douai . hippodrome . les 4, 5 et 6 avril 2018 la maladie ... · le roman écrit par duras en 1982...

35
LA MALADIE DE LA MORT Marguerite Duras . Katie Mitchell DOSSIER PÉDAGOGIQUE Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018

Upload: others

Post on 12-Jul-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

LA MALADIEDE LA MORT

Marguerite Duras . Katie Mitchell

DOSSIER PÉDAGOGIQUE

Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018

Page 2: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

2

LA MALADIE DE LA MORTMarguerite Duras . Katie Mitchell

France / Royaume-Uni

TANDEM Scène nationale | Douai . Hippodrome

Les 4, 5 et 6 avril | 20:00

Durée : 1 h

Navette gratuite au départ d'Arras, Place de la Madeleine, le 5 avril à 19:15

Autour du spectacle

Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du 4 avril

Conférence Marguerite Duras, Eros et Thanatos animée par Yannic Mancel Lundi 19 mars | 18:30Douai . Hippodrome . Salle Paul Desmarets

Page 3: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

3

DISTRIBUTION PAGE 4

PRÉSENTATION PAGE 5

Le texte de Marguerite Duras PAGE 5

Le choix de l'œuvre PAGE 6

La mise en scène de Katie Mitchell PAGE 8

BIOGRAPHIES PAGE 10

Katie Mitchell PAGE 10

Lætitia Dosch PAGE 11

Nick Fletcher PAGE 13

Irène Jacob PAGE 14

LA PRESSE EN PARLE PAGE 15

Le Monde PAGE 15

POUR ALLER PLUS LOIN PAGE 18

Katie Mitchell et le cinéma PAGE 18

Marguerite Duras et le cinéma PAGE 21

Regard et voyeurisme dans l'œuvre de Marguerite Duras PAGE 23

« Male Gaze » : le regard masculin PAGE 25

Nudité au théâtre et au cinéma PAGE 27

Notes autour de la mise en scène souhaitée par Marguerite Duras PAGE 29

PISTES PÉDAGOGIQUES PAGE 32

Avant le spectacle PAGE 32

Après le spectacle PAGE 33

LIENS UTILES PAGE 35

SOMMAIRE

Page 4: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

4

DISTRIBUTION

Librement adapté du récit de Marguerite Duras

Mise en scène Katie Mitchell

Script Alice Birch

Collaboration à la mise en scène Lily McLeish

Avec Lætitia Dosch, Irène Jacob, Nick Fletcher

Réalisation vidéo Grant Gee

Décor et costumes Alex Eales

Musique Paul Clark

Son Donato Wharton

Vidéo Ingi Bekk assisté d’Ellie Thompson

Lumières Anthony Doran

Assistante à la mise en scène Bérénice Collet

Régisseur général John Carroll

Régisseuse de scène Lisa Hurst

Régisseuse vidéo Caitlyn Russell

Opérateurs vidéo Nadja Krüger, Sebastian Pircher / Christin Wilke

Coordinateur vidéo au plateau Matthew Evans

Régisseur son Harry Johnson

Perchman Joshua Trepte

Régisseur lumières Sébastien Combes

Accessoiriste Elodie Huré

Régisseuse plateau Marinette Jullien

Chorégraphie des combats RC-Annie

Stagiaires à la mise en scène Joanna Pidcock, Florence Mato

Remerciements à Jerry Brooks, Isaure Buot de l'Epine, Bérénice Collet et Christophe Jumel pour les scènes préenregistrées.

Page 5: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

5

PRÉSENTATION

Le texte de Marguerite Duras

Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines avec lui dans un hôtel près de la mer, afin de l’aider à apprendre à aimer. La femme, qui n’est pas une prostituée, est payée pour accepter tout acte sexuel ou toute autre demande de la part de l’homme. La femme lui rend visite seulement la nuit, elle n’est pas autorisée à lui parler sans y être invitée. La tonalité du texte est très secrète et étrange et s’apparente à un thriller psychologique. Chaque rencontre semble compor-ter un danger et chaque fois on se demande ce que cet homme pourrait faire à cette jeune femme, et surtout pourquoi la femme accepte un tel arran-gement.

La narration du livre est faite par une troisième personne, dont le sexe n’est pas clairement défi-ni. Ce narrateur désigne la femme par « elle » et l’homme par « vous ». Le texte explore la convic-tion de l’auteure qu’aucune intimité émotionnelle ou sexuelle authentique entre les hommes et les femmes n’est possible. La jeune femme décrit cela comme « la maladie de la mort », que l’homme a en lui. A la fin de l’histoire, la femme s’en va et le lec-teur reste interpelé par les questions de l’intimité et du genre.

Duras écrivait alors qu’elle souffrait de sérieux problèmes avec l’alcool. Elle s’en servait comme d’un moyen pour générer de la matière d’écriture, et lorsque son addiction l’en empêchait, elle dictait les mots à son assistant, Yann Andrea.

Couverture de la première édition de La Maldie de la mort© Les Éditions de Minuit, 1982

Page 6: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

6

PRÉSENTATION

Le choix de l'œuvre

Entretien réalisé par Valérie Lehoux, La Terrasse, 20/12/2017

Dans un entretien à La Terrasse, Katie Mitchell explique son rapport aux textes de Marguerite Duras et pourquoi son choix s’est porté sur La Ma-ladie de la mort :

Qu’est-ce qui vous a décidée à porter à la scène ce court roman de Marguerite Duras ?Mon texte préféré de Duras est un passage de La Douleur qui raconte comment l’écrivaine et son amant ont recueilli son mari, puis l’ont aidé à re-venir peu à peu à la vie, lorsque celui-ci est revenu du camp de concentration nazi dans lequel il était prisonnier. Cette histoire entre fiction et réalité est l’une des choses les plus fortes que j’aie lues sur la Seconde guerre mondiale. Mais ce texte est impos-sible à mettre en scène. Car on ne peut pas repré-senter de façon réaliste le corps de quelqu’un qui sort d’un camp de concentration. J’ai donc choisi de créer La Maladie de la mort, une autre œuvre de Duras qui me touche profondément.

En quoi vous touche-t-elle ?J’ai lu ce texte pour la première fois à la fin des années 1980, dans la merveilleuse traduction an-glaise de Barbara Bray. J’aime la façon dont La Ma-ladie de la mort explore les thèmes de la sexualité, de l’amour et de la dépression. J’aime la situation très simple dans laquelle nous plonge Duras : une chambre d’hôtel, un nombre de nuits déterminé, une rémunération fixée à l’avance. J’aime l’idée d’un homme tellement désensibilisé qu’il ne peut

plus aimer, l’idée de chercher à comprendre pour-quoi une femme accepte la proposition faite par cet homme.

Vous avez l’habitude de mettre en lumière la dimen-sion politique des textes. De quelle façon souhai-tez-vous faire résonner La Maladie de la mort pour notre époque ?L’année de parution de ce roman, 1982, semble à des années-lumière de l’endroit où nous sommes aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les questions liées au genre, aux identités inter-sexuelles et non-binaires… La Maladie de la mort ne cherche à aucun moment à remettre en cause le

Page 7: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

7

statu quo politique fondé sur le système patriarcal traditionnel. Cependant, l’adaptation qu’a réalisée l’auteure Alice Birch soulève quelques questions sur les motivations du personnage féminin – ques-tions qui aideront à faire résonner ce texte pour un public d’aujourd’hui.

Pour ce spectacle, vous avez une nouvelle fois conçu une représentation entre théâtre et cinéma…Oui, ce que j’appelle une performance cinémato-graphique en direct. Cette façon de procéder per-met de voir, en même temps, un film en train d’être réalisé sur le plateau et le résultat de cette réali-sation projeté sur écran. Grâce à l’usage de la ca-méra, on atteint un degré de subjectivité beaucoup plus important que lors d’une représentation sans vidéo. Les gros plans permettent en effet d’obser-ver de façon unique le regard d’un homme qui, par exemple, se pose sur le corps d’une femme.

Page 8: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

8

PRÉSENTATION

La mise en scène de Katie Mitchell

recherche d’un sentiment d’amour. Elles nous offrent le point de vue masculin, le « regard du mâle » comme le nomment les théories féministes. Les caméras nous emmènent à l’intérieur de la tête de l’homme et nous montrent la manière dont il re-garde le corps de la jeune femme.

Au niveau de la scène, nous voyons un homme as-sis qui regarde une femme endormie, et sur l’écran au-dessus – en même temps – nous voyons ce qu’il regarde – les minuscules pores de sa peau, les mou-vements de l’oeil sous sa paupière, ou une partie de muscle sur son bras. Nous voyons comme son regard est froid, sans émotion et dépourvu d’éro-tisme.

Cette nouvelle performance cinématographique en direct associe une production théâtrale de cette histoire avec un film tourné en parallèle sur scène. On y voit un décor de cinéma de la chambre d’hô-tel et de salle de bain, où se déroule la scène. Il y a une large fenêtre avec vue sur l’océan. Trois camé-ras filment simultanément l’action sur scène. Les images filmées sont éditées et montées en direct, puis projetées sur un grand écran au-dessus du dé-cor. On assiste au tournage d’un film et en même temps qu’on regarde le produit cinématographique fini.

Les caméras nous permettent de voir la manière dont l’homme regarde la jeune femme dans sa

Page 9: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

9

Cette tension entre l’action sur scène et la subjec-tivité cinématographique crée pour le spectateur un unique point de vue composé de deux images, révélant à la fois le paysage intérieur du person-nage masculin et mettant au défi notre propre voyeurisme, notre manière d’appréhender l’amour, le sexe et le corps de la femme.

Le matériel filmé est présenté dans le style d’un thriller qui raconte une histoire de suspense et de mise en danger : Qui est la jeune femme ? Pourquoi consent-elle à cet étrange contrat ? Qu’est que cet homme a pu vivre pour qu’il en arrive à se servir de la femme de cette façon ? Est-il marié ou divorcé, célibataire ou bien un tueur en série ?

L’homme et la femme se disent peu de choses et la majorité du texte est dite en direct par une actrice placée dans une boite en verre insonorisée visible au public.

Page 10: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

10

Après des études en littérature anglaise à l'Uni-versité d'Oxford, Katie Mitchell travaille comme assistante à la mise en scène pour divers théâtres et compagnies.

Aussi à l’aise sur les rivages de l’opéra et de l’art vi-déo que dans la haute mer du théâtre, elle façonne un langage théâtral original. Dès ses débuts, elle pose son regard curieux et novateur sur les grandes pièces du répertoire avec sa compagnie Classics on a Shoestring (Classiques à petits prix). Des clas-siques grecs, anglais, nordiques et russes trouvent une nouvelle jeunesse dans le rythme qu'elle leur insuffle et par l'usage qu'elle fait de la musique et de la danse ou encore de la vidéo au sein de ses mises en scène. Katie Mitchell multiplie, parallèlement à

ses projets pour l'opéra et la télévision, les formes novatrices en adaptant des romans au théâtre.

Accordant autant d’importance au geste qu’à la parole, elle trouve dans la précision toute chirurgi-cale du théâtre russe une influence profonde, puis se tourne vers l’Allemagne, où elle est régulière-ment invitée par les théâtres les plus prestigieux, comme la Schaubühne de Berlin ou le Schauspiel de Cologne.

La question de la temporalité l’obsède et l’amène à rechercher sur le plateau un tempo qui laisse le plus de place possible à la subjectivité. Attirée par la liberté formelle du film, son langage théâtral trouve une singularité technique et sensible au contact du vidéaste Leo Warner. Avec lui, elle met au point une très subtile utilisation des caméras sur scène, permettant d’observer au plus près les com-portements et les gestes imperceptibles des pro-tagonistes de ses spectacles. Que ce soit dans son adaptation du roman de Virginia Woolf, Les Vagues (2006), ou dans ses créations à l’opéra, ses mises en scène multiplient les perspectives et se libèrent du rythme scénique ordinaire. On a pu découvrir son travail en France en 2011 avec la présentation au Festival d’Avignon de Christine, une adaptation personnelle de Mademoiselle Julie de Strindberg, puis en 2012 avec Les Anneaux de Saturne, d’après le roman de W. G. Sebald, et Ten Billion, imaginé avec le scientifique Stephen Emmott.

BIOGRAPHIEKatie Mitchell

Mise en scène

Page 11: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

11

BIOGRAPHIELætitia Dosch

Comédienne

Lætitia Dosch est diplômée d’une licence de tra-duction de littérature anglaise, de la classe libre de l’Ecole Florent et de la Manufacture - conser-vatoire national de Suisse Romande. Au cinéma, elle joue dans plusieurs court-métrages sous la direction de Marie-Elsa Sgualdo (dont Bam tchak, primé à Angers et Lausanne). Elle rencontre Jus-tine Triet, avec qui elle tourne et participe à l’éla-boration de ses scenarios, que ce soit dans Vilaine Fille Mauvais Garçon, puis le rôle principal de son

premier long métrage, La Bataille de Solferino (2013). Elle joue aussi au côté d’Emmanuelle De-vos dans Complices de Frédéric Mermoud (2010). Récemment, elle tourne avec Christophe Honoré (Les Malheurs de Sophie), Catherine Corsini (La Belle Saison), Maïwenn (Mon Roi), Guillaume Se-nez (Keeper), Antony Cordier (Gaspard va au ma-riage)... Et, plus récemment, elle tient le rôle prin-cipal de Jeune Femme réalisé par Léonor Serraille, caméra d’or au Festival de Cannes 2017.

Page 12: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

12

À la télévision, elle joue un rôle récurrent dans la saison 2 d’Ainsi soient-ils diffusée sur Arte. À la Manufacture de Lausanne, elle écrit sa première pièce, Le Bac à sable, en collaboration avec les ac-teurs. Elle rencontre aussi Marco Berrettini et La Ribot, avec qui elle travaillera sur plusieurs pièces, participant à l’écriture.

Au théâtre, elle joue le rôle principal féminin de Mesure pour Mesure de Shakespeare, mis en scène par Jean-Yves Ruf, aux côtés d’Éric Ruf. Elle a aus-si collaboré avec la 2B Company pour le Printemps de Septembre, notamment pour Chorale, et avec les Chiens de Navarre au festival les Urbaines. Elle joue sous la direction de Mélanie Leray dans La Mégère apprivoisée de Shakespeare créé au TNB en 2015 puis collabore à nouveau avec Yves-Noël Genod pour son expérience de théâtre permanent au Théâtre du point du jour à Lyon.

Parallèlement, elle développe son propre travail. Elle crée Lætitia fait péter... puis Klein avec Patrick Laffont à la ménagerie de verre à Paris dans le cadre du festival Étrange Cargo 2014. En 2015, elle crée avec la collaboration de Yuval Rozman Un Album, inspiré par l’humoriste suisse Zouc au Théâtre de l’Arsenic, actuellement en tournée. En 2016, à l’in-vitation du Festival d’Avignon et de la SACD, elle crée avec Jonathan Capdevielle Les Corvidés pour les Sujets à Vif, spectacle qu’ils écriront ensemble à la table. En 2018, elle est nommée aux Césars dans la catégorie Meilleur espoir féminin pour son rôle dans Jeune Femme.

Lætitia Dosch écrit des articles pour Standard et les Cahiers du Cinéma.

Page 13: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

13

BIOGRAPHIENick Fletcher

Comédien

Formé à l’Académie d’Art Dramatique Webber Douglas de Londres, Nick Fletcher s’est princi-palement produit au théâtre. On le retrouve à plu-sieurs reprises sur la scène du National Theatre pour The Deep Blue Sea, Treasure Island, A Woman Killed with Kindness (sa première collaboration avec Katie Mitchell en 2011), The White Guard, The Overwhelming, Playing with Fire, Once in a Li-fetime, The UN Inspector. Il s’est également produit au West End à Londres dans A Doll's House, Rattle of a Simple Man, Star Quality.

Récemment, il joue dans For Services Rendered, The Shawl, A Doll's House (sur la scène du Harvey Lichtenstein Theatre à New York, dans une mise en scène de Carrie Cracknell), Public Enemy, The Country Wife, Twisted Tales, Dial M for Murder, Thyestes, Two Gentlemen of Verona, A Midsummer Night's Dream, King Lear, Love's Labour's Lost, The Slight Witch, All's Well That Ends Well, Silence, A Difficult Age, Henry V (Shakespeare’s Globe), A Chaste Maid in Cheapside (Shakespeare’s Globe), Burdalane, A Wife Without a Smile, The House Amongst the Stars, Court in the Act, The Way of the World, The Last Thrash, The Cassilis Engagement. A la télévision, il a travaillé pour diverses pro-ductions comme Silk, Midsomer Murders, Mutual Friends, Whitechapel, Harley Street, New Tricks, True Dare Kiss, Rough Treatment, After the War, Grange Hill.

Au cinéma, il a joué dans Hippie Hippie Shake (Bee-ban Kidron), Bring Me the Head of Mavis Davis (John Henderson), et The Visitor (Audrey Cooke).

Page 14: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

14

BIOGRAPHIEIrène Jacob

Comédienne

Sa carrière cinématographique débute sous la di-rection de Louis Malle (Au revoir les enfants) et Kr-zystof Kieslovski (La Double vie de Véronique) qui lui vaut le Prix d’interprétation à Cannes en 1991. Depuis elle tourne internationalement devant les caméras de Michelangelo Antonioni, Théo Ange-lopoulos, Patrice Leconte, Olivier Parker, Jonathan Nossiter, Hugh Hudson, Paul Auster, Claude Le-louch… et a travaillé cette année dans la série The Affair.

Au théâtre, elle joue aux Bouffes du Nord, au théâtre de l'Atelier, dans le West end, à Chaillot sous la direction de Christian Rist, Irina Brook, Richard Nelson, Jérôme Kicher, Philippe Calvario, Jean-François Peyret, David Lescot et récemment dans La Métamorphose version androïde de Oriza Hirata.

Son affinité pour la musique lui fait rencontrer des rôles musicaux pour l'Opéra Comique, l'Opéra de Lyon, le Lincoln center : Perséphone de Stravinski, Jeanne au bûcher de Honegger, Babar de Poulenc, L'Arlésienne de Bizet… Elle a par ailleurs enregistré deux albums sur les labels Naïve et Universal jazz.

Page 15: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

15

LA PRESSE EN PARLE

KATIE MITCHELL BOUSCULE LE GENRE

Par Fabienne Darge, Le Monde, 25/01/2018

Deux pièces mises en scène par la Britannique, au féminisme affirmé, sont actuellement à l’affiche à Paris.

Katie Mitchell a-t-elle un style, ou a-t-elle un genre ? La metteuse en scène britannique, qui s’est imposée ces dernières années comme une figure majeure de la scène européenne, a deux spectacles à l’affiche à Paris en cette fin janvier, qui font beau-coup parler. Aux Bouffes du Nord, dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville, Mitchell propose une création en français d’après La Mala-die de la mort, de Marguerite Duras. Au Théâtre de la Colline, elle présente Schatten (Eurydike sagt), un spectacle en allemand, créé à la Schaubühne de Berlin, sur un texte de l’auteure autrichienne El-friede Jelinek.

Si ces deux spectacles provoquent débats passion-nés et discussions enflammées, suscitent fascina-

tion chez les uns, désarroi ou scepticisme chez les autres, c’est notamment parce que Katie Mitchell est la première à faire de la scène de théâtre le lieu d’une déconstruction aussi radicale de la do-mination masculine, de la guerre des sexes et de l’aliénation qui s’ensuit. Et parce qu’elle est, avec la Brésilienne Christiane Jatahy, celle qui pousse le plus loin l’exploration d’une nouvelle forme de théâtre-cinéma – les deux femmes ont d’ailleurs chacune signé une version saisissante de Made-moiselle Julie, de Strindberg.

Avec Mitchell, le genre, les genres sont question-nés, bousculés, poussés dans leurs retranche-ments. Avec des bonheurs divers, et au risque que le militantisme féministe prenne le pas sur l’art et le cinéma sur le théâtre, comme le disent certains ? La Maladie de la mort leur donne en partie raison. Le spectacle commence pourtant de manière gla-ciale et percutante, dans la grotte magique qu’est le théâtre des Bouffes du Nord.

Page 16: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

16

L’actrice Irène Jacob, enfermée dans une cabine en verre sur le côté gauche de la scène, dit les mots de Duras, et elle les dit de manière absolument magni-fique, les mots de ce texte qui est un des plus beaux et des plus énigmatiques de l’auteure de L’Amant. Sur le plateau, entourés de nombreux cameramen et techniciens, une femme et un homme, qu’in-carnent Lætitia Dosch et le comédien britannique Nick Fletcher.

L’homme a rencontré la femme par hasard et il lui a demandé, il l’a payée pour ça, de venir toutes les nuits dans sa chambre d’hôtel qui donne sur la mer sombre. Quand la jeune femme lui a demandé ce qu’il voulait, il a répondu : « Essayer. » « Essayer quoi ? », a-t-elle insisté. « D’aimer », a répondu l’homme. Alors elle vient toutes les nuits, s’allonge nue sur le lit, s’endort, pendant qu’il la regarde, la caresse ou lui fait l’amour. Très vite, la jeune femme dit à l’homme : « Dès que vous m’avez parlé, j’ai vu que vous étiez atteint par la maladie de la mort. »La Maladie de la mort est un texte très bref, où les dialogues n’existent qu’au style indirect, où la langue de Duras, impériale, impérieuse, fouille un mystère aussi insondable que la mer noire. Mais quel est-il, ce mystère ? Quelle est cette « maladie de la mort » dont serait atteint l’homme ? Toute la question est là, et tout l’enjeu, à partir duquel le spectacle de Katie Mitchell peut sembler en porte-à-faux par rapport au texte de Duras et le tordre dans le sens du point de vue de la metteuse en scène.

On sait aujourd’hui que Duras a écrit le texte en 1982, en lien direct avec son histoire avec Yann Andréa, son dernier compagnon, et son impuis-sance et sa rage de ne pouvoir vivre pleinement son amour avec lui, ce dernier étant homosexuel. La maladie de la mort, qui est une maladie de l’amour, serait donc celle de l’homme homosexuel, incapable d’aimer cet autre qu’est la femme.

Un léger sentiment de malaise

Mais peu à peu des études, anglo-saxonnes pour la plupart, arguant des engagements féministes pour-

tant ambivalents de Duras, ont déplacé la question homosexuelle vers des interrogations plus larges sur le genre et l’abîme du désir entre homme et femme. De là à dire que l’homme est par essence incapable d’aimer, il n’y a qu’un pas, que Katie Mit-chell franchit, suscitant un léger sentiment de ma-laise. Le point de vue semble d’autant plus carica-tural que l’acteur qui joue l’homme, Nick Fletcher, manque de charisme, surtout en comparaison avec Lætitia Dosch, qui, dans la peau de la jeune femme, affirme une belle singularité.

Cette impression est encore renforcée par le fait que Katie Mitchell donne une dimension assez lourdement psychologique – en inventant toute une histoire familiale à la jeune femme – à un texte qui en est totalement dénué, gardant de bout en bout son éclat de diamant noir.

Ce manque de complexité sur le fond fait appa-raître la forme composite théâtre-cinéma de Katie Mitchell un peu comme une usine à gaz. Mais ces équilibres doivent être délicats, car dans Schatten au contraire, qui s’inscrit dans un dispositif très proche, tout se boucle de manière beaucoup plus juste et cohérente et le spectacle reste glacial et

Page 17: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

percutant, d’une intensité imparable jusqu’à la dernière seconde.

Peut-être parce que Katie Mitchell est plus proche de la vision d’Elfriede Jelinek, qui n’est pas de la même génération que Duras et s’inscrit donc dans un autre moment de l’histoire du féminisme. L’au-teure autrichienne, Prix Nobel de littérature en 2004, a signé elle aussi un grand texte, avec ce Schatten (« ombre ») qui réécrit le mythe d’Orphée en le recentrant sur Eurydice.

Une plongée au royaume des ombres

Et ce qui pourrait là aussi être caricatural appa-raît au contraire comme terriblement incisif et totalement jouissif. Orphée, le joueur de lyre, est devenu un chanteur de rock à succès, un bellâtre ténébreux, narcissique et adulé par ses fans. La vie d’Eurydice, sa petite amie, tourne totalement autour de lui, alors que la jeune femme voudrait écrire, produire son œuvre propre. Alors quand Eurydice, piquée par un serpent (tiens, tiens…) sombre dans le royaume des ombres, elle décide d’y rester, malgré le voyage infernal qu’effectue Orphée pour la ramener dans sa lumière à lui.

La virtuosité de la forme, mieux maîtrisée que dans La Maladie de la mort, et les acteurs, comme

toujours excellents, de la Schaubühne font de ce Schatten une fascinante plongée au royaume des ombres et des mythes anciens et contemporains, au premier rang desquels le rock et tout ce qu’il charrie. La déconstruction vertigineuse, entre le travail vidéo en direct, la performance sur le pla-teau et le texte qui est là aussi dit par une narra-trice enfermée dans une cabine vitrée, prend ici tout son sens.

Mais qu’il s’agisse de Duras ou de Jelinek, Katie Mitchell se situe bien au cœur des questions les plus brûlantes d’aujourd’hui sur la construction des rôles féminin et masculin. La metteuse en scène, pourtant, réfute l’idée de voir son travail s’inscrire dans un « combat » ou une « révolution » féministes, qui « impliqueraient une sorte d’opéra-tion violente et quasi militaire », et « supposeraient une société totalement polarisée entre partisans et adversaires des idées féministes ». « La réalité est plus complexe et nuancée, a expliqué au Monde Katie Mitchell. Pour moi, le féminisme a plus à voir avec une discussion qu’avec une lutte sans merci. Un débat calme et raisonnable, qui ouvre les portes vers une véritable parité économique entre les sexes et alerte les hommes et les femmes sur les biais inconscients qu’ont produits les structures patriarcales. Et, en tant qu’artiste, je suis très en-gagée dans cette discussion. »

17

Page 18: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

POUR ALLER PLUS LOIN

KATIE MITCHELL ET LE CINÉMA

Extrait d'un entretien mené par Marion Siéfert et traduit par Chris Campbell

Entretien avec Katie Mitchell autour de son rap-port au cinéma dans la création théâtrale autour de la mise en scène du spectacle Voyage à travers la nuit :

Depuis Les Vagues, vous vous orientez vers une es-thétique théâtrale proche des arts multimédias. Avec le vidéaste Leo Warner, vous avez aussi présenté Wunschkonzert, puis Christine, d’après Mademoi-selle Julie et La Tapisserie jaune. Pourquoi est-ce si important pour vous de faire intervenir le cinéma au sein de votre théâtre ? Je ne pense pas faire du cinéma au théâtre. Dans mon travail, vous regardez à la fois le film et le film en train de se faire, ce qui n’est pas du tout le cas d’un film pré-enregistré. Je fais avant tout du théâtre. Mon approche est liée à deux préoc-

cupations : lorsque vous êtes metteur en scène, vous êtes très privilégié, car vous pouvez voir des acteurs de grande qualité jouer de très près. Mais la plupart des spectateurs ne peuvent pas voir cela. Dans un grand théâtre, il est impossible de per-cevoir tous les détails du jeu des acteurs. Avec le temps, cela devient très frustrant, d’autant que, plus les salles sont grandes, plus les comédiens doivent amplifier leurs gestes, qui deviennent im-précis, mécaniques et parfois grossiers. Utiliser la caméra est pour moi une façon de préserver un jeu très détaillé et proche de la vie, et d’être assurée que chacun puisse le percevoir dans la salle. Ain-si, toute la puissance discrète et magnifique du jeu des comédiens peut se déployer. Ma deuxième préoccupation s’appuie sur mon intérêt pour le cubisme. Dans les arts visuels, la façon de retra-

18

La Tapisserie jaune

Page 19: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

cer la perception et l’expérience est très avancée et sophistiquée. Mais, généralement, dans la pra-tique théâtrale, on ne s’intéresse, formellement parlant, qu’au réalisme et à la narration linéaire. Je voulais trouver une forme à travers laquelle la perception se rapproche de mon expérience d’être dans le monde, en relation avec d’autres, faisant partie d’une communauté. Pour moi, une narration linéaire et parfaite est à mille lieues de mon sen-timent d’être en vie. Je voulais donc trouver une forme différente afin d’organiser cette expérience. Je pense que les relations humaines et la psycholo-gie s’expriment dans les comportements humains plutôt que dans des histoires. Pour être honnête, les histoires ne m’intéressent pas, pas plus que tout ce que l’on force dans le corset étroit du langage.

Pouvez-vous expliquer plus précisément l’influence du cubisme sur votre travail ?Pendant sa période cubiste, Picasso peignait, sur une surface plane, tous les points de vue qu’il pou-vait avoir sur un même objet. C’est cette simulta-néité des perspectives que je trouve passionnante dans le cubisme et que je veux développer dans mon travail. La puissance de représentation des images d’un film peut être très séduisante, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’une construction artificielle. Le cinéma n’est pas un live media, mais un art de l’enregistrement. Dans Voyage à travers la nuit, si l’intervention des caméras permet de mul-tiplier les points de vue, tout se passe néanmoins sous nos yeux, en direct.

Votre esthétique semble reposer sur la dissection des sentiments de vos personnages principaux, afin de re-construire une expérience sensible. Est-ce le cas pour Voyage à travers la nuit ?Oui, d’une certaine manière, même si je ne pense pas le faire consciemment. Je crois simplement que la biologie me passionne, ainsi que la façon dont les émotions sont gravées dans le corps. Pour moi, dans la vie, les plus grands événements sont minuscules, comme un regard qui se détourne, le temps d’une fraction de seconde, face à la personne aimée. En un instant, un abîme s’ouvre, seulement à cause de ce regard fuyant qui révèle un mensonge, une tra-hison, la perte de l’amour. C’est ce détail, complexe

à montrer sur scène, que la caméra peut saisir. Je déteste la gestuelle conventionnelle du théâtre, ces effets de voix ridicules qu’il est nécessaire de faire pour être entendu, ce corps artificiellement construit.

Un film, contrairement à une mise en scène clas-sique, peut user de temporalités très différentes. Dans Voyage à travers la nuit, les absents sont ramenés au présent, le mort et le vivant coexistent. Est-ce cette possibilité du cinéma qui vous intéresse ? Oui, en effet. Le théâtre ne peut jamais suivre la vitesse du cerveau, mais un film peut s’adapter au rythme de nos pensées. C’est le média le plus ra-pide pour saisir une haute vitesse de perception. Le théâtre est un peu plus lent. L’opéra est encore plus lent, mais c’est tellement intéressant. J’aime passer de l’opéra au théâtre, puis au film. Plus je navigue entre ces différents langages, plus je suis consciente de l’importance de la temporalité. Par-fois, je touche à certaines limites : par exemple, on ne peut pas aller plus vite que notre capacité à comprendre les paroles prononcées sur scène. Mais les pensées sont plus rapides que le langage. L’esthétique filmique est fondée sur la vitesse et le changement : grâce au montage, on peut passer en un claquement de doigt d’une période à une autre par exemple.

Le cinéma exerce une grande influence sur votre tra-vail. Quels sont vos maîtres du septième art ?Lorsque j’étais enfant, quand nous avons reçu notre première télévision en couleur à la maison, mon père régla le poste de façon à ce que nous puissions recevoir uniquement la BBC 2. Ainsi, dès l’âge de huit ans, j’ai été nourrie par les joyaux du cinéma étranger. Je pense que mon père voulait nous éloi-gner de la culture américaine et nous introduire à la culture européenne. J’ai donc vu les films d’An-tonioni, Fellini, etc. Plus tard, j’ai découvert ceux qui restèrent essentiels pour moi : Tarkovski, qui demeure ma plus grande influence et dont les films accompagnent toujours mon travail, Bergman et Klimov, ainsi que sa femme, Larisa Shepitko, qui a fait le film The Ascent. Tous ces films viennent des années 60 et 70. J’aime également énormément le travail de Michael Haneke, même si je le trouve

19

Page 20: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

très éprouvant à regarder, et de Kieslowski. Pour moi, Le Décalogue est son chef-d’œuvre, ainsi que sa trilogie des Trois Couleurs (Blanc, Bleu, Rouge) qui réunissent poésie, narration et psychologie.

Vous naviguez entre différents langages : théâtre, film, opéra, littérature. Comment jouez-vous avec chacun d’entre eux ? Plus j’évolue entre ces langages différents, plus je deviens consciente de leur spécificité et plus je ressens la nécessité d’être précise dans mon travail. Mais je pense que l’enjeu essentiel, pour moi, est celui de la vitesse. C’est pour cela que j’aime pro-gresser dans plusieurs domaines. Je suis également très curieuse et me plais à me situer entre diffé-

rents genres. Je viens de terminer la mise en scène de La Tapisserie jaune et j’ai également été absorbée par un petit film que l’on a fait pour la Viennale, le Festival international de film de Vienne. Cela parle d’une vieille femme qui perd la mémoire. Et en ce moment, je mets en scène un opéra pour lequel je travaille une temporalité très lente. C’est très sti-mulant de naviguer entre ces nombreux langages aux contraintes formelles très différentes. Après presque trente ans de théâtre, je pense que le risque le plus grand est celui de se répéter. Évoluer dans diverses formes artistiques me permet de res-ter très alerte, de penser mes créations de manière nouvelle, de franchir des frontières à l’opéra et au théâtre.

Nostalghia, d'Andreï Tarkovski

20

Page 21: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

21

POUR ALLER PLUS LOIN

MARGUERITE DURAS ET LE CINÉMA

Extrait de Marguerite Duras : pourquoi le cinéma ? de Laure Defiolle

Femme de lettres, dramaturge, scénariste et ré-alisatrice, par la diversité et la modernité de son œuvre qui renouvelle le genre romanesque et bouscule les conventions théâtrales et cinéma-tographiques, Marguerite Duras a très fortement marqué la seconde moitié du XXe siècle.

Marguerite Duras s’intéresse au cinéma dès sa jeu-nesse. Pourtant, après avoir publié ses premiers livres, elle se tourne vers le théâtre. Elle reste en effet méfiante vis-à-vis du cinéma, pour elle ce-lui-ci est devenu une distraction et non un art, trop dépendant d’enjeux financiers, alors que le théâtre est encore le lieu d’une possible prise de risque artistique et esthétique. Sa première pièce Le Square est montée au théâtre des Champs Ely-sées en 1956.

Au moment où Duras s’essaye au théâtre, elle ren-contre sa première déception cinématographique, liée à l’adaptation d’un de ses romans. René Clé-ment a acheté les droits d’Un barrage contre le Pacifique en 1956 et le film sort en 1958. Duras est déçue et n’aime pas le film : parce qu’on ne l’a pas consultée pour le scénario, elle a l’impression qu’on s’est approprié son imaginaire impunément ; en outre, elle se sent trahie car René Clément n’a rien compris à la sauvagerie du roman (cf. le « hap-py end » du film que récuse Duras). Cette décep-tion est l’argument principal que donnera Duras pour expliquer son envie de faire du cinéma : une sorte de « ras le bol » des mauvaises adaptations.

Après le film de René Clément, elle pense en effet à se lancer : « Si je devais transposer à l’écran un autre de mes romans, je crois que je le ferai bien, je pourrais prendre à l’égard de mon livre des libertés que les adaptateurs n’osent pas prendre. Je crois qu’en fin de compte, les adaptateurs sont trop fi-dèles. Je pourrais réécrire telle ou telle scène pour le cinéma, dans le même esprit, sans qu’elle ait rien à voir avec le livre. L’essentiel, si l’on veut être fi-dèle, c’est de conserver le ton ». (Entretien dans L’Express, 8 mai 1958)

Un barrage contre le Pacifique de René Clément

Page 22: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

La trop grande fidélité des adaptateurs qu’elle montre du doigt n’est certes pas sans ironie en-vers René Clément, mais on voit ici que Duras s’est déjà forgé sa conception de l’adaptation. Aussi ne manque-t-elle pas d’assurance, pour elle, il lui pa-raît facile de faire du cinéma, plus facile en tout cas que d’écrire des livres.

Elle collabore en 1964 au premier court-métrage de Marin Karmitz, Nuit noire Calcutta, qui aborde l’alcoolisme. Sa participation au tournage sera un véritable déclencheur pour Marguerite Duras, et va lui donner véritablement envie de devenir ci-néaste : en étant présente sur le plateau, en voyant concrètement comment se fait un film, sa peur de la technique/de l’inconnu disparaît définitivement.

22

Son premier film, La Musica, sort en 1966. Il s’agit à l’origine d’une pièce de théâtre écrite en 1964 à la demande de la télévision anglaise dans le cadre d’une série intitulée Love Stories. L’idée du ciné-ma était d’ailleurs déjà présente dans la pièce. elle y fait en effet référence dans la première didasca-lie et anticipe sur des procédés qu’elle reprendra dans ses films : « La mise en scène devrait être ci-nématographique. Éclairage violent des visages qui équivaudraient aux plans rapprochés et plongée de ces visages dans le noir, parfois »

Page 23: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

POUR ALLER PLUS LOIN

REGARD ET VOYEURISME DANS L'ŒUVRE DE MARGUERITE DURAS

Extrait de Marguerite Duras : pourquoi le cinéma ? de Laure Defiolle

Pour Duras, le cinéma est un médium, un moyen d’explorer ce qu’elle recherche dans la littérature. Et notamment de développer la question du re-gard.

Marguerite Duras a toujours eu une attirance particulière pour le voyeurisme : que ce soit dans ses thématiques (les faits divers par exemple) ou dans sa façon de faire naître chez son lecteur des émotions liées à un interdit. Le lecteur chez Du-ras est souvent placé dans une position de voyeur : par exemple dans le Barrage contre le Pacifique, à la scène de la douche, où le lecteur assiste au mo-ment (unique et non autorisé) où Monsieur Joe voit Suzanne nue. Ce lecteur-voyeur est toujours actif chez Duras, pour elle la lecture est un acte de création. Elle donne les éléments du puzzle mais c’est au lecteur de les assembler.

En passant derrière la caméra, Duras peut di-rectement exercer la volonté qu’elle a de « faire voir », d’autant plus que le spectateur est déjà par définition un voyeur. Et là encore dans ses films, la réalisatrice ne donne pas d’histoire ficelée au spectateur : c’est lui qui fait le film (c’est ce qu’elle explique dans le début du texte tiré des Yeux verts en parlant des deux spectatrices créatrices). On l’a vu dans Le Camion où elle contredit sans cesse le plaisir que pourrait prendre le spectateur à une histoire toute faite, ou encore à s’identifier à

un personnage. Elle multiplie les points de vue, et finalement le spectateur ne peut s’identifier qu’à la fonction regardante, c’est-à-dire à la caméra.

La problématique du regard est un thème impor-tant dans les romans de Marguerite Duras (l’im-possibilité de voir, l’imbrication des regards), et il l’est d’autant plus au cinéma. D’abord parce que grâce à la caméra, on peut matérialiser le regard, mais aussi parce qu’au cinéma on peut voir ce qu’on ne voit pas habituellement : dans Le Camion, la ré-pétition des « vous voyez » sonnent un peu comme une mise en accusation de ceux qui disent qu’il n’y a rien à voir ; de même dans Césarée et dans Les Mains négatives, Duras dit avoir voulu filmer un autre Paris, celui où l’on passe sans regarder.

Au cinéma, on peut aussi (faire) voir celui qui ne voit pas : dans Détruire dit-elle, Duras joue sur l’imbrication des regards : lorsqu’un personnage regarde un personnage qui regarde un personnage qui lui-même est observé, l’ensemble des regards est pris en compte par le spectateur (qui voit celui qui regarde et celui qui est regardé). Elle poussera cette idée à son paroxysme dans le Navire Night : un homme ne peut pas voir la femme qu’il com-mence à aimer, ils ne se parlent qu’au téléphone. Cet homme qui veut voir, qui « veut voir l’histoire » est une mise en abyme du spectateur car le spec-tateur lui non plus ne verra pas l’histoire. Elle est dite par Duras et Benoît Jacquot. Trois acteurs

23

Page 24: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

24

apparaissent de temps en temps à l’écran, mais ils ne sont pas les personnages de l’histoire, ils sont immobiles, Marguerite Duras ne filme que leur re-gard.

L’importance du regard explique qu’il y ait beau-coup de plans fixes et de plans rapprochés dans les films de Duras : le cinéma est un art de la capture, grâce à lui on peut scruter, fixer, découvrir le mys-tère que possède tout être d’où l’attrait pour filmer

les visages dont la caméra peut voler la beauté : Dans un entretien radiophonique de 1967, elle dit en parlant de La Musica : « Pour La Musica, je peux mieux montrer les personnages à cause des plans rapprochés. L’objet, la matière du film, c’est le visage humain. Au théâtre, vous n’avez pas de visage, le visage échappe, tandis que là, vraiment, la scrutation, si ce mot existe, du visage est pos-sible et c’est ça qui m’a plu et m’a comblée dans une certaine mesure ».

Marguerite Duras sur le tournage de Détruire

Page 25: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

25

POUR ALLER PLUS LOIN

« MALE GAZE » : LE REGARD MASCULIN

Dans la mise en scène de Katie Mitchell, les mou-vements de la caméra suivent les regards voyeurs de l’homme qui scrute la femme. Cette subjectivi-té cinématographique qu’est le « male gaze » est très fréquemment interrogée par des théories fé-ministes.

Qu’est-ce que le « male gaze » ?1

Issu de la critique cinématographique, ce concept est devenu central dans le vocabulaire du fémi-nisme anglophone. Le « male gaze » peut en effet être étudié au cinéma, mais aussi dans d’autres do-maines de la culture visuelle (BD, publicité, jeux vidéo…). En 1975, la critique de cinéma Laura Mulvey forge et définit le concept dans un article intitulé Plaisir visuel et cinéma narratif. Cet article a exercé une très grande influence sur les études cinématographiques. Elle utilise le cadre de la psy-chanalyse freudienne et lacanienne (analyse du rôle joué par le regard dans le stade du miroir) dans une perspective féministe et polémique.

Mulvey distingue trois types de regards : celui de la caméra sur les acteurs et actrices, celui du public regardant le produit final, et celui des personnages se regardant les uns les autres au sein du film. Pour renforcer l’illusion cinématographique et réduire autant que possible la distance du public avec le film, le cinéma narratif efface les deux premiers re-gards au profit du troisième. Le résultat est qu’on voit le film à travers les yeux des personnages, mais pas n’importe lesquels : dans l’écrasante majorité des cas, il s’agit du regard du héros masculin. Dans cette configuration, Mulvey décrit les personnages masculins comme actifs, par opposition aux per-sonnages féminins passifs, regardés. Le rôle tra-ditionnel du personnage féminin est donc double : elle est objet érotique pour le personnage et pour le spectateur masculins. Les spectatrices se voient en outre dans l’obligation d’adopter, elles aussi, le « male gaze », le regard masculin. 4

¹ Extrait de Le « Male Gaze » (regard masculin) de Anne Charlotte Husson

Page 26: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

Melvey analyse notamment des films de Hit-chcock, fasciné comme on sait par le voyeurisme. Une image tirée de Fenêtre sur cour (ci-dessus), film dans lequel le regard est évidemment central, est particulièrement éclairante.

Au premier plan, Grace Kelly (Lisa Fremont) est allongée dans une attitude faussement noncha-lante, consciente du regard de James Stewart (L.B. « Jeff » Jefferies) sur elle alors qu’elle lui tourne le dos. Le regard du spectateur n’épouse pas exac-tement celui du personnage masculin, puisqu’il la regarde de face alors que Jeff la regarde de dos ; mais elle est offerte aux deux, qui fonctionnent de manière complémentaire, l’embrassant dans un re-gard unique et omnipotent.

Cela n’est évidemment pas valable que pour le ci-néma. Mulvey voit dans ce dispositif un avatar du rôle traditionnel de la femme dans les représenta-tions artistiques, à la fois exhibée et regardée, pas-sive, pour le plaisir du regard masculin.

La femme fonctionne comme icône, et peut être en tant que telle montrée fragmentée (gros plans sur des parties de son corps), alors que la figure mascu-line active a besoin d’un espace en trois dimensions

pour se réaliser et pour provoquer un phénomène de reconnaissance et d’identification de la part du spectateur.

On voit donc que ce concept est un outil majeur pour l’analyse des représentations du féminin et du masculin et la mise en évidence des asymétries qui les sous-tendent. Avant de montrer en quoi il s’ap-plique à d’autres domaines de la culture visuelle, il faut signaler que ce « male gaze » est aussi la plu-part du temps un regard hétérosexuel et blanc.

Dans La Maladie de la mort, la caméra adopte sou-vent le regard masculin, pourtant, la femme n’y apparait pas comme un objet de désir. À d’autres égards, et contrairement à l’œuvre de Marguerite Duras, cette mise en scène semble plutôt se cen-trer sur le personnage féminin, et s’interroger sur sa position de victime et sur les raisons qui l’ont menée dans cette chambre d’hôtel. Par ailleurs, en ajoutant une nouvelle dimension au personnage de la femme, la désignant comme prostituée, pa-ramètre absent du texte originel, Katie Mitchell ouvre l’œuvre à de nouvelles interrogations et se penche notamment sur la place des travailleuses du sexe dans notre société.

26

Page 27: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

POUR ALLER PLUS LOIN

NUDITÉ AU THÉÂTRE ET AU CINÉMA

Extrait de Tout nu or not tout nu de Marco de Blois

On ne déshabille jamais quelqu'un pour rien. Sur scène comme devant la caméra, porter un vête-ment ne nécessite aucune justification narrative puisque cela répond au sens commun - on se de-mandera plutôt quel vêtement porter. Cependant, se mettre tout nu au théâtre ou au cinéma, voilà qui va à l'encontre de la norme et crée une sensa-tion. On ne déshabille jamais quelqu'un pour rien, comme ça, par désintérêt : notre société est ainsi faite. Pourquoi alors déshabille-t-on les acteurs ?

La nudité au cinéma est presque aussi vieille que le cinéma lui-même. Des historiens - Jean Mitry notamment - rappellent que l'invention des frères Lumière aurait rapidement donné l'idée à quelques « tordus » qu'ils pouvaient l'utiliser pour enre-gistrer le spectacle de la nudité. Or, pourquoi ne semble-t-il pas y avoir semblable apparition pré-coce, préhistorique, de la nudité au théâtre ? La ré-ponse est évidemment simple : le théâtre ne repose pas sur une technique d'enregistrement froide, dépersonnalisée, comme le cinéma. La caméra est une machine, pas la scène. Le théâtre se construit « en société » - en communauté, devant public. Ses artisans doivent tenir compte de ce qui est accep-table socialement quitte bien sûr à bousculer cer-taines conventions une fois de temps en temps.

Le théâtre ne pouvait, ne peut encore, pour des rai-sons évidentes de décence, accueillir la pornogra-phie (au sens où il y a un cinéma pornographique).

En fait, s'il y a quelque chose comme la pornogra-phie au théâtre, on la retrouve surtout dans une de ses formes dérivées : le strip-tease. Et encore ! L'art théâtral a donc la particularité que les mani-festations du corps - comme la nudité - peuvent plus vivement qu'au cinéma y heurter un seuil de tolérance.

Il y a rapport direct entre l'acteur et le spectateur au théâtre. En revanche, ce rapport se « dilue » au cinéma parce qu'une caméra s'interpose, servant de relais entre l'acteur et le spectateur. Les films sont donc un peu moins « personnalisés » comme spectacles ; le spectateur y a moins la sensation d'être pris à partie.

La nudité au théâtre constitue un événement qui marque le déroulement du spectacle. Elle est en ce sens efficace puisque tout le monde la remarque. C'est peut-être pourquoi on lui donne le plus sou-vent une fonction psychologique ou symbolique, plutôt qu'ouvertement érotique ou simplement sensuelle. Dans Poor Super Man, au Quat'Sous, avec Claude Poissant et Emmanuel Bilodeau, il y avait beaucoup de nudité, mais aucune sensuali-té. Une nudité fonctionnelle parce que militante, ayant comme motif la provocation. Une nudité « habillée », en somme. Brad Fraser, me semble t-il, échoue dans la subversion – qu’il revendique haut et fort pourtant- du fait qu’il revendique la sen-sualité et l’érotisme Inversement, 2 monologues de

27

Page 28: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

28

fif de Stéphane Laporte, dans sa deuxième partie, se voulait sexuel, d'une indécence délibérée, mais uniquement par les mots, sans nudité. Rien à voir avec les corps sulfureux qu'exhibait Fassbinder dans Querelle.

Qu'est-ce qu'un personnage ? D'abord, une construc-tion dramatique. Un acteur s'en accapare, puis le personnage abandonne sa constitution exclusi-vement littéraire pour se faire visible : son corps devient alors de chair et d'os, il acquiert une exis-tence matérielle. Le personnage n'est pas complet sans l'acteur, il existe par l'acteur. Ainsi, l'obésité de Marlon Brando appartient-elle en propre au Vito Corleone de The Godfather ; le Jake La Mot-ta de Raging Bull doit la sienne à Robert de Niro. Ovide Plouffe (Le Crime d'Ovide Plouffe, de Denys Arcand, 1984) n'existe dans nos esprits que grâce aux corps anguleux de Jean-Louis Roux et Gabriel Arcand. Quand il y a supercherie - prothèses, rem-bourrures ou maquillages -, c'est encore et toujours l'acteur qui, au premier chef, donne apparence à sa créature.

La nudité du personnage sera donc aussi celle de l'acteur. En fait, le personnage n'a pas de nudité, c'est l'acteur qui lui fait don de la sienne, qui lui fait cadeau de ce qu'il a de plus intime. Ce qui m'amène à cette question : pourquoi est-ce que je ne réagis pas de la même façon face à une nudité cinéma-tographique et à une nudité de théâtre ? Pourquoi la seconde m'embarrasse, me gêne, me trouble ou m'étonne, tandis que la première peut m'apparaître agréable ou insignifiante ? Y a-t-il quelque chose que je n'ai pas compris au théâtre ?

Sur les planches, la nudité est personnalisée : cet acteur est une personne, un être humain, un ci-toyen que je vois évoluer pas trop loin de moi. En revanche, au cinéma, la nudité cinématographique s'offre aux regards en différé. Le personnage de cinéma existe bien par l'acteur, mais ne reste plus à l'écran qu'une image, un reflet de sa personne. Il serait donc plus juste de dire que le corps du per-sonnage de cinéma est celui d'un fantôme. Un fan-tôme, nu ou non, reste un fantôme.

En 1996 se tenait une expérience rafraîchissante qui ne pouvait avoir lieu que dans un théâtre et qui a su mettre en cause notre rapport à la représen-tation de la nudité. Le Grand Théâtre Émotif du Québec présentait à l'Espace Libre Nudité. Après deux représentations, les forces policières ont in-terdit ce spectacle où les spectateurs étaient invi-tés à se dévêtir en entrant dans la salle, « pour des raisons de décence », expliquait-on. Pourtant, la pièce ne visait pas à l'érotisme, mais au ludisme ; la nudité y était tout à la fois banalisée, dédrama-tisée et désintéressée. Or, paradoxalement, cette façon faussement bon enfant de s'amuser avec les corps nus explique peut-être pourquoi elle a pu apparaître socialement « condamnable », « insup-portable » et « inacceptable » aux yeux de certains. Car elle n'avait pas de support dramatique : elle ne servait à rien. Des gens se déshabillaient pour rien. Alors que, peu de temps avant, avait lieu à l'Espace GO et sans incidents des représentations du for-midable Quartett de Heiner Muller, où là s'exhibait une nudité agressive, acide... et fortement drama-tisée. Une nudité utile. Une autre nudité habillée.

Ayant mis tout le monde à nu pour des raisons qui ne tiennent pas à la dramaturgie, le Grand Théâtre Émotif a créé une petite commotion, démontrant du même coup, par l'absurde, que la mise en scène de la nudité, que d'aucuns peuvent considérer comme un geste de provocation, s'inscrit invaria-blement dans un cadre étroit délimité par ce qui est admis socialement.

Quand le corps se donne au public, dévêtu, sur scène, il a un peu tendance à occulter le comédien. Rares sont les pièces où celui-ci arrive à nourrir son jeu de l'impact de sa nudité, à intégrer celle-ci ; on dirait souvent qu'un comédien nu arrête de jouer. Quand il enlève ses vêtements, l'acteur de théâtre fait le pari qu'il saura tenir tête à son propre corps, qu'il saura utiliser à bon escient le point de foca-lisation extrême que constitue sa propre nudité. Voilà peut-être où se situe l'enjeu de la nudité au théâtre. Au cinéma, elle s'est banalisée rapidement.

Page 29: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

29

POUR ALLER PLUS LOIN

NOTES AUTOUR DE LA MISE EN SCÈNE SOUHAITÉE PAR MARGUERITE DURAS

Albert Dichy

Le « fonds Marguerite Duras » rassemble l’en-semble des archives personnelles de l’écrivaine. Les deux pages ci-aprèss sont extraites du ma-nuscrit de La Maladie de la mort qui développe sur plus de 80 feuillets plusieurs versions successives du récit. Trois titres apparaissent alternativement : Héliotrope, L’Héliotrope et le cédrat, Une odeur d’hé-liotrope et de cédrat, avant que celui de La Maladie de la mort ne s’impose et ne donne au récit sa direc-tion définitive.

Comme tout manuscrit véritable, celui-ci exhume un temps de l’écriture, fait un arrêt sur ce moment paradoxal qui est celui de la correction où s’ex-posent en même temps l’ancienne et la nouvelle formulation, où le geste de la rature tient encore en réserve ce qui est raturé. Le manuscrit permet de lire aussi un moment d’écriture plus décisif en-core puisqu’il produit une redéfinition générale du texte à partir d’un retranchement.

En quelques lignes, Marguerite Duras, avait d’abord formulé dans le manuscrit le « sujet » de son récit : « La Maladie de la mort est une pièce sur l’homosexualité… ». Aveu d’autant plus surprenant que le récit, rédigé antérieurement, avait eu pour objet la dissimulation et, peut-être même, la dé-fection de cette thématique. Le manuscrit exhibe donc la contradiction d’une affirmation assénée de façon absolue, mais elle-même raturée. La « véri-té » du texte réside donc moins dans le paragraphe barré que dans le geste de son retrait. Ce que révèle la rature n’est pas uns sens caché, mais l’acte par lequel le texte se libère, se coupe d’une orientation réductrice et tire sa force principal de ce qu’il tait.

Page 30: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

30

Page 31: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

31

Page 32: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

32

PISTES PÉDAGOGIQUES

AVANT LE SPECTACLE

Activité pour préparer le spectacle avec les élèves en s’appuyant sur les extraits ci-dessous :

• Que comprenez-vous de l’histoire qui vous est contée ?

• Est-il possible, selon vous, de raconter cette histoire et comment ?

• La jugez-vous choquante ou instructive à re-présenter et pourquoi ?

Extraits du texte La Maladie de la mort :

Le début du livre : Ce que vous lui demandez…pour trouver en vous désir et amour…

« Vous devriez ne pas la connaître, l’avoir trouvée partout à la fois, dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film, en vous-même, en vous, en toi, au hasard de ton sexe dressé dans la nuit qui appelle où se mettre, où se débarrasser des pleurs qui le remplissent. Vous pourriez l’avoir payée. Vous auriez dit : Il fau-drait venir chaque nuit pendant plusieurs jours. Elle vous aurait regardé longtemps, et puis elle vous aurait dit que dans ce cas c’était cher. Et puis elle demande : Vous voulez quoi ?... »

Il souhaite s’habituer à son corps, à elle et essayer d’aimer :

« Chaque jour elle viendrait. Chaque jour elle vient. Le premier jour elle se met nue et elle s’allonge à la place que vous lui désignez dans le lit. Vous la re-gardez s’endormir. Elle se tait. Elle s’endort. Toute la nuit vous la regardez. »

La fin du livre : Elle est partie…et vous n’avez trouvé ni le désir…ni l’amour.

« Elle ne reviendrait jamais. Le soir de son départ, dans un bar, vous racontez l’histoire. D’abord vous la racontez comme s’il était possible de le faire, et puis vous abandonnez. Ensuite vous la racontez en riant comme s’il était impossible qu’elle ait eu lieu ou comme s’il était possible que vous l’ayez inventée. Le lendemain, tout à coup, vous remar-queriez peut-être son absence dans la chambre. Le lendemain, peut-être éprouveriez-vous un désir de la revoir là, dans l’étrangeté de votre solitude, dans son état d’inconnue de vous. Peut-être vous la chercheriez au-dehors de votre chambre, sur les plages, aux terrasses, dans les rues. Mais vous ne pourriez pas la trouver parce que dans la lumière du jour vous ne reconnaissez personne. Vous ne la reconnaîtriez pas. Vous ne connaissez d’elle que son corps endormi sous ses yeux entrouverts ou fermés. La pénétration des corps vous ne pouvez pas la reconnaître, vous ne pouvez jamais recon-naître. Vous ne pourrez jamais. Quand vous avez pleuré, c’était sur vous seul et non sur l’admirable impossibilité de la rejoindre à travers la différence qui vous sépare. De toute l’histoire vous ne retenez que certains mots qu’elle a dits dans le sommeil, ces mots qui disent ce dont vous êtes atteint : Ma-ladie de la mort. Très vite vous abandonnez, vous ne la cherchez plus, ni dans la ville, ni dans la nuit, ni dans le jour. Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il soit advenu. »

Page 33: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

PISTES PÉDAGOGIQUES

APRÈS LE SPECTACLE

A) UNE MISE EN SCÈNE ATYPIQUE

Activité à proposer aux élèves après le spectacle : Vous pourriez demander aux élèves de décrire, à la manière de Duras ci-dessous, le dispositif scénique, la scénographie et les intentions de la metteuse en scène, tels que ces éléments ont été perçus par eux.

À cette écriture bouleversante, Marguerite Duras rajoute à la fin de son livre son point de vue pour monter le texte au théâtre :

« La Maladie de la mort pourrait être représentée au théâtre. La jeune femme des nuits payées de-vrait être couchée sur des draps blancs au milieu de la scène. Elle pourrait être nue. Autour d’elle, un homme marcherait en racontant l’histoire. Seule la femme dirait son rôle de mémoire. L’homme, ja-mais. L’homme lirait le texte, soit arrêté, soit en marchant autour de la jeune femme. Celui dont il est question dans l’histoire ne serait jamais re-présenté. Même lorsqu’il s’adresserait à la jeune femme, ce serait par l’intercession de l’homme qui lit son histoire. Ici, le jeu serait remplacé par la lecture. Je crois toujours que rien ne remplace la lecture d’un texte, que rien ne remplace le manque de mémoire du texte, rien, aucun jeu. Les deux ac-teurs devraient donc parler comme s’ils étaient en train d’écrire le texte dans des chambres séparées, isolés l’un de l’autre. Le texte serait annulé s’il était dit théâtralement. La voix de l’homme devrait être

haute, celle de la jeune femme devrait être basse, presque négligée. Je voudrais que les trajets de l’homme autour du corps de la jeune femme soient longs, qu’on perde l’homme de vue, qu’il se perde dans le théâtre comme dans le temps pour revenir ensuite vers la lumière, vers nous. La scène devrait être basse, presque au sol, afin que la jeune femme soit vue dans l’entier de sa personne. De grands es-paces de silence devraient être observés entre les nuits payées pendant lesquels il n’arriverait rien que le passage du temps. L’homme qui lit l’histoire serait atteint d’une faiblesse essentielle et mortelle qui devrait être celle de l’autre homme - celui-ci non représenté. La jeune femme serait belle, per-sonnelle. Par une grande ouverture sombre ar-riverait le bruit de la mer. On verrait toujours le même rectangle noir, il ne s’éclairerait jamais. Le bruit de la mer serait plus ou moins fort. Le départ de la jeune femme ne serait pas vu. Il y aurait un noir pendant lequel elle disparaitrait, et lorsque la lumière reviendrait il n’y aurait plus que les draps blancs au milieu de la scène et le bruit de la mer qui déferlerait par la porte noire. Il n’y aurait pas de musique.

Si je devais filmer le texte, je voudrais que les pleurs sur la mer soient montés de telle sorte qu’on voie le fracas de la blancheur de la mer et le visage de l’homme presque en même temps. Qu’il y ait relation entre la blancheur des draps et celle de la mer. Cela à titre d’indication générale. »

33

Page 34: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

B) LA NUDITÉ AU THÉÂTRE

Activité à proposer après le spectacle : écouter et discuter cette émission podcastée de France Culture qui aborde la nudité dans le théâtre ou la danse dans notre monde contemporain :

https://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/la-nu-

dite-35-danser-nu-jouer-nu-usage-de-la-nudite-dans-le-spectacle

C) LE RAPPORT AU CORPS ET AUX SENTIMENTS À L’ADOLESCENCE

Activité à proposer aux élèves après le spectacle : au cours d’un « cup game », aborder de manière orale la question du corps, de l’adolescence, de la transformation, de la métamorphose, de senti-ments liés, du regard sur soi – sur les autres – sur ses pairs. Chaque idée est inscrite sur un papier glissé dans un gobelet que chacun des élèves tire au sort et autour duquel il s’exprime. Le groupe se place en cercle.

D) LA MARCHANDISATION DU CORPS FÉMININ :

Activité à proposer aux élèves : lire l’article de Pa-ris Match afin de donner son point de vue lors d’un débat qui peut porter sur la question suivante : aujourd’hui, les femmes sont-elles perçues comme des objets ?

http://www.parismatch.com/People/Katy-Perry-feministe-ou-

femme-objet-1282217

Il est possible d’illustrer le propos à l’appui de cer-tains clips :

https://mag.proposscpo.fr/2018/02/06/clips-musicaux-hyper-sexuali-

sation/

Madonna, Justify my Love, 1990

Le titre inaugure la parole "slam" de Madonna et sera d'autant plus connu que le clip, sulfureux à souhait, a été réalisé par Jean-Baptiste Mondino. Le talentueux photographe met en scène tous types de sexualité, du sado-masochisme à l'homo-sexualité, de manière très explicite. De quoi héris-ser la haute instance...

https://www.dailymotion.com/cdn/manifest/video/x205su.

m3u8?auth=1520777752-2562-hymshiuo-d80343bcb85eba5cb10f-

173c9206b647

E) L’AMOUR DANS TOUT ÇA ?

Activité à proposer après le spectacle : Répondre à cette question, quelle vision les adolescents ont-ils de l’amour ?

https://www.la-croix.com/Actualite/France/Quelle-vision-les-ado-

lescents-ont-ils-de-l-amour-_NG_-2010-10-15-604785

Qu’est-ce qu’aimer ? C’est quoi le grand amour ? Peut-on aimer plusieurs fois ? …

Il est possible d’appuyer le propos sur un texte classique et un texte contemporain : Roméo et Ju-liette de William Shakespeare et Passionnément, à ma folie de Gwladys Constant par exemple.

34

Page 35: Douai . Hippodrome . Les 4, 5 et 6 avril 2018 LA MALADIE ... · Le roman écrit par Duras en 1982 raconte l’his-toire d’un homme qui paye une femme pour pas-ser plusieurs semaines

LIENS UTILES

SUR LE SPECTACLE :

Page internet du spectacle sur le site du TANDEM

http://www.tandem-arrasdouai.eu/fr/la-maladie-de-la-mort

Teaser du spectacle :

https://www.youtube.com/watch?v=e_bKUz7kNTA

Event Facebook du spectacle :

Event Facebook du spectacle : https://www.facebook.com/events/404772776633121/

SUR MARGUERITE DURAS :

Article, Duras l’écriture en théorie, de Simona Crippa :

https://diacritik.com/2017/06/30/duras-lecriture-en-theorie/

Article, Marguerite Duras : pourquoi le cinéma ? de Laure Defiolle :

https://nyufresearch.wordpress.com/2005/12/01/marguerite-duras-pourquoi-le-cinema-2/

Lien Googlebooks, Marguerite Duras et le cinéma, de Bernard Sarrut :

https://books.google.fr/books/about/Marguerite_Duras_et_le_cin%C3%A9ma.html?hl=fr&id=P9FWBQAAQBAJ&redir_esc=y#v=one-

page&q=le%20cin%C3%A9ma%20exp%C3%A9rimental%20de%20duras&f=false

Vidéo Arte, Tout est vrai ou presque, Marguerite Duras

https://www.arte.tv/fr/videos/051682-005-A/tout-est-vrai-ou-presque/

SUR LE NU AU THÉÂTRE ET AU CINÉMA :

Tout nu or not tout nu : nudité au théâtre et au cinéma de Marco de Blois :

https://www.fabula.org/actualites/le-corps-a-l-oeil-nu-la-nudite-au-theatre_3932.php

SUIVEZ-NOUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

TANDEM Scène nationale

Tandem_Sn

tandem_scene_nationale

Textes : Apolline Mauger (relations publiques)

Lætitia Opigez, Alexandra Pulliat (professeures missionées)

Mise en page : Raphaël Mesa (communication)

Crédits photographiques : © Stephen Cummiskey, © DR

35