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©Editions Dzambala, 1995 Landrevie, 24 290 Saint Léon sur Vézère

Tous droits de reproduction ou d'adaptation, sous quelque forme que ce soit, réseroés pour tous pays.

ISBN 2-906940-11-9

Maquette: MicroSeroices - 24580 Fleurac

Illustrations : fllustration de couverture: © Gérard Muguet

Dessins : bois gravés du Tibet

Shamar Rinpoché

LES DEUX VISAGES

DE

L'ESPRIT

Traité de la distinction entre la conscience partielle

et la connaissance primordiale.

"rNam.Sbes. Ye.Sbes. 'Byed.Pa'i. bsTan.bCos."

Traduit par Lama Yéshé Nyingpo

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Préambule

L'auteur de ce livre est S.E. Shamar Rinpoché, régent de l'école Kagyupa (lignée de la transmission orale) du bouddhisme vajrayana. Cette école est réputée pour la richesse et la profondeur de sa tradi­tion méditative, magnifiquement illustrée par des ouvrages tels que "La Vie de Milarépa" ou "Les Cent-Mille Chants".

Les Shamarpa sont les détenteurs de la Coiffe Rouge, symbole de leur haute réalisation spirituelle. Ils sont considérés comme des éma­nations pures, représentant l'activité illuminée du bouddha Amitabha, le bouddha de "Lumière Infinie" qui réside en le champ pur occi­dental : la Terre de "Grande Félicité".

"Il y a de cela de nombreuses ères, un être réalisa la bouddhéité sous le nom du Tathagata Keuntcho Yenlak. Dans la présente ère fortunée, bénie par la venue de mille bouddhas, ce Tathagata se ma­nifestera sous la forme d'un grand bodhisattva à l'éclatante coiffe rouge rubis. Il aidera de nombreux êtres" (1).

Shamar Mipham Tcheukyi Lodreu est la XIVe incarnation de la lignée des grands bodhisattvas à la Coiffe Rouge. Les représentants de cette succession ont toujours été étroitement liés à celle des Kar­mapa, détenteurs de la Coiffe Noire et hiérarques de l'école Kagyupa.

La plupart .des Shamarpa ont fait partie de ce qui est appelé le "rosaire d'or de la transmission orale". En effet, ce sont les déten­teurs des enseignements de la tradition Kagyupa, assurant la conti­nuité et la préservation de la réalisation et de la grâce de l'éveil, transmises en une lignée ininterrompue.

(1) Prophétie du Bouddha Shakyamouni concernant le Shamarpa, extraite du "Soutra du Bon Kalpa".

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

Les Shamarpa se sont distingués aussi par leur érudition et leur capacité à exposer clairement la profondeur des enseignements éso­tériques qui sont le cœur de la lignée de la transmission orale. Plus particulièrement, leurs ouvrages sur "Les Six Doctrin_es de Naropa" font autorité.

Au qualités traditionnelles qui sont celles des Shamarpa : érudition, réalisation spirituelle, compassion infmie pour tous les êtres, l'actuel Shamar Rinpoché associe un sens particulier de la communication, une façon directe et incisive de présenter l'enseignement, empreinte d'humour et de simplicité. Cette simplicité s'élève d'une noblesse et d'une puissance de rayonnement incomparables, inspirant un res­pect naturel et la dévotion du cœur.

Par sa compréhension profonde des situations, Rinpoché se révèle habile à dissiper les différentes mythologies qui embrument l'esprit de ses disciples ; que ce soit l'attrait actuel pour la civilisation maté­rialiste chez les Orientaux, ou l'intarissable soif de mystère et d'étrange qui hante les consciences occidentales. Démontrant les jeux et dissi­pant les aveuglements de l'esprit, il excelle à pourfendre les supers­titions et les fanatismes.

Par-dessus toutes ces qualités, Shamar Rinpoché incarne l'essence d'amour et de compassion, d'attention bienveillante envers chaque être, qui est celle de l'éveil. Sa présence est source de joie, de bon­heur et de toutes sortes de merveilles qui ravissent ceux qui l'appro­chent.

Le présent ouvrage est basé sur une transmission du "Namshé Yéshé Gyépa Tentcheu ", le "Traité de la distinction entre la conscience partielle et la connaissance primordiale'~ Cet enseignement fut donné par Shamar Rinpoché à Dhagpo Kagyu Ling, en Dordogne, siège européen de Sa Sainteté Karmapa, en 1981.

Rinpoché considère cet enseignement comme essentiel, car il per­met de situer avec précision le dharma du Bouddha, en regard des autres voies spirituelles. Plus encore, il délimite clairement la frontière qui sépare les ténèbres de l'esprit ignorant de l'être soumis à la confusion, de la clarté lumineuse de l'esprit éveillé d'un bouddha.

Cependant, il convient au lecteur de se garder de jugements trop hâtifs, concernant la méthode d'exposition suivie dans ce texte.

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PRÉAMBULE

L'ouvrage est constitué d'une succession de présentations des voies non-bouddhistes (traditionnellement hindouistes) et bouddhis­tes, qui conduit à une série de réfutations. On ferait fausse route en croyant que cette argumentation aboutit à une polémique. Elle est au contraire destinée à faciliter une approche progressive de la réalité de l'esprit et des phénomènes. Chacune des étapes de l'exposition, représentée par un système particulier, s'inscrit dans un processus de compréhension plus profond et plus subtil que le précédent. Cette approche est celle que le lecteur, et plus encore le pratiquant, est censé appliquer à son propre esprit et à sa propre expérience. Elle constitue un itinéraire de réflexion et non une affirmation dogmatique.

Le Bouddha n'enseigna jamais l'intolérance, ni l'acceptation aveu­gle de ses propos. Il a toujours rendu hommage au pur brahmane, symbole des traditions bénéfiques qui l'ont précédé. Son enseigne­ment fut toujours délivré en fonction de situations com:rètes et des capacités des disciples. Il représente une exhortation constante à vé­rifier par soi-même le contenu et la valeur des propositions qu'il contient, au moyen de la réflexion, de la contemplation et de l'expé­rience directe issue de la méditation.

Le propos de ce livre est de fournir des éléments de réflexion que chacun intégrera selon ses prédispositions et ses aptitudes. Il ne constitue pas une réfutation de systèmes s'opposant les uns aux au­tres, au nom d'un sectarisme aveugle, ni une présentation exhaustive des systèmes qu'il évoque.

La nature fondamentale de la réalité est proprement inconcevable. Elle n'est perçue correctement que par l'esprit libéré de toutes illu­sions et pleinement éveillé d'un bouddha.

Afin d'exprimer l'inexprimable et de rendre perceptible aux êtres non éveillés cette réalité, le bouddha, le principe d'éveil se manifeste sous des formes multiples, révélant des présentations de l'enseigne­ment différentes et même apparemment contradictoires, qui ne sont en fait· que les moyens appropriés aux différentes capacités et aux prédispositions de chaque être.

L'activité éveillée est l'expression spontanée de la conscience inté­grale des bouddhas. Elle est ouverture totale et communication radieuse et chaleureuse, l'union de la vacuité et de la compassion.

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LES DEUX V7SAGES DEL 'ESPRIT

C'est dans cette optique que cet enseignement se situe. Chaque proposition se trouvant réfutée par la suivante, le lecteur est guidé pas à pas vers une compréhension juste de la réalité ultime.

Néanmoins, cette simple compréhension intellectuelle est loin d'être "la chose en soi". Seule l'expérience pratique acquise sous la direction d'un maître qualifié se révèle fructueuse. Comme le souli­gne Shamar Rinpoché, l'enseignement perd alors la sécheresse et l'austérité propres à la connaissance intellectuelle et acquiert la saveur de la certitude définitive.

Cette insistance à intégrer correctement les notions théoriques de la présentation par la méditation, a valu à l'école Kagyupa son nom de "lignée de la pratique".

Cette transmission, donnée par Shamar Rinpoché, repose sur "Le traité de la distinction entre la conscience partielle et la connais­sance primordiale", œuvre de référence due au Ille Karmapa, Randjoung Dordjé. Ce texte est un classique qui expose de manière profonde et concise l'essence de l'enseignement bouddhiste. Comme tous les "textes-racines", cette composition se résume à quelques feuillets d'une expression versifiée souvent dense et hermétique. Pour cette raison, l'ouvrage est accompagné d'un commentaire explicatif qui en facilite la lecture. Celui utilisé par Shamar Rinpoché est l'œuvre de Djamgœun Kontrul Lodreu Tayé, une des figures les plus marquantes et les plus renommées parmi les grands érudits et les maîtres réalisés du XIXe siècle.

L'enseignement oral de Shamar Rinpoché restitue la qualité vivante de l'expérience directe de la nature de l'esprit, qui fut le propre de ces grands maîtres et qui s'inscrit dans la même continuité de réali­sation spirituelle.

Une première transcription de cet enseignement fut réalisée par Jérôme Edou et publiée dans le n° 2 de la revue "Tendre!'~ au­jourd'hui épuisé. C'est à l'initiative de Shamar Rinpoché lui-même qu'une nouvelle traduction dut d'avoir été entreprise, Rinpoché considérant ce texte comme essentiel pour la compréhension du dharma du Bouddha.

L'édition de 1987 étant épuisée suite à l'intérêt qu'elle a suscité, le tex­te de la présente édition a été revu en 1995 afm d'en faciliter la lecture.

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PRÉAMBULE

Ce présent travail ne prétend pas constituer une version définitive et encore moins une traduction du commentaire de Lodreu Tayé. Cette composition se propose de restituer les points essentiels déve­loppés dans l'enseignement de Shamar Rinpoché et de répondre aux souhaits qu'il a formulés d'une présentation simple et cohérente de la tradition bouddhiste, destinée à tous ceux qui s'interrogent sur l'esprit sur eux-mêmes et sur le monde. TI a semblé nécessaire d'intro­duire ~uelques explications supplémentaires permettant de clarifier certains points supposés connus et pour cette raison brièvement évoqués dans l'enseignement oral de Rinpoché. Ces additifs se distin­guent du corps principal du texte par leurs caractères italiques.

Une série de notes de bas de page précise le sens des passages délicats. Les principaux termes techniques ont été réunis dans le glossaire situé à la fin de l'ouvrage.

Je remercie tous ceux qui ont bien voulu, par leurs connaissances, leurs conseils et leur disponibilité, contribuer à la réalisation de ce travail.

Tout particulièrement, qu'il me soit permis d'exprimer ma gratitu­de et mon respect envers mon lama-racine, le Vénérable Guendune Rinpoché, dont l'attention bienveillante, les conseils et les explica­tions ont été une source constante d'inspiration et d'encouragement.

Je remercie également tous ceux qui ont participé à ce travail, en particulier les Editions Dzambala, Claudine Ledroit et Anila Tsultrim, pour la frappe du manuscrit, Gérard Muguet, pour les illustrations et la composition du texte, tous ceux qui ont participé à la relecture : Jean-Michel Hérault, Dominique Thomas, Anne Binétruy, Erwan Temple et Marc Bosche pour la relecture de la présente édition.

Puisse cette esquisse inspirer à leur tour tous ceux qui s'intéressent au dhamia du Bouddha.

Yéshé Nyingpo

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Introduction

Ce traité présente les différences entre la conscience ordinaire en mode dichotomique ( namshé) et la connaissance primordiale (yéshé). Il établit ainsi la distinction entre la conscience fragmentaire de l'esprit confus et la conscience intégrale de l'esprit éveillé.

En général, tous les phénomènes du monde conditionné (samsara) et de l'au-delà de la souffrance (nirvana) se répartissent en trois catégories :

- objets inanimés substantiels, - objets inanimés non-substantiels, - objets animés : êtres dotés d'une conscience.

Les deux premières catégories comprennent la matière et consti­tuent le champ d'investigation des sciences expérimentales (physique, mathématique, etc.). Celles-ci sont tournées vers l'exploration du "monde extérieur". La troisième concerne le domaine non-physique, l'esprit, qui est le champ d'investigation des sciences humaines. La terminologie bouddhiste nomme "science intérieure" la discipline qui explore la conscience, la distinguant ainsi des sciences extérieu­res qui traitent du monde (1). Le terme conscience désigne ce qui expérimente le bonheur, la souffrance, l'indifférence, ce qui connaît l'expérie~ce.

Ce sont les phénomènes qui appartiennent à cette catégorie des êtres dotés d'une conscience qui constituent l'objet de ce traité.

(1) Bouddhisme est l'appellation par laquelle est habituellement désignée cette discipline scientifique qui explore la conscience, cette science intérieure, ou science de l'intériorité.

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

D'une manière générale, l'esprit présente deux aspects ou situa­tions principales :

- Lorsqu'il est soumis à la confusion : c'est la conscience partielle, séparée, imparfaite, conduisant à une connaissance dépendante, contingente et fragmentaire. ·

- Lorsqu'il est dégagé de l'emprise de la confusion : c'est la connaissance primordiale, intégrale et insurpassable, l'omniprésence de l'éveil.

Ces deux aspects sont comme les états d'un même visage. À certains moments creusé par la colère ou l'angoisse, c'est l'esprit troublé par la confusion. À d'autres moments, tranquille, souriant et plein, il est semblable à la sagesse paisible de la connaissance primordiale.

La conscience perturbée ou névrotique est la cause de l'expérience conditionnée, du cycle des naissances et des morts. L'origine de la souffrance, c'est l'esprit des êtres ordinaires, obscurci et limité. La connaissance primordiale est la sagesse originelle, l'état fondamental de l'esprit rendu à sa véritable nature de félicité. C'est l'au-delà de la souffrance, l'éveil du Bouddha, libre de confusion, connaissance illi­mitée, inobstruée.

Afin d'éliminer les obscurcissements et les limitations de la cons­cience fragmentaire et de révéler la connaissance primordiale natu­rellement libre de toute confusion, il importe d'établir ce qui les différencie. C'est l'objet de cet exposé qui présente la distinction entre la conscience confuse et la connaissance éveillée.

Ces deux thèmes sont traités successivement.

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LA CONSCIENCE

PARTIELLE

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L'esprit, source de la confusion et de la non-illusion

Les points de vue extérieurs (les caractéristiques des systèmes non bouddhistes)

L'interrogation fondamentale des hommes sur leur condition, leur relation au monde, au cosmos, leur position par rapport à l'ultime et à l'infini, l'origine de leur présence et de leur expérience de naissance, de mort, de bonheur, de souffrance et d'indifférence, les a conduits à apporter de multiples réponses, constituant autant d'opinions, de systèmes philosophiques ou religieux.

Tout d'abord, il y a les êtres qui ne cherchent pas d'explication et qui ne s'interrogent même pas. Ils n'ont pas d'opinion sur l'origine du monde et des conditions d'existence qu'ils expérimentent.

Ils consomment simplement leur expérience immédiate sans la considérer, en cela semblables à des animaux ou à des enfants sans conscience.

Parmi les multiples positions de ceux qui envisagent le problème et qui proposent des réponses, nous considérerons en premier lieu celles qui sont incorrectes ou insatisfaisantes. On fera référence aux différents systèmes qui se sont développés en Inde, car ils sont le prototype des convictions de l'humanité entière.

A l'époque du Bouddha, l'Inde était le creuset d'une multitude de traditions philosophiques et religieuses et le lieu d'une intense activité spirituelle.· Une approche en suscitant une autre, on ne dénombrait

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LA CONSCIENCE PARTIEllE

pas moins de trois cent soixante systèmes philosophiques qui coexistaient dans un respect mutuel. Nombre d'entre eux s'étaient développés autour de principes essentiels communs et ne différaient que sur des points de détail. Nous nous en tiendrons ici à l'exposé des principaux, comme représentatifs des autres.

On distingue quatre types de systèmes :

- les systèmes non-théistes - les systèmes théistes - les systèmes chamanistes - les systèmes matérialistes.

Les trois premiers représentent le groupe des positions "éternalistes", postulant l'existence d'une entité indivisible, permanente et indé­pendante. Le quatrième type est fondé sur une approche "nihiliste", niant l'existence de quoi que ce soit de transcendant au monde matériel immédiatement perceptible.

L'approche non-théiste

Elle représente la vue autour de laquelle se sont déployées les traditions majeures de l'Inde telles que celles des Samkhyas (énon­ciateurs), des Vaisheshikas (particularistes), des Naiyaikas Oogiciens), des Mimamsakas (analystes), des Védantins (ceux qui suivent les Védas), des Nirgranthas (ceux qui vont nus) plus connus sous le terme de Jaïns. (1)

Traditionnellement, ces systèmes sont présentés et discutés en termes de vue ou théorie, de méditation, de conduite et de fruit ou d'obtention.

La vue

L'approche non théiste est fondée sur l'énumération de catégories dans lesquelles soht regroupés les éléments qui composent le monde

(1) pour une exposition détaillée de chacune df! ces écoles, voir "Practice and Tbeory of Tibetan Buddbism" de Sopa & Hopkins, Rider Ed. ou ''Meditation on Emptiness" de jeffrey Hopkins, Wisdom Publications.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

et les phénomènes. L'origine et le nombre de ces catégories varient d'une doctrine à l'autre, mais elles reposent toutes sur une base commune.

Dans le système Samkhyas, toute la manifestation se répartit entre deux polarités majeures: tout d'abord un principe causal qui produit bonheur, souffrance et indifférence, en fonction de trois qualités égales : motilité, ténèbres et lumière, d'autre part l'entité ou soi (qui inclut tous les êtres). ~

Le principe causal est défini comme existant par einq caracté-ristiques. Il est :

- unique, - animé, - invisible, - capable de manifester des émanations en mode illusoire, - illimité.

Il est la cause, le créateur, d'où sont issus tous les aspects de la manifestation phénoménale, conçus comme expression de son acti­vité. Il est donc assimilé au monde phénoménal, sa création. Cepen­dant, il n'est pas un dieu ou un surhomme. Il n'est ni masculin ni féminin. Il est seulement principe créateur impersonnel.

L'autre aspect de la polarité est constitué par l'entité ou soi (set : atman, tib : dai). C'est ce qui possède la faculté de jouir de cette manifestation, de connaître et d'expérimenter le monde déployé par le principe causal. Cette entité n'est pas identique au moi individuel de la personne, mais à l'ensemble animé qui éprouve consciemment la création en tant que bonheur, souffrance ou indifférence, c'est-à­dire tous les êtres.

Cependant, ce jeu de la manifestation est illusoire et trompeur. Il fonctionne comme un stratagème mis en place par le principe causal dans le but d'enchaîner les êtres, le soi, dans les rets de l'illusion. Le principe causal est donc considéré comme pervers, car il cherche la perte des êtres.

Lorsqu'un être, qui est un fragment de l'entité, souhaite connaître quelque chose, le principe causal reconnaît ce désir et produit la manifestation illusoire correspondante. L'individu, prenant pour réel l'objet de son désir, va jouir de ce qui n'est qu'une tromperie. Il se

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LA CONSCIENCE PAR11EllE

trouve alors distrait de sa véritable essence (l'entité). Il deviènt pri­sonnier du piège de l'illusion et s'assujettit au principe créateur.

La nature du soi est l'intellect par lequel la personne entre en relation avec les sens. L'intellect est décrit comme un miroir à deux faces : reflétant l'image des objets extérieurs et celle de la personne intérieure.

Lorsque l'individu assouvit son désir de jouir de la manifestation illusoire, il se prend au piège du principe créateur. Trompé, distrait de sa vraie nature, il erre dans le monde conditionné, expéprnentant l'illusion et la souffrance.

La méditation

Le maître spirituel explique à l'adepte comment la personne est trompée par son désir de connaître les objets extérieurs, au moyen des sens. Il lui enseigne des techniques de méditation favorisant la concentration de l'intellect afin de le dégager du désir dirigé vers l'extérieur, de le tourner vers l'intérieur et de le rendre à sa faculté discriminante, capable de percer le voile de l'illusion de la manifes­tation.

Par la méditation, le pratiquant unifie son esprit afin de se sous­traire à la distraction projetée par le principe causaL

Le fruit

Guidé par son maître spirituel, le méditant pénètre des états d'ab­sorption du monde sans forme, développe l'œil divin et découvre la nature perfide du principe causaL Celui-ci devient honteux de voir sa supercherie éventée et retire alors la création qui se résorbe en lui-même.

Ainsi, l'individu reconnaissant sa véritable nature, l'entité, atteint la libération.

Cette conception philosophique comporte des lacunes et des contradictions que seule une foi aveugle peut faire accepter. En ef­fet, comment admettre un principe causal séparé de l'entité et qui néanmoins entre en relation avec elle ? Puisque la séparation exclut

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la relation, ces deux conditions sont incompatibles. Ainsi le principe causal et l'entité ne peuvent pas logiquement coexister.

Comment établir la relation entre l'entité (le soi) et la personne, décrites à la fois comme identiques et séparées ? Lorsque la libération. individuelle intervient, cela signifie-t-il que seule la personne concernée se libère et que l'on doive attendre que tous les êtres se libèrent pour que l'entité te soit aussi? Ou bien, est-ce que la libération de la personne équivaut à celle de l'entité, c'est-à-dire de tous les êtres?

N'apportant que des réponses partielles et ne dépassant pas ces contradictions, ces systèmes introduisent des éléments de supersti­tion et ne peuvent être considérés comme valides.

La conduite

En général, dans ce système, la conduite est basée sur l'observan­ce de principes moraux et physiques de pureté et d'éthique. Par exemple, il est recommandé de combattre le désir qui enchaîne à l'illusion et de s'abstenir de nuire aux créatures qui sont toutes des parties de l'entité.

Cependant, bien que positives, ces règles conduisent souvent à une rigueur excessive qui finit par nuire à la personne à travers le corps et l'esprit.

Par exemple, consommer des nourritures délicieuses, c'est risquer de tomber sous l'influence du principe causal, donc il est préférable de jeûner. Prendre ce qui n'est pas donné, c'est succomber au désir et c'est nuire aux êtres, donc on préférera mourir plutôt que de tou­cher l'eau d'une source, si personne n'est là pour l'offrir. Porter des vêtements, c'est faire le jeu du créateur, donc on ira nu. Ainsi, toute activité mondaine est à proscrire, jusqu'au fait de respirer, qui cause la mort d'êtres vivants invisibles.

Une discipline aussi rigoriste (comme celle des Jaïns) conduit à l'affaiblissement du corps et de l'esprit et se révèle finalement néfaste à la personne et, à travers elle, à l'entité.

Le Bouddha, après avoir pratiqué ce type d'austérités pendant six années, s'aperçut que ces pratiques n'étaient pas concluantes. En effet, si elles avaient la vertu de ne pas ·nuire aux êtres, elles mettaient en

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péril la vie et les facultés du pratiquant, entravant ainsi son potentiel de libération. Parce qu'elle ne conduit pas à l'éveil, l'ascèse corporelle excessive est réfutée par le Bouddha.

Néanmoins, malgré leurs faiblesses et leurs lacunes, ces systèmes peuvent être considérés comme positifs et regardés à la fois comme les plus proches des positions bouddhistes et les plus pertinents. Ils montrent en effet l'état de souffrance de l'individu qui adhère à la réalité des apparences illusoires.

Leurs vues identifient dans le désir de jouir des apparénces, la source de l'égarement et de la confusion. Elles proposent des moyens de libération de la souffrance par la méditation et l'ascèse, qui dégagent la personne de la domination des sens et développent la conscience discriminante.

Ces systèmes conduisent à la disparition de la confusion lorsqu'in­tervient la résorption de la manifestation illusoire, par exemple au moment de la mort. Cependant, cette libération n'est pas définitive, elle n'est qu'un répit, produit de l'absorption méditative des états non-formels. (1)

Pour ces raisons, les tenants de cette école sont dénommés "Tirthikas" : ceux qui sont sur le seuil.

L'approche théiste

C'est celle de certaines écoles Samkhyas et des Brahmanas, Vaish­navas, Shaivas; c'est-à-dire des adeptes de Brahma, Vishnou ou Shi­va, etc. Tous ces systèmes rendent un culte à un dieu personnifié.

La vue

Cette approche postule l'existence d'un dieu créateur appelé Ishvara, ou Mahadéva, le tout-puissant.

(1) Les états non formels sont le fruit des absorptions méditatives conduisant aux états divins supérieurs, pinacle du samsara.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

Mahadéva est défini par huit caractéristiques. Il est :

- unique (indivisible) -permanent - mutable -dieu - digne d'être honoré et respecté - pur (c'est-à-dire.)Jienveillant et compassionné envers les

créatures) - démiurge - indépendant, omnipotent.

Sa suprématie est établie par ces huit attributs ; il est le créateur de toute manifestation phénoménale.

La création reste extérieure et étrangère au créateur et elle dépend de lui. Le créateur demeure séparé de sa production et il en est le "superviseur".

Ceci distingue les systèmes théistes des précédents, dans lesquels la manifestation n'était pas différente du principe créateur. Ici, une fois produite, la création devient autonome et le créateur ne peut la résorber à loisir.

Dans la position théiste, la créature est le produit du créateur. Elle est donc une partie inhérente de la création et ne peut s'y soustraire. La possibilité d'une entité autonome qui s'affranchit du jeu de la manifestation est ici niée. L'être est l'individu et il se trouve inexora­blement lié au créateur qui juge ses actes. Il entretient avec lui une relation personnelle.

Les états multiples de l'être ou de la manifestation dépendent de la volonté du créateur et de l'attitude des créatures. Si dieu est satisfait du culte qui lui est rendu par la créature, celle-ci accède aux états divins. Elle est dite libérée. Inversement, si le dieu est offensé ou irrité, l'être est projeté dans les mondes infernaux, où il fait pénitence.

Cette approche n'est pas davantage fondée. Le défaut principal de ce système réside dans le mystère qui entoure le créateur et son origine. On peut se demander en effet qui a créé le créateur ? À cela, aucune réponse n'est apportée.

De plus, les caractéristiques de permanence et de mouvement

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sont contradictoires. Comment expliquer, en outre, que le créateur soit la cause de la manifestation tout en étant indépendant et auto­suffisant ? Comment la création peut-elle procéder d'une cause qui lui est étrangère ? Comment la créature peut-elle concevoir et connaître le créateur si celui-ci lui est totalement étranger ?

De plus, un créateur tout puissant et des créatures indépendantes de lui sont mutuellement incompatibles .. 0)

Enfin, si ce créateur est animé de bonnes intentions et entretient une relation d'amour et de compassion envers les créatures, com­ment peut-il punir les êtres et leur infliger les souffrances des enfers?

Ce point de vue théiste est encore moins acceptable que le précé­dent, car il est fondé sur des aberrations reposant sur la seule croyance superstitieuse.

Cette approche est le prototype des cultes rendus à Vishnou, Brahma, Shiva et autres formes similaires, dans lesquelles le démiur­ge demeure extérieur à sa création.

La réfutation d'un de ces systèmes vaut donc pour les autres.

La méditation et la conduite

Les adeptes des théories théistes rendent un culte au dieu exté­rieur. Ils cherchent à le satisfaire par des offrandes.

Dans certains systèmes religieux, ces offrandes sont pures d'un point de vue éthique. Dans d'autres religions, elles comportent des sacrifices d'animaux et sont impures à cet égard. (2)

Leurs méditations comportent des pratiques tantriques réduites à la "phase de création" (3). L'adepte imagine le dieu, par exemple Mahadéva ou une autre divinité, lui adresse des prières, concentre l'esprit sur lui, récite son mantra, etc. Ces méditations incluent égale­ment différents yogas.

(1) du fait de la loi de causalité (voir ci-après). (2) Ces différences reposent sur des interprétations divergentes des Védas (écritures révélées). (3) Les tantras bouddhistes se composent de deux phases : phase de création, produc­tion du support de méditation, et phase de perfection, résorption de celui-ci dans son absence de nature propre (voir page suivante).

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

Quelles que soient les techniques employées, elles ne peuvent conduire à un résultat correct, puisqu'elles sont fondées sur un point de vue erroné. Elles affirment l'existence de ce qui n'existe pas, la croyance en une entité créatrice existant par elle-même, soit en tant que créateur, soit en tant que dieu. Dans cette approche, la cause du bonheur et de la souffrance réside dans la relation psychologique qui s'établit entre le créateur et la créature, également conçue com­me dotée d'une existence intrinsèque.

Parce qu'ils n'identifient pas correctement l'origine de la souffrance (la saisie d'une entité existante, moi ou soi), ces systèmes ne peu­vent pas y mettre fin.

LA DISTINCIION ENTRE LES PRATIQUES TANIRIQVES BOUDDHISTES ET NON-BOUDDHISTES

La description des méthodes utilisées dans les voies théistes est souvent source de confusion. Leur forme s'apparentant aux médita­tions du vajrayana bouddhiste, elles sont hâtivement assimilées à celles-ci par l'esprit non prévenu.

Les techniques tantriques bouddhistes diffèrent des précédentes par le fait qu'elles unissent la phase de création et la phase de per­fection de la méditation. Les méditations théistes ne connaissent que la phase de création.

Dans les méditations du vajrayana, la divinité est développée comme une apparence vide, pour être ensuite développée dans la vacuité. Celle-ci n'est pas la négation de l'apparence, mais l'essence même de l'apparence. Ces méthodes permettent de s'affranchir des positions extrêmes d'existence et de non-existence.

Néanmoins, une saisie réaliste de la phase de création des divinités tantriques bouddhistes conduirait aux mêmes erreurs que les médita­tions des systèmes théistes et des autres systèmes basés sur l'extrême de l'existence. Il est donc essentiel de rester conscient de l'absence d'existence intrinsèque de la divinité.

Pour cette raison, avant d'aborder les techniques du vajrayana, le méditant doit asseoir sa pratique sur une compréhension correcte de la bodhicitta (l'esprit d'éveil), telle qu'elle est exposée par Shantideva dans "La marche vers l'Eveil'~ le "Bodhicaryavatara". Il est nécessaire

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LA CONSCIENCE PARTIEllE

de faire une approche juste de la vacuité d'existence intrinsèque des phénomènes, telle qu'elle est exposée par le Bouddha dans la ''Peifection de Connaissance Transcendante"- la ''Prajna Paramita"­et commentée dans les œuvres de Nagarjuna (1)

L'ensemble de ces systèmes théistes et non théistes est fondé sur l'adhésion à une conception de la permanence ou de l'existence d'une ou de plusieurs entités : le principe causal, le dieu créateur, l'être ou le soi, etc. Cette position est réfutée comme croyance extrême par le point de vue bouddhiste qui n'admet pas l'existence d'une entité intrinsèque, cette affirmation ne relevant pas d'un mode de connaissance correct, mais d'une acceptation aveugle et superstitieuse.

Les systèmes matérialistes (nihilistes, atbéistes)

C'est l'approche qui, littéralement, rejette toute cause à la manifes­tation phénoménale. Le monde et les êtres sont des productions fortuites qui n'apparaissent d'aucune cause, mais naturellement, d'eux-mêmes.

Les Carvakas (hédonistes) affirment :

Le lever du soleil, l'écoulement des rivières, la rondeur des pois, l'acuité des épines, la beauté des plumes du paon, tout ce qui existe, n'a pas été créé par qui que ce soit mais s'élève de sa propre nature.

Aucune cause n'étant à rechercher, la perception immédiate (senso­rielle et mentale) est considérée comme la seule valide et ultime. Ni la réalité des phénomènes, ni celle de la conscience qui les appré­hende, ne sont remises en doute.

Tout est le fait du hasard, apparaît réellement et sans causes. L'aspect relatif de la manifestation est sa seule réalité. La disparition

(1) pour une discussion approfondie de la différence entre tantra hindouiste et boud­dhiste, voir ''Fondements de la mystique tibétaine" du Lama Anagarika Govinda : Connaissance et Puissance, Prajna contre Shakti (pages 126 à 133) BD. Albin Michel.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

des phénomènes et des êtres est un anéantissement définitif . Ainsi, cette vie ne provient pas d'une existence antérieure, puis­

qu'on ne peut percevoir les existences antérieures. Dans un corps adventice, un esprit adventice apparaît. Après cette vie, il n'y a pas de vie future, corps et esprit étant une seule et même entité. Lorsque le corps périt, l'esprit disparaît également.

Puisqu'il n'y a aucune ~ause déterminante, il n'existe pas de rela­tion de cause à effet, ni de rétribution. Les actes nuisibles ne produi­sent aucune conséquence néfaste et ne sont donc pas à proscrire. Les actes positifs sont inutiles puisqu'ils n'engendrent pas le bon­heur, et ainsi de suite. Tout est permis, rien de dépendant de rien. On doit simplement se satisfaire de tout ce qui est plaisant en cette vie, sans dépasser l'expérience immédiate.

Cette approche est le fondement des explications matérialistes de l'univers et de toutes les positions philosophiques, elle est l'un des points de vue les plus grossiers et les plus primaires. Un tel système porte en lui la justification de toutes les absurdités, de tous les fana­tismes, de tous les aveuglements.

L'aberration principale de cette position est la négation de la loi de causalité. Si rien ne dépendait de rien, toutes les productions anarchiques seraient possibles. Un grain de blé pourrait donner du riz, ou de l'orge, ou tout autre chose. Les hommes pourraient don­ner naissance à des animaux. Inversement, l'esprit étant de nature matérielle, les objets, les pierres, les éléments, le monde physique, pourraient aussi être animés.

Cette position, qui postule la réalité des phénomènes grossiers, est dénommée matérialiste. Parce qu'elle nie toute espèce de cause .autre qu'adventice, elle est qualifiée de nihiliste. Parce qu'elle rejette la continuité de l'esprit après la mort, elle se définit comme une doctrine de l'anéantissement.

Les systèmes cbamanistes noirs

Avant l'introduction du bouddhisme au Tibet, par le khenpo bodhi­sattva Shantarakshita, par le maître Padmasambhava et par le traduc­teur et ministre Teunmi Sambotha, le pays était sous l'influence de la

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religion Beun primitive et ses sorciers pratiquaient la magie noire. (1) Dans la vision chamaniste, le monde est le fait d'un démiurge

nommé "Gampo Tcha". Il est peuplé d'entités diverses en faveur desquelles sont accomplis des rites propitiatoires. Cette croyance comprend des pratiques qui nuisent à de nombreux êtres (des sorts, des envoûtements, des sévices physiques et mentaux).

Cette doctrine était prépondérante au Tibet durant le règne du premier roi bouddhiste Songtsen Gampo (vers 649 après ].C.). Les conversions étant rares, le pays suivait la voie chamanique~. La reli­gion Beun noire ne fut supplantée par le bouddhisme qu'à l'époque du roi Trisong Détsen (756-797 ?).

La réfutation valable pour les systèmes théistes indiens s'applique bien entendu à celui-ci. Ce système est également réfutable parce qu'il encourage des pratiques incorrectes chez ses adeptes. Il inclut en effet des pratiques de magie noire, sources de souffrances et de conflits.

Dans ces quatre modèles, représentatifs des principaux systèmes s'étant développés en Inde et au Tibet, se reflète la plupart des réponses proposées par l'humanité à la question de son existence.

Ils se répartissent en deux groupes principaux :

-Les systèmes fondés sur la croyance en l'existence d'une entité ou d'un soi permanent, unique, indépendant, créateur de l'univers. Ils regroupent les écoles théistes, non théistes et chamanistes. Ces doctrines sont défmies comme étemalistes ou existentialistes, parce qu'elles affirment l'existence intrinsèque de ce qui n'a pas d'existence (le soi).

- Les systèmes fondés sur la négation de toute existence et de toute cause. Ils reconnaissent néanmoins la réalité d'un soi pendant la période de sa manifestation, par exemple la vie humaine de la naissance à la mort. Ils sont appelés matérialistes ou nihilistes, parce qu'ils nient l'existence de ce qui apparaît (le non-soi).

Une autre distinction peut être établie entre ces deux types de systèmes. Les nihilistes ne reconnaissent d'existence qu'aux objets

(1) Il convient de faire la distinction entre les systèmes Beun "blancs" positifs, qui ont subsisté jusqu'à nos jours, et les systèmes "noirs" ayant recours à la magie noire.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

directement perçus par les sens, niant la validité de la connaissance par inférence. Les étemalistes reconnaissent l'existence d'objets cachés à la conscience immédiate et révélés, soit par inférence, soit par une autorité scripturale. (1)

On s'aperçoit que la distinction entre les positions bouddhistes et les autres systèmes n'est pg.s simplement affaire de mots, pas plus qu'elle ne procède d'un fanatisme dogmatique ou d'une croyance non fondée.

Pour qu'une position soit admissible, il est nécessaire que sa vali-dité soit établie. Cette validité doit être basée sur une approche cor­recte des phénomènes par le raisonnement déductif ou inductif. Elle doit être ensuite confirmée par l'expérience de la méditation et par le fruit qui en résulte. La connaissance ultime, née de la réalisation de la voie, est une certitude définitive qui confirme les prémices ou le postulat de départ.

Avant d'adopter une voie spirituelle, on doit s'assurer que la base, le chemin et le fruit sont authentiques et qu'ils conduisent au but authentique : l'état de connaissance intégrale où toute ignorance et tout obscurcissement ont été éliminés.

Si une voie présente de telles caractéristiques, quel que soit son nom elle sera considérée comme "dharma" (voie) authentique.

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lES CRITÈRES DE DISTINCTION ENTRE LES APPROCHES BOUD­

DHISTES ET NON-BOUDDHISTES

La distinction se fonde sur trois points principaux :

- L'enseignant qui est parfaitement purifié de tout obscurcissement, et qui a complètement épanoui toutes les qualités, est appelé l'éveillé, le Bouddha. Il enseigne la doctrine de la production inter­dépendante. Les enseignants qui n'ont pas dissipé tout obscurcisse­ment ni développé toutes les qualités d'éveil à des degrés divers ne

(1) Il est important de bien se pénétrer d!" sens, a'!-:delà de la termin_ologie, car_ c~lle-ci peut prêter à confusion : en effet, certames tradttzons non bouddbtStes font ~ife_rence aux termes de "vacuité" et de "non-soi". Mais l'acceptation de ces termes est differente. Par exemple, dans les systèmes bindouist~ le term~ "vacuité" d~gne u"!iquement le vide résultant de la destruction du monde a la fin d une grande ere cosmtque. Pour les Beuns, le "non-soi'' est conçu comme essence permanente et réellement existante.

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

peuvent être appelés bouddhas ou éveillés.

-L'enseignement ne doit nuire à aucun être. Un enseignement qui nuit à un seul être ne peut être qualifié de bouddhiste.

-La vue bouddhiste affirme que le soi est vide d'existence perma­nente, indivisible et indépendante. L'affirmation de l'existence d'un soi, d'une entité permanente, indivisible et indépendante est non bouddhiste.

Par exemple : la pratique des sacrifices animaux nuitcà d'autres êtres, les pratiques ascétiques extrêmes nuisent à l'individu. Le salut de l'homme qui exclut celui des autres êtres n'est qu'une libération partielle.

L'enseignement d'un moi réellement existant renforce le moi indivi­duel et il empêche la libération du cycle des existences. L'affirmation d'un néant pur et simple contredit la loi de causalité et l'interdépen­dance des phénomènes. Elle conduit à des attitudes qui nuisent aux êtres (puisqu'il n'est pas fait de différence entre bien et mal).

Une autre distinction entre ces approches peut être établie en termes de vue, de méditation, de conduite et de fruit.

LES SYSTÈMES BOUDDHISTES

La vue

Elle se situe à l'écart des extrêmes d'affirmation d'un individu considéré comme une entité substantielle, distinct des agrégats psychophysiques qui le composent, et de négation de l'existence d'un individu désigné en dépendance de ces agrégats. (1) Elle est la vue des quatre sceaux (voir page suivante).

La méditation

Elle évite les extrêmes : être trop rigide ou trop relâché. Elle anni­hile toute forme de transmigration (renaissance conditionnée).

(1) Même lorsqu 'ils les nient ou les présentent comme un néant, les matérialistes reconnaissent une existence aux phénomènes, au corps et au moi, pendant la durée de leur manifestation.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

La conduite

Elle préserve des extrêmes de complaisance sensorielle et d'ascétisme débilitant, pour les vêtements, la nourriture, l'habitat et les remèdes.

Lefrnit

C'est l'état de non retour l'abandon définitif des obscurcissements qui causent la manifestatio;;_' de l'individu dans le cycle des existences conditionnées.

LES SYSTÈMES NON-BOUDDHISTES

Les systèmes non bouddhistes sont basés sur la conception d'un soi permanent, indivisible et indépendant. Leur méditation conduit seulement à des renaissances supérieures à l'intérieur du cycle des existences. Leur conduite tombe dans les extrêmes de mortification de soi ou des autres, ou dans la complaisance des sens. Leur fruit est le retour des obscurcissements qui ne sont que temporairement abandonnés et qui conduisent à de nouvelles renaissances condi­tionnées.

Les points de vue intérieurs (Les caractéristiques des systèmes bouddhistes)

Les quatre sceaux du bouddhisme

Les enseignements bouddhistes sont caractérisés par quatre sceaux :

- tous les produits (ou phénomènes conditionnés) sont impermanents,

- tous les objets contaminés (1) sont souffrance, - tous les phénomènes sont dépourvus d'identité, - le nirvana est paix. (2)

(1) Contaminés (litt. Zag Pa) signifie entachés de la saisie dualiste d'un suj~t et d'~n obje~ (2) Pour une explication plus détaillée, voir "The way togo" par S.E. Sztou Rznpoche, ou "l'Enseignement du Dalaï Lama" (Ed. Albin Michel).

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LA CONSCIENCE PAR11ELLE

Un bouddhiste est celui qui prend comme source de refuge les trois joyaux ou trois rares et sublimes :

- Le Bouddha: c'est le refuge ultime. Il est à la fois l'enseignant, l'exemple et le but.

- Le Dharma : la noble doctrine, la voie qui conduit au but. - La Sangha : la communauté des guides et compagnons

qui montrent la voie.

Toutes les écoles bouddhistes reconnaissent la vérité de~la souf­france comme étant la caractéristique de l'existence cyclique.

Elles identifient les passions et les distorsions mentales qui s'élè­vent dans l'esprit comme origine de la souffrance.

Elles attestent la vérité du fruit, l'au-delà de la souffrance, le nitvana qui est pacification de toute souffrance .

Elles soutiennent la vérité du chemin ; par la méditation juste basée sur une compréhension juste, le fil de la voie est tenu et conduit au résultat : l'au-delà de la souffrance.

L'ensemble des enseignements bouddhistes se décompose en quatre écoles :

~ Vaibhasika (Tchédra Mawa) Hinayana~ ~ Sautrantika (Do Dépa)

< Cittamatra (Sem Tsampa) Mahayana

Madhyamaka (Oumapa)

Les systèmes du petit véhicule (hinayana)

Ce sont ceux défendus par les "Auditeurs" (appelés Sravakas en sanscrit), premiers disciples historiques du Bouddha Shakyamouni.

On les définit comme des systèmes réalistes. Ils se subdivisent en deux écoles : les Vaibhasikas, c'est-à-dire les particularistes quelque­fois dénommés atomistes, et les Sautrantikas, ceux qui suivent l'ensemble des soutras, c'est-à-dire les enseignements exotériques du Bouddha.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

LES VAIBHASIKAS (Tchédra Mawa)

La vue

Les Vaibhasikas ne reconnaissent pas le monde et les phénomènes grossiers comme existant intrinsèquement d'un point de vue ultime, mais comme étant un agrégat, c'est-à-dire une réunion d'éléments distincts n'ayant qu'une eXistence relative. Les phénomènes grossiers sont composés de particules infinitésimales, indivisibles, d'atomes, au sens propre du terme. Ces atomes constituent le niveau d'existence des phénomènes. Ils sont les plus petites particules, les éléments les plus subtils Oes seuls identifiés comme existant intrinsèquement), dont la combinaison structure et ordonne les phénomènes plus gros­siers tenus pour non-existants en tant que tels.

L'univers, le monde phénoménal extérieur n'a pas ici pour cause originelle un principe créateur ou un dieu, mais des particules infini­tésimales qui, en fonction de leur nature et de leurs combinaisons constituent les éléments tels que le feu, l'eau, la terre, l'air, etc. don~ l'interaction donne naissance à la multiplicité de la manifestation (1).

La relation entre l'objet extérieur et la conscience intérieure s'éta­blit par le biais des sens, en tant qu'expérience des formes, des sons, des odeurs, etc. Ces derniers conditionnent les sensations de plaisir, de déplaisir et d'indifférence qui, à leur tour, provoquent les différents mouvements de l'esprit : l'attraction vers ce qui est perçu comme agréable, le rejet de ce qui est désagréable, l'ignorance de ce qui est neutre .

Ce qui expérimente et connaît ces perceptions, c'est l'être ou litté­ralement: celui qui est pourvu d'un esprit. L'erreur que commet l'es­prit, c'est de s'identifier à un soi et de croire à sa propre réalité de manière grossière, de se saisir comme entité. Sur la base de cette

(1) L'organisation de ces particules en un champ de manifestation n'est pas le fait d'une cause immanente, mais le produit du karma des êtres. Le karma est donc à ~·o~g~ne d~ fJPe de mo"!de expérimenté par chaque être. De même, la réalité de l'esprit znten.eur reszde dans l'znstant de conscience infinitésimal, indivisible. Les Vaibhasikas accordent une existence intrinsèque à ce plus petit instant simple : l'esprit n'est que la succession d_e ces insta1'!-ts infinitésimaux et donc n'existe pas en tant que tel, sous son aspec~ g_rossz~ _o~ relatif}eul, l'instant de conscience immédiat, isolé de l'instant pas­se quz la precede et de l znstant futur encore non advenu, est déclaré réellement exis­tant; c'est l'instant simple, indivisible.

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LA CONSCIENCE PART1ELLE

fixation subjective se développent l'attachement et la dépendance envers l'objet. De là s'élèvent les passions, sources de confusion et d'égarement. La répétition d'actes erronés issus de ces passions dé­termine et entretient l'errance du samsara.

Le conflit entre le bonheur et la souffrance provient du contact entre l'esprit et l'objet perçu par l'intermédiaire des facultés senso-rielles. ·

Les Vaibhasikas décrivent ce contact comme étant direct. Ainsi, la conscience visuelle est dite "conscience appréhendant dfrectement les formes". C'est l'aspect plaisant, déplaisant ou neutre de la forme qui est la source de l'attachement, de la répulsion ou de l'indifférence de l'esprit.

Les Vaibhasikas montrent que la souffrance provient de l'identifi­cation de l'esprit discursif aux phénomènes grossiers. Néanmoins, ils affirment l'existence de particules infinitésimales et d'instants de conscience indivisibles. Ils reconnaissent aussi qu'un contact direct s'établit entre la conscience qui perçoit et l'objet perçu.

C'est ce dernier point que vont réfuter les Sautrantikas.

lES SAUTRANTIKAS (Do Dépa : ceux qui suivent les soutras)

La vue

Tout comme les Vaibhasikas, les Sautrantikas affirment l'existence de particules infinitésimales et d'instants de conscience indivisibles. Ils reconnaissent aussi dans la saisie fallacieuse d'un soi, l'origine des perturbations mentales et des expériences de plaisir, de déplaisir, de souffrance, etc.

Le point de divergence réside dans l'interprétation de la relation entre les objets extérieurs et la conscience intérieure.

L'objet est matière, il est substantiel et inanimé, alors que l'esprit est conscience connaissante, immatérielle et animée. Etant de natures différentes, un contact direct ne peut s'établir entre eux. En effet, pour qu'un contact direct soit possible, il est nécessaire que les deux termes de la polarité soient de même nature. Ainsi, un esprit imma­tériel ne peut connaître un objet matériel directement, mais seulement

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

à travers une représentation mentale. De même, l'objet substantiel ne peut apparaître réellement à la conscience. Ce n'est que son image mentale qui est reflétée.

La notion de perception directe des objets par la conscience se trouve réfutée.

Selon cette approche, l'esprit est semblable à un miroir sur lequel viennent se refléter les objets des sens. Ce n'est pas l'objet lui-même qui est perçu par la conscience, mais seulement son image. Par exemple, la forme reflétée n'est que l'apparence de l'objet qui se "dessine" sur le miroir de l'esprit, elle n'est qu'une image mentale que la conscience saisit comme réelle et indépendante.

Par l'adhésion à cette perception illusoire, l'esprit est attiré vers les images plaisantes et rejette celles qui lui apparaissent comme déplaisantes. Ce faisant, il renforce la saisie dualiste et perpétue l'expérience du monde conditionné, ce qui a pour effet d'accroître le pouvoir de l'illusion et, corollairement, d'augmenter l'activité des distorsions mentales.

Pour les Sautrantikas, la vraie nature de l'objet est considérée comme "cachée" ou "invisible"; c'est-à-dire invisible pour la cons­cience qui ne peut l'appréhender directement. L'objet possède cependant une réalité intrinsèque Cil est composé de particules infi­nitésimales) qui, bien que clairement manifestée, demeure étrangère à l'esprit confus incapable de la percevoir.

La méditation

Vaibhasikas et Sautrantikas pratiquent les méditations de pacifica­tion mentale et de stabilisation de l'esprit. Par l'absorption maintenue (samadhi du "non-soi"), ils anéantissent l'ennemi: l'obscurcissement des distorsions conflictuelles. L'esprit pénètre alors le samadhi "pur" (absorption maintenue sans écoulement) (1) et ils atteignent l'état d'arhat (destructeur de l'ennemi) : le sarnsara est abandonné et la libération des morts et des renaissances obtenues.

Cependant, la limite de ces systèmes réside dans la vision matérialiste

(1) Sans écoulement: sans mouvement du sujet vers l'objet.

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L4 CONSCIENCE PARTIELLE

qui reconnaît une existence inhérente aux plus petites particules composant les objets matériels. Ce qui oblige à conclure que, lors­que les êtres atteignent l'éveil, l'univers physique reste ce qu'il est, semblable à un récipient vide, conservant une existence autonome.

Cette conception, qui sépare le monde inanimé des êtres animés, est insuffisante. Du fait de la subsistance d'une saisie matérialiste subtile, au terme des voies suivies par les Vaibhasikas et les Sautran­tikas, le plein et parfait éveil n'est pas obtenu. Le voile du connaissa­ble n'a pas été dissipé et ne le sera qu'en empruntant le véhicule des paramitas (1).

Néanmoins, la nécessité d'éliminer ce reste d'obscurcissement à l'omniscience de l'état de bouddha sera reconnue par l'arhat lors de son éveil. Exhorté par les bouddhas, il continuera son développe­ment spirituel jusqu'à l'éveil ultime.

Cette approche, fondée sur une notion d'espace-temps infinitési­male, ainsi que la description de la relation entre le sujet et l'objet, sont à rapprocher de certains courants scientifiques occidentaux (2).

Le fruit

Ces deux systèmes considèrent que les phénomènes sont non existants sous leur aspect grossier. Cette compréhension conduit à la reconnaissance de l'absence d'existence de l'individu, la notion du soi individuel étant fondée sur l'identification au phénomène que constitue la personne.

Cette individualité, ce moi, n'est qu'une combinaison d'agrégats psycho-physiologiques dépourvue d'existence indépendante. Par la méditation, le non-soi de l'individu se trouve réalisé et l'affranchisse­ment de la souffrance est obtenu.

Parce qu'elles conduisent à l'élimination de la souffrance (le cycle des existences), par la suppression de ses causes (la saisie égoïste et

(1) La limitation de l'éveil des arhats tient en ce que la télléité des phénomènes n'étant pas réalisée, la connaissance primordiale ne peut se déployer, s'épanouir complètement. (2) A rapprocher seulement car ces courants de recherche ne reconnaissent pas le karma comme déterminant la structure et l'organisation des particules d'espace­temps dans un univers donné.

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L'ESPRIT SOURCE DE L4 CONFUSION

les passions), ces voies sont correctes. Elles furent enseignées par le Bouddha afin de guider progressivement les êtres qui ne pouvaient appréhender directement la vacuité d'existence des phénomènes et qui, en niant la validité de cette approche supérieure, auraient dévelop­pé des vues erronées. Pour ne pas les détourner de l'éveil, le Bouddha choisit de présenter une explication relative et graduée, permettant une pénétration progress~e des différents degrés de la réalité.

Les limites de l'enseignement ne sont que le reflet des limitations propres aux êtres et s'inscrivent dans une voie douce de développe­ment de leur potentiel. Ceci est la marque de la compassion de l'en­seignement envers les disciples (1).

Cette présentation est donc relative et demande à être interprétée. Elle constitue un des moyens habiles qu'utilisent les bouddhas pour conduire les êtres à l'éveil, selon leur capacités.

L'approche du grand véhicule ( mahayana)

Le grand véhirule est celui qui expose le sens définitif de l'ensei­gnement des bouddhas (Gné Teun).

La véritable cause, d'où sont issus la manifestation phénoménale et les êtres eux-mênies, n'est autre que l'esprit sous l'emprise de l'ignorance.

Ce que nous appelons "réalité" n'est qu'une dimension illusoire produite par l'esprit. L'esprit confus est celui qui ne reconnaît pas sa propre création dans le jeu de la manifestation et se sépare d'elle en l'investissant d'une existence indépendante. L'intégralité de l'esprit se réduit en une conscience partielle, en un sujet soumis à une expérience qui lui semble venir de l'extérieur.

En réalité, ce "monde extérieur" n'est autre que la manifestation que l'esprit projette et dont il est le spectateur. En fonction des pré-

(1) Un bouddha dispose de la sagesse et des moyens habiles grâce auxquels il révèle la nature de la réalité d'une manière qui s'adapte paifaitement aux dispositions mentales, aux facultés et aux aspirations de chaque être. Ceci est le propre des qualités inhérentes à l'éveil.

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LA CONSCIENCE PAR11ELLE

dispositions karrniques et des tendances latentes portées à maturité, cette manifestation s'exprime sous forme des différents champs d'expérience sensorielle : humain, animal, infernal, divin, etc.

Réfutant les systèmes réalistes, le mahayana présente toute mani­festation (animée ou inanimée) comme étant le produit de l'esprit, car celle-ci ne peut être :

- ni le produit d'elle-même, - ni le produit d'une cause étrangère à elle-mêi:ne, - ni le produit des deux à la fois, - ni le produit d'aucune cause.

Si une chose était le produit d'elle-même, elle serait déjà existante avant d'être produite, sa production serait alors inutile, ou bien elle se produirait sans cesse.

Une chose ne peut pas être le produit d'une cause étrangère à elle­même. Si cette chose n'existe pas, "l'autre", étrangère, ne peut pas exister davantage. En effet, l'autre n'apparaît qu'en dépendance de la première, "toi" n'existe que par rapport à "moi". Si l'un des termes relatifs manque, les deux sont niés et il n'y a plus de relation entre l'un et l'autre. Si le monde n'existe pas par lui'-même, il ne peut pas être le produit d'une cause qui lui est étrangère. Si la cause lui est étrangère, elle ne peut pas le produire, l'effet étant imputé à la cause.

Le monde ne peut être à la fois le produit de lui-même et d'une cause étrangère. Chacune de ces éventualités ayant été démontrée comme absurde, leur combinaison est par là même réfutée.

Une chose ne peut être produite sans cause, car cela irait à l'en­contre de l'expérience directe des phénomènes.

Tout serait issu de tout, de manière anarchique et sans raison. Un enfant pourrait naître sans parents, les humains pourraient engen­drer des animaux, un grain de blé donnerait du riz, etc. Les phéno­mènes s'élèveraient sans cesse, sans cause. Cette assertion est une absurdité contredite par l'expérience. Aucun phénomène ne peut apparaître sans cause, tout effet est le produit d'une cause, c'est une loi intangible. S'il n'y avait pas d'esprit, l'esprit ne pourrait jamais être produit.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

Cette démonstration conduit à la conclusion que le seul mode de production qui soit acceptable en dernière analyse, est l'interaction d'éléments reliés les uns aux autres, dont la combinaison s'organise en un tout; c'est la production interdépendante.

LES DEUX VÉRITÉS

Par exemple, qu'est-ce qu'une maison? C'est l'ensemble des murs, des piliers, des portes, du toit, etc. Ces éléments sont eux-mêmes une réunion de parties constitutives et forment des ensembles que l'on désigne des termes "mur" ou "porte". De même, tous les phénomè­nes sont composés d'éléments interdépendants, c'est-à-dire qui dé­pendent les uns des autres pour apparaître. En ce sens, on peut dire que tous les composés ne sont pas réellement existants, étant la réu­nion departies qui se subdivisent elles-mêmes en d'autres parties. Ain­si, la maison n'est pas "vraie" ou réellement existante.

La continuité de l'esprit n'a pas plus d'existence. On applique le concept "d'esprit" à une combinaison de moments de conscience qui sont tous dépendants les uns des autres, c'est-à-dire dépendants d'un passé, d'un présent ou d'un futur. De la même manière, le corps physique n'est pas réellement existant, car "corps" n'est que le nom donné à la réunion des membres, du tronc, des organes, etc.

C'est pourquoi, puisque tous les phénomènes sont composés de parties interdépendantes, on peut conclure qu'ils ne sont pas exis­tants du point de vue de la vérité absolue.

Cependant, ces phénomènes ont une existence relative : ils sont clairement manifestés. lls participent d'une ''vérité" relative objective. Ainsi, nous avons tous conscience de nous trouver dans un ensem­ble composé de murs, de portes, de fenêtres, d'un toit, que nous identifions sous le terme de "maison". Cette connaissance communé­ment reconnue constitue la perception correcte du point de vue re­latif; elle est la vérité de l'existence conventionnelle de l'objet. Mais du point de vue ultime, l'objet est dépourvu d'existence intrinsèque. C'est sa réalité. C'est la vérité absolue.

n en va ainsi de tout phénomène :il possède un degré d'existence

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

du point de vue conventionnel, qui est appelé vérité relative ou ap­parente et il est simultanément non existant en tant que tel. Cette "telléité" est la vérité ultime, c'est celle de l'essence.

Les phénomènes ne s'élevant qu'en fonction d'une interaction avec d'autres phénomènes, ils sont déclarés interdépendants. Leur essence est vide, semblable au reflet de la lune sur l'eau, leur mani­festation illusoire, c'est-à-dire dénuée d'existence intrinsèque (1).

LA RELATION ENTRE LA VÉRITÉ RELATIVE ET LA VÉRITÉ ULTIME:

NON IDENTITÉ, NON DIFFÉRENCE

Si ces deux vérités étaient une seule et même chose, cela impli­querait nécessairement qu'en voyant l'une, on verrait l'autre en mê­me temps. Ceci n'est manifestement pas le cas : on perçoit la vérité des apparences relatives, mais la vérité ultime échappe à notre ap­préhension directe, immédiate.

Si elles ne sont pas une seule et même chose, alors sont-elles dif­férentes ? Pour qu'elles soient différentes, il faudrait admettre que chacune d'elle existe indépendamment de l'autre, que chacune est une entité existant en elle-même, sans relation avec l'autre.

Si l'on observe la vérité relative des apparences à la lumière de la vérité ultime, on constate que la vérité relative n'existe pas en elle­même et que sa telléité, sa vraie nature, n'est que la vérité ultime : l'apparence est indissociable de la vacuité essentielle. Etant dépen­dantes l'une de l'autre, ces deux vérités ne sont pas différentes.

Bien que n'étant ni identifiables ni différents, les deux niveaux d'existence des phénomènes ne sont pas réfutés.

Chaque vérité est valable en elle-même :

- Du point de vue relatif, les apparences fonctionnent infaillible­ment selon la loi de causalité (une cause donnée détermine un ré­sultat donné).

- Du point de vue absolu, la réalité des phénomènes réside dans leur mode d'être ultime.

(1) L'apparence de la lune dans l'eau n'est pas la vraie lune; l'essence véritable de la lune n'est pas son reflet.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

Les phénomènes ne sont pas vrais car, bien qu'apparaissant de façon relative, leur existence ultime ne peut être établie. Ils sont vi­des. La: vérité ultime étant au-delà du champ d'expérimentation de l'intellect, la manifestation qui en est le produit, la vérité relative, ne peut être réfutée par une assertion mentale, elle-même relative. Il en résulterait que les deux vérités s'excluraient mutuellement, alors qu'elles s'impliquent l'un-e et l'autre.

C'est l'essence vide (la vérité ultime) des phénomènes qui rend leur manifestation possible (c'est-à-dire leur transformation : l'appari­tion, l'existence et la disparition). C'est parce que les phénomènes se manifestent en mode illusoire (la vérité relative), que leur nature essentielle peut être établie.

Ainsi, en dernière analyse, la seule affirmation possible concernant la vérité des phénomènes est de dire qu'ils sont semblables à des apparitions magiques ou à des reflets dans un miroir. Par exemple, le tigre que fait apparaître le magicien n'est pas "inexistant", puis­qu'il apparaît et qu'on peut le voir ; mais il n'est pas non plus "exis­tant", car il n'est pas un vrai tigre, il n'est qu'une création du magicien. De même, l'image qui apparaît dans le miroir n'est pas "vraie" car elle n'est pas réellement la chose, mais son reflet. Elle n'est pas "fausse", car elle apparaît. Tous les dharmas sont semblables à ces images ou à ces créations illusoires. Bien qu'ils apparaissent et qu'ils soient saisis par la conscience, ils sont cependant dénués d'existence propre.

Pour une conscience qui appréhende correctement la "réalité", toutes les manifestations phénoménales sont connues comme s'éle­vant de l'esprit. Cette connaissance peut s'obtenir de deux manières par l'investigation et par la méditation.

La compréhension de la nature des phénomènes peut apparaître comme le résultat d'un processus analytique et logique. C'est l'appli­cation de la compréhension de la production interdépendante. Elle peut s'opérer soit par une suite de déductions, comme par exemple le fait de constater que nous sommes en bonne ou mauvaise santé en scrutant l'image de notre visage reflétée dans le miroir, soit par l'inférence qui nous permet de connaître l'existence du feu à la vue de la fumée.

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LA CONSCIENCE PART1ELIE

Le mode de connaissance indirecte est défini comme l'approche inférieure, car elle ne dépasse pas le domaine de l'intellect. Elle n'est qu'une description de la réalité, qui n'est pas la réalité elle-même. Elle demeure d'ordre relatif et ne transcende pas la dualité sujet/ob­jet, ce qui est observé restant dépendant de l'observateur.

À l'approche analytique et logique, on peut opposer un autre mode de connaissance : la compréhension directe, intuitive et immédiate, fruit de la pratique de la méditation. C'est de cette relation concrète que s'élèvent les expériences et les réalisations successives de la nature de toutes choses.

La méditation constitue la voie supérieure, car elle est perception directe, connaissance immédiate, non-duelle, de la nature de tous les phénomènes. Elle est fondée sur la reconnaissance de la nature originelle, par cette nature elle-même. Seule cette connaissance est véritablement intégrale, définitive et ultimement valide .

Temporairement, il est nécessaire d'utiliser l'outil de la connais­sance indirecte, par des méthodes d'investigation correctes, afm d'établir une base de compréhension juste concernant la nature de l'esprit, des êtres et des phénomènes (expliquant, par exemple, pour quelles raisons les phénomènes et les êtres sont semblables à une illusion magique). Cette base soigneusement éprouvée par un raisonnement pertinent constitue le fondement de la pratique.

Cet acquis intellectuel doit ensuite être mis à l'épreuve de l'expé­rience directe de la méditation. C'est à cette seule condition que la compréhension initiale pourra être véritablement intégrée, reconnue et définitivement confirmée.

Par l'effort individuel soutenu et persévérant, la connaissance inté­grale est finalement obtenue. Cette obtention ne peut s'acquérir par des moyens intellectuels ou matériels. Elle ne peut être connue par la seule étude, mais se révèle comme le fruit de la méditation (1).

(1) Ceci montre qu'en fait ces deux types de connaissance ne s'opposent pas, mais sont des étapes nécessaires et complémentaires. Par l'écoute.et la contemplation réflexive, le pratiquant acquiert une compréhension juste, au moyen de prajna (Shérab), la sagesse suprême ou sagesse transcendante. Par la méditation, cette compréhension devient réalisation de la nature même de cette sagesse, jnana (Yéshé), connaissance primor­diale. Si la vision de la fumée n'est pas le feu lui-même, elle en est le signe et conduit à sa découverte.

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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

Par la combinaison, d'une part, de la confiance, de la compassion, de la détermination, de l'application et de l'énergie du méditant et, d'autre part, de l'expérience, de la bienveillance, de la sagesse, de la grâce, des méthodes habiles et de la réalisation de l'instructeur spiri­tuel, le fruit sera véritablement goûté.

Il appartient à chacun de se dégager des rets de l'ignorance. Il dépend en effet de nou~, de nous familiariser avec les techniques de méditation et surtout de les mettre en pratique sous la direction d'un maître qualifié, pour que soit connue l'expérience de l'esprit instan­tané, non conceptuel, immuable, connaissance radieuse et bienheu­reuse, décrite par les êtres éveillés de tous les temps.

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Page 21: 2 Visages de l'Esprit

L'apparence née de l'esprit

Ainsi, la seule explication acceptable de l'origine du monde phé­noménal est celle de l'esprit en tant que base permettant l'apparition de toute manifestation. Il reste à définir comment fonctionne cette production des phénomènes par l'esprit.

• D'une façon générale, tous les phénomènes dépendent de causes et de conditions. • (Gampopa)

Si l'esprit représente la cause fondamentale, la base ou le potentiel d'apparition des phénomènes, leur manifestation effective dépend de trois causes secondaires ou conditions.

La condition causale

C'est la conscience base de tout (alaya vijnana). Elle est le substrat d'où s'élèvent toutes les productions mentales par le biais du mental perturbé ..

La condition maîtresse

Elle réside dans les cinq organes sensoriels : l'œil, l'oreille, le nez,

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

la langue et le corps (1), ainsi que dans les cinq conscienc~s (2) qui leur sont liées (conscience visuelle, auditive, etc). Ces consciences sont associées au mental immédiat.

La condition objective

Elle est constituée par les formes, les sons, les odeurs, les goûts, les objets tangibles, dont la perception, par les organes et les cons­ciences sensorielles est appelée contact.

Si l'objet perçu est reconnu comme agréable et source de plaisir il_ s~ra _attiré et l'émotion du désir-attachement s'élèvera dans l'esprit: S1 1 objet est perçu comme désagréable et facteur de souffrance il sera repoussé et l'émotion de haine-aversion s'élèvera. Si l'objet ~st perçu comme neutre, il engendrera l'indifférence, il sera ignoré ou délaissé et l'émotion de l'opacité mentale se développera.

Pour que le contact puisse s'établir, il est nécessaire que les objets perçus et la conscience qui perçoit, soient de même nature ou que leurs manifestations respectives soient dépendantes l'une de l'autre. Tout comme dans l'exemple de la fumée qui s'élève du feu, il existe une relation d'identité de nature. Dans le feu, base à partir de la­quelle apparaît la fumée, la manifestation, la fumée, est présente comme potentiel inhérent au feu, sa présence est le signe de celle du feu.

Il existe deux possibilités : soit l'objet est une manifestation dépendante de la conscience à partir de laquelle elle apparaît soit la manifestation de la conscience est dépendante de la pré;ence· d'un objet à partir duquel elle apparaît.

(1) Le corps en tant.qu 'il permet, par la peau et les muqueuses, la sensation du toucher. (2) Les cznq conscumces s~orielles de l'œil, de l'oreille, du nez, de la langue, de la pe"!_u, correspondent respecti~ement aux facultés de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du gout, du toucher. Ces facultes permettent respectivement d'appréhender les objets sui­vants : ~formes, les sons, les odeurs, les saveurs, les sensations tactiles. La c?~cumce rrzB?Ztale, de nature "sensorielle'~ est traditionnellement considérée comme la s:xzeme C?_nscze;nce. C'est elle qui ressent les oey'ets mentaux comme des sensations agre_ables, cfesagreables, ou neutres. C'est la faculté de la pensée sous sa forme la plus rudzmentazre. Le ~ta} imr:zédiat, ou "immédiateté du mental'; correspond à la faculté (du) mental(e) quz sazszt et elabore ~es, concepts. On pourrai~ dire aussi que c'est la faculté complexe de penser. n est aUS? l espa<:e dynamzque quz permet aux six consciences de se mani­fester. Lorsque les s~ conscumcB:f, s~orielles se résorbent dans l'alaya, ou conscience d_e base,. cette facU;lte mentale nazt d znstant en instant, au moment précis de la résorp­tion (vozr le chapttre sur les huit consciences).

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r L'APPARENCE NÉE DEL 'ESPRIT

Si la forme était composée de particules infinitésimales réellement existantes, comment l'esprit qui est non composé, qui n'a pas d'exis­tence substantielle, pourrait-il appréhender cette forme ? Comment des objets substantiels pourraient-ils provenir d'une origine non subs­tantielle ? Inversement, comment l'esprit pourrait-il être imputé sur la base de la matière ?

Si l'esprit et la matière étaient de natures différentes, ils ne pour­raient apparaître comme produit l'un de l'autre, car il n'existerait pas de relation entre eux, pas de base d'imputation qui rende possible un contact.

Considérer la forme comme dotée d'une existence réelle et maté­rielle et l'esprit comme non matériel, de nature mentale, implique que leurs champs de manifestations demeurent étrangers l'un à l'autre, aucun contact ne pouvant s'établir entre eux. S'il en était ainsi, aucune relation de cause à effet ne pourrait s'appliquer. Forme et esprit demeureraient étrangers l'un à l'autre, l'existence de l'un excluant automatiquement celle de l'autre. L'esprit ne pourrait jamais percevoir les phénomènes, ce que contredit l'expérience.

Si l'on admet qu'ils sont de natures totalement différentes, la for­me étant composée de particules matérielles et quantifiables, l'esprit étant immatériel et impalpable, comment l'esprit peut-il percevoir la forme, l'esprit ne percevant que les objets mentaux? La seu1e réponse possible, c'est que les objets sont eux-mêmes de nature mentale, semblables à des manifestations oniriques : le tigre qui apparaît en rêve n'est pas un vrai tigre, il est de nature mentale, et c'est la raison pour laquelle la conscience peut le percevoir. De même, c'est parce que la totalité des apparences est de nature mentale, qu'elle peut être perçue par l'esprit.

Nous avons vu que les Vaibhasikas et les Sautrantikas définissent les phénomènes grossiers comme des composés relatifs, constitués de particules infinitésimales. L'assertion de l'existence des particules repose sur le postulat de leur indivisibilité. Il reste à démontrer que ces particules infinitésimales ne sont pas réellement existantes, afm de conclure à la nature mentale des phénomènes.

Une particule infinitésimale indivisible est une particule simple,

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LA CONSCIENCE PART1ELLE

qui ne peut être décomposée en d'autres éléments constitutifs. Si elle ne peut être divisée, cela implique qu'elle est dépourvue de faces, de côtés ou de parties directionnelles permettant de lui adjoindre une ou plusieurs autres particules infinitésimales. Ce qui revient à dire que, lorsque les particules se rencontrent, elles s'intè­grent et sont alors confondues, d'où l'impossibilité pour elles de for­mer des composés : ne pouvant s'agglomérer les unes aux autres, elles ne forment jamais une somme (1).·

Pour se combiner avec d'autres, cette particule doit posséder des parties directionnelles (dessus, dessous, devant, derrière, droite, gau­che, etc), en fonction desquelles viennent se positionner d'autres particules. Elle n'est plus alors simple ni indivisible, mais composée de ces éléments ou parties directionnelles.

Dans le premier cas, si les particules se confondent, que reste-t-il de leur substantialité ? De quoi la nature se compose-t-elle? Dans le second, si les particules peuvent être décomposées à l'infini, que reste-t-il comme matière existante ?

Par ce raisonnement, nous pouvons conclure à l'inexistence des particules infmitésimales substantielles constitutives des phénomènes. Si les phénomènes composés sont dépourvus d'existence matérielle intrinsèque, c'est qu'ils sont des produits mentaux. Au niveau relatif, ils apparaissent en mode illusoire et sont perçus comme matériels par l'esprit soumis à la confusion. Au niveau ultime, étant composés de particules n'ayant pas d'existence matérielle intrinsèque, ils ne sont que des manifestations mentales dépendantes de l'esprit. Seul l'esprit confus les expérimente comme dotés d'une existence indé­pendante.

C'est un peu comme l'enfant qui rêve qu'il construit un château de sable. Il y porte tellement d'intérêt que tous les éléments qui composent le château sont présents à sa conscience. Il peut même voir les grains de sable et éprouver la sensation que procure leur toucher, suivre tout le processus de construction et même connaître la satisfaction de voir son ouvrage achevé. En vérité relative, il ressent

(1) Selon cette explication, ou bien la somme de toutes les particules n'est jamais supé" · rieure à une particule initiale et ne peut donner naissance à des phénomènes composés, ou bien tous les phénomènes ne sont qu'une seule particule. Comment expliquer alors la constitution de particules de natures différentes ?

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L'APPARENCE NÉE DEL 'ESPRIT

en effet tout cela, mais du point de vue ultime, toutes ces percep­tions, y compris l'existence des grains de sable, sont illusoires puis­qu'oniriques. Toute l'expérience n'est qu'une succession d'images mentales qui apparaissent dans la conscience.

Ces raisonnements, valables pour les formes, s'appliquent égale­ment aux objets perçus par les autres facultés sensorielles : sons, odeurs, goûts, objets tactiles ; ceux-ci sont semblablement dépourvus d'existence indépendante de la conscience qui les saisit. Ils ne sont que des créations mentales issues de l'esprit dualiste qui les investit d'une réalité extérieure à lui-même. En résumé, tout objet exté­rieur est caractérisé par la conscience qui l'appréhende.

Enfin, traitons des objets mentaux proprement dits, c'est-à-dire de ce que recouvre le champ d'activité de la conscience mentale : l'identification des objets et leur dénomination par un concept ou un terme, l'intégration au plan mental d'une perception sensorielle, ou le processus de jugement qui nous permet de décrire et d'apprécier les caractéristiques de tout objet des sens. Lorsque nous voyons un objet transparent en forme de contenant, nous l'identifions et le nommons "verre". Mais cette dénomination n'est pas universelle­ment valable. Un chien ne se dira sûrement pas : "tiens, voilà un verre!" Sa perception de l'objet sera différente et il lui donnera en tous cas un autre nom !

Ces concepts n'ont pas d'existence en soi, pas plus que les objets mentaux auxquels ils s'appliquent. Ils ne sont que des fabrications de la conscience mentale. Le jugement porté par l'esprit : agréable, désagréable, indifférent, n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais il est le fait d'une interprétation, d'une lecture particulière de l'objet mental. Par exemple, la vue d'une tigresse représente un objet atti­rant pour un tigre mâle. Un homme ne jugera pas en ces termes, mais éprouvera plutôt de la crainte.

Si la qualité de l'objet avait une existence réelle et indépendante, elle serait connue de manière permanente et identique. Jugement et identification ne sont que le produit des différents conditionnements mentaux des êtres. La diversité des apparences est due à une multi­tude de processus mentaux individuels, issue des conditionnements latents propres à chaque être.

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L'esprit non-né

Comme nous l'avons expliqué au chapitre précédent, les phéno­mènes n'existent qu'en dépendance les uns des autres : le moi n'existe que par rapport à l'autre, la droite par rapport à la gauche, le bon par rapport au mauvais. Il ~n va ainsi de tous les termes de la dualité : chaud, froid, long, court, haut, etc.

Pour la même raison, si les objets de la connaissance, les phénomènes extérieurs, ne sont pas intrinsèquement existants, la connaissance, l'esprit intérieur qui les appréhende, ne peut l'être davantage. Si la forme extérieure est dépourvue d'existence, l'esprit qui l'appréhende à travers l'œil et la conscience visuelle, est également inexistant. L'esprit percevant étant la somme des consciences sensorielles, il est de la même nature que ce qu'il perçoit.

Ceci est valable pour la conscience en général, mais aussi pour chacune des consciences sensorielles (1) particulières. Si le son est

(1) Les six consciences sensorielles sont celles qui sont citées précédemment, plus la conscience mentale qui possède, comme on l'a indiqué ci-dessus, la faculté de ressentir comme attirants, repoussants, ou indijférents, les objets mentaux. Parfois le texte parle de cinq consciences sensorielles, plus le mental. Parfois il men­tionne six consciences sensorielles. Dans le premier cas, la conscience mentale est im­plicitement incluse dans le mental. Dans le deuxième, ils sont distingués.

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

dépourvu d'existence intrinsèque, la conscience auditive en est éga­lement dépourvue ; si l'odeur n'existe pas, la conscience olfactive n'existe pas et ainsi de suite. Par la réfutation des cinq agrégats, sup­ports de la manifestation sensorielle, c'est l'ensemble du champ de la perception sensorielle qui se trouve réfuté, incluant ce qui est perçu : l'objet, et ce qui perçoit : les consciences qui saisissent les formes, sons, odeurs, goûts et objets tactiles. ll en va de même pour les objets mentaux et pour la sixième conscience qui identifie ces objets sur le mode de la sensation mentale (à partir de laquelle s'élèvent l'attrac­tion, la répulsion, l'indifférence). Ces objets étant dépourvus d'exis­tence en soi, la conscience qui les éprouve, l'est également.

Aussi pouvons-nous conclure que tous les aspects de la manifes­tation sont dépourvus d'existence propre. En essence, ils procèdent de la nature de l'esprit ; en d'autres termes, les formes, les sons, etc, ne sont que des productions de l'esprit (ils en sont les projections). Du point de vue de la vérité ultime, ils sont vides, c'est-à-dire dé­nués d'existence propre ; en vérité relative, leur mode de fonction­nement est celui de la génération interdépendante. Ce qui signifie que la production de la manifestation est régie par l'interaction de causes et de conditions dépendantes les unes des autres.

N'étant le produit ni d'eux-mêmes, ni de causes étrangères, ni de la combinaison de ces deux, ni n'apparaissant sans cause, ils sont seulement l'esprit dans le sens où l'esprit est le terrain fondamental de leur manifestation. Tout comme les images oniriques ne sont que des fabrications du mental, dénuées d'existence "réelle", tous les phénomènes ne sont que des productions mentales dépourvues de spécificité. Leur nature, qui est d'être sans essence, ou vide, est la base à partir de laquelle ils apparaissent et y sont réintégrés, sembla­bles à des hallucinations passagères.

Il est nécessaire d'établir en premier lieu cette compréhension que toute manifestation, qu'elle soit confuse (samsara) ou éveillée (nirvana), appartient à la nature de l'esprit et à elle seule car, en essence, sa réalité objective ou substantielle ne peut être établie.

En conséquence, il faut admettre que si la manifestation, produit de l'esprit, est dépourvue d'existence, l'esprit qui en est la cause l'est

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L'ESPRIT NON NÉ

également. Leur nature étant essentiellement identique, l'esprit est lui-même non existant, vide, non produit, non créé.

Cette reconnaissance doit être conduite pas à pas, par un processus d'analyse progressive. étayé par la pratique de la méditation, afin d'être convenablement intégrée.

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Les huit consciences, causes et conditions de la confusion

Ce que l'on nomme du terme générique "esprit", recouvre en fait huit consciences (1). Afin de comprendre la nature fondamentale de l'esprit, base du samsara et du nirvana, il est nécessaire de connaître le fonctionnement de l'esprit samsarique, c'est-à-dire d'établir une perception correcte de la façon dont causes et effets s'enchaînent et apparaissent dans la production interdépendante. Ce mode de fonc­tionnement s'inscrit dans les huit consciences.

Ces consciences sont définies comme fragmentaires, ce que reflète le mot tibétain namshé, contraction de nampar shépa. Nam ou nampa signifie aspect, partie, fragment. Shépa signille connaître, connaissance, être conscient de. Namshé indique une connaissance ou conscience fragmentaire, distincte de la réalité, somme de cons­ciences particulières qui ne saisissent qu'un aspect, qu'un secteur de la réalité. Le terme yéshé, au contraire, désigne la conscience, shé, primordiale, yé, c'est-à-dire la connaissance intégrale, naturelle, inhérente, présente depuis toujours comme le fondement de l'esprit, consciente par nature de la réalité de toute chose.

(1) Les huit consciences auxquelles il est fait référence sont les six consciences que l'on vient d'évoquer, plus le mental immédiat, plus la conscience de base, l'alaya. Le mental immédiat assure la liaison et une sorte de continuité entre les six consciences sensorielles, changeantes, et l'alaya, stable.

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

Le substrat de ces conscienc~s fragmentaires est la conscience base de tout, conscience de base ou conscience réceptacle· (set : alaya vijnana - tib : kunchi nampar shépa). Elle est la source ou le support de l'apparition et de la résorption des sept autres consciences. Bien qu'identiques en essence à la conscience de base, ces dernières en sont les prolongements, ou les aspects spécifiques, qui assurent des fonctions particulières.

Les six premières consciences sont les consciences sensorielles, la faculté sensorielle mentale étant incluse comme sixième sens. La septième conscience, le mental immédiat, est l'esprit confus, dans son mouvement, ce qui structure perceptions et expressions. La hui~ tième conscience est la "terre" ou la base à partir de laquelle appa­raissent les autres consciences. C'est une sorte de matrice neutre qui peut produire la confusion comme l'éveil. Elle est définie comme "soi" (atman), par opposition à l'esprit éveillé qui est 'hon-soi" (anatman).

Ces huit consciences sont donc :

~ les cinq consciences sensorielles : visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile,

- Ja conscience des objets mentaux (associée aux facultés sensorielles),

- le mental,-~ -- la conscience de base ou conscience base de tout (1).

Traditionnellement, la conscience de base est comparée à un océan et les sept consciences secondaires aux vagues qui s'en élè­vent. Bien qu'en apparence les vaguês se distinguent de l'océan, en essence, elles lui sont identiques. Les consciences secondaires, tout en étant indifférenciées de l'alaya, apparaissent néanmoins distincte­ment, car leur manifestation est dépendante de conditions objectives spécifiques. La conscience visuelle naît de la rencontre d'une forme, la conscience auditive se manifeste en fonction d'un son, etc. La

(1) Les huit consciences ne représenten~ pas la totalité de l'esprit, elles définissent la structure du moi, de la conscience individuelle. La dimension éveillée de l'esprit se si­tue au-delà des huit consciences. Ces huit consciences sont donc la cristallisation de la ftXation égoïste résultant du karma. L'éveil représente la cessation du concept de moi et de l'identification à la structure qui sous-tend son existence.

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LES HUIT CONSCIENCES

conscience mentale s'élève de la faculté cognitive : elle est ce qui discrimine entre les objets mentaux et non-mentaux.

Ainsi, les six types d'objets sensoriels sont les sources, les supports qui rendent les six consCiences actives. Ils sont donc la condition objective des perceptions conscientes.

Si chaque conscience_s'élève lorsqu'elle entre en relation avec l'un des six objets, le contact n'est rendu possible que grâce à la faculté sensorielle, constituée par l'organe qui perçoit l'objet. Cette faculté est appelée condition maîtresse ; elle agit comme une porte de la conscience. L'œil n'est pas la conscience visuelle, mais il est le support indispensable de son fonctionnement. Il représente la condition maîtresse de l'apparition de l'objet à la conscience : si la faculté visuelle est altérée ou oblitérée, la conscience visuelle se trouve réduite ou inopérante ; bien que continuant à exister, elle n'est plus efficace.

Il en va de même pour les autres consciences sensorielles, chacune d'entre elles est sélective. Chaque faculté et chaque conscience fonc­tionnent de façon autonome, sans se confondre avec les autres.

Une distinction s'impose tout de même en ce qui concerne la conscience mentale, car celle-ci ne s'appuie pas sur des objets exté­rieurs. C'est la faculté mentale qui est elle-même la base de cette conscience, à travers sa capacité à percevoir les facteurs mentaux, objets de connaissance. C'est la conscience qui connaît l'apparition des objets perçus par les autres facultés sensorielles et qui les diffé­rencie. Elle perçoit les objets mentaux et effectue l'appréhension sélective de leurs caractéristiques (cette forme est laide, ce son est beau, cette boîte est rouge, etc). Elle identifie et évalue les facteurs mentaux. Par exemple : bien que la conscience visuelle perçoive l'objet présent, la pensée qui l'identifie comme tel n'est pas la cons­cience visuelle, mais la conscience mentale.

Les six consciences apparaissent et se résorbent dans l'alaya, sem­blables aux vagues qui s'élèvent et retournent à l'océan. Cette émer­gence et cette réintégration, ce mouvement, ne peuvent prendre place qu'à l'intérieur d'un espace. Grâce à l'espace du ciel et à celui qui sépare les molécules, la fluidité et le mouvement apparaissent.

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LA CONSCIENCE PAR11ELLE

Ils permettent que les crêtes et les creux des vagues se forment à la surface de l'océan.

Il en va de même pour l'esprit: sans intervalle, sans vide, la pro­duction et la cessation des pensées ne peuvent intervenir, l'espoir et le désespoir ne peuvent prendre place. Dans le cas de l'esprit, l'espace n'est pas de nature physique comme le ciel, mais il est la dimension de la vacuité d'existence intrinsèque, essence ou texture de l'esprit lui-même.

Cet espace est l'intervalle qui permet le mouvement. Cette fonc­tion est assurée par la faculté mentale, qualité de l'esprit qui se situe entre la conscience de base et les six consciences sensorielles. Le mental est l'espace dynamique qui rend possible l'apparition des six consciences; il est l'agent de la conscience mentale. Dans le mouve­ment inverse, lorsque cessent les six consciences, le mental assure le lien avec la conscience de base.

Le mental, c'est l'instant de conscience qui prend place dès que cessent les consciences sensorielles discontinues, assurant la jonc­tion avec l'alaya qui demeure. Cette immédiateté de l'esprit est appelée faculté ou pouvoir du mental.

Les six types d'objets extérieurs et les six facultés qui se manifestent en dépendance de ces objets sont également dénués d'existence propre et ne sont que des projections, des émanations illusoires de l'esprit. Ils s'élèvent les uns des autres, en mode dépendant, c'est-à­dire qu'ils ne peuvent être identifiés isolément comme existant de façon continue, permanente et indépendante. Ils ne sont pas réelle­ment existants. La manifestation étant le produit d'une source, elle lui est assujettie. Bien que fonctionnant dans une autonomie relative, elle appartient en propre à l'esprit.

L'aspect confus de la manifestation et des consciences qui la per­çoivent est le produit de l'esprit sous l'emprise de l'ignorance (1), depuis des temps sans commencement. Il correspond à la matura-

(1) Ignorance ou nescience, ma.rig.pa : l'esprit ignorant de sa véritable nature, fonc­tionnant en mode erroné, bien que pourvu de la sagesse en tant que qualité essentielk non révélée.

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LES HUIT CONSCIENCES

tion des multiples tendances conservées dans la conscience de base. Ces tendances extrêmement diverses sont des impressions latentes qui se trouvent stimulées par les perceptions sensorielles et les conditions provenant de l'extérieur. Devenues actives, elles produisent la variété des apparences qui surgissent à l'esprit.

Par exemple, lorsque dans l'alaya les tendances dominantes sont celles du conditionnement humain, elle donnent naissance aux consciences sensorielles spécifiques qui sont celles de l'expérience humaine. Lorsque les prédispositions caractéristiques sont de nature animale, elles se cristallisent en une naissance animale avec sa spé­cificité. Il en est de même pour les autres classes d'êtres appartenant aux différents plans d'existence.

Ainsi, le type de conditionnement est produit par le jeu des per­ceptions, qui véhicule des· expériences caractéristiques. Elles sont gardées en mémoire dans la conscience de base. Elles se cristallisent en quelque sorte sous la forme des impressions dominantes. Celles­ci, accumulées sous forme de consciences et de facultés sensorielles particulières, détermineront par leurs limites le champ d'expérience accessible à l'individu.

Néanmoins, les phénomènes et les facultés ne sont que des fonc­tions de l'esprit. En effet, si la forme est éprouvée par la conscience visuelle, celle-ci ne sait ni discriminer, ni analyser cette forme. La définition de la forme comme étant grande, petite, ronde, carrée, rouge ou jaune, appartient exclusivement au domaine mental qui sait lire, identifier, juger, comparer. Les différentes expériences sen­sorielles sont véhiculées à la conscience de base sous forme de fac­teurs mentaux (semdjounlf> et leur identification est le fruit de l'agrégat (2) de la perception (dushé), qui discrimine entre agréable, irritant, chaud, froid, etc.

Comme nous l'avons démontré plus haut, les deux éléments objectif et subjectif d'une perception étant nécessairement de la même nature, c'est le mental qui est à l'origine des différents aspects de la perception.

(2) Les cinq agrégats sont les constituants psychophysiologiques de l'individu connaissant. Ce sont : la forme, la sensation, la perception, les formations mentales et la conscience. Voir "Regards sur l'Abbiddharma" de Trungpa Rinpoché, éd. Yiga Tcbeu Dzinn.

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

Le mental

· Le mental présente deux aspects qu'il convient de distinguer : le mental immédiat et le mental aliéné ou souillé, voilé. Le mental aliéné est l'une des huit consciences. Le mental immédiat n'est pas une conscience distincte, mais est présent dans les six facultés. Cependant, alors que celles-ci s'appuient sur un support physique, le mental im­médiat en constitue la trame insubstantielle. Il appartient au domaine de la conscience dont il est une qualité.

Le mental immédiat

Le mental immédiat est ce qui fait suite à la cessation des six consciences perceptives et qui dépose leurs informations dans la conscience de base. Il est aussi ce qui conditionne leur production lorsqu'elles se manifestent.

L'immédiateté est une qualité spontanée de l'esprit, c'est la faculté du mental. Elle est le lieu (1) de la connaissance d'un objet mental par la conscience mentale. C'est en contraste avec les cinq autres facultés sensorielles qui sont imputées sur la base d'un support matériel ou organique : l'œil, l'oreille, etc.

Le mental immédiat est la condition qui permet l'apparition et la dissipation des six consciences secondaires en relation avec la cons­cience base de tout. Il assure une fonction d'ouverture et de ferme­ture entre ces deux plans. Il est le "vecteur" qui communique la multitude d'informations reçues par les six consciences et qui permet qu'elles se réintègrent dans l'alaya.

C'est un "agent de transmission". L'immédiateté est l'instant (1) qui relie les perceptions à leur matrice. L'agent responsable de l'apparition et de la disparition d'une perception, c'est-à-dire d'un objet mental dans l'alaya, est dénommé immédiateté du mental.

L'activité du mental immédiat est ininterrompue, elle n'est pas succession d'instants, mais l'instant même de cette succession, une constante qui préside à la création et à la cessation d'une perception.

(1) Instant, lieu, espace, sont des termes physiques ; ici ils s'appliquent au domaine mental et ne sont que des équivalences.

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LES HUIT CONSCIENCES

C'est le pouvoir qui conditionne le mouvement d'ouverture et de fermeture de l'esprit à ses sensations, et c'est ce qui relie le réseau des consciences perceptives à la conscience réceptacle.

Cette immédiateté de l'esprit peut être approchée partiellement par un raisonnement correct et une investigation profonde et minu­tieuse. Mais le mécanisme du raisonnement est tel qu'il est toujours fondé sur des données étrangères à l'investigateur, qui lui ont été transmises par un tiers. Il contient une part d'imprécisions, d'incerti­tudes et reste toujours un corps étranger, transplanté artificiellement.

Seule l'expérience individuelle directe qui s'élève dans l'esprit du méditant grâce aux techniques d'obtention du calme mental (chinéj et du développement de la vision supérieure (lhaktong), pourra conduire à une intégration définitive, "née de l'intérieur", éliminant toute approximation et toute artificialité. _ .

Le mental aliéné

Si le mental ne peut être divisé en des constituants autonomes, il se prête néanmoins à l'observation des traits distinctifs de son fonc­tionnement. Ainsi, le mental perturbé, bien que n'étant pas différent du mental, apparaît distinctement comme un mode caractéristique de son fonctionnement. Il est le mental qui saisit, fixe, s'attache et se rend prisonnier de ses perceptions. C'est ce que rend le terme tibé­tain nyeun mong pa : aliénation, affliction, aveuglement.

La racine de toutes les distorsions mentales est la saisie d'un soi individuel. Celle-ci nous fait penser en termes de "je", "c'est moi", etc. Les autres n'apparaissent que comme les moyens d'évaluation de notre propre supériorité : ''je suis le meilleur, le plus important". Si l'on examine par l'analyse ce qu'il en est de ce moi qui s'identifie à l'ensemble physico-psychique dénommé personne, on s'aperçoit que le moi ne peut être identifié isolément dans aucun des agrégats (forme, sensation, perception, intellect, conscience) dont il est com­posé. Il ne peut pas être trouvé non plus dans leur somme, car aucun de ces agrégats n'existe en tant qu'entité indépendante. Cette perspective détruit toute identification au moyen de la conscience connaissante correcte qui élimine la saisie égoïste.

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LA CONSCIENCE PARTIEILE

Le mental aliéné constitue la propension de l'esprit névrotique à cqgsolider les aspects disparates qui le composent en un tout mono­lithique auquel il s'identifie. C'est la distorsion fondamentale de l'es­prit qui s'aveugle lui-même, se voile sa propre nature, s'exclut de sa clarté intrinsèque, pour s'enfoncer dans les ténèbres de l'ignorance, c'est-à-dire la non-connaissance de sa vraie nature. L'ignorance n'est pas ici définie comme l'absence de savoir, mais comme volonté de ne pas se connaître soi-même.

Par le jeu de l'identification égotique naît l'attachement au moi et l'aversion envers ce qui lui est étranger : l'autre. Cette relation duelle est source de toutes sortes de conflits et détermine tous les· actes et comportements erronés et, par conséquent, toutes les souffrances qui en résultent. En réalité, toutes ces perturbations, toutes ces souf­frances, sont inexistantes puisqu'elles sont fondées sur l'idée fausse du moi. Aussi, le mental aliéné ne représente qu'un disfonctionnement du mental proprement dit.

En résumé, la nature unique du mental présente deux aspects dans son fonctionnement :

- le mental immédiat est l'agent de la production des six conscien­ces et des facultés sensorielles depuis l'alaya. Il est également l'agent de leur cessation et résorption dans celle-ci ;

- le mental aliéné est comme une excroissance d'où procèdent tous les aspects névrotiques de l'esprit : désir/attachement, haine/ aversion, stupidité/ignorance, orgueil/cupidité, etc.

Le premier est constant et permet aux consciences d'apparaître. Le deuxième filtre et voile leur manifestation ; il est ce qui génère les obscurcissements mentaux.

La conscience base_de tout (alaya vijnana)

L'alaya vijnana est le substrat d'où procèdent et à partir duquel s'élaborent les sept autres consciences. Il est important d'en compren­dre la nature, car c'est de celle-ci que s'élèvent confusion et éveil.

Lorsque l'esprit ignore la nature de la conscience de base, celle­ci agit comme matrice de la confusion. Elle est aussi le support de

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r LES HUIT CONSCIENCES

l'élimination de l'illusion du samsara quand, au moyen des techni­ques de méditation sur la nature de l'esprit, son fonctionnement est reconnu. Par la pratique du calme mental (chiné), la confusion qui emprisonne l'esprit devient perceptible. Puis, par la vision pénétrante (lbaktong), sont reconnues les méthodes qui permettent de s'en délivrer et d'acquérir l'indépendance de l'esprit. L'essence de l'esprit est réalisée par cette essence même. La faculté auto-libératrice inhé­rente à l'esprit est ainsi mise""' en œuvre (il s'agit de la libération de la ftxation dualiste sujet/objet).

L'alaya est aussi la sphère d'où sont issus l'univers extérieur, tous les champs de manifestation, ainsi que tous les êtres qui les animent. C'est encore dans l'alaya que, par le jeu des sept consciences frag­mentaires, se déposent les empreintes des actes accumulés. Elle est appelée pour cela la conscience réceptacle ou "conscience 9!!!_détient les graines".

Lorsque les tendances latentes ont mûri, elles deviennent activité et constituent les sept consciences semblables à des nuages, provo­quant une pluie d'actes. Les rivières de karma nées de cette pluie vont à leur tour se jeter dans l'océan de l'alaya. Là, elles se conser­veront sans s'épuiser. Puis elles s'évaporeront et se condenseront à nouveau en l'amoncellement des consciences. Aussi, le cycle de l'existence, de la production et de la cessation, peut-il être comparé au cycle de l'eau. Dans cette comparaison, l'alaya est semblable à l'océan, réceptacle de toutes les possibilités de transformation.

La conscience de base détient tous les potentiels karmiques, posi­tifs comme négatifs, et, en ce sens, elle est dite neutre, l'éclosion d'un karma particulier étant simplement le fait de la mise en œuvre des tendances prédominantes. L'alaya est comme le terrain sur lequel ces tendances se déposent, éclosent, mûrissent, s'organisent en les sept consciences. Celles-ci projettent un champ d'expérience partiel, reflet des tendances dont il est issu (humaines, animales ou autres). Ce champ d'expérience se résorbera en l'alaya lorsque sera épuisé le karma responsable de sa manifestation.

La conscience de base est donc le lieu· de la succession des expé­riences transitoires où se déploient et se résorbent des espaces et

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LA CONSCIENCE PARTIELLE

des situations intermédiaires ou bardos (1). Pour cette raison, elle est définie comme conscience karmique.

Par exemple, lorsque les graines karmiques dominantes détenues dans l'alaya sont celles de l'existence humaine, une fois libérée de la conscience de base, elles vont se développer dans le champ d'expé­rience sensorielle propre au monde humain. L'alaya est donc la condition fondamentale de toute expérience et, pour cette raison, elle est qualifiée de condition causale. Lorsque, au moment de la mort, la sphère de la manifestation humaine disparaît par la résorption progressive des consciences contingentes dans l'alaya, cette dernière engendre et expérimente un nouveau champ d'expériepce. Cette situation post-mortem est un nouvel état intermédiaire, ou bardo. Il est caractérisé par une existence purement mentale jusqu'à ce que les prédispositions dominantes conduisent la conscience de base vers un nouveau mode de manifestation samsarique : humain, divin, animal ou infernal.

L'alaya est le terrain de la confusion fondamentale, là où le moi plonge ses racines. Elle est ce qui prend et quitte les différentes séquences de l'existence, tous ces bardos, ces intervalles, dans les­quels s'inscrivent les états multiples de l'être. On la dénomme pour cette raison la conscience "qui prend et donne les existences".

Cependant, cette conscience de base n'est pas l'ultime de l'être car elle "n'est" pas en soi, mais n'existe qu'en relation dépendante avec les sept autres consciences qui sont les facettes de l'illusion.

La présence de l'alaya est déterminée par les manifestations illu­soires des consciences secondaires. En d'autres termes, elle est conditionnée par le karma qui lui donne son caractère variable, positif ou négatif. Lorsque l'illusion est dissipée, la conscience de base ne subsiste plus en tant que telle, mais elle se transforme en la nature d'éveil. Elle est donc dépourvue d'existence intrinsèque, elle n'est qu'une manifestation conditionnée, dépendante de causes et de conditions, semblable en cela à tous les phénomènes relatifs. On peut la qualifier de "conscience du conditionnement".

(1) Bar : intervalle, espace - do : île. Bardo : situation intermédiaire, état relatif de l'expérience transitoire.

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LES HUIT CONSCIENCES

Cette compréhension de la nature de l'alaya est essentielle : c'est là où réside la différence fondamentale entre les positions bouddhis­tes et celles des Tirthikas qui reconnaissent en cette conscience le soi ou l'entité immanente. Dans ces systèmes, même lorsqu'elle est purifiée, l'alaya est tenue pour un soi réellement existant. Les écoles bouddhistes réfutent cette thèse, car l'alaya n'existe qu'en dépendance des consciences subordonnées ; elle n'est qu'une manifestation relative et ne peut être tenue pou; ultimement existante.

Il est important de souligner que cette différence n'est pas le fruit de divergences dogmatiques plus ou moins arbitraires ou fictives. Elle est fondée sur une connaissance valide et confirmée par l'expé­rience directe de l'état d'éveil, dans lequel cette conscience ne sub­siste pas comme entité indépendante. Si l'existence intrinsèque de l'alaya pouvait être démontrée de manière indiscutable par la connaissance directe de l'esprit éveillé, les positions des Tirthikas seraient alors acceptables pour un bouddhiste. C'est seulement parce qu'il n'en est pas ainsi que l'on parle de positions différentes.

Ceci conclut le premier chapitre : l'exposé de la conscience frag­mentaire et illusoire.

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LA CONNAISSANCE

PRIMORDIALE

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La connaissance primordiale, c'est l'état fondamentalement pur de l'esprit, dont l'actualisation résulte de la transformation de la cons­cience de base.

Lorsque l'ignorance relative à la conscience de base est dissipée, son essence devient manifeste, elle resplendit comme conscience connaissante. Elle n'est plus alors alaya, mais conscience primordiale, sagesse innée, connaissance intégrale. De même, quand l'ensemble formé par les sept consciences ne fonctionne plus de manière confuse, s'élève la nature des cinq sagesses et des quatre corps d'éveil (kayas).

Les méthodes de transformation de l'alaya, par lesquelles son essence profonde est révélée, sont incluses dans les cinq chemins progressifs de la méditation. Le parachèvement de cette transforma­tion correspond à l'état d'éveil suprême, la bouddhéité.

Au cours de cette transformation, sont successivement abandon­nées les différentes souillures de la conscience ordinaire que sont les voiles des émotions ou passions, le voile du karma, le voile des tendances fondamentales et le voile du connaissable. Le mode de perception grossier issu de la confusion va se trouver supplanté par la connaissance pure, originelle et immaculée, libre de tous voiles, conscience primordiale, auto-connaissante, omnisciente. C'est la ces­sation de la conscience fragmentaire et l' épanouissem~nt de la sagesse intégrale, connaissance directe et inentravée. Les deux termes de la transformation, cessation et épanouissement, sont synonymes de bouddha ou d'éveil.

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Les cinq chemins

Les cinq chemins de la progression vers l'éveil sont:

-le chemin de l'accumulation, - le chemin de l'unification ou de la convergence, - le chemin de la vision, - le chemin de la méditation, - le chemin où il n'y a plus à apprendre.

À chacun de ces chemins correspondent des moyens spécifiques qui conduisent à une obtention déterminée, caractéristique de l'accom­plissement de ce chemin.

Ce chapitre présente brièvement chacun d'entre eux (1). Dans l'apprentissage et l'application de ces méthodes, le pratiquant

débutera par celles qui constituent le chemin de l'accumulation.

Le chemin de t accumulation

Afm d'affaiblir et de purifier les tendances négatives issues de la saisie égoïste et d'endiguer le flot des actes nocifs provenant de la

(1) Pour une explication plus élaborée, on se référera aux "Trois enseignements" de Gyaltsab Rinpocbé, Ed. Yiga Tcbeu Dzinn.

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

fixation dualiste qui cherche à préserver le moi aux dépens des autres, il est tout d'abord nécessaire de contrebalancer le poids des actes négatifs et les effets des passions dont ils sont l'expression.

La pratique consiste à accumuler des actes positifs, une énergie bénéfique dont la puissance affaiblira tout d'abord les effets néfastes des actes antérieurs incorrects, puis ensuite les anéantira, opérant une conversion irréversible des dispositions perverses de l'esprit. C'est comme le rapport de force qui oppose l'eau au feu. Lorsque l'eau domine, elle a le pouvoir d'éteindre le feu, lorsque le feu est le plus fort, il fait évaporer l'eau. L'action bénéfique a ainsi le pouvoir d'épuiser le karma négatif. Les tendances négatives peuvent être comparées à un combustible dont la flamme se nourrit. Par le feu des actes bénéfiques, le stock des productions néfastes va se trouver progressivement consumé.

Le chemin de l'accumulation continue par la mise en œuvre du pouvoir de l'antidote:

- protéger la vie sera le remède aux tendances meurtrières, - pratiquer la générosité, le rèmède au vol, - dire la vérité éliminera la tromperie, -entretenir des pensées bienveillantes d'amour et de compassion

supprimera la haine et la jalousie, - considérer les autres comme plus importants que soi-même

conduira à l'affranchissement de la saisie égoïste.

À chaque poison, à chaque déséquilibre, sera appliqué l'antidote, le remède correspondant.

La nécessité

L'alaya étant le réceptacle des propensions négatives, celles-ci conduisent à l'accomplissement d'actes erronés dont résultera une expérience de souffrance, c'est-à-dire une naissance dans les états insatisfaisants et douloureux (animaux, esprits avides, enfers). L'être qui est prisonnier d'un conditionnement aussi défavorable est coupé des moyens de réaliser l'éveil, des capacités de dissiper ses obscur­cissements. L'intensité de la souffrance occupe en effet tout le

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1

lES CINQ CHEMINS

champ de l'expérience, interdisant le répit qui permettrait de la transformer.

Il est donc impératif de s'attaquer aux causes de la souffrance, les actes erronés, pour détruire toute possibilité de renaissance infortunée. La pratique de l'antidote, source de l'accumulation positive, est le préliminaire indispensable à la transformation de la confusion en éveil.

La méthode

La capacité d'expérimenter la vision supérieure de l'éveil dépend de l'acquisition de la stabilité mentale. La pratique de l'activité béné­fique doit se combiner avec les méditations de pacification et d'uni­fication de l'esprit (chiné).

En effet, notre esprit, soumis aux influences extérieures véhiculées par les consciences sensorielles, traverse sans cesse des pertur­bations. Il passe d'états d'exaltation et de dispersion intenses à des extrêmes de dépression et d'hébétude. Nous n'en avons pas le contrôle, étant constamment ballotté entre le désir et la peur .

Le premier travail consiste à calmer l'agitation, à relâcher les ten­sions de l'esprit et à l'établir dans sa clarté naturelle. Lorsque l'esprit demeure de lui-même calme, lucide, stable, sans qu'il soit nécessaire pour cela . de produire le moindre effort, le méditant applique les techniques de la vision immédiate, celles de l'absorption maintenue· (samadhi), dite de "l'absence d'entité". Ces méthodes sont fondées sur l'observation de la base de l'esprit, l'alaya, et l'investigation de son essence au moyen de la conscience connaissante ou conscience primordiale (1) de l'esprit. Alors cette conscience se reconnaîtra elle­même comme étant l'essence de l'esprit, la connaissance intégrale, pureté primordiale, libre des polarités du sujet et de l'objet.

La pénétration de ce type de méditation constitue le deuxième chemin, celui de l'unification ou de la convergence.

(1~ Tib. : Y~bé. ~elon le con!exte, le mot correspond à la conscience primordiale qui opere cette mvestigation, ou a la connaissance primordiale qui est réalisée. Ce concept est paifois traduit par sagesse primordiale. Ce terme permet de mettre l'accent sur le fruit obtenu.

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

Le chemin de runification

Il est ainsi nommé parce que la conscience converge à ce point vers la reconnaissance directe de la nature de l'esprit, jusqu'à opérer l'unification avec l'essence de vacuité, qui inaugure le chemin de la vision.

Lorsque le méditant a rassemblé l'activité bénéfique nécessaire, il s'applique à l'observation et à la reconnaissance de la nature de sagesse de son esprit. Utilisant les techniques qui viennent d'être décrites, il traverse une série d'expériences successives qui constituent des ma­nifestations authentiques de la genèse de la vision de conscience pri­mordiale. Lorsque cette conscience primordiale se révèle directement, le voile des passions grossières se trouve purifié.

Ces expériences, au nombre de quatre, sont définies par des analogies.

La chaleur

Lorsque l'on approche d'un feu, la manifestation sensible qui en indique la présence, c'est la sensation de chaleur qui est éprouvée. Tout comme la chaleur est le signe de la proximité du feu, le médi­tant va connaître une expérience de la nature de l'esprit qui sera le signe tangible que sa méditation est qualifiée et qui indiquera la proximité de la reconnaissance par la vision directe.

Ceci est la caractéristique de la vision pénétrante authentique.

Cette expérience n'a rien à voir avec le fait d'éprouver une chaleur physique, ou de pouvoir se livrer à des exercices yogiques en relation avec un feu réel ; elle ne relève pas du domaine de la sensation physique, elle est pénétration mentale plus profonde et plus ouverte qu'auparavant.

Il convient donc de se garder d'imaginer cette expérience comme quelque chose de déjà connu, ou de s'en faire une idée trop rigide qui ne correspondrait qu'à nos propres projections confuses. Pour éviter ces travers, il est indispensable que la pratique de la vision pénétrante soit fondée sur une solide base de calme stable, qui pro­tégera l'esprit des risques de distraction.

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lES CINQ CHEMINS

Cette "chaleur" est donc le jalon qui indique le rapprochement de l'esprit avec sa véritable nature.

La cime

Lorsque ce premier aperçu est intégré, la cime est alors atteinte. C'est le point culminant de l'expérience. Par l'intensité de sa prati­que, le méditant comprend la nature de l'expérience immédiate, il éprouve la certitude de l'efficacité de la méditation et du samadhi. Cette découverte est la source d'une immense joie, la satisfaction d'avoir atteint le but de la méditation, l'assurance de la validité de la voie.

C'est le moment où est connue l'expérience intérieure, personnelle et directe de la bienveillance du lama et des bienfaits de l'enseigne­ment. Tous les doutes sont anéantis par la compréhension que l'obtention de l'éveil est dorénavant irréversible. L'enchaînement des causes et des effets, le fonctionnement du karma, l'utilité d'accomplir de nombreux actes bénéfiques, la nocivité des attitudes erronées, sont alors clairement perçus.

L,endurance

La puissance de l'absorption méditative réalisée lors de l'étape de la cime annihile l'influence des passions et des voiles karmiques qui était jusque là prédominante. À ce niveau s'opère un renversement, et l'activité bénéfique supplante définitivement l'accumulation néga­tive antérieure. Les obscurcissements émotionnels karmiques sont éliminés par le samadhi. Bien que les tendances latentes demeurent, elles n'ont plus le pouvoir de parvenir à maturité.

C'est le moment où toute possibilité de renaissance dans les états inférieurs est définitivement épuisée.

Cette puissance de la méditation permet d'endurer, de tolérer les difficultés, les épreuves, les influences négatives, les obstacles. Ceux-ci apparaissent comme l'ultime résistance des propensions kar­miques qui sont près d'être détruites. La tolérance consiste à accepter

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

la manifestation des négativités potentielles, qui sont alors brûlées par la puissance de l'absorption maîtrisée.

L'esprit n'est plus jamais défait par les tendances négatives, mais celles-ci agissent à présent comme des alliées qui renforcent la capa­cité méditative et font progresser la réalisation jusqu'à ce que les germes karmiques soient anéantis.

Le suprême phénomène

. Le suprême phénomène de la vision directe de la sagesse primor­dlale est le point culminant de toutes les expériences précédentes qui appartiennent à la connaissance mondaine. C'est l'ultime réalisation du monde relatif et conditionné. Au-delà, se déploie la conscience directe et non duelle de la vérité absolue, l'éveil.

C'est l'aboutissement des expériences qui convergent en la vision de la nature ultime, la réalisation authentique, la succession de ces expé~iences étant comme autant de signes qui jalonnent cette pro­gresslon.

Le chemin de la vision

Au terme de ces expériences, le méditant réalise la fusion de son esprit avec l'essence primordiale de la vacuité. Il obtient la vision directe, immédiate et définitive de la réalité ultime. C'est l'atteinte de la première Terre d'éveil. Elle est comparée à la vision du premier croissant de la lune montante. L'éveil, la compréhension ultime, est maintenant réalisé et va continuer de croître et de se dévoiler jusqu'à la complète manifestation de la bouddhéité comparée à la pleine lune. '

Cette vision est le signe de l'élimination des voiles du karma et des émotions, c'est la conscience de tous les bouddhas. Mais elle n'est pas parachevée, car subsistent les obscurcissements des dispositions fondamentales subtiles de l'esprit, ainsi que le voile du connaissable (1).

cp .La suppressir:J':z des_ voiles du karma et des passions équivaut à la libération de l ~tence cond_zttonnee. La suppression des voiles des tendances fondamentales et du vozle du connazssable correspond à l'éveil insurpassable des bouddhas.

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LES CINQ CHEMINS

Ici l'alaya n'est pas éliminée, mais purifiée en son essence de conscience connaissante primordiale. L'ignorance est transmuée en éveil, la manifestation impure se révèle comme nature de sagesse.

Le chemin de la méditation

Il consiste en l'expansion et le déploiement de la conscience pri­mordiale de sagesse à travers les différents degrés d'éveil, depuis la deuxième jusqu'à la neuvième Terre.

C'est l'actualisation des qualités transcendantes de l'esprit jusqu'à ce que l'essence de l'alaya soit perçue dans toute son étendue et que toute trace d'ignorance subtile soit résorbée en la conscience de sagesse.

Le chemin où il ny a plus à apprendre

C'est la dixième terre où l'éveil insurpassable du Bouddha est parachevé. L'épanouissement de l'esprit a atteint son stade ultime, semblable à l'espace illimité. C'est l'état d'omniscience, la connais­sance intégrale. Il ne reste plus rien à développer ou à apprendre. La réalisation est totale. L'actualisation des cinq sagesses fondamen­tales est accomplie.

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Les cinq sagesses

Le terme sagesse rend le mot tibétain Yéshé, qui signifie littérale­ment conscience connaissante primordiale. Yéshé fait référence à l'activité résultant de l'éveil, indissociable de l'essence de la vacuité.

La connaissance intégrale de l'éveil, par opposition à la conscience dichotomique, partielle, de l'esprit confus, est la qualité inhérente à la vacuité. Cette connaissance est la conscience dynamique d'où s'élèvent spontanément les cinq facettes de la sagesse .

À l'état ordinaire, l'esprit ne se perçoit que dans la limite des huit consciences. La dimension des cinq sagesses lui demeure inaccessi­ble. Les cinq sagesses résultent de la purification des consciences grossières décrites précédemment. Dès qu'elles sont débarrassées de la confusion qui les recouvre, ces consciences se révèlent comme participant de la nature de la conscience primordiale ou des quatre corps (kayas) de l'éveil.

L'exposé de leur présentation portera sur six points :

- la sagesse semblable au miroir et l'explication du dharmakaya, -la sagesse de l'identité (1), --la sagesse de la simultanéité (2), -l'explication de ces deux sagesses comme étant le sambhogakaya, -la sagesse toute accomplissante et l'explication du nirmanakaya, - la sagesse du dharmadhatu et l'explication du svabhavikakaya. ·

(1) Littéralement : "la sagesse qui reconnaît l'identité de tous les phénomènes comme étant vide". (2) Littéralement : "la sagesse qui connaît tous les phénomènes, individuellement, sans confusion".

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

La sagesse semblable au miroir

C'est la conscience de base qui permet la continuité et l'identité de l'esprit (ainsi que la mémoire). Grâce à elle, l'esprit n'est pas anni­hilé après la résorption des autres consciences. Ainsi, après le sommeil ou l'évanouissement, l'esprit qui reprend conscience est le même esprit qu'avant.

Au niveau ordinaire, nous ne pouvons expérimenter que l'alaya, le mental perturbé et les consciences sensorielles. La réalité de la sagesse ne peut être connue que par l'absorption méditative contrôlée, le samadhi.

L'alaya, obscurcie par les voiles de l'ignorance, expérimente la manifestation phénoménale de façon confuse et erronée. Elle se trouve prise au piège de sa propre création illusoire. Néanmoins, son essence ne cesse jamais d'être Tathagatagarbha, nature de boud­dha, élément primordial d'éveil, sagesse innée. Le fonctionnement confus de l'alaya se manifeste à l'instant où elle se coupe de sa pro­pre nature de sagesse. Tant que prévaut l'illusion, cette nature demeure voilée, inaccessible, la confusion du cycle de l'existence s'entretenant d'elle-même comme dans l'exemple du cycle de l'eau décrit auparavant.

Lorsque les souillures les plus subtiles de l'ignorance sont totale­ment dissipées, l'essence de la conscience se révèle comme "ce qui en soi connaît" et s'élève en tant que sagesse semblable au miroir. Ce terme signifie conscience intégrale, totalement pure et panorami­que, universelle. C'est l'omniscience, connaissance en laquelle toutes les choses se reflètent sans qu'une seule demeure dans l'ombre. C'est la réalisation de la nature de l'alaya (1).

La purification des voiles les plus subtils n'est actualisée que dans la dixième Terre d'éveil. C'est le moment ultime, après que la vision directe de la nature de l'esprit ait été affermie par la pénétration des états d'absorption successifs, correspondant aux dix lieux de réalisation.

(1) Non pas l'alaya, la conscience basé de tout, comme un soi, mais la réalisation de l'absence d'existence intrinsèque de l'alaya, qui conduit à la connaissance de l'essence de la vacuité, son état fondamental qui est aussi celui de toute expérience.

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LES CINQ SAGESSES

Au niveau de la dixième Terre s'opère la reconnaissance absolue et transparente de l'intégralité de l'esprit, la sagesse semblable au mi­roir. C'est le fruit de l'absorption ultime : "le samadhi semblable au diamant" ou "samadhi semblable au vajra", c'est-à-dire immuable, in­destructible, conscience éternelle qui triomphe de toute chose et qui pénètre tout.

Cette sagesse est compat_ée à un miroir parfaitement poli et propre, sur lequel tout peut apparaître. C'est le substrat sur lequel se refléte­ront les quatre autres sagesses, les corps formels de l'éveil et tous les objets de connaissance (les dharmas), sans engendrer aucune saisie. C'est le dharmakaya, corps de vérité absolu.

Il est impossible pour la conscience ordinaire de se représenter ou de comprendre réellement la connaissance totale et directe, car nous n'en avons jamais eu l'expérience. La connaissance n'apparaîtra que lorsque la conscience grossière se sera muée, par la méditation, en conscience de sagesse, son obtention étant par nature compré­hension .

Le samadhi semblable au diamant est l'expression ultime de la conscience primordiale, plénitude dépourvue de partialité ou d'atta­chement, où la saisie d'un moi ordinaire, ainsi que celle d'un soi de référence absolu, a disparu.

C'est la plénitude de la lune en son quinzième jour.

L'obtention correspondant à cette absorption est le dharmakaya, le corps d'éveil ultime et non-formel, sans référence. La qualité de cette obtention est la sagesse semblable au miroir.

La sagesse de ridentité

Elle correspond à l'aspect purifié du mental aliéné. On distingue deux sortes de perturbations :

- les perturbations imaginaires sont des projections erronées du mental, en relation avec l'expérience extérieure comme la croyance à la réalité de la manifestation grossière, la saisie d'un soi, ou des vues fausses telles que la réfutation des quatre nobles vérités ou de la loi de causalité.

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

- les perturbations coïncidentes sont les distorsions subtiles inhé­rentes à la conscience de base, tant qu'elle fonctionne sous l'emprise de l'ignorance, qui subsistent jusqu'à la réalisation de l'essence de l'alaya, la conscience primordiale.

La transformation du mental en sagesse se trouve accomplie lors­que ces deux types de perturbations sont éliminés, c'est-à-dire au stade du chemin de la vision en ce qui concerne les perturbations imaginaires, et tout au long du chemin de la méditation pour les perturbations coïncidentes. C'est le résultat du "samadhi de la vaillance" (ou de la "puissance"), dénommé ainsi en référence à la. puissance de destruction des émotions et des distorsions qui caracté­rise cette absorption, mais aussi du "samadhi non conceptuel" par lequel est abolie l'opposition entre samsara et nirvana, devenir et quiétude, conditionnement et éveil.

Cette différence n'est que la création du mental qui saisit, sépare et isole les deux termes en extrêmes inconciliables.

La purification du mental perturbé correspond à la reconnaissance de l'identité du samsara et du nirvana. C'est la sagesse de l'identité. À travers elle, tous les phénomènes, qu'ils appartiennent au monde conditionné ou à ce qui le transcende, sont perçus dans leur essence unique : la vacuité.

La saisie de la distinction entre samsara et nirvana, opérée par le mental, n'est pas en elle-même conflictuelle ; c'est plutôt l'activité perturbée du mental, qui sépare l'objet considéré du sujet connais­sant, qui est source de conflit. Cette activité crée un espace fictif dans lequel le mouvement des émotions et des fixations mentales va pouvoir se déployer (la quiétude est désirée, le devenir est rejeté, parce qu'ils sont considérés tous les deux comme réellement exis­tants). C'est la conscience dualiste qui est responsable du mouve­ment du sujet vers l'objet, engendrant conflits et souffrances, et non la seule perception mentale qui distingue le bonheur et la souffrance.

La réalisation de la sagesse de l'identité a pour corollaire l'obtention de "l'au-delà de la souffrance qui ne demeure pas dans les extrêmes" (d'existence et de non existence). Elle est appelée "nirvana sans référence", c'est-à-dire transcendant l'opposition entre samsara et nirvana.

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LES CINQ SAGESSES

La sagesse de la simultanéité (1)

Elle est le résultat de la transmutation du mental immédiat, ou faculté mentale, en sa dimension pure. Le mental immédiat est ce qui saisit les pensées, il est la cause directe de la formation et de la disparition des six consciences sensorielles dans l'alaya, et il est l'agent, le vec­teur ou la "navette" qui relie <ks deux plans.

Le mental immédiat opère la saisie qui particularise, isole et fixe les pensées. Il traduit les informations des consciences sensorielles en concepts. Par exemple, la conscience mentale ne fait que perce­voir les objets mentaux comme de simples pensées (dans un fonc­tionnement réflexe). Le mental immédiat va interpréter ces pensées, les transformer en concepts.

Dans la dimension éveillée, ce mode de fonctionnement impur du mental fait place à la sagesse qui connaît chaque chose distincte­ment, clairement, sans confusion ni assimilation, et qui embrasse tous les phénomènes simultanément, tels qu'ils sont, sans aucune limitation. Là où le mental immédiat agit de manière sélective, ne considérant qu'un seul concept à la fois, l'isolant des autres phéno­mènes qui sont éliminés, cette sagesse représente l'ouverture de l'esprit à la multiplicité des manifestations qui sont connues pour ce qu'elles sont (dans leur telléité) au même instant. Le mental immédiat forme le goulot d'étranglement de l'intellection, qui réduit l'esprit à un mode de fonctionnement limité et fmi. Une fois purifié, il a la capacité d'appréhender simultanément tous les phénomènes sans obstruction, de manière correcte, c'est-à-dire non conceptuelle, par la disparition de la fixation.

En ce sens, la sagesse de la simultanéité est le complément de la sagesse de l'identité ; les phénomènes sont connus dans leur nature unique, tout en conservant leur diversité de manifestation, sans que la connaissance d'un objet altère celle des autres. L'identité n'est pas remise en cause par la multiplicité et l'unicité n'abolit pas le caractère distinctif. Cette connaissance globale et simultanée représente la totalité du mental lorsque les aspects aliénés et immédiats sont purifiés.

Dans son mode de fonctionnement confus, le mental immédiat est dépendant des informations trompeuses que lui fournissent les

(1) Autres traductions possibles: "sagesse discriminante" ou ''sagesse en mode distinctif".

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LA CONSCIENCE PRIMORDIAIE

consciences sensorielles. Il est donc prisonnier de ses propres créa­tions. À travers les perceptions sensorielles, le mental crée une saisie réaliste du monde et ne peut appréhender qu'une fraction limitée du champ de l'expérience. Ainsi, lorsque l'on regarde devant soi, on ne peut voir ce qui est derrière ; si l'on porte les yeux vers la droite, ce qui est à gauche disparaît. Le mental est limité par la saisie conceptuelle. Cette réduction de l'esprit est le fait du déploiement des consciences fragmentaires, elles-mêmes produites par l'activité conceptuelle du mental immédiat.

Ce fonctionnement erroné se trouve éliminé par l'absorption méditative nommée ''Samadhi semblable à l'illusion magique"· ou · "samadhi semblable au rêve". C'est l'état où tous les phénomènes sont reconnus dans leur dimension illusoire, pareils à des appari­tions oniriques ou aux créations d'un prestidigitateur.

Par la réalisation de ce samadhi, le mental immédiat s'évanouit et devient la conscience discriminante qui perçoit directement la nature de tous les phénomènes comme étant dépourvus de substantialité, comparables à des images mentales, à des productions de l'esprit semblables à celles des rêves. Ce samadhi est obtenu dans la huitième Terre d'éveil. Il correspond à la complète transformation des tendances émotionnelles les plus subtiles et à la réalisation que les phénomènes sont non-nés, non produits. Cette obtention est aussi celle de la connaissance primordiale non conceptuelle, la sagesse authentique qui réalise tous les phénomènes comme étant impermanents, souf­france, vacuité et sans ego.

Une des caractéristiques de la huitième Terre d'éveil est la capacité qu'ont les grands bodhisattvas de manifester des champs d'émanation purs, c'est-à-dire de créer des conditions favorables à l'épanouisse­ment des êtres. Ainsi par exemple, notre monde, s'il n'était produit que par le seul karma des êtres ordinaires, prisonniers de l'ignorance et des passions, serait moins favorable qu'il ne l'est (1). Tant que l'esprit est entaché d'ignorance, aucune manifestation réellement positive ne peut en émaner. Les conditions favorables qui prévalent dans ce monde sont dues à l'activité vertueuse, à la bienveillance de

(1) Toutes les écoles bouddhistes reconnaissent dans le karma la cause de toute manifestation : les êtres sont responsables, à travers leurs actes, de la qualité de leur expérience.

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r lES CINQ SAGESSES

quelques êtres qui, par la puissance de leur réalisation, en font un lieu relativement positif. Même s'il n'est pas comparable au champs purs, tels que la "Terre de grande félicité" du Bouddha Amitabha, dans lesquels se déploie uniquement l'activité bénéfique, ce monde connaît néanmoins une situation suffisamment favorable pour que l'obtention de l'éveil y soit possible. C'est sans aucun doute le résultat de la compassion agissante d~s grands bodhisattvas.

Cette qualité particulière des champs purs comme celui de "grande félicité" ou celui de "la joie véritable" est inhérente aux plus hautes Terres de réalisation, celles où le sambhogakaya (corps des qualités parfaites) est manifesté. Ces champs sont pour cette raison dénommés "champs purs du sambhogakaya". Il est impossible pour un esprit ordinaire non réalisé d'en concevoir la nature et l'activité.

Les dénominations des qualités particulières aux neuvième et dixième Terres d'éveil sont respectivement : "pouvoir de la sagesse inobstruée", c'est-à-dire qui connaît les trois temps, et "l'activité spontanée inobstruée". Dans cette dernière, les émanations multiples des bouddhas ne sont plus le fruit d'une décision ou d'un choix, mais spontanément s'élèvent et accomplissent sans obstruction l'acti­vité libératrice inconcevable.

Ce parachèvement des perfections correspond à l'épanouissement de la sagesse de la simultanéité, qui embrasse l'intégralité du temps, de l'espace et de l'activité. Par l'actualisation de cette sagesse, toutes les situations relatives issues de la pensée conceptuelle sont trans­cendées. C'est ainsi que Milarépa pouvait traverser les murs, se déplacer dans le ciel, changer de forme ou de taille, non pas par un tour de passe-passe, mais par la réalisation de l'inexistence des phé­nomènes relatifs, née de la maîtrise de l'absorption "semblable à l'illusion magique".

Cependant, le développement ultime de ces deux sagesses, celle de l'un et celle du multiple, ne sera définitivement connu que dans la réalisation du "samadhi semblable au diamant" (1), c'est-à-dire lors de l'actualisation de la conscience de base en la sagesse semblable au miroir.

(1) Autre traduction possible: "samadbi semblable au vajra". Le terme sanskrit "vajra" signifie indestructible, éternel.

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

Le sambhogakaya, corps des qualités parfaites

Le sambhogakaya s'élève de la réalisation des sagesses de l'identité et de la simultanéité. Par l'obtention de la première, l'esprit est libéré des voiles subtils de l'illusion et demeure dans la grande quiétude qui ne réside dans aucun des extrêmes (1). Il a comme qualité co­rollaire le grand amour et la grande compassion qui s'épanchent continuellement vers tous les êtres. A la réalisation de la seconde de ces sagesses, correspond la compréhension de tous les objets de connaissance tels qu'ils sont, sans exception et sans confusion. Cette compréhension s'accompagne de la capacité à produire des champs purs de manifestation destinés à guider les êtres vers l'éveil.

La combinaison de la sagesse de l'identité et de la sagesse de la simultanéité, munies de leurs qualités respectives, est appelée "le corps des qualités parfaites des bouddhas". Cependant, le samb­hogakaya n'apparaît que pour les esprits déjà purifiés. Il n'appartient pas aux manifestations des bouddhas accessibles aux êtres ordinaires qui errent dans le samsara et la confusion. Pour ces derniers, il y a le corps d'émanation (nirmanakaya). Le sambhogakaya est l'expression des moyens habiles mis en œuvre par les bouddhas afin d'aider les êtres qui sont proches de l'éveil ultime : les bodhisattvas qui résident déjà dans les Terres d'éveil (2).

Le sambhogakaya représente la forme pure, immatérielle ; il est l'illusion pure, le stade suprême de la sphère manifestée. Bien qu'il ne soit pas une manifestation contingente empreinte de souffrance, il appartient au plan de la vérité relative. C'est l'aspect totalement exempt de souillure de la telléité des phénomènes. Il est le guide qui conduit à l'ultime éveil, la dernière manifestation référentielle perceptible, lorsque toutes les causes d'éveil sont réunies.

(1) Les quatre caractéristiques des trois plus hautes Terres d'éveil sont : non-concep­tualisation, champs purs, activité pure de la connaissance primordiale, pouvoir de conversion des êtres au moyen d'émanations. (2) Le sambhogakaya est caractérisé par cinq certitudes : 1. la certitude du lieu : il demeure en le champ pur d'Akanista, le }erme établisse­ment", nom donné à la plus haute sphère de manifestation pure ; 2. certitude de l'entourage: il n'est constitué que de bodhisattvas résidant dans les Terres d'éveil; 3. la certitude du corps: il est orné des marques majeures et des signes mineurs de la perfection de l'éveil; 4. la certitude de la doctrine : il expose uniquement le grand véhicule; 5. la certitude du temps : il demeure jusqu 'à l'épuisement du samsara.

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r LES CINQ SAGESSES

D'un point de vue relatif, il est possible d'établir une hiérarchie de l'illusion, depuis les plus grossières jusqu'aux plus subtiles. Par exemple, la condition humaine est une meilleure illusion que la condition animale. Bien qu'en essence elles recèlent toutes les deux la nature d'éveil, le corps humain représente un potentiel d'actuali­sation de cette nature que le chien ne possède pas.

Dans le même ordre d'idée,., le sambhogakaya se révèle comme la voie de l'éveil pour ceux dont le potentiel a suffisamment été mûri, c'est-à-dire dont l'esprit purifié perçoit la manifestation pure. Là où la conscience ordinaire n'appréhende qu'un désert aride, le grand bodhisattva voit le champ pur de manifestation du sambhogakaya. Il en reçoit directement l'enseignement et les moyens d'accomplir l'éveil insurpassable et ultime.

La sagesse toute accomplissante

La sagesse toute accomplissante, c'est l'aspect purifié des cinq consciences sensorielles et de la conscience du mental qui leur est sous-jacente. À l'état confus, ces consciences sont sujettes aux per­ceptions sensorielles grossières et véhiculent un. reflet trompeur du monde phénoménal. Affranchies de la confusion des sens, elles se transforment spontanément en la sagesse qui accomplit l'œuvre (1). Cette sagesse apparaît dès la première terre d'éveil, au chemin de la vision. À ce stade, les cinq consciences sensorielles se transforment en émanations pures et en lieux de manifestation. Chaque faculté sensorielle purifiée, s'ordonnant avec les autres, devient faculté d'ac­complir tous les bienfaits.

Ces qualités réalisées dès la première terre d'éveil vont se déve­lopper de manière quantitative, accroître leur puissance et leur ex­pansion au fil des degrés successifs d'éveil. La fonction de la sagesse toute accomplissante, c'est de faire apparaître des univers illusoires positifs tels des planètes, puis d'y produire des émanations (ordinaires et suprêmes). Parmi les trois corps d'éveil, cette fonction dépend du nirmanakaya.

Ainsi, lorsque le Bouddha Shakyamouni a réalisé la sagesse de

(1) C'est-à-dire la sagesse toute accomplissante.

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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

l'éveil, il a obtenu la capacité de manifester des mondes comme la Terre, puis d'amener des êtres impurs à y prendre naissance, et enfin de s'y manifester comme nirmanakaya, corps d'émanation, en l'occurence le Bouddha Shakyamouni, pour guider ces êtres vers la libération. L'activité de la sagesse toute accomplissante est donc particulièrement dirigée vers les êtres impurs, aux voiles karmiques importants. Elle crée un environnement pqsitif, une "meilleure illusion", où des conditions permettent le développement spirituel des êtres ordinaires. Le pouvoir d'émanation s'applique aussi bien aux phénomènes inanimés qu'aux êtres qui animent ces mondes, soit sous une apparence ordinaire, soit comme manifestation sublime d'un bouddha. Lors du parachèvement de l'éveil dans la dixième Terre, ce pouvoir devient illimité, semblable à l'espace et accomplit le bienfait de tous les êtres "aussi nombreux que vaste est l'espace".

La manifestation de ces multiples qualités des bodhisattvas est le fait de la puissance du samadhi. Leur accroissement dépendra de la maîtrise des différents états d'absorption relatifs aux degrés succes­sifs de l'éveil. Ainsi, par le pouvoir du "samadhi de l'amour bien­veillant", les bodhisattvas insufflent naturellement l'amour et la compassion dans l'esprit d'oiseaux ou d'insectes. Par la combinaison de l'activité positive qui va découler de ces dispositions et du lien karmique établi avec les bouddhas, ces êtres connaîtront rapidement des conditions d'existence de plus en plus pures, jusqu'à obtenir l'existence humaine où ils seront en contact avec le corps d'émanation qui les instruira et les conduira· à la libération. Par leur pouvoir d'émanation, les bouddhas accélèrent le mûrissement du continuum des êtres, créant les conditions favorables à l'épurement de leur karma. Ils s'émanent sous forme de multiples manifestations physiques. Celles-ci culminent avec le nirmanakaya, l'émanation sublime, le Bouddha qui met en mouvement la roue de l'enseignement, révèle les méthodes de libération et montre l'exemple de l'accomplisse­ment de l'éveil (1).

Par la rencontre avec le nirmanakaya, s'établit le lien avec la sagesse toute accomplissante. Cependant, la nature et la dimension de cette sagesse sont proprement inconcevables et illimitées.

(1) A travers les douze actes d'un bouddba.

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LES CINQ SAGESSES

La sagesse du dharmadhatu

La sagesse du dharmadhatu, littéralement 'tle l'élément essentiel de tous les phénomènes", résulte de l'élimination définitive des im­puretés de la conscience de base, du mental perturbé et de l'ensemble des six consciences sensorielles, conjointement à leur complète transformation en leur nature véritable : la manifestation des trois corps d'éveil et l'activité qui en découle.

L'inséparabilité des trois corps d'éveil est appelée le corps essentiel ou svabhavikakaya. La sagesse du dharmadhatu, c'est la dimension ouverte de tous les phénomènes, dépourvue de toute élaboration mentale et de la saisie conceptuelle relative au sujet et à l'objet. Ils sont la perfection unique, indissociables du mandala de la conscience adamantine. Ils demeurent dans l'espace de pureté primordiale, au­delà de toutes les dénominations conceptuelles fragmentaires, telles que samsara et nirvana, commencement et fin, identité et différence. Le mot sagesse rend compte de l'interpénétration et de l'unicité des quatre premières sagesses, et "dhannadhatu" exprime l'inséparabilité de leur essence, qui participe de tous les phénomènes. C'est l'essence uni­que de la réalisation : le corps essentiel (svabhavikakaya).

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LA PRATIQUE

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Introduction

La seconde partie de ce livre traite de l'aspect pratique : comment réaliser la connaissance primordiale décrite dans la première partie. Pour y parvenir, il faut méditer. Avec quoi médite-t-on? Au moyen de l'esprit.

La nature de bouddha n'est à aucun moment absente de notre esprit, mais du fait de notre distraction, nous y sommes inattentifs et restons persuadés qu'elle est éloignée, faisant ainsi la plus grande erreur de notre vie. L'esprit, ignorant de lui-même, se prend pour quelque chose qu'il n'est pas et des projections extériorisées apparaissent sous diverses formes.

Ce processus est tout à faire semblable au rêve : on peut rêver de multiples personnes et lieux dans la petite pièce où l'on dort. Aussi longtemps que dure le rêve, on est le jouet de cette illusion.

Il se produit la même chose au cours du cycle des naissances et des morts que nous expérimentons, cela dure seulement plus long­temps. Que se passe-t-il vraiment au moment de la mort ? La mort n'est rien de plus qu'un changement d'illusion. Pour l'instant, nous sommes dans une illusion humaine et nous communiquons avec

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LA PRATIQUE

ceux qui sont de la même espèce et partagent notre illusion. Une fois qu'est épuisée la force motrice des actions qui en étaient la cause, l'illusion qui en résultait dans le présent disparaît et l'on est mort. Quand s'évanouit l'illusion de quelqu'un, pour les personnes qui l'entourent il est mort, parce que son illusion a disparu avant la leur. Mais en fait il n'est pas mort, il est simplement passé à une illusion différente de la précédente, et c'est pour cette raison qu'il ne peut plus communiquer avec les personnes de l'illusion qu'il vient de quitter.

La réalité extérieure n'est que l'esprit et rien d'autre. Comme l'eau et la glace. Quand il fait froid, l'eau gèle et se transforme en glace solide, mais si on la chauffe, elle redevient de l'eau. ll en va de même pour l'esprit qui est sous le pouvoir de l'illusion : ses manifestations ne sont que lui-même et n'ont aucune solidité, mais le charme de l'illusion les fait apparaître solides et réelles.

On s'aperçoit que la même chose se produit exactement dans le rêve. Quand l'esprit est épuré, son illusion s'épure également, per­mettant à ses qualités naturelles de s'élever. Lorsque ce processus est achevé, on lui donne le nom de bouddhéité. Quand il est à moitié terminé, cela correspond à ce que nous appelons les cinq chemins et les dix niveaux de bodhisattva.

Deux pratiques conduisent à sa réalisation : la méditation et l'accumulation-purification. Elles correspondent à deux moments : la méditation s'accomplit dans l'immobilité, l'accumulation-purification a plutôt lieu en dehors des périodes de méditation formelle.

L,esprit maintenant

Actuellement notre esprit montre une tendance invétérée à la distraction, se projetant de tous côtés. Sa principale activité consiste à s'intéresser aux informations sensorielles qui lui parviennent du monde extérieur, à les arranger et les évaluer. C'est ce qu'il a coutume de faire.

Il faut apprendre à délivrer l'esprit de ses informations, ce qui signifie l'établir en lui-même tel qu'il est réellement lorsqu'il n'est relié à aucun objet. C'est la meilleure façon de dompter l'esprit. Pour y parvenir, il faut que cela devienne une habitude.

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INTRODUCTlON

Qu'est-ce que l'esprit autonome ? En essence, il n'est absolument rien : il n'a ni forme, ni configuration, ni couleur, etc, il est ce qu'on appelle "vide". E~ dépit de cela, il est loin d'être un vide : l'esprit est également conscient, qualité à laquelle on fait référence sous le terme de "clarté" dans la terminologie traditionnelle.

Lorsqu'on en fait soi-même l'expérience dans la méditation, on découvre que l'esprit est bien plus grand que de simples mots. Immensément profond, l'esprit s'étend bien au-delà de tout ce qu'on peut en dire.

Quand on essaye pour la première fois de libérer directement l'esprit, on ne fait aucune expérience de la clarté à cause de la force des habitudes accumulées. Il faut employer la contrainte pour que l'esprit reste exempt de distraction, et si l'on s'aperçoit que l'esprit s'est néanmoins laissé distraire, on le ramène de façon délibérée à un état de non-distraction.

Une fois que cela est devenu familier, l'esprit est plus clair pendant la méditation. Cette clarté se stabilise et c'est à nous que revient la tâche de parfaire l'assise de cette stabilité. Les différentes étapes du cheminement vers la parfaite stabilité sont les repères des chemins spirituels, puis des niveaux de bodhisattva et enfin de la bouddhéité. Les chemins font encore partie de l'existence cyclique, mais à un niveau très élevé. Lorsque l'assise est très subtile, on atteint les niveaux de bodhisattva, dont il existe dix catégories. Quand elle est totalement achevée et ne peut plus être améliorée, elle porte le nom de boud­dhéité.

Les cinq chemins et les dix niveaux représentent un étalonnage de la réalisation. Ils sont décrits en détail comme tout sujet classique, mais sont inconcevables en termes d'expérience véritable.

Les bouddhistes disent : "le véritable esprit est inconcevable", mais cela n'est vrai que si l'on ne médite pas. La méditation permet de rencontrer le véritable esprit.

Pour cela, il faut s'appuyer sur une méthode graduelle, sinon on ne pourra jamais parfaire pleinement sa méditation. De nos jours, les hommes ont beaucoup d'ambition, mais peu de patience, ce qui les rend très insatisfaits. lls cherchent à guérir leur insatisfaction, mais la méthode doit être facile, car ils n'ont pas assez de patience pour tenter de faire quelque chose qui requiert de leur part un long effort.

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LA PRATIQUE

Quelques années auparavant, le Secrétaire Général du monastère de Rumtek reçut les plaintes de Tibétains habitant là, au sujet d'un nouveau docteur. Quand elles devinrent trop fréquentes pour être ignorées, il questionna les gens afin de savoir vraiment ce qui n'allait pas avec ce nouveau docteur: "Il n'arrête pas de nous dire de manger ceci ou cela, d'éviter de faire ceci ou cela, et cela ne nous plaît pas". Ces gens sont toujours malades !

Beaucoup de personnes se tournent vers les pratiques qui sont ré­putées apporter des résultats et promettent l'illumination immédiate. Cela est peut-être la preuve d'un manque de courage, ou simple orgueil. Peut-être ces personnes prétendent-elles, en disant qu'elles font des pratiques avancées, passer pour des pratiquants avancés.

Il y a quelques temps, eut lieu au Népal un long cycle d'enseigne­ments à propos des étapes progressives du mahamoudra. Parmi les participants se trouvait un jeune Américain qui suivait le cours avec assiduité et méditait, jusqu'au jour où il entendit parler d'une méthode appelée maha-ati qui passait pour mener à la bouddhéité en vingt­quatre heures (les textes de cette tradition disent : "Médite la voie du maha-ati le matin et tu seras bouddha le soir ; médite cette méthode ce soir et tu seras bouddha demain matin"). Jugeant le mahamoudra trop systématique, il l'abandonna et se mit à suivre l'enseignement plus efficace du maha-ati. Rejetant toute méditation formelle, il passa alors son temps à faire de la moto aux alentours de Kathmandou, convaincu d'être excellent maintenant qu'il faisait la méditation du maha-ati.

Il est si facile de se dire : "je suis libéré" et de le croire vraiment, même s'il ne s'agit que d'une fabrication mentale. Une confusion de cette sorte est très difficile à ébranler : on sait que l'on n'est pas illu­miné, mais on persiste dans cette idée ridicule. Autrement sérieuse que l'ego ordinaire, cette idée ressemble à un démon installé dans l'esprit.

Le mahamoudra et le maha-ati ont tous deux la capacité de produire une illumination immédiate, mais tout dépend de nous-mêmes et de nos antécédents. Cela a pris douze ans à Milarépa, dix-huit jours à Gampopa, trois jours à Tsangpa Gyaré. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter de savoir si la pratique elle-même a le pouvoir nécessaire. Si l'on accomplit correctement la pratique, l'illumination se produit d'elle­même. Le temps que cela prend dépend du temps que VOUS prenez.

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INIRODUCTION

Engagez-vous dans des pratiques avancées, mais faites-les correc­tement. Il vous faudra du courage et beaucoup d'énergie, mais pas d'orgueil. Qui sait? Peut-être pouvez-vous le faire en moins de trois jours!

Cet Américain fait toujours de la moto dans les environs de Kath­mandou. Dire qu'on est libéré n'en fait pas une vérité. Rien n'a changé, si ce n'est les mots qu'on emploie. C'est naïf et sans sagesse. Nous cherchons quelque chose d'authentique.

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Le calme mental

La posture

La posture que l'on adopte pour méditer est de première impor­tance. Une posture incorrecte peut entraîner un certain nombre de risques ou de dangers : pencher à gauche ou à droite, en arrière ou en avant, quand on médite, n'est jamais sans produire d'effets qui transparaîtront au travers de notre état d'esprit, nous entraînant à perdre notre équanimité.

La posture idéale porte le nom de posture de Vairocana en sept points, et si l'on compte méditer régulièrement, il faut peu à peu entraîner son corps à rester dans cette posture pendant la durée de la session.

Voici la liste des sept points et de l'effet qu'ils ont sur l'esprit, prise dans "l'Océan de Certitude" du IXe Karmapa :

1 - Les jambes sont croisées dans la position du complet lotus, à laquelle les textes bouddhistes tibétains font référence comme à la posture de vajra, car elle symbolise l'équilibre indestructible. Cela apaise l'énergie 8ubtile du corps qui favorise l'apparition de la jalousie dans l'esprit.

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LA PRATIQUE

2 - Les mains sont placées côte à côte sur le haut des cuisses. Cela favorise la pacification de l'énergie subtile associée à l'émotion de la colère.

3 - Les épaules sont déployées comme les ailes d'un vautour : elles sont relevées vers le haut et tirées sur les côtés, mais ni arrondies en avant, ni tirées en arrière.

4 - Le cou est courbé comme un crochet, le menton pressé contre le larynx : cela signifie qu'il faut rentrer le menton dans la gorge, en prenant soin de ne pas incliner la tête en avant ni la rejeter en arrière quand on adopte la posture. Cela suspend l'action au niveau de l'esprit de l'énergie subtile relative au désir-attachement.

5 - L'épine dorsale est tenue droite comme la hampe d'une flèche. Il faut réajuster son centre de gravité en bougeant doucement le corps en arrière à partir de la ceinture, en même temps qu'on ramène l'abdomen vers l'avant. Cela, associé à la position des épaules décrite dans le troisième point, permet de calmer la circulation de l'énergie subtile à travers laquelle se fait ressentir la pesanteur mentale.

6 - Les yeux regardent sans tension vers un point dans l'espace à quatre doigts environ du bout du nez.

7 - Les lèvres sont juste jointes, un espace demeurant entre les dents de la mâchoire inférieure et de la mâchoire supérieure, la langue reposant contre le palais. Les sixième et septième points pacifient l'énergie subtile correspondant à l'orgueil et permettent que l'esprit soit en même temps brillant et clair.

Demandez à un enseignant qualifié et expérimenté de superviser votre posture jusqu'à ce que vous soyez sûr qu'elle est correcte. La circulation de l'énergie subtile dans le corps est très sensible et il faut soigneusement veiller à ce qu'elle n'influe pas sur l'esprit de la personne qui médite et essaye de cultiver la non-distraction et la clarté.

Utiliser un point de référence : 1 - un objet

Il faut tout d'abord exercer l'esprit à s'établir sur un point de réfé­rence unique. Jusqu'à maintenant, notre esprit a eu beaucoup de points

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LE CAIME MENTAL

de référence, qu'il projette très rapidement l'un après l'autre et qui tournoient comme des grains de sable emportés par l'air.

Essayez de ramener l'esprit dispersé en un seul point. Laissez l'esprit penser à une chose pour changer, plutôt qu'à plusieurs choses à la fois.

On exerce l'esprit à faire cela en le maintenant sur un objet quel­conque. Cela marche pendant quelques moments, puis on s'aperçoit que l'esprit ne veut plus rester posé. Pourquoi? Parce qu'il est habitué à penser beaucoup. Rester sûr un objet est à l'opposé de ce qu'il a l'habitude de faire et il faut l'aider à développer de nouvelles habitudes.

Utilisez un verre d'eau propre ou une bougie comme objet de méditation. La bougie ne doit pas être trop brillante, et plutôt que de regarder directement la flamme, placez la bougie derrière votre épaule droite ou gauche et un miroir en face de vous, de façon à méditer sur le reflet. Si vous utilisez un verre, placez-le de façon à ce que la lumière du jour tombe dessus, mais pas le soleil lui-même. De cette manière, les yeux ne fatiguent pas. La clarté de ces objets aide l'esprit et lui évite de tomber dans la torpeur. Dirigez votre esprit vers l'objet et fixez-vous dessus.

À chaque fois que vous prenez conscience que la distraction vous a écarté de l'objet, ramenez l'esprit sur ce point. Il peut se passer quelques minutes avant que vous vous en rendiez compte et rame­niez votre esprit. Ne vous inquiétez pas, continuez votre méditation en prolongeant peu à peu le temps où l'esprit reste posé sur l'objet.

La clé de cette pratique est de se poser sur l'objet en toute conscience : c'est cela qui diminue les pensées, pas l'objet lui­même. Il ne s'agit pas d'observer les caractéristiques de l'objet, la lumière ou la couleur de la bougie, etc.

L'objet lui-même n'a aucune importance, il ne représente qu'une méthode pour apaiser l'esprit. Une fois que l'esprit est calmé, l'objet n'a plus d'intérêt.

Certaines personnes aiment avoir toutes sortes d'impressions, de vibrations, de sensations, d'énergies ... quand elles font cette méditation. Ce n'est que fantaisie : l'utilisation d'un objet n'est qu'une manière de stabiliser l'esprit sans intention de produire des effets exotiques.

Peu à peu les pensées éparpillées diminueront et vous serez capables de vous établir sans distraction sur ce point unique pendant un temps de plus en plus long.

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'· ~· LA PRATIQUE

Utiliser un point de référence: 2 - ramour et la compassion

Lorsqu'on prend l'amour et la compassion comme points de réfé­rence sur lesquels appuyer l'esprit, le bénéfice recueilli est double. Comme pour la bougie et le verre, l'esprit devient paisible et stable. Mais lorsque l'esprit est apaisé, il s'identifie à l'objet et il se présente ainsi une opportunité particulière de vraiment convertir l'esprit en amour et compassion.

Pour l'instant, une personne ordinaire ne peut développer l'amour et la compassion envers les êtres. Nous éprouvons certes de l'amour, mais il se limite à quelques personnes, comme l'amour que l'on porte à son ou sa petit(e) ami(e) ou à ses parents, etc. Il nous faut une méthode pour accroître cet amour jusqu'à ce qu'il enveloppe tous les êtres et l'utilisation de l'amour et de la compassion comme points de référence permet justement cela.

Un être sensible est un être possédant un esprit. La logique boud­dhiste apporte la preuve que des êtres humains jusqu'aux mousti­ques, en passant par les êtres des enfers, tous ont le même esprit. Il y a une différence entre la vie et la vie sensible. La vie pousse (un arbre, par exemple), mais ne possède pas d'esprit. La vie sensible est la vie avec un esprit. Une fleur ne peut pas accéder à la boud­dhéité- elle n'a pas d'esprit. Un moustique le peut, malgré sa condition présente infortunée.

Tous les êtres sensibles partagent le même souhait d'être heureux et délivrés de la souffrance. On doit développer l'amour et la bien­veillance envers tous ces êtres de façon impartiale.

TI faut commencer par éprouver l'amour et la compassion en esprit. Le mieux est d'avoir l'esprit naturellement aimant - si tel est le cas, cela provient d'habitudes antérieures. Mais si ce n'est pas le cas, il est possible de les créer artificiellement. Un effort délibéré est tout d'abord nécessaire, mais du fait de la bénédiction provenant de vos intentions pures, vous parviendrez doucement à un amour et une compassion originels.

L'essence de l'amour est la joie. Développez un état d'esprit empli d'amour et de joie, ainsi que le souhait de faire du bien à autrui.

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LE CALME MENTAL

Eprouvez cela à l'égard d'un groupe, que vous vous représenterez en esprit, d'environ dix êtres; personnes ou animaux. Prenez vrai­ment conscience de l'amour. Il ne suffit pas de dire : "comme ce chat est mignon !" Ensuite, augmentez la portée de cela jusqu'à en­glober une centaine, un millier, des dizaines et des centaines de milliers d'êtres. Imaginez-les et étendez sans cesse votre amour jus­qu'à ce qu'il enveloppe tous les êtres sensibles de l'univers.

Quand votre esprit a ce~ sentiment d'amour et de bienveillance pour tous les êtres, faites comme avec l'objet et méditez dessus sans distraction. À chaque fois que l'esprit pense à autre chose, ramenez­le à la pensée de l'amour et de la bienveillance en le stabilisant dessus. Toutes vos pensées se transformeront en la nature de l'amour et de l'attention envers autrui. C'est s'entraîner au calme mental en utili­sant l'amour.

De temps en temps, faites la même chose avec la compassion. La compassion est à peu près semblable à l'amour. C'est penser aux difficultés et aux problèmes de tous les êtres sensibles. C'est ce que vous éprouvez quand vos enfants ou vos parents souffrent, par exemple. Mais il n'y a rien de triste en ce fait. On peut facilement développer un sentiment de compassion dans l'esprit en pensant aux terribles souffrances des êtres sensibles. Comme avec l'amour, on stabilise l'esprit dessus et on ne se permet pas d'en être distrait.

Alternez amour et compassion en les cultivant régulièrement et sans précipitation. Les utiliser comme objets de méditation va non seulement apaiser les pensées, mais aussi permettre d'accumuler une grande quantité de vertu.

Cet amour est libre d'attachement. Ce n'est pas la folle passion de celui qui est "amoureux". L'essence de l'esprit est clarté vide sans obstruction, et même quand il développe l'amour et la compassion, l'esprit doit doucement se détendre dans sa vacuité essentielle, sinon l'amour et la compassion que l'on développe deviennent émotion­nels, puisque l'esprit demeure crispé. Mêlés d'émotion, amour et compassion sont maladroits et peuvent conduire au désastre. Beaucoup de personnes n'ont pas l'habitude de la qualité vide de l'esprit : leur conception est trop matérialiste. Ne considérez pas l'esprit comme une machine. Le véritable amour est sans tension, doux mais immense.

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LA PRATIQUE

L'esprit de tous les êtres sensibles est en essence le même que le vôtre : clarté vide sans obstruction. Pensez alors que tous méditent en même temps que vous, plongés dans l'amour avec vous. C'est une pratique très puissante qui apporte un grand bienfait et permet une immense accumulation de mérite. C'est ainsi que les bodhisattvas créent les conditions du développement spontané de l'amour dans l'esprit des autres. Partagez votre esprit aimant avec les autres et faites leur éprouver la même chose. Tous les êtres ont un esprit aimant, mais du fait de problèmes émotionnels, il n'apparaît pas, ou alors il reste limité, partiel, toujours basé sur soi et l'autre. Fixez votre atten­tion là-dessus et faites que leur esprit devienne aussi grand que le vôtre.

Méditer sur une bougie, un verre, ou s'absorber dans l'amour et la compassion ne sont que des techniques pour stabiliser l'esprit. Ce n'est pas encore la véritable méditation. Cependant il est indispensable d'en acquérir la maîtrise pour accéder à l'étape suivante, puisque c'est à travers elles que l'esprit s'accoutume à définitivement demeurer tranquille. n se peut que vous deviez les pratiquer pendant longtemps avant d'être prêts à aborder la pratique même de la méditation.

Somnolence et agitation

Ce sont les principaux voiles du calme mental et de la vison pro­fonde de notre véritable esprit. Ils tendent à détruire notre médita­tion actuelle en empêchant tout progrès ultérieur. Même si nous nous arrangeons pour faire quelques progrès malgré eux, ils nuisent à la qualité de notre méditation.

Les causes de ces deux défauts se trouvent le plus souvent dans notre conduite ordinaire, des habitudes s'établissant en dehors des sessions de méditation et permettant l'apparition de la somnolence ou de l'agitation aussitôt que nous nous asseyons pour méditer.

Voici quelques suggestions utiles pour animer un esprit lourd ou morne. Limitez vos repas à la période qui va du lever du jour à une heure de l'après-midi. Evitez de manger dans l'après-midi et le soir. Mangez jusqu'à vous sentir aux trois quarts repus en gardant un quart

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LE CALME MENTAL

de votre estomac vide. Vos repas ne doivent pas être riches et gras. Levez-vous tôt et couchez-vous tôt. Ne dormez pas trop. Six ou

sept heures suffisent amplement. Davantage, c'est un attachement au sommeil. Vous verrez qu'en mangeant peu, vous n'avez pas besoin de beaucoup dormir.

Préservez l'acuité de vos sens. Ne prenez pas l'habitude de boire de l'alcool, de regarder la t<ilévision, etc, de façon impulsive. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut jamais boire ou regarder la télévision, mais simplement qu'il ne faut pas aller jusqu'à l'intoxication.

Si vous avez une tendance à la somnolence, méditez dans de vastes espaces ouverts, comme le flanc d'une montagne.

L'agitation est plutôt le problème des Occidentaux, alors que la paresse est celui des Orientaux.

La cause principale de l'agitation est le souci. L'attachement de l'esprit à des objets qui excitent le désir et la colère provoque l'agita­tion. Il faut apprendre à vous détendre et à ne pas vous accrocher à vos projets. Cultiver l'équanimité de chiné est alors utile.

Dynamisme et énergie sont aussi une forme d'avidité émotion­nelle. Vos émotions sont trop fortes et vous vous engagez fortement dans certaines tâches, à tel point que vous y pensez sans cesse, même quand vous méditez. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire ou qu'il faut se désintéresser de son travail quand on a décidé de pratiquer la méditation. Travaillez avec soin et attention, mais de manière détendue. Si vous vous cramponnez à quelque chose, vous ne pourrez plus avoir de vrai repos. Même si vous essayez de médi­ter, cela continue à vous tourmenter, comme une série de secousses électriques dans votre cerveau. Ne vous accrochez pas non plus à votre méditation, mais faites-la sérieusement.

Réfléchir aux inconvénients de l'agitation est un bon antidote. Commencez par faire une pause et vous détendre un peu. Ensuite essayez de simplement laisser tomber l'agitation et de méditer. Si ce­la ne marche pas, pensez à votre propre cas : "Pourquoi est -ce que je pense autant ? Cela ne mène nulle part, je perds mon temps. Tout ce que je parviens à faire, c'est à m'empêcher d'accomplir montra­vail quotidien qui est de méditer. Pourquoi ai-je choisi de méditer en premier lieu ? Parce que j'ai vu combien ce serait profitable. Les

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LA PRATIQUE

raisons pour lesquelles je m'adonne à la méditation sont justes, je dois donc m'appliquer à ce projet actuel et laisser de côté mes au­tres soucis pour le moment". Une telle réflexion vous encouragera à arrêter de vous tourmenter. L'esprit n'est pas quelque chose de solide, vous n'avez pas à l'empoigner pour le ramener de force. Si vous ne pouvez pas empêcher votre esprit de divaguer, parce que vous êtes trop préoccupés par une question, autorisez-vous à y penser, mais plutôt que d'en explorer sans fin toute la complexité, limitez votre réflexion à cinq aspects de la question, puis quatre, trois, deux, un, et enfin laissez-la sortir complètement de votre esprit.

S'il y a une intense fixation mentale à propos de quelque chose, vous ne pouvez pas en délivrer votre esprit. Détendez-vous à propos de tout ce que vous devez penser. Ne vous énervez pas sur les choses, n'essayez pas de les garder pour vous. Si vous êtes triste, ne vous appesantissez pas dessus et ne restez pas à pleurer.

Pensez plutôt aux avantages d'un esprit calme. Un esprit stable est une bonne base pour une méditation. En vous remémorant ces qualités, vous vous sentirez heureux et inspirés, enthousiasmés par la méditation en reconnaissant son importance et ses bienfaits. Sans un esprit stable, vous ne réaliserez rien.

La somnolence et l'agitation se produisent la plupart du temps chez les débutants. Quand les techniques de méditation sont bien établies, ces deux défauts diminuent d'intensité.

Etre attentif et vigilant

Le point clé est de savoir si l'esprit est stable ou non. Il faut être attentif (le mot tibétain est shes.bzhin) de façon à prendre conscience de la distraction aussitôt qu'elle survient. L'attention permet de se rendre immédiatement compte de ce qui se passe.

Cela est suivi de la vigilance (en tibétain dran.pa). De ce fait, il y a deux esprits, celui qui observe et celui qui est observé. La vigilance permet de ramener l'esprit là où il était avant de devenir distrait.

Soyez attentifs à déceler la somnolence, la tension. . . et rappelez-vous quelles instructions utiliser pour ramener l'esprit à un état clair, brillant.

Apprenez à être conscient de votre esprit tout le temps, même quand

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LE CALME MENTAL

vous n'êtes pas en train de méditer. Que développe votre esprit? Si vous êtes trop rigides dans votre méditation par désir de stabilité,

l'objet peut perdre de sa netteté ou trembloter. Cela n'a aucune importance, il s'agit d'une simple baisse de conscience de l'esprit. Si cela se produit, détendez aussitôt l'esprit pendant un court instant. Ce n'est qu'une réaction nerveuse à la tension mentale.

Comment détendre l'esprit? C'est votre esprit et vous êtes le seul à pouvoir le détendre. Mais ne vous détendez pas trop, sinon vous aurez envie de dormir.

n y a de nombreuses descriptions de supports pouvant être utilisés pour stabiliser l'esprit, mais n'importe lequel suffit à provoquer l'effet recherché. Quand vous acquérez quelque habileté à parvenir au calme, vous pouvez vous amuser avec plusieurs supports pour voir les différents effets que chacun produit sur votre esprit en méditation.

Au début, méditez souvent pendant de courtes périodes de dix minutes de façon à ne pas vous lasser de la méditation. Les débutants trouvent souvent la méditation un peu difficile au début, car ils doivent lutter contre une tendance à l'agitation. Vous dépasserez ce stade en vous asseyant brièvement, mais souvent. Mais ne vous arrê­tez pas là, augmentez peu à peu la durée au fur et à mesure que vous vous accoutumez à cette nouvelle activité, jusqu'à pouvoir méditer des jours durant.

De manière générale, il faut que vous appreniez à être doux avec vous-mêmes. Cela est d'une grande utilité pour l'obtention du calme mental. Tout d'abord il y a une certaine tension à essayer d'être conscient chaque seconde, à se souvenir de ce qu'il convient de faire si l'esprit s'égare, à suivre les instructions, etc. Détendez-vous et soyez doux, humbles et compassionnés, sans avoir l'esprit rusé ni essayer de manipuler la méditation pour votre plaisir personnel.

Méditer sans point de référence

Quand les techniques ci-dessus vous sont devenues familières, essayez de laisser l'esprit s'établir librement et indépendamment, sans utiliser aucun support mental.

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LA PRATIQUE

Essayez jusqu'à ce que vous obteniez un résultat, ne renoncez pas prématurément. Vous saurez que vous avez réussi quand votre clair esprit s'établira naturellement et aisément sur n'importe quel objet donné, sans difficulté, libre de toute somnolence et agitation. Ce calme fondamental se développera ensuite de plus en plus. Pourquoi pas ? Rien n'est là pour l'arrêter.

Ne vous énervez pas à propos de la méditation, les résultats peu­vent ne pas venir très facilement. Et quand ils surviennent, ne vous emballez pas à leur sujet, car cette excitation risque de fausser le résultat.

Sans esprit stable, on crée très facilement du mauvais karma, du fait des causes et conditions passées qui se révèlent comme tendances négatives. Mais quand l'esprit est apaisé, il acquiert une formidable aptitude à la vertu qui sera plus forte que ces tendances et capable de les vaincre.

C'est avec cet esprit tranquille que vous aborderez la pratique du mahamoudra. Autrement, la méditation du mahamoudra est impossible.

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La méditation pénétrante

Le mot tibétain pour cette sorte de méditation est lhaktong, que l'on peut traduire littéralement par vue profonde. Dans ce cas, vue est synonyme de connaissance et n'a rien à voir avec la vision. D'ordi­naire, tout ce que l'on connaît est enveloppé dans la buée de l'esprit confus. La vue profonde est la connaissance sans l'ignorance, puisqu'on utilise la conscience originelle de l'esprit pour voir.

La méditation pénétrante consiste à exercer l'esprit à se connaître de manière plus profonde. Ce niveau de l'esprit est beaucoup plus profond que le niveau normal dont font l'expérience les êtres humains. Lorsque l'esprit parvient à la réalisation totalement développée de sa nature, il se libère de ses névroses. L'esprit ne se laisse plus prendre au piège de l'illusion où il perd tout contrôle de lui-même.

Le travail de la méditation pénétrante est d'amener l'esprit à s'exa­miner plus attentivement.

Mais la vision pénétrante doit se développer sur la base du calme mental, un état dans lequel ni la torpeur ni l'agitation n'affecte l'esprit. Un esprit clair, stable.

Quand on pratique la méditation pénétrante, la première chose à faire est d'examiner ce qu'est fondamentalement l'esprit. Les objets de l'esprit n'ont pas de réalité propre, c'est l'esprit qui leur donne

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LA PRATIQUE

une réalité par suite de l'illusion qui l'habite. Comment l'esprit devient-il confus ? À l'état naturel, il n'y aucune confusion, mais quand cet état naturel essaye de se saisir lui-même - alors que c'est impossible, au même titre que vouloir ne dépendre que de soi -l'esprit se trouble et projette un monde objectif.

Les projections de l'esprit sont possibles du fait que l'esprit lui­même est vide, lucide, non-obstrué, ouvert. S'il parvient à reconnaître sa véritable nature, il n'est plus abusé. La clarté de l'esprit naturel s'élève comme la conscience primordiale. L'esprit peut de nouveau maîtriser ses manifestations plutôt que de se laisser troubler par elles. C'est comme de s'apercevoir que l'on rêve : on peut diriger le rêve plutôt que d'être sous son emprise.

On doit revenir à la conscience primordiale en examinant la réalité fondamentale de l'esprit. Cela nous mènera à la connaissance des choses telles qu'elles sont réellement (en tibétain, ji.lta.ba'i.ye.sbes). Maîtriser les projections de son esprit permet de prendre cons­cience des phénomènes dans leur multiple variété (en tibétain, ji.snyedpai.ye.sbes.).

Tout d'abord, on réalise combien l'esprit est influencé et distrait par les informations qu'il reçoit constamment. Pour cela, il faut cal­mer l'esprit, en l'établissant dans la pleine conscience de lui-même et en essayant de distinguer entre lui et les informations qu'il reçoit. Quand on entend quelque chose, on essaye de séparer l'esprit du son; quand on voit quelque chose, on essaye d'affranchir l'esprit de la forme. Et on se demande : "qu'y-a-t-il là ?"

On découvre que l'esprit est vif, clair et conscient, bien qu'il n'y ait rien là qui puisse être perçu en tant qu'objet. L'esprit est vide et aussi vaste que l'espace ; il est également paisible, car l'agitation mentale due aux informations provenant des objets devient sans nécessité lorsque l'esprit est délivré du piège de la dualité. À la place, il y a un esprit pénétrant, clair et vaste.

Procéder à fexamen de l,esprit

La posture et les méthodes pour éviter la distraction et les vices de méditation sont exactement les mêmes que pour la pratique du

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/.

LA MÉDITATION PÉNÉTRANTE

calme mental. On examine la situation sans dévier, l'esprit concentré en un point.

Ce qui est habituellement appelé "l'esprit" est une suite continuelle de pensées, qui s'arrête seulement lorsqu'on est inconscient ou immergé dans un sommeil très profond. Sinon l'esprit projette sans arrêt des idées qui dépendent des stimuli extérieurs - sons, perceptions visuelles, etc. - ou des souvenirs intérieurs. Même les souvenirs sont composés de scènes, conversations, etc, qui sont toutes basées sur une expérience sensible antérieure. Tout ce à quoi nous pensons dépend donc de quelque chose d'extérieur.

La distraction, c'est l'esprit qui s'empare de ces informations. Néanmoins, se libérer de la distraction ne signifie pas essayer de reproduire l'état d'inconscience. Un esprit libre est un esprit naturel, un esprit qui fait l'expérience de lui-même. Les Orientaux et les Occidentaux ont une idée légèrement différente de la perception. Du point de vue occidental, l'esprit reçoit les informations, alors que du point de vue oriental, l'esprit va à la recherche des informations. Mais cette distinction ne devrait pas faire une grande différence dans notre pratique de la méditation. Toujours est-il qu'il y a interaction et que l'esprit est impliqué. Aucun point de vue ne nie cela.

L'esprit ne peut pas connaître les objets directement. C'est la forme ou la représentation (en tibétain rnampa.) de l'objet qui apparaît dans l'esprit et qui est connue par l'esprit. Ce processus se déroule très vite. En un simple claquement de doigts, s'écoulent 61 instants mentaux. C'est la définition conventionnelle de la vitesse de l'esprit.

Dans un premier temps de la perception, l'esprit se dirige vers l'objet. Dans un second temps, il le saisit. Dans un troisième, la repré­sentation ou l'image de l'objet, mais non l'objet lui-même, apparaît dans l'esprit, et est reconnue.

Mais chaque moment de l'esprit est éphémère, il n'y a pas un esprit unique qui reste là constamment. Prenez l'exemple d'une conversation. Si vous pouviez voir ce qui se passe précisément, vous remarqueriez qu'à chaque fois que la voix change, votre esprit change: De façon plus évidente, remarquez comme votre esprit change quand vous entendez deux voix différentes. L'esprit qui se concentre sur la pre­mière voix et celui qui se concentre sur la seconde voix ne sont pas

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LA PRATIQUE

le même esprit. Si votre esprit restait exactement le même, il ne pourrait absolument pas réagir aux deux voix différentes, la tête vous tournerait. L'esprit est vraiment présent comme un auditeur, mais comment est l'esprit débarrassé de la voix? L'esprit qui entend la voix ne peut pas ETRE la voix, puisque c'est votre esprit et que la voix appartient à l'autre personne. A quoi ressemble l'esprit quand il est séparé de la voix ? Regardez son essence, examinez comment il est réellement.

Si l'esprit est une chose unique, comment fait-il pour entendre des voix différentes ? Est-ce qu'il se tourne d'un côté puis de l'autre comme un visage? Que fait-il quand il n'y a pas de voix à écouter? Quand la voix n'est plus là, qu'advient-il de l'esprit qui la percevait quand elle était là ?

Vous avez un esprit pour chaque mot, chaque syllabe, chaque lettre de l'alphabet, chacun des composants de ces sons complexes. Lors­qu'on n'a pas besoin de tous ces esprits, où sont-ils mis en réserve? S'ils sont rangés et mis en marche seulement quand l'occasion le demande, où se trouvent-ils pour le moment?

La voix rencontre l'esprit pour être entendue, mais comment la voix arrive-t-elle à l'esprit? Vous pensez à quelque chose ou percevez quelque chose, que se passe-t-il vraiment au moment du contact?

Sans objet externe conventionnellement reconnu comme fleur, l'idée "fleur" n'apparaîtra pas dans l'esprit. Comment se fait la relation entre l'esprit et son objet? Comment la fleur vient-elle dans l'esprit? Par où sort l'esprit pour rencontrer la fleur : par l'œil, le cerveau, le doigt?

Au moment où l'information sur l'objet arrive dans l'esprit, l'essence de l'esprit et l'essence de l'objet sont-elles semblables ou différentes? Apparemment, elle ne sont pas semblables, puisque l'objet est l'objet et l'esprit est l'esprit. Mais, en ce cas, comment l'objet peut-il appa­raître dans l'esprit s'ils sont différents en essence ? Examinez le pro­cessus sensoriel de la forme, du son, de l'odeur, du goût et du toucher.

La pensée est l'esprit. Chaque instant de pensée est un instant de l'esprit. La pensée est l'acte de l'esprit, son ouvrage. Les pensées et l'esprit sont-ils semblables ou différents?

Comparez trois instants mentaux: le fait de voir une fleur, de voir

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LA MÉDITATION PÉNÉTRAN7E

un micro, de voir un livre. Sont-ils un et semblables, ou distincts? La pensée créée par un contact peut être "rouge", alors que le contact suivant peut évoquer le "noir". Alors, comment le contact peut-il être le même ? Sinon il resterait "rouge".

Est-ce que tout d'abord émerge l'esprit qui attrape la fleur, puis s'en retourne pour émerger de nouveau et attraper le micro, enfin qui émerge encore pour attraper le livre ? Ou le prédateur est-il tout le temps le même? Est-ce qu'il reste dehors et attrape les trois objets l'un après l'autre, les ramassant et les déposant sans s'en retourner pendant ce temps ?

Lorsque vous méditez, vous devez découvrir comment est vrai­ment l'esprit, en partant de votre propre expérience. Si vous pensez que le cerveau est votre esprit, sans vous poser de question, cela peut être un obstacle à la méditation. Si l'esprit était le cerveau, à chaque instant de perception, le cerveau devrait sortir du corps pour aller à la rencontre de l'objet, ce qui serait très drôle à voir. L'un est substantiel, l'autre non substantiel, comment pourraient-ils être iden­tiques ? Le cerveau et l'esprit ne sont pas identiques, bien qu'ils soient en étroite relation, plus que nos doigts par exemple. On peut dire que le cerveau est l'endroit où l'esprit est "fertilisé".

Tout cela est simple, logique, mais a son utilité pour abattre certains de nos postulats sur la perception.

Dans la méditation, débarrassez l'esprit de ses contacts informatifs et laissez-le reposer dans son état naturel.

Demeurez uniment dans l'état où aucun objet appelé "esprit" n'est trouvé, libre de toutes créations artificielles.

Un esprit non pollué est un esprit qui n'est pas mêlé d'informations perceptives ; un esprit non fabriqué est un esprit que l'on laisse être tel qu'il est. Un tel esprit se réalisera lui-même.

Jouez de cette façon avec l'esprit jusqu'à ce que vous trouviez la vacuité de l'esprit : il n'y a rien, néanmoins il est toujours vif et clai­rement conscient, ce n'est pas un simple espace vide.

C'est précisément parce que l'esprit n'existe pas physiquement ou substantiellement que l'on peut penser autant. L'esprit peut se mettre en rapport avec n'importe quel nombre de stimuli extérieurs. S'il

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LA PRATIQUE

avait une existence substantielle, il ne serait pas du tout adapté pour rencontrer toutes les infonnations venant du monde extérieur. Pensez au nombre d'informations qu'il reçoit en une simple petite heure. Où mettriez-vous tout cela ?

C'est possible parce qu'il est vide d'existence substantielle. Il est également conscient. C'est parce qu'il est conscient qu'il peut en savoir autant. Un esprit sans conscience ne peut~rien connaître.

On parle conventionnellement de l'esprit comme étant clarté vide et non obstruée. Ce sont les qualités de l'esprit.

Vide signifie, nous venons de le voir, que l'esprit n'existe pas dans un sens substantiel, matériel. Clarté fait référence à l'esprit connaissant qui peut par conséquent connaître toute chose. À la place de "non-obstrué", lisez "vaste", ce qui veut dire qu'il peut contenir toute chose. C'est cette vaste étendue non obstruée qui permet à l'esprit d'être si créatif. Quand l'esprit ne parvient plus à rester dans sa vacuité essentielle, cette même vaste clarté est ce qui permet à l'illusion qui en résulte de s'exprimer d'une façon aussi complexe et variée. L'esprit poursuit ses propres projections et perd le contrôle de lui-même. Au lieu de rester autonome, il est gouverné par ses propres informations.

On médite pour redonner à l'esprit le contrôle de lui-même. Si l'esprit ne s'implique pas dans un objet extérieur, il ne devient pas confus. L'esprit est à chaque instant la victime de ses projections. Si, pendant un de ces instants, il peut ne pas dépendre des informa­tions, on s'aperçoit que l'essence de cet instant est vide. On peut alors reconnaître que l'essence de tous les instants est vide.

Il est dit : "l'esprit indépendant est rnahamoudra". Etre indépen­dant ne signifie pas être d'une seule pièce. Lorsque l'esprit est libre de se diriger vers un objet puis un autre, c'est le mahamoudra.

Cette technique de méditation peut s'appliquer même quand l'esprit est agité. Ainsi, peu à peu, toutes les pensées s'éclaircissent et deviennent transparentes.

Lorsque vous procédez à ces investigations sur la réalité fonda­mentale de l'esprit, revenez de temps en temps au calme mental afin que l'esprit ne devienne pas surexcité par votre recherche.

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1 LA MÉDITATION PÉNÉTRANTE

Les résultats acquis

Lorsque vos investigations seront terminées, elles feront naître en vous une profonde certitude sur ce qu'est réellement l'esprit. Etablissez­vous dans cette compréhension autant que vous le pouvez, l'étendant au fur et à mesure qu'elle devient plus stable.

La facilité avec laquelle votre compréhension de la nature de l'esprit se stabilise elle-même dépendra énormément de la manière dont vous aurez exercé votre esprit à pouvoir rester posé lorsque vous pratiquerez le calme mental.

Quelle est la meilleure façon de parvenir à apaiser facilement l'es­prit ? Utilisez la même technique qu'auparavant. A chaque fois que des pensées apparaissent, elles sont limitées aux infonnations qu'elles véhiculent. Appuyez-vous sur la pensée sans suivre ses informations et elle se dissoudra dans la nature de l'esprit. Demeurez ainsi sans aucune création artificielle. Les pensées continuent à se fondre dans l'esprit réel. Lorsque vous demeurez établis dans la certitude pendant que les pensées vont et viennent dans l'esprit, vous réalisez qu'elles sont l'expression de la clarté vide et non-obstruée, et rien d'autre.

Là, par expérience directe, vous découvrirez par vous-mêmes toutes les qualités naturelles de l'esprit.

Une fois que vous serez accoutumés à cette étape de la pratique, vos émotions les plus grossières s'apaiseront, quoique les plus subtiles ne seront pas encore détruites, car elles s'enracinent très profondément.

Suite de l,examen - la pratique principale

Lorsque cette seconde étape vous est devenue tout à fait familière, reprenez vos investigations. Fabriquez délibérément une image dans votre esprit, un immense éléphant par exemple. Examinez l'essence de l'image et l'esprit qui la perçoit.

L'éléphant est-il à l'intérieur de l'esprit ou non? Si l'éléphant n'est pas vraiment dans l'esprit, il doit simplement être le fait de l'imagi­nation de l'esprit. L'éléphant imaginaire est-il l'esprit ou pas, et s'il

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LA PRATIQUE

est l'esprit, comment y est-il parvenu ? La forme de l'éléphant est­elle réellement dans l'esprit ? Si elle n'y est pas, comment l'esprit la représente-t-elle? Recommencez cela pour un son puissant, un par­fum merveilleux, un goût agréable et une sensation délicieuse. Cette troisième étape développera l'habileté de l'esprit.

Au fur et à mesure que s'affermissent votre certitude et votre conviction de la nature de l'esprit, détendez-vous de plus en plus en pratiquant. En même temps que votre confiance se développe, vous vous établissez encore plus confortablement dans la clarté vide de l'esprit, celui-ci n'étant plus influencé par ses projections. C'est lavé­ritable méditation, et plus vous vous familiariserez avec elle, mieux elle s'en trouvera.

Ne soyez pas extrêmes dans l'application des méthodes ci-dessus. Méditez avec l'esprit détendu, mais soigneusement vigilant.

Cette forme de méditation d'investigation doit donner plus de résultats qu'une simple compréhension intellectuelle, sans quoi elle ne comporterait aucune bénédiction. Votre recherche doit se rapporter à votre expérience directe, non à des théories dont vous avez entendu parler ou que vous avez lues.

Utiliser comme pratique les six états émotionnels

Vous pouvez également appliquer vos nouvelles techniques d'in­vestigation et votre clarté toute neuve aux six illusions émotionnelles fondamentales qui sont des impulsions très négatives enracinées dans l'esprit. Cela signifie, d'une part, mettre en pratique votre analyse et votre recherche en toutes sortes de circonstances, c'est-à-dire à chaque fois que ces illusions apparaissent et pas seulement dans la méditation. En réalisant quels sont les défauts de ces émotions, vous réussirez à libérer l'esprit de leur influence.

Le second aspect de la pratique consiste à regarder l'essence de l'émotion pendant la méditation elle-même et à voir sa vraie nature. Evidemment, il est préférable que cela survienne naturellement, mais si rien n'apparaît, recréez volontairement le sentiment.

L'attention et la mémoire jouent également un rôle dans cette pratique. Il faut que vous soyez attentifs à détecter ces illusions

114

LA MÉDITATION PÉNÉTRANTE

émotionnelles quand elles surviennent et à vous souvenir ensuite de ce qu'il faut faire quand l'une apparaît.

Ces six illusions fondamentales sont l'ignorance, la colère, le désir, la jalousie, les vues et le doute. Commençons par la première, puis­qu'elle est toujours présente.

L'ignorance

Il y deux aspects dans l'ignorance ou manque de conscience l'attachement égocentrique lui-même et les pensées produites par l'esprit avide.

Lorsque vous ne méditez pas, réfléchissez aux défauts de l'atta­chement égocentrique. Pensez à la souffrance et aux difficultés dont il est la cause. Pendant votre activité quotidienne, regardez autour de vous et voyez comment chaque personne agit pour elle-même et les intérêts conflictuels qui s'ensuivent.

Pendant la méditation, cherchez dans votre corps, votre parole, votre esprit, le "je" que vous supposez être à la source de toutes vos actions et décisions. Peu importe la rigueur de votre recherche, vous ne trouverez rien ; donc où est ce "je" auquel vous vous accrochez sans cesse ? Continuez à chercher jusqu'à ce que vous atteigniez le désintéressement.

Tournez ensuite votre attention vers l'analyse des concepts et de leurs inconvénients. Dans votre activité quotidienne, entraînez-vous à recon­naître que les pensées ne sont que les illusions d'un esprit confus.

Nous avons vu que chaque pensée est l'effet de la prise de contact entre l'esprit et un objet de perception. L'esprit ignore sa propre pureté, il fait une erreur et engendre une profusion de pen­sées. Il fait sans cesse des distinctions - l'objet est bon ou mauvais, attractif ou repoussant, selon les jugements de l'esprit ignorant. Qu'est-ce qui ne va pas vraiment? Regardez en vous. Observez les effets que ces jugements ont sur les situations autour de vous et le trouble ainsi créé dans l'esprit.

Ensuite, quand vous êtes assis en méditation, arrêtez-vous sur l'es­sence de la pensée. Nous trouvons alors que les pensées n'ont pas d'existence définissable : ni configuration, ni forme, ni couleur. Lorsque

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Page 58: 2 Visages de l'Esprit

LAPRA11QUE

l'esprit est entraîné vers un objet, nos pensées semblent presque tangibles. Si nous regardons une plante, nous nous mettons à penser qu'il est temps de changer son pot, de l'arroser ou de la nourrir. Du fait de notre implication, nos idées semblent très solides mais lorqu'on regarde directement l'essence de la pensée, il n'y ~ rien. Etablissez-vous dans cette essence. Faites cela à chaque fois qu'une pensée apparaît.

La colère

Faites ensuite la même chose pour la seconde illusion émotion­nelle, la colère.

Commencez par apprécier les défauts de la colère. Voyez com­bien on est malheureux d'être en colère. Le comble est que nos ré­actions coléreuses mettent les autres en colère. L'esprit s'excite, créant un environnement propice à l'apparition de toutes les autres émotions. La société elle-même s'agite. Poursuivez votre investiga­tion et vous découvrirez sans nul doute d'autres défauts de la colère.

Dans la méditation, regardez l'essence du sentiment de colère et posez l'esprit dessus. Exercez-vous. Si aucune pensée de colère n'apparaît au bout d'un moment, créez-en.

Le désir-attachement

Cette illusion est très subtile. Elle a une apparence agréable, mais elle vous précipite peu à peu dans le malheur. Observez soigneusement ses défauts. Voyez comment elle implique la colère et la jalousie, comment elle agite l'esprit d'une ambition anxieuse. Même lorsque vous obtenez ce que vous désirez, le contentement vous échappe, vos désirs ne peuvent jamais être satisfaits. C'est comme une dé­mangeaison. Se gratter soulage momentanément, mais bientôt la démangeaison se remanifeste.

Observez l'esprit qui désire, lorsqu'il est à l'œuvre dans vos ac­tions quotidiennes, jusqu'à ce que vous preniez conscience de tous ses défauts ; examinez ensuite son essence comme on l'a expliqué auparavant.

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LA MÉDITA110N PÉNÉTRANTE

L'orgueil jaloux

L'orgueil et la jalousie sont en étroite relation. L'orgueil est le sens de sa propre importance et c'est ce qui fait que l'on est jaloux des autres. L'orgueil rend peu convaincant aux yeux des autres. Puisque vous n'êtes pas prêts à voir vos propres défauts, aucune qualité ne peut s'épanouir en vous.

La jalousie est une puissante combinaison de colère et d'orgueil, une très lente agonie. C'est ressentir de la colère envers les autres sans aucune raison. n peut y avoir une cause à la colère - la personne vous a peut-être irrité -mais il n'y en a pas dans le cas de la jalousie. Son côté tout à fait déraisonnable la rend hautement immorale. Quelqu'un acquiert fortune et renommée, mais même s'il ne vous a jamais rien fait, votre esprit n'est jamais en paix quand vous pensez à lui. La jalousie est un ennemi très complexe qui détruit tout. On peut également la voir à l'œuvre dans la société.

Réfléchissez attentivement aux défauts de ces illusions mentales ; regardez ensuite leur essence dans le calme de la méditation.

Les vues

Les vues sont les idéaux que nous nous fabriquons. Deux zones de notre vie sont tout particulièrement gouvernées par ces vues : la politique et la religion. Des vues insensées peuvent tout détruire. Par exemple, la religion peut dégénérer en culte de nos propres créations intellectuelles.

La cause en est l'ignorance, étroitement associée à l'orgueil.

Les vues spirituelles insensées abondent : "je peux devenir divin et saint, j'ai le pouvoir de soigner les autres, je peux les diriger avec cette force et faire qu'ils m'obéissent".

L'intention est d'aider les autres, mais la compassion ici est mélangée d'orgueil. n peut arriver que quelqu'un avec une telle idée semble réellement guérir les autres avec sa force imaginaire, mais ce n'est en fait que pure coïncidence. Cependant, cela donne à une telle personne confiance en ses aptitudes et renforce son idée.

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Page 59: 2 Visages de l'Esprit

~.

LAPRATJQUE

Beaucoup de désastres religieux et politiques présents et passés ont eu lieu à cause de cette illusion. Il faut être conscient des défec­tuosités de ces vues.

Si notre opinion n'est pas spontanée, mais fabriquée par notre esprit ignorant sous l'influence des émotions, nous ne parviendrons jamais à une vue correcte et parfaite. Ces vues erronées peuvent non seulement nous induire nous-mêmes en erreur, mais d'autres personnes également.

Si l'on examine une vue de près avant de l'accepter, on peut détermi­ner si elle est absolument pure ou non. Une vue parfaite ne doit pas être basée sur des productions émotionnelles. Si notre vue est une méthode pour vaincre les émotions, c'est alors une vue acceptable.

Si vous voulez en savoir plus sur les vues défectueuses, il faut consulter les ouvrages des maîtres bouddhistes en philosophie et apprendre à débattre et à les analyser en utilisant la logique. Vous serez alors en position de juger et de critiquer les vues et les théories avancées par les autres.

Pleinement conscients du mal que causent les vues partisanes, asseyez-vous et examinez leur essence pendant la méditation. Ces ~onvictions sont de simples concepts qui n'ont aucune réalité propre, il n'y a donc aucune raison que l'esprit en soit incommodé.

Le doute

Cette illusion est ce qui provoque les moments où vous êtes har­celés par le doute. "Suis-je en train de méditer correctement ou non? L'état de bouddha existe-t-il ou non? Ma pratique spirituelle va-t-elle réellement me conduire quelque part ?"

Ne vous fiez pas à vos doutes. Vous n'avez jamais trouvé quelque chose de vraiment valable par vous-mêmes, donc ne vous écoutez pas maintenant. Si vous consolidez vos doutes et les suivez, ils vous égareront. Ils ne sont dus qu'à votre propre ignorance et à votre manque de compréhension. Faites confiance aux méthodes que l'on vous a enseignées et continuez à les suivre.

Le doute est admissible pendant l'étude, afin de remettre les choses en question jusqu'à s'être fait une idée complète, mais il est tout à

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LA MÉDfl'ATJON PÉNÉTRANTE

fait inapproprié dans la méditation. Le doute qui surgit pendant la pratique survient sans raison. Soudain le méditant est empli de doute résultant de ses actes passés. C'est une des expériences éprouvées par les méditants et on ne doit y prêter aucune attention.

S'il doit survenir, examinez ses défauts jusqu'à en être persuadés. Ensuite, examinez l'essence véritable du doute que vous éprouvez, exactement comme vous l'a':..ez fait pour les illusions précédentes.

On tire un double bénéfice de cette pratique. On devient parfaite­ment conscient de tous les défauts de ces six émotions et on appro­fondit· également sa propre expérience de l'état essentiel. Tout découragement que vous pourrez tout d'abord ressentir à devoir penser à tous ces défauts s'estompera quand vous demeurerez dans l'essence de l'illusion : dans l'immense profondeur de la réalité natu­relle de l'esprit.

Vous pouvez également utiliser cette pratique pour améliorer la qualité de votre amour et de votre compassion. Il n'y a bien sûr aucune nécessité d'examiner leurs défauts, puisque l'amour et la compassion ne doivent pas être abandonnés, mais développés. Mais ils doivent être libres d'attachement. En regardant l'essence tout d'abord de l'amour, puis de la compassion, vous découvrirez qu'ils sont semblables. Vous avez créé un esprit aimant et plein de compassion, là vous verrez son essence vide et ainsi vous vous affranchirez de toute tentation de le saisir.

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Page 60: 2 Visages de l'Esprit

Expériences

Conseils à propos des expériences

La description ci-dessus est une clé pour les plus importantes méthodes de méditation. Mais la méditation est un processus très complexe. Chaque personne a sa propre personnalité et son caractè­re, son propre méli-mélo d'émotions, et la pratique détaillée de la méditation doit être taillée sur mesure pour répondre aux besoins personnels, même si d'une façon générale les- mêmes étapes seront franchies.

Pendant la méditation, il y aura toutes sortes de sentiments et d'expériences qui nécessiteront un traitement adapté, surtout en ce qui concerne la méditation pénétrante. Et c'est pour cette raison qu'il faut rechercher l'aide d'un enseignant qualifié.

Dans le bouddhisme, il y a beaucoup de domaines spécifiques et les enseignants tendent à se spécialiser parfaitement en l'un d'eux seulement. Vous avez besoin d'un maître de méditation qualifié et expérimenté, non d'un expert en philosophie ou en. rituel. Plus pré­cisément, les méthodes enseignées dans ce livre appartiennent au chemin de la méditation du mahamoudra qui est la spécialité de la lignée Kagyu. C'est donc à l'intérieur de la tradition Kagyu que vous trouverez le guide dont vous avez besoin. Tous les monastères ou les instituts Kagyu reconnus ont un maître désigné de méditation qui est qualifié et digne de confiance.

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Page 61: 2 Visages de l'Esprit

LA PRATIQUE

Les expériences méditatives

Voici toutefois, rapidement passées en revue, quelques-unes des expériences que vous pouvez avoir en méditant. Il y a trois sortes de sensations : celles qui ont trait à la félicité, celles qui sont issues de la clarté, et celles créées par un esprit vide ou libre de concepts.

La félicité

Lorsque l'esprit est vraiment envahi par une expérience de félicité, le corps la ressent également. Tout d'abord, cette expérience est ternie par l'émotion, mais ensuite la félicité libre-de-toute-émotion emplit le corps entier. Que ressent-on ? Quand l'esprit est tranquille, le corps se sent parfaitement bien et souple. La réaction immédiate est d'en jouir et de s'y attacher, mais au fur et à mesure que vous pour­suivrez votre méditation dans l'attitude correcte, cela sera supplanté par une profonde sensation de joie affranchie d'attachement.

Cette expérience donne à l'esprit l'impression de ne jamais devoir s'en lasser. D'ordinaire, notre bonheur est créé par des conditions extérieures, dont l'esprit peut se fatiguer. Mais lorsqu'il expérimente sa propre quiétude issue de lui-même, il ne s'en lasse jamais. De nouveau, il y a tout d'abord un attachement qui se crée, mais au fur et à mesure que votre capacité à méditer correctement augmente, l'attachement diminue et cette sensation devient de plus en plus détendue et naturelle.

Pourquoi manifestons-nous un si fort attachement au bien-être physique et mental ? C'est une habitude de tous les instants de toute façon. Quand de telles sensations surviennent pendant la médita­tion, elles font remonter la mémoire de notre attachement habituel. Mais en appliquant la technique de la méditation pénétrante à ces expériences, on écarte la tendance à s'y attacher.

Regardez directement la félicité qui apparaît dans l'esprit. Quand celui-ci ne s'implique pas dans cette sensation, elle disparaît et reste la réalité de la félicité qui ne ressemble à aucune autre impression. Cette réalité est inimaginable en ce moment, parce que vous n'avez pas un esprit pouvant la concevoir.

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EXPÉRIENCES

La clarté

La clarté dont on parle est la lucidité consciente expérimentée par les cinq sens et la faculté mentale. Elle survient parce que le calme paisible dans lequel se trouve l'esprit fait que les organes des sens deviennent très sensibles.

Quels effets cela a-t-il ? La plupart des personnes ont des manifes­tations visuelles ou auditives plutôt que celles d'autres sens. Cela ne signifie pas que votre vue par exemple s'améliore, mais plutôt que les sens sont impliqués dans des informations imaginaires. Vos yeux sont ouverts, mais vous voyez des choses que vous savez ne pas appartenir à l'environnement que vous regardez. Vous pouvez vous mettre à entendre des sons que vous savez ne pas avoir de source spécifique. N'en soyez pas troublés, cela n'a aucune espèce d'impor­tance. C'est simplement un effet de l'esprit qui s'éclaircit.

On peut aussi l'éprouver comme clarté mentale : dès qu'une pensée apparaît, vous en êtes aussitôt conscients. Vous ne ratez aucun instant du bavardage des pensées, la reconnaissance est auto­matique. Vous dormez peu et votre sommeil est très clair, vous savez que vous dormez.

Comme pour la félicité, examinez la réalité fondamentale de toutes ces expériences sensorielles, reconnaissez-les pour n'être que des pensées.

La vacuité

Une fois reconnues les expériences de félicité et de clarté comme habitudes mentales et, en ne vous attachant ni à elles ni aux mani­festations qu'elles produisent grâce à l'examen de leur réalité fonda­mentale, elles s'évanouiront et seront remplacées par un état d'esprit non-conceptuel.

En fait, les pensées continuent de survenir, mais elles se dissol­vent instantanément en la vacuité dans laquelle vous êtes immergés. Là encore, l'influence de la mémoire joue. Vous avez une sensation de vacuité, vous vous dites : "Tout est vide". Mais cette assertion est un simple concept. Examinez la vraie nature de cette sensation en utilisant la méditation pénétrante.

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Page 62: 2 Visages de l'Esprit

LA PRATIQUE

Les expériences méditatives

Voici toutefois, rapidement passées en revue, quelques-unes des expériences que vous pouvez avoir en méditant. Il y a trois sortes de sensations : celles qui ont trait à la félicité, celles qui sont issues de la clarté, et celles créées par un esprit vide ou libre de concepts.

La félicité

Lorsque l'esprit est vraiment envahi par une expérience de félicité, le corps la ressent également. Tout d'abord, cette expérience est ternie par l'émotion, mais ensuite la félicité libre-de-toute-émotion emplit le corps entier. Que ressent-on ? Quand l'esprit est tranquille, le corps se sent parfaitement bien et souple. La réaction immédiate est d'en jouir et de s'y attacher, mais au fur et à mesure que vous pour­suivrez votre méditation dans l'attitude correcte, cela sera supplanté par une profonde sensation de joie affranchie d'attachement.

Cette expérience donne à l'esprit l'impression de ne jamais devoir s'en lasser. D'ordinaire, notre bonheur est créé par des conditions extérieures, dont l'esprit peut se fatiguer. Mais lorsqu'il expérimente sa propre quiétude issue de lui-même, il ne s'en lasse jamais. De nouveau, il y a tout d'abord un attachement qui se crée, mais au fur et à mesure que votre capacité à méditer correctement augmente, l'attachement diminue et cette sensation devient de plus en plus détendue et naturelle.

Pourquoi manifestons-nous un si fort attachement au bien-être physique et mental? C'est une habitude de tous les instants de toute façon. Quand de telles sensations surviennent pendant la médita­tion, elles font remonter la mémoire de notre attachement habituel. Mais en appliquant la technique de la méditation pénétrante à ces expériences, on écarte la tendance à s'y attacher.

Regardez directement la félicité qui apparaît dans l'esprit. Quand celui-ci ne s'implique pas dans cette sensation, elle disparaît et reste la réalité de la félicité qui ne ressemble à aucune autre impression. Cette réalité est inimaginable en ce moment, parce que vous n'avez pas un esprit pouvant la concevoir.

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EXPÉRIENCES

La clarté

La clarté dont on parle est la lucidité consciente expérimentée par les cinq sens et la faculté mentale. Elle survient parce que le calme paisible dans lequel se trouve l'esprit fait que les organes des sens deviennent très sensibles.

Quels effets cela a-t-il? La plupart des personnes ont des manifes­tations visuelles ou auditives plutôt que celles d'autres sens. Cela ne signifie pas que votre vue par exemple s'améliore, mais plutôt que les sens sont impliqués dans des informations imaginaires. Vos yeux sont ouverts, mais vous voyez des choses que vous savez ne pas appartenir à l'environnement que vous regardez. Vous pouvez vous mettre à entendre des sons que vous savez ne pas avoir de source spécifique. N'en soyez pas troublés, cela n'a aucune espèce d'impor­tance. C'est simplement un effet de l'esprit qui s'éclaircit.

On peut aussi l'éprouver comme clarté mentale : dès qu'une pensée apparaît, vous en êtes aussitôt conscients. Vous ne ratez aucun instant du bavardage des pensées, la reconnaissance est auto­matique. Vous dormez peu et votre sommeil est très clair, vous savez que vous dormez.

Comme pour la félicité, examinez la réalité fondamentale de toutes ces expériences sensorielles, reconnaissez-les pour n'être que des pensées.

La vacuité

Une fois reconnues les expériences de félicité et de clarté comme habitudes mentales et, en ne vous attachant ni à elles ni aux mani­festations qu'elles produisent grâce à l'examen de leur réalité fonda­mentale, elles s'évanouiront et seront remplacées par un état d'esprit non-conceptuel.

En fait, les pensées continuent de survenir, mais elles se dissol­vent instantanément en la vacuité dans laquelle vous êtes immergés. Là encore, l'influence de la mémoire joue. Vous avez une sensation de vacuité, vous vous dites : "Tout est vide". Mais cette assertion est un simple concept. Examinez la vraie nature de cette sensation en utilisant la méditation pénétrante.

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1 . .

~­~

LA PRATIQUE

Cette technique est connue sous le nom de "appliquer la pleine conscience (sbes.rab.) aux expériences de méditation".

Si elle est utilisée dès que la félicité apparaît, vous ne développerez aucune accoutumance à la félicité duelle. Celle-ci n'a aucune in­fluence sur vous, car vous savez qu'elle ne possède aucune essence. Lorsque vous éprouvez la clarté, il se peut que vous vous mettiez _à penser: "Ces visions sont un bon signe; qu'il est bon d'avoir l'esprit suffisamment clair pour voir et être conscient de toutes les pensées". Cela conduira à l'agitation. Mais si vous utilisez la technique de la pleine conscience quand cela apparaît, vous réaliserez que la clarté n'est rien d'autre qu'une idée, et la vague se dissoudra une fois de plus dans l'océan.

Affirmer la vacuité sur la base d'une simple expérience de l'esprit libre de concepts peut vous rendre partial et vous faire tomber dans le nihilisme, en commençant à nier l'existence de toute chose. Il y a vacuité, c'est vrai, mais il y a aussi à chaque instant l'esprit vivant qui se connaît lui-même. Appliquer la pleine conscience à votre idée de "c'est vide" et l'esprit déploiera sa toile de moments de conscience interconnectés.

Ces expériences de clarté, félicité et vacuité surviennent tout d'abord quand l'esprit éprouve sa propre quiétude. Au fur et à mesure que l'attachement à ces expériences diminue, détruit par l'application régulière de la pleine conscience, c'est leurs contre-parties véritables qui apparaîtront. Celles-ci sont tout à fait inimaginables pour l'instant et ne ressemblent absolument pas aux sensations qu'elles remplacent. Elles indiquent la voie de la vue et continueront pendant tout le chemin vers l'éveil.

En attendant, sortez de l'expérience, analysez-la et elle vous mènera à l'essence de l'esprit.

Ces quelques brèves explications ne veulent pas dire que vous pouvez vous dispenser de conseils individuels. Vous devez consulter un enseignant qualifié possédant une connaissance générale correcte du sujet.

La méditation peut signifier beaucoup de choses différentes -pour certains, la méditation a beaucoup à faire avec des visions, des

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EXPÉRIENCES

sensations et des mystères. Le mahamoudra n'est pas comme cela . c'est un cours systématique de formation, logique et rationnel. '

Vous pouvez apprendre beaucoup au sujet de la méditation dans les livres, mais vous aurez toujours besoin qu'un enseignant vous donne des conseils vous correspondant personnellement.

Les li~es ne peuvent pas faire état de chaque détail des problèmes rencontres par chaque t)Te d'individu à chaque étape du chemin. Les gens sont trop différents. Dans les livres, on trouve seulement les méthodes générales. Je vous recommande fortement de lire "Les rayons de lune du mabamoudra" si vous désirez une étude détaillée du chemin du mahamoudra.

La traduction anglaise (1) est un peu savante et certains d'entre vous la trouveront peut-être difficile à suivre, mais néanmoins c'est une bonne chose que ce livre ait été traduit. Par contraste cet ou­vrage est plus une clé pour la méditation, et bien que co~rt, vous pourrez trouver qu'il a une approche plus pratique.

(1) "Ma~amudra, the quintessence of mi nd and meditation" Lobsang P. Lhalung-pa, publzshed by Shambala. '

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Page 64: 2 Visages de l'Esprit

Le mahamouâra et l'union innée

Des quatre écoles bouddhistes tibétaines, l'école Kagyupa est celle qui met le plus l'accent sur la méditation. C'est la lignée qui véhicule l'enseignement de Milarépa, son talent dans cette prati­que préservée sans endommagement.

Les Kagyupa pratiquent le mahamoudra, les Nyingmapa le maha­ati, mais en réalité c'est la même chose et seuls les termes diffèrent.

Le mahamoudra

Que signifie le mot mahamoudra ? Littéralement, maha veut dire grand, indiquant que cette méthode de méditation est la plus haute et la plus bénéfique. Moudra, comme beaucoup de mots sanscrits, a plusieurs significations. Parfois, il veut dire sceau, parfois acte, parfois signe. Dans ce contexte, il signifie sceau, le sceau d'approbation du Bouddha, sa garantie que rien ne peut transcender cette méthode, qu'il n'y a rien de plus profond ou de meilleur la surpassant.

La tradition Kagyupa reconnaît trois sortes de mahamoudra, qui correspondent aux besoins et aux capacités des différentes personnes.

La première utilise une approche philosophique, car elle est étroi­tement liée au Madhyamika, le point de vue du grand véhicule. C'est une manière d'accéder au mahamoudra paisiblement et gra­duellement.

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Page 65: 2 Visages de l'Esprit

LA PRATIQUE

La formation commence par l'entraînement au calme mental, d'abord en utilisant une image mentale, puis sans, l'esprit demeurant en lui-même. On poursuit par la méditation d'investigation, utilisant de façon répétée la conscience intelligente de l'esprit pour examiner la vraie réalité de la situation. Ensuite, le lama montre la nature de l'esprit au disciple quand il sait que celui-ci est en état de reconnaî­tre ce qu'on lui montre. Cela peut se faire après quelques mois de pratique, ou quelques années. Cette méthode du mahamoudra est basée sur les soutras mahayana et constitue une voie lente mais sûre pour parvenir à l'éveil.

Il existe une autre forme de mahamoudra issu des soutras, qui est l'exclusivité de l'école Kagyupa et fut présentée par Gampopa. Celui­ci montra comment associer soutra et mahamoudra en un chemin très direct, en s'affranchissant des restrictions imposées au pratiquant de la voie tantrique qui doit préserver une multitude d'engagements sacrés (samayas).

L'enseignement originel du Bouddha sur ce sujet est enregistré dans le Samadhirajasutra. On peut y lire comment le Bouddha prédit la venue de Gampopa qui présenterait et répandrait cette méthode exactement, conduisant ainsi des milliers d'êtres vers l'éveil.

Plus tard, lorsque Gampopa commença à enseigner cette _voie, on dit que même les daims sortirent de la forêt, se couchèrent à terre et écoutèrent, comme ils le firent lorsque Shakyamouni enseigna pour la première fois dans le Parc aux Gazelles.

Le second type de pratique du mahamoudra se rapporte spécifi­quement aux tantras. On reçoit l'initiation, on médite sur le corps de la divinité et son mandala, et on récite son mantra. L'esprit est puri­fié et transformé par ces symboles créés mentalement, ce qui conduit à des pratiques telles que les six yogas de Naropa, qui sont conçues pour achever cette transformation et ont pour résultat la reconnaissance du mahamoudra.

Cela correspond aux méthodes de méditation treg-tcheu et tcheu-gal du maha ati.

La troisième sorte de mahamoudra est le mahamoudra essentiel, et n'a rien de commun avec aucune des deux précédentes.

Dans la voie du Madhyamika, un examen approfondi établit une

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i .1

LE MAHAMOUDRA ET L'UNION INNÉE

confiance stable dans l'esprit du pratiquant, qui conduit celui-ci à la compréhension du mahamoudra. Dans le mahamoudra tantrique, le pratiquant s'en remet à des méditations sur des déités et à des prati­ques yogiques. Mais ici rien de tel n'est nécessaire.

L'enseignant est éveillé et le disciple est prêt à s'éveiller. C'est la reconnaissance directe de l'esprit par l'esprit, celui-ci méditant direc­tement sur le résultat plutôt que de traverser de nombreuses étapes. Le disciple peut reconnaître son esprit et ses manifestations sans dépendre d'aucune des méthodes précédentes, simplement parce que quelqu'un le lui montre : en cet instant, son intelligence éveillée reconnaît ce qui lui est montré. Pour certains, la reconnaissance est instantanée.

Le mahamoudra essentiel a été enseigné par Saraha dans son "Trésor de chants", et par Tilopa et Milarépa. C'est une méthode très profonde, supérieure à tout autre. On trouve l'équivalent dans l'au­delà-de-l'intellect (blo. 'das.) du maha-ati et dans les pratiques des phénomènes-qui-s'épuisent ( chos.zad).

Ces trois aspects du mahamoudra en font une voie très habile, car elle permet que même une personne aux qualités spirituelles très peu élevées soit peu à peu conduite vers les niveaux plus profonds de la pratique.

S'unir à l'inné

La réalisation du mahamoudra est aussi connue comme l'union in­née (lhan.cig.skye.'byor), ce qui signifie que l'on apprend à unir son esprit avec la réalité innée.

On découvre la réalité innée en trois aspects de l'expérience présente : la réalité innée de l'esprit, celle des pensées et celle de la manifestation.

La réalité innée de l'esprit

Ceci fait référence à l'essence véritable de l'esprit qui est présente en chaque instant de l'esprit, raison pour laquelle on la qualifie d'innée. Cette essence n'est pas une forme, un son, une odeur, une

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Page 66: 2 Visages de l'Esprit

LA PRATIQUE

saveur ou un contact ; elle n'a pas de couleur, elle n'est ni agréable ni désagréable. Elle n'est ni matérielle ni solide, c'est juste une grande clarté vide et connaissante.

La réalité innée de la manifestation

Parce que l'esprit est sans entrave, il peut projeter toutes sortes de choses, organisant un grand spectacle. Mais ses manifestations sont fondamentalement irréelles. On peut facilement reconnaître cette tendance de l'esprit lorsqu'on rêve. La faculté dépourvue d'entrave de l'esprit fait que l'on trouve des maisons, des personnes, des riviè­res, des montagnes des rochers, des arbres, etc. : tout est possible dans un rêve. Cependant la montagne dans le rêve n'est pas une montagne réelle, mais l'esprit lui-même.

La même chose s'applique au monde dans lequel vous vous trouvez à l'état de veille. Aussitôt nés comme êtres humains, vous vous êtes mis à penser, à parler et à voir les choses comme un être humain. Votre esprit communique avec le monde humain. Mais, de lui-même, ce monde n'a pas de réalité intrinsèque qui le distingue de l'esprit qui communique avec lui. Tout est seulement la manifes­tation de l'esprit, et n'a par conséquent pas plus de réalité qu'un rêve. Telle est la réalité innée de la manifestation.

La réalité innée de la pensée

La pensée se situe entre l'esprit qui est à l'intérieur et son illusion à l'extérieur. C'est la communication de l'esprit, la réponse qu'il apporte à l'information qu'il reçoit de ses propres manifestations. Les pensées sont en constant mouvement, leur nombre correspondant au nombre de contacts qu'a l'esprit avec le monde projeté extérieu­rement. Mais les pensées elles-mêmes n'ont aucune réalité indépen­dante, elles sont comme des bulles d'eau, apparaissant fugitivement du fait des conditions, et repartant ensuite de la même façon lorsque les conditions changent.

Si l'on examine l'essence de la pensée passagère, on trouve la clarté vide et inobstruée de l'esprit. L'essence de la pensée est l'essence de l'esprit. Telle est la réalité innée de la pensée.

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LE MAHAMOUDRA ET L'UNION INNÉE

L'union au monde signifie que l'on doit s'unir à la réalité innée affirmée dans les trois cas ci-dessus. La plus importante est l'union avec la réalité innée de l'esprit. Une fois que celle-ci est réalisée, les deux autres ont lieu automatiquement et naturellement.

Cela signifie qu'il faut maîtriser le véritable esprit - cette clarté vide non-obstruée. Ainsi, lorsqu'il se projette, on le suit et l'on devient capable de réagi.!: aux informations confuses qu'il donne. Il faut apprendre à reconnaître la réalité naturelle de l'esprit, et lors­qu'on y parvient, "l'esprit" devient "conscience originelle".

L'esprit ne doit être ni borné et somnolent, ni agité et sauvage. Il demeure lui-même, et non quelque chose fondé sur les informations reçues de l'extérieur. Etablissez-vous naturellement dans le véritable esprit et regardez-le simplement, détendu. Ne le forcez pas à rester tranquille en utilisant des moyens artificiels ou agressifs. Toutes les pensées grossières et subtiles disparaîtront d'elles-mêmes. Lorsqu'elles sont parties, l'esprit se reconnaît mais ne fait pas de saisie sur lui­même. C'est le début de l'union innée.

Une fois que vous pouvez y rester sans perturbations, cette quali­té de l'esprit devient d'elle-même de plus en plus claire. Son déve­loppement est sans limite ; on ne peut pas dire à un moment : "Maintenant, je suis parvenu au bout". On ne peut l'exprimer avec des mots ou en donner un exemple, car rien en ce monde n'y res­semble. Aucune bouche humaine n'est capable d'exprimer son déploiement infini.

Aussi longtemps que l'esprit s'impliquera dans ses manifestations, diverses pensées seront stimulées par les objets à l'extérieur : agréables et désagréables, colère, attachement et indifférence, grandes et petites. Les pensées sont l'esprit, mais ressemblent à des bulles dans l'eau.

Pour vous unir à la réalité innée de la pensée, commencez par formuler une pensée particulièrement évidente, facile à reconnaître. Par exemple : 'Je souhaite avoir beaucoup d'argent ... " Regardez-la directement. Continuez à la regarder. Regardez son essence. Si vous ne le faîtes pas, l'attachement provoquera la multiplication apparente de la pensée et son changement de forme, plusieurs pensées complémentaires apparaissant autour du même sujet. Mais si vous

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LA PRATIQUE

regardez l'essence de l'idée de posséder un million de dollars, elle se changera en l'esprit. La pensée est transformée en essence de clarté vide. La bulle se dissout dans l'eau, signifiant vraiment que la bulle est devenue eau.

Comment cela se produit-il ? La pensée qui s'est formée et l'esprit partagent les mêmes qualités. Vous n'avez pas détruit cette idée ; vous avez pénétré sa nature. Vous n'avez pas apporté ces qualités pour les adapter à la pensée, vous n'avez pas détruit la pensée pour la remplacer par ces qualités : la pensée possède naturellement ces qualités, et vous vous êtes introduits dans leur réalisation.

Si vous vous habituez à faire cela, chaque pensée deviendra le dharmakaya, la sphère de la réalité ultime. Si l'on n'a pas consciénce des pensées, elles restent un océan d'existence cyclique, tournoyant constamment et nous distrayant. Mais si l'on réalise la vraie nature d'une pensée, pourquoi ne pas faire de même pour toute la chaîne des pensées ? Dans l'école Kagyupa, telle est la méthode du maha­moudra pour devenir bouddha en un seul instant, si l'on a cette chance.

C'est la plus difficile des trois, mais lorsqu'on a réalisé la réalité innée des pensées, on réalise facilement la nature-de-l'esprit de la manifestation. Il est enseigné que la manifestation n'est que l'esprit et que rien n'existe indépendamment de l'esprit, mais lorsqu'on mé­dite, il est vain et douloureux de réaliser cela à partir de la manifes­tation présente, à moins que l'on ait déjà réalisé la réalité innée à la fois de l'esprit et de la pensée. Lorsqu'on est pleinement conscient de la nature de l'esprit et de la pensée, on réalise comment l'esprit projette ses manifestations et en fait l'expérience.

Ce sont de très brèves instructions, mais elles constituent une clé très utile pour ouvrir la porte du mahamoudra.

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LE MAHAMOUDRA ET L'UNION INNÉE

Quatre conseils Je terminerai par quatre maximes traditionnelles qu'il est bon de

garder en l'esprit lorsqu'on pratique :

Ne vous fiez pas aux personnes connues, fiez-vous au dharma.

Si vous avez tendance à vous laisser tout d'abord impressionner par une personne et à placer le dharma au second rang, vous ren­contrerez le mauvais enseignant. Choisissez quelqu'un qui connaît le dharma. Si vous donnez la première importance au dharma, vous rencontrerez le bon enseignant.

- Ne vous fiez pas aux mots, fiez-vous à leur signification.

il existe beaucoup de textes longs et savants tels que l'Abhidharma, et certaines personnes se contentent d'en apprendre le contenu par coeur, et même font étalage de leurs talents. Un tel savoir n'est pas mauvais en lui-même, mais la signification est plus importante que les mots. Un enseignant qui n'a accompli aucune pratique peut expliquer le dharma, mais il serait bien plus profitable pour lui de le pratiquer. Sans connaissance de la signification, on ne deviendra jamais un bouddha.

- Ne vousfiezpas au sens simplifié,fiez-vous au vrai sens.

Dans certains de ses enseignements, le Bouddha a exposé une version simplifiée de la réalité, destinée à ceux qui sont incapables d'accepter la vraie vérité. Par exemple, il y a des soutras dans les­quels il a déclaré que les choses existent par convention, car certains de ses disciples ne pouvaient alors accepter l'idée de la vacuité absolue de tous les phénomènes. Même dans le vajrayana, on trouve ces deux niveaux : l'emploi du symbolisme créatif (kye-rim) est la réalité simplifiée, alors que la perfection de ce symbolisme (dzog-rim) est la vraie réalité. Allez au vrai sens quand c'est possible.

- Ne vous fiez pas à la conscience fragmentaire, fiez-vous à la conscience originelle.

C'est le sujet de cet ouvrage. Vous savez maintenant précisément quelles sont ces deux consciences et comment méditer de façon à ce que l'esprit change de façon d'être!

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Glossaire

Les définitions font référence au traité et n'excluent pas d'autres significations relatives à des contextes différents.

accumulation: (l'accumulatio:q pe~mérite) elle est réalisée par l'accu­mulation d'actes bénéfiques au niveau relatif. Elle crée les conditions favorables pour l'accumulation de sagesse non référentielle au-delà des notions de sujet, d'objet et d'acte. Celle-ci s'accomplit par l'absorption méditative. La nature de l'accumulation de mérite est compassion, la nature de l'accumulation de sagesse est vacuité, de la réunion des deux résulte l'éveil.

· actes : (karma) loi des actes, ou loi de la causalité. Fondement de la doctrine bouddhiste qui considère l'enchaînement des causes et des effets comme. le mode de fonctionnement de toute manifestation. Le conditionnement éprouvé par un individu résulte de ses actes antérieurs, son devenir est déterminé par son comportement. présent. C'est l'acte qui est à la fois cause et résultat.

actions vertueuses et non-vertueuses : actes qui déterminent respectivement une expérience ultérieure de bonheur ou de souffrance. Les dix actions vertueuses sont la base de l'éthique bouddhiste. Elle consiste à s'abstenir des dix actes non­vertueux : tuer, voler, l'inconduite sexuelle, tromper, mentir, les paroles dures, les paroles futiles, l'envie, la malveillance, les vues erronées.

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Page 69: 2 Visages de l'Esprit

LES DEUX VISAGES DE L'ESPRIT

activité : (terme honorifique en langue tibétaine) expression natu­relle et spontanée de la bouddhéité, l'activité éveillée qui accomplit le bienfait des êtres.

alaya vijnana (conscience base de tout): nom de la conscience de base, support de l'identification illusoire au "moi" et de la saisie dualiste.

aliénation: état de dépendance de l'esprit, soumis à l'influence des projections mentales confuses.

apparence : synonyme de manifestation. Tout le champ de l'expé­rience perçu par l'esprit (mondes, êtres, situations) doit être compris comme la projection de l'esprit lui-même.

arhat: destructeur de l'ennemi. Nom donné, dans le petit véhicule, à celui qui s'affranchit du cycle de l'existence en triomphant de l'ennemi, la saisie égoïste.

bardo : expérience intermédiaire entre deux états. De manière usuelle, ce terme désigne l'état connu par la conscience après la mort et avant la renaissance.

bénédiction: (voir grâce).

beun : nom de la religion prébouddhique du Tibet. On distingue entre Beun blanc, positif et utile, et Beun noir, utilisant magie et sorts pour des résultats négatifs.

bienfaits : les deux bienfaits sont les buts réalisés dans l'éveil. Le bienfait de soi-même est l'obtention du dharmakaya. Le bienfait des autres est la manifestation des corps formels, sambhogakaya et nirmanakaya.

bodhicitta : esprit d'éveil, la pensée et l'activité altruiste qui sont les causes de l'éveil ultime d'un bouddha.

bodhisattva: l'être qui engendre et pratique l'esprit d'éveil visant à l'accomplissement du bienfait des êtres, sans implication égoïste.

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GLOSSAIRE

bouddha : éveil, être éveillé. En tibétain "Sangyé" : le Tout Pur, exempt de souillures et de négativités, et le Tout Epanoui, ayant parachevé toutes les qualités.

causes et conditions : elles déterminent la production, la présence et la disparition de tous les phénomènes sur le plan relatif. La loi de causalité s'explique par la production interdépen­dante des phénÔmènes (voir interdépendance et dharma).

champs purs : Terres pures, sphères de manifestation produites par un bouddha ou de grands bodhisattvas, appartenant à l'au-delà du monde conditionné. Elles sont exemptes de toutes souillures et dites pures.

chemin : terme aux significations multiples. C'est la voie de déve­loppement spirituel, la pratique. Les cinq chemins sont les moments successifs de la réalisation spirituelle, incluant l'ensemble des étapes de la voie.

cittamatra : école philosophique bouddhiste du grand véhicule, pour laquelle toute manifestation est le produit de l'esprit et de lui seul.

clarté: nature de l'esprit, elle est l'irradiation naturelle, qualité innée de l'esprit qui projette et connaît simultanément la manifestation.

compassion : motivation et attitude du bodhisattva qui souhaite libérer tous les êtres de la souffrance et de ses causes. La nature de l'éveil est la grande compassion, indissociable de l'essence de vacuité, propre à toute manifestation.

conceptualisation : activité discursive du mental confus qui se sur­impose au mouvement naturel de l'esprit et en trouble la lucidité.

conditionnement: (ou classe d'existence) type d'expérience carac­téristique d'un groupe d'êtres dans l'existence cyclique. Traditionnellement, la roue des existences dépeint six mondes

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

ou conditionnements, ceux des enfers, des esprits avides, des animaux, des humains, des titans et des dieux.

confusion: état de l'esprit non éveillé, soumis à l'illusion du fait de son ignorance.

cycle de l'existence : succession des morts et des renaissances dans le monde conditionné. Synonyme : samsara (voir ce terme ainsi que "conditionnement").

dharma : 1. phénomène, toute manifestation animée ou inanimée perçue comme objet de connaissance. 2. science religieuse ou philosophique en général.

saint dharma : la loi, la voie, la doctrine du Bouddha, qui explique la nature des phénomènes

dharmadhatu : sphère des phénomènes, espace primordial omni­présent et sans limite, non-né, immuable, matrice dynamique en laquelle s'élèvent, se déploient et disparaissent tous les phénomènes.

dharmata : le ça des phénomènes, l'essence immuable, réalité de tous les phénomènes.

dharmakaya : corps de vérité, esprit illuminé du Bouddha, incondi­tionné et non-formel. Ce terme décrit aussi la réalisation de cet esprit primordial dans l'éveil.

divinité: expression de l'éveil et support de méditation par lequel cet éveil est approché. Dans l'hindouisme, les divinités sont conçues comme dotées d'une existence intrinsèque. Ce n'est pas le cas dans le bouddhisme où l'essence de la divi­nité est identique à l'esprit du pratiquant, c'est-à-dire non existante et non séparée.

domaines d'extension: ensemble des éléments constituant l'expé­rience sensorielle. Par exemple, les formes, l'œil et la cons­cience visuelle pour la vue, et ainsi de suite.

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GLOSSAIRE

dualité : représentation confuse de la réalité, issue de la conscience ordinaire qui sépare le sujet de son expérience de celle-ci. La connaissance partielle est fondée sur la notion d'un sujet et d'un objet, comme existant séparément et intrinsèquement.

écoute : première phase de cheminement spirituel qui consiste à recevoir des ,instructions sur le dharma et à étudier ses enseignements.

éléments : 1. Les cinq éléments constitutifs du corps physique et du monde extérieur sont la terre, l'eau, le feu, l'air et l'espace. 2. Dans le vajrayana, l'élément signifie la nature fondamen­tale d'éveil présente en tout être.

entité: soi, ego, expression de la croyance en l'existence de l'indi­vidu, des phénomènes, d'un dieu ou d'un démiurge, pourvus d'une réalité indépendante, indivisible et définitive. C'est le propre des positions non bouddhistes. Une école bouddhiste est définie par la réfutation de la croyance en l'existence de telles entités.

éveil: réalisation spirituelle, but et obtention de ce but dans une voie donnée, synonyme de libération. Le bouddhisme fait référence à deux types d'éveil. Dans le petit véhicule, l'éveil est l'état d'arhat ou libération individuelle · dans le grand véhicule, l'éveil est l'état de bouddha ou g;ande libé­ration, ou encore insurpassable éveil.

esprit d'éveil: (voir bodhicitta).

expérience (survenant au cours de la méditation) : obtention méditative transitoire et de caractère dualiste (voir réalisation).

extrêmes : ou vues extrêmes, positions philosophiques reposant sur la croyance à l'existence des phénomènes ou à leur non-exis­tence, appelées aussi respectivement étemalisme et nihilisme.

félicité: nature de l'état d'éveil ou nirvana, en opposition à la souf­france, nature du samsara ou expérience conditionnée.

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Page 71: 2 Visages de l'Esprit

LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

fixation: crispation de l'esprit sur une saisie mentale qui l'assujettit à la perception dualiste.

fruit: résultat, produit d'une activité (par exemple, le fruit du karma). C'est également la réalisation d'une voie spirituelle (par exemple l'état de bouddha).

grâce : qualité particulière de la transmission spirituelle, personni­fiée par le maître dont les bénédictions (litt. vagues de splendeur) permettent au disciple d'accéder à une compré­hension supérieure.

hinayana : véhicule inférieur du bouddhisme, basé sur une ap­proche réaliste de la nature des phénomènes et sur une motivation personnelle. Le pratiquant cherche la libération individuelle, il réalise l'absence d'entité de la personne et atteint l'éveil de l'arhat. Les souffrances et leurs causes, les passions, sont détruites, mais le voile de la connaissance intégrale subsiste.

ignorance: état fondamental de l'esprit conditionné qui ne reconnaît pas sa nature essentielle.

iUuswn : nature de toute expérience, de toute manifestation, com­prise comme projection de l'esprit. Etat de l'esprit qui saisit cette manifestation comme réelle et étrangère à lui-même.

interdépendance: loi de l'origine et de la production des phéno­mènes. Ces derniers n'apparaissent pas d'eux-mêmes, mais en dépendance de causes agissant en interaction. Le cycle des naissances et des morts a été décrit par le Bouddha comme les douze liens d'interdépendance.

instructions orales : enseignement transmis directement au disciple par le maître qui, du fait de son expérience, explique le sens correct de la doctrine et l'expose en fonction des qualités du pratiquant.

karma: (voir actes).

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GLOSSAIRE

kaya: corps d'éveil résultant de l'obtention de l'état de bouddha. Les trois ou quatre corps d'éveil sont : le dharmakaya, le sambhogakaya, le nirmanakaya et le svabhavikakaya (voir ces termes).

lama: (voir maître spirituel).

libération: affranchissement du cycle de l'existence conditionnée. (Syn. nirvana: au-delà de la souffrance).

grande libération: état d'éveil omniscient du Bouddha.

madhyamaka (ou madhyamika): voie médiane, école philoso­phique bouddhiste qui se situe à l'écart de toutes les posi­tions extrêmes d'affirmation ou de négation de l'existence et de la non-existence de toute chose. Elle appartient au grand véhicule.

mahayana : grand véhicule, approche du bouddhisme, fondée sur la compréhension de l'absence d'existence intrinsèque des phénomènes et sur une motivation altruiste. Le pratiquant vise à l'accomplissement du bienfait de tous les êtres, sans souci de sa propre libération et, par là-même, il réalise l'éveil ultime, l'omniscience du Bouddha.

maître spirituel : gourou, lama. Guide qualifié de par sa connais­sance, son expérience ou sa filiation spirituelle, pour trans­mettre un enseignement et conduire les pratiquants à la réalisation de cet enseignement.

manifestation: (voir apparence).

mantra: parole d'éveil, formule sonore destinée à protéger l'esprit des distractions, à purifier les obscurcissements de la parole, et à réaliser la parole éveillée sous la forme du sambhoga­kaya. (voir visualisation et mudra).

mantrayana: (voir vajrayana).

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

méditation : exercice consistant à accoutumer l'esprit à une per­ception plus large et plus précise de la réalité jusqu'à ce qu'elle soit vue directement. La méditation est la phase ultime de la pratique et représente l'intégration définitive de la compréhension, acquise par l'écoute et la réflexion.

méthodes, moyens : ensemble des techniques qui, combinées à la suprême connaissance, conduisent à l'éveil.

mudra : geste, symbole. 1. geste symbolique accompagnant un rituel, expression physique d'une séquence de méditation développée dans l'esprit. 2. nom des attributs des divinités du vajrayana. 3. expression symbolique désignant la mani­festation telle qu'elle apparaît à la conscience purifiée.

nirmanakaya: corps d'émanation, l'un des corps formels, expres­sion de la réalisation du plein éveil. Manifestation illusoire de la compassion de l'être éveillé s'incarnant sous toutes formes (humaines, animales, etc.) pour guider les êtres à la libération. Par exemple, le bouddha Shakyamouni est un nirmanakaya.

nirvana : l'au-delà de la souffrance, libération du cycle des renais­sances conditionnées, état de félicité et de quiétude. La simple délivrance du samsara est appelée nirvana partiel ; l'éveil du Bouddha est défini comme "nirvana sans demeure", car il em­brasse toute manifestation conditionnée et non conditionnée.

non-né, non-produit : caractéristique ultime de l'esprit comme étant au-delà de l'existence et de la non.:existence, dépourvu de commencement, de présence et de fin, non conditionné, indépendant de causes et de conditions.

non-vertu: le contraire des dix actions vertueuses (voir actes).

obscurcissements : voiles issus de l'activité confuse qui empêchent la reconnaissance de la nature de l'esprit et des phénomènes. Ce sont : le voile des passions, le voile du karma, le voile des tendances fondamentales, et le voile du connaissable.

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GLOSSAIRE

omniscience : connaissance générale et particulière de tous les phénomènes et de tous les êtres, dans le temps et l'espace. Vision directe et simultanée de la vérité ultime et de la vérité relative, résultant de l'élimination complète de tous les voiles et du parachèvement de l'éveil.

pacification mentale (ç_hiné): apaisement de l'agitation et de la confusion mentales, issues des manifestations émotionnelles. La pacification des poisons mentaux conduit à la stabilité de l'esprit et à la vision pénétrante qui en perçoit directe­ment la nature. Techniques de méditation conduisant à ce résultat.

paramitas : vertus transcendantes, pratiquées par le bodhisattva, conduisant à l'éveil ultime par l'accomplissement du bienfait des êtres. Les six pararnitas : générosité, conduite morale, tolé­rance, ardeur, absorption méditative et sagesse.

passions: (voir poisons mentaux).

phase de création, phase de perfection : les deux moments de la méditation tantrique bouddhiste. La phase de création consiste à méditer sur l'aspect d'une divinité, conçue comme manifestation illusoire. La phase de perfection est une mé­ditation informelle sur l'essence vide de toute manifestation. Les écoles non bouddhistes pratiquent seulement la phase de création d'une divinité tenue pour réellement existante, à laquelle le méditant s'identifie dans une perspective réaliste.

poisons mentaux (passions): distorsions de l'esprit, nées de la saisie dualiste dans laquelle l'esprit ne reconnaît pas sa propre expression et se trouve séparé de cette dernière. Les cinq poisons : désir-attachement, haine-aversion, ignorance­indifférence, orgueil et jalousie ; ils sont la dimension impure des cinq sagesses.

qualités : attributs et pouvoirs des bouddhas et des bodhisattvas, par lesquels s'exprime leur activité bienveillante envers tous les êtres. .

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lES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

réalisation : phase ultime de l'intégration du chemin spirituel transcendant l'expérience (voir ce terme) dualiste. Vision non duelle, non intellectuelle et définitive de la réalité, obtenue par la maîtrise de l'absorption méditative. (voir samadhi).

réflexion : étape intermédiaire de la pénétration spirituelle, qui consiste à analyser les termes de l'enseignement, pour par­venir à une conviction définitive, en éliminant les doutes. (voir écoute, méditation).

refuge: protection contre la souffrance des états conditionnés, ma­nifestée par les trois Joyaux : Bouddha, Dharma, Sangha (voir ces termes). On devient bouddhiste en prenant refuge en cette trinité.

sagesse : sous ce terme sont généralement exprimés deux aspects : "shérab" (prajna), connaissance suprême, compréhension juste de tous les phénomènes, par la vision de l'essence de vacuité ; "yéshé" (jnana), connaissance primordiale, qui est conscience, connaissance intégrale et activité non duelle. Les cinq sagesses : expressions distinctes de cette connais­sance agissante.

saisie : opération mentale qui conceptualise le mouvement naturel de l'esprit (les pensées) en l'investissant d'une réalité.

saisie dualiste: séparation de l'esprit d'avec ses projections, intro­duisant les notions de sujet et d'objet.

samadhi: absorption méditative. Par la maîtrise des différents samadhis, les souillures et les voiles de l'esprit ordinaire sont progressi­vement purifiés et les réalisations successives sont obtenues.

sambhogakaya : corps de perfection des qualités. Corps formel d'éveil manifestant la forme pure pourvue de toutes les qualités de l'éveil. Il correspond à la dimension pure de la parole. C'est l'aspect de communication de la compassion grâce auquel les bodhisattvas des Terres supérieures sont guidés jusqu'à l'éveil ultime.

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GLOSSAIRE

samkhya: ensemble d'écoles religieuses, parmi les plus représen­tatives de la pensée hindoue, qui se sont développées en plusieurs branches et expressions. Le yoga de Patanjali est une des plus célèbres et des plus classiques d'entre elles.

samsara : devenir, mode conditionné, cycle dans lequel s'opèrent morts et renaissances, constitué des six mondes. (voir conditionnement).

sangha: le troisième Joyau du refuge, la communauté spirituelle, guide des êtres vers la libération.

skandha : agrégat, composé. Eléments constitutifs du moi physico­psychique. Les cinq skandhas : forme, sensation, perception, volition, conscience.

souffrance: nature de l'esprit conditionné et caractéristique de sa projection, le monde samsarique.

soutra (ou sutra) : ensemble des enseignements exotériques du Bouddha formant avec le Vinaya (discipline) et l'Abhidharma (phénoménologie), les 'trois Corbeilles". Les soutras sont les discours du Bouddha sur l'entraînement spirituel et la méditation.

svabhavikakaya: corps essentiel, quatrième corps d'éveil, conçu comme représentant l'inséparabilité des trois autres.

tantra : enseignements ésotériques, reposant sur une transmission initiatique, comportant des techniques de réalisation spiri­tuelle spéciales qui accélèrent la maturation de l'esprit.

telléité: état ultime des phénomènes et de l'esprit "tels qu'ils sont" en réalité, au-delà de la perception dualiste.

tendances: prédispositions de l'esprit nées de l'accumulation des actes antérieurs (synonyme : empreintes karmiques). L'accom­plissement d'actions vertueuses crée des tendances positivës et ces dernières permettent en retour une activité positive accrue.

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

Terres d'éveil : degrés de la réalisation spirituelle traversés par l'être qui s'est libéré de l'existence conditionnée, jusqu'à l'obtention de l'éveil ultime.

traité (sastra): commentaires compilés par les grands maîtres indiens ou tibétains, classifiant les enseignements du Bouddha, afin de les rendre plus accessibles, et d'en exposer le sens correct.

vacuité: essence de tous les phénomènes et de l'esprit. Ceux-ci sont dépourvus d'existence intrinsèque, mais néanmoins manifestés. Tous les phénomènes· sont l'union de la vacuité et de l'apparence, ce que rend la formule célèbre : "le vide est la forme, la forme est le vide, il n'est d'autre vide que la forme, il n'est d'autre forme que le vide."

vajra {dordjé): "diamant-foudre" ou "diamant". Nature adamantine, indestructible de l'esprit, au-delà de la création et de la cessation, donc éternel et immuable. Le vajra désigne aussi l'instrument rituel utilisé lors des cérémonies du vajrayana.

vajrayana : véhicule de diamant ou mantrayana (véhicule des mantras secrets). Développement particulier du mahayana incluant les méthodes tantriques de réalisation spirituelle permettant l'obtention de la bouddhéité en une seule vie et un seul corps.

,vérités (les deux vérités) : les deux aspects de la réalité décrits dans le rnahayana. La vérité relative est la nature illusoire de tous les phénomènes et la compréhension juste de leur exis­tence à travers la production interdépendante. La vérité ultime est l'essence vide de la manifestation, la non-existence fonda­mentale. La réalité des phénomènes (dharmata) est l'interpé­nétration des deux vérités ne s'excluant pas l'une et l'autre, mais s'impliquant mutuellement. Les phénomènes sont simul­tanément manifestation illusoire et essence vide (voir vacuité).

visualisation : technique de méditation qui consiste à imaginer le corps d'une divinité et son environnement afm d'élever l'esprit à la conscience d'une dimension pure de la réalité.

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GLOSSAIRE

voiles : voir obscurcissements.

vue: approche théorique d'une proposition philosophique, à partir de laquelle se développe une pratique, constituée de la méditation et de la conduite, et dont dépend le fruit ou obtention.

yoga : union. Techniques d'union avec l'état ultime de la réalité en relation avec le corps (visualisation, postures physiques), la parole (récitation de prières et de mantras) et l'esprit (foca­lisation et absorption méditative). Ces méthodes permettent la purification de la conscience ordinaire de ces trois plans, l'unification du corps, de la parole et de l'esprit, dans leur dimension ultime. Dans le bouddhisme, ces dimensions sont les trois corps d'éveil : le nirmanakaya, le sambhoga­kaya et le dharmakaya (voir ces différents termes).

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Page 75: 2 Visages de l'Esprit

Table des matières

Préambule .......................................................................................... 5

Introduction ..................................................................................... 11

LA CONSCIENCE PARTIEUE ............................................................... 13

L'esprit, source de la confusion et de la non-illusion ........ 15

Les points de vue extérieurs ................................................................. 15 -L'approche non-théiste ................................................................. 16 -L'approche théiste ......................................................................... 20

La distinction entre les pratiques tantriques bouddhistes et non-bouddhistes ......................................................................... 23

- Les systèmes matérialistes ............................................................ 24 - Les systèmes chamanistes noirs ................................................... 25

Les critères de distinction entre les approches bouddhistes et non-bouddhistes ......................................................................... 27

Les points de vue intérieurs ................................................................. 29 - Les quatre sceaux du bouddhisme .............................................. 29 - Les systèmes du petit véhicule .................................................... 30

Les Vaibhasikas ......................................................................... 31 Les Sautrantikas ........................................................................ 32

- L'approche du grand véhicule ..................................................... 35 Les deux vérités ....................................................................... 37 La relation entre la vérité ultime et la vérité relative : non identité, non différence .................................................... 38

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LES DEUX VISAGE5 DEL 'E5PRIT

L'apparence née de l'esprit ........................................................ .43 Le calme mental .............................................................................. 97

L'esprit non-né ................................................................................ 49 La posture ............................................................................................ 97 Ut"!" . t d ,r,- 1 b . 9 z zser un pozn e reJerence: - un o l)et .... ......... .. . .. . ..................... 8 Utiliser un point de référence : 2-l'amour et la compassion ............................................................... 99 Somnolence et agitation .................................................................... 1 02

Les huit consciences, causes et conditions de la confusion ....................................... 53

Le mental ........................................ : .................................................... 58 Etre attentif et vigilant ....................................................................... 1 04 - Le mental immédiat ...................................................................... 58 Méditer sans point de réference .· ....................................................... 105 - Le mental aliéné ........................................................................... .59

La conscience base de tout ................................................................. 60 L 'd"t . - 't a me z atwn pene rante ......................................................... 107

Procéder à l'exament de l'esprit ........................................................ 1 09

LA CONNAISSANCE PRIMORDIAlE .................................................... 65 Les résultats acquis . .. . . . . . . . . . . .. . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . 112 Suite de l'examen -La pratique principale ...................................... 113

Les cinq chemins ...................................... : ..................................... 69 Utiliser comme pratique les six états émotionnels ............................ 114 - L'ignorance .................................................................................. 115 -La colère ...................................................................................... 116 - Le désir -attachement .................................................................... 116 -L'orgueil jaloux ........................................................................... 116 -Les vues ....................................................................................... 117 -Le doute ...................................................................................... 118

Le chemin de l'accumulation. ............................................................ 69 Le chemin de l'unification .............................. : .................................. 72

-La chaleur ................................................. : .................................... 72 -La cime .......................................................................................... 73 - L'endurance ................................................................................... 73 -Le suprême phénomène ............................................................... 74

Le chemin de la vision ..................................................................... : .. 74 Le chemin de la méditation ................................................................ 75

Expériences .................................................................................... 121

Le chemin où il n y a plus à apprendre ............................................. 75 Conseils à propos des expériences ..................................................... 121 Les expériences méditatives ............................................................... 122

Les cinq sagesses ............................................................................. 77 - La félicité ..................................................................................... 122 - La clarté ....................................................................................... 123 -La vacuité .................................................................................... 123

La sagesse semblable au miroir .......................................................... 79 La sagesse de l'identité ........................................................................ 79 La sagesse de la simultanéité .............................................................. 81 Le sambhogakaya, corps des qualités paifaite ................................. 84

Le mahamoudra et l'union innée ......................................... 127

La sagesse toute accomplissante ......................................................... 85 La sagesse du dharmadhatu ............................................................... 87

Le mahamoudra ............................................................................ 127 S'unir à l'inné ............................................................................... 129 - La réalité innée de l'esprit... ............................................................ 129 - La réalité innée de la manifestion .................................................. 130

LA PRATIQUE ...................................................................................... 89 -La réalité innée de la pensée ......................................................... 130 Quatre conseils .................................................................................. 133

Introduction .................................................................................... 91

L'esprit maintenant ............................................................................. 92 GLOSSAIRE ........................................................................................ 135


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