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« Les joies humaines les plus pures nous
viendront de l’amitié, et nous ne pouvons
vivre sans joie. De même que l’amitié
surnaturelle ne saurait se concevoir sans
la forme d’une amitié humaine très
simple, de même je crois que nous devons
réapprendre à percevoir les joies les plus
simples. Il y a les plaisirs et il y a la joie.
On peut renoncer aux plaisirs, on n’a pas
le droit de renoncer à la santé morale que
donne la joie. Renoncer à certaines
satisfactions humaines ne doit pas
entraîner le renoncement à la joie.
Jésus est pour nous la source unique des joies suprêmes : joie d’être
admis à entrer dans les secrets de Dieu, joie de la fécondité
immédiate de la croix, joie de l’efficacité de la prière, joie de
l’espérance et de l’attente, joie de savoir avec certitude que Celui que
nous aimons par-dessus tout est définitivement heureux. Toutes les
joies sont enracinées en nous dans la foi et l’espérance, mais elles
sont aussi, comme notre foi, en attente de leur pleine réalisation.
Mais il est d’autres joies, plus immédiates, joies simples, humaines, qui
sont comme l’éclat de la santé du cœur et de l’âme. Ces joies humaines
retrouvent en effet comme un éclat nouveau très pur, lorsque notre
cœur, par le détachement, se trouve solidement ancré par l’espérance
dans la seule grande joie de posséder Dieu. Nous ne pouvons vivre notre
vie d’hommes sans joies humaines. La tristesse acceptée, accueillie, est
toujours au moins une imperfection, elle est un relâchement des forces
de la générosité et de l’amour, elle tue l’espérance ».
(du Père Voillaume dans Lettres aux fraternités I – 1959)
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Décembre 2014
Chers amis,
Les textes que nous vous présentons dans ce bulletin 2014 parlent
beaucoup "de joie" et "d’espérance ", rejoignant ainsi l’invitation de
notre Pape appelant les « chrétiens à une nouvelle étape évangélisatrice
marquée par la joie » (Evangelii Gaudium n°1).
Si la vie de nos frères et sœurs les plus démunis est marquée par la
souffrance, il faut dire aussi que ce sont souvent eux qui nous donnent
les plus beaux témoignages de joie.
Le Pape François écrit aussi dans son Exhortation : « Je peux dire que
les joies les plus belles et les plus spontanées que j’ai vues au cours de
ma vie sont celles de personnes très pauvres qui ont peu de choses
auxquelles s’accrocher. » (n°7)
C’est cette joie des humbles que nous voulons essayer de vous partager
en vous donnant quelques échos de ce que vivent les petites sœurs dans
les différentes fraternités de par le monde.
Que cette joie de l’Evangile nous habite toujours plus. « Notre joie
chrétienne jaillit de la source du cœur débordant de Jésus. Il promet aux
disciples : " Vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie ".
Et il insiste : "Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et
votre joie, nul ne vous l’enlèvera. "[…] Pourquoi ne pas entrer nous aussi
dans ce fleuve de joie ? » (n°5)
Que ce bulletin soit l’occasion, une fois encore de vous dire MERCI pour
tous les signes d’amitié et de solidarité de votre part.
Les Petites Sœurs de l’Evangile
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LE CHRIST SOURCE DE TOUTE ESPERANCE Petite Sœur Christine, de la fraternité de Pierrefitte (93), nous livre son témoignage sur l’espérance et plus particulièrement sur le Christ, source de toute espérance :
L’espérance n’est pas une attitude naturelle aujourd’hui, vu tout ce qui se passe au quotidien : souffrances et épreuves dans nos vies ou autour de nous, tant de graves conflits dans le monde. Alors, où trouver l’espérance ? Je pense à quelques phrases de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium du pape François qui nous renvoie à la source de l’espérance :
« Personne ne pourra nous enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable. Il nous permet de relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie. Ne fuyons pas la résurrection de Jésus, ne nous donnons jamais pour vaincus, advienne que pourra. Rien ne peut davantage que sa vie qui nous pousse en avant ! » (Evangelii Gaudium No.3) Un amour inlassable Oui, c’est bien en Dieu, en son amour que je peux puiser l’espérance. Dieu aime notre monde. Il aime chacun de nous d’un amour infini et inébranlable, il ne se fatigue pas avec nous quoi qu’il arrive. La méditation de la parole de Dieu m’aide à m’enraciner dans cette foi et cette confiance en Dieu, en son amour. Je ne me lasse pas de regarder la fidélité de l’amour de Dieu tout au long de son chemin avec son peuple, avec l’humanité : histoires d’appels et de fidélité, mais aussi d’épreuves, de trahisons, d’exils, de croix. Mais en tout : Dieu est là, fidèle, et il ne cesse de nous aimer et de nous appeler à la vie. Le
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dernier mot, c’est une Parole de vie : la joie de la résurrection du Christ, expression suprême de l’amour et de la miséricorde, promesse de vie pour tous ceux qui se fient à lui. La méditation de la parole de Dieu m’aide aussi à relire ma propre vie à la lumière de la foi. Dieu continue à écrire l’histoire du salut dans nos vies, dans ma vie. Tant de merveilles qu’il a accomplies et qu’il continue à accomplir. Faire mémoire des merveilles de Dieu, c’est source de joie et d’action de grâce, c’est une « clé » pour grandir dans l’espérance. Se laisser façonner par la parole de Dieu J’essaie de me laisser façonner par la parole du Seigneur, pour qu’elle imprègne mon regard sur le monde et sur les autres : ne pas rester sur les images de mort, de violence, sur les erreurs des uns et des autres qui peuvent nous mener vers le désespoir, vers un pessimisme stérile. Mais regarder tout avec le regard d’amour et de miséricorde de Dieu : découvrir les signes de vie autour de nous, soutenir les germes de solidarité, ne pas enfermer l’autre ni moi-même dans nos limites ou nos erreurs, partager ce que nous avons pu vivre de bon ou de beau et inviter les autres à faire de même. Cela change peu à peu mon regard, m’aide à grandir dans un « regard contemplatif » sur notre monde, habité par l’espérance et la foi. Oui, le Royaume de Dieu est déjà là, en germe.
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Ce regard de foi me renvoie à l’importance du moment présent et de la rencontre avec la personne en face. Je pense à une expérience très forte lors de ma mission en Équateur. Pendant plusieurs mois nous avons dû nous occuper de Carlos et Ramonita, deux personnes vivant à la rue, handicapées et très démunies. A cause de grands problèmes de santé, nous nous sommes retrouvées d’un jour à l’autre à les loger, nourrir, soigner. Je n’aurais jamais pensé que j’en serais capable, et parfois cette situation nous confrontait à nos limites. Mais j’ai redécouvert l’importance singulière de chaque instant, de chaque regard, de chaque mot. Et même si nous ne pouvions pas proposer de « grandes solutions » à long terme, nous essayions de leur témoigner dans les plus petits gestes, l’amour de Dieu qui n’abandonne jamais. J’ai rarement fait une expérience si forte et en même temps si mystérieuse de la présence de Dieu, d’une joie profonde et « silencieuse » de son amour au cœur de la souffrance. Quels signes de l’espérance au cœur de l’épreuve qui nous ont fait grandir nous-mêmes dans la foi et l’espérance. Oui, c’est dans le concret, en touchant les plaies des autres, que nous rencontrons Dieu et que nous découvrons l’espérance d’une nouvelle manière. Une autre porte d’entrée pour moi pour grandir dans l’espérance : vivre le moment présent, au service des pauvres. Sur qui compter ? Dans d’autres situations mon espérance a été mise à l’épreuve : soucis de santé, évènements douloureux... A certains moments tout semble s’écrouler, on a l’impression de tomber dans le vide. Et pourtant quand je relis ma vie, c’est dans ces situations que ma foi a « bougé ». D’une manière radicale, j’étais confrontée à la question : sur quoi est-ce que je peux encore compter ? Ou peut-être plutôt : sur qui ? Parfois les paroles des psaumes m’ont donné des mots pour prier, pour crier vers Dieu, pour dire mes souffrances, mes inquiétudes, mes doutes. Il ne fallait pas avoir peur de me tourner vers Dieu avec tout ce qui m’habitait. Peu à peu un chemin s’est tracé, pas sans larmes et sans peine… Expérience nouvelle de celui qui est mon roc, sur qui je peux compter, expérience nouvelle de la présence de Dieu, fidèle et inébranlable. La confiance et l’espérance en sortent grandies, avec des racines plus profondes…
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Heureusement je n’étais jamais seule dans ces situations. Il y avait d’autres personnes qui étaient là, qui m’ont écoutée, avec qui je pouvais partager. Elles étaient des témoins de l’espérance pour moi : elles n’ont pas fui les souffrances ni proposé des explications trop faciles, mais elles sont restées avec moi, elles m’ont écoutée, soutenue, elles ont cru qu’un chemin est possible. « Un chrétien seul est un chrétien en danger » nous rappelle parfois notre évêque. C’est d’autant plus vrai dans des moments d’épreuve et de doutes ; parfois c’est la foi et l’espérance des autres qui nous aident à les retrouver en nous-mêmes. Un programme à vie Vivre dans l’espérance, c’est un programme à vie, nous restons toujours itinérants, ce n’est jamais acquis : sans cesse il faut nous laisser façonner par la rencontre avec le Christ, approfondir la joie de la rencontre avec lui, lire ce que nous vivons à la lumière de la foi, pour savoir y saisir les rayons de lumière. Et combien c’est important dans notre monde d’aujourd’hui, si souvent menacé par le désespoir et un pessimisme grandissant. « Notre foi est porteuse d’une espérance dont le monde a besoin » a rappelé Monseigneur Pontier, président de la conférence des évêques de France en avril 20141. « Beaucoup viennent vers l’Église, conduits par l’Esprit de Dieu, pour vivre une expérience spirituelle et trouver une lumière pour avancer dans l’espérance et la fraternité. Ils attendent beaucoup de nous. Nous leur redisons cet amour de Dieu pour chacun et nous annonçons l’appel du Christ à construire un monde juste et fraternel. » Comme chrétiens nous ne pouvons pas garder l’espérance pour nous-mêmes. Comme disciples du Christ, habités par la joie de la rencontre avec Lui, nous sommes toujours envoyés, nous avons mission de témoigner de l’espérance qui nous habite (cf. 1 Pierre 3, 15). Parfois c’est un témoignage par nos paroles, dans bien d’autres situations le témoignage passe par notre vie et nos engagements. L’espérance n’empêche pas de rester réalistes face aux défis qui nous attendent, mais elle les habite. Elle permet de regarder nos mondes autrement, prêts à nous engager pour qu’il soit plus juste, plus fraternel, selon le dessein de Dieu.
1 Discours d’ouverture de l’Assemblée des évêques à Lourdes
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DU GUATEMALA
Cette année 2014 a vu la fondation d’une nouvelle fraternité au
Guatemala, en Amérique Centrale ; en voici quelques échos :
Nous voilà déjà en route vers la fin de 2014, vers la deuxième partie de
notre première année de présence ici à Jalapa, Guatemala.. Nous sommes
dans notre septième mois de vie partagée avec cette Eglise particulière
dans la paroisse « Rectoria de Catedral » du Diocèse de Jalapa.
La Fraternité se situe à la périphérie d’une ville d’environ 20.000 habitants,
dans le sud-est du pays, à 150 km du Salvador et du Honduras. L’évêque du
lieu nous a proposé ce quartier car, depuis quelques années, il se rend
compte du peu de présence de l’Eglise auprès de ces familles qui viennent
de la montagne ou d’autres lieux. La mission qu’il nous confie est
d’accompagner les petites communautés de base qui sont en train de se
constituer, c’est à dire de participer chaque semaine à leur rencontre
autour de la Parole de Dieu et ensemble, apprendre à se laisser éclairer par
Son Message.
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Le diocèse de Jalapa après Aparecida (Vème Rencontre de la Conférence
des Evêques d’Amérique Latine) a commencé un processus de mission
permanente. Ce processus a donné un élan et a réveillé cette Eglise locale.
Le diocèse tout entier est bien motivé par les fruits des « saintes missions
populaires » (partie essentielle de ce plan pastoral), comme par exemple,
le sens de la communauté, l’accueil chaleureux, la proximité du clergé avec
le peuple. L’Eglise, ici, est jeune et bien vivante.
Sept mois se sont écoulés depuis notre arrivée dans ce nouveau lieu de vie.
« Las Marías » est le nom du quartier qui nous accueille depuis le premier
jour. C’est un lieu pauvre, économiquement parlant, avec des gens très
gentils et croyants. Croire, ici et aujourd’hui (où la souffrance touche
profondément les familles), c’est admirable et il faut du courage pour
croire, pour croire vraiment. Il y a aussi bien des déviations autour de la foi
et des croyances…
Dans ce temps de vie partagée, nous avons pu vivre des choses
extraordinaires dans une vie très ordinaire :
La joie des rencontres avec les communautés de vie chrétienne qui veulent
vivre leur foi ; elles sont onze. Elles se réunissent chaque mercredi soir
autour de la Parole de Dieu ou d’un thème de catéchèse, rencontres qui se
transforment en un vrai lieu de partage, d’écoute, de joies ou de peines
partagées. C’est magnifique !
Chaque communauté a deux coordinateurs responsables, chargés aussi du
lien avec les autres communautés. Ils se réunissent, avec nous petites
sœurs, pour organiser les activités.
Notre présence est perçue comme une aide, pour la vie de leur
communauté. On perçoit une grande attente d’évangélisation et
d’accompagnement. Il faut dire aussi, que c’est une communauté
chrétienne qui est née il y a quatre ans seulement.
Nous sommes impressionnées par la vie de foi des gens et cela nous
pousse à aller de l’avant. Tout ce qu’ils ou elles nous confient, ce n’est pas
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pour nous, c’est pour les présenter à Dieu, Source de tout bien, dans notre
offrande quotidienne. Dieu est AMOUR ! Combien il est bon de nous le
redire de temps en temps.
Des évènements simples ou douloureux peuvent, parfois, se transformer
en « moments de vraies fêtes ». Comme le mariage d’un couple de notre
quartier qui pensait être marié légalement à l’Eglise et qui découvre un
jour qu’il n’en est rien ! A l’occasion de la préparation de la confirmation de
l’épouse, ils apprennent qu’il n’y a aucune preuve écrite de son baptême.
Choc pour elle et pour lui, d’admettre que leur mariage était donc invalide.
Après des moments d’angoisse, de larmes et multiples dialogues entre le
prêtre, le couple et notre fraternité, leur mariage fut célébré à la paroisse
dans l’intimité familiale ! Cette fois-ci, ils ont vraiment reçu le sacrement du
mariage. Leurs 9 enfants et les proches parents en étaient tout surpris et
heureux ! La mariée était magnifiquement habillée, tout en blanc. C’était
touchant de les entendre redire « OUI » à la fidélité de leur amour. Puis, à
la maison, le voisinage, la famille et nous-mêmes, avons fêté selon la
tradition indigène. L’ambiance était bien festive et deux jours après, en
bonne et due forme, eut lieu la confirmation.
Dans la mission qui nous revient nous portons ce souci du développement de la personne, en particulier quand celle-ci vit dans des conditions de vie très précaires. Depuis notre arrivée en février 2014, nous découvrons petit
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à petit les situations, nous écoutons, nous regardons… et aujourd’hui, nous nous interrogeons sur la manière avec laquelle nous pourrions participer, avec eux, à une possible amélioration de leurs conditions de vie. Il y a quelques semaines, le prêtre de notre paroisse nous a demandé d’assurer un service pour les enfants et les jeunes du quartier et nous avons accepté. Il s’agit de mettre à leur disposition une petite bibliothèque, pour qu’ils puissent faire leurs devoirs. Celle-ci se trouve chez nous, à la fraternité, dans une petite pièce aménagée (ex-garage). Manuels, dictionnaires, livres, contes… et 3 ordinateurs (sans connexion internet) fournissent l’essentiel du matériel ; c’est suffisant pour commencer mais il est probable qu’il faudra le compléter, en particulier au niveau des livres pour enfants. C‘est à la fin de ce mois de septembre que nous avons ouvert les portes, quelques semaines après l’inauguration où l’Eucharistie fut célébrée, dans notre rue, devant la fraternité (il n’y a pas d’église dans notre quartier). Les gens sont venus nombreux, contents que nous ayons accepté ce service. Avant de partager un goûter, notre curé a béni la petite pièce, bien accueillante pour ce moment spécial, décorée par quelques jeunes. Ce projet vient d’un groupe de Turin qui soutient des groupes d’enfants dans leur scolarité en leur offrant une bourse. Cette nouvelle réalisation est une prolongation de leur solidarité avec la jeunesse. Les conditions matérielles ne sont pas les meilleures pour nous mais nous avons accepté car nous nous rendons compte qu’il y a peu d’espace pour les enfants et les adolescents dans ce quartier. L’accès à un lieu un peu tranquille et favorable à l’étude et à la lecture n’existe pas. Quatre jours par semaine, nous sommes présentes pour ouvrir la bibliothèque et donner un coup de pouce pour que ces jeunes apprennent à faire eux-mêmes leurs propres recherches et peu à peu aient le goût de la lecture.
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Ce pourrait être pour la Fraternité un premier pas vers une approche concrète vers ces jeunes. On ne peut encore rien dire de plus sur cette expérience vu qu’elle commence à peine !
Nous avons reçu l’envoi de notre Conseil Général pour commencer cette nouvelle insertion ici au Guatemala, terre de martyrs. Terre aussi où de nombreuses personnes sont engagées en faveur de la Vie, de la dignité humaine et de la protection de l’environnement, comme par exemple, la lutte contre les sociétés minières, les entreprises hydroélectriques… qui ne tiennent pas compte des familles qui habitent sur ces lieux.
C’est dans ce contexte rural, proche de cette petite ville de Jalapa, que ce pays deviendra un peu le nôtre ! Pour nos voisins, notre arrivée a « joyeusement » surpris, car la forme de notre vie religieuse et notre « spiritualité foucauldienne » leur sont peu connues.
De part et d’autre, nous nous « apprivoisons » ! Continuons de découvrir et de tisser des liens de respect, d’amitié, témoignant de l’Espérance qui nous vient du Seigneur et témoignant de la joie de Son Evangile. La confiance de l’Eglise du diocèse de Jalapa, par son évêque et ses fidèles, nous stimule à désire créer du « neuf » selon le Souffle de l’Esprit de Pentecôte !
Dans cette nouvelle mission, nous demandons à chacun de vous de nous accompagner par sa prière.
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DU SALVADOR
Du Salvador, petite sœur Zussel, péruvienne, qui a fait ses premiers vœux le
3 novembre dernier, nous partage son expérience de travail dans une école
d’un quartier difficile de la ville :
Aujourd’hui, mon cœur et mon âme ont besoin de partager quelques
traces de la présence de Dieu dans ma vie, comment Il se laisse rencontrer
dans des situations qui,souvent, échappent à ma raison et
compréhension.Demeurer attentive mais surtout être présente, comme
disait le père Voillaume, aux soucis et préoccupations du peuple, a toujours
pris chair en moi, et en ce
moment cet appel le devient
fortement.
C´est impossible de rester
indifférent en face de la situation
qui se vit ici au Salvador. Ce
climat de violence et d´injustice
nous touche tous et toutes. Cette
question résonne dans mon
cœur : qu´est-ce-qu´il faut faire
pour soulager la souffrance des
gens qui vivent dans la peur
quotidienne et l´impuissance de ne rien pouvoir faire pour leurs maris,
leurs épouses qui seront tués ?
Cette étape de ma vie comme enseignante d´Education de la Foi, m´a
permis de regarder une réalité qui est la conséquence de ce climat : les
adolescents commencent à perdre l´envie d’apprendre et ils deviennent
moins motivés. En partageant avec une collègue, elle me disait que les
années passées, ses élèves avaient un plus grand désir d´apprendre. Elle
devait bien se préparer pour être prête à répondre à leurs questions.
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Alors cette année où mon travail me permet d´être en contact avec les
enfants et les adolescents je suis confrontée à ce défi de réveiller en eux la
joie d´apprendre, de profiter et de s´émouvoir pour ce que la vie nous
donne. Il arrive qu´on emploie des bonnes stratégies mais ça ne marche
pas si l´élève ne porte pas dans le cœur, une raison de vivre en cette
étape de sa vie.
Je fais partie de l´équipe de professeurs qui enseignent l´Education de la
Foi à l´école « St Martin de Porres ». C´est une école paroissiale dirigée
par les Sœurs
« Dominicaines de la
Anunciata » ; elle se
trouve dans un
quartier pauvre et
très violent de
« Soyapango »,
banlieue de San
Salvador.
Nous essayons
ensemble, à travers
plusieurs activités
(retraites, Messes, célébrations de la Parole, Adorations Eucharistiques),
de donner aux élèves un temps pour qu´ils puissent découvrir la prière, la
méditation et en conséquence grandir dans la foi et vivre une expérience
d´amitié avec Jésus. Je pense qu´ils en garderont quelque chose dans leur
cœur et après, il faut laisser la grâce de Dieu agir, si elle trouve un cœur
docile à se laisser transformer.
Je suis heureuse de vivre cette expérience parce que même si ce n`est pas
évident et que mes élèves n´améliorent pas leur notes et leurs conduites,
comme institution on a une préoccupation permanente pour la formation
humaine et chrétienne des élèves, et je crois….qu´ils sont conscients de
cela.
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Voilà ce que je vous partage par rapport à mon travail qui est devenu
aussi mon lieu de évangélisation et de proximité avec les gens. Je
remercie aussi le Seigneur pour les liens d´amitié qui se sont tissés avec
les professeurs, les femmes de ménage, les jardiniers, les responsables de
la sécurité, quelques élèves qui aiment beaucoup « l´Education de la Foi »
et quelques autres qui n´ont pas un bon comportement à cause de toutes
sortes de problèmes dans la famille (couples séparés, familles divisées par
la migration, etc.).
Heureusement les Sœurs Dominicaines ont la charge de veiller sur la
discipline et de s´intéresser à chaque cas en particulier, et moi chaque jour,
en regardant les visages de mes élèves, je peux y voir l´amour et la
miséricorde de notre Dieu pour tous les crucifiés de ce peuple et j´envisage
un avenir différent. Oui, si seulement on découvrait cet amour-là, il n´y
aurait plus de violence, d´injustice et de corruption. L´éducation chrétienne
est une tâche très importante : faire connaître cet amour qui change
complètement la vie et rend présent le Royaume de Dieu ici-bas….Je suis
contente de donner ma petite part dans cette annonce de la Bonne
Nouvelle.
Avant de finir, je voudrais vous partager mon expérience quand j´ai eu
l’occasion de parler sur un aspect de notre charisme : le désert.
Un professeur de l´école est le responsable d´une fraternité de laïcs avec
le charisme de St. Dominique ; il m´a demandé de les aider à faire un jour
de désert (il avait entendu parler du désert à travers la vie du frère
Charles), et alors je lui ai proposé de faire connaître d´abord
théoriquement le désert, c´est à dire, de quoi il s´agit selon la Parole de
Dieu et selon les écrits de notre fondateur René Voillaume.
Comme le désert est un lieu de la rencontre avec Dieu, ils ont compris que
Lui se fait connaître dans le silence et la solitude. Quelques-uns ont
« pleuré » de joie et de reconnaissance pour tout ce qu´ils ont découvert
sur le désert ….et qu´est-ce que j´ai perçu ? Une soif de Dieu plus grande
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à cause de tout ce qu´ils vivent de fort, et pour cela l´envie de faire une
expérience de rencontre avec Dieu. Une autre chose qui confirme aussi
mes propres recherches, c´est que le désert permet à nos gens pauvres,
qui souffrent à cause de la violence et des injustices, d’avoir un espace et
un temps pour grandir dans leur amitié avec le Dieu auquel ils
s´approchent pour lui demander la foi, l´espérance et la force en face de
cette réalité dure.
Dans l’expérience concrète de nos peuples d´Amérique latine, cet aspect
de « Nazareth » communique une Bonne Nouvelle : Donner du temps à
l´essentiel qui est le Seigneur, nous conduit dans un chemin de confiance,
d´espérance et d´abandon, et pour nos peuples c´est l´unique chemin
pour pouvoir sortir de la peur et s´ouvrir à la véritable paix et
réconciliation.
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DANS LES BUS DE SAN SALVADOR
Petite Sœur Marie-Christine nous fait une description mêlant humour et
spiritualité des voyages en bus à San Salvador :
Nous qui avons la chance de ne pas circuler en voiture et de devoir
emprunter les transports en commun, combien d’avantages pour notre
édification spirituelle ! Les bus de San Salvador sont l’occasion propice
pour être interpellées dans notre foi. J’aime beaucoup y lire les
inscriptions qui s’y trouvent, très souvent à connotation religieuse.
Ici l’ambiance est à « Primero
Dios » (Dieu avant tout, Dieu
premier servi), formule litanique ;
et il n’est pas de discours qui ne se
termine par un : « Dios les
bendiga » (que Dieu vous bénisse).
Dans ces bus donc, s’offrent à nos
regards distraits, des messages sur
Dieu très révélateurs d’une
certaine théologie. On se fait un
Dieu à notre image, on médite
devant une phrase pieuse à côté
d’une femme en bikini dans des
poses lascives. Parfois aussi on est sollicité par une vidéo porno avec une
musique de fond assourdissante au risque de distraire dangereusement le
chauffeur. Il y a souvent à côté de la TV des silhouettes du Christ, les yeux
levés vers le ciel avec la légende de « Père, pardonne-leur, ils ne savent
pas ce qu’ils font ». Il y a d’ailleurs beaucoup à pardonner car les bus sont
le lieu idéal pour les attaques à main armée, les vols, les assassinats,
toutes sortes de règlements de compte, les demandes d’argent etc…. (il y
a eu en 2013, 34 assassinats de chauffeurs de bus !)
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Les demandes d’argent dans les bus sont présentées de manière plus ou
moins courtoise ; elles peuvent l’être par un tatoué au regard
menaçant : « Je pourrais vous l’exiger à la force, mais non, je suis un bon
petit gars, je crois à votre générosité spontanée… » Le ton est dissuasif et
on s’exécute sur le champ en plongeant son nez dans le porte-monnaie.
Mais comme les voyages en bus sont souvent longs à cause des
nombreux embouteillages et des travaux de voirie, cela laisse le temps
pour la méditation. Quelle idée se fait-on de Dieu dans les bus de San
Salvador ? Bien sûr, Dieu est et reste un mystère ; et comme nous met
en garde Maurice Zundel « attention cela ne veut pas dire indéchiffrable
mais inépuisable » et donc tout notre chemin spirituel consiste à
découvrir, peu à peu, les trésors qui sont en Dieu. Selon notre âge, les
étapes de notre vie, notre culture, notre histoire personnelle, nous
vivons cette découverte progressive. Il fut un temps où Jésus était
surtout pour moi le Maître qui enseigne. Comme Marie, la disciple de
Béthanie, j’étais enthousiaste à me mettre à ses pieds pour recevoir de
Lui - « Vous n’avez qu’un seul Maître, vous êtes tous frères » Mt 23,8 –
« Le Maître est là qui t’appelle » Jean 11,28. Il est celui qui cherche la
relation.
A d’autres moments, et surtout depuis que je suis rentrée à la Fraternité,
Jésus est l’humble artisan qui avait tant fasciné Charles de Foucauld,
bouleversé par le radicalisme de l’Incarnation du Fils de Dieu.
Au long de sa vie de foi, frère Charles a connu dans son approche de
Dieu, des accents différents jusqu’à parvenir à l’admirable synthèse d’un
Jésus « Bien-aimé Frère et Seigneur ».
Pour revenir aux affichages des bus de San Salvador, ce qui est plutôt
souligné, ce n’est pas la Kénose du Christ (Phil 2,6), mais son pouvoir, sa
toute-puissance. Les sectes évangéliques et la rénovation charismatique
le proclament haut et fort.
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« Le Tout Puissant d’Israël
« Le Roi des Rois »
« A Dieu la Gloire »
« Seul Dieu est Tout-Puissant »
C’est le faiseur de miracles, celui qui se joue des forces de la nature, celui
qui peut nous tirer d’affaires.
« Jésus-Christ est la solution à tes problèmes »
« Le sang du Christ a des pouvoirs »
« Le sang du Christ protège ce transport »
« Jésus-Christ est la réponse »
« Avec le Seigneur tout est possible »
« Jehova est mon pasteur, je ne manque de rien »
« A l’ombre du Très Haut, je ne crains rien »
Mais c’est aussi le Seigneur de Miséricorde qui a souffert pour nous sa
passion, il est source d’une puissance bénéfique.
« Seul Dieu est l’Ami fidèle »
« Souris, le Christ t’aime »
« Jésus vit, il t’aime »
« Dieu, tu prends soin de moi »
Ce Dieu compatissant, nous avons à le remercier :
« Merci Seigneur pour cette nouvelle journée de vie »
« Seigneur je te dois tout » etc….
Parfois on peut aussi trouver des allusions à un Dieu omniscient qui en
sait beaucoup plus que nous et nous invite à une démarche d’humilité :
« Seigneur, si ce voyage est mon dernier voyage au moins que ce soit
pour te rencontrer ».
Vu la conduite frénétique de certains chauffeurs, il y a de quoi trembler
et nous pousser à réciter souvent la prière d’abandon. Comme vous
voyez, voyager en bus offre une bonne catéchèse. Le Père Bruno Chenu,
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en parlant de nos représentations de Dieu, distinguait le Dieu trousseau
de clefs qui ouvre toutes les portes, explique tout ; le Dieu mouchoir qui
ne prend pas en charge l’explication mais la consolation, enfin le Dieu
porte-monnaie celui qui assure une rente éternelle. Les évangéliques
nous en donnent la garantie pourvu qu’on adhère à leurs églises. Avec le
Pape François, c’est un certain visage de Dieu qui est aussi mis en
lumière : c’est le Dieu-Ami, le « cariñoso », le Dieu de tendresse, qui
s’intéresse aux petits.
Nous qui appartenons à la Famille Foucauld, nous véhiculons aussi notre
propre image de Dieu qui va teinter d’une certaine couleur, notre
mission d’évangélisation. On se sent en phase avec cette phrase, extraite
d’une lettre de Frère Charles à sa sœur, où il lui partage ce bonheur
d’être aimé d’un Dieu Maître Souverain, en même temps époux
infiniment aimant, fiancé divin de nos âmes, père, frère, ami
incomparable ». Mais pour vivre intensément cette relation, je dois lui
laisser toute la place et comme le conseille une autre inscription lue dans
le bus de San Salvador :
« Ton âme est vide, remplis-la, mais seulement du Christ »
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De Charles de Foucauld
« Je cesse ici les méditations sur l’espérance. Car je vois
qu’il faudrait méditer sur chaque verset des quatre
Evangiles, sur chaque parole et chaque action de Jésus…
Toutes ses paroles, toutes ses actions nous crient d’espérer… Ainsi il n’y a pas à chercher dans les
Evangiles quels sont les passages où Dieu nous enseigne
l’espérance. Tous les versets, dictés par l’amour de nous
par l’Esprit Saint, toutes les paroles dites devant nous par
Jésus pour être par conséquent entendues de nous, tous les
actes faits devant nous par Jésus, pour être par conséquent vus de nous, sont autant de
bienfaits de Dieu pour les hommes, nous montrant son Amour pour nous, son cœur et par
conséquent nous crient d’espérer en lui. »
« Ne pas espérer est peut-être le crime le plus grave que l’homme puisse commettre, car c’est
le plus directement injurieux à la bonté de Dieu, au cœur de Jésus. C’est nier son amour, sa
miséricorde, son infinie bonté, et cela après que son cœur a été percé pour nous, cela après
l’Incarnation, la Passion et la Croix ! Si le manque d’espérance est le crime le plus grave que
nous puissions commettre en ce monde, combien fortement, profondément ne devons-nous
pas espérer toujours, toujours. »
« Ne désespérons jamais ni pour nous ni pour les autres, ni pour aucun autre, si perdu de
vices qu’il soit, si éteints que semblent en lui tous les bons sentiments, ne désespérons jamais,
non seulement du salut, mais encore de la possibilité d’atteindre une admirable sainteté.
Dieu est assez puissant pour cela… Le bon Pasteur peut ramener au bercail les brebis de la
onzième heure, comme à la première. Sa bonté comme sa puissance sont sans limites. Tout
espérer est une obligation pour nous, d’après l’Esprit Saint, parlant par saint Paul. »
(Méditations de Charles de Foucauld à Nazareth)
22
DE PORT-AU-PRINCE (HAÏTI)
Petite Sœur Vanna, italienne, nous fait découvrir quelques aspects de ce
qui se vit à Kay Chal, un lieu de vie et de rencontre pour les jeunes dans le
quartier de la fraternité :
Kay Chal est né en 2010 suite au tremblement de terre, pour donner un
espace culturel dans la "cité" (quartier très populaire). Nous essayons
toujours d’adapter cet espace aux exigences concrètes des enfants et
des jeunes qui le fréquentent.
Dans le centre il y a 4 réalités : la bibliothèque des jeunes avec le cours
d’informatique ; le projet de récupération scolaire avec les enfants
« restavèk2 » qui a lieu le matin ; les différentes propositions faites aux
enfants de la cité, notamment le rattrapage scolaire, les activités
ludiques et sportives et des journées spéciales; l’accompagnement des
animateurs bénévoles, au nombre de 27. Nous constatons, avec
beaucoup de joie comment, avec le temps, ils deviennent des acteurs
indispensables de la vie du centre avec une attitude positive,
dynamique. Les enfants apprécient leur support et nous aussi.
Le fil rouge des toutes les activités est le désir d’offrir un espace agréable
de rencontre où, jeunes et enfants, puissent se sentir accueillis tels qu’ils
sont afin de s’épanouir en faisant un chemin d’humanisation.
Cette année 24 enfants et jeunes ont bénéficié du projet de "kay chal
vin apprann" le matin ; ceux-ci, sont tous en déficit scolaire, âgés de 10
à 21 ans ; ils vivent en situation de domesticité ou dans des familles en
difficulté. Ils vivent habituellement dans la soumission. Dans la société
haïtienne, ces enfants sont appelés « restavek » : ils viennent en général
de la province, en vue de rendre des services domestiques dans des
familles de la capitale avec la promesse d’être scolarisés. Cette forme de
"servitude" compromet fortement leur vie d’enfants, leur formation en
tant que personne.
2 Enfants placés en domesticité dans des familles
23
Avec l’aide de deux professeurs et une soeur d’une autre congrégation,
nous leurs avons proposé desactivités scolaires et parascolaires ; nous
insistons sur les matières de base comme la lecture et l’écriture mais
nous travaillons aussi le renforcement de leur vie sociale fortement
compromise par leurs conditions de vie. Nous cherchons à valoriser leurs
dons, les qualités de chacun ; tout cela pour favoriser la prise de
conscience de leur propre dignité, de leurs propres droits.
A travers les
partages, les
jeux collectifs
nous les aidons
à vivre des
relations saines
« normales »
sans esprit de
domination, à
canaliser la
violence, la
tendance à la
moquerie et nous essayons de leur donner une éducation de base par
rapport au savoir vivre en société.
Nous avons travaillé de façon plus soutenu, au niveau de
l’enseignement scolaire, avec une dizaine d’enfants, dont le potentiel
permettait de croire qu’ils seraient capables d’entrer dans le système
scolaire normal. En effet, avec beaucoup de joie, 13 enfants
réintégreront le circuit scolaire normal à la prochaine rentrée.
A la fin de l’année nous avons fait une sortie de découverte, qui leur a
donné la possibilité d’élargir leur horizon. Beaucoup d’entre eux ne
connaissent que leur village d’origine et la cité populaire où ils vivent
actuellement.
Entre 15h et 17h, les enfants des différentes écoles du quartier viennent
pour le rattrapage scolaire ; ils peuvent profiter de l’aide des animateurs
24
présents et des suggestions de leurs compagnons. Nous essayons d’offrir
un espace adapté, propre, agréable et protégé pour travailler dans un
environnement favorable. Les enfants s’approprient ce lieu car souvent à
la maison ils ne disposent pas d’espace ni de l’appui de leurs parents,
eux-mêmes préoccupés du pain quotidien.
Ouverte tous les
jours entre 15
heures et 18 heures,
la bibliothèque est
devenue non
seulement un lieu de
ressourcement grâce
aux livres disponibles
et aux ordinateurs
ayant un programme d’encyclopédie, mais aussi un lieu de rencontres et
d’échanges entre les jeunes, lieu
pour tisser des liens.
Les enfants plus petits disposent
de beaucoup de petits livres
adaptés aux différentes
tranches d’âge, qui les aident à
découvrir le « plaisir du livre ».
Dans le cadre de la Bibliothèque
cette année nous avons proposé
un cours d’initiation à
l’informatique. Une quarantaine de personnes ont pu profiter de cette
proposition permettant de lutter contre cette nouvelle forme
d’analphabétisme. Ce cours est un grand soutien pour les jeunes qui
apprennent l’informatique à l’école, mais qui n’ont pas la possibilité de
faire de la pratique.
25
Les enfants sont environ 200 qui, chaque vendredi de 14 h à 18 h,
viennent dans le centre pour des activités récréatives. Les animateurs,
selon leurs talents, proposent différents ateliers : football, basket ; ou bien
ateliers d’artisanat pour la fabrication de colliers, de bracelets, de fleurs
en papier, de tableaux ; ou encore, ils peuvent s’insérer dans un groupe
pour apprendre à jouer du tambour ou autres jeux éducatifs.
Chaque vendredi le nombre d’enfants varie, mais il n’est jamais inférieur à
120. Ces activités se déroulent dans une ambiance paisible, positive, où
nous essayons de donner aux enfants un espace d’expression libre,
créative, permettant de cultiver la non-violence à travers les jeux en
faisant un apprentissage de la gestion des conflits à l’aide du dialogue et
non pas selon ‘ la loi de la rue ’ à laquelle les enfants sont tellement
habitués.
Le projet se modèle au fur et à mesure grâce aux propositions faites tant
par les sœurs que par les animateurs jeunes qui habitent dans notre
quartier. Depuis toujours nous avons constaté combien c’est important
de créer un lieu de parole où ils puissent s’exprimer, partager leurs
expériences et donner leurs idées. Pour cela, périodiquement, nous
faisons des réunions d’évaluation et de planification. Kay Chal leur
donne la possibilité de vivre une expérience de service en mettant à la
disposition de leurs frères plus jeunes leurs dons et de faire
l’apprentissage de la vie de groupe. Les enfants savent apprécier la
disponibilité de ces animateurs leur manifestant de la reconnaissance et
du respect … la meilleure récompense dans ce travail de gratuité.
Nous avons aussi proposé des moments de réflexion et de prière pour
donner plus de sens à leur engagement.
La vie du centre Kay Chal est très intense pour ceux qui le fréquentent. Le centre a un seul objectif : que les enfants, les jeunes, les animateurs, les sœurs fassent l’expérience que vivre ensemble est possible quand chacun met ses talents, ses compétences, son temps au service des autres…
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LOS TEQUES (VENEZUELA)
Pour la fête de Noël, Mildred et Bernardita, de la fraternité de Los
Teques, nous ont livré une méditation sur le mystère de l’Incarnation
vécu dans notre monde, aujourd’hui :
La méditation de la Parole de Dieu, qui nous parle de l’Incarnation – Parole faite chair – du Fils de Dieu, et de la Parole de Vie exprimée dans les évènements qui marquent l’humanité aujourd’hui, nous permet de regarder la vie d’aujourd’hui avec les yeux des protagonistes et des témoins de cette irruption de Dieu dans l’histoire de l’humanité. « Or, quand ils étaient là (à Bethléem), le jour où elle devait accoucher arriva : elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes. »
27
Combien de personnes sont privées de maison : parce que les pluies diluviennes ont emporté leur baraque qui était accrochée à flanc de montagne, ou parce que les conflits armés obligent les gens à chercher où survivre, ou à cause de la faim et du désespoir face à leurs enfants affamés et sans avenir, se jettent à la mer dans une tentative d’aborder d’autres rivages, d’autres « Lampedusa ». « Les bergers allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire. Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers. » Heureux ceux qui savent partir « en hâte » à la rencontre d’un enfant pauvre, et savent s’émerveiller des Bonnes Nouvelles qui les entourent, car ils ont le cœur libre, détaché et solidaire. « Quant à Marie, elle retenait tous ces évènements et les méditait dans son cœur. » Noël est un temps de partage en famille, un temps pour rentrer en soi-même, pour méditer, pour célébrer, pour intérioriser, pour lire « le passage de Dieu » dans notre vie et celle de nos peuples. Que nous sachions aller à la source de notre vie. Loin de l’enivrement de la consommation à outrance, des faux dieux et du faux bonheur. « Syméon les bénit et dit à Marie sa mère : « Il est là pour la chute et le redressement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté. Toi-même, un glaive te transpercera l’âme. » « Le disciple n’est pas plus grand que son maître ». S’ils ont torturé et tué Jésus, comment était-ce possible que la première disciple de son Fils, Marie, ne se charge pas de la souffrance de tant de crucifiés, dans les traces de son Fils jusqu’au Golgotha ? La vie et les enseignements de Jésus ne peuvent laisser personne neutre, car en face du message de l’Evangile, il ne peut y avoir de demie mesure : soit nous optons pour la VIE, soit nous optons pour la mort, la haine, la violence et notre propre mort.
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« Après que les mages s’en furent, voici que l’Ange du Seigneur apparait en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Nous sommes dans un monde où des millions de personnes doivent fuir : à cause de la violence des guerres, ou de la persécution pour la couleur de leur peau, à cause de l’appât des puissants de ce monde qui veulent les richesses naturelles des peuples ou des dictatures néolibérales qui volent la terre de milliers de paysans, pour y installer leur bétail, ou à cause encore du commerce de la drogue et de tant d’autres situations qui arrachent des familles entières à la terre où elles sont nées. Jésus a pris notre condition humaine et a connu ces situations dures que beaucoup vivent aujourd’hui. Sa réponse à la souffrance est celle « de se mettre à nos côtés, de se mettre dans nos souliers », du côté du pauvre, du souffrant, de l’exilé et de celui qui est menacé de mort (de faim ou par les armes). Et Il nous a donnés son exemple, sa parole, sa vie. « Ce que vous faites à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à MOI que vous le faites. »
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VŒUX PERPÉTUELS DES PETITES SŒURS EMMA ET THÉRÈSE
LE 10 AOÛT À ANTANANARIVO (MADAGASCAR)
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PREMIÈRE PROFESSION DE PETITES SŒURS CYLVIE, EMILIENNE ET
LYDIA
LE 13 SEPTEMBRE À ANTSIRABÉ (MADAGASCAR)
FONDATION D’UNE TROISIÈME FRATERNITÉ À MADAGASCAR
À ARIVONIMAMO
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DE SALAPOUMBÉ (CAMEROUN)
Au mois de mai, les petites sœurs de Salapoumbé ont fêté les 40 ans de présence de la fraternité, dans ce village de la forêt équatoriale du Cameroun. Petite Sœur Jacqueline nous invite à la fête :
Cette fête des 40 ans ! Nous y pensions depuis des mois, nous l’avions annoncée au moment de la fête des 50 ans de la Fraternité, nous y pensions, mais sans la préparer et le temps passait … Notre curé, un Oblat polonais très fraternel, aurait voulu faire les choses en grand : que viennent des évêques, des prêtres, des sœurs, nos sœurs responsables ! … Difficile, Père ! Les invitations furent envoyées. Mais qu’allions-nous faire ? ? La fête ! Les gens vibrent toujours à la fête ! Nous nous sommes réunies et les idées se sont mises en place : une messe d’action de grâce, un « après-midi souvenirs » et le partage à tous de la nourriture, parce que le principal pour que ce soit une fête, c’est la nourriture ! Pour la nourriture, que
faire ? Préparer pour combien de personnes : 200, 300 ? Une idée a jailli : achetons un bœuf !un BŒUF ??? En fait, nous sommes passées du bœuf au petit veau ! Choisi par notre curé parmi les troupeaux nombreux, très nombreux qui passaient, fuyant la Centrafrique. Nous pensions le garder
quelque temps – intéressant pour brouter l’herbe chez nous ! – mais il n’aimait pas la solitude et il s’est mis à maigrir, à perdre des forces.
Nous l’avons fait égorger avant qu’il ne meure et c’est devenu un très gros paquet de viande à caser dans le congélateur. Mais cela ne suffisait pas, semblait-il, il fallait en trouver un autre. Hélas, les troupeaux ne passaient plus. Dommage, quelques temps auparavant on trouvait à acheter des veaux boiteux pour presque rien ! Nous en avons quand même trouvé un à Mikel, à 20 kms : discuter le prix, le faire mettre dans la voiture, le ramener à la maison, l’installer pour qu’il broute … Le soir, à cause de la pluie, nous avons voulu le faire entrer dans le garage : le pousser, le tirer, rien à faire ; le pousser encore et boum ! Il tombe, mal, assommé ! Les yeux révulsés ! Panique ! Tuons-le avant qu’il ne meure ! Vite, nous nous précipitons
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pour aller chercher celui qui avait si bien découpé le premier ! Mais alors que la voiture démarrait, une oreille a remué, puis la queue … Ressuscité le veau !! Ouf ! Il a eu encore une journée à vivre avant de rejoindre son frère au congélateur.
Nous avons fait installer deux banjos, protection pour le soleil ou pour la pluie, l’un en prolongement de notre entrée, l’autre en face de l’internat et nous avons nettoyé le garage.
Nous avions prévu trois lieux pour le repas. Les « invités de marque » seraient accueillis à la fraternité : prêtres, sœurs, quelques notables mais surtout, surtout, ceux que nous voulions mettre à l’honneur, vieux Bakas3 et Bantou qui se souvenaient de l’arrivée des sœurs et de leurs premières années à Salapoumbé et ceux qui avaient collaboré avec nous dans nos diverses activités ; les enfants seraient à l’école et tous les autres, par village, entre notre fraternité et l’école.
Trouver des chaises, des bancs, la nourriture, les boissons : le problème de l’alcoolisme est grave à Salapoumbé, aussi, pour prouver que ce n’est pas l’alcool qui fait la réussite d’une fête mais la joie d’être ensemble, nous avions prévenu qu’il n’y aurait pas de boissons alcoolisées et nous nous y sommes tenues.
Trois grands panneaux de photos ont été préparés, photos récentes et des premières années, avec au centre de l’un d’eux, le trombinoscope des 19 sœurs qui ont passé à Salapoumbé (un grand merci à nos sœurs du Conseil qui l’ont réalisé !)
L’équipe de liturgie a préparé l’église, le pagne de Frère Charles entourait harmonieusement l’autel ; nous avons nettoyé et installé la salle paroissiale pour la rencontre-souvenirs et le passage des montages réalisés par Bruna.Pour la nourriture, nous avions formé une petite équipe : deux femmes Bantou avec une dizaine de femmes Baka pour les aider. Dès le vendredi elles se sont mises au
3 Pygmée
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travail : préparer et couper les feuilles de coco, commencer à faire revenir la viande et le poisson, griller les arachides …, pendant qu’à l’église se faisaient les répétitions.
Et le samedi à 16h, nous étions prêtes… à tout ! A ce que les gens viennent … à ce qu’ils ne viennent pas ! Ils sont venus ! Nombreux, Bakas surtout mais aussi Bantous, de Salapoumbé, Ndongo, La Vie, Momboué, même Mikel.
La salle paroissiale était pleine, trop petite même. Nous avions attaché les panneaux de photos aux fenêtres à l’extérieur. Quelle joie pour les gens cette plongée dans le passé ! Une belle chose : un jeune est venu nous trouver : « Il y a la photo de mon grand-père, je ne l’ai pas connu, je porte son prénom, vous me la donnerez ? » Bien sûr !
Nous avons passé les montages ; il y a eu beaucoup de commentaires de la part des gens ; puis tous ceux qui le voulaient ont pris la parole,4 jeunes et vieux, et nous leur collions un petit cœur sur la poitrine. Des compliments pour la présence des
sœurs, leur travail et celui de Rita, présente, mais ce n’était pas cela que nous attendions ; nous espérions des anecdotes, et il y en a eues : de l’école sur la colline, du temps passé à quitter les chiques, du partage de la Parole le soir dans les villages et même de quelqu’un qui a raconté qu’il était de ceux qui ont « rendu la culotte » à l’école de Dunukefio !! C’était très sympathique !
Le Père Jean a clôturé par la prière. Nous étions heureuses de cette première rencontre.
Le lendemain matin, dès 3h30, l’équipe d’intendance s’est affairée dans la cuisine de l’internat et dans la cour, pour être prête pour 10h30.
Derniers préparatifs et la messe commençait. Elle a été très belle, présidée par le vicaire général. L’église était pleine ! Nous avons fait une grande procession de 40 personnes : 20 enfants de l’école de Dunukefio, les nouveaux baptisés, les femmes, les sœurs, chacun avec un lumignon que l’on allumait … un peu difficilement … avec des brindilles enflammées à des tisons portés par deux vieilles femmes Baka,
4 Référence à une vieille histoire où les enfants avaient rendu leur culotte dès la fin de l’école pour repartir en
forêt en tenue plus légère…
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luminions déposés dans un cœur devant l’autel. Les chants Baka et Bantou éclataient dans notre église au rythme du tamtam.
Jacqueline a donné en introduction le sens de cette messe d’action de grâce, rappelant ce qui avait été vécu durant ces 40 années, exprimant sa joie de voir cette assemblée nombreuse, signe de la reconnaissance et de l’amitié envers toutes les sœurs qui étaient passées à Salapoumbé, mais partageant aussi son inquiétude pour le futur : enfants non scolarisés, alcoolisme.
Le vicaire général, après avoir commenté l’évangile nous a remerciées pour la présence et le travail accompli.
Le plus beau a été la procession du Livre, introduite par une jeune femme à la voix d’or. Elle a traversé l’église en courant et s’exclamant, en français, en Bantou, en Baka : « C’est la Parole de Dieu ! ». Le lectionnaire avait été placé dans une petite hotte confectionnée pour l’occasion. M., très recueillie, entourée de 2 rangées de femmes dansant, s’est approchée lentement de l’autel ; elle s’est retournée devant le vicaire général qui a sorti le livre de la hotte avec respect, le présentant à l’assemblée sous les applaudissements ! C’était vraiment très beau !
La procession pour la communion était impressionnante. Beaucoup de Bakas que nous ne voyions plus, étaient présents ; le vicaire général et notre curé, très disponibles, avaient confessé jusqu’au dernier moment.
Après la communion, toutes les cinq et avec Rita, nous nous sommes agenouillées devant l’autel pour dire ensemble la prière d’abandon et chanter le chant « aimer ».
Puis Elisa a invité tout le monde à venir partager « un petit quelque chose ».
Partager la nourriture n’a pas été facile : à la fraternité le partage n’a pas toujours été équitable – nous ne pouvions pas être partout ! – Dans les groupes de village, il y a eu un peu la pagaille … mais tout le monde a pu manger, le temps était beau et la bonne humeur présente. A l’école, Eliane et Sylvie avaient regroupé tous les enfants dans les deux classes, ils étaient plus de 200 ! Aidées de quelques jeunes filles, elles leur ont partagé la nourriture. Et finalement il en est resté, ce qui a permis, après la dispersion, de faire un second tour pour les enfants, ravis !
Le lundi midi, nous avons invité tous ceux qui avaient œuvré à la réussite de la fête, surtout le groupe des femmes de la cuisine, et dans une ambiance détendue nous avons partagé le repas et regardé photos et montage.
Tout était terminé, la fête s’était bien passée.
Rendez-vous a été donné pour les 50 ans !!
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Les petites sœurs qui ont vécu à Salapoumbé
Sont actuellement dans cette fraternité : Lisy (malgache), Jacqueline
(française) et Elisa (italienne) –les trois premières sur le panneau,
rejointes depuis peu par Emma de Madagascar.
Marie-Laurence (n°7 en partant de la gauche) et Giuliana (n°10) ont
été pendant très longtemps les piliers de cette fraternité.
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De Charles de Foucauld
« Je suis devenu comme le pélican du désert, comme
l’oiseau de nuit dans son trou, j’ai veillé, solitaire
comme le passereau sur un toit, seul sans la compagnie
de vos anges, sans la douce pensée de votre présence,
souffrant les sécheresses, les dégoûts, un apparent
abandon et délaissement de vous… j’ai mangé de la
cendre au lieu du pain, mes jours ont passés comme
une ombre ; et j’ai séché comme le foin. J’ai perdu
mon temps, ma vie s’est écoulée inutile, j’ai vieilli sans
gagner aucun mérite.
Quand l’espace pour respirer se restreint, quand il
n’est plus possible de dire ou de faire, quand notre compétence, notre dévouement et notre
zèle deviennent même des obstacles, quand la situation semble désespérée, nous aimons
d’entendre nous redire en écho à Saint Paul : la faiblesse des moyens humains est une cause
de force pour affermir l’espérance au cœur même de nos fragilités et de nos détresses »
(A Marie de Bondy 8 mars 1908)
« Mon Dieu, parlez-moi de l’espérance… Comment de cette pauvre terre pourraient sortir
des pensées d’espérance ? Ne faut-il pas qu’elles viennent du ciel ?... Cette espérance qui
nous transporte tellement au-dessus de nous-mêmes, qui est tellement au-dessus de tous nos
rêves, non seulement Vous nous permettez de l’avoir, mais vous nous en faites
l’obligation… »
« Souviens-toi que l’espérance est un devoir » (Commentaire Psaume 25)
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DE MONTPELLIER
« Un arbre qui tombe fait plus de bruit que toute une forêt qui
pousse ». Petite Sœur Maïthé nous apporte un exemple concret de ces
arbres qui poussent sans faire de bruit, dans un quartier multiculturel
de Montpellier :
Les nouvelles de notre monde nous apportent bien des malheurs :
l’épidémie Ebola qui continue à s’étendre et à faire de nombreuses
victimes, les violences du terrorisme international avec son lot de
barbarie, la crainte devant l’avancée des groupes armées du daech avec
ses promesses de massacre au nom d’un islam fanatisé, l’exil désespéré
des populations. Quelles résonnances cela provoque dans nos propres
vies, dans nos quartiers où et français maghrébins doivent vivre
ensemble ? Oui, cela fait remonter des souvenirs douloureux parmi les
habitants de nos quartiers dont un certain nombre sont des rapatriés
d’Algérie. Mais une autre réalité existe aussi, moins voyante
certainement, mais plus porteuse d’espérance, bien que les difficultés et
les obstacles soient là aussi. Un proverbe chinois dit « Un arbre qui tombe
fait plus de bruit que toute une forêt qui pousse ». Alors, je vais me faire
le porte-parole de ce petit coin de notre forêt qui essaye de pousser.
Durant ces mois d’été, notre église paroissiale a eu des travaux de
réfection et de mise aux normes : accessibilité aux personnes
handicapées, travaux d’électricité, de peinture…. La touche finale a été
un grand nettoyage assuré par toutes les « bonnes volontés » et voilà
notre église toute belle, lumineuse et prête à nous accueillir. Sa
réouverture a été programmée pour début octobre et nous fêtions en
même temps son jubilé. A cette occasion, la communauté chrétienne
voulait s’ouvrir à tous les habitants du quartier, qu’ils soient chrétiens,
musulmans, juifs ou non-croyants…. Les invitations ont été très
largement diffusées.
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Ces cinquante ans de jubilé nous ont fait remonter à l’origine de notre
quartier et de l’histoire de notre église. Oui, elle avait été désirée par les
familles rapatriées en France, suite à l’indépendance de l’Algérie. Ils
avaient travaillé dur pour la faire construire car l’argent n’était pas là et il
a fallu bien des années de quêtes dans les autres paroisses pour y
arriver…. Mais elle était le signe de la présence du Seigneur parmi eux et
elle a vu le jour ! Cette fête du jubilé c’était aussi l’histoire de leurs 50
ans de vie de famille avec ses évènements heureux ou plus douloureux.
Et puis… surprise du calendrier ! Le 4 et 5 octobre étaient aussi la fête
juive du « Yom Kippour » (Jour du Grand Pardon) et la fête de l’Aïd Al
Adha (le sacrifice d’Abraham) qui est un grand moment où toute la
communauté musulmane se rassemble pour la prière. Comme cette
communauté de
notre quartier n’a
pas de locaux
assez grands pour
la célébration de
sa fête et que les
nôtres étaient
flambant neufs, la
communauté
chrétienne a mis à
leur disposition sa
grande salle de
réunion pour la
prière des femmes et le parvis de notre église pour celle des hommes,
comme cela a déjà été vécu d’autres années. C’est ainsi que nous avons
été amenés à nous entraider pour que chaque fête devienne possible,
en son temps. Le 4 octobre, dès le lever du jour, notre parvis s’est
transformé en lieu de prière, tapis sur le sol, hommes en djellaba blanc,
priant et se prosternant à la voix de l’imam : « Allah Akbar »…..Dieu est
plus grand que tout ! Les voir priant ainsi, reconnaissant la mainmise de
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Dieu sur eux, m’a impressionnée et j’ai pensé à frère Charles pour qui la
rencontre avec l’islam a été le début d’une autre vie. En 1886, il écrivait à
son ami Henri de Castries : « L’Islam a produit en moi un profond
bouleversement…. La vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la
continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus
grand et de plus vrai que les occupations mondaines ». En signe d’amitié,
le prêtre de notre paroisse, petite sœur Vincenza et M. A. se sont
rendus discrètement sur les lieux de prière. Monsieur A., responsable du
centre culturel musulman de notre quartier, les a rejoints et les a invités
à se joindre aux divers groupes de prière hommes-femmes, comme
présence fraternelle des chrétiens à leur célébration
Le temps de l’inauguration de notre église était venu et notre Evêque-
Auxiliaire avait répondu à notre invitation. Les habitants de notre
quartier ainsi que des représentants des autres cultes et associations
étaient bien là. Temps d’accueil, de rencontres, visite de l’église rénovée
pour ceux qui le désiraient, apéritif permettant des contacts plus
personnels. La communauté musulmane nous a fait la surprise de
compléter notre modeste « apéritif » avec un stand de merguez grillés,
olives et beaucoup d’autres bonnes choses appréciées par tous. Dans les
discours officiels, tous ont relevé l’importance de l’accueil mutuel, de
l’entraide, de la nécessité d’être unis.
Le lendemain, l’inauguration plus festive en présence de notre évêque
et de plusieurs anciens curés de notre paroisse était organisée pour la
communauté paroissiale : messe, apéritif, montage nous faisant revivre
les 50 ans de notre église, puis repas partagé avec ce que chacun avait
préparé. L’Eucharistie a été belle, bien préparée. La procession d’entrée
rassemblait les diverses générations et notre évêque a confié aux plus
jeunes l’avenir de notre communauté chrétienne. Notre prêtre nous a
fait admirer notre église rénovée, nous appelant tous à nous laisser
travailler à notre tour pour devenir « des pierres vivantes » témoignant
du Christ ressuscité, vainqueur de toute mort.
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Si ce temps de fête et de rencontre entre croyants de diverses religions a
été possible, c’est grâce au travail discret et tenace depuis des années de
l’association « Vivre ensemble » Cette association avait vu le jour à la
suite d’actes de violence sur notre quartier. Les responsables des
diverses religions se sont regroupés avec d’autres représentants du
quartier, responsables d’associations, adjoint au maire du quartier et
habitants pour œuvrer ensemble pour une vie commune possible, dans
le respect mutuel et la recherche de solutions aux difficultés qui se
posent dans nos banlieues. C’est un travail de longue haleine qui
nécessite toujours vigilance, collaboration et volonté tenace d’y croire
malgré les critiques de tous bords et les actes de malveillance.
« L’olivier de la paix », planté dans notre quartier il y a déjà quelques
années comme signe d’engagement, nous rappelle dans quel sens aller.
Quand des actes de racisme ou de malveillance veulent reprendre le
dessus, une « marche de la paix »est organisée par les acteurs de cette
association pour dire publiquement « NON » à toutes ces formes de
violence. Puisse cette espérance se réaliser contre vents et marées, avec
le soutien de la foi de chacun.
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DE BARI (Italie)
Alors que nous avons souvent tendance à remarquer ce qui ne va pas,
Petite Sœur Carmen nous invite à avoir un autre regard : apprendre à
voir le positif et à en remercier le Seigneur :
J’ai entendu dire qu’on avait constaté dans le temps que quand un
mot disparait du vocabulaire, disparait aussi son sens ! Or une
personne a fait remarquer que dans notre société le mot MERCI est
de moins en moins employé… et alors est-ce signe qu’on a du mal à
vivre de gratitude, à voir le positif et à remercier ? En ce sens je vous
partage quelques événements ordinaires que j’ai pu retenir en cette
période "chaleureuse" ici à Bari. Ceci sans oublier les souffrances qui
nous touchent, subies par tant de peuples meurtris par la guerre et
la violence !
En paroisse les activités s’arrêtent,
cependant le curé a voulu
maintenir l’adoration
eucharistique que nous vivons
chaque jeudi soir… une trentaine
de personnes, parmi lesquelles le
jeune qui joue la guitare, sont
toujours au rendez-vous ! MERCI
SEIGNEUR !
Les petites sœurs qui sont venues
à Bari ont dû remarquer le nombre
de petites églises dans le vieux
quartier de la ville, bien
entretenues par des confréries. À quelques mètres de la fraternité
on a eu droit à plusieurs fêtes cet été : Notre Dame du Carmel, S.
Jacques, Ste Claire… Notre curé est le père spirituel de ces trois
42
confréries ; j’ai apprécié ses efforts pour évangéliser ces traditions et
en même temps en faire des moments de fraternité. Il faut dire que
don Franco (le curé) aime beaucoup l’histoire et apprécie l’art ; à
chaque occasion il raconte les origines de ces églises pour éduquer
les gens à prendre soin de leur patrimoine. Ainsi il invite les gens à
poursuivre sur le chemin de la prière et la charité. (Chacune de ces
trois églises avait un couvent rattaché et les religieuses avaient des
œuvres de charité) MERCI SEIGNEUR !
Le jour de la S. Jacques il nous a passé un DVD du chemin de
Compostelle, le 11 août, Ste Claire, il a invité des bénévoles au repas
des SDF servi dans une salle dans la cour de cette église. Après la
messe nous nous sommes retrouvés autour d’un repas fraternel
préparé par trois couples de la communauté. MERCI SEIGNEUR pour
ces temps de rencontres gratuites avec des moyens simples qui
permettent aux pauvres de "faire vacances".
Un autre lieu de
détente populaire
est la plage « Pane
e Pomodoro» que
les unes et les
autres ont visitée
lors des professions
de nos sœurs
Marta et Elisa. C’est
une plage populaire
où nous retrouvons des familles de Bari Vecchia. Vous avez compris
que nous en profitons aussi ! C’est très sympathique. Trois messieurs
retraités se sont constitués en "Association Pane e Pomodoro" et ils
sont toujours là pour maintenir l’ordre, la propreté et surtout une
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ambiance familiale. L’un d’eux est au micro pour souhaiter la bonne
journée, encourager à tenir la plage propre, donner des annonces
qu’un tel attend son enfant perdu au kiosque …et puis… il invite des
témoins sur tel ou tel thème : donner du sang, prendre soin de la
nature, faire partie d’association … MERCI SEIGNEUR !
Le 14 août le curé de ce quartier a célébré l’Eucharistie de
l’Assomption pour la première fois sur demande de cette même
association. Il a exprimé sa joie d’offrir la possibilité de vivre un
moment de spiritualité là où les gens viennent vivre des temps de
repos en famille et entre amis! Après la messe deux policiers ont
reçu un prix de reconnaissance pour avoir sauvé une dame et un
enfant en danger de se noyer.
À la même occasion Equanima a aussi reçu le même prix de
reconnaissance pour son œuvre de bénévolat en faveur de personnes
de toutes cultures et religions. Plusieurs bénévoles étaient là… Une
"plaque" a été remise à la secrétaire par un représentant de la
Mairie. Une petite initiative qui souligne le positif.
MERCI SEIGNEUR !
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30 JOURS AU DÉSERT
Petite Sœur Vincenza de la fraternité de Montpellier, a passé 30 jours
de solitude dans un ermitage : elle nous livre quelque chose de ce
qu’elle a vécu et surtout de ce qui l’a habitée :
Je viens de terminer 30 jours de désert :
30 jours pour Dieu dans le silence et la solitude, en ermitage, au
milieu de la nature, pour rendre grâce pour mes 50 ans de vie
religieuse.
Oui, rendre grâce pour Son appel à donner ma vie pour Lui et pour
mes frères et sœurs, les plus pauvres.
Rendre grâce pour sa fidélité qui ne m’a jamais fait défaut.
Rendre grâce pour tout ce que j’ai reçu par les personnes que j’ai
côtoyées.
Ce temps de désert a été aussi un temps pour m’arrêter, pour
remettre ma vie sous le regard d’amour du Seigneur, pour me
désencombrer de tant de choses inutiles qui sont un obstacle à la
rencontre avec Lui et avec les autres.
Quand nous sommes immergés dans la vie de tous les jours, si on ne
s’arrête jamais, on devient comme Marthe qui s’agite et fait
beaucoup de choses, qui est à côté du Seigneur et qui lui parle, mais
son cœur est ailleurs et elle n’est plus disponible pour écouter ce
que le Seigneur veut lui dire et ce qu’il attend d’elle.
Chercher sa face dans sa PAROLE, Le rencontrer dans l’Eucharistie et
au plus profond de mon cœur, m’exposer à Lui telle que je suis, avec
mes faiblesses et mes fragilités pour qu’il les guérisse et que je puisse
les assumer dans la paix et l’humilité.
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Me laisser saisir par son amour qui me remplit de joie et me donne
une grande envie de le transmettre à tous ceux que je vais
rencontrer.
Pendant que j’étais au calme, le monde était traversé par une vague
impressionnante de violences, de guerres, d’épidémies, de
persécutions, et de malheurs de toutes sortes. Etre au désert ne
signifie pas oublier le monde avec ses problèmes, mais c’est le
moment où on prend tout cela dans la prière, une prière
d’intercession incessante et quotidienne pour que le Règne de Dieu
arrive en apportant à ce monde la paix dans la solidarité et la justice
avec l’amour qui est source de fraternité.
Demain je reviens à la vie ordinaire et c’est là que le vécu de ce mois
doit porter son fruit.
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RENCONTRES A L’HOPITAL Petite Sœur Maria-Emilia est engagée comme bénévole dans l’équipe d’aumônerie d’un service de psychiatrie à Mulhouse ; elle nous parle de son engagement : « Seigneur Jésus, souviens-toi, de cette petite maison là-bas à Emmaüs, et du bout de chemin qui y conduit, quand on vient de la grand-route. Souviens-toi de ceux qu'un soir tu abordas là-bas, souviens-toi de leurs cœurs abattus, souviens-toi de tes paroles qui les brûlèrent, souviens-toi du feu dans l'âtre, auprès duquel vous vous êtes assis,
et d'où ils se relèvent transformés, et d'où ils partirent vers les prouesses d'amour.… Regarde-nous. Vois, nous sommes tous pèlerins d'Emmaüs, nous sommes tous des hommes qui peinent, dans l'obscurité du soir… » (Prière des groupes Emmaüs)
C’est un peu comme Emmaüs l’accueil du samedi à la chapelle de l’hôpital : un lieu d’amitié hors les murs de psychiatrie. Les malades peuvent y vivre quelque chose de différent, prendre un café ensemble, et ceux qui veulent, écouter la Parole de Dieu et prier. Ce sont des rencontres ordinaires, mais c’est une démarche qui leur demande un déplacement.
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«J’ai l’intuition que la maladie psychique doit être approchée, certes, par
des médecins et des sociologues, mais aussi par des spirituels» écrivait une
malade, auteur d’un livre, dans un article dans le journal La Croix.
Un jour une malade m’a envoyé ce SMS : « Merci à vous de m’avoir apporté
la lumière et l’optimisme en ce jour »
Comment cela a démarré ? A la retraite, j’ai suivi une formation pour
devenir bénévole à l’aumônerie de l’hôpital de Mulhouse.
A ce moment-là, je me suis rappelé que j’avais visité, chaque semaine
pendant un an, une de nos voisines hospitalisée dans un service de
psychiatrie. Le courant passait bien entre nous. De plus, dans notre
quartier, il y a pas mal de personnes touchées par la maladie psychique,
elles sont souvent très seules.
Je me suis dit : Je peux peut-être aller voir de plus près si ça marche ? Le
prêtre-aumônier, cherchait un bénévole pour les services de psychiatrie et
il m’a dit qu’il me verrait bien. C’est comme ça que j’ai débuté.
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J’ai commencé par faire des visites dans un des cinq services de psychiatrie.
Des liens se sont créés avec les patients qui restent longtemps, et à partir
de là, avec d’autres qui reviennent de temps en temps … on se retrouve
aussi dehors dans le parc, on bavarde…
En voyant cette chapelle au milieu du parc, entourée des services, l’idée
s’imposa peu à peu d’y faire un espace d’accueil.
La chapelle venait d’être réaménagée et une petite pièce chauffée pouvait
accueillir un petit groupe. Et c’est ce qu’on a mis en route. Le prêtre a
cherché aussi d’autres bénévoles pour participer avec nous à l’accueil : un
échange libre autour d’un café, et pour ceux qui le souhaite un partage
autour de l’évangile du dimanche qui se termine par une courte prière et
un chant.
Aujourd’hui, le prêtre-aumônier est parti pour une autre mission, mais je
continue avec le groupe de bénévoles. L’année dernière, nous avions
commencé à Noël jusqu’en juin et nous avons eu deux, trois personnes
chaque semaine. C’est modeste, c’est une aventure, mais ceux qui
viennent sont contents : « Ca nous recharge les batteries » ; « c’est amical
et profond »… nous disent-ils.
J’ai déposé des affiches dans chaque service. Mais les malades viennent
surtout de deux services que je visite un après-midi par semaine.
Je n’aurais pas fait ce choix de moi-même. Les évènements m’ont amenée
là. Cela me plaît même si j’ai toujours un peu d’appréhension en arrivant.
Je suis heureuse de rencontrer ce monde et d’apporter quelque chose. Je
reçois aussi d’eux. Ce sont des personnes très attachantes comme ce
couple dont le mari visite sa femme tous les jours. Il m’arrive de les
recroiser ensuite en ville et on se salue.
Les personnes sont très touchées qu’on s’intéresse à elles… mais plutôt
que des visites, ce sont des rencontres toutes simples et la relation se fait
dans les deux sens.
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Je suis contente aussi de travailler en équipe. On se sent bien soudés par
l’amitié et par les moments forts vécus ensemble. On se retrouve avec joie.
On se forme, on échange, on s’enrichit aussi avec l’apport des malades et
de tous.
Nous ne sommes pas seuls et nous n’agissons pas de notre propre
initiative, nous faisons partie de l’aumônerie catholique du Centre
Hospitalier de Mulhouse, en collaboration avec l’aumônerie protestante et
en lien avec les autres religions.
Equipe de l’aumônerie
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction : p.1
Témoignage sur l’espérance p.2
Du Guatemala p.6
Du Salvador p.11
Dans les bus de San Salvador p.14
De frère Charles p.19
De Port-au-Prince (Haïti) p.20
De Los Teques (Venezuela) p.24
De Madagascar p.29
De Salapoumbé (Cameroun) p.29
De frère Charles p.34
De Montpellier p.35
De Bari (Italie) p.39
30 jours au désert p.42
Rencontres à l’hôpital (Mulhouse) p.44
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