tableau datant de 1899
et exposé au Musée d’Orsay à Paris. Les Nymphéas vont
l’occuper pendant 30 ans. Lié d’amitié avec Clemenceau44, Monet
accepte d’en composer une série pour l’Orangerie des 43 William Turner (né probablement en 1775, mort en 1851) est un peintre,
aquarelliste et graveur britannique qui a inspiré les impressionnistes. 44 Georges Clemenceau (1841-1929) dit « le Tigre », est la principale
personnalité du début de la IIIe République. Influant homme d’État
français, il combat l’Église et prône la séparation de celle-ci d’avec
l’État. Dans sa politique, il s’oppose à la colonisation et joue un rôle
important dans la défense du capitaine Dreyfus.
Édouard Manet a peint le portrait de Clemenceau en 1879, aujourd’hui exposé
au Musée d’Orsay.
En 1997, Françoise Giroud lui consacre une passionnante biographie
intitulée Cœur de Tigre, parue aux Éditions Plon-Fayard.
73
Tuileries. Il veut offrir ces grandes toiles à l’État en
hommage à la victoire de novembre 1918. Il s’y consacre
jusqu’à son dernier souffle en 1926. Après sa mort, les toiles
sont effectivement installées dans les deux salles ovales de
l’Orangerie des Tuileries.
Les Nymphéas
Auguste Renoir, peintre de figures, Berthe Morisot, une
femmes parmi les impressionnistes, Camille Pissarro,
paysagiste, et Edgar Degas, peintre de scènes de la vie
parisienne sont sont dont nous allons présenter les œuvres sur
les pages qui suivent.
74
8.2 PIERRE-AUGUSTE RENOIR (1841-1919)
Renoir est principalement un peintre de figures. Il
préfère les nus et les portraits aux paysages. Ce n’est que
très rarement qu’il peint des natures mortes. Lui aussi, tout
comme ses amis impressionnistes, a le culte de la lumière. Il
la fait agir dans ses tableaux en prenant plaisir à la voir
caresser un visage ou un nu de jeune femme. Dans ses
portraits, il combine les tendances réaliste et
impressionniste. Les visages qu’il peint sont rayonnants et
expriment la gaieté, le bonheur d’exister. En général, ce sont
des portraits de jeunes femmes, témoins de leur époque et si
l’on veut savoir comment s’habillait, comment se divertissait
la sociéte parisienne sous Napoléon III ou dans les premières
années de la Troisième République, on doit observer les
tableaux de Renoir. À cette fin, nous avons choisi de
présenter quelques unes de ses toiles et invitons notre
lecteur à les contempler. En premier lieu, c’est le triptyque,
ayant pour thème la danse, qui est formé de la Danse à la
ville, la Danse à la campagne et la Danse à Bougival. Les
premiers deux tableaux, conçus comme pendants, font partie des
collections du Musée d’Orsay à Paris et le troisième est
exposé à Boston, au Museum of Fine Arts.
L’élégance, peut-être un peu austère, soulignée par les
couleurs froides de la robe de Suzanne Valadon45, modèle pour
la Danse à la ville, et le smoking de son partenaire,
contraste avec la gaieté et la joie de vivre, exprimées par
les couleurs vives de la robe, du chapeau et de l’éventail
d’Aline Charigot, future Madame Renoir, qui a posé pour la
Danse à la campagne.
45 Suzanne Valadon (1865-1938) fut modèle professionnelle, artiste peintre
et mère du peintre Maurice Utrillo.
75
La terrasse d’une guinguette sert de cadre à la Danse à
Bougival46. Le beau visage de la jeune femme est encore une
fois celui de Suzanne Valadon. Le vêtement sombre de son
partenaire, qui de toute évidence cherche à l’embrasser, fait
ressortir la blancheur de la robe de la cavalière.
La Danse à la campagne, la Danse à Bougival et la Danse à la ville
En 1875, Renoir commence à peindre le tableau le Moulin
de la Galette, connu aussi sous le nom du Bal du Moulin de la
Galette, représentant un moment typique de la vie parisienne.
Cette scène de plein air, éclairée par la lumière qui traverse
les feuilles des arbres, rassemble les amis du peintre. Ils
dansent ou bavardent dans un bal populaire au Moulin de la
Galette, situé sur la butte Montmartre, lieu qui existe encore
de nos jours. Cet endroit célèbre a été peint par plusieurs
artistes, parmi lesquels Vincent Van Gogh, Henri de Toulouse-
Lautrec ou Maurice Utrillo. La toile, œuvre originale et
ambitieuse, est exposée au troisième Salon des
Impressionnistes en 1877. Le critique d’art Georges Rivière
publie un article sur le tableau (où il figure lui aussi)
qu’il décrit comme « un jardin ensoleillé rempli de charmantes
46 Bougival, en Ile-de-France, est une commune située sur la Seine.
Plusieurs tableaux impressionnistes, devenus célèbres, comme par ex. le
Quai de Berthe Morisot, le Pont de Bougival de Claude Monet et la Danse à
Bougival d’Auguste Renoir ont été peints dans l’île de Bougival, très
fréquentée par de nombreux Parisiens.
76
jeunes filles de quinze ans portant les vêtements qu’elles
avaient confectionnés elles-mêmes et de jeunes gens pleins de
gaîté ». 47 Aujourd’hui, il fait partie des collections du
Musée d’Orsay à Paris.
Le superbe tableau le Déjeuner des canotiers (1881)
appartient aujourd’hui à la collection Phillips à Washington.
Il s’agit de l’une des œuvres les plus réussies de Renoir.
Elle met en scène un groupe de personnes, modèles et amis du
peintre, réunis autour d’une table sur la terrasse de
l’Auberge Fournaise à Chatou. Au premier plan à gauche,
l’artiste a représenté sa future femme Aline jouant avec un
petit chien et, à droite, on reconnaît Gustave Caillebotte,
peintre lui aussi et l’un des mécènes des impressionnistes.
L’homme barbu qui porte un maillot des canotiers est Alphonse
Fournaise, le propriétaire de l’auberge. Le banquier et
collectionneur Charles Ephrussi, le journaliste Paul Lhote qui
a posé pour les trois danses, son collègue italien Maggiolo,
l’actrice Jeanne Samary, Ellen Andrée, comédienne qui a servi
de modèle à plusieurs peintres impressionnistes, et quelques
autres personnages sont des citadins qui viennent passer des
moments agréables à la campagne.
Déjeuner des canotiers
47 Gruitrooy, G. : Renoir. Un maître de l’impressionnisme. Paris 1996, p.
30.
77
La plus grande partie de l’œuvre de Renoir est constituée
de portraits. Ils lui apportent la renommée mais aussi, ce qui
n’est point négligeable, l’argent dont il manquait assez
souvent. Ses amis peintres, parmi lesquels Frédéric Bazille,
Claude Monet et son épouse, Alfred Sisley avec sa femme,
Suzanne Valadon ou encore Berthe Morisot et sa fille Julie
Manet lui posent comme modèles. De nombreux personnages de son
époque, liés d’une façon ou d’une autre à l’art, tels le
compositeur allemand Richard Wagner, le poète français
Stéphane Mallarmé, l’actrice Jeanne Samary, le marchand d’art
et galériste Ambroise Vollard et bien d’autres sont également
portraiturés par Renoir. Le peintre reçoit beaucoup de
commandes des riches familles vivant à Paris ce qui lui permet
de se mettre en avant dans la haute société parisienne. Le
tableau Madame Charpentier et ses enfants, terminé en 1878,
représente l’épouse de Georges Charpentier, éditeur de Daudet,
Maupassant et Zola, son fils Paul, vêtu en fille et sa fille
Georgette, dans un intérieur au décor japonais, très à la mode
à l’époque pendant laquelle est peint le portrait. La toile
est présentée au Salon de 1879 où elle connaît un grand
succès.
L’œuvre de Renoir qui se disait « ouvrier de la
peinture » est immense et l’étendue de notre ouvrage limité.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas
présenter en détails toutes les étapes de sa création. Les
spécialistes de l’art pictural et les historiens de l’art y
distinguent la période impressionniste (1864-1883), la période
ingresque ou « sèche » (1883-1890) et la période « nacrée »
(1890-1897). Cette dernière comporte, entre autres, plusieurs
nus, comme cette Baigneuse blonde – tableau peint entre 1904
et 1906 – qui rappelle, en quelque sorte, les célèbres nus du
Titien ou de Rubens.
78
Baigneuse blonde
Dans le Midi de la France, à Cagnes-sur-Mer où Renoir
passe les dernières années de sa vie et s’éteint en 1919, dans
la villa baptisée « Les Collettes », un musée abrite les
collections du peintre, quelques unes de ses peintures
originales, son atelier et son mobilier, constituant ainsi un
précieux témoignage de l’univers créatif et familier de cette
grande figure du mouvement impressionniste.
Cagnes-sur-Mer
79
8.3 BERTHE MORISOT (1841-1895)
L’unique femme au sein du groupe des impressionnistes,
Berthe Morisot est la descendante de Fragonard48, l’élève de
Corot49, le modèle préféré de Manet dont elle deviendra la
belle-sœur en épousant son frère cadet, Eugène50, peintre lui
aussi. Elle vit dans un monde cultivé, entourée d’artistes. Sa
famille reçoit, entre autres, Zola, Baudelaire, Manet. Ce
dernier lui demande de poser pour plusieurs de ses tableaux,
par exemple le célèbre Balcon (1868). En 1874, avec Monet,
Renoir, Sisley, Pissarro et Degas elle fonde la Société
anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs qui doit
permettre aux impressionnistes d’exposer librement leurs
œuvres sans être obligés de passer par le Salon officiel. En
avril de la même année, Berthe Morisot participe à la première
exposition impressionniste ayant lieu dans les ateliers de
Nadar où elle présente plusieurs tableaux, parmi lesquels Le
berceau. C’est l’une de ses sœurs qui y est représentée en
regardant dormir sa fille. Glorification de la maternité,
cette toile est peut-être la plus illustre des œuvres de
Berthe Morisot.
Le berceau
48 Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) est l’un des principaux peintres
classiques du XVIIIe siècle. Voir notre Panorama. 49 Camille Corot (1796-1875), peintre français, est l’un des représentants
de l’école de Barbizon. 50 Eugène Manet (1833-1892) pose pour le célèbre tableau de son frère
Déjeuner sur l’herbe. C’est le barbu, à droite, que l’on voit discuter
avec les autres personnages.
80
Les sujets de la maternité, de la vie de famille, de la
vie quotidienne dominent l’œuvre de Berthe Morisot. À
plusieurs reprises, elle peint son mari et sa fille Julie,
comme en témoigne le tableau Eugène Monet et sa fille au
jardin (1883), montrant le père jouant avec sa fille dans le
jardin de Bougival. Ses modèles préférés, les membres de sa
famille – sa sœur Edma, son époux, et avant tout Julie, son
modèle de prédilection – sont les principaux personnages
qu’elle immortalise sur ses tableaux. Julie est l’objet de
plusieurs potraits faits par sa mère. Nommons au moins les
tableaux intitulés Jeune fille à la poupée (1884),
Autoportrait avec Julie (1885), Julie au violon (1893), Julie
Manet et sa levrette Laërte(1893), Julie rêveuse (1894). Ce
dernier a été peint peu de temps après la mort d’Eugène Manet,
son père, et il reflète la tristesse de la jeune fille, frappé
par le malheur familial.
Julie rêveuse
81
Le visage de Berthe Morisot, nous le connaissons bien
grâce à ses autoportraits, comme celui réalisé en 1885 où elle
se représente tenant une palette et un pinceau à la main, mais
surtout grâce aux nombreux portraits peints par son ami et
beau-frère Édouard Manet. Berthe Morisot à la voilette, au
manchon, au soulier rose, au bouquet de violettes, à
l’éventail, de profil, de trois-quarts sont les quelques
titres que nous jugeons utile de mentionner afin de démontrer
l’intérêt que Manet portait à sa jolie modèle dont il
appréciait le talent et la sensibilité féminine.
Un autre grand peintre de l’époque, Auguste Renoir,
laisse à la postérité l’image d’une femme d’un certain âge
déjà. Son Portrait de Berthe Morisot et de sa fille Julie
Manet date de 1894.
La peinture de Berthe Morisot est très appréciée de ses
contemporains. Renoir disait que « Monet, Sisley, Morisot,
c’est de l’art pur ». Stéphane Mallarmé écrit que « c’est
peut-être la plus délicate des peintres impressionnistes ».
L’originalité de son œuvre, son style très personnel font
d’elle une grande figure du mouvement impressionniste auquel
elle adhère dès le début et ne manque aucune des
manifestations du groupe, à l’exception de l’exposition de
1879 à laquelle elle ne participe pas pour des raisons de
santé.
Malgré sa notoriété, Berthe Morisot est un peu oubliée au
XXe siècle, mais en 1993, un événement important va contribuer
à sa redécouverte. Cette année-là, le Musée Marmottan-Monet à
Paris reçoit un précieux legs venant des descendants de la
famille, des époux Denis51 et Annie Rouart, un ensemble qui
forme l’essentiel des collections du musée, constituant ainsi
la plus grande collection au monde d’œuvres de Berthe Morisot
conservée sous le toit d’un seul musée. Un autre legs, celui
51 Denis Rouart (1908-1984) est le petit-fils de Berthe Morisot, fils de
Julie Manet. Les œuvres léguées proviennent donc directement de la famille
de l’artiste peintre.
82
de Thérèse et Julien Rouart, ce dernier étant également petit-
fils de l’artiste, complète la collection qui comporte plus de
80 œuvres de l’artiste. Par la suite, plusieurs expositions
consacrées à Berthe Morisot sont organisées dans différentes
villes de France, parmi lesquelles la première rétrospective
de son œuvre depuis près d’un demi-siècle, ayant lieu au musée
Marmottan-Monet en 2012. Elle montre 150 peintures, pastels,
aquarelles, sanguines et fusains provenant de musées et de
collections privées du monde entier, évoquant ainsi le
parcours de l’artiste depuis sa formation auprès de Corot
jusqu’à sa mort en 1895.
8.4 CAMILLE PISSARRO (1830-1903)
À l’occasion des deux expositions d’œuvres de Camille
Pissarro, organisées en 2017 à Paris (au Musée Marmottan-Monet
et au Musée du Luxembourg), plusieurs articles consacrés à cet
artiste ont été publiés. Presque tous constatent que Pissarro
était un pilier du mouvement impressionniste un peu négligé,
qu’il était le peintre de la campagne et de la ville le plus
complet des impressionnistes. Son élève Paul Cézanne le
considérait comme le premier des impressionnistes,
qualificatif que le Musée Marmottan-Monet52 a choisi comme
titre de son exposition. Celle du Musée du Luxembourg,
intitulée Pissarro à Éragny. La nature retrouvée, présente les
toiles peintes dans ce village (dans l’actuel Val-d’Oise) où
l’artiste se retire dès 1884. Les jardins, les vergers en
fleurs, les scènes de la vie à la campagne, qualifiés par la
presse d’éloge fait à la campagne... l’exposition retrace les
vingt dernières années de l’existence de Pissarro.
52 Visite de l’exposition : https://www.expointhecity.com/2017/03/07/on-a-
vu-camille-pissaro-le-premier-des-impressionnistes/ [29.9.2017]
83
En 1855, l’année de l’Exposition universelle, Pissarro
arrive à Paris où il rencontre Corot et découvre Delacroix,
Courbet, Ingres et Daubigny. Leurs œuvres le touchent
beaucoup, et, influencé par Daubigny et Corot, il se passionne
pour le plein air et le paysage. Il supprime de sa palette le
noir et les ocres pour privilégier les couleurs claires.
Pissaro est le seul membre du groupe qui participe à toutes
les expositions des impressionnistes (8 au total), mouvement
au sein duquel il joue un rôle primordial. Il encourage ses
jeunes amis peintres, les aide dans leurs recherches. Très lié
à Cézanne, il l’initie à l’impressionnisme. Pour ses tableaux,
il cherche des motifs dans les lieux où il réside
successivement (Pontoise, Louvenciennes, Osny, Éragny) et
immortalise les scènes qui font partie de son quotidien : des
jardins, des prés, des champs, un marché de village, mais
aussi des paysans et paysannes qui travaillent ou se reposent.
Lors de ses fréquents voyages à Rouen, à Dieppe et au Havre,
il observe la vie dans ces villes qu’il peint par la suite.
Nombreuses sont également ses vues de Paris. Ses paysages
parisiens, saisis sous différents éclairages, constituent de
véritables séries. Du haut d’une fenêtre, il regarde les
avenues, les boulevards, les ponts et les quais de la Seine
qu’il peuple, sur ses toiles, de petites figures évoquant
ainsi la sensation de l’animation qui y règne. Sensation,
c’est le mot clé pour Pissarro qui veut la transmettre au
spectateur.
Pendant une courte période, en 1886, l’artiste va
s’essayer au pointillisme53, mais il se rend compte rapidement
que cette technique ne lui convient pas et reprend sa liberté.
En 1897, incité par le galériste Durand-Ruel54, il loue
une chambre d’hôtel à l’angle du boulevard des Italiens et de
53 Le pointillisme est une technique développée par Georges Seurat et Paul
Signac en 1886. Il repose sur l’application de petits points de couleur
distincts qui doivent former une image. Le terme vient des critiques d’art
qui voulaient ridiculiser les pointillistes. Cette technique est aussi
appelée le néo-impressionnisme ou le divisionnisme.
84
la rue Drouot pour réaliser une série de peintures du
boulevard Montmartre à différents moments de la journée. Comme
Monet, dans sa série de cathédrales de Rouen, il peint des
variantes et répétitions du même sujet avec l’objectif de
capter les différences de lumière au printemps, en hiver, la
nuit ou un matin brumeux.
Camille Pissarro laisse une œuvre impressionnante55 : plus
de 1 500 huiles, des centaines de gouaches et de gravures, des
pastels, des milliers de dessins. En variant les sujets
(vergers en fleurs, moissons, figures de paysannes, vues du
Havre, rues de Paris, etc.), il varie les techniques. Ce grand
travailleur est incontestablement une figure éminente de
l’impressionnisme français. Si l’on prononce le nom de Camille
Pissarro, une image vient à l’esprit des amateurs de la
peinture française : La Bergère, dite aussi Jeune fille à la
baguette (1881).
Jeune fille à la baguette
54 Paul Durand-Ruel (1831-1922) est un marchand d’art et galériste qui
a encouragé et soutenu les artistes peintres appartenant à l’école de
Barbizon et au mouvement impressionniste. Il a contribué, de façon
décisive, à la promotion de leurs œuvres dans le monde entier. 55 Le dossier suivant en donne une certaine idée :
http://www.lemondedesarts.com/DossierPissarro.htm [1.10.2017]
85
Pour illustrer l’affirmation que c’est un peintre de la ville
et de la campagne, présentons deux de ses tableaux.
Boulevard de Montmartre (1897)
Printemps, pruniers en fleurs, Pontoise (1877)
86
8.5 EDGAR DEGAS(1834-1917)
Il y a cent ans, en septembre 1917, disparaissait Edgar
Degas, de son vrai nom Hilaire Germain Edgar De Gas, considéré
comme l’un des artistes les plus novateurs de la seconde
moitié du XIXe siècle. Entre le réalisme et l’impressionnisme,
la peinture de Degas est un témoignage précieux et vibrant de
son temps. Pour son approche objective des sujets traités et
pour sa recherche du mouvement, il suscite l’admiration de ses
contemporains et le respect des jeunes artistes de son époque.
Souvent désigné comme « peintre des danseuses », ses intérêts
sont bien plus variés. Il se consacre également à la
sculpture, au dessin et à la photographie.
Ami des impressionnistes et un des principaux témoins de
leur succès, Degas joue un rôle important dans l’évolution de
leur mouvement, participe à presque toutes leurs expositions,
mais ne peint pas comme eux. Il est plus dessinateur que
peintre, tandis que les impressionnistes en général dessinent
très peu. Il ne s’intéresse pas trop au paysage et à l’étude
de la lumière, il leur préfère les scènes de la ville et les
champs de courses. La lumière qu’il analyse est celle d’un
intérieur et le plus souvent elle est artificielle. Il est le
peintre des danseuses, mais également des modistes, des cafés
et des courses de chevaux. Le monde du spectacle, notamment
celui du ballet le fascine. Dans le ballet, il voit un sujet
idéal d’observation du mouvement rapide. Degas montre les
danseuses de l’Opéra moins souvent sur scène qu’au foyer ou
dans la salle d’exercice.
Aux expositions des impressionnistes (de 1874 à 1886,
sauf celle de 1882) Degas présente des pastels consacrés à des
nus féminins. En 1883, il commence une série de nus intitulée
Femmes à leur toilette. Il montre les femmes dans leur
intimité sans être indiscret et sensuel. Il les observe avec
curiosité, mais sans désir.
87
Degas, issu d’une famille de mélomanes, fréquente souvent
l’Opéra comme spectateur, mais il réussit également à se faire
introduire dans les coulisses réservées aux musiciens et aux
ballerines. Il se familiarise avec leur milieu et en exécute
de nombreux tableaux dont La classe de danse, toile
célébrissime, peinte entre 1871 et 1874, exposée au Musée
d’Orsay. Les postures des danseuses – l’une qui se gratte le
dos, une autre qui s’évente, d’autres qui s’étirent ou bien
sont assises, fatiguées – évoquent la fin de la répétition. Au
milieu, un authentique maître de ballet, Jules Perrot, ami du
peintre, est appuyé sur le bâton qui lui sert à marquer la
mesure et autour duquel l’artiste organise sa composition. La
figure du professeur domine pratiquement tout le tableau, elle
est son personnage principal, tout en symbolisant la rigueur
et l’exigence de la danse. Degas met en valeur le parquet,
instrument de travail des danseuses, qui occupe presque la
moitié de la toile. En bas, à gauche, un arrosoir est posé au
pied du piano. Quelle est la raison de la présence de cet
objet dans la salle de répétition ? En fait, il est
indispensable pour arroser le parquet, l’humidification du sol
empêchant les danseuses de glisser et de se blesser.
88
La classe de danse
Degas ne s’intéresse pas uniquement aux lieux
fréquentés par les classes aisées comme l’Opéra ou les champs
de courses. Le monde du travail ne le laisse pas indifférent
et il le montre avec une objectivité implacable. Il entre
dans les ateliers de modistes ou de blanchisseuses et de ces
dernières il peint, entre 1869 et 1895, plusieurs tableaux.
Ses Repasseuses (1884, Musée d’Orsay), dont l’une est en train
de bâiller et l’autre appuie de toutes ses forces sur son fer,
89
reflètent la vérité de la condition ouvrière. Ses deux
repasseuses, épuisées par leur travail, font penser aux
ouvrières de la blanchisserie de Gervaise que Zola décrit dans
L’Assomoir, publié en 1877, témoignant de la misère du peuple
parisien.
Les Repasseuses
L’œuvre Dans un café, dite aussi L’absinthe, peinte entre
1875 et 1876, évoque un autre problème de l’époque, celui de
l’alcoolisme, illustré par d’autres artistes peintres (Manet,
et plus tard Toulouse-Lautrec) et romanciers, Zola en
particulier. Degas y présente une femme et un homme, assis
côte à côte dans un café que l’on peut identifier : il s’agit
de la Nouvelle Athènes, place Pigalle. Les deux personnages
sont, eux aussi, reconnaissables. Le peintre a utilisé comme
90
modèles ses amis, l’actrice Ellen Andrée56 et le graveur
Marcellin Desboutin57. Habillés de vêtements usés, le regard
absent, fixé dans le vide, les visages ravagés par l’acool,
l’image est tellement convaincante qu’elle a failli nuire à la
réputation des deux modèles. Degas a été obligé de faire une
déclaration publique que les deux artistes n’étaient pas
alcooliques. Le verre d’absinthe posé sur la table devant la
femme fait référence à cet alcool, consommé par la population
à l’époque du Second Empire, qui provoquait des crises
d’épilepsie chez ses consommateurs réguliers. D’ailleurs, il
est interdit en 1915 pour ses effets nocifs. Le tableau est
une sévère critique des mœurs du temps de Degas. Le regard
pénétrant et lucide de son auteur rapproche cette œuvre des
romans naturalistes de Zola et des frères Goncourt. En 1876,
lors de son exposition à Londres, elle a énormément choqué le
public victorien tant par sa facture que par son sujet.
56 L’actrice Ellen Andrée (1857-1925) servait souvent de modèle aux
peintres de l’époque impressionniste. Édouard Manet l’a immortalisée sur
ses tableaux La Parisienne, La serveuse de bocks, La Prune. Elle apparaît
aussi sur les tableaux d’Auguste Renoir La fin du déjeuner et Le déjeuner
des canotiers. 57 Marcellin Desboutin (1823-1902) est un peintre, graveur et poète,
personnalité de la vie artistique parisienne, surtout montmartroise. Très
lié aux peintres de sa génération, il est portraituré par ses amis Manet
(Portrait de Gilbert Marcellin Desboutin ou L’Artiste, exposé au Musée
d’art de São Paulo) et Degas (Portrait du graveur Desboutin et du graveur
Lepic, exposé au Musée d’Orsay). Il participe à la deuxième exposition des
impressionnistes dont il fait de nombreux portraits.
91
Dans un café dit aussi L'absinthe
Une autre œuvre de Degas fait scandale par son réalisme et
sa présentation dans une cage de verre. Sa sculpture La Petite
Danseuse de quatorze ans, montrée à l’exposition
impressionniste de 1881, est violemment critiquée. Il s’agit
d’une petite figure en cire, colorée au naturel, habillée de
vêtements réels et ayant de vrais cheveux. Les critiques lui
trouvent un visage profondément vicieux. Cependant, il y en a
d’autres, Renoir par exemple, qui considère la statue comme
92
une tentative de réalisme particulièrement novatrice. Après la
mort de l’artiste, des épreuves d’après l’original sont faites
en bronze, ce qui est le cas de la statuette exposée au Musée
d’Orsay.
La Petite Danseuse de quatorze ans
Degas, qui vers la fin de sa vie a des problèmes de vue,
se consacre surtout à la sculpture. À sa mort, en 1917, on
trouve dans son atelier près de 150 sculptures en cire ou en
terre. Degas sculpteur reste plutôt inconnu du grand public.