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Innovation organisationnelle et créativité
Olivier LELORIEUX [email protected]
L’organisation de la créativité est un défi pour bon nombre d'entreprises. Du point de vue de
l’innovation organisationnelle, une composante clé est le développement de la capacité à
apprendre c’est-à-dire à intérioriser les changements liés à la validation socioculturelle de la
créativité. Le management doit, ainsi, inciter à l’émergence de la créativité mais également
gérer ses conséquences au niveau de l’organisation. Selon un dirigeant de start-up, « il faut
formaliser sans formaliser ».
Partant de la théorie pour définir l’action créative en termes de processus et de résultat, nous
présenterons la créativité comme un processus psychologique et individuel et nous prendrons
en compte le processus social dans lequel la créativité émerge. Considérant que la créativité
peut se construire comme se « déconstruire » et analyserons alors les facteurs propices à la
créativité. Enfin, nous verrons comment la structure organisationnelle influence la créativité
en considérant en particulier deux formes organisationnelles classiques : la bureaucratie et la
firme entrepreneuriale.
La créativité amène à remettre en cause le postulat de Schumpeter quant à la déviance de
l’entrepreneur par rapport aux normes du groupe puisque ces dernières sont orientées vers la
créativité, mais dans un contexte de viabilité économique. Organiser la créativité implique
également une innovation organisationnelle dans la mesure où cela suppose une évolution
dans le rôle, les fonctions et le statut du manager créatif et du salarié : le salarié entrepreneur /
le salarié créatif.
Mots clés : Créativité, Organisation, Innovation, Changement, Formalisation
INTRODUCTION
L’organisation de la créativité est un défi pour bon nombre d’entreprises. Du point de vue de
l’innovation organisationnelle, une composante clé est le développement de la capacité à
apprendre c’est-à-dire à intérioriser les changements liés au « pouvoir de création,
d’invention1 » que représente la créativité. Le management doit inciter à l’émergence de la
créativité mais également gérer ses conséquences au niveau de l’organisation. Selon un
dirigeant de start-up, « il faut formaliser sans formaliser ».
Partant de la théorie pour définir l’action créative en termes de processus et de résultat, nous
présenterons la créativité comme un processus psychologique et individuel et nous prendrons
en compte le processus social dans lequel la créativité émerge. Considérant que la créativité
peut se construire comme se « déconstruire », nous analyserons les facteurs propices à la
créativité. Enfin, nous verrons la relation entre créativité et structure organisationnelle.
I- LA CREATIVITE
La créativité constitue la matière première de l’innovation2. Les actions créatives influencent
les processus et les résultats en résolvant des dilemmes qui surviennent au cours du processus
d’innovation. La créativité se réalise à tous les niveaux d’analyse (individu, groupe,
organisation, marché) et au cours des différentes phases de l’innovation3. Définissant la
créativité en termes de processus et de résultat, nous présenterons les composantes de la
créativité au niveau individuel. A savoir : les bases psychologiques de l’individu, ses
compétences et sa motivation.
1-1- Processus et résultat
En parcourant la littérature, nous observons deux approches complémentaires :
Processus
La créativité est orientée vers l’engagement (Drazin, Glynn et Kazanjian, 1999).
L’engagement créatif est défini comme un processus dans lequel l’individu s’implique
techniquement, affectivement, cognitivement et émotionnellement dans l’obtention d’un
1 Définition de la créativité tirée du Petit Larousse 2 Cropley (1999), Amabile (1988), Ford (1996) 3 Amabile (1988) définit 5 phases de l’innovation : énoncé des objectifs et détermination de l’agenda,
détermination des étapes, développement et génération d’idées, validation et mise en œuvre au niveau de l’organisation, évaluation du résultat (succès, échec et progrès)
résultat créatif. Cette définition se focalise sur la volonté et la motivation d’obtenir une
solution créative, peu importe si le résultat est créatif ou non.
Le processus créatif n’est pas linéaire. Amabile (1988) propose une séquence d’étapes non
déterminées. A savoir, présentation de la tâche ou du problème, collecte d’informations et de
ressources), production de produits ou réponses au problème, validation de la réponse,
évaluation du résultat (succès, échec et progrès). Finke, Ward et Smith 4 proposent un
mouvement cyclique de va et vient entre les phases génératrices et exploratrices.
Résultat
La créativité est orientée vers le résultat. L’individu créatif a la capacité de matérialiser les
idées nouvelles en un résultat nouveau et utile. En ce sens, la créativité constitue le socle de
l’innovation : la nouveauté est source de changement et l’utilité est le gage de sa diffusion.
1-2- Les bases psychologiques
Les bases psychologiques de l’individu sont le terreau dans lequel émerge la créativité. Les
éléments qui constituent ce terreau sont la dimension cognitive de l’individu, son histoire et sa
personnalité.
La dimension cognitive
Mumford et ses collègues5 ont établi une liste de composantes cognitives qui participent au
processus de création de nouvelles idées. Ces composantes incluent la construction du
problème, le codage de l’information, la recherche de catégories pour accéder à l’information,
la reconnaissance des meilleures catégories, la combinaison et la réorganisation des catégories
d’information, l’évaluation d’idées, la mise en œuvre et encore la direction.
La dimension cognitive se caractérise par une facilité dans la compréhension des complexités
et une capacité à briser le dispositif mental lors de la résolution d’un problème (Amabile,
1988).
L’histoire de l’individu
4 Tiré de l’article de Lubart (1999) 5 Tiré de Lubart (1999) page 30
Au cours de son histoire, l’individu va apprendre des règles, acquérir des habitudes culturelles
et émotionnelles. Son histoire va le conditionner : environnement familial marqué par la
curiosité ou l’enfermement intellectuel, accès au savoir, tolérance, etc. Ce conditionnement
peut soit être favorable soit être inhibitoire pour adopter un comportement créatif.
La personnalité de l’individu
Etablir une relation entre créativité et personnalité est un exercice complexe car un individu
créatif n’est pas représenté par une seule caractéristique mais par sa capacité à opérer au
travers du spectre de sa personnalité. Ces caractéristiques peuvent être la capacité et le
penchant à introduire une nouveauté dans un domaine, à prendre des risques, un style de
travail (persévérance, indépendance, curiosité), l’intelligence, la divergence/convergence, la
formulation de problèmes, etc.
1-3- Les compétences de l’individu créatif
Les compétences relatives au domaine de connaissance
Les compétences relatives au domaine de connaissance sont les bases de la performance
créative. Elles incluent une connaissance factuelle, des compétences techniques et des talents
spéciaux dans le domaine en question. Elles semblent dépendre de capacités cognitives, de
perception et motrices innées aussi bien que l’éducation formelle ou informelle dans le
domaine. Ces compétences résultent également de la formation et de l’apprentissage de
l’individu.
Les compétences sociales
L’individu créatif interagit avec son environnement : groupe, entreprise, industrie, marché. La
capacité à communiquer à l’intérieur et au travers de ces niveaux sociaux est une compétence
essentielle. La connaissance vis-à-vis du contenu et de la structure des différents domaines,
des contacts de confiance et des compétences en communication sont des facteurs qui
facilitent l’émergence et la diffusion de la créativité.
1-4- La motivation
La motivation est un élément clé du processus créatif. Introduire une nouveauté est toujours
une aventure risquée et il faut un grand niveau de motivation pour persévérer et maintenir son
engagement.
Motivation intrinsèque et motivation extrinsèque
La motivation à la tâche se décompose en deux éléments « La motivation intrinsèque signifie
que l’on pratique une activité pour le plaisir et la satisfaction que l’on en retire. Une personne
est intrinsèquement motivée lorsqu’elle effectue des activités volontairement et par intérêt
pour l’activité elle-même sans attendre de récompense ni chercher à éviter un quelconque
sentiment de culpabilité. La définition extrinsèque se définit comme suit : le sujet agit dans
l’intention d’obtenir une conséquence qui se trouve en dehors de l’activité même. Par
exemple, recevoir une récompense, éviter de se sentir coupable, gagner l’approbation sont des
motivations extrinsèques6. »
Les quatre facteurs de la motivation
Ford (1996) définit la motivation « générale » d’un individu à partir de quatre facteurs. A
savoir :
- les objectifs servent à organiser l’attention et l’action. Ils sont nécessaires
pour organiser des comportements intentionnels.
- les « croyances dans la réceptivité » du management. Si l’individu perçoit le
management comme favorable à la créativité, il sera incité à réaliser des
actions créatives.
- les « croyances dans ses capacités » sont la perception de ses capacités à
entreprendre et à réussir des actions créatives (confiance, estime de soi).
- les émotions fournissent une information et de l’énergie pour entreprendre
des actions créatives.
Ces facteurs nous semblent pertinents car ils prennent en compte la dimension psychologique
de l’individu (ses perceptions dans les attentes du management et dans ses capacités), une
dimension peu étudiée en sciences de gestion mais essentielle (les émotions) et l’influence du
management (les objectifs).
6 Tiré du site Internet www.reunion.iufm.fr/Dep/listeDep/exposes/motivation2.pdf
Nous retiendrons les deux approches de la créativité comme étant complémentaires : la
créativité est un processus dans lequel l’individu s’engage ET un résultat nouveau et utile.
Selon Jaoui (2003), l’utilité va avoir comme critère, non le regard rigoureusement rationnel de
l’inventeur ou des experts, mais l’acceptation de la nouveauté par un certain public7 ». La
créativité est un phénomène psychologique et individuel dont la compréhension requiert la
prise en compte des interactions entre plusieurs composantes : les bases psychologiques, les
compétences et la motivation de l’individu. Nous allons désormais étudier la créativité en tant
que phénomène social et plus particulièrement, l’influence du management sur le processus
créatif.
II – LE MANAGEMENT DE LA CREATIVITE
Le management dispose d’un certain nombre de leviers afin de créer des conditions propices à
l’émergence de la créativité. Nous proposerons quatre leviers : une stratégie orientée vers la
créativité, un développement des compétences et de l’autonomie des employés, une capacité
de changement et un management de la connaissance. Nous mettrons l’accent sur les
comportements managériaux du management intermédiaire.
2-1- Une stratégie orientée vers la créativité
Tout d’abord, les objectifs véhiculés par la stratégie vont orienter les actions et les
comportements des employés vers l’obtention de solutions créatives. Ensuite, inscrire la
créativité dans la stratégie va confirmer les « croyances dans la réceptivité » du management
pour des actions créatives. Les managers ont la responsabilité de fournir des signaux
communiquant les orientations de l’organisation vers un travail créatif. Pour finir, une
stratégie orientée vers la créativité doit influencer le au niveau du style de management.
D’une part, l’échec doit être accepté car il fait partie intégrante du processus créatif. Cette
acceptation conduit à la création d’une zone de confort (Ford, 1996) qui constitue un climat
émotionnel propice à la créativité. D’autre part, le manager peut également engager plus
d’énergie avec les employés dont il espère une plus grande créativité. Supporté par son
7 Hubert JAOUI, Tous innovateurs – la dimension humaine de l’innovation : leviers et bonnes pratiques, Editions
DUNOD, Novembre 2003, page 2
manager, l’individu développe sa confiance en lui et améliore ses « croyances dans ses
capacités ».
2-2- Un développement des compétences et de l’autonomie des individus
Développer une politique de gestion des Ressources Humaines fondée sur les compétences est
une approche complémentaire à une stratégie orientée vers la créativité. En effet, de
nombreux auteurs8 définissent la créativité sur la base des compétences. Ainsi, développer
certaines compétences des employés aura pour conséquence de développer le potentiel créatif.
L’autonomie octroie à l’individu une liberté d’agir dans laquelle il peut entreprendre des
actions créatives. En donnant de l’autonomie à ses employés, le manager accepte de se
déconnecter de la démarche dont il reste pourtant le responsable. Cette mise en retrait
volontaire traduit la « confiance » du manager dans la capacité de son équipe à réaliser les
objectifs et intégrer une dimension créative. Le manager doit être capable d’analyser les
facteurs qui vont susciter la motivation de l’individu : le degré de responsabilisation, la
gestion du temps de travail, la possibilité d’avoir une vie en dehors de l’entreprise, etc. La
motivation peut également résulter de l’échange, du dialogue et des signes visibles de
reconnaissance que le manager exprime en direction de ses salariés.
2-3- Une capacité de changement : l’entreprise apprenante
Selon Jaoui (2003), nous sommes programmés biologiquement, psychologiquement,
socialement pour la continuité et contre le changement. Le manager devra avoir conscience
de cette propension à la stabilité aussi bien pour ses collaborateurs que pour lui. La curiosité,
la capacité à se remettre en question, la capacité à réfléchir, à prendre du recul et sortir du
cercle, la volonté et la capacité à apprendre sont autant de caractéristiques dont le
management doit développer chez ses collaborateurs pour développer une capacité de
changement.
Les individus doivent être capables de changer c’est-à-dire posséder les connaissances
nécessaires mais surtout vouloir changer c’est-à-dire intérioriser les nouvelles pratiques en
8 Lubart (1999), Amabile (1988), Ford (1996),
rompant avec leurs habitudes. L’intention de changer est essentielle lorsque l’individu ou
l’entreprise s’engage dans des actions créatives qui auront pour conséquence un changement9.
Le management peut développer des comportements réguliers de recherche. En ce sens, nous
pouvons parler de routines de recherche c’est-à-dire une capacité à valoriser les services
inexploités des ressources existantes ou à combiner différemment des ressources accessibles
pour générer un ensemble radicalement nouveau.
2-4- Un management de la connaissance
L’intégration et l’acquisition d’informations enrichissent les aptitudes individuelles et
organisationnelles. Outre la quantité d’information, la manière dont l’information est stockée,
et plus précisément la facilité avec laquelle les individus peuvent y avoir accès va faciliter
l’émergence de la créativité.
La capacité d’absorption10 est la capacité d’un individu ou d’une organisation à reconnaître la
valeur d’une nouvelle information, l’assimiler et l’utiliser à des fins productives. Cette
capacité semble résulter de l’histoire de l’organisation et est spécifique à un domaine de
connaissances. Lorsqu’une organisation ne développe pas une capacité d’absorption dès le
début du développement du domaine de connaissances, cette capacité peut devenir très chère
à développer. Une telle absence peut mener à rater des opportunités ou à se retrouver dans une
situation d’enfermement (lock out).
2-5- Réhabilitation du management intermédiaire
Dans leur ouvrage, Nonaka et Takeuchi (1997) présentent un management milieu-haut-bas
dans lequel les cadres intermédiaires ont un rôle central. Les connaissances sont créées par
les cadres intermédiaires, qui sont souvent les leaders d’une équipe, au travers d’un processus
de conversion en spirale impliquant, à la fois, la direction générale et les employés de la base.
Les cadres intermédiaires se situent à l’intersection des flux verticaux et horizontaux
d’informations dans l’entreprise. Ils sont la clé de l’innovation continue. Ils servent de
« nœud » stratégique qui relie la direction générale aux responsables de la base. Ils sont un
9 Ford (1996), Woodman et al. (1993), Nonaka et Takeuchi (1997) 10 Teece et Pisanp (1994) ; Iansiti et Clark (1994) – Tiré de Durand R. (2000)
« pont » entre les idéaux visionnaires du sommet et les réalités souvent chaotiques auxquelles
sont confrontés les travailleurs de la base. La tâche principale des cadres intermédiaires est
d’orienter cette situation chaotique vers la création de connaissances ayant un objet et une fin.
Dans ce modèle, la direction générale crée une vision tandis que les cadres intermédiaires
développent les concepts concrets que les employés de la base peuvent comprendre et mettre
en œuvre.
Le management de la créativité est donc un exercice subtil et complexe dans lequel l’individu
est considéré comme le creuset des idées créatives. Le management a la possibilité de
favoriser l’émergence de la créativité au travers d’une GRH centrée sur les compétences, un
management de la connaissance et la mise en place d’une organisation apprenante. Pour que
le management milieu-haut-bas puisse fonctionner effectivement, il est nécessaire d’adopter
une structure organisationnelle qui amène à repenser les relations entre la direction générale,
les cadres intermédiaires et le niveau inférieur.
III- CREATIVITE ET STRUCTURE ORGANISATIONNELLE
La structure organisationnelle d’une entreprise définit le mode d’organisation entre les
différentes unités qui composent l’entreprise et le choix de répartition des moyens humains et
matériels mis en œuvre entre ces différentes unités. La littérature propose des grands modèles
types présentant les caractéristiques principales de l’organisation de l’entreprise. Dans la
réalité, nous observons une complexification et une hybridation des structures
organisationnelles. Après le règne des structures centralisées et formalisées, « les tendances
organisationnelles récurrentes sont plus souples et décentralisées, une réduction des modes
hiérarchiques et le développement de mode de coordination plus transversaux11 ».
3-1- Une structuration par projet
11 Charpentier P, La documentation française, Cahiers français, n° 321
Une structuration par projet répond à un souci de transversalité12. La transversalité permet le
partage et la création de connaissances. Cette structuration permet de rompre avec les routines
et habitudes organisationnelles issues des structures existantes et confère, à l’entreprise, une
plus grande flexibilité et souplesse.
« En France, la norme X50-105 (1991) de l’AFNOR met d’abord l’accent sur le projet
considéré comme un processus en le définissant comme une démarche spécifique qui permet
de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir avant de s’attacher au
résultat et aux moyens mobilisés13. »
Lors de l’introduction d’un projet, les mécanismes de coordination et de commandement sont
modifiés. Cette modification induit une certaine mutation culturelle devant être intégrée par
tous les acteurs de l’entreprise, et en particulier, par l’encadrement que cette organisation
éphémère « désécurise ».
3-2- Une organisation en réseau
Un réseau sert tout d’abord à échanger des informations et des idées, à s’enrichir
mutuellement des connaissances des uns et des autres. Un réseau est fait pour participer,
échanger et donner. C’est la circulation des informations et son dynamisme qui le rendent
efficace et propice à la créativité.
Perry-Smith et Shalley (2003) représentent les interactions interpersonnelles qui ont lieu dans
un réseau, au travers d’un continuum dont les extrémités sont représentées par des « liens
forts et des liens faibles14 ». Le mouvement le long de ce continuum est une fonction du
nombre d’interactions, de l’intensité émotionnelle et de la réciprocité qui a lieu entre les
individus. Les liens faibles (weak ties) correspondent « a des relations directes entre deux
acteurs et impliquent peu d’interactions, une proximité relationnelle faible et un échange à
sens unique ». Les liens forts (strong ties) correspondent « a des relations directes entre
deux acteurs et impliquent des interactions fréquentes, une forte proximité relationnelle et
une réciprocité ». Les auteurs observent une tendance à la similarité entre des acteurs
12 Charpentier P, La documentation française, Cahiers français, n° 321 13 Giard V., La documentation française, Cahiers français, n° 321 14 Granovetter M.S. (1973) – Tiré de l’article de Perry-Smith et Shalley (2003)
fortement liés. Par conséquent, il est plus probable que les liens faibles connectent des
personnes ayant des perspectives et des regards différents, des intérêts divers et des
approches variées de problèmes15. Des connections plus faibles permettent d’accéder à un
éventail plus large d’individus et à une information non redondante16. A l’opposé, une
information qui circule au sein d’un réseau qui est fortement lié tend à être redondante
mais circule vite.
Les liens faibles favorisent la divergence des idées tandis que les liens forts favorisent leurs
convergences. L’articulation entre convergence et divergence constitue une régularité dans
les processus de création (Paris, 2007) Articuler liens forts et liens faibles dans les
activités de réseau vont ainsi participer à l’émergence de la créativité.
3-3- Un management fondé sur la confiance
Adler (2001) définit la forme moderne de la confiance comme étant moins aveugle et moins
liée à la tradition. Elle est plus étudiée, rationnelle et provisoire. Cependant, elle ne résulte pas
complètement d’un comportement calculateur. Les normes jouent un rôle central. Leur
légitimité dérive d’un dialogue ouvert entre collègues et non de sources affectives telles que la
tradition, le charisme ou de leurs propre utilité calculée. Cette forme moderne est qualifiée de
réfléchie. Alors que la confiance traditionnelle élève la loyauté au-dessus de tout, la confiance
moderne range l’intégrité et la compétence encore plus haut17.
Dans un contexte où le management de la connaissance devient un élément important, la
confiance est un mécanisme attractif pour les agents économiques. La confiance permet de
diminuer des problèmes de coordination créés par les caractéristiques de la connaissance
(Adler, 2001). Soulignons que la coordination interne permet « d’exploiter la spécificité inter-
actifs » à la base de l’innovation18.
15 Coser (1975) – Tiré de l’article de Perry-Smith et Shalley (2003) 16 Burt R.S. ((1997) – Tiré de l’article de Perry-Smith et Shalley (2003) 17 Lewicki et Bunker (1996), Shapiro et al. (1992) – Tiré de l’article de Kieser (2001) 18 Christensen J.F., Analysing the technological base of the firm (1994) ; Mueller F., Teams between hierarchy
and commitment : change strategies and the « internalenvironment » (1994) – Tiré de Durand (2000)
Une structure organisationnelle favorisant l’émergence de la créativité et sa diffusion doit être
adaptée sur ces trois dimensions : autorité, marché et confiance. Elle doit avoir la capacité
stratégique d’exploiter, accumuler, partager et créer continuellement et de façon répétée de
nouvelles connaissances. Une structuration par projet favorisant la transversalité ainsi qu’une
structuration en réseau associées à une structure « formalisée » pour l’exploitation des
connaissances répondent à cet objectif. La confiance moderne est un mécanisme de
coordination propice à la création de connaissances et donc à la créativité.
CONCLUSION
Tout d’abord, la créativité est un processus ainsi qu’un résultat nouveau et utile. Elle est un
état d’esprit et un regard sur le monde. Elle ne peut pas se décréter du jour au lendemain et
requiert du temps, un apprentissage, des erreurs, une cohérence dans les pratiques
managériales et un engagement de tous les individus impliqués dans le processus créatif. Tant
au niveau individuel qu’organisationnel, il n’existe pas de « one best creative individual » ou
« one best creative organization». Dans un contexte de complexité croissante du savoir,
l’individu créatif doit posséder les compétences relatives à son domaine d’activité, mais la
motivation est une composante clé dans l’émergence de la créativité.
Ensuite, organiser la créativité nécessite un cadre afin de canaliser les énergies et les
comportements des employés. Ce cadre peut être formalisé. Par exemple, une stratégie bien
définie et encadrée par des règles orientées vers la créativité, un management de la
connaissance s’appuyant sur des outils et des méthodes précis, et une GRH définissant des
critères précis concernant l’individu et les compétences. Cependant, dans ce domaine comme
dans bien d’autres, il n’y a pas de certitudes absolues ni de solutions définitives et manager la
créativité reste un art. La structure organisationnelle permettant de supporter un processus
créatif doit conserver une certaine souplesse. Elle sera probablement plus plate que les
hiérarchies qui l’ont précédée, plus dynamique, valorisera les compétences et prendra la
forme d’une structure en réseau. Elle fait intervenir les trois mécanismes de coordination que
nous avons identifiés (autorité, marché et confiance) dans des proportions qui dépendent de
l’environnement de l’entreprise. Il s’agira alors, comme le soulignait notre dirigeant, de
« formaliser sans formaliser » : il est possible et nécessaire de formaliser le cadre dans lequel
la créativité émerge, mais un espace non formalisé doit permettre à l’individu d’exprimer sa
créativité… en sortant du cadre.
La créativité se réalise à tous les niveaux d’analyse (individu, groupe, entreprise, marché) et
au cours des différentes phases de l’innovation. Les actions créatives influencent les processus
et les résultats en résolvant des dilemmes qui surviennent au cours du processus d’innovation
organisationnelle. Nous postulons que l’organisation de la créativité a une double influence
sur l’innovation organisationnelle. D’une part, elle favorise son émergence par l’engagement
des individus dans l’obtention de solutions nouvelles et utiles. D’autre part, elle favorise sa
diffusion grâce aux capacités individuelle et organisationnelle à changer et à intérioriser de
nouvelles pratiques et procédures.
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