Musées royaux des Beaux-arts de Belgique
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déCouvrir uNe Œuvre surPreNaNte et FasCiNaNte,
reNCoNtrer uN HoMMe eNvoÛtaNt et déroutaNt,
Partager l’éMotioN de visioNs aPParteNaNt À l’iMa-
giNatioN et se laisser CHarMer Par la siMPliCité de
la MatiÈre, voiCi le Message que Nous vouloNs vous
CoMMuNiquer.
Mais BieN sÛr au déPart il N’y a que vous, votre re-
gard, votre Curiosité, votre réPulsioN ou votre
disPoNiBilité qui se laissera CaPter et Porter au
Fil des éMotioNs susCitées Par les réalisatioNs de
l’artiste léoN sPilliaert.
il N’a Pas CHoisi sa voie, il a réPoNdu À uN PressaNt
BesoiN de s’évader de soN quotidieN Pour traNsPoser
sa PeNsée, ses rÊves et ses asPiratioNs déÇues. si
seuleMeNt il ParvieNt À s’iMPlaNter uN Peu daNs
votre esPrit Par ses iMages PartiCuliÈres, il aura
réussi soN Pari d’Être uN Créateur origiNal.
Anne Adriaens-Pannier
commissaire de l’exposition
www.expo-spilliaert.be
22.09.2006 - 04.02.2007
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
rue de la Régence, 3
1000 Bruxelles
© Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2006
Aucun extrait de cette édition ne peut être reproduit sans l’autorisation préalable de l’éditeur.
Illustrations: SABAM, Bruxelles, 2006. Poème Maeterlinck: Van Goitsen Hoven - Maeterlinck L.M.
Direction scientifique : Anne Adriaens-Pannier
Coordination éditoriale : Raffaela Palanga
Graphisme : Piet Bodyn
Publication du Service éducatif et culturel et de l’Educatieve Dienst des MRBAB, sous la direction de Brigitte de Patoul et Jan
Florizoone. Poèmes : Marianne Knop (M.K.), traduites du néerlandais par Marnix Vincent. Textes : Rosemarie Albrecht-Michel
(R.A.M.), Géraldine Barbery (G.B.), Emmanuelle Chantraine (E.C.), Serge Núñez Tolin (S.N.T.), Isabelle Rombeau (I.R.), Jean-
Philippe Theyskens (J.P.T.), Véronique Vandamme (V.V.)
Un projet réalisé avec le soutien de Bridgestone.
Impression : Sint Joris, Merendree. Les pages de cette publication sont imprimées sur papier 100% recyclé (CyclusOffset).
Éditeur responsable : Michel Draguet, 9 rue du Musée, 1000 Bruxelles.
CoNteMPlatioN1900
D’immenses troncs d’arbres noueux et dénudés scandent un paysage du plat pays flamand.
L’arrière-plan est occupé par un vaste ciel, un canal et ses bords nus et vides.
Silhouettes humaines pétrifiées ou immenses ossements, ces troncs respirent la tristesse,
la mélancolie, la mort. Spilliaert, à cette époque, à peine âgé de 19 ans, vit dans un monde
littéraire. Il se plonge dans la lecture de Nietzsche et s’imprègne des voix plaintives des héros
de Maeterlinck.
Spilliaert, dessinateur et illustrateur, utilise l’encre de Chine et le lavis au pinceau pour ren-
dre toutes les nuances de gris qu’il relève d’un peu de bleu à l’aquarelle afin de traduire en
image une réalité seconde presque insaisissable, doublant le visible d’invisible.
Cette œuvre révèle déjà les grands thèmes de Spilliaert : la rupture de l’espace classique, la
synthèse géométrique, l’arbre métamorphosé. (R.A.M.)
la jeune fille laisse transparaître le vent
par le prolongement de sa silhouette
chevelure et robe cherchent l’horizon
mais ce que le vent emporte avant tout
nous ne le voyons pas
la voix de la jeune fille s’envole
et se mélange à l’univers
contant ainsi tout
ce qu’on peut dire de cet être fragile
le CouP de veNt1904
'' v i s i o N s ''
(M.K.)
Je vois des songes dans mes yeux;Et mon âme enclose sous verre,Éclairant sa mobile serre,Affleure les vitrages bleus.
Maurice Maeterlinck, Serres chaudes, 1889
serres CHaudes i 1917
Ce dessin dont le titre reprend celui d’un re-
cueil de poèmes de Maeterlinck permet d’évo-
quer les rapports incessants que Spilliaert
entretient avec la littérature. Dès ses premiè-
res œuvres, Léon Spilliaert s’inspire, sans
pour autant l’illustrer de manière explicite, de
l’univers mélancolique d’un Chateaubriand,
hallucinatoire d’un Lautréamont ou vertigi-
neux d’un Nietzsche. Quant aux belges Mae-
terlinck et Verhaeren, il en devient l’illus-
trateur pour le compte de l’éditeur Edmond
Deman chez qui il travaille de 1903 à 1904.
L’artiste renonce rapidement à l’illustration :
Je suis un mauvais interprète des rêves des autres,
j’en ai trop moi-même. En 1917, il renoue pour-
tant avec l’univers de Maeterlinck. Cette fois,
il n’illustre pas mais crée une oeuvre auto-
nome.
Spilliaert évoque Serres Chaudes en choisis-
sant un motif proche de la prêle. Celle-ci se
développe en méandres d’encre dans l’espa-
ce clos de la verrière. La lune laisse apparaî-
tre le papier couleur chamois. L’astre éclaire
la scène d’une lumière fantastique, transfor-
mant ces plantes ordinaires en quelque végé-
tation exotique, inquiétante…
Le cadrage serré, la déformation perspec-
tive de la structure vitrée, la représentation
fantasmagorique de ces végétaux mêlant
leur graphisme à celui de grandes araignées
noires nous éloignent du monde suggestif
de l’écrivain symboliste pour nous plonger
dans celui hanté d’étranges visions propre à
Spilliaert. (G.B.)
un paysage noir et lourd
malgré le vide, quelques ouvertures
beaucoup de sol et peu d’air
tu te perds dans le premier
le second ne peut pas te sauver
le théâtre de l’angoisse
une vie que tu préférerais ne pas vivre
ou rien que pour un instant
le temps d’une représentation
MaeterliNCK tHéâtre1902 - 1903
'' M a e t e r l i N C K ''
(M.K.)
comment attraper la lune
peut-être en étant soi-même lune
objet qui surgit dans le noir
et rassemble la lumière
mais une coupe n’est pas une lune
elle colore son côté droit en noir
l’ombre te ramène les pieds sur terre
la CouPe Bleue 1907
sous un globe de verre. Cette même horloge
que l’on retrouve dans plusieurs œuvres dont un
autoportrait.
Le mystère du contenu et du contenant, la réalité
et son reflet, l’immobilité, le silence et la sensation
du temps sont des thèmes chers à Spilliaert, qui
depuis des siècles ont été traités par quantité
d’artistes dans ces œuvres que l’on appelle
natures mortes. La texture douce et vaporeuse
des pastels évoque la légèreté et la transparence
des papiers de soie que l’on imagine protéger les
précieux flacons. (V.V.)
Boîtes devaNt uNe glaCe1904
Le père de Léon Spilliaert, riche commerçant
ostendais, est propriétaire d’une parfumerie et
d’un salon de coiffure. Durant les mois creux de
l’hiver, il dessine lui-même des projets de boîtes
et de flacons pour les parfums qu’il crée. Parmi
ceux-ci le très célèbre Brise d’Ostende restera
attaché à son établissement.
Entre 1904 et 1909, Léon Spilliaert a souvent pris
ces objets colorés et luxueux comme modèles
pour ses compositions. Il place les boîtes aux tons
chatoyants et les bouteilles sombres sur le rebord
de cheminées, devant ou entre des miroirs qui
démultiplient l’espace et trompent notre regard.
Réalité et reflets se répondent et se fondent.
Dans cette composition datée de 1904, l’une des
plus belles, Spilliaert a aussi placé une horloge (M.K.)
'' r e F l e t s ''
autoPortrait au Miroir1908
Entre 26 et 27 ans, Spilliaert crée une série d’autoportraits dans le cadre de l’appartement familial.
Ceux-ci sont réalisés de nuit, sous un éclairage lunaire ou artificiel propice aux contrastes d’om-
bres et de lumières distordant la réalité. Ils mettent souvent en scène l’artiste dans un jeu de miroirs
qui tiennent à la fois le rôle d’outil d’observation, de mise en abîme de l’image mais aussi de struc-
turation de l’espace.
Parmi ces autoportraits, le plus impressionnant est l’énigmatique Autoportrait au miroir. Ici, mécon-
naissable, Spilliaert surgit, dos au miroir. S’agit-il encore d’un autoportrait ? Sa bouche n’est plus qu’un
trou béant, ravalant un cri dans un gouffre d’encre. L’œil, difforme, semble annoncer une dislocation
prochaine que l’horloge, sous son globe de verre, ne peut démentir. Les objets si bourgeois, si fami-
liers prennent l’aspect cette nuit-là d’apparitions étranges.
Spilliaert signe ici une œuvre digne d’un conte fantastique. Et si les thèmes du reflet, de la nuit, de
la solitude et de l’âme des choses nous ramènent à un vocabulaire symboliste, les déformations, la
vue en contre-plongée, les lignes vertigineuses du décor et le climat de l’œuvre l’inscrivent d’avan-
tage dans une veine expressionniste. (G.B.)
'' a P P a r i t i o N ''
(M.K.)
je me place entre les objets
et tente d’être comme eux immobile
les yeux comme imprimés par les couvercles
des petits pots posés devant moi
le col m’enserre
et les cheveux me fuient
comme le temps défini dans un nombre
mais toujours fugitif
ici même effacé de mon regard
autoPortrait 2 NoveMBre1908
la jeune fille rit
elle se tient entre les lignes
échappe au cours des choses
postée là, blanche
elle apaise l’image
sa robe prend victoire sur le lointain
tout comme le ruban rose sur la courbe fuyante
lointain et proche ensemble un instant
la Buveuse d’aBsiNtHe1907
Une femme dont la longue chevelure se perd
dans le noir de sa robe, transperce le spec-
tateur de son regard. Ses yeux exorbités, ses
joues creuses, son teint livide en font une
morte vivante.
Aucun objet ne permet d’identifier le person-
nage dépossédé de tout lieu. Seul le vêtement
retient l’attention et singularise le modèle.
Femme de plaisir, putain triste, cette belle de
nuit, cet ange bleu d’Ostende semble étouffé
par le poids de ses atours : son chapeau, son
boa, ses colliers.
Malgré son attitude figée, son maigre poing
fermé, posé à angle droit traduit bien l’aspect
vacillant de cette femme, qui se retient à la vie
comme elle peut.
Cette attitude chancelante ainsi que les vête-
ments et la mine hagarde en font l’image même
de la droguée aliénée par l’alcool, l’éther ou le
sexe.
Le thème de la buveuse d’absinthe célébré par
de nombreux poètes de la fin du XIXe siècle fut
traité également par Félicien Rops. Mais ici, cet-
te liqueur nocive très en vogue à l’époque, n’est
pas expressément représentée.
Les verticales accusées, l’étroitesse et l’angu-
Fillette eN BlaNC 1912
larité des formes, l’expressivité du visage rap-
prochent cette œuvre d’un Klimt ou d’un Munch.
(I.R.)
(M.K.)
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(G
.B.)
vertige1908
L’art de Spilliaert “communique surtout le vertige des infinis.”
Fr. Jollivet-Castelot, 1912
Léon Spilliaert peint l’abîme pris dans un insondable vertige. Un édifice
à degrés tire l’image vers l’abstrait. Cet escalier monumental conduit à
l’irréalité. L’artiste use d’un cadrage serré et, par un effet qui exaspère la
perspective, révèle autant l’attrait irrésistible du vertige que la pulsion
ascensionnelle. Tout en haut, une femme affronte le vide. En plein paroxysme,
elle paraît marquer un arrêt. Son regard porte devant elle. Entre perspective
plongeante et sommet, la figure féminine s’arrête, l’instant d’un appel dont
on ignore tout. Les derniers gradins de la tour sont en pleine lumière. Trois
contremarches marquées fermement par des bandeaux noirs accusent le
contraste de l’image. Evocation du vent vêtue de noir, long foulard flottant,
figure découpée sur un paysage improbable, ombres allongées du soir, tout
participe à la monumentalité, à la vision d’un isolement grandiose. (S.N.T.)
l’esCalier1909
je suis en contrebas et vois deux issues
le blanc m’invite à une promenade horizontale
un lointain fait de sourire
il semble contenir une promesse
le noir m’attire vers le haut
chaque marche me rapproche d’un lieu où je ne veux pas être
un vide au sommet
noir ou blanc
jamais dilemme ne fut plus tangible
'' i s s u e ''
(M.K.)
quatre murs entre lesquels tu cherches le sommeil
tes yeux se ferment
n’es-tu plus qu’un corps qui respire
une île qui s’illumine de chaleur
et réunit la nuit autour d’elle
ou est-ce la chambre qui respire
et te borde de la pesanteur d’une couverture
la Nuit 1908
Vers 1908, Léon Spilliaert peint de nombreuses œuvres où l’on retrouve, de nuit, la plage et la digue
d’Ostende. Variant continuellement les angles de vue, il exploite plastiquement les possibilités
de ce lieu. Ce n’est cependant pas la ‘Reine des plages’ que l’artiste peint mais Ostende déserte
et nocturne. Souffrant d’un ulcère à l’estomac, Spilliaert marche la nuit pour apaiser ce malaise
physique; il découvre alors l’insolite visage de sa ville natale. Cet aspect étrange, énigmatique et
singulier que prennent les choses à ce moment le fascine. La nuit, angoissante, est cependant pour
l’artiste un espace de refuge. Cette image, imprégnée d’un certain romantisme rappelle les Hymnes
à la Nuit du poète allemand Novalis. Au milieu de ce paysage, une figure solitaire s’appuie à la
colonnade des Galeries royales. Promeneur solitaire et euphorique ou passant éméché, son aspect
fantaisiste adoucit l’atmosphère inquiétante du lieu. L’emploi subtil du pastel bleu accentue le
contre-jour autour de la silhouette. Les reflets des lampadaires tracent des lignes blanches sur le
sol mouillé et font écho aux colonnes. Les couleurs très sombres de l’œuvre renforcent parfaitement
son message. (I.R.)
'' N u i t ''
la CHaMBre À CouCHer1908
(M.K.)
BaigNeuse1910
se tenir entre deux mondes
l’un solide l’autre liquide
exister entre hier et demain
“maintenant” est toujours cette bande étroite
où tu places précisément tes pieds
tes talons trouvent encore un appui dans ce qui fut
tes orteils cherchent le chemin vers ce qui est devant toi
magie d’être un instant frontière
La fascination obsessionnelle, quasiment malé-
fique qu’exerce la mer est un des thèmes favoris
de l’artiste autour de 1910. Il l’évoque ici par une
baigneuse solitaire, vue de dos face aux méan-
dres des vagues ondulant à l’infini.
Il n’y a plus rien de naturaliste dans cet espace
pictural mystérieux, métamorphosé par l’oppo-
sition insolite de lignes, de formes et de cou-
leurs.
A la diagonale lourde et solide de l’escalier, der-
nier rempart du monde de la certitude, s’oppo-
sent les arabesques hypnotisantes des vagues
qui évoquent les cheminements tortueux de
l’âme.
Les formes sinueuses de la silhouette féminine
s’accordent à cet espace liquide dans lequel elle
semble vouloir se fondre.
Le petit chien aux aguets donne une note plus
légère à cette composition, dont l’atmosphère
est appuyée par un coloris raffiné.
L’artiste travaille par superposition de plusieurs
matières pour obtenir des noirs très nuancés, il
cerne de bleu les méandres des vagues et laisse
affleurer le fond rosé du papier. (R.A.M.)
BaigNeuse devaNt la Mer1910
'' s e u l e ''
(M.K.)
••
l’eau prend sa tâche au sérieux
et saisit toute la lune possible
que n’abandonne-t-elle pas à cette fin
une obscurité par exemple qui pâlit
et une profondeur qui soudain se fait surface
telle une mince couche givrée
qui fragile attend sa disparition
Aucune allusion à la ville d’Ostende, la mer
seule captive l’artiste après quelques années
passées à Bruxelles.
La composition frontale lui est familière, dès le
début du siècle, mais traitée en tons noirs ou
en couleurs assourdies. Ici, en 1923, le jaune est
éclatant et se retrouve dans plusieurs œuvres
de l’époque.
La confrontation de deux couleurs virulen-
tes et complémentaires, utilisée de manière
magistrale, laisse planer le doute sur la place
attribuée au sable, à l’eau et au ciel. Cette am-
biguïté confère une richesse particulière à une
composition d’apparence fort simple.
Le contraste des larges bandes du haut et du
bas enserrant les fines alternances de jaune et
de bleu - le mauve d’origine a évolué - donne à
l’ensemble un rythme dense.
Enfin, les nuances et traces du pinceau appor-
tent leur propre expressivité.
Sans la présence de la signature, une énigme
supplémentaire nous serait posée quant à la
bonne orientation d’une œuvre si proche de
l’abstraction. (E.C.)
'' H o r i Z o N ''
MariNe JauNe et Mauve1923
MariNe aveC reFlet1907
(M.K.)
gros arBre1945
troNCs de HÊtres1945
Promenades méditatives dans la Forêt de
Soignes ou les parcs bruxellois inspirent
les derniers paysages de l’artiste. Quel-
ques troncs majestueux, parties pour le
tout, les arbres sont toujours là, présences
impassibles et réconfortantes. Les masses
pleines de ces bois parfois sans racines
se succèdent dans l’espace comme autant
d’apparitions discrètes ou fantastiques.
Ici, plis et crevasses habillent de draperies
fluides les fûts; là, rides et marques de
l’écorce font apparaître un visage cabossé.
Dans les espaces en négatif qui séparent
ces ‘colonnes’, l’artiste sertit le ciel, anime
les blancs par le graphisme sinueux de
jeunes pousses au maigre feuillage. En ces
dernières années, l’aquarelle apporte ses
diaprures délicates. Un réseau dense et
méticuleux de fins traits d’encre rehausse
les surfaces pour maintenant − et c’est
inédit chez Spilliaert − préciser : textures
rugueuses des bois, moelleux velouté des
mousses, douceur ouatée d’un sol qu’une
brume légère brouille avec l’air.
Il n’y a rien de plus beau sur la terre qu’un
grand arbre a dit l’artiste. Dans cette image
hivernale très contrôlée, Spilliaert décante
sa contemplation et murmure de derniers
secrets sur le ton de l’évidence. (J.P.T.)
'' P r é s e N C e s ''
tant de branches quittent la page
comme si elles tendaient à davantage
pourtant elles se contentent de moins
elles craignent leur propre feuillage
les arbres deviennent leur moi noueux
comme une éternité
qui efface les marques des saisons
(M.K.)
VERTIGE 1908Encre de Chine, lavis, pinceau et crayon de couleur sur papier637 x 476 cm (jour)Museum voor Schone Kunsten, Ostende
L’ESCALIER 1909Encre de Chine, lavis, pinceau, gouache, crayon de couleur sur papier 487 x 713 mm (jour)Collection privée
LA CHAMBRE À COUCHER1908Encre de Chine, lavis, pinceau, aquarelle, crayon de couleur sur papier634 x 484 mm (jour)Musée des Beaux-Arts, Ixelles / Bruxelles
LA NUIT 1908Encre de Chine, lavis, pinceau, pastel sur papier480 x 630 cmCollection de l’Etat belge, en prêt temporaire, Musée des Beaux-Arts, Ixelles / Bruxelles
BAIGNEUSE 1910Encre de Chine, pinceau, pastel sur papier 649 x 504 mm Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
BAIGNEUSE DEVANT LA MER 1910Encre de Chine, lavis, pinceau, crayon de couleur sur papier 634 x 484 mm (jour)Collection privée
MARINE JAUNE ET MAUVE 1923Aquarelle, gouache, pastel sur papier535 x 616 mmMusées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
MARINE AVEC REFLET 1907Encre de Chine, lavis, pinceau, pastel gras, crayon de couleur sur papier533 x 688 mm (jour)Collection particulière
TRONCS DE HÊTRES 1945Aquarelle, encre de Chine, plume sur papier590 x 480 mm (jour) Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
GROS ARBRE 1945Aquarelle, encre de Chine, plume sur papier602 x 484 mm (jour)Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers
CONTEMPLATION 1900Encre de Chine, lavis, pinceau, plume, aquarelle sur papier 154 x 199 mmBibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampes, Bruxelles
LE COUP DE VENT 1904Encre de Chine, lavis, pinceau, aquarelle, gouache sur papier510 x 410 mm (jour)Museum voor Schone Kunsten, Ostende
SERRES CHAUDES I 1917Crayon Conté, encre de Chine, plume, craie de couleur sur papier chamois661 x 498 mm (jour)Collection particulière
MAETERLINCK THÉÂTRE 1902-1903 Encre de Chine, lavis, pinceau, plume, pastel sur papier372 x 249 mmBibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampes, Bruxelles
BOÎTES DEVANT UNE GLACE 1904Pastel, fusain sur papier585 x 401 mmMusées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
LA COUPE BLEUE 1907Encre de Chine, lavis, pinceau, aquarelle, crayon de couleur sur papier485 x 635 mm (jour) Museum voor Schone Kunsten, Ostende
AUTOPORTRAIT 2 NOVEMBRE 1908Encre de Chine, lavis, pinceau, crayon de couleur, pastel, gouache sur papier490 x 638 mm (jour)Collection particulière
AUTOPORTRAIT AU MIROIR 1908Encre de Chine, lavis, pinceau, aquarelle, crayon de couleur sur papier 485 x 631 mm (jour)Museum voor Schone Kunsten, Ostende
FILLETTE EN BLANC 1912Encre de Chine, pinceau, pastel, gouache, crayon de couleur sur carton 895 x 705 mm (jour) Collection particulière
LA BUVEUSE D’ABSINTHE 1907Encre de Chine, lavis, pinceau, gouache aquarelle, craie de couleur sur papier1050 x 770 cm (jour)Collection particulière
BiBliograPHie / sur sPilliaert : LÉON SPILLIAERT, Bruxelles, MrBaB, ludioN, 2006 • a. adriaeNs-PaNNier, SPILLIAERT, LE RE-gARD DE L’âME, ludioN, 2006 • N. HostyN, LÉON SPILLIAERT, VIE ET œUVRE À TRAVERS LA COLLECTION DU MUSÉE DES BEAUX-ARTS D’OS-TENDE, stiCHtiNg KuNstBoeK, 2006 • LÉON SPILLIAERT, VERTIgES ET VISIONS, FoNdatioN NeuMaNN-soMogy, 2002 sur l’art Belge : M. draguet, LE SyMBOLISME EN BELgIQUE, FoNds MerCator, 2004 • M. PalMer, UN ART BELgE 1880-2000. D’ENSOR À PANAMARENkO, raCiNe, 2004 • PH. roBerts-JoNes, DU RÉALISME AU SURRÉALIS-ME, ulB-CaHier du graM, 1994 Pour PHilosoPHer : g. BaCHelard, L’EAU ET LES RêVES, ESSAI SUR L’IMAgINATION DE LA MATIèRE, gal-liMard, le livre de PoCHe, 1993 • g. deleuZe, NIETzSChE ET LA PhILOSOPhIE, PuF, 2005 uN Peu de Poésie : M. MaeterliNCK, SER-RES ChAUDES – QUINzE ChANSONS - LA PRINCESSE MALEINE, gal-liMard, 1995 • e. verHaereN, POÉSIES COMPLèTES I, LES SOIRS, LES DÉBACLES, LES FLAMBEAUX NOIRS, laBor/aMl, 2002 quelques FrissoNs : g. de MauPassaNt, LE hORLA, galliMard, le livre de PoCHe, 2003 • e.a. Poe, NOUVELLES hISTOIRES EXTRAORDINAIRES, galliMard, le livre de PoCHe, 1972 • o. Wilde, LE PORTRAIT DE DORIAN gRAy, galliMard, le livre de PoCHe, 1972 eN ParallÈle : J. Bell, 500 AUTOPORTRAITS, PHaidoN FraNCe, 2005 • P. Bo-NaFoux, AUTOPORTRAITS AU XXe SIèCLE, déCouvertes galliMard, 2004 • MARINES CôTE À CôTE, osteNde PMMK, 2003 • J. rudel, LES TEChNIQUES DE L’ART, FlaMMarioN, 2006 FilMs : LES SILENCES DE SPILLIAERT, W. legueBe (FraNCe 2002), to do today-rtBF Pro-duCtioNs, éd. dvd 2006 • VERTIgO (SUEURS FROIDES), a. HitCH-CoCK, 1958, usa, dvd uNiversal - ColleCtioN HitCHCoCK titres disPoNiBles au MuseuMsHoP des MrBaB
léoN sPilliaertexPo 22.09.2006 04.02.2007
Musées royaux des Beaux-arts de Belgique
3, rue de la Régence
1000 Bruxelles
T 02/508 33 33 F 02/508 32 32
www.expo-spilliaert.be
horaires
fermé
tickets
9 euro
6,5 euro
2,5 euro
gratuit
visites guidées
mardi – dimanche, 10:00 – 17:00, nocturne: vendredi jusqu’à 21:00
01.11.2006, 11.11.2006, 11.01.2007, lundi
adultes
seniors, étudiants, groupes (>15 personnes)
groupes scolaires par élève
amis des MRBAB et enfants de moins de 13 ans accompagnés d’un parent
le billet d’entrée donne droit à la visite des Musées des Beaux-Arts le même jour
organisées uniquement par les Musées , T 02/508 34 56