douleurs cancéreuses : bonnes pratiques cliniques de prise en charge, gestions des opioïdes forts
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Cancerologie
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Presse Med. 2014; 43: 252–262� 2013 Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.
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Key points
Cancer pain management: Gostrong opioids
Pain prevalence increases durinCancer incidence is increasing inpeutic advances in the specific trechronic disease, often associateCancer pain evaluation should bPain mechanism (nociceptive,
should be recognised in order tgesic treatment.Cancer pain characteristics shoubreakthrough pain).Today, a wide range of pain mopioids, are available.The use of analgesic combinatiofor cancer pain management.Medication characteristics knoand pharmacokinetics) is essenwith a good doctor–patient retreatment of the painful patient
Douleurs cancéreuses : bonnes pratiquescliniques de prise en charge, gestions desopioïdes forts
Sylvie Rostaing-Rigattieri, Julien Guerin
Hôpital Saint-Antoine, centre d’évaluation et traitement de la douleur (CETD), 75012Paris, France
Correspondance :Sylvie Rostaing-Rigattieri, hôpital Saint-Antoine, centre d’évaluation et traitementde la douleur (CETD), 184, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris, [email protected]
Disponible sur internet le :20 novembre 2013
od clinical practices, use of
g cancer course disease. France, but thanks to thera-atment, cancer has become a
d with persistent pain.e multidimensional.neuropathic or mixed pain)o prescribe appropriate anal-
ld be defined (baseline and
edications, including strong
ns is strongly recommended
wledge (pharmacodynamicstial and must be associated
lationship, to ensure optimal at all stages of the disease.
Points essentiels
La prévalence de la douleur augmente au cours de l’évolutionde la maladie cancéreuse.L’incidence des cancers a considérablement progressé cesdernières années en France, mais grâce aux progrès thérapeu-tiques, le cancer est devenu une maladie chronique souventassociée à des douleurs séquellaires.L’évaluation de la douleur du cancer doit être pluridimension-nelle.Le mécanisme de la douleur cancéreuse est important à établirpour pouvoir prescrire la classe thérapeutique d’antalgiquesadaptée.Les caractéristiques doivent être définies (douleur de fond etaccès douloureux).On dispose aujourd’hui d’un arsenal thérapeutique étendu detraitements antalgiques et notamment d’opioïdes forts.L’association d’antalgiques est fortement recommandée.La connaissance des propriétés pharmacologiques et pharma-cocinétiques des médicaments est indispensable et doit êtreassociée à une relation médecin–malade de qualité pourgarantir une prise en charge optimale du patient douloureuxà tous les stades de la maladie.
tome 43 > n83 > mars 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.05.005
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Douleurs cancéreuses : bonnes pratiques cliniques de prise en charge, gestions des opioïdes fortsCancerologie
Le nombre de personnes atteintes de cancer en France esten augmentation du fait du vieillissement de la population etde l’allongement de la durée de vie. L’incidence des cancers aaugmenté ces 25 dernières années en France, puisqu’elle apratiquement doublé [1], mais grâce aux progrès thérapeuti-ques, le cancer est devenu une maladie chronique et, de ce fait,il est plus souvent associé à des douleurs persistantes séquel-laires qui nécessiteront un traitement symptomatique au longcours.
Données épidémiologiquesLes projections d’incidence du cancer en France pour 2012 sontdisponibles sur le site de l’Institut de Veille Sanitaire [1]. Onestime à 355 000 le nombre de nouveaux cas de cancer en Francemétropolitaine en 2012 (200 000 diagnostiqués chez l’homme et155 000 chez la femme). Les trois cancers les plus fréquents chezl’homme sont le cancer de la prostate, du poumon et le cancercolorectal ; chez la femme, les plus fréquents sont le cancer dusein, le cancer colorectal et du poumon.Dans les « Standards Options Recommandations » de 2003 [2],20 à 50 % des 9007 patients analysés (sur 36 études) étaientdouloureux au moment du diagnostic de cancer et la préva-lence de la douleur augmentait au cours de l’évolution de lamaladie avec 55 à 95 % de patients douloureux. Dans l’étudede Breivik et al., regroupant 5084 patients cancéreux adultescontactés entre 2006 et 2007 dans onze pays européens (dont642 France) et en Israël, la prévalence globale de la douleurétait de 84 % et de 75 % en France [3]. Parmi ces patients, 56 %avaient une douleur modérée à sévère et pour 573 patientstirés au sort, 41 % recevaient un traitement opioïde fort, 69 %mentionnaient un retentissement de la douleur sur la qualité devie et 50 % avaient le sentiment que la qualité de vie n’étaitpas une priorité pour les professionnels de santé. La prévalencede la douleur était particulièrement élevée (plus de 85 %) pourles patients qui avaient un cancer du pancréas, des os, ducerveau, de la tête et du cou et les patients porteurs delymphome.Une enquête nationale, réalisée en 2010, sous l’égide de l’INCa(Institut national du cancer) en collaboration avec l’Institut BVA, aété menée auprès de 1507 patients atteints de cancer traités enambulatoire. L’objectif principal était de préciser l’état des lieuxconcernant les modalités de prise en charge de la douleur ducancer en France [4]. Ce document s’inscrit dans la mise en oeuvredu Plan cancer 2009–2013, à savoir « renforcer la qualite des
prises en charge pour tous les malades atteints de cancer », etplus précisément la mesure 19.1 du plan cancer : « generaliser
l’acces aux mesures transversales lancees par le Plan cancer
precedent, ameliorant la qualite de toute prise en charge en
cancerologie ». Cette enquête visait à décrire la douleur despatients en phase de traitement curatif, en situation de canceravancé et également à distance des traitements (en phase de
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surveillance ou de rémission), à individualiser la douleur neuro-pathique, les crises douloureuses et leurs prises en charge. Sur les1507 patients interrogés, 28 % étaient en phase de traitementcuratif, 53 % en situation de cancer avancé, 18 % en phase desurveillance ou de rémission avec, pour la majorité d’entre eux,un recul de plus d’un an par rapport à la fin de la chimiothérapie.La prévalence déclarée de la douleur dans cette enquête estidentique à celle des données de la littérature, la douleur étantprésente chez 53 % des patients interrogés. Une douleur chro-nique (présente depuis plus de trois mois) est rapportée par 30 %des patients douloureux en situation de cancer avancé, maisaussi par 25 % des patients douloureux à distance de touttraitement ou bien en rémission. La douleur est considéréecomme sévère chez 28 % des sujets douloureux et la compo-sante neuropathique des douleurs domine le tableau chez 36 %des patients [4].
Particularités de la prise en chargeLa douleur du cancer requiert une prise en charge particulière.Du fait de l’évolutivité de la maladie, il existe une plaintesomatique et psychique qui retentit de façon majeure sur laqualité de vie du patient en limitant ses activités quotidiennes(domestiques, professionnels, physiques ou ludiques) et enaltérant de façon notable l’appétit, le sommeil, l’humeur et lesrelations sociales.
Évaluation de la douleur liée au cancer
Elle s’apparente à celle d’une douleur chronique. Elle doit êtreconsidérée comme une maladie à part entière, en lien avec unepathologie évolutive grave, potentiellement létale, même si lepronostic de bon nombre de cancers s’est amélioré. Sur ce fondde douleur chronique, des épisodes de douleurs aiguës peuventsurvenir, notamment lors des démarches diagnostiques etthérapeutiques, ou lors de complications récurrentes. Ainsi,l’évaluation d’une douleur du cancer doit être pluridimension-nelle. Le ressenti douloureux du patient est la résultante decomposantes sensorielle, émotionnelle et cognitive. Dans cecontexte de maladie évolutive, les composantes émotionnelleet cognitive prennent une part importante et la douleur estsouvent accompagnée d’un syndrome anxiodépressif réaction-nel. Parfois, la douleur a une signification particulière pour lepatient : elle peut évoquer (à tort ou à raison) une évolutivitétumorale, une récidive locorégionale ou l’absence de réponsethérapeutique. C’est dire l’importance de l’évaluation psycho-logique du patient et de la prise en compte de la dimensionrelationnelle médecin–malade ou soignant–soigné. L’attituderéactionnelle du patient à l’annonce du diagnostic initial, puistout au long de la maladie, ses capacités personnelles d’adap-tation, le soutien dont il bénéficie (au sein de son entouragefamilial et socioprofessionnel) et les capacités des proches àfaire face, sont autant d’éléments qu’il faudra évaluer avecprécision.
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Conséquences d’une mauvaise prise en charge
Les conséquences d’une douleur cancéreuse mal prise encharge peuvent être lourdes. Dans les cas extrêmes, enl’absence de traitement antalgique adapté, la plainte doulou-reuse peut aboutir à une souffrance extrême qui envahit toutela personne et qui peut aller jusqu’à l’anéantissement physiqueet psychique, où toute communication devient impossible, étatque les anglo-saxons nomment « total pain ». L’intensité de ladouleur ressentie peut être telle, qu’elle focalise toute l’atten-tion du patient qui ne pense plus qu’à son corps souffrant. Dansle cadre des soins palliatifs, ce concept de « total pain » estdéfini par Cicely Saunders au sujet de la fin de vie [5]. Oncomprend aisément qu’il est vain d’espérer un apaisement dumalade si l’on n’apporte pas un soulagement physique à ladouleur par des traitements adaptés. Dans ce concept desouffrance globale, les facteurs psychologiques, sociaux, cultu-rels, existentiels et spirituels sont intriqués les uns aux autres,justifiant largement une prise en charge pluridimensionnellepar des professionnels de santé sensibilisés et formés.
Profil évolutif des douleurs
En cancérologie, il faut évaluer le profil évolutif des douleurs etbien distinguer la douleur de fond et les accès douloureux. Lesfluctuations de la douleur peuvent correspondre à des entitéssémiologiques très différentes : douleur « mal contrôlée » ou« instable » ; douleur de fin de dose d’opioïde (pour un patientsous opioïdes forts, qui nécessite un nouvel ajustement de sontraitement de fond) ; accès douloureux paroxystiques (ADP) quidoivent bénéficier d’une autre stratégie thérapeutique.Les ADP sont définis par Portenoy [6] comme une exacerbationtransitoire et de courte durée de la douleur, d’intensitémodérée à sévère, qui survient sur un fond de douleur chro-nique stable, c’est-à-dire bien contrôlée par le traitementantalgique en cours. Ces ADP peuvent être spontanés etimprévisibles, survenant sans facteur déclenchant identifié,ou avec des facteurs identifiés mais imprévisibles, comme latoux, l’éternuement, les spasmes digestifs, vésicaux, les dou-leurs solaires, les céphalées. Ils peuvent aussi être prévisibles etsurvenir lors d’actions volontaires du patient (mouvement,alimentation, défécation, miction, déglutition. . .), ou encoreêtre provoqués par des soins (mobilisation, toilette. . .) ou desactes médicaux à visée diagnostique ou thérapeutique.
Mécanismes physiopathologiquesIl est essentiel de faire le diagnostic physiopathologique desdouleurs du cancer pour prescrire les thérapeutiques adaptées.Un patient peut avoir une douleur nociceptive, neuropathiqueou mixte (nociceptive et neuropathique associées), chacunede ces composantes pouvant répondre différemment (pourson propre compte) au traitement instauré. Il peut aussi yavoir plusieurs douleurs de mécanisme physiopathologiquedistinct chez un même malade. Il est important de repérer le
mécanisme prépondérant dans la symptomatologie décrite parle patient.
Douleurs nociceptives
Elles résultent d’une lésion tissulaire à l’origine d’une stimula-tion des nocicepteurs, sans lésion du système nerveux detransmission nociceptive. On distingue les douleurs nocicepti-ves somatiques (par stimulation des nocicepteurs cutanés, destissus mous, osseux, ligamentaires, articulaires, musculaires. . .), et les douleurs nociceptives viscérales (par stimulationdes nocicepteurs viscéraux). Leur topographie est régionale ; iln’existe pas de systématisation neurologique. Ces douleursrépondent habituellement aux antalgiques des trois paliersde l’OMS, si la posologie est adaptée à l’intensité douloureuse.On identifie également deux catégories de douleur, de profilévolutif différent : les douleurs nociceptives mécaniques quicomportent des facteurs déclenchant comme la mobilisation, etles douleurs nociceptives de rythme inflammatoire, à persis-tance nocturne, volontiers associées à une raideur matinale.
Douleurs neuropathiques
Elles sont dues à une lésion du système nerveux périphérique(tronc nerveux, racine, plexus) ou central (moelle, thalamus,cortex pariétal). La douleur neuropathique a une composantecontinue (à type de brûlure, étau, froid intense . . .) et unecomposante fulgurante (décharges électriques, coups de poi-gnard). On retrouve fréquemment des paresthésies (fourmil-lements, engourdissements) et/ou des dysesthésies(fourmillements, engourdissements ou picotements perçuscomme désagréables). La douleur a une topographie neurolo-gique systématisée, fonction de la lésion anatomique causale.L’examen clinique objective un trouble de la sensibilité super-ficielle dans la région douloureuse (hypoesthésie cutanée autact ou à la piqûre, voire anesthésie complète localisée),éventuellement associé à une allodynie, une hyperalgésie,une hyperpathie (encadre 1). Le diagnostic est principalementclinique. Le questionnaire DN4 (disponible en complement
electronique) est un outil diagnostique essentiel et simpled’utilisation : validé en 2005 [7], il est basé sur des carac-téristiques douloureuses recueillies à l’interrogatoire et sur desdonnées d’examen clinique. Un score supérieur ou égal à 4/10 établit une forte probabilité de douleur neuropathique.
Douleurs iatrogènes
On citera les douleurs aiguës nociceptives consécutives à un gesteinvasif diagnostique ou thérapeutique (biopsies, myélogrammes,ponctions veineuses, ponctions lombaires, injections intraveineu-ses, sous-cutanées . . .), les douleurs induites itératives (panse-ments, sondage urinaire, soins, toilette . . .), les douleurspostopératoires d’exérèse tumorale et les séquelles chirurgicalesdouloureuses après mastectomie, thoracotomie, curage gan-glionnaire ou après prostatectomie radicale, amputation du
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Encadre 1
Manifestations cliniques de la douleur
AllodynieDouleur causée par un stimulus qui normalement ne produit pas dedouleur ; elle peut être de différents types :
� tactile ou mécanique :
– à l’effleurement cutanée : allodynie dite dynamique
– à la pression : allodynie dite statique
� thermique :
– à la chaleur non nociceptive (< 42 8C)
– au froid non nociceptif (> 10 8C)
HyperalgésieRéponse exagérée à un stimulus qui normalement est douloureux
HyperpathieSyndrome douloureux caractérisé par une réaction anormalementdouloureuse à un stimulus (en particulier un stimulus répétitif),avec extension du champ récepteur
HyperesthésieSensibilité exagérée à une stimulation (terme moins utilisé, àabandonner)
Encadre 2
Classification des antalgiques : les trois paliers de l’OMS
Palier I : antalgiques non opioïdes
� Paracétamol - AINS – Acide acétylsalicylique
� Néfopam (AcupanW) : non opioïde (palier I), mais puissance
antalgique d’un palier II
Palier II : opioïdes faibles� Codéine associée au paracétamol : Efferalgan-CodéineW, Co-
DolipraneW, Dafalgan-codéineW, KlipalW
� Dihydrocodéine : DicodinW
� Tramadol : TopalgicW, ContramalW, ZamudolW, ZumalgicW,
TakadolW, MonotramalW, MonoalgicW, MonocrixoW
� Opium : LamalineW
� Associations paracétamol-tramadol : IxprimW, ZaldiarW
Palier III : opioïdes fortsOpioïdes forts agonistes purs (voir tableaux)
� Morphine
� Oxycodone
� Fentanyl
� Hydromorphone
� Sufentanil
Douleurs cancéreuses : bonnes pratiques cliniques de prise en charge, gestions des opioïdes fortsCancerologie
rectum etc. À ces douleurs s’ajoutent les douleurs post-chimio-thérapie liées aux médicaments cytotoxiques, responsables demucites (avec surinfections fréquentes), de neuropathies péri-phériques sensitivomotrices (où la toxicité et la douleur sontdose-dépendantes et de réversibilité variable). Parmi les dou-leurs post-radiothérapie, on retrouve des mucites, des radio-dermites douloureuses (moins fréquentes qu’auparavant), desostéoradionécroses (notamment en cancérologie ORL), des ple-xites radiques (brachiale ou lombo-sacrée) après irradiationcervicale ou axillaire ou bien lombopelvienne, des myélitesradiques, des atteintes viscérales radiques pouvant toucher dif-férents organes comme l’oesophage, la vessie, le grêle, le rectum.Les autres douleurs sont liées indirectement aux complications dela maladie cancéreuse ou des traitements, en particulier àl’immunodéficience : douleurs post-zostériennes ou consécutivesà une corticothérapie prolongée (par exemple, nécrose aseptiquede la tête fémorale, ostéoporose ou tassements vertébrauxétagés).
Principes thérapeutiques
Bonnes pratiques cliniquesLe groupe de travail chargé de l’actualisation des « StandardsOptions Recommandations » de 2002 [8–10], a récemment
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publié une mise à jour concernant le fentanyl transmuqueuxd’action rapide [11,12]. La prochaine actualisation portera sur« la rotation d’opioïdes » ou « changement d’opioïdes ».Face à une douleur cancéreuse, il est toujours recommandéd’associer des médicaments de mode d’action différent,notamment :� des antalgiques de paliers différents ;� des antalgiques et des médicaments spécifiques des douleurs
neuropathiques, s’il existe une composante neuropathique :on appliquera alors, par extrapolation, les Recommandationsde 2010 relatives aux douleurs neuropathiques non can-céreuses [13] ;
� des antalgiques et des traitements co-antalgiques (utiliséspour accroître l’efficacité des premiers), tels que lescorticoïdes qui ont une action anti-oedémateuse et anti-inflammatoire, les bisphosphonates qui ont une action anti-ostéoclastique et un effet propre sur les métastases osseuses,les benzodiazépines pour leur action anxiolytique, lesantidépresseurs pour leur action antidépressive.
Traitement des douleurs nociceptives
On dispose aujourd’hui d’un arsenal thérapeutique étendu detraitements antalgiques, et notamment d’opioïdes forts dontl’efficacité antalgique et le profil de tolérance sont globalementles mêmes [14,15], hormis une moindre incidence de consti-pation avec le fentanyl transdermique [16] (encadre 2).
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Encadre 4
Utilisation d’interdoses d’opioïdes
� Choisir de préférence la même molécule que celle utilisée pour
le traitement de fond :
– Sévrédol, Actiskénan, Oramorph (si morphine LP) ;
– OxyNorm (si oxycodone LP) ;
– 1/10 de la dose de morphinique oral LP des 24 heures ;
– maximum 6 interdoses orales/24 h.
� Prescription :
– soit de manière anticipée (pour les accès douloureux
prévisibles), soit au tout début des accès spontanés ;
– ou systématiquement, en plus du traitement opioïde de fond.
� Réévaluation dans tous les cas, après 24 à 48 h, pour adapter la
posologie selon l’efficacité antalgique :
– intégration des interdoses de morphine LI ou d’oxycodone LI,
à la morphine LP ou à l’oxycodone LP, si consommation de
plus de 3 interdoses/j ;
– ou maintien de la prescription si patient soulagé avec moins
de 4 interdoses/j ;
– si augmentation de la posologie d’opioïde LP, ajuster celle
des interdoses (1/6 à 1/10 de la posologie d’opioïde oral LP
des 24 h).
S Rostaing-Rigattieri, J Guerin
Face à une douleur nociceptive, si un antalgique de palier II àposologie optimale devient inefficace, on prescrira une molé-cule de palier III (morphine ou oxycodone) et l’initiationcomportera une phase de titration. Cependant, face à unedouleur intense, un antalgique de palier III peut être prescritd’emblée, sans passer par le palier II. Selon les recommanda-tions de l’Association européenne de soins palliatifs (EAPC) de2012 [17], on peut soulager une douleur cancéreuse légère àmodérée, avec des opioïdes forts d’emblée, sans effets indé-sirables majeurs. Il est donc possible de les prescrire en pre-mière intention pour traiter une douleur cancéreusenociceptive, quelle que soit l’intensité douloureuse, en adap-tant la posologie [18,19].La période de titration initiale consiste à déterminer les besoinsdu patient en opioïdes forts, c’est-à-dire à définir la posologieminimale qui permettra d’obtenir un soulagement satisfaisantdu patient. Deux méthodes existent : soit l’administration àintervalles réguliers d’une dose fixe d’opioïde fort à libérationprolongée (LP), s’il existe une douleur de fond, associée à desdoses de secours ou interdoses d’opioïdes à libération immé-diate (LI) en fonction des accès douloureux ; soit l’administra-tion à la demande, en fonction de l’intensité des douleurs,d’opioïdes à LI seuls, au maximum six fois par jour (encadre 3).La titration permet une adaptation fine du traitement antal-gique, qui conduit à une meilleure gestion de la douleur par lepatient (autocontrôle), avec le minimum d’effets indésirables,du fait de l’utilisation de la dose juste nécessaire.Le malade doit être réévalué dans les 24 à 48 heures. Laposologie sera adaptée progressivement selon l’efficacitéantalgique : soit intégration des interdoses d’opioïde LI, à ladose d’opioïde LP, si utilisation par le patient de quatre inter-doses ou plus par jour, avec une répartition de la dose des24 heures en deux prises (matin et soir) ; soit maintien de laprescription si le patient est soulagé avec moins de quatre
Encadre 3
Introduction d’un opioïde fort : titration initiale
Plusieurs possibilités :
� morphine LI ou oxycodone LI seuls en fonction des accès
douloureux : 5 à 10 mg si accès douloureux, au maximum
6 prises par jour ;
� parfois morphine LI ou oxycodone LI : 5 à 10 mg par heure, 4 fois
de suite (titration rapide, SOR 2002), maximum 6 prises par
24 h ;
� ou bien morphine LP ou oxycodone LP d’emblée (1 prise
systématique matin et soir) � interdoses de morphine LI ou
oxycodone LI (au maximum 6 prises par jour, par exemple
toutes les 4 h, si accès douloureux).
interdoses d’opioïde LI par jour (encadre 4). Si la posologied’opioïde LP est augmentée, les interdoses d’opioïde LI (des-tinés à traiter les accès douloureux) seront ajustées enconséquence (1/10 de la dose journalière). En cas de douleursmal soulagées, le malade peut prendre une interdose toutes lesheures, sans dépasser quatre prises successives en 4 heures,avant d’en référer au médecin. Si le malade n’est pas soulagéaprès ces quatre prises successives, une réévaluation, éven-tuellement en hospitalisation, est nécessaire (recommanda-tion, accord d’experts) [9,10].Pour les douleurs par excès de nociception liées au cancer, untraitement antalgique efficace se définit par une douleur defond absente ou d’intensité faible, un sommeil respecté, moinsde quatre accès douloureux par jour, avec une efficacité destraitements, prévus pour les accès douloureux, supérieure à50 %, des activités habituelles qui, même si elles sont res-treintes par l’évolution du cancer, restent possibles et peulimitées par la douleur, des effets indésirables mineurs ouabsents [2].Les tableaux I–IV résument les principaux médicaments antal-giques disponibles Nous disposons actuellement en France decinq formes galéniques de citrate de fentanyl transmuqueuxpour traiter les ADP (tableau V). Leur mode d’utilisation est biendécrit dans les publications récentes de 2012 [11,12]. Il est
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257 Mise au point
Tableau I
Opioïdes forts à action rapide : molécules et indications
Forme Formes orales Formes transmuqueuses
Principe actif Sulfate de morphine Chlorhydrate d’oxycodone Citrate de fentanyl (FAR)
Spécialité Actiskénan� Sévrédol� Oramorph� OxyNorm� OxyNormOro� Actiq� Abstral� Instanyl� Effentora� Pecfent�
Galénique Gélule Cp pelliculé Solutionbuvable
Gélule Cp orodispersible Applicateurbuccal
Cp sublingual Solution pourpulvérisation
nasale
Cp gingival Solution pourpulvérisation
nasale
Indication Douleurs intenses ou rebelles Douleurs sévères Accès douloureux paroxystiques d’origine cancéreuse (ADP)
Douleurs intenses ou rebellesaux antalgiques de niveau
plus faible, en particulier douleursd’origine cancéreuse
Traitement des douleurssévères qui ne peuvent êtrecorrectement traitées que par
des analgésiques opioïdesforts ; en particulier dans lesdouleurs d’origine cancéreuse
Traitement desADP chez des
patientsrecevant déjàun traitement
de fondmorphinique
pour desdouleurs
chroniquesd’origine
cancéreuse
Traitement desADP chez des
patients adultesutilisant des
morphiniquespour traiter les
douleurschroniquesd’origine
cancéreuse
Traitement desADP chez des
patients adultesrecevant déjàun traitement
de fond opioïdepour desdouleurs
chroniquesd’origine
cancéreuse
Traitement desADP chez des
patients adultesayant un canceret recevant déjàun traitement
de fondmorphinique
pour desdouleurs
chroniquesd’origine
cancéreuse
Traitement desADP chezl’adulte
recevant déjàun traitement
de fond opioïdepour desdouleurs
chroniquesd’origine
cancéreuse
ADP : accès douloureux paroxystique ; Cp : comprimé ; FAR : fentanyl d’action rapide.
Dou
leurs
cancéreu
ses :
bon
nes
pratiq
ues
cliniq
ues
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prise
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Tableau II
Opioïdes forts à action prolongée (LP) : molécules et indications
Forme Formes orales Formes transdermiques
Principe actif Sulfate de morphine Chlorhydrated’oxycodone
Chlorhydrated‘hydromorphone
Fentanyl
Spécialité Skénan LP Moscontin Oxycontin LP Sophidone Durogésic Matrifen
Galénique Gélule LP Cp enrobé LP Cp pelliculé Gélule LP Dispositiftransdermique
Indication Douleurspersistantes
intenses ou rebellesaux autres
analgésiques enparticulier douleurs
d’origine cancéreuse
Traitement desdouleurs
persistantesintenses ou rebellesaux antalgiques deniveau plus faible,
en particulierdouleurs d’origine
cancéreuse
Traitement desdouleurs sévères
qui ne peuvent êtrecorrectement
traitées que par desanalgésiques
opioïdes forts ; enparticulier dans lesdouleurs d’origine
cancéreuse
Traitement desdouleurs intenses
d’originecancéreuse en casde résistance oud’intolérance aux
opioïdes forts
Traitement desdouleurs
chroniquessévères, qui ne
peuvent être traitéesque par desanalgésiques
opioïdes
Traitementtransdermique des
douleurschroniques
sévères, en relaisdes opioïdes forts,
après que leurefficacité ait été
établie.
Cp : comprimé ; LP : libération prolongée.
Tableau III
Opioïdes forts à action rapide (LI) : formes galéniques, délais et durées d’action
Actiskénan Sévrédol Oramorph OxyNormOxyNormOro
Délais d’action 30 à 45 min 30 à 45 min 30 à 45 min 30 à 45 min
Durée d’action 4 h 4 h 4 h 4 h
Forme galéniqueDosage
Gélules5-10-20-30 mg
Comprimés sécables10-20 mg
Unidoses : 10, 30,100 mg/5 mL
Solution : 20 mg/mL4 gouttes = 5 mg
Gélules : 5-10-20 mgSolution buvable :
seringue graduée de 0,1 mL (1 mg) à 2 mL (20 mg)Cp orodispersible : 5-10-20 mg
Précautions Ouverture possible Peuvent être écrasés Forme liquide Ouverture possible
Cp : comprimés.
Tableau IV
Opioïdes forts à action prolongée (LP) : formes galéniques, délais et durées d’action
Moscontin Skénan LP Oxycontin LP
Délai d’action 2 h 2 h 1 h2 phases
Durée d’action 12 h 12 h 12 h
Forme galéniqueDosages
Comprimés10-30-60-100-200 mg
Gélules10-30-60-100-200 mg
Comprimés5-10-20-40-80-120 mg
Précautions Ne pas écraser Ouverture possible Ne pas écraser
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Tableau V
Fentanyl d’action rapide : formes galéniques
Médicament Formes galéniques Dosages et conditionnement
AbstralW Cp sublingual 100, 200, 300, 400, 600, 800 mgBoîtes de 10 ou 30 cp
ActiqW Cp avec applicateur buccal (muqueuse jugale) 200, 400, 600, 800, 1200, 1600 mgBoîtes de 3 ou 30 unités
EffentoraW Cp gingival effervescent 100, 200, 400, 600, 800 mgBoîtes de 4 ou 28 cp
InstanylW Solution pour pulvérisation nasale 50, 100, 200 mg/doseFlacons monodoses et flacons contenant 10, 20 ou 40 doses
PecfentW Solution pour pulvérisation nasale 100, 400 mg/doseFlacons avec compteur de doses contenant 8 doses
Cp : comprimé.
Douleurs cancéreuses : bonnes pratiques cliniques de prise en charge, gestions des opioïdes fortsCancerologie
nécessaire de réaliser une titration en commençant par la plusfaible dose disponible (pour la forme galénique prescrite). Iln’existe pas de corrélation entre la dose de fentanyl transmu-queux efficace et celle du traitement opioïde de fond (AMM). Sila douleur est insuffisamment soulagée, il convient de ré-administrer une dose supplémentaire, 10 à 30 minutes après(selon la molécule de fentanyl) [11]. Une fois que la doseefficace de citrate fentanyl transmuqueux a été déterminée(accès douloureux traité par une seule unité bien tolérée), lesmalades l’utiliseront pour traiter les ADP ultérieurs (AMM). Lasurvenue de plus de quatre ADP par jour, pendant plusieursjours consécutifs, doit conduire à une adaptation du traitementde fond, après réévaluation de la douleur et de son mécanismephysiopathologique (AMM) [11,12].
Rotation d’opioïde
La rotation d’opioïde ou changement d’opioïde se justifie encas :� d’effets indésirables intolérables et incontrôlables (troubles
des fonctions cognitives, sédation, myoclonies, nausées. . .) ;� d’antalgie insuffisante, malgré un traitement bien conduit ;� de nécessité de changement de voie d’administration : par
exemple, en cas de relais de la voie parentérale à la voie oraleou transdermique pour faciliter un retour à domicile, ou en casde changement de situation clinique du patient (malabsorp-tion digestive, insuffisance hépatique, insuffisance rénale. . .).
Il est possible de réaliser un changement d’opioïdes entre tousles opioïdes agonistes : morphine, fentanyl, hydromorphone,oxycodone, buprénorphine, méthadone.
Opioïdes forts et insuffisance rénale
En cas d’insuffisance rénale, la morphine et l’oxycodone ne sontpas contre-indiqués, mais les doses seront réduites et les prises
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espacées, surtout avec la morphine dont les métabolites hépa-tiques 6-glucuro-conjugués, plus actifs que la morphine, ris-quent de s’accumuler. L’oxycodone a peu de métabolites actifs.Du fait de ses propriétés pharmacocinétiques (absence demétabolite actif), le fentanyl (par voie intraveineuse) repré-sente une alternative à la morphine, notamment chez l’insuf-fisant rénal sévère (clairance de la créatinine < 30 mL/min) :sa titration devra être soigneuse [20]. Les AINS (anti-Cox1 etanti-Cox2) sont à éviter chez l’insuffisant rénal modéré et sontcontre-indiqués chez l’insuffisant rénal sévère. Le tramadol estcontre-indiqué chez l’insuffisant rénal sévère.
Méthadone
Elle n’a pas encore l’AMM en France, comme traitement antal-gique. Cependant l’ANSM (ex Afssaps) dans des recommanda-tions de juin 2010 « Douleur rebelle en situation palliative
avancee chez l’adulte » [21], stipule qu’elle peut être envi-sagée en dernier recours, après une évaluation effectuée parune équipe spécialisée (soins palliatifs ou douleur). Elle ne doitêtre prescrite qu’après rotation des opioïdes et traitementadjuvant bien conduit. La méthadone n’ayant pas de métabo-lites actifs, elle peut être utilisée en cas d’insuffisance rénale etde dialyse chronique. Le traitement doit être initié par uneéquipe hospitalière spécialisée dans la prise en charge de ladouleur ou des soins palliatifs et formée à son utilisation. Letraitement par méthadone pourra être renouvelé par un méde-cin généraliste dans le cadre d’une rétrocession hospitalière.
Traitement des douleurs neuropathiques
Il convient de se référer aux tableaux 4 et 5 des recommanda-tions pour la pratique clinique de la Société française d’étude etde traitement de la douleur, publiées en 2010 sur « les douleurs
259
260
Tableau VI
Statut des traitements de la douleur neuropathique en France[13]
Médicaments AMM en analgésie chez l’adulte
Antidépresseurs tricycliques
Imipramine (TofranilW
) Douleur neuropathique
Clomipramine (AnafranilW
) Douleur neuropathique
Amitriptyline (LaroxylW
) Douleur neuropathiquepériphérique
Antidépresseurs ISRNA
Duloxétine (CymbaltaW
) Douleur neuropathiquediabétique périphérique
Venlafaxine (EffexorW
) Pas d’AMM
Antiépileptiques
Gabapentine (NeurontinW
) Douleur neuropathiquepériphérique
Prégabaline (LyricaW
) Douleurs neuropathiquespériphériques et centrales
Opiacés
Tramadol AMM douleur modérée à intense
Sulfate de morphine per os Douleurs persistantes intensesou rebelles aux autres
antalgiques, en particulierdouleur d’origine cancéreuse
Lidocaïne topique (VersatisW
) Douleur neuropathiquepost-zostérienne
Méthadone Pas d’AMM
Oxycodone Douleurs chroniques d’originecancéreuse
AMM : autorisation de mise sur le marché : IRSNA : inhibiteur de la recapture de lasérotonine et de la noradrénaline.
S Rostaing-Rigattieri, J Guerin
neuropathiques chroniques : diagnostic, evaluation et traite-
ment en medecine ambulatoire » (tableau VI) [13].
Douleurs cancéreuses rebellesMalgré les recommandations disponibles en matière de trai-tement de la douleur du cancer, 10 à 15 % des patients auraientdes douleurs dites rebelles en cours d’évolution (Meuser,2001). On parle de douleurs cancéreuses rebelles lorsque lestraitements spécifiques ne permettent pas d’améliorer letableau clinique et lorsque les traitements symptomatiquesconventionnels ne permettent pas un soulagement satisfaisantet durable de la douleur cancéreuse, ou bien occasionnent des
effets indésirables intolérables et incontrôlables. En l’absencede consensus et d’arbre décisionnel quant à la place desthérapeutiques interventionnelles dans la douleur rebelle, lesrecommandations de bonnes pratiques de l’ANSM constituentun premier guide thérapeutique [21]. Ce document précise lesmodalités d’utilisation, notamment hors AMM, de certainsmédicaments : anesthésiques locaux par voie périmédullaire,parentérale et topique, fentanyl et sufentanil, kétamine,MEOPA (mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyded’azote), méthadone, midazolam, morphine par voie périmé-dullaire et intracérébroventriculaire, propofol.Des thérapeutiques interventionnelles peuvent être proposéesen situation de douleurs cancéreuses rebelles, après avisspécialisé d’une structure de prise en charge de la douleur.Ainsi, l’apparition de douleurs cancéreuses réfractaires à defortes doses d’opioïdes par voie injectable, avec escalade desdoses et effets indésirables incontrôlables, doit conduire às’interroger précocement sur la voie périmédullaire. L’antalgiepar voie périmédullaire nécessite la mise en place d’un cathéterpéridural ou intrathécal, soit extériorisé (et tunnellisé depréférence), soit internalisé (et relié à une chambre implan-table ou une pompe implantable programmable).Chez les patients souffrant de douleurs métastatiques rebelles,abdominales ou pelviennes, l’administration d’opioïdes parvoie spinale ou périmédullaire (péridurale ou intrathécale),associés dans bon nombre de cas à des anesthésiques locaux,peut être une alternative thérapeutique [21]. Une nouvellemolécule, antalgique non opioïde, le ziconotide (PrialtW), peutêtre associée aux autres (par voie intrathécale uniquement). Lamorphine possède une AMM dans les douleurs sévères, parvoie intrathécale, péridurale ou intracérébroventriculaire. Lamorphine par voie intrathécale est à privilégier par rapport à lavoie péridurale, en cas d’administration prolongée. La voieintracérébroventriculaire est une alternative pour les douleursrebelles de la tête et du cou (notamment en cas d’envahisse-ment tumoral de la base du crâne). L’antalgie par voie périmé-dullaire ou intracérébroventriculaire doit être initiée par uneéquipe hospitalière. Après stabilisation, la poursuite du traite-ment à domicile est possible, dans le cadre d’un partenariatavec le médecin traitant et l’infirmière de ville, informés par lemédecin hospitalier qui continue à assurer le suivi du malade.Les blocs analgésiques périphériques continus aux anesthésiqueslocaux (via un cathéter périnerveux) et les blocs neurolytiques dusystème nerveux sympathique, peuvent avoir une place dansl’arsenal thérapeutique des douleurs cancéreuses : alcoolisationou phénolisation coeliaque, bloc splanchnique, bloc sympathiquethoracique ou lombaire, bloc et alcoolisation intercostales, blocdu ganglion impar. . . Il faut savoir les utiliser à bon escient.Les thérapeutiques radiologiques interventionnelles peuventaussi être proposées, lorsque les traitements curatifs et symp-tomatiques habituels ne parviennent pas à soulager le patient,mais dans des indications bien ciblées : destruction tumorale,
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Douleurs cancéreuses : bonnes pratiques cliniques de prise en charge, gestions des opioïdes fortsCancerologie
par radiofréquence ou micro-ondes, de petites tumeurs hépa-tiques, rénales, pulmonaires, osseuses métastatiques, à viséecurative ou palliative antalgique ; embolisation palliative ouchimio-embolisation tumorale, vertébroplastie, cimentoplastieou kyphoplastie pour le traitement des métastases osseuses.Le recours aux techniques neurochirurgicales de section (dre-zotomie, radicellectomie sélective postérieure, intervention deNashold, cordotomie antérolatérale) ou de stimulation (stimu-lation cordonale postérieure, stimulation corticale) est excep-tionnel en situation palliative avancée.Les recommandations formalisées d’experts de la SFAR et de laSFETD, publiées en 2013, portent notamment sur les techniquesanalgésiques locorégionales dans la douleur chronique can-céreuse, entre autres pathologies [22].
ConclusionLa prise en charge de la douleur nécessite d’avoir de bonnesconnaissances théoriques sur les maladies causales, l’évalua-tion des caractéristiques douloureuses, les propriétés pharma-cologiques et les effets indésirables potentiels desmédicaments à prescrire pour obtenir un soulagement (antal-giques et co-antalgiques), mais aussi des connaissances prati-ques sur les techniques et soins applicables en parallèle et surles thérapeutiques non médicamenteuses. À côté de la connais-sance et du savoir-faire scientifiques, la relation en soins estune dimension qui prend ici toute sa place pour un savoir-êtreauprès du patient douloureux. L’écoute attentive sera l’un deséléments-clés de la prise en charge de la douleur du cancer :écouter la plainte douloureuse du malade nécessite de ladisponibilité et concerne l’ensemble des professionnels desanté. C’est une rencontre interpersonnelle, un échange deparoles, une circulation de sentiments et d’émotions qu’il faut
Complement electronique disponible sur le site
consulte.com/revue/lpm).Questionnaire DN4
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savoir partager, écouter, et canaliser. Cette relation qui requiertde la disponibilité, demande également une connaissance desoi et de ses propres limites ; elle se construit et s’élabore au fildu temps, dans un climat de confiance et de responsabilisationmutuelle par rapport au traitement proposé. Cette missiond’humanité exige une relation de vérité, d’authenticité durapport à autrui. L’information donnée au malade (sur lediagnostic, le projet thérapeutique et l’évolution de la maladie)doit être claire, appropriée et loyale et nécessite d’avoirconnaissance des limites de la médecine ; elle repose certessur un « savoir-faire » scientifique spécifique, mais aussi etsurtout sur un « savoir être » de tous les instants auprès de celuiqui souffre. Il faut établir avec le patient, au fil du temps, aurythme des consultations successives, un climat de confiance defaçon à faire émerger un projet thérapeutique aux objectifspartagés, tout en préservant l’autonomie du malade, en res-pectant ses choix de vie et en essayant de le rendre progressi-vement acteur dans la prise en charge de sa douleur.Il convient de travailler en coordination avec tous les acteurs desanté prenant en charge le patient. C’est donc un travaild’équipe pluridisciplinaire et pluriprofessionnel, où sensibilisa-tion et engagement personnel sont les meilleurs garants d’unerelation de qualité avec le malade souffrant, dans un espritd’authenticité, de collaboration et complémentarité : accompa-gner, accueillir, écouter, comprendre, informer, contenirangoisse et colère, respecter la dignité, prendre le temps,autant de mots clés de la relation soignant-soigné.
Int
pouret l’e. Ra30 (tp://Colle
J et
surnt at
Déclaration d’intérêts : PHRC KEPAL 2009 kétamine en association avec lesopioïdes dans les douleurs cancéreuses rebelles ; board sur les ADP,laboratoire Archimèdes ; étude ELEVATE (Qutenza versus Lyrica), laboratoireAstellas.
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