dossier pédagogique la dame de la mer - lereflet.ch · le spectacle a-t-il correspondu à nos...

33
Dossier pédagogique Renseignements : 022 308 47 20 / [email protected]

Upload: hakien

Post on 12-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Dossier pédagogique

Renseignements : 022 308 47 20 / [email protected]

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

2

SHAKE

Texte William Shakespeare,

Traduction Marie-Paule Ramo

Mise en scène Dan Jemmett

Jeu Valérie Crouzet (Olivia)

Delphine Cogniard (Viola et Sébastien)

En alternance Geoffrey Carey / Vincent Berger / Marc Prin (Feste)

Antonio Gil Martinez (Orsino, Malvolio)

En alternance Vincent Berger / Marc Prin (Toby Belch et Sir Andrew

Aguecheek)

Scénographie Dan Jemmett et Denis Tisseraud

Costumes Sylvie Martin-Hyszka

Éclairage Arnaud Jung

Régie générale Denis Tisseraud

2heures sans entracte

Production déléguée : EAT A CROCODILE

Coproduction EAT A CROCODILE, THÉÂTRE DE CAROUGE-

ATELIER DE GENÈVE, CDN NICE CÔTE D‟AZUR, MAISON DES

ARTS THONON-EVIAN

Première création En 2001 au THEATRE VIDY-LAUSANNE E.T.E.

En COPRODUCTION avec LE THEATRE DE LA VILLE-PARIS ET

SARL SUR UN PLATEAU-PHILIPPE STURBELLE.

DAN JEMMETT est artiste associé à LA MAISON DES ARTS THONON-EVIAN.

SOMMAIRE

3 Que chercher dans ce dossier ? Pistes pédagogiques

5 Shakespeare : données essentielles

16 La Nuit des Rois

22 Shake par son metteur en scène

32 Bibliographie

33 Parcours pédagogiques

DISTRIBUTION

MENTIONS

OBLIGATOIRES

DURÉE

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

3

QUE CHERCHER DANS CE DOSSIER ?

Ce dossier pédagogique est conçu en trois parties : des pistes pédagogiques (ci-dessous) vous indi-

quant des idées de travail sur Shake ; des matériaux (dès la page 5) sur lesquels travailler, dans un

premier temps sur Shakespeare, son époque et sa pièce La Nuit des Rois, et dans un second temps sur

l‟adaptation du metteur en scène Dan Jemmet.

PISTES PÉDAGOGIQUES

I Avant la lecture, recherches

1. Biographie de Shakespeare

2. Coutumes anglaises au temps d'Élizabeth 1

3. Explication du titre (joué pour la "fête des rois", 12 nuits après Noël)

4. Le thème des jumeaux séparés dans la littérature et le théâtre

II Après la lecture

5. Sur quel élément de l'intrigue l'intérêt de la pièce repose-t-il ? (d'où vient le suspense pour le

spectateur ?)

6. Quels sont les personnages comiques, et les personnages sérieux. Quels sentiments partagent-ils ?

Quelles caractéristiques de caractère ou de comportement les distinguent ? Dans quelle scène

s'affrontent-ils et avec quel dénouement (le duel entre sir André et Viola)

7. Etude du personnage de Feste, le bouffon. Quel est le rôle du bouffon, en général ? Et ici ? De quel

côté se range-t-il ?

8. Comment est présenté l'amour dans la pièce? Etudier les différents couples, qui vont se livrer à de

curieux chassés-croisés (Viola et Olivia, Viola et Orsino, Sebastien et Olivia, Malvolio et Olivia,

Orsino et Olivia, Orsino et Viola, Sir Tobie et la suivante)

9. Les éléments marqueurs de la "fable" ou "comédie légère" (les aventures de deux jumeaux qui se

ressemblent, mais sont séparés ; le lieu qui est un "ailleurs" ; la "reconnaissance" au bon moment ; les

mariages croisés de la fin, avec les deux jumeaux)

10. Deux rôles joués par un même comédien : intérêt ? pour la pièce ? pour la production ? pour une

réflexion générale sur l'art théâtral ?

11. Quelles peuvent être les différentes interprétations de mise en scène et de direction d'acteurs ?

12. Imaginer une adaptation moderne de la pièce

13. Imaginer ensuite le décor et la scénographie d‟une telle adaptation

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

4

III Après la représentation

14. Partage libre des impressions. Le spectacle a-t-il correspondu à nos attentes ? A notre vision ou

lecture de la pièce ? Qu‟avons-nous aimé / Que n‟avons-nous pas aimé ? Avons-nous ri, été touchés ?

Pourquoi ?

15. Evaluation de points précis à l‟aide de la liste ci-dessous. Pourquoi tel point est-il réussi ou non ?

L‟ensemble est-il cohérent ou non ?

16. Si La Nuit des Rois a été lu préalablement : quels sont les changements frappants entre la pièce lue

et ce qui a été vu sur scène ? Les personnages sont-ils présentés différents de ce que nous avions

imaginé ?

17. Ecriture à tête reposée d‟un jugement, d‟une critique sur le spectacle (on peut s‟aider des critères

figurant dans la liste ci-dessous). On peut évoquer :

a. L‟œuvre et son auteur

b. Les aspects visuels (décor, éclairages, costumes) et sonores

c. Les acteurs, la direction d‟acteurs

d. Les aspects positifs, négatifs de la production

e. Les réactions du public

QUELQUES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS D‟UN SPECTACLE

D‟après Patrice Pavis, Dictionnaire du Théâtre, Paris, Armand Colin, 2006, s.v. Questionnaire

Acteurs

Gestuelle ; changements dans leur apparence

Construction des personnages, lien entre l‟acteur et les rôles

Scénographie

Rapport entre espace du public et espace du jeu

Sens et fonction de la scénographie par rapport à la fiction mise en scène

Rapport du montré et du caché

Comment évolue la scénographie ?

Connotations des couleurs, des formes, des matières

Lumières

Lien à la fiction représentée, aux acteurs

Effets sur les spectateurs

Objets

Fonction, emploi, rapport à l‟espace et au corps

Costumes, maquillages, masques

Fonction, rapport au corps

Son

Fonction de la musique, du bruit, du silence

A quels moments interviennent-ils ?

Rythme du spectacle

Rythme continu ou discontinu

Le spectateur

Quelle attente aviez-vous de ce spectacle (texte, mise en scène, acteurs) ?

Quels présupposés sont nécessaires pour apprécier le spectacle ?

Comment a réagi le public ?

Quelles images, quelles scènes, quels thèmes vous ont marqué-e ?

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

5

SHAKESPEARE : DONNÉES ESSENTIELLES

William Shakespeare (1564-1616) naît à Stratford-upon-Avon dans une famille aisée ; il reçoit

une bonne éducation. Il s'installe à Londres où il est acteur, auteur dramatique, et membre

d'une compagnie théâtrale.

Claes Van Visscher, gravure de 1616 représentant Londres, avec le Globe Theater de Shakespeare au centre

Il écrit 38 pièces de théâtre et plus de 100 poèmes.

Parmi ses pièces de théâtre, des comédies (Beaucoup de bruit pour rien, La Nuit des Rois, Le

Songe d'une nuit d'été, Comme il vous plaira, etc...), des tragédies (Hamlet, Macbeth, Othello,

Roméo et Juliette, etc...) et des drames historiques (Henri VI, Richard III, etc...).

Toute sa production se fait sous les règnes d'Elizabeth 1 et de James I, devant lesquels il

jouera plusieurs fois. Il est également aimé du public et ses nombreux succès lui permettent de

s'enrichir de façon notable.

Shakespeare a utilisé de nombreuses sources pour les intrigues qu'il met en scène : des

nouvelles de la renaissance italienne, des histoires venues de l'Antiquité gréco-latine. Mais

son génie de dramaturge les a transfigurées. Sa langue est d‟une richesse extrême : il introduit

3000 mots nouveaux dans la littérature anglaise, utilise un vocabulaire quatre fois plus fourni

que le locuteur moyen de son époque. Son langage a également recours aux jeux de mots, aux

plaisanteries truculentes, et à d'innombrables métaphores, dont certaines sont passées dans le

langage courant, par exemple : « Le monde entier est une scène, et les êtres humains en sont

les acteurs » (voir page suivante).

Ses pièces, depuis leur création jusqu'à aujourd'hui, provoquent l'adhésion des spectateurs par

la finesse de leur ironie, leur lyrisme, autant que par la violence des sentiments représentés.

En phase avec le public, il met en scène les dilemmes moraux, la cruauté des vengeances, la

violence des trahisons, mais aussi l'omniprésence des passions humaines : amour, amitié,

ambition, jalousie. Ses personnages sont si bien campés qu'ils deviennent parfois des types :

Hamlet, Lear, Roméo, Juliette, et toutes les jeunes filles de caractère et à la langue bien

pendue (Portia, Rosalinde, Viola, Béatrice...)

William Shakespeare est considéré universellement comme le plus grand écrivain anglais et

l'un des meilleurs auteurs de théâtre, si ce n'est LE meilleur. Ses pièces sont représentées dans

le monde entier, et la plupart des grands metteurs en scène se sont confrontés à lui.

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

6

SHAKESPEARE

Comme il vous plaira - As you like it

(Acte II, scène 7)

JACQUES :

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

7

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

8

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

9

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

10

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

11

In :

La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats et notes de Gisèle Venet, Editions Théâtrales, 200,

pp.145,149

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

12

Œuvres musicales et littéraires inspirées de pièces de Shakespeare

The Fairy Queen, opéra de Henry Purcell (1692), adaptation du Songe d'une nuit d'été

La Tempête, opéra de Henry Purcell (1695)

Otello ossia il Moro di Venezia, opéra de Gioachino Rossini (1816)

Oberon, opéra de Carl Maria von Weber, inspiré du Songe d'une nuit d'été (1826)

Le Songe d'une nuit d'été (Ein Sommernachtstraum), ouverture et musique de scène de Felix

Mendelssohn (1826 & 1843)

I Capuleti e i Montecchi, opéra de Vincenzo Bellini, adapté de Roméo et Juliette (1830)

Le Roi Lear, ouverture d'Hector Berlioz (1831)

Roméo et Juliette, symphonie dramatique d'Hector Berlioz (1839)

Re Lear, livret d'opéra inachevé de Salvadore Cammarano et Antonio Somma pour Giuseppe

Verdi qui n'en composa jamais la musique (1843-1867)

Macbeth, opéra de Giuseppe Verdi (1847)

Hamlet, poème symphonique de Franz Liszt (1858)

Béatrice et Bénédict, opéra d'Hector Berlioz, librement adapté de Beaucoup de bruit pour rien

(1862)

Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod (1867)

Hamlet, opéra d'Ambroise Thomas (1868)

Roméo et Juliette, ouverture fantaisie de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1869)

Ophélie, poème d'Arthur Rimbaud inspiré du personnage d'Ophélie dans Hamlet (1870).

Otello, opéra de Giuseppe Verdi (1887)

Falstaff, opéra de Giuseppe Verdi (1893)

Falstaff, op. 68, étude symphonique en ut mineur d'Edward Elgar (1913)

Lieder der Ophelia, op. 67, lieder de Richard Strauss sur des textes d'August Wilhelm Schle-

gel d'après Hamlet (1919)

Hamlet, musique de scène de Dmitri Chostakovitch (1932 & 1954)

Roméo et Juliette, ballet de Sergueï Prokofiev (1935)

Le Roi Lear, musique de scène de Dmitri Chostakovitch (1941)

Such Sweet Thunder, suite musicale de Duke Ellington (1957)

Le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's Dream), opéra de Benjamin Britten (1960)

Macbett, pièce de théâtre d'Eugène Ionesco (Gallimard, 1972)

Le jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet opus 189, opéra en 5 tableaux de Pierre Thilloy

sur un livret de Bernard-Marie Koltès, créé le 23 mars 2011 à l'Opéra-théâtre de Metz.

Lear, opéra d'Aribert Reimann (1978)

Hamlet-machine, pièce de théâtre de Heiner Müller (1979) (traduction française aux Éditions

de Minuit)

Roméo et Juliette, opéra de Pascal Dusapin (1988)

Sur la dernière lande, poèmes de Claude Esteban (1996) inspirés du Roi Lear (in Morceaux de

ciel, presque rien, Gallimard, 2001)

Roméo et Juliette, de la haine à l'amour, comédie musicale de Gérard Presgurvic (2001)

d'après Roméo et Juliette

Une tempête, pièce de théâtre d'Aimé Césaire (1997)

Viol, pièce de théâtre de Botho Strauss (2005) d'après Titus Andronicus

Seven Shakespeares (2009-), manga de Harold Sakuishi

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

13

SHAKESPEARE - HOMMES ET FEMMES : LA COMÉDIE DES ERREURS

Coutumes anglaises au temps d'Élizabeth 1

Au temps du théâtre élisabéthain, la coutume interdisait aux femmes d'apparaître sur scène. Le métier

d'acteur était jugé totalement impropre à la dignité et à la vertu dont devaient faire preuve les femmes.

Notons qu‟à cette époque, le reste de l'Europe faisait au contraire jouer des comédiennes.

Ainsi pour les rôles féminins, de jeunes garçons (entre 13 et 19 ans) étaient engagés jusqu'à ce que la

mue de leur voix les rendent impropres à ces rôles. Le corps des jeunes garçons était noyé sous l'infini-

té des couches des robes de scène, et leur physionomie disparaissait sous un maquillage très blanc (à

base de plomb, hautement toxique, ce qui les a souvent empoisonnés et parfois condamnés à mourir

jeunes...), des perruques et des coiffures (voiles, couronnes, diadèmes, bonnets, etc...). Au moment de

leur mue, qui se produisait beaucoup plus tard qu'aujourd'hui, les jeunes acteurs se voyaient alors attri-

buer des rôles masculins. Le tabou concernant les femmes sur scène était si fort qu'en 1629, une troupe

française qui se produisait à Londres (avec des comédiennes) fut huée par le public et ne put donner

ses représentations. Cependant, les femmes étaient tolérées dans le public. Les nobles de la Cour se

rendaient souvent aux représentations théâtrales de la ville.

Les pièces mettant souvent en scène des intrigues amoureuses, les prêcheurs puritains se déchaînaient

contre cette situation qui, prétendaient-ils, encourageaient les « mauvais penchants » vers l'homo-

sexualité des jeunes garçons et du public, mais le public, lui, s'amusait de l'incongruité et se réjouissait

grandement du tour de force de ces jeunes garçons jouant leurs rôles de femmes. Certains jouissaient

d'une grande célébrité.

Gauche : Twelfth Night au Globe Theater, reconstruit à l'identique à Londres, octobre 2013

Droite : gravure du XVIIème

siècle représentant le théâtre du Globe

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

14

Intérêts et contraintes de l'interprétation masculine des rôles féminins

Le comble du défi pour l'auteur dramatique et son jeune interprète masculin était de représenter une

femme se faisant passer pour un homme. Sur scène paraissait donc un homme déguisé en femme dé-

guisée en homme, pour la plus grande joie des spectateurs. C'est ce qui se produit dans La Nuit des

Rois, où la jeune fille Viola se déguise en jeune homme, Césario. De nombreuses pièces de Shakes-

peare utilisent cette situation dans leur intrigue : dans Le Marchand de Venise, l'héroïne Portia se dé-

guise en avocat pour sauver un ami de son bien-aimé, et dans As you like it, Comme il vous plaira,

Rosalinde se déguise en « agréable jouvenceau », Ganymède le jeune berger.

Certains historiens du théâtre avancent que l'auteur s'est servi des rôles de femmes travesties en

homme pour simplifier la tâche de ses jeunes acteurs masculins (qui pouvaient donc jouer des rôles

plus « naturels »). Mais on considère plus généralement que les rôles de femmes interprétés par de

jeunes garçons allaient comme un gant aux motifs plébiscités par l'âge d'or du théâtre élisabéthain : le

mensonge, les erreurs, la feinte, le déguisement, le « renversement carnavalesque ». Le public s'en-

thousiasmait pour ces rôles et applaudissait à ces grands numéros d'acteurs. Que les grands rôles fémi-

nins, Juliette, Cléopatre, etc... soient joués par des jeunes garçons, apportait quelque chose de plus à la

pièce.

Redécouverte d'une tradition

L'interdiction faite aux femmes de se produire sur scène fut levée à Londres après 1640 ; des comé-

diennes purent enfin interpréter ces rôles.

Cependant, depuis une décennie ou deux, des troupes anglaises se sont lancées dans la redécouverte

des pratiques théâtrales élisabéthaines : en 1991 une première distribution uniquement masculine don-

na à Londres une interprétation de Comme il vous plaira qui souleva l'enthousiasme de la critique et

du public. Depuis, l'ouverture d'un fac-similé du Globe Theater de Shakespeare a remis encore plus à

l'affiche des compagnies entièrement masculines dédiées au théâtre autour de 1600. Depuis 1997, The

Propeller Company tourne ainsi dans le monde entier avec sept pièces de Shakespeare à son affiche, et

une distribution uniquement masculine.

De plus, les 20ème

et 21ème

siècles ont souvent mis en avant que la société du temps de Shakespeare

n'aurait peut-être pas toléré les personnages forts et entreprenants des héroïnes shakespeariennes s'ils

n'avaient été joués par des hommes... Ou bien notre époque a-t-elle besoin de cette considération pour

se draper dans un féminisme vertueux ?

Samuel Barnett, Viola, et Mark Rylance, Olivia, dans La Nuit des Rois, New York, novembre 2013

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

15

L'acteur Eddie Redmayne joue Viola, Middle Temple Hall, London, 2002

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

16

LA NUIT DES ROIS – Synopsis par DAN JEMMET

Sébastien et sa sœur jumelle Viola, son parfait sosie, font naufrage sur les côtes de l‟Illyrie. Alors que

Sébastien disparaît dans la catastrophe, Viola est sauvée par un des capitaines du navire. Elle décide de

se rendre chez le Duc d‟Illyrie, et, pour éviter les mauvaises rencontres, elle se déguise en garçon et

prend le nom de Césario.

Arrivée chez le duc, Orsino, elle lui propose ses services de page, et le duc, charmé par sa prestance et

son esprit, l‟attache à sa suite. Viola/Césario devient vite le confident d‟Orsino, qui lui confie son

amour malheureux pour la comtesse Olivia. Viola s‟éprend du duc. C‟est alors que ce dernier l‟envoie

en tant que page plaider sa cause auprès de la comtesse. Césario/Viola joue le jeu malgré les réticences

que lui inspire la situation.

De manière inattendue, Olivia tombe amoureuse du « page » que Viola est censée être, et dès le len-

demain, elle lui déclare son amour. Viola s‟enfuit. Son frère Sébastien, finalement réchappé du nau-

frage avec l‟autre capitaine Antonio, arrive chez la comtesse. Olivia, abusée par la ressemblance, con-

fond Sébastien et Césario, courtise le jeune homme, et finit par le persuader de l‟épouser. Le duc, tou-

jours aussi épris d‟Olivia, la trouve promise à un jeune homme qu‟il croit être son page et crie à la

trahison.

Mais tout s‟éclaire avec les retrouvailles de Viola et Sébastien. Le duc comprend qu‟en définitive, s‟il

a perdu Olivia, il a gagné Viola, sur laquelle il reporte son amour, et il l‟épouse quelque heures après

le mariage d‟Olivia et Sébastien.

Dans cette pièce l‟Illyrie est le territoire du délire amoureux. Pour Olivia, Viola est un garçon effémi-

né ; pour le duc elle est une fille garçonnière. L‟androgyne shakespearien joue le garçon pour Olivia et

la fille pour Orsino. Olivia et le duc sont simultanément amoureux de Césario/Viola, du garçon-fille.

Le triangle amoureux lié aux métamorphoses du travestissement est en place, et ses protagonistes ne

parviennent pas à se rejoindre dans cette spirale du désir. Même Sébastien n‟échappe pas à

l‟ambiguïté. Le capitaine qui l‟a sauvé, Antonio, est amoureux de lui, et semble reprendre sur un ton

de farce le thème principal énoncé sur un mode lyrique par le trio central. Et n‟oublions pas qu‟il est le

double, parce que jumeau et sosie, de Viola.

Dans cette comédie des erreurs, très représentative de l‟esprit de la Renaissance, il n‟y a que le sexe

des personnages qui est apparence, l‟amour et le désir passent du garçon à la fille, et de la fille au gar-

çon.

Pour compléter l‟analyse, il faut considérer, de plus, qu‟à l‟époque de Shakespeare, les rôles de

femmes, interdites de scène, étaient tenus par des garçons, dont les possibilités dramatiques et le re-

gistre vocal rendaient le jeu crédible. Et La Nuit des rois a été écrite pour un théâtre où les garçons

jouent des rôles de jeunes filles.

Un emboîtement supplémentaire existe donc, accessible à tous les spectateurs de l‟époque : le dégui-

sement est double, le garçon se déguise en fille qui se déguise en garçon.

Et lorsque la comédie s‟achève, le second titre de la pièce (What you will = ce que vous voudrez)

prend tout son sens : un garçon, ou une fille ?

CE QUE VOUS VOUDREZ, nous dit Shakespeare.

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

17

LA NUIT DES ROIS - Twelfth Night, or As you will

Le titre

Cette pièce de Shakespeare fut créée devant la cour anglaise à l'occasion de la fête des Rois, le 6 jan-

vier 1602. Il s‟agit de l'Épiphanie, que nous connaissons bien pour la « galettes des rois » ou la Chan-

deleur, fête célébrant l'arrivée des Rois mages devant l‟enfant Jésus né 12 jours auparavant - en anglais

twelfth night, la douzième nuit. Cela rappelle combien Shakespeare pouvait traiter avec désinvolture le

choix des titres de ses pièces (As you like it, Comme il vous plaira) ; le sous-titre de Twelfth Night est

d'ailleurs As you will, Comme vous voulez.)

La thématique

La nuit qui précède l'Épiphanie a souvent été considérée autrefois comme aussi importante que Noël ;

elle était marquée par des réjouissances, des fêtes, des échanges de cadeaux. Dans l'Angleterre de Sha-

kespeare, la nuit des Rois marquait la date de la fin de l'hiver, commencé avec Halloween/la Tous-

saint. Elle donnait lieu à une sorte de renversement carnavalesque, le roi et les nobles étant traités

comme des paysans, et les paysans qui trouvaient la fève dans les gâteaux préparés pour l'occasion

étaient tenus pour les rois de la fête. À minuit tout s'arrêtait : l'ordre habituel était de retour.

Dans ces circonstances, l'intrigue et les personnages de La Nuit des Rois prennent tout leur sens : tra-

vestissement, échange d'identité, confusion des personnes, barrières entre classes sociales chambou-

lées, triangle amoureux improbable sont en effet les thèmes de la pièce.

La comédie

Le thème du travestissement, en particulier celui de la femme en homme, est, on l'a vu, à la fois fré-

quent dans Shakespeare et bien connu, identifié et apprécié du public. Il ne s'agit donc pas d'une nou-

veauté dans cette pièce.

Le thème des jumeaux séparés court dans toute l'histoire du théâtre occidental, depuis Les Menechme

de Plaute, jusqu'à notre époque, en passant par les Jumeaux vénitiens de Goldoni au 18ème

siècle.

Shakespeare en a déjà tiré une pièce au début de sa carrière : La Comédie des erreurs, dans laquelle

deux frères jumeaux séparés à la naissance, se trouvent sans le savoir dans une même ville vingt ans

plus tard, déclenchant méprises, quiproquos, disputes.

Ces pièces sont de purs exemples de comique de situation, relayé par le comique verbal de truculents

personnages. Il ne faut donc pas chercher de significations cachées sous les tirades ou les relations

entre les personnages.

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

18

Résumé de l'intrigue

Deux frère et sœur jumeaux sont séparés lors d'un naufrage. Viola, pour survivre dans un monde dirigé

par les hommes, se déguise en jeune garçon et parvient à se faire engager comme page auprès du duc

Orsino, qui soupire après la belle mais insensible Comtesse Olivia. Sous le nom de Césario, Viola

devient le messager du duc auprès de la jeune femme, qui s'éprend aussitôt non du maître mais de son

page ! Pour compliquer encore les choses, Césario/Viola s'éprend passionnément … du duc ! Tout

semble en place pour un remake de Peines d'amour perdues (l‟une des premières comédies de Shakes-

peare), d'autant plus qu'Olivia rencontre inopinément Sébastien, le frère jumeau, le prend pour Césa-

rio/Viola, et l'épouse illico, au grand dam du duc.

Une intrigue secondaire réunit les personnages gravitant autour des protagonistes et fournit l'occasion

de scènes d‟un très grand comique : les prétentions d'un intendant vaniteux (Malvolio), la stupidité

d'un chevalier bien pleutre (Sir André), l'ivrognerie d'un oncle indigne (Sir Tobie), les complots d'une

soubrette à la langue insolente (Maria), l'inventivité d'un bouffon qui se prête à toutes les manigances

et invente une chanson pour toutes les occasions (Feste). Cependant, comme l'exige la circonstance (le

« carnaval » de la Nuit des Rois), le désordre des sentiments et des genres rentre dans l'ordre à minuit,

quand sonne la fin de la comédie : chaque jumeau a retrouvé sa nature féminine et masculine, Olivia

a épousé Sébastien, et Orsino Viola.

Le « duel » entre Viola et Sir André, gravure de J. Brain, 1848, Walker Art gallerie of Liverpool

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

19

Plusieurs intrigues se superposent dans la pièce de Shakespeare, comme dans celle qu'en a tiré Dan

Jemmett :

L'intrigue principale oppose les désirs amoureux inconciliables des protagonistes : Orsino aime Oli-

via qui aime Césario/Viola qui aime Orsino.

Ce triangle amoureux est possible car le personnage central, Césario /Viola, est aimé en tant que jeune

homme par Olivia, et aime en tant que femme Orsino.

Cette première intrigue se dénouera logiquement lorsque sera mise à jour la nature féminine du per-

sonnage, c'est-à-dire lorsqu'apparaît le double masculin, le jumeau, à la fin de la pièce.

Ce dénouement survient en même temps que le dénouement de l'intrigue secondaire, qui concerne

l'intendant Malvolio, Sir André, Sir Tobie, le bouffon Feste et la servante Maria (laquelle n'apparaît

pas dans la pièce de Dan Jemmett).

Toby, Feste et Maria sont de joyeux lurons tout droit sortis de l'atmosphère carnavalesque de la « nuit

des rois » : leur trio s'ingénie à jouer de mauvais tours d'abord à Malvolio, qui a la prétention de se

croire aimé d'Olivia sa maîtresse, puis de sir André, le fanfaron stupide qui a l'outrecuidance d'être

jaloux du jeune Césario/Viola.

L'habile succession des scènes entrecroise ces deux intrigues qui ont pour point d'intersection le di-

lemme de Césario/Viola : elle ne peut décourager l'amour d'Olivia ni gagner celui du duc Orsino qu'en

révélant qu'elle est une femme. Sir André et Malvolio, qui recherchent les faveurs d'Olivia, lui sont

donc farouchement opposés. La scène du duel entre Césario et Sir André est le couronnement comique

de cette intrigue. Encore une fois, l'arrivée imprévue du jumeau Sébastien, sosie de sa sœur Viola,

bouleverse les plans de Tobie, Feste et Maria, et une échauffourée burlesque a lieu, à la suite de quoi

tout le monde est sommé de dire qui est qui : toute la vérité est faite, les identités sont avouées et

prouvées. Tout rentre dans l'ordre.

Thème principal et thèmes secondaires

Le thème principal est celui du travestissement : Viola costumée en homme met au supplice Olivia et

Orsino (qui n'est pas totalement indifférent à Cesario, bien avant que celui-ci se révèle être une

femme).

Le travestissement, la fausse identité, est donc le facteur déclencheur de l'intrigue et le moteur des

différentes passions amoureuses (par exemple Viola ne pouvant dévoiler son amour à Orsino, puis-

qu'elle se fait passer pour un homme, répond aux questions de celui-ci par des phrases sibyllines

pleines de sous-entendus).

Les thèmes secondaires sont dérivés de celui du travestissement, qu'ils déclinent sur un niveau de co-

mique burlesque : Malvolio, trompé, se « déguise » d'une façon grotesque en croyant exécuter les

ordres de sa maîtresse Olivia. Sir André prend une posture de matamore, poussé bien malgré lui au

duel par Tobie. Et enfin, celui qu'on croyait l'efféminé Césario se révèle être un rude combattant (en

fait il s'agit du viril Sébastien qui surgit au moment du « duel » comme un chien dans un jeu de

quilles). Malgré leurs ruses et leurs tromperies, les personnages secondaires, intendant, fou, para-

sites, servante, mènent tout au plus un chaotique carnaval qui ne cessera que lors de l'intervention des

personnages « nobles ».

Le tout finit par des mariages et des chansons.

Gravure de R. Staines,

d'après un tableau de D. Maclise.

Malvolio se pavane devant Olivia ;

Maria rit sous cape de le voir se ridiculiser

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

20

La mélancolie shakespearienne

Si La Nuit des Rois est une simple comédie, quelques ambiguïtés donnent à ses personnages profon-

deur et mystère.

C'est surtout le cas du personnage du duc Orsino, dont on peut s'étonner qu'il se console du mariage

d'Olivia grâce aux charmes de Césario/Viola, qu'il épouserait volontiers dans ses habits masculins

depuis qu'il sait que c'est une femme.

Orsino est un rêveur mélancolique à qui il plaît d'être triste. Il regrette la façon d'aimer « au bon vieux

temps ». Il aime les vers et la musique dans des tonalités sombres. Il semble toujours un peu méditatif,

en retrait de sa vie : la découverte côte à côte de Césario et Sébastien qui se ressemblent comme deux

gouttes d'eau lui inspire une remarque poétique sur l'illusion visuelle qui, dit-il, « à la fois est et n'est

pas ». Il est l'incarnation du « caprice de la passion » dont il parle dans la première tirade de l'Acte I, et

l'incarne tout à fait dans le revirement final de ses affections. Il aura, dit-il en maniant avec délice

l'oxymore, « sa part, dans ce très heureux naufrage », confirmant ainsi la tonalité douce amère de son

personnage.

Les mélancoliques shakespeariens sont nombreux, depuis Antonio du Marchand de Venise au célèbre

Hamlet, tout de noir vêtu, en passant par Jacques le Mélancolique de Comme il vous plaira (lié lui

aussi à une intrigue de travestissement des identités). La présence de la mélancolie introduit une ambi-

guïté émotionnelle qui plonge sous les racines de la comédie shakespearienne, même si ce n'est pas le

trait qu'a retenu Dan Jemmett dans son interprétation : Orsino est joué par le même acteur qui incarne

le ridicule et burlesque Malvolio.

Walter Howell Deverell, La Nuit des Rois

Orsino mélancolique entre Césario/Viola et le bouffon Feste

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

21

Le Duc Orsino avec Viola/Cesario, tableau de R.F. Pickersgill, vers 1850

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

22

SHAKE PAR SON METTEUR EN SCÈNE

La parole à Dan Jemmet

Note d’intention de mise en scène

Quand on touche à une écriture, à une histoire et à des personnages comme ça, on en est affecté. Je ne

peux pas l'expliquer ; Je ne ressens pas du tout l'angoisse que j'éprouvais en travaillant sur les autres

objets. Il y a quelque chose avec cette pièce, le calme... Au cours des improvisations avec les acteurs,

je trouve que je vais chaque fois vers quelque chose de doux, même les moments un peu plus trou-

blants peuvent exister dans une atmosphère plus chaleureuse. Rien à voir avec les dernières pièces de

Shakespeare. Là, il y a une grâce, une fête de la vie, propres à nous faire retomber en enfance.

Voilà toute l'histoire : Viola, ayant perdu son frère dans une tempête, prend son apparence. Malgré son

costume masculin, elle trouble le roi. Le travestissement des sexes répond à l'espace indéterminé où se

déroule La Nuit des rois, l'Illyrie, un royaume mystérieux comme un trésor. « La pièce m'a fait penser

à mon enfance, aux vacances passées avec mon père. Il était acteur dans les années 50 et j'ai grandi

dans une atmosphère de théâtre vieux style, ou plutôt de divertissement, juste avant que la télévision

ne capte ce type de public. Il aimait beaucoup les numéros d'acteurs comme on fait dans le théâtre du

samedi soir ou sur les plages, au bout des jetées, avec des marionnettes. L'Illyrie est devenue pour moi

le théâtre, tout simplement. »

Le théâtre selon Dan Jemmett : intuitif et pas intellectuel, joueur plutôt que poseur. C'est-à-dire ca-

pable d'associer librement, du moment que le jeu prend en charge la logique des mutations en cours.

Quand on le découvrit avec Ubu, spectacle créé en anglais et remonté en français, des ustensiles de

cuisine manipulés par un acteur interprétaient avec brio une armée en déroute, un meurtrier crapu-

leux.... tandis que le couple Ubu, joué par deux acteurs, s'échinait dans un castelet. Dans Shake, les

cinq comédiens foncent bille en tête, prennent en main les dix-sept personnages de la pièce. Des ca-

bines de plage situent ce royaume en bord de mer, castelets de vacances où se trament les histoires,

pendant que le Fou passe en revue sa collection de vinyles sur son tourne-disque : Jeff Love and his

orchestra, Mozart, Bach, Lou Reed.

Quand j'étais jeune, j'ai eu un tourne-disque des années 60 et une collection de disques. Elle était très

bizarre et j'ai voulu lui rendre hommage ! Je suis allé aux Puces où j'ai racheté un tourne-disque et un

lot de quarante disques, au hasard. J'ai dit qu'on allait trouver la musique parmi ces disques et c'est ce

qu'on fait. « Shake, en effet ».

Fabienne Arvers

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

23

Note d’intention de traduction

Traduire Shakespeare… Drôle de voyage ! Quand Dan Jemmett m‟a proposé de traduire La Nuit des

Rois pour Shake, j‟ai accepté tout de suite, sans réfléchir, ravie et fière d‟avoir à en découdre avec une

de mes pièces préférées. Je suis partie avec mon baluchon de comédienne, et je suis allée à la ren-

contre de Sir Toby, de Viola, d‟Orsino, de Sir Andrew, d‟Olivia, de Feste, de Malvolio, de Sébastien,

d‟Antonio, de tous les autres…A la fin de la première journée, j‟avais traduit dix lignes et là, j‟ai pen-

sé à ces histoires à la noix des types qui traversent l‟Atlantique, tous seuls, sur des petites barques avec

des voiles…

Pourtant, un homme de théâtre comme Shakespeare écrit vite, j‟en suis sûre, il écrit pour dans quinze

jours… oui, mais si l‟écriture de théâtre est libre et impulsive, elle est aussi le fruit d‟une très grande

science des mots, le fruit du métier du poète… et je me suis rendue compte que moi, pour être fidèle à

tout ça, j‟allais y passer des mois.

Comment retrouver la modernité de la langue ? Conserver la poésie ? Le théâtre est toujours dans

l‟instant présent. Shakespeare parle la langue de son temps, celle des grands de ce monde, et celles des

petites gens et c‟est cela qu‟il s‟agit de retrouver. Il parle aussi la langue du théâtre qui est celle des

personnages, de leurs émotions, de leurs passions et c‟est cela qu‟il s‟agit de retrouver. Il parle la

langue des poètes qui est celle du rythme et de la musique et c‟est cela qu‟il s‟agit de retrouver. Bref,

c‟est à cette langue aux formes multiples qu‟il faut se colleter. Traduire revient alors à essayer de ré-

pondre à toutes les langues du théâtre à la fois et parfois c‟est tout simplement impossible, il faut choi-

sir. S„éloigner du sens littéral pour être vraiment fidèle. Oser les jeux de mots. Comprendre quand la

langue est triviale, traquer les doubles sens, les triples sens, les sous-entendus. Reconnaître ce qu‟il

peut y avoir de conatif ou de phatique dans le discours, autrement dit identifier les mots qui accompa-

gnent le discours et donnent plus un éclairage sur l‟état d‟un personnage qu‟ils ne “disent ” quelque

chose. Trouver la musicalité. Mettre tout cela en bouche.

Car c‟est là quelque chose d‟important. Le texte traduit doit être dit. Il doit être aussi fidèle que pos-

sible et un acteur doit pouvoir le jouer. Et là, c‟est encore une petite cuisine instinctive, où le souffle et

la fluidité de la phrase finiront par être au rendez-vous. Le texte doit être dit, et on doit y croire ; le

comédien doit pouvoir apporter toute sa sensibilité, la phrase doit être un écrin pour ses émotions et

pas une falaise à escarper et puis elle doit ouvrir son imagination, les images, les métaphores doivent

parler à son cœur…

En somme, je croyais avoir à traduire et je me suis trouvée à partir pour un voyage au long cours au

pays du théâtre, dans ce pays magique, en Illyrie, dans mon tout petit bureau… avec derrière moi, le

fantôme bienveillant du grand Will.

Marie-Paule Ramo, traductrice

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

24

Ce qui a séduit Dan Jemmett à notre époque est le potentiel comique voire festif (jeu de mot assumé

sur le nom du bouffon, « Feste ») de La Nuit des Rois ; il avait d'ailleurs déjà réalisé une adaptation de

La Comédie des erreurs. Sa réécriture de l'œuvre shakespearienne insiste irrésistiblement sur le co-

mique de travestissement (Viola/Sébastien/Césario sont joués par la même actrice !) et donne un rôle

prépondérant au bouffon Feste, qui fait figure de maître de cérémonie… et de disc-jockey. Les thèmes

traditionnellement comiques du parasite glouton et ivrogne (Tobie, qui se continuera en Falstaff), du

sot indécrottable (André), de l'arrogant berné (Malvolio) sont férocement mis en valeur. Chez Dan

Jemmet, l'accent est mis sur la performance d'acteurs, chacun ayant plusieurs rôles et effectuant les

changements d'identité à la vue du public. Le metteur en scène révèle ainsi ce qui était traditionnelle-

ment caché en coulisse, donnant au spectateur la satisfaction intellectuelle d'assister au dévoilement du

jeu théâtral, de ses codes, de ses illusions. Nous avons le plaisir de comprendre mais nous n'avons plus

le plaisir d'être mystifiés. Du coup, le travestissement de Césario n'est plus que l'un des nombreux

changements de costumes sur scène. Autre temps, autre public, autre effet théâtral.

Shake @ Mario Del Curto 2001

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

25

Les personnages dans la pièce et son adaptation

Personnages de La Nuit des Rois de Shakespeare

ORSINO, duc d'Illyrie

VALENTIN, gentilhomme de la suite du duc

CURIO, gentilhomme de la suite du duc

VIOLA, amoureuse du duc

SÉBASTIEN, jeune gentilhomme, frère de Viola

ANTONIO, capitaine de vaisseau, ami de Sébastien

OLIVIA, riche comtesse

MARIE, suivante d'Olivia

SIR TOBY BELCH, oncle d'Olivia

UN CAPITAINE DE VAISSEAU, ami de Viola

SIR ANDREW AGUECHEEK, compagnon de Sir Toby

MALVOLIO, intendant d'Olivia

FABIEN, au service d'Olivia.

FESTE le clown, bouffon au service d'Olivia

UN PRÊTRE.

SEIGNEURS.

MATELOTS.

OFFICIERS.

MUSICIENS.

SERVITEURS.

8 Personnages retenus par Dan Jemmet dans Shake (et seulement 5 comédiens sur scène !)

Viola / Sébastien - Frère et soeur jumeaux : (rôle joué par la même comédienne) émouvante et pa-

thétique dans son rôle d‟amoureuse transie, volontaire et calculatrice quand il s‟agit de défendre le

camp auquel elle a associé son destin.

Orsino - Duc d’Illyrie / Malvolio - Intendant d’Olivia : (rôle joué par le même comédien) un séduc-

teur latino gominé rappelant Elvis. Le même acteur joue l‟intendant ridicule de la Comtesse, imbu de

lui-même, imbécile fini facilement berné, alors que le personnage était beaucoup plus inquiétant dans

le texte originel.

Feste - Bouffon d’Olivia : un bouffon shakespearien. Ici un commentateur avisé des évènements,

susceptible de déraper dans l‟absurde à tous moments, avec des ajouts incongrus au texte, et une placi-

dité lunaire en contraste total avec l‟excitation générale qui préside à l‟intrigue.

Olivia - Comtesse : comtesse branchée, plus Marilyn que noble, rousse incendiaire qui sombre par

instants dans un sentimentalisme nunuche, très « princesse de tabloïd » dans le fond.

Sir Toby - Oncle d’Olivia : vieux noceur, viveur démoniaque et alcoolique, interprété par un acteur

ventriloque particulièrement impressionnant dans sa démesure et la perfection technique de sa double

voix.

Sir Andrew - Compagnon de débauche de Sir Toby : un pantin hystérique et bavard, manipulé par

son mentor, dont le prototype écumait les plateaux de télévision dans les années soixante.

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

26

Texte versus Adaptation : Détail d’une scène

La pièce de Shakespeare…

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

27

In :

La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats et notes de Gisèle Venet, Editions Théâtrales, 2001, pp. 7-8

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

28

… et son adaptation…

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

29

Shake dans la presse…

LE TEMPS –10 NOVEMBRE 2001

Lausanne : une merveille d'humour et d'émotion

Avec « Shake », cinq comédiens font rougir Shakespeare de bonheur

Avec ses lunettes à grosses montures de mathématicien en état de lévitation, sa distraction affichée sur

le visage comme une marque de fabrique et ses 34 ans aux allures bohèmes, l' Anglais Dan Jemmett

est un poète ambulant. On l'imagine volontiers tracer sur l'ardoise de ses rêves et d'une craie lyrique

des équations insensées. Par chance, cette tête chercheuse, mari d'Irina Brook, fille de Peter (elle mon-

tera début décembre Roméo et Juliette) est metteur en scène. Autant dire que ses équations sont

d'abord poétiques et pataphysiques.

Après avoir tranché ainsi dans la chair mélancolico-sanguine d'Hamlet en compagnie du comédien

Gilles Privat (Presque Hamlet la saison passée à Vidy) il remixe avec un art certain du coq à l'âne La

Nuit des rois du même Shakespeare. Cela s'appelle Shake, c'est joué au Théâtre de Vidy à Lausanne

par cinq comédiens vertigineux et c'est une merveille de théâtre qui donne envie d'y courir toujours.

Princesse de tabloïd. Un quintet pour La Nuit des rois. C'était a priori culotté. Cette histoire de nau-

frage, de jumeaux séparés (Sébastien et Viola) de duc Orsino follement épris de la belle comtesse Vio-

la, bref, ce brouillage amoureux avec éclaircie miraculeuse en fin de parcours semblait nécessiter plus

de bras et de têtes. Dan Jemmet, lui, a décidé d'alléger la comédie. Il a planté sous le chapiteau de

Vidy cinq cabanons, qui sont autant de loges et de repaires de pirates pour des acteurs capables de

toutes les rapines. Il y a Geoffrey Carey, simplement captivant en bouffon tombé de la lune, Valérie

Crouzet, excellente en princesse de tabloïd, Antonio Gil Martinez, dont on ne dira rien sauf qu'il ex-

celle dans la saute d'humeurs, Hervé Pierre impressionnant en viveur démoniaque et la jeune Julie-

Anne Roth surtout, qui cumule les rôles de Viola et de Sébastien et qui donne le frisson lorsqu'elle

jette ses grands yeux d'enfant dérouté sur l'assistance.

Ces cinq-là exultent dans l'art du patchwork, entre clownerie tragique, fièvre du samedi soir déclinée

sur un pick-up d'une autre époque, excentricité à l'anglaise et multiple œillade à tous les amoureux de

la scène. Oui, ce Shake est d'abord une invitation permanente au jeu. C'est pour cette raison qu'on

l‟aime autant.

Alexandre Demidoff

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

30

DAN JEMMET

Biographie

Après des études supérieures en Études théâtrales et en Littérature à l‟université de Londres, Dan

Jemmett fonde, avec Marc von Henning, Primitive Science, une compagnie de théâtre expérimentale

qui représente à Londres notamment Médée-Matériau de Heiner Müller (Soho Poly Theater), Antigone

de Brecht (Battersea Arts Centre), Quartett de Heiner Müller (Lilian Baylis Theatre), Fatzer, frag-

ments de Bertolt Brecht, montage de Heiner Müller (Gate Theatre), Hunger d‟après des textes de Kaf-

ka (Purcell Room), Imperfect Librarian d‟après des nouvelles de Borgès (Young Vic Theatre).

Dan Jemmett fait sa première mise en scène au Young Vic Theatre avec Ubu Roi d‟Alfred Jarry. Le

spectacle est repris à Paris, en 1998, au Théâtre de la Cité internationale. Dan Jemmett vit depuis lors

en France.

Ses mises en scène en France incluent notamment Presque Hamlet d‟après Shakespeare (Théâtre de

Vidy-Lausanne, Théâtre national de Chaillot), Shake d‟après La Nuit des Rois de Shakespeare, cou-

ronné par le prix de la Critique française comme Meilleure Révélation Théâtrale 2000-2001 (Théâtre

de la Ville), Dog Face d‟après The Changeling de Thomas Middleton (Théâtre de Vidy-Lausanne,

Théâtre de la Ville), L’Amour des trois oranges de Carlo Gozzi (Théâtre de Sartrouville et tournée en

France), Femmes gare aux femmes de Thomas Middleton (Théâtre de la Ville, Théâtre de Vidy-

Lausanne), William Burroughs surpris en possession du Chant du Vieux Marin de Samuel Taylor Co-

leridge, texte contemporain de Johny Brown, traduit par Marie-Paule Ramo (Théâtre de la Ville), The

Little Match Girl, d‟après le conte de Hans Christian Andersen, La Petite Fille aux Allumettes, un

spectacle créé en collaboration avec le groupe anglais The Tiger Lilies au festival de Syracuse, ayant

fait une tournée européenne. En 2010, il met en scène Le Donneur de Bain, de Dorine Hollier au

Théâtre Marigny, et La Comédie des Erreurs de William Shakespeare créée au Théâtre de Vidy-

Lausanne, en tournée en 2011 et 2012.

Plus récemment, Dan Jemmett a mis en scène une adaptation de Ubu Enchaîné d'Alfred Jarry, crée au

Théâtre du Phénix à Valenciennes en 2011, en tournée en 2011 et 2012, une adaptation du Roi Richard

III de William Shakespeare, Les Trois Richard, créée au Printemps des Comédiens en 2012, en tour-

née en 2012 et 2013, et Macbeth (The Notes), crée à Sortie Ouest à Béziers en 2014, en tournée en

2014 et 2015.

Aux État-Unis, Dan Jemmett a travaillé à une nouvelle version de Dog Face au Quantum Theater de

Pittsburgh, qu‟il fit représenter dans une usine désaffectée connue sous le nom de Heppenstall Plant.

Ce spectacle fut joué à Madrid en 2006, au festival de l‟automne. Au Quantum Theater, il présente

également une adaptation de The Collected Works of Billy the Kid de Michael Ondaatje en 2007, re-

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

31

prise en avril 2013 au Théâtre des Bouffes du Nord. A Pittsburgh, il a présenté aussi en 2009 une ver-

sion du Dr Faustus de Christopher Marlowe, FaustUS.

En janvier 2008, il retournait à Madrid, pour une mise en scène de la pièce de Tirso de Molina, Le

Trompeur de Séville, créée au Théâtre Abadia, avant de présenter en 2013 une nouvelle mise en scène

au Teatro de la Abadia : El Café de Rainer Werner Fassbinder. A Varsovie, au Teater Polski, il met en

scène La Nuit des Rois de William Shakespeare en 2011, puis La Tempête de William Shakespeare en

2012.

Ses mises en scène à l‟opéra incluent La Flûte Enchantée de Mozart, en collaboration avec Irina Brook

(Reisopera, les Pays-Bas), L’Occasione fa il Ladro de Rossini (Ensemble Matheus, direction Jean-

Christophe Spinozi, Le Quartz, Brest, 2004, tournée en France avec la compagnie de l‟ARCAL), The

Gondoliers de Gilbert et Sullivan (Deutsche Oper Am Rhein, Düsseldorf, Allemagne), Un Segreto

d’Importanza de Rendine (Theatro Communale di Bologna), L’Ormindo de Cavalli crée à la Maison

de la musique de Nanterre, avant une tournée en France. En 2010, il met en scène Béatrice et Béné-

dicte de Hector Berlioz à l‟Opéra Comique, à Paris, en tournée au Grand Théâtre du Luxembourg en

2011. Il met en scène la même année Le Freischutz de Carl Maria Von Weber avec un livret français

d'Hector Berlioz à l'Opéra Comique, opéra dirigé par John Eliot Gardiner.

Dan Jemmett a mis en scène au Théâtre du Vieux-Colombier en 2007 Les Précieuses Ridicules de

Molière, spectacle présenté également en tournée en Europe de l‟Est du 10 novembre 2008 au 9 février

2009, repris en mai 2009 au Théâtre du Vieux-Colombier. En 2009, il a mis en scène La Grande Ma-

gie d‟Edouardo di Filippo à la Comédie-Française, salle Richelieu, spectacle repris les deux saisons

suivantes. En 2013 il a mis en scène La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, également à la

Comédie Française, salle Richelieu, spectacle qui sera repris en juin 2015.

En 2014 Dan Jemmett est devenu artiste en résidence à la MAL de Thonon-les-Bains, ou il fonde sa

propre compagnie - Eat a Crocodile. Eat a Crocodile prépare une version de Measure pour Measure de

Shakespeare en anglais pour le Shakespeare Festival à Neuss, Allemagne, en Juin 2015, une reprise de

Shake au théâtre de Carouge, Genève, en Octobre 2015, et la création d‟une nouvelle pièce Clytem-

nestr@pocalypse de l‟auteur americain David Turkel pour la rentrée 2016.

Shake @ Mario Del Curto 2001

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

32

In :

La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats et notes de Gisèle Venet, Editions Théâtrales, 2001, p. 150

Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève

33

PARCOURS PÉDAGOGIQUES

Shake

Visite thématique au MAMCO, Musée d‟art moderne et contemporain

S’approprier, au théâtre, au musée

Pour la deuxième année consécutive, le Mamco et le Théâtre de Carouge s'associent pour explorer des

questions communes au musée et au théâtre.

Il s‟agira de proposer aux classes de s'intéresser aux artistes qui s'approprient des objets, des textes,

des idées modestes et géniales, conçus par d'autres.

Combinaison Théâtre de Carouge / Mamco pour les classes genevoises à partir du secondaire : les

élèves assistent à la représentation Shake de Dan Jemmet et visitent le Mamco sous l'angle de

l'appropriation.

MAMCO, Musée d’art moderne et contemporain, 10 rue des Vieux-Grenadiers, 1205 Genève

Réservation auprès du Bureau des transmissions du Mamco en remplissant le formulaire en ligne :

http://www.mamco.ch/public/8_Visite_groupe.html

Merci de préciser "Combinaison Théâtre de Carouge / Mamco".

10 classes maximum

… Et pour retrouver Shakespeare sur grand écran, grâce à de délicieux films muets :

Shakespeare, côté courts

Ciné-concert le mercredi 11 novembre à 19h30 au Temple de Carouge

Improvisations à l‟orgue de Vincent Thévenaz

Informations : [email protected]