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30 Introduction

considérer la phase finale de l a Révolution française : à la fois révolution bourgeoise dans son aspect object i f et révolution per­manente (encore embryonnaire ) dans son mécanisme interne. T r o t s k y a l u i aussi apprécié exactement le phénomène l o r squ ' i l écrit qu ' en 1793 « l 'antagonisme appro fond i mais encore très l o in de sa maturité entre la bourgeoisie et le prolétariat tena i t l a na t i on , ébranlée j u s q u ' a u x assises, dans une extrême tens ion » et l o r squ ' i l observe : « A u x v i i i e siècle, l a Révolution ne pouva i t al ler plus l o in , elle pouva i t seulement refluer » 5. Malheureuse­ment , aucun h is tor ien , à m a connaissance, n ' ava i t développé et illustré ces t rop brèves formulat ions , c'est-à-dire analysé l a Révolution française à l a double lumière de l a concept ion maté­r ia l iste de l 'h isto ire et de l a théorie de l a révolution permanente .

Jaurès a b ien tenté d'écrire une histoire « socialiste ». Ma i s , comme nous le verrons *, son admi rab l e fresque est viciée à l a base, d u fait q u ' i l n ' a pas su chois ir entre le marx i sme et une interprétation vu lga i re de ce lu i -c i q u i consiste à découper l 'h i s ­toire en tranches rigides : féodalité, révolution bourgeoise, révo­l u t i o n prolétarienne, et à ne pas admet t re que l a révolution bourgeoise et les premières mani festat ions de la révolution pro­létarienne aient p u chevaucher l 'une sur l ' autre . Se persuadant , pa r moment , que la Révolution française n ' ava i t h i s to r iquement le d ro i t d'être qu 'une révolution bourgeoise, Jaurès ne témoigne qu 'une compréhension très re la t i ve pour l ' embryon de révolu­t i o n prolétarienne qu'e l le contenai t dans son sein. 11 considère (pas toujours , mais t rop souvent) la grande Révolution comme f o rmant u n tout achevé, comme se suffisant à elle-même. D'où i l résulte q u ' i l apprécie assez m a l le rôle h is tor ique des enragés, des hébertistes, des babouvistes q u i tentèrent de dépasser le cadre de l a révolution bourgeoise. L e communisme de Babeu f l u i apparaît, par moment , comme une excroissance anachro­n ique plutôt que comme l 'about issement logique de l a Révolu­t i on . A i n s i cette h isto ire « sociahste » ne se dist ingue-t-el le pas suff isamment de celle des démocrates bourgeois pour lesquels l a grande Révolution, en fondant l a démocratie, aura i t remis entre les mains des hommes u n ins t rument leur permet tant de s'éman­ciper par étapes successives et paci f iques et les aura i t dispensés par cela même de toute révolution future . A u contra ire , le marx i sme authent ique découvre, dissimulées dans l 'arbre touf fu de l a révolution bourgeoise, les jeunes pousses d 'une autre lu t te de classes, d 'une autre révolution, pro longement et fin dernière de celle q u i débuta, en F rance , en 1789.

* V . t. II, Postface, pp. 410 sq.

Les bras nus mènent la révolution bourgeoise 31

L a détermination d u po in t exact où la Révolution a t te in t son apogée et où le ref lux commence est u n problème q u ' i l impor t e de serrer de très près. J ' a i acquis l a conv i c t i on , après de longues recherches, que mes prédécesseurs ont fa i t erreur en s i tuant ce po in t au 9 the rm ido r (27 ju i l l e t 1794). J e le place beaucoup plus tôt, dès l a fin de novembre 1793; et comme on n ' a le dro i t de remettre en cause une interprétation admise par des générations de spéciahstes qu ' en appor tant des preuves, je p rodu i ra i , à l ' a p p u i de m a thèse, u n v o l u m i n e u x dossier. Depuis 1789 jusqu'à l a date q u i v i en t d'être proposée, le mouvement révolu­t ionna i re , je le mont r e ra i , est allé, par bonds successifs, cons­t ammen t de l ' a van t parce que les l imi tes object ives de l a révo­l u t i o n bourgeoise n 'ava i ent pas encore été atte intes. A p a r t i r de l a date indiquée, le mouvement révolutionnaire (que les historiens appel lent , et que moi-même j ' appe l l e parfois impro ­prement , « l a Révolution ») commence à refluer, parce que les l imi tes de l a révolution bourgeoise ont été atteintes et même dépassées. L'impossibilité object ive de déborder ce cadre se confond i c i avec l a volonté subject ive de l a bourgeoisie révolu­t i onna i r e d'empêcher les sans-culottes de pousser p lus l o in .

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Les bras nus mènent la révolution bourgeoise jusqu'à son terme.

L a théorie de l a révolution permanente comporte u n corol la ire que, pour l a clarté de m o n analyse, je n ' a i fa i t qu'effieurer dans l'exposé q u i précède. D u fa i t même que la révolution est per­manente , c'est-à-dire que le problème de l a révolution proléta­rienne se pose déjà (bien que d 'une façon encore p lus ou moins embryonnaire ) au cours de l a révolution bourgeoise, l a bour­geoisie révolutionnaire, de son côté, n'est pas occupée unique­men t par le souci de l i qu ide r l a classe dont elle p rend l a suc­cession; elle s'inquiète aussi de ce q u i se passe à sa gauche; elle s 'a larme en consta tant que les masses laborieuses, dont le concours act i f l u i est indispensable pour en finir avec l ' anc ien régime, et entre les mains desquelles elle a dû met t re des armes, essaient de pro f i l e r des circonstances pour obten i r l a sat is fact ion de leurs r e v c M i d i c u l ions propres. L a peur que l u i inspire l ' a van t -gardo ])n|)ulMin! la fait renoncer à porter des coups t rop rapides et troj) b ru taux à la contre-révolution. E l l e hésite à chaque ins tant cu i r e la solidarité q u i l ' u n i t a u peuple contre l ' a r is to­crat ie et celle ([ui un i t l ' ensemble des possédants contre les non-possédants. CcMo pusillanimité l a r end incapable d ' accompl i r jusqu 'au l ioul. Icit l i ichcs l i is ion'ques de l a révolution bourgeoise,

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