dossier migrations: soif de liberté ou expression d'une mal-vie

16
Dossier NRP Février 2011, n°6 Economie L’Inflation, cet acide qui ronge l’économie et la société algériennes Mourad BENACHENHOU Droit Graves violations lors des gardes à vue Salima TLEMÇANI Culture Cinémas arabes :La nécessaire convergence des actions Mohamed BENSALAH Mémoire Les brindilles séculaires de L’La Fatima Nouri NESROUCHE Migrations: Soif de liberté ou expression d’une mal-vie

Upload: lamnguyet

Post on 05-Jan-2017

221 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

Dossier

NRP Février 2011, n°6

Economie L’Inflation, cet acide qui ronge l’économie et la société

algériennes

Mourad BENACHENHOU

Droit Graves violations lors des gardes à vue

Salima TLEMÇANI

Culture Cinémas arabes :La nécessaire convergence des actions

Mohamed BENSALAH

Mémoire Les brindilles séculaires de L’La Fatima

Nouri NESROUCHE

Migrations:Soif de liberté ou expression d’une mal-vie

Page 2: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

2

NRP, février 2011, n°6

SommaireN° 6 février 2011

La NRP est la nouvelle formule de la « Revue de presse »,

créée en 1956 par le centre des Glycines d’Alger.

[Attestation du ministère de l’information: A1 23, 7 février 1977]

Revue bimensuelle réalisée en collaboration avec le :

Ont collaboré à ce numéro

Faïza GACHIBernard JANICOT

Hizia LAKEDJAFayçal SAHBI

Mehdi SOUIAHLeila TENNCI

Houari ZENASNI

CENTRE DE DOCUMENTATION ECONOMIQUE ET SOCIALE

3, rue Kadiri Sid Ahmed, Oran • Tel: +213 41 40 85 83 • Courriel: [email protected]

Site web: www.cdesoran.org

DossierMigrations:

Soif de liberté ou expression d’une mal-vie

Si vous voulez recevoir gracieusement les numérossuivants de la Nouvelle Revue de Presse, envoyez-nous un message à l’adresse suivante:

[email protected] Les idées exprimées dans les textesrepris par la NRP n’engagent que laresponsabilité de leurs auteurs

Extrait de «Migrations marocaines, vieilles routes,nouveaux destins»Michel Péraldi, Ahlame Rahimi , p.4

Extrait de « Emigration clandestine en Tunisie »Mabrouk Mehdi, p.4

Forum de jeunes sur la dynamique de la participa-tion dans la vie politique : “Ecoutez-nous !”Houria Akram, p.5

La mal-vie pousse des milliers de jeunes algériensà quitter le pays: Le carburant du désespoirMohamed Touati, p.6

«La sociologie du chômage représente un mé-lange détonant au Maghreb»Mohamed Bahloul, p.7

EconomieL’Inflation, cet acide qui ronge l’économie et la so-ciété algériennesMourad Benachenhou, p.8

DroitGraves violations lors des gardes à vueSalima Tlemçani, p.10

Les sociétés de droit algérien ne pourront plus bé-néficier de crédits étrangers, p.11

Culture/MédiasCinémas arabes : La nécessaire convergence desactionsMohamed Bensalah , p.12

La presse électronique à la conquête du marchévirtuelMustapha Benfodil, p.13

«Nous avons été victimes de beaucoup de bloca-ges»Lounès Guemache, p.13

Mémoire11e marathon des dunes voir Taghit et…courirKamel Bouchama, p.14

Les brindilles séculaires de L’La FatimaNouri Nesrouche, p.15

Beni Snous (Tlemcen): Une fête pour la solidaritéet l’identitéChahreddine Berriah, p.15

Mémoire, p.16

Page 3: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

3

NRP, février 2011, n°6

EditorialL'idée d'un dossier consacré aux jeunes, àla mal-vie et au phénomène "Harga" nousest venue suite aux événements qu'a con-nus une grande partie du monde arabe; desmouvements de contestation menés par les"jeunes", ayant pour seule revendication,"changer le système politique", unique ga-

rantie , répètent-t-ils, d'une "vie meilleure". Mais en rédigeant cet édito une ques-tion m'est venu à l'esprit: Ce qui s'est passé en Tunisie et en Egypte, et ce qui est entrain de se passer en Libye et au Yémen risque-t-il de se produire en Algérie? ToutAlgérien, je suppose, se pose cette même question. Mais personne n'a de réponse àfournir. Moi-même je suis dans l'incapacité de donner mon avis pour la raison que jen'en ai aucun. Par ailleurs ce que je peux faire c'est introduire la compilation detextes que nous avons sélectionnés.Pour la constitution du dossier nous sommes partis de l'hypothèse selon laquelle, "cequi pousse les jeunes à quitter le pays serait la précarité de leur situation, autrementdit, la mal-vie", une hypothèse d'ailleurs appuyée par les auteurs des textes dudossier. L'une des phrases marquantes de l'article de Mohamed Touati, met l'accentsur le fait que cette mal-vie endurée par ces éventuels "harraga (s)" est plus unesouffrance psychologique, ce sentiment que leur pays est hostile à la réalisation deleurs rêves, à l'assouvissement de leurs désirs, de leurs ambitions, pensent-ils, dé-passent et de très loin ce que leur pays a à leur offrir. Il écrit, "En théorie, l’Algérie ade quoi rendre heureux le sien. L’économie nationale bénéficie d’une conjoncturefinancière inégalée depuis l’Indépendance. Le pays s’est débarrassé du poids con-traignant de sa dette extérieure. L’état de ses finances est envié par les pays les plusindustrialisés de la planète. Et c’est curieusement vers ces pays que lorgnent lesjeunes algériens qui rêvent d’un ailleurs qui pourrait satisfaire leurs rêves les plusfous mais, au demeurant, les plus légitimes: du travail, un logement et des distrac-tions qui correspondent à leur génération et à leur temps". Et c'est toujours dans cemême sens que vont les propos de Mohammed Bahloul, qui dit qu'au-delà de cesbesoins de base (l'alimentation, le logement, la stabilité économique) subsistentdes besoins d'un ordre différent, des "...besoins radicaux en terme de liberté d'ex-pression, d'association, d'organisation, de loisirs, etc…",auxquels l'Etat n'a pas surépondre jusqu'à présent.Les extraits d’articles que nous avons mis en ouverture du dossier traitent de réali-tés autres que celles de la réalité algérienne, mais nous avons cru sage de les mettrepour la raison qu’ils dressent un portrait assez fidèle (l’idéal-type) du harrag. Suivisde toute une série d’articles énumérant les motivations qui conduisent les jeunes «algériens » à la harga.

Mehdi Souiah

Page 4: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

4

NRP, février 2011, n°6

DOSSIER

Extrait de « Emigrationclandestine en Tunisie »

Tenter de migrer renvoie le candidat à la migrationd’un espace fermé et limité, dans bien des cas celui

du village, à un espace plus ouvert, qui se décompose envilles relais et se termine dans d’autres villes, voired’autres pays. Globalement, cet espace migratoirecombine espace rural, espace villageois et espace urbain.Dans ces conditions, migrer clandestinement oblige lescandidats à s’adapter à cet espace hautement contrôlé,discontinu, dans un objectif unique, partir. Dans ce typede migration, l’envie de partir ne suffit pas, les méthodeset les moyens font partie des garanties de la réussite.En Tunisie, l‘émigration clandestine est largementsymptomatique d’une jeunesse en crise, en quête deson devenir. Les nouvelles politiques migratoires enEurope, avec l’instauration des visas pour les Tunisiensse rendant en Italie, ont eu pour conséquence ledéveloppement et l’augmentation de la migrationclandestine des Tunisiens vers les pays de l’Europeoccidentale, une augmentation qui s‘est amplifiée fautedes conditions socioéconomiques qui projettent chaqueannée des dizaines de milliers de jeunes dans la précarité.L’absence de perspectives est atroce. De ce fait, uneculture « suicidogène » est en train d’émerger d’unemanière inquiétante. Parmi les motivations les plusfrappantes, f igure cette « culture de fuite » qui semanifeste dans plusieurs comportements. Ellecorrespond en premier lieu à la dévalorisation de l‘écoleet au statut du savoir en général. Grâce aux nouvellestechniques de la communication, de plus en plus à laportée (dans les deux sens), la médiatisation de l’ailleursà travers le dumping des images qui, quotidiennement,inondent évidement les champs de la perception de cesjeunes, a f ini par refouler cette catégorie de leurspropres territoires physique et symbolique. L’envie departir répond, en réalité, à ce besoin. La migrationclandestine n’est qu‘une réponse parmi d’autres à cebesoin, Ainsi, si l’on examine la succession des différentesétapes de la migration clandestine en Tunisie, leurévolution, leur prospérité, leur déclin, on constatequ’elles expriment le refus de cette jeunesse de lacondition qui lui est faite. Un nombre important dejeunes, qui ne cesse de croitre, exprime sa récusation àtravers une partance très particulière. Ce départclandestin est une contestation par fuite. Si la résistances’exprime souvent par l’attachement ardent à unterritoire, dans le cas de l’émigration clandestine, cetterésistance, se traduit par la fuite. La précarité, laconscience confuse, voire fausse (erronée), l’absencede structures (associations, syndicats...) ne laissent à cesjeunes que la possibilité de développer de petitesstratégies fuyardes et fugaces. Les expressions desjeunes témoignent de cette envie irrésistible : « je m’envais en leur laissant le pays »[…].

Mabrouk Mehdi, La revue Naqd, n°26/27

Extrait de «Migrationsmarocaines, vieilles routes,

nouveaux destins»

C‘est évidemment une forme des « f ictionsinstituantes » par lesquelles on perçoit les

phénomènes migratoires aujourd’hui, que d’évacuer laprésence marocaine dans les contingents de clandestinsqui tentent de franchir les frontières de la forteresseEurope. Or, cette présence est bien réelle, aux cotésdes Subsahariens, dans les mêmes embarcations defortune au départ des ports sahariens vers les Canaries,de la Libye vers l’Italie, ou de quelques portsméditerranéens moins surveillés que Tanger, endirection de l’Espagne.Les Marocains ont d’ail leurs toujours migréclandestinement. Confrontés à des dispositifs etprocédures bureaucratiques parfois très lourds, nombrede migrants du siècle passé ont toujours préféré prendredes « raccourcis » pour rejoindre l‘Europe,«L’immigration marocaine en France a été marquée parles départs clandestins, dont la proportion dépasse ouavoisine les 90 % de l’effectif marocain qui était présenten France durant la période coloniale ». Toute l’histoiredes migrations marocaines vers l’Europe est aussi celled’une clandestinité qu‘on pourrait qualifier de tranquille.Elle ne fait l`objet d`aucun signalement particulier etn’apparait qu’exceptionnellement sur la scène publique,tant dans les pays d’accueil que dans le pays d’origine, àl’occasion d’opérations de régularisation, oud’arrestations, voire de tragédies.Dans les années quatre-vingt-dix, l’apparition médiatiquedes harragas — littéralement « brûleurs »— signale unrenversement dans cette représentation attachée auxdynamiques migratoires. Le hrig vient en effet donnerun nom à une pratique qui n’en avait pas. Car ce quidifférencie alors ceux qui se désignent, puis que l’ondésigne sous ce terme ne tient pas aux modes defranchissement, aux ruses dont il atteste; le changementtient d’abord au sens symbolique que l’on donne à cettepratique. Le «harrag» est un solitaire, un aventurierhéroïque ; le «pateriste», au contraire, est une victimeanonyme. Parallèlement aux processus de victimisationet de stigmatisation dont les «pateristes» font l’objetdans la presse et les medias, un autre basculement estperceptible dans le discours ordinaire sur la migration :tout au contraire du «héros» brûleur de vie et de papier,exalté par l`opinion, le «pateriste» est un faible, uninnocent grugé, un paysan mal informé, victime de soninnocence et de sa faiblesse, autant sinon plus que de saprécipitation. La manière même dont on invoque lesconditions de vie des candidats poussés à la migrationest une vision mécaniste de la désespérance. […] Pardifférence avec le « harrag », le « pateriste » est unantihéros, victime indistincte, sans personnalité, hommesans caractère, pris dans les filets des mafias, poussépar des forces supérieures qui le dépassent et l’écrasent.[…]Le « hrig » comme expérience sociale s’apprendaujourd’hui dans les villes. La préparation d’un départ,l’organisationd’un convoi, les contacts avec les passeurs,sont tous des moments qui se préparent par des séjoursdans les métropoles marocaines. […]

Michel Péraldi, Ahlame Rahimi, La revue Naqd, n°26/27

Page 5: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

5

NRP, février 2011, n°6

DOSSIER

Et pourtant il prend une autre définition en ce début du21ème siècle tant il fait peur au jeunes et inquiète lesadultes, tant il constitue une tranche de vie et satrajectoire qui recouvre sous ce mot plusieurspréoccupations s’inscrivant dans notre actualité, nossociétés et notamment au sein de nos familles. Lajeunesse est l’étape d’une nouvelle génération et lepassage de l’état d’adolescent en transformation versl’âge adulte, un adulte, cet enfant qui a en principe réaliséses rêves en se réveillant un beau matin au printemps desa vie. Braves et téméraires, les jeunes ont la force deleur âge et le courage d’oser prendre les risques. Letemps de la jeunesse, un temps de passage pendantlequel les questions d’actualité se posent à tous et chacuns’interroge sur son devenir et sa place dans la société.Ce sont les préoccupations de tous cesjeunes étudiants, des membresd’associations de quartiers,d’organisations estudiantines, desreprésentants de cellules d’aides auxmalades, et même de jeunes lycéensqui ont été invités à participer au forumsur les jeunes et la vie politique. Ils ontété conviés à donner leurs points devue sur la pratique politique, et les règlesqui la composent, et ils étaientnombreux hier avec la confiance en soiau moment où les parlementaires et lesreprésentants de la société civile,étaient moins rassurés face à l’énormitédes jeux et des déf is de notre époqueconfrontée au chômage, au développementéconomique, aux loisirs et autres contingences de la vie.Et pour leur permettre d’exprimer leurs sentiments surles choses qui les intéressent, donner leurs points devue sur leur réalité et savoir ce qu’ils les préoccupent,une rencontre de réflexion et d’échange de débat leur aété déclinée à la faveur de la journée parlementaireorganisée hier à l’assemblée populaire nationale. Autravers de cette journée d’étude, les jeunes se sontexprimés et ont présenté leur lecture des concepts quiremplissent la littérature des partis politiques et lesarcanes de leurs leaders. En préambule à la thématiqueen débat, le président du groupe parlementaire du FNA,Abdelkader Drihem, a salué la grande participation etl’affluence nombreuse des jeunes et leur intérêt à mieuxcomprendre la vie politique nationale pour se situer parrapport à la démocratie, la pluralité politique et à tous lescombats pour des idéaux se projetant dans les années50 quand d’autres adultes de leur âge, à l’instar de Bitat,Didouche, Benmhidi, Boudiaf, Krim Belkacem, pour neciter qu’eux, ont pris la décision de nourrir la flamme du1er Novembre 1954 et de briser les chaînes du jougcolonial en balisant les chemins à la reconquête de laliberté et de la souveraineté nationale. D’autres jeunes

19 janvier 2011

Forum de jeunes sur la dynamique de la participation dans la vie politique : “Ecoutez-nous !”

de leur âge ont pris le flambeau en 1962 et se sont armésde leur savoir en se mobilisant en hommes politiques,architectes et bâtisseurs de la nation. Comme hier, lesjeunes d’aujourd’hui cherchent leur voie et prospectentle terrain s’appuyant sur l’expérience de leurs aînés etexprimer leur volonté d’exister à part entière et activedans la vie de la société voulant trouver les créneaux deleur intégration en tant qu’acteurs et partenairespolitiques. «Nous sommes ici pour exprimer la volontédes jeunes et leur besoin d’intégration à l’action politiqueau sein des partis politiques », soutiennent des jeunes àl’instar de Sid Ali, Dahmane, Mohamed, Kahina, Sarah,ajoutant que « tout ce que nous demandons c’est denous exprimer et qu’ils entendent nos inquiétudes, nosespérances pour nous venir en aide, par des conseils,des idées à mettre en projets ». Et alors qu’est ce qui

empêche les jeunes d’adhérer dansun parti politique, la scène nationaleest remplie de partis qui ne désirentqu’à avoir des militants ? « Oui, nousavons essayé d’adhérer à des partispolitiques et l’activité des militantsreste conf inée dans le nombred’adhérents. Nous n’avons pas demots à dire. Ce n’est qu’un slogan etquant à parler des problèmes desjeunes, on ne leur donne pas l’occasionet rares sont les leaders politiques quipermettent aux jeunes de s’exprimeren leur présence et de débattre desaffaires du parti. Nous demandons

l’application effective pas les slogans sinon nousn’apporterons jamais notre pierre à l’édif ice deconstruction et par conséquent nous n’aurons jamaisdroit à l’expérience, eux qui répliquent que les jeunesmanquent d’expérience», répliquent Lamia, Rachid,Hassiba, Abdelmoumen, Nassim précisant qu’ils ont dela volonté et des convictions en plus de leur dynamismeet ils disent qu’ils sont prêts à entrer dans la vie active etapporter leur contribution pour peu que les occasions seprésentent pour être au service de leur pays».Les travaux de la journée parlementaire ont été unagréable forum d’échanges et de discussions entre desspécialistes, des universitaires, des jeunes étudiants etdes parlementaires en vue de créer des passerelles dedialogue, casser les murs d’incompréhension et ouvrirdes perspectives en de meilleurs lendemains propices àl’intégration des jeunes dans la vie des partis politiquesd’autant plus que les députés sont généralement desmilitants activant au sein des partis politiques et que lesjeunes sont des électeurs et de potentiels adhérents à lacondition que la classe politique s’ouvre davantage sursa société et son environnement.

La jeunesse, un mot qui peut déplacer les montagnes d’idéaux et nourrir les rêves les plus fous. Les alchimistescourent toujours derrière la pierre philosophale et les rêveurs inspirent les grandes œuvres.

Houria AKRAM

Page 6: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

6

NRP, février 2011, n°6

DOSSIER

C’est un paradoxe aux conséquences dramatiquesqui caractérise une Algérie dont les réserves endevises ont atteint le chiffre record de 150 milliards

de dollars.Les jeunes algériens s’ennuient à mourir. La majoritéd’entre eux ne songent qu’à fuir. Un contexte auxallures kafkaïennes dans un pays qui regorge de projetsde développement dont les objectifs déclarés consistentà assurer un avenir meilleur aux générations futures.Pour cela les pouvoirs publics n’ont pas hésité à mettrela main à la poche: 286 milliards de dollars ont été mis surle tapis alors que les banques croulent sous le poids desurliquidités dont le montant est estimé à quelque 3000milliards de dinars. De quoi se plaint le peuple?En théorie, l’Algérie a de quoi rendre heureux le sien.L’économie nationale bénéficie d’une conjoncturefinancière inégalée depuis l’Indépendance. Le pays s’estdébarrassé du poidscontraignant de sa detteextérieure. L’état de sesfinances est envié par les paysles plus industrialisés de laplanète. Et c’est curieusementvers ces pays que lorgnent lesjeunes algériens qui rêvent d’unailleurs qui pourrait satisfaireleurs rêves les plus fous mais, audemeurant, les plus légitimes: dutravail, un logement et desdistractions qui correspondent àleur génération et à leur temps.Des espoirs qui se sont mus enfrustrations nées de la pressionétouffante d’une sociétéconservatrice qui traduit des comportements liés à unmode de vie équilibré en apparence. Des désirs et desaspirations refoulés. L’interdiction de relations sexuellesavant et hors mariage en est l’exemple le plus édifiant.Logiquement, pour convoler en justes noces, il faut déjàavoir assuré son avenir professionnel et avoir un toit. Surce plan, ces deux conditions sont encore loin d’êtresatisfaites si l’on en juge par l’âge du mariage qui a trèsfortement reculé et du nombre de tourtereaux quis’unissent et demeurent sous le toit familial.L’offre n’arrive pas à satisfaire la demande en logementet l’accès à la propriété privée reste une chimère pourles petites bourses qui constituent la majorité de lapopulation algérienne. C’est pratiquement le noeudgordien de l’équation à résoudre. Un déf i que lespouvoirs publics n’ont pas réussi à relever. La jeunessealgérienne avide de voyages et de découverte d’autrescieux comme toutes les jeunesses du monde, n’a qu’unseul projet en tête: fuir, fuir, fuir...et rien d’autre. Ils n’ontqu’un seul objectif: se débarrasser de ces frustrations.Une espèce de malédiction dont il faut se délivrer. Tous

mettent en exergue leur mal- vie, leur sexualité malassumée, l’absence de lieux de jeux et dedivertissements (terrains de sport...), de création et deculture (salles de cinéma, bibliothèque, médiathèque...),le chômage et l’absence de logement. Leur vieressemble de manière caricaturée à celle des bêtes desomme.Manger et dormir ou comment renouveler ses forcesphysiques pour affronter d’autres lendemains. Les citéssont réduites à une seule fonction: assurer le sommeilde leurs habitants.Livrés à eux-mêmes et sans aucune autre forme dedistraction, certains jeunes noient leurs préoccupationsdans la consommation de drogue, de psychotropes oude projets qui entretiennent l’illusion d’un départ définitifde cette terre qui les a vu naître. Une manière sanséquivoque de dire leur désamour. Rompre le cordon

ombilical. Comble de l’ironiec’est vers les pays occidentauxen proie à une crise qui risquede porter un coup fatal àl’Union européenne que lechoix de quelques-uns d’entreeux s’est porté.«950 Algériens clandestinssont détenus depuis plusieursmois en Grèce alors que lenombre total d’immigrants quiont rejoint illégalement cepays s’élève à plus de 5000»,révèle TSA dans uneinformation répercutée surson site le 15 septembre 2010et qui s’appuie sur une étude

financée par l’Union européenne. Un choix qui peutparaître curieux de prime abord lorsque l’on sait que lacrise qui affecte ce pays risque de faire imploser la zoneeuro.L’Espagne, une destination très prisée par les Algériensétant en première ligne. 58 immigrés d’origine algérienneont été interceptés à bord de quatre embarcations, dansla région de Murcie (sud-est), a rapporté il y a 72 heures,une dépêche de l’AFP. «Dix-sept émigrants clandestinsalgériens ont réussi à atteindre, dimanche 3 octobre, l’îleespagnole de Majorque sains et saufs.Les 17 clandestins étaient partis de Cap Djinet dans lawilaya de Boumerdès à bord d’un chalutier», a déclaréhier à TSA un de ces candidats à l’immigration clandestinedans une conversation téléphonique avec TSA. Enl’absence de repères et de prise en charge sérieuse deses préoccupations, la jeunesse algérienne fout le camp.Peu importe la destination. L’essentiel c’est de fuir.

Mohamed TOUATI

La mal-vie pousse des milliers de jeunes algériens à quitter le pays

Le carburant du désespoir

04 octobre 2010

Page 7: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

7

NRP, février 2011, n°6

DOSSIER

Les réformes engagées il y a plus de vingt ans en Algérie et dans lesautres pays du Maghreb produisent des impasses sociales et des crisespolitiques majeures. Mohamed Bahloul, économiste, directeur de l’IDRHà Oran, identifie, avec beaucoup de clairvoyance, les obstacles surlesquels a buté l’ouverture de marché en Algérie et au Maghreb. L’échecest colossal.Tout en sachant que c’est un phénomène devenu caractéristique de lasociété algérienne, est-ce que, néanmoins, cette vague d’émeutes quisecoue le pays vous a surpris ?C’est un mouvement social qui était prévisible. Plusieurs analystes etobservateurs ont pointé du doigt les menaces et les dangers qui pèsentsur la situation sociale globale dans le pays, il y a déjà plus de 2 ou 3 ans.Les signes avant-coureurs de ce mouvement social s’exprimaient déjàavec des micro-émeutes ou bien des émeutes de basse intensité,localisées dans des endroits et régions différentes du pays. Cemouvement social exprime une colère et un ras-le-bol général dontl’issue n’est pas connue. Je ne pense pas que l’issue de ce mouvementpuisse être perçue par un quelconque analyste. La situation évolue trèsvite.On a pu faire le parallèle et la similitude avec le soulèvement en Tunisie,comme si c’était une sorte d’enchaînement. Est-ce que vous êtes de cetavis ?Je pense qu’on peut faire le parallèle sur un point précis. A savoir l’échecdes réformes économiques et sociales dans l’espace maghrébin, demanière générale et, au-delà, on peut y ajouter l’Egypte en intégrantl’Afrique du Nord. Il est regrettable de remarquer que, sur ces 20 dernièresannées, tout le travail d’investissement sur le changeant n’ait pas donnéde résultats escomptés. Ce qui est très important, c’est que, y compris laTunisie, qui a plus ou moins réussi sur le plan économique, se trouveaujourd’hui confrontée à des mouvements de rue. Ce qui montre qu’il ya trois types de problèmes communs aux pays maghrébins. :Le premier c’est le chômage. Et ce n’est pas le taux de chômage qui estalarmant. C’est la composition sociologique de celui-ci. C’est un chômagede jeunes, instruits, généralement diplômés issus et localisés en milieuurbain. Donc le chômeur maghrébin est un chômeur jeune, instruit eturbain. Ce qui concentre et ramasse un potentiel de contestation et derevendication extrêmement important. Donc c’est la compositionsociologique du chômage et la nature du chômeur qui posent problème.Et non le taux sur lequel souvent on insiste. C’est cette composantesociologique qui présente un mélange détonant et n’a jamais été traitée,que ce soit en Algérie, au Maroc, en Tunisie ou même en Egypte.Le deuxième problème est la question de la répartition des revenus. Lalibération des forces du marché dans ces pays a donné lieu à unerépartition très inégalitaire des richesses et des revenus. On assistebeaucoup plus à des logiques d’enrichissement que de création derichesses, des logiques de précarisation que de stabilisation etd’intégration, d’inclusion, notamment des jeunes et des forces socialesqui ont émergé à la faveur des réformes économiques.Le troisième point concerne surtout le mode de gouvernance. C’est unmode de gouvernance excluant, désintégrant, même s’il essaie definancer la paix sociale. On remarque que, plus on avance dans lesréformes et l’économie, il y a une désintégration du tissu social, unedestruction des liens sociaux, des formes de cohésion sociale. Lesréformes économiques dans les pays du Maghreb n’ont pas ététravaillées par des échafaudages et une architecture de mise en cohésiondes forces économiques et sociales. Ce qui s’est fait dans des paysémergents comme la Chine, l’Inde et surtout le Brésil. Plus on réforme,plus on donne aux dynamiques économiques concurrentielles de la placeet de l’espace, plus on fabrique de la cohésion. Et cela pose le problèmede la formation d’un Etat capable de fabriquer des institutions quirégulent et encadrent le marché. Là, on a échoué totalement, y comprisen Tunisie.En quoi la particularité du profil du chômeur maghrébin aurait-elle des

«La sociologie du chômage représente un mélangedétonant au Maghreb»

incidences sur le soulèvement que nous vivons ?Comme je l’ai dit, le profil du chômeur qui fonctionne actuellement estcelui d’un type jeune, diplômé et urbain qui concentre une culture et unesprit de contestation important. Ses besoins de base en alimentation,en logement, en emploi, en revenu, sont importants. Mais aussi sesbesoins radicaux en termes de liberté d’expression, d’association,d’organisation, de loisirs, etc…, le sont également. On n’a pas surépondre à ces besoins jusqu’à présent.[...]Est-ce que vous pensez qu’il n’y a que des paramètres économiques quiexpliquent ces émeutes ?Pas du tout. L’économie est politique et particulièrement lorsqu’on estdans une période de changement institutionnel et structurelle del’économie A chaque fois qu’on engage des réformes, il faut développerune stratégie de communication et d’institutionnalisation des conflitsqui naissent. Tout changement est porteur de conflits parce qu’il metfin à des intérêts et en fait naître d’autres. La meilleure manière est, aumoment de la mise œuvre des réformes, de fabriquer des institutionspour réguler ces conflits. Plus qu’une crise politique, nous vivons unecrise du politique. Ce qui est remarquable dans les pays maghrébins,c’est le fait que les dynamiques de changements sont porteusesd’exclusion d’une frange importante et sensible de la population, àsavoir les jeunes et ceux issus du milieu urbain. C’est pourquoi cesderniers versent dans le désespoir, le pessimisme voire le nihilisme.C’est ce qu’expriment les formes de contestation auxquelles nousassistons aujourd’hui.Vous avuez participer à l’élaboration d’un vaste projet de relance àmoyen et long terme de l’économie algérienne. Serait-il tombé à l’eau ?Il est en stand-by. Il concerne la stratégie industrielle et a pour objectifjustement de relancer l’économie nationale sur des bases sûres etdurables. C’est-à-dire en réindustrialisant le pays et en faisant appuyerla création d’emplois durables sur l’industrie et les services et non passur l’économie informelle ou sur les investissements publics tirés par lebudget qui sont, malgré toute leur importance en terme d’effet d’impactsur la vie des gens, inefficaces en matière de création d’entreprises etd’emplois durables. La problématique fondamentale est de fonder unenation manufacturière qui crée de l’emploi et répartit des revenuséquitablement. Et se met en situation de compétitivité par rapport auxautres nations, dans un marché mondial de plus en plus ouvert et dur surun plan concurrentiel.Est-ce que vous pensez que ça été une erreur de la part des pouvoirspublics d’avoir brutalement intervenu par la taxation sur le marché desproduits de première nécessité ?Il faut faire la part des choses. Nous assistons à un grand retour de l’Etatpour récupérer ses périmètres de mission régalienne. Et il a échoué àintervenir dans la régulation des marchés, dans la restructuration del’économie, notamment dans son poumon le plus nocif, à savoirl’économie informelle. L’ensemble des mesures prises, y compris celled’utiliser le chèque à concurrence de 500 000 da, étaient destinées àaffirmer le retour de l’Etat. Sans lesquelles un marché productif ne peutse mettre en place. C’est un échec total. Il faut revoir les choses demanière globale. L’économie informelle ne peut pas disparaître par desdémarches répressives. Elle ne peut être réduite qu’à travers desdémarches inclusives. Où les forces économiques doivent trouver uninterlocuteur et doivent pouvoir payer le coût de la légalité, d’accès àcelle-ci. C’est quoi un marché informel ? Les gens qui fuient la légalité lefont parceque son coût est élevé. Si on leur donnait de s’intégrer dansl’économie formelle en payant un coût équitable, on pourrait réussir lepari.[...]

30 decembre 2010

Mohamed Bahloul, économiste,directeur de l’IDRH au Quotidien d’Oran:

Page 8: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

8

NRP, février 2011, n°6

[E

CO

NO

MIE]

Mourad BENACHENHOU

La situation d’inflation accélérée queconnaît actuellement l’économie al-gérienne est si grave qu’il est néces-saire de l’aborder de manière, si cen’est exhaustive, du moins suffisam-ment systématique pour que le défiqu’elle pose soit compris et pris encharge. C’est pour cela que l’exposésuivant est présenté sous la forme deseize points :1- Bien que l’IPC (indice des prix à laconsommation) ne reflète pas demanière exacte l’évolution des prixde tous les biens et services commer-cialisés dans un pays déterminé, il estconsidéré comme un indicateur suf-fisamment fiable du taux d’in-flation à l’échelle nationale.Quel que soit son mode de cal-cul ou la composition du panierde produits qu’il comporte, cetindice est utilisé, universelle-ment, par les différents ac-teurs économiques nationauxou internationaux qui ont be-soin de savoir comment lesprix évoluent dans leurs pays,et à l’échelle internationale,pour déterminer les prix deleurs propres produits, élabo-rer leurs plans d’affaires, pro-jeter leurs besoins en investis-sements et les coûts de ces in-vestissements, ou simplementétablir leur budget familial etleurs objectifs d’épargne per-sonnelle.2- Au vu de son importancedans une économie de marché, oùles décisions d’investissement, deproduction, comme de consomma-tion sont guidées par les prix des pro-duits en cause, l’IPC, dont le calculdépend, dans tous les pays, des auto-rités publiques, doit être calculé detelle manière que sa fiabilité ne soitpas sujette à caution, et qu’il reflète,avec autant de précision que possi-ble, l’évolution de la valeur de la mon-naie locale ou de son pouvoir d’achat.3- Le calcul de l’IPC est établi à partird’une enquête de consommationdans une année déterminée, qui per-met aux statisticiens de concevoir unmodèle de consommation, qui ré-vèle les habitudes de consommationd’une partie de la population suffi-samment importante pour qu’elle

donne une image aussi proche quepossible de la réalité des dépensesles plus courantes des ménages.4- En Algérie, et jusqu’en 2008, l’en-quête de consommation, sur la basede laquelle cet indice était établi, da-tait de 1989, c’est-à-dire d’une annéeoù l’Etat jouait encore un rôle déter-minant dans la fixation des prix etdans la production et la distributiondes produits de grande consomma-tion, comme dans l’établissementdes loyers. A compter de 2009, l’IPCa été calculé sur la base d’une en-quête de consommation datant de2000.5- Or, entre 1989 et 2001, et de 2001 àce jour, l’économie algérienne achangé du tout au tout, quoique

dans sa structure de base, elle restedominée par le secteur des hydrocar-bures. L’intervention de l’Etat dansla fixation des prix s’est fortementréduite. La liste des produits subven-tionnés ou dont les prix sont régle-mentés est devenue marginale dansle panier de la ménagère. De plus,les écarts de revenus se sont creu-sés entre la couche la mieux nantiede la population et la classemoyenne, composée essentielle-ment de salariés. Plus important en-core, l’ouverture de l’économie aabouti à la mise à disposition du con-sommateur de produits d’importa-tion variés qui ont été intégrés dansson plan de dépenses journalières.[…].

6- Donc, l’IPC, comme il est établiactuellement, ne reflète pas demanière fiable l’évolution des prixà la consommation, telle que res-sentie par la population et, par voiede conséquence, sous-estime laperte du pouvoir d’achat du dinarque ressentent les consomma-teurs. Sur le plan international, parailleurs, les autorités publiques al-gériennes ont marqué certainesréticences à adopter une démar-che normalisée de calcul de l’IPCqui permette de comparer, demanière acceptable, l’inflation al-gérienne à l’inflation dans d’autrespays. […].7- Si l’inflation était aussi basse que

l’indique l’IPC publié parl’ONS, on peut se deman-der pourquoi une institu-tion importante vient d’ob-tenir pour ses fonctionnai-res une augmentation ex-traordinaire de double-ment des salaires avec ef-fet rétroactif sur une an-née. En supposant mêmeque cette augmentation,qui vient s’ajouter à desprimes discrétionnairesdonnées à l’occasiond’évènements majeurs detout type, a simplementpour objet un rattrapage depouvoir d’achat des salai-res, elle apparaît commeinfondée, à moins que lesautorités publiques elles-mêmes n’accordentaucune crédibilité à l’IPC,

pourtant établi et diffusé par uneinstitution off icielle. Cette aug-mentation, […], constitue un dé-menti cinglant à l’IPC qui, officiel-lement, n’aurait pas dépassé les4,8 % en moyenne au cours decette année.8- L’économie algérienne connaîtun taux d’inflation supérieur à cequ’annonce l’IPC, qui ne reflètemême plus le panier de la ména-gère, puisque sa base de calcul esten retard par rapport à l’évolutiondes revenus et des modèles deconsommation, vécue par l’Algé-rie au cours de ces dix dernièresannées : on ne peut, à la fois, jurerde la fiabilité de cet indice et affir-mer que l’économie algérienne a

L’Inflation, cet acide qui ronge l’économieet la société algériennes

Page 9: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

9

NRP, février 2011, n°6

[E

CO

NO

MIE]

subi des bouleversements profonds; il faut choisir : ou l’économie danstoutes ses composantes de produc-tion, de consommation, de distribu-tion, de structure de revenus, achangé lors de ces quelques dix an-nées, et l’IPC ne reflète pas ces chan-gements ; ou cette économie a sta-gné et donc, tout ce qui est dit etécrit sur elle est loin de représenterla réalité des choses.9- L’inflation, on ne le répétera pasassez, est un phénomène monétairedont la maîtrise ressortit exclusive-ment aux autorités publiques. […].Or, du fait même de l’augmentationdu prix du pétrole à l’échelle inter-nationale et de l’accroissement desrecettes en devises, et donc des ré-serves de changes, qui consti-tuent une des contrepartiesde la monnaie en circulationdans l’économie, la massemonétaire a augmenté de ma-nière quasi automatique ; deplus, les autorités publiques,disposant de plus de ressour-ces fiscales, se sont lancéesdans un programme mons-trueux de remise à niveau desinfrastructures, contribuant àaccroître la pression sur la de-mande de biens et services.L’ineff icacité générale del’économie, dans laquelle larelation entre le niveau des in-vestissements et leur rende-ment (…) est encore extrê-mement bas, a poussé les prixà la consommation encore plus hautque ce qui aurait pu être attendu del’augmentation de la masse moné-taire découlant directement de l’ac-croissement du montant des devi-ses entrant à la Banque centrale.10- Il est évident que la corruption,dont la généralisation n’est plus àprouver, […], a contribué fortementà pousser encore plus haut l’infla-tion. Comme l’écrivent TeymourRahmani et Hana Yousefi (dans «Cor-ruption, Politique monétaire et Infla-tion, Une Comparaison inter-pays »).« Plus de corruption entraîne untaux d’inflation plus fort (p.2)… Lacorruption cause l’augmentation di-recte de l’inflation en augmentantles dépenses gouvernementales…Cependant, il y a un canal indirect autravers duquel la corruption accroîtle taux d’inflation. Puisque le tauxde croissance du PIB est plus bas etla recherche de rente est plus éle-vée, et puisque l’effet inflationnistede la croissance de l’offre de mon-

naie est plus élevé quand le taux decroissance est plus bas, plus le tauxd’inflation est élevé, plus la corruptionest forte ». (p.8)11- Ces auteurs corroborent leurs con-clusions pas une étudeéconométrique qui effectue la com-paraison entre le niveau de corruptiondans un groupe de pays et l’impor-tance de l’inflation dans ces pays. Ilne s’agit nullement de paroles en l’airou de suppositions que n’appuie-raient aucunes données chiffrées.12- Le taux d’inflation a atteint un ni-veau insupportable et constitue unrisque politique, et donc sécuritaire,qui ne peut simplement pas être com-battu par la force brute contre ceuxqui sortent dans la rue pour exprimer

leur désespoir de voir leur niveau devie et le pouvoir d’achat de leurs mai-gres salaires réduits peu à peu, maisde manière accélérée depuis cetteannée. Le déclassement social causépar l’inflation est un phénomène ex-trêmement dangereux et peut abou-tir à des conséquences incalculablessur les plans tant économiques quepolitiques et sécuritaires. Le peu decrédibilité que l’on est en droit d’at-tribuer à l’IPC officiel accroît d’autantplus les risques, parce que les autori-tés, comme les citoyens, ne saventpas exactement jusqu’à quel point ladétérioration du pouvoir d’achat dudinar est arrivée. […].13- Pourquoi les autorités publiquessont-elles indifférentes à une inflationélevée ? La première réponse estqu’elles sont conscientes de leurs res-ponsabilités dans l’accélération de cephénomène, mais qu’elles en éva-luent l’importance en fonction desobjectifs de leur propre démarchepolitique qui sous-tend leur pro-

gramme de dépenses publiques.Si leur objectif est d’élargir leurbase politique en intégrant le maxi-mum de personnes dans le circuitde distribution de la rente, il estévident qu’elles considèrent l’in-flation comme un épiphénomènesans importance, vu que la clien-tèle politique qu’elles recherchenty est peu sensible, car elle a soit lepouvoir d’ajuster le prix de ses ser-vices en fonction de l’évolutionglobale des prix, soit qu’elle est as-surée de garder son pouvoird’achat par un accès amélioré à larente. D’autre part, les autoritéspubliques ont le loisir de réévaluerles dépenses nécessaires à leursopérations, sans avoir, par défini-

tion au vu du système politi-que actuel, à rendre compteen détail des raisons expli-quant les dépassements decrédits. […].14- L’expérience des criseséconomiques et sociales pas-sées ne semble pas promet-tre que les autorités publi-ques prendront au sérieux, etrapidement, cette maladiegrave qu’est l’inflation ; on avu que, dans des circonstan-ces où pratiquement l’Etat al-gérien était en danger d’ef-fondrement, il a fallu beau-coup de sang et de pressionspour que les mesures adé-quates soient prises. […].15- L’inflation, […], est unacide qui touche au plus pro-

fond de la société et de l’écono-mie : il pousse à la démoralisationtant des consommateurs que desinvestisseurs et des producteurs ;il laisse la voie aux spéculateurs ; ilforce littéralement à la corruptiondes gens, qui dans un contexte destabilité des prix, seraient peu por-tés à vendre leurs services de ma-nière clandestine ; il détruit la mo-ralité publique en encourageantles comportements antisociaux,de l’usage de la drogue à la prosti-tution, avec tous les autres typesde crimes qui s’y attachent direc-tement ou indirectement. […].16- En conclusion, un Etat sérieuxet conscient de ses responsabili-tés prendrait à bras-le-corps cephénomène dangereux et met-trait en place une politique cohé-rente et complète de lutte contrel’inflation, dont le seul taux ac-ceptable est zéro. […] !

30 décembre2010

Page 10: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

[DR

OIT]

10

NRP, février 2011, n°6

Salima TLEMÇANIEn dépit de certains «progrès», ilreste beaucoup à faire pour amélio-rer la situation des droits de l’hommeen Algérie, notamment en matièrede lutte contre la corruption, de priseen charge du phénomène de laharga, des violences à l’égard desfemmes, de garde à vue et de dé-tention préventive. C’est ce qui res-sort du rapport de 2009, établi par laCNCPPDH, rendu public hier. Ce do-cument de 142 pages relève «desavancées», mais également de nom-breux points noirs. Parmi ces der-niers, les graves violations en matièrede garde à vue. Selon la Commission,«les personnes placées en garde àvue subissent parfois des sévices etautres brutalités et sont soumises àde fortes pressions psychologiquesn’ayant aucun rapport avec les faitsqui leur sont reprochés. Leurs droits,tels que prévus par le code de pro-cédure pénale, ne sont pasrespectés». Plus grave, ilest précisé que «les inter-rogatoires sont menés par-fois par des subalternesn‘ayant aucune qualité niformation, qui ont ten-dance à user de la manièreforte, qui violent l’intégritéphysique de la personnegardée à vue au mépris durespect de la personne hu-maine. De même, les cel-lules de garde à vue fontface à un sérieux problèmed’hygiène». Il est égale-ment rappelé le «non-res-pect» des dispositions del’instruction interministé-rielle (Défense, Justice et Intérieur)définissant les relations hiérarchi-ques entre l’autorité judiciaire et lapolice judiciaire (PJ) dans le domainede la direction, la surveillance et lecontrôle des activités de la PJ. De-vant ces faits, la CNCPPDH demandel’amendement du code de procé-dure pénale pour une «protectioneffective» des droits de la personnegardée à vue «dont l’intégrité ne doitêtre violée ni par l’officier de la po-lice judiciaire ni par les agents de ceservice». De même qu’elle recom-mande la mise en place, au niveaudes services de la PJ, de l’Intérieuret de la Défense d’une cellule auprèsdu directeur en charge de la PJ dontla mission est de contrôler les lieuxde la garde à vue et de veiller à ceque les droits de la personne gardée

soient respectés. La corruption, unfléau qui mine les fondements del’état Ainsi, pour la Commission, lacorruption «mine» les fondements del’Etat et fait perdre aux citoyens laconfiance en leurs institutions. Enoutre, la «correctionnalisation» a eudes effets sur la détention provisoirelimitée à 8 mois, permettant aux in-culpés de comparaître libres. De cefait, «il y a lieu de mesurer la diffé-rence entre le délit de corruption,dont la peine encourue est de 2 à 10ans de prison, et le vol collectif avecarme apparente ou cachée, même sic’est un coupe-ongles ou un canif,condamné à la réclusion criminelle àperpétuité».Harga, symbole du désespoir et de

la détresse socialeLa Commission s’interroge sur le re-tard enregistré dans l’installation de

l’organe national de lutte contre lacorruption, mais également sur l’exé-cution «timide et limitée» du décretportant déclaration de patrimoine.Elle demande que «la justice puisseexercer pleinement ses attributionsà travers une instruction à charge età décharge sans interférence du par-quet général, ni de la chancellerie, nide la police judiciaire, et que les hau-tes fonctions dévolues aux cadres del’Etat soient limitées dans le tempsafin d’éviter toute dérive». Abordantla question de la harga (émigrationclandestine), la CNCPPDH considère«inconcevable» qu’un problème so-cial reçoive pour seule réponse uneaction «répressive privative de li-berté». Elle appelle à la«décriminalisation» de l’acte de hargaen rappelant les réactions virulentes

des juristes et des associationscontre «la démarche répressivepréconisée pour faire face au dé-sespoir, à la détresse sociale et àla quasi-inexistence d’un avenir» ;elle regrette «la pénalisation dudésespoir» et propose de rempla-cer la peine d’emprisonnementpar «une amende symbolique, derendre plus lourdes les peines con-tre les membres des réseaux quiorganisent les voyages de la mortet de se focaliser sur la consolida-tion les droits sociaux des ci-toyens». Le rapport de laCNCPPDH cite des enquêtes etstatistiques inquiétantes sur lephénomène. Selon ces données,325 Algériens illégaux ont été in-terceptés par les marines italienneet espagnole en 2009, alors queles autorités européennes de con-trôle aux frontières aff irment

avoir constaté que 65%des clandestins arrêtésen Espagne en 2009 pro-venaient d’Algérie. Uneétude réalisée par la Sû-reté nationale et une en-quête du Ceneap ont éta-bli que pas moins de 60%des jeunes scolarisés ontdes perspectives floues,73% n’ont aucun cadre devie, 58% ne pratiquentaucune activité sportive,90% n’adhèrent à aucuneassociation et 33% rêventde s’installer à l’étranger. Les violences à l’égard

des femmes, unesituation préoccupante

Pour ce qui est de la situation desdroits des femmes en Algérie, laCommission souligne que «les vio-lences contre les femmes sont detout ordre et s’exercent dans tousles milieux. Elles sont souvent im-punies car non dénoncées, nonreconnues et surtout tolérées ausein de la société, tandis que dansla sphère publique, le harcèle-ment au travail est devenu préoc-cupant d’autant plus que les victi-mes sont souvent confrontées àd’immenses pressions sociales quiles empêchent de signaler ces vio-lences». Plus pernicieuses, ajoutele rapport, d’autres formesd’agression dénotent de la situa-tion de précarité dans laquelle setrouve la moitié d’une société ti-raillée entre ceux qui veulent aller

Graves violations lors des gardes à vueEn dépit de certains «progrès», il reste beaucoup à faire pour améliorer la situation des droits de l’homme enAlgérie, notamment en matière de lutte contre la corruption, de prise en charge du phénomène de la harga,

des violences à l’égard des femmes, de garde à vue et de détention préventive. C’est ce qui ressort du rapportde 2009, établi par la CNCPPDH, rendu public hier. Ce document de 142 pages relève «des avancées», maiségalement de nombreux points noirs. Parmi ces derniers, les graves violations en matière de garde à vue.

Page 11: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

[DR

OIT]

11

NRP, février 2011, n°6

vers la modernité et ceux qui s’y re-fusent. De ce fait, la CNCPPDH af-firme que les violences «doivent êtreconsidérées comme un délit grave etune violation fondamentale desdroits de l’homme. Les auteurs doi-vent être tenus pour responsables deleurs actes. Il faut les obliger à chan-ger de comportement sous peine desanctions allant jusqu’à leur expul-sion hors du foyer familial ou leur éloi-gnement». Elle met l’accent sur l’in-suffisance des structures de prise encharge des victimes de violences etpropose la mise en place de program-mes de sensibilisation et de forma-tion du public en vue de prévenir con-tre le phénomène, et ce, avec l’im-plication du mouvement associatif.Concernant les droits politiques, laCommission appelle à la levée de lamention «assemblée élues» conte-nue dans l’article 31 bis de la Consti-tution qui prévoit un quota de 30%de femmes sur les listes des candida-tures aux assemblées élues, qu’ellejuge «restrictive».

Constat inquiétant des centrespour handicapés

La CNCPPDH dresse une situation in-quiétante prévalant au sein des éta-

08 décembre2010

blissements publics de prise encharge des enfants handicapésqu’elle a eu à visiter en 2009. Elleconstate que tous les centres sontconçus en dehors de toute préoccu-pation liée à la spécificité des enfantsaccueillis ; ils sont dotés d’un mobi-lier scolaire pour adultes et d’équi-pements (portes, cuisines, lavabos,toilettes) non conformes à cette ca-tégorie de pensionnaires. Elle cite lecas de l’école Taha Husein de Biskrapour enfants malvoyants conçue demanière que l’enfant soit assisté toutau long de sa scolarité du fait de l’ab-sence de toute aide à l’autonomiedans sa mobilité. Par ailleurs, la Com-mission qualifie de «plaie» la situationau sein des services de santé publi-que qu’elle a visités en 2008 et dontles recommandations, écrit-elle, res-tent d’actualité. Elle juge nécessairede doter les services d’urgence demoyens humains et matériels, d’yaffecter un nombre suffisant de mé-decins urgentistes expérimentés etde veiller à ce que ces derniers assu-rent leurs obligations durant la nuit.S’agissant des conditions sociopro-fessionnelles du personnel, la Com-mission estime que la prise en charge

doit constituer «une urgence»pour les pouvoirs publics à traversune «revalorisation conséquente»du salaire et des indemnités affé-rentes ainsi que le bénéf iced’avantages matériels pour leschefs de service du rang de pro-fesseur. La CNCPPDH relève qu’enAlgérie, aussi bien les hommespolitiques que les cadres de l’Etatse font généralement soigner àl’étranger par le biais d’une priseen charge par la Caisse nationaled’assurances sociales. «Ce qui dé-montre que les élites n’ont aucuneconfiance dans le système natio-nal de santé, bien que dans leursdéclarations publiques, elles nefont que l’encenser (...). Il seraitjudicieux de mettre un terme à detelles pratiques ou de déclarer quepour certaines spécialités, le re-cours aux soins à l’étranger con-cerne tous les citoyens», relève lerapport de la CNCPPDH.

La Banque d’Algérie vient de préci-ser que les entreprises étrangères dedroit algérien ne pourront plus béné-f icier de crédits transférés depuisl’étranger pour leur fonctionnement,en vertu d’un engagement anciendes autorités à ne plus s’autoriser dedette extérieure.Dans une note datée du 9 décembremais rendue publique lundi par lapresse, les autorités financières pré-cisent que les entreprises étrangè-res de droit algérien devront obtenirdes crédits en interne, libellés en di-nars, la monnaie algérienne.Elles avaient en effet constaté qu’uncertain nombre de ces sociétés con-tinuaient à obtenir des fonds de

l’étranger, nommément de leur mai-son-mère, pour leur fonctionne-ment, provoquant une augmenta-tion de la dette extérieure à courtterme (de 60 jours à un an).Les avances de trésorerie sont assi-milées par la Banque d’Algérie à del’endettement extérieur, interdit of-f iciellement par la loi de f inancescomplémentaire 2009 qui n’autoriseque le recours aux financements lo-caux en dinars.L’Algérie avait pris il y a quelques an-nées la décision de rembourser sadette et d’en finir avec la dette exté-rieure, au vu de ses fortes ressour-ces en hydrocarbures. Aujourd’huil’Algérie a payé la quasi totalité de sa

dette, qui s’élevait à 486 millionsde dollars à fin 2009.Elle demande à ce que les entre-prises déclarent tous les créditsextérieurs et aux banques d’invi-ter leurs clients qui bénéficientd’avances en trésorerie de la partde leur maison-mère, d’intégrerles sommes correspondantes dansle capital de la filiale et ce, avant laf in de l’année 2010, dans uneautre note datée du 14 décembre.Cette date butoir étant trop pro-che, des négociations devraientavoir lieu sur une demande de re-port à mars ou avril, selon des sour-ces informées.Autre casse-tête avec ces disposi-tions: en cas de société mixte,l’augmentation de capital par inté-gration des avances change la ré-partition entre partenaires fran-çais et algérien. Pour maintenenirla répartition initiale, il faudra quela partie algérienne procède éga-lement à une augmentation decapital ou il faudra faire appel à unpartenaire supplémentaire local.

Les sociétés de droit algérien ne pourront plus bénéfi-cier de crédits étrangers

20 décembre2010

Page 12: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

12

NRP, février 2011, n°6

[C

ULT

UR

E E

T M

ÉD

IAS]

Mohamed BENSALAH

30 decembre 2010

Excepté quelques soubresauts ici ou làet quelques initiatives courageuses pri-ses par certains pays, la création filmi-que du monde arabe semble en stand-by, cédant, ici, à la facilité, là, à la débi-lité, voire au nihilisme.[...] Le monde arabe ne manque ni decréateurs de talent, ni de compétences,ni de savoir-faire technique. Mais, mal-gré tous ces atouts, le moins que l'onpuisse dire, c'est qu'il ne brille pas parsa cinématographie. La production, ladistribution et l'exploitation se trouventdans une situation des plus précaires.[...] Loin d'être considéré comme un champd'activité prioritaire, le cinéma danscette contrée est toujours appréhendécomme un fardeau à risques pour lesresponsables politiques qui s'en déles-tent avec empressement. La réductiondes libertés et des capacités de manœu-vre des professionnels du 7ème art agrandement contribué à restreindrel'exercice du métier. Combien de cinéas-tes, d'artistes et de créateurs ont finipar laisser leurs ambitions se dégrader? Combien d'autres ont opté pour le si-lence, alors qu'ils avaient tant à dire, tantà exprimer ? Combien de Fellini, deJancso, de Bunuel et de Bergman ara-bes ont été sacrif iés sur l'autel de labêtise ? Parler aujourd'hui de cinémaarabe ne veut point dire l'isoler, et en-core moins le ghettoïser à l'intérieur deses frontières, mais plutôt l'aider àémerger et à survivre en l'intégrant aumonde culturel duquel il est exclu. A l'ori-gine, par « Cinéma arabe », on entendaitle cinéma égyptien. L'Egypte, qui dès lesannées 20 s'était dotée d'une infrastruc-ture industrielle, a longtemps dominéet domine toujours commercialementle reste du monde arabe, à tel point quele parler au Caire s'est imposé de l'Indo-

nésie au Maroc. Cet hégémonisme a fini par s'estom-per du fait de l'avènement des nouvel-les technologies. La proximité linguis-tique et géographique a fait que lespays arabes étaient les seuls destina-taires de cette industrie avant que leLiban, en raison de sa proximité avecles capitaux, puis la Syrie, l'Irak, la Jor-danie et les pays maghrébins n'émer-gent au grand jour. [...] Du fait de la diversité fondamen-tale des œuvres, de la singularité deleurs thématiques, de leurs langages etaccents et de leur orientation spécifi-que, les cinématographies arabes sontdifficilement réductibles à une classifi-cation schématique. Il va de soi quel'œuvre de chaque cinéaste est unique.Chaque auteur ayant une origine so-ciale, une formation et des motivationspersonnelles. D'autre part, les filmsproduits sporadiquement ne sont pasen nombre suffisant pour que nouspuissions parler d'un mouvement oud'une école ayant ses propres particu-larités à l'instar des cinémas cubain oulatino-américain. Les traits distinctifsde ce cinéma se dessinent donc à par-tir de la diversité des imaginaires et del'originalité des productions, mais sontaussi fonction des influences diverses,des pesanteurs sociales et des menta-lités et du contexte politique, écono-mique, culturel et commercial de cha-que espace géographique. Les valeursintrinsèques de cette production nepeuvent donc, en aucun cas, refléter unmême état d'esprit.L'art cinématographique en général, etle 7ème art arabe en particulier, setrouve aujourd'hui à la croisée des che-mins Durant les années 70, on a assistéau développement d'un cinéma qui sevoulait critique et qui cherchait à con-tribuer aux transformations que lesous-développement exigeait, un ci-néma qui s'efforçait de refléter la réa-lité du quotidien. Mais les réalisateursengagés dans la création produisaient,bien malgré eux parfois en raison ducontrôle tatillon de la bureaucratie, desfilms en apparence progressistes, maisqui se révélaient être, en réalité, desfilms de dénonciation superficielle,sans orientation politique définie, con-fus, paternalistes pour ne pas dire po-pulistes. L'Algérie, microcosme despays arabes, n'a pas fait exception à larègle. Après avoir développé desœuvres de grandes factures, sérieuses,graves, pleines d'humour et de talent,notre pays a longtemps laissé ses am-bitions se dégrader.[...] L'autre aspect,non moins négligeable, est celui de lavisibilité de cette production et de l'ac-cès aux films. Les films arabes ne bé-

néficient d'aucune campagne publici-taire et ne circulent pour ainsi dire pas.De ce fait, mal connus et même mé-connus par ceux-là mêmes à qui ils sedestinent, ils demeurent inexistants.La jeunesse, qui constitue le public pri-vilégié des salles, et dont le goût a étéfaçonné par des années de consom-mation de navets, boude les films ara-bes et leur préfère le monde de simu-lacre et de leurres que lui procurentles films d'évasion occidentaux. De-puis lors, le cinéma arabe a évolué aurythme des mutations de la société.Si nous nous félicitons de ce que desœuvres de qualité aient été produitesdurant cette dernière décade, nousdéplorons malheureusement l'ab-sence de solidarité et de cohésionentre pays arabes que rien ne distin-gue, sinon des régimes politiques trèsdifférents. Revivif ier ce secteur nerelève ni du miracle, ni du hasard. Enplus d'une ferme volonté politique etdu soutien indéfectible, moral et fi-nancier de l'Etat, la réussite d'une ac-tivité culturelle de cette envergure né-cessite du temps, de la persévérancede la compétence et de l'esprit d'ini-tiative.[...] Un festival de cinéma arabe n'ade sens que si l'arabité se traduit parune mise en commun des moyens deproduction afin de rompre avec la dé-pendance économique et technologi-que actuelle. Le combat sur ce frontest décisif. Les films produits par lesinstitutions publiques se doivent departiciper à la promotion et au déve-loppement de la culture et de la civili-sation arabe. Certes, les productionspertinentes et de qualité se sont raré-fiées. Des œuvres riches et passion-nantes telles celles d'un Salah AbouSeif, d'un Chahine ou d'un Tewfiq Salahfont partie du passé ; cela dit, certainsfilms récents atteignent une grandecapacité expressive et esthétique touten exprimant les préoccupations iden-tiques à l'égard de la culture vernacu-laire, de la mémoire populaire et deslibertés fondamentales des citoyens.[...]Certes, le cinéma ne peut à lui seulchanger les choses. Formulons tou-tefois le vœu, en ce début d'année2011, que cette grande nation riche etprospère qui plus est, dispose de nom-breux atouts et de grandes potentia-lités, émergecinématographiquement au grandjour et affiche ses ambitions.

Cinémas arabes :La nécessaire convergence des actions

Page 13: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

13

NRP, février 2011, n°6

[C

ULT

UR

E E

T M

ÉD

IAS]

La demande est là. Qu’en est-il de l’of-fre ? Comprendre : les sites d’infor-mation. La «e-press». Depuis le lan-cement de TSA en juin 2007, le fa-meux journal électronique«toutsurlalgerie.com» (devenuwww.tsa-algerie.com après son pira-tage), la presse électronique s’animesur la toile. Certes, l’expérience estencore embryonnaire. Mais force estde constater que les professionnelsdes médias sont de plus en plus nom-breux à être tentés de quitter lapresse traditionnelle pour se lancerdans le journalisme on-line. L’une desraisons de cet engouement est àchercher dans les blocages politico-bureaucratiques qui dissuadent lour-dement les candidats au lancementde nouvelles publications (en pressepapier) de réaliser leur projet, l’ob-tention de l’agrément, le sésame desentreprises de presse, étant extrê-mement difficile sous nos latitudes.Nous avons fait le tour, au cours decette enquête, des principaux four-nisseurs de contenus ayant «pignonsur web», les sites professionnelss’entend, à l’exclusion des portails,blogs et autres réseaux sociaux fai-sant dans le «journalisme citoyen».Objectif : esquisser un premier bilande l’expérience des médias en lignedans notre pays, questionner leurbackground, leur audience, situerleurs contraintes et voir comment sedessine leur avenir à court et moyentermes.La deuxième vie du journalismeDans l’interview qu’il nous a accor-dée (lire entretien), LounèsGuemache, fondateur de TSA, par-lant de sa propre expérience, expli-que : «TSA est né d’une double ex-périence, à la fois dans le journalismeet les nouvelles technologies.» Pré-cisément celle de son fondateurLounès Guemache, qui fut pendantsept ans cadre chez France Télécom.«Dès le départ, nous avons opté pourun positionnement clair : premierquotidien électronique algérien.Nous disons : nous sommes un quo-tidien comme les autres, sauf quenous ne sommes pas imprimés»,

ajoute notre confrère. Trois ans etdemi après sa création, TSA se tar-gue aujourd’hui d’attirer entre 200et 250 000 visiteurs/jour. Sans re-monter jusqu’à «algeria-interface.com», qui fut un site pion-nier, comme le fait remarquer à justetitre El Kadi Ihsane, l’expérience TSAfera très vite des émules. En l’occur-rence, l’année 2010 aura été parti-culièrement faste. C’est ainsi quel’on a vu de nombreux sites d’infor-mation, généralistes ou spécialisés,éclore sur la toile tout au long de l’an-née.C’est le cas notamment demaghrebemergent.com d’El KadiIhsane, site spécialisé dans l’infor-mation économique, de www.viva-lalgerie.com de notre consœurGhania Khelif i ou encore celui deFarid Alilat, «Dernières Nouvellesd’Algérie» (www.dna-algerie.com).D’autres sites, lancés toujours pard’anciens journalistes de la presseécrite, présentent le profil «maga-zine» plutôt qu’agence de presse enligne. C’est le cas du magazine élec-tronique www.espritbavard.com de

Khadidja Chouit, ancienne journa-liste du Matin. Ce dernier s’est misdepuis quelque temps en veilleusepour un problème de modèle éco-nomique. Nous sommes tentés dedire : de modèle culturel tant l’im-plantation de la presse électroni-que est largement tributaire desnouvelles tendances comporte-mentales et de la mutation desmodes de consommation de l’infor-mation, de la culture, du savoir etdes loisirs au sein de notre sociétésous l’impulsion des nouvelles tech-nologies. L’une des premières cho-ses à relever en parcourant rapide-ment les principaux sites de lapresse électronique consacrés àl’Algérie est que la plupart d’entreeux sont «domiciliés» à l’étranger,et tout spécialement en France.Serait-ce lié à quelqueconditionnalité rédhibitoire ? El KadiIhsane aussi bien que KhadidjaChouit qui vivent en Algérie nousont certifié qu’il n’était pas néces-saire d’avoir un agrément pourcréer un journal électronique. Dieumerci ! [...]

74% des internautes algérienspréfèrent utiliser Internetcomme outil d’information.C’est ce que révèle une récente,enquête réalisée par deux boitesalgériennes spécialisées dans lewebmarketing, à savoirMed&Com et Ideatic.

La presse électronique à la conquête dumarché virtuel

- Qu’est-ce qui vous a décidé à quit-ter le géant France Télécom pourvous lancer dans cette entreprise?Je vais raconter pour la première foisl’origine de l’idée de TSA. Dans lecadre de mes activités chez FranceTélécom, je m’occupais de la com-munication managériale. A ce titre,j’avais le privilège d’assister aux sé-minaires organisés au profit des «topmanagers» du groupe (400 sur 180000 salariés). Un jour, le thème étaitles contenus. Pourquoi un groupecomme France Télécom se lançait-ildans un domaine jusque-là réservéaux médias ? Le PDG de FranceTélécom avait alors détaillé la nou-velle stratégie du groupe en matièrede contenus : Internet, TV, foot, etc.La force de ce type de groupe ré-side dans sa façon de faire de l’anti-cipation sur les ruptures de consom-mation et d’usages dans les socié-

tés. Le PDG expliquait alors que dansquelques années, l’internet allaitprendre la place de la presse écrite.C’est à cet instant précis que j’ai eul’idée de TSA : un site de contenussur l’Algérie.- Les médias électroniques posentla problématique du modèle écono-mique. Quelle est la stratégie quevous avez adoptée pour lancer unmédia financièrement viable ?Je trouve que le modèle économi-que des médias électroniques estplus intéressant que celui des jour-naux classiques. Certes, les revenuspublicitaires sont faibles, mais lastructure de coûts est égalementfaible.

Propos reccueillis par M.B.

[Lounès Guemache, journaliste responsable du site d’informationTSA lancé en juin 2007]

«Nous avons été victimes de beaucoup deblocages»

Mustapha BENFODIL

31 octobre 2010

Page 14: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

14

NRP, février 2011, n°6

[M

ÉM

OIR

E]

(…) Le tout-Igli participe à la réussitede ce 11e Marathon des dunes qui s’estdéroulé du 27 décembre 2010 au 2janvier 2011 à Taghit-Igli, deux bellesstations dans cette splendide Saoura.(…) Ainsi, le marathon des dunes (…)est une occasion pour se remettre enforme, s’oxygéner et mesurer sescapacités à travers l’effort, en sillon-nant de beaux sites que la nature amaintes fois remis à l’œuvre. Il est aussi un événement des plus pro-pices pour les retrouvailles, dans un cli-mat culturel et touristique ou la convi-vialité et l’entente sont de rigueur. (…)Sous les applaudissements nourris d’unepopulation en liesse, plantée là, dans cedécor particulier, divinement paré pardame nature qui déploie ses meilleursatours en cette journée de fête (…), lestroupes folkloriques auxquelles se mêlel’odeur forte de la poudre que crachentd’un seul coup, en une parfaiteharmonie, des tromblons et devieux fusils évasés, dans un fra-cas assourdissant. Pour cela, ily a lieu de signaler qu’Igli a par-ticipé, plus qu’ailleurs, sponta-nément, à cette 11e édition duMarathon des dunes, qu’ontabrité les luxuriantes oasis desfins confins de la région de Bé-char. En effet, elle a déployé unnotable effort de mobilisationde toute sa population, accueillante etdémonstrative, pour une participationeffective à cette fête sportive et cultu-relle. Igli, n’a-t-elle pas été bâtie sur celieu de rencontre des oueds Ghir etZouzfana qui forment l’Oued Saoura, cedernier fait son lit le long du grand ErgOccidental, pour s’étonnerqu’aujourd’hui elle aille étreindre chaleu-reusement tous ses hôtes et leur réser-ver un excellent accueil? N’a-t-on pascompris que sa situation géographique,ou se réunissent les deux cours d’eau,déteint immanquablement sur le carac-tère de ses habitants, et lui donne cenom qui, en «Chleuh», signifie jonction,et par extrapolation, veut dire rappro-chement, hospitalité ouencore…partage et convivialité? En in-sistant plus particulièrement sur cettedaïra (…) nous n’allons pas oublier ceuxqui maintiennent en bonnes conditionsd’accueil (…) des grandes manifesta-tions internationales, comme notam-ment le Marathon de cette année qui,en plus de l’élite algérienne de l’ANP, dela DGSN et des autres participants na-tionaux, a regroupé plusieurs étrangersvenus de huit pays à savoir: la France,

l’Allemagne, l’Italie, l’Australie, la Belgi-que, la Grande-Bretagne, le Canada etl’Autriche. Nous espérons que les autresrégions de notre superbe Sahara, encomptant sur leur initiative et ce senti-ment qui les porte à se surpasser, fe-ront de même pour les prochaines édi-tions afin que cette manifestation, quiprend de plus en plus de l’ampleur, soitvéritablement un appel aux jeunes etaux étrangers qui viennent renouer avecl’exotisme de nos plus belles contréestouristiques. Ainsi, le Marathon des du-nes rentrera de plain-pied dans un cir-cuit qui l’érigera comme une manifesta-tion socio-économique et culturelle oules oasis ne constitueront que des lieuxde confluence des cultures de la Médi-terranée et des pays de l’Afrique.

Sortons de cette merveilleuse cité d’Igliet allons voir les autres aspects de ceMarathon plein de promesses, dans cesrégions sahariennes. Taghit, Beni-Abbès, Kerzaz, Timimoun, (…) s’enor-gueillissent d’un splendide paysage auxformes et aux couleurs naturelles ad-mirables. Oui, cette compétition spor-tive à l’origine, qui se répand sur d’autreshorizons ou interviennent de riches pro-grammes touristiques et culturels, esten droit de prétendre à sa doyennetédans ce domaine du Marathon (…) Evo-quons le tourisme, par le truchementde visites et de grandes randonnéespour la connaissance du Sud et, enfin,l’histoire par les visites aux sites qui ra-content l’antiquité à travers les mar-ques indélébiles qu’elle conserve dansun environnement que l’érosion etl’oubli, quand ils persistent, peuvent abî-mer davantage (…) Du sport, il en avaitbien sûr (…) Ceci dit, voyons sur le plandu tourisme (…) Eh bien, des déjeunersà l’extérieur du camp, des repas agres-tes, dans des palmeraies, sous des«Kheimate», dans des «Zribate», les visi-tes des «Ksours», des monuments his-toriques, des mosquées très anciennes,

des «Zaouïas», des marchés tradition-nels, des gravures rupestres et, bienentendu, des ballades à travers les du-nes. Cela ne suffisait pas, il fallait pro-grammer une course de chameaux,aux danses séculaires et d’autres ac-tivités qui relèvent des traditions mil-lénaires, bref, afin d’avoir un bon re-gard sur le patrimoine matériel et im-matériel du Sahara (…) Pour l’instantmalgré tous les efforts consentis…lasituation dans le grand Sud est aumême point que celle du nord (…).Le paysage est beau (…) mais notreSud est-il conforme aux normes ac-ceptables d’accueil (…) ? Non, ce qu’ila aujourd’hui, n’est pas suffisant etnous l’avons constaté encore une foisà l’occasion de ce 11e Marathon desdunes (…) Certes, il y a de l’ambiance,et la population est accueillante, elleaime partager, elle est conviviale

autour du verre de thé, unrite qui se perpétue de géné-ration en génération…, maisce n’est pas tout (…) Tousceux qui viennent, aimeraienttrouver plus d’aises dans ceSud rayonnant de (…) séré-nité (…) un contenu (…) ma-térialisé par de divines struc-tures de base, (…), notam-ment ces dunesimposantes…Ce soleil éter-

nel et ce climat adéquat ou poussentde fraîches palmeraies (…) Que re-marquons-nous aujourd’hui? Une cer-taine désuétude qui se lit sur les pal-miers, ces arbres élancés vers le ciel,qui se meurent lentement depuis desannées, parce que nous ne les avonspas entourés d’attention, comme lefaisaient ceux qui nous ont précédés.La même désuétude se lit dans cesKsours, majestueusement édifiés enleur temps, mais qui, présentement,sont abandonnés. Ils ressemblent àces ruines anonymes, alors qu’ils té-moignent, aux yeux de ceux qui s’in-téressent à l’histoire, d’une certainemajesté de ces Berbères et de leurspratiques ancestrales. Elle se lit éga-lement dans ces dunes (…) lamenta-blement esseulées, qui souffrent d’unmanque d’exploitation et de visitesqui leur amènent ce plus d’intérêtdont elles ont besoin pour remplirconvenablement leur tâche dans cedésert de tous les mystères…

11e marathon des dunes : voir Taghit et…courir

Kamel BOUCHAMA

8 janvier 2011

Page 15: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

15

NRP, février 2011, n°6

[M

ÉM

OIR

E]

11 janvier2011

Le couple octogénaire, témoin de larévolution, a toujours vécu dans cesmurs qui cachent aussi des casema-tes gorgées de souvenirs et de légen-des. A 85 ans, L’la Fatma se prépareencore à fêter Yennayer. Aussi long-temps que ses souvenirs puissentl’emporter, elle se rappelle qu’ellen’a pas raté une seule fois cette fêtequi a beaucoup de significations pourles berbères des Aurès. A Ca’cho, ladechra des Ouled Abdi Ousbaâ, il nes’agit pas de répéter une traditionancestrale, c’est le seul mode de vie.Dans ce village (…) L’la Fatima et sonvieux chibani, aâmi Belkacem Sbaâ,n’ont jamais quitté leur maison (…)qui pourrait être gardée telle quel ettransformée en musée (…) Pour lamaîtresse des céans, Yennayer estun jour de travail. Accueillir un nou-veau cycle appelle un rituel sans fan-fares mais chargé de symboles. Laprière de l’aube, une fois accomplie,L’la Fatma et toutes les femmes duvillage s’arment de leurs cruchespour aller chercher de l’eau à la fon-taine. Des brindilles de gazon sontcueillies aux abords de la fontaine etplacées entre l’embouchure de lacruche et l’entonnoir, symbole de re-nouvellement et du bien apporté parl’année qui s’annonce. De retour à lamaison, une tâche aussi utile quesymbolique l’attend. Il s’agit de net-toyer la cheminée (…) de la suie(Akendil) à l’aide d’un balai fait à lamain (Thagouft). La suie récupéréeest mise dans un panier avec les troispierres (Inguen) qui servent à porterla marmite sur le feu, puis jetée loinde la maison comme pour se débar-rasser du vieux (…) De retour, elleramasse de la terre et trois nouvellespierres, pour son coin du feu, qu’elleva enduire d’abord de beurre natu-rel. Pour attirer le bonheur pour lamaison, L’la Fatma n’oublie jamais dedisperser de l’herbe et des dattesdans les quatre coins de sa maison.Pendant ce temps, les grains de blécuits dans l’eau bouillie ont fini degrossir. Le Cherchem est ensuite mé-langé à la farine de blé et de dattesdures, obtenue grâce à la meule tra-ditionnelle. L’la Fatma vient de pré-parer son premier plat: La B’sissa. Lemenu comporte aussi le Ziraoui, ga-lette découpée en menus morceaux,mélangé à la pâte de dattes, Ar’rab,des gâteaux (Adhemin), sans oublierle Tahrirt, une soupe épaisse, à base

de semoule bouillie. Le soir, c’estChakhchoukha au poulet (…). Maissouvent, les gens qui n’ont pas lesmoyens cotisent pour acheter unechèvre et se la partager selon un ti-rage au sort. Ici, la solidarité n’est pasun vain mot, c’est un code de con-duite (…) Debout aux côtés de sagrand-mère, Touf ik acquiesce aumoindre détail (…) toutefois, biendes choses ont changé. On est loindu temps, ou l’on parcourait des cen-taines de kilomètres pour aller dansle Sud s’approvisionner en dattes.Avec le sérieux que lui assure sonâge, ami Hamid Timizar, voisin de lafamille, raconte le temps ou on par-

tait à pied à la Mecque (…) La soi-rée, femmes et hommes séparés,des groupes se forment autourdes foyers de feu; après les ri-pailles, place aux échanges (…)des Gaâdas fraternelles. Parfoismusique et danse s’invitent autourdu «Guessab» et son «B’nadri». Lanouvelle année est entamée ainsi.La symbolique se résume à souhai-ter richesse et bonheur pour lefoyer, des mots qui ont une toutautre résonance dans cette con-trée épargnée par la vanité de no-tre ère.

Nouri NESROUCHE

Yennayer dans les Aures

Les brindilles séculaires de L’La Fatima

Coïncidant avec le nouvel an ducalendrier berbère, Ayred (le lion)est (…) fêté par la population deBeni Snous, une constellation detribus habitant la montagne et dansles vallées verdâtres. Cette tradition,basée sur des mets particuliers(Berkoukès, beignets et crêpes) etdes spectacles nocturnes quireproduisent une histoire

mythologique, est célébrée chaqueannée avec entrain dans un espritfestif et solidaire. Au fait qu’est-cequ’Ayred? (…) Les habitants réunisen groupe de neuf personnes,toutes déguisées avec de masquesreprésentant des animaux, passentd’une maison à l’autre. Le lion est tiréà l’aide d’une chaîne. Le guide,accompagné de ses acolytes et munid’un drapeau, frappe aux portes desmaisons. Au cas ou le propriétairen’ouvre pas, les participantsentonnent: «la jarre est cassée et lamaîtresse de maison est répudiée.»

Un amas de pierre est alors déposésur le seuil de la maison. Si la porteest entrouverte, le lion entre, suivide ses compagnons aux sons dela Ghaïta, du Bendir et des chants:«ouvrez vos portes, nous sommesvenus.» La suite du scénario, donton garde le suspense, est toutaussi passionnante. Mais au fond,tout ce jeu qui est la préservationde l’héritage des aïeux a pourobjectif la solidarité, puisque les

fruits et légumes et l’argentrécoltés seront redistribués auxnécessiteux. Mais Ayred àTlemcen, c’est aussi le carnaval. Anoter que cette représentation,jouée naguère par de simplescitoyens est depuis quelquetemps l’apanage de jeunescomédiens autodidactes. Unemanière de perpétuer la mémoireberbère.

Beni Snous (Tlemcen)Une fête pour la solidarité et l’identité

12 janvier2011

Chahreddine BERRIAH

Page 16: Dossier Migrations: Soif de liberté ou expression d'une mal-vie

16

NRP, février 2011, n°6

[BIBLIOGRAPHIE]

Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plusOmar BaMax Milo, 2009

Les dessous des cartes: les migrationsARTE, 2009

C’est un phéno-mène mondial,complexe, auxcauses multiples.Pour comprendreces bouleverse-ments et aban-donner les idéesreçues comme lespréjugés, 9 émissions dressent un état deslieux, en retraçant l’histoire du droit d’asile.Aujourd’hui, avec le vieillissement de la po-pulation, la mondialisation des échanges etdes déplacements, l’évolution du climat, lestrajets des migrations et les migrants ontchangé de visage et de nouveaux murs ap-paraissent.

L’Union européenne elle-même, terre d’immigra-tion récente, doit construire sa politique migra-toire.

[FILMOGRAPHIE]

Ce livre est la réédition d'un ouvrageparu en 1900. Il est l'oeuvre d'uneféministe qui fut toute sa vie une mi-litante passionnée, jusqu'à sa mort en1914. Quel courage elle déploya pourexiger le vote des femmes ! Et pour-tant, de son vivant du moins, le com-bat resta vain. En Algérie, pendantquatre ans (1888-1892), elle découvrele triste sort des " femmes arabes "et définit au moins deux urgences :la création d'écoles pour les filles, car

il n'y en a point, et l'abolition de la polygamie, dont lesMusulmanes se plaignent cruellement. Mais commentconvaincre le pouvoir colonial ?

Les femmes arabes en AlgérieHubertine Auclert, L’harmattan, 2009

Espaces et société, n°143-2010Les territoires de l’informel

La publication de ce numéro d’Espa-ces et sociétés sur l’« informel »pourrait n’être qu’une publicationparmi tant d’autres relatant la dé-brouillardise de travailleurs, étudiantet questionnant ses enjeux écono-miques et sociaux, contribuant à laconstruction (ou/et à la destruction)de la notion. Une telle approche, quia toujours sa pertinence tant l’infor-mel est au coeur de débats contem-porains, portant aussi bien sur le «

développement » que sur les dynamiques de l’initiativeentrepreneuriale individuelle dans un contexte post-fordiste, n’était pas ce que nous recherchions.Nous avions fait le pari que l’entrée par les « territoires »devrait permettre de réfléchir autrement au caractèremouvant, dynamique et politique de la catégorie « infor-mel ».La contribution de Saïd Belguidoum et Najet Mouaziz [àce numéro] sur les paradoxes de la ville algérienne faitde l’informel le lieu d’émergence de « nouvelles formesd’urbanité », que les pouvoirs publics doivent prendreen compte dans un souci d’asseoir leur légitimité. Les «dysfonctionnements visibles » ne sont en fait que la ma-nifestation de l’hybridation caractéristique de la ville al-gérienne. Ils sont en quelque sorte le creuset à partirduquel va se construire la « ville en devenir ». Le gise-ment de « compétences habitantes » constitue non seu-lement le paradoxe mais toute la richesse de la ville enconstruction. (extrait de l’édito)

Je veux faire comprendre aux jeu-nes d'Afrique que cette Europe nevaut pas de risquer sa vie, car on yvit, comme partout ailleurs, avecdes souffrances, des impasses etdes échecs récurrents.Omar Ba en a rêvé pendant vingtans : l'Europe, c'est pour des mil-

lions de jeunes Africains un eldorado fantasmati-que. Qu'il faut atteindre à tout prix. En s'arrachantaux siens.Après un périple de trois ans, au péril de sa vie, il afini par atteindre la France. Toutes ses illusionss'effondrent. Il ne trouvera rien des fausses ima-ges d'abondance qui circulent en Afrique.

À 29 ans, l'auteur, étudiant en sociologie et travaillantdans une ONG, conseille aux jeunes de son continentd'origine : « Si vous croyez que l'Europe est la solution àvos problèmes, ne venez pas ! Rêvez plutôt d Afrique ! »

Traces, désir de savoir et volonté d’êtreL’APRES-COLONIE AU MAGHREBTextes réunis par Fanny COLONNA et Loïc LE PAPEActes Sud, Sindbad, 2010

"Traces, Désir de savoir et Volontéd’être" : On ne saurait mieux titrerl’ouvrage collectif coordonné et pré-senté par Fanny Colonna et Loïc LePape, avec la participation de dix huitauteurs du pourtour méditerranéen(ACTES SUD, Sinbad).Difficile aussi de rendre compte d’uneproduction aussi foisonnante, vivanteet multidisciplinaire. Sinon pour signaler que ce genre depréoccupations et travaux vient à son heure.Le temps écoulé depuis les indépendances a fait mûrir lebesoin de réflexions et de regards rétrospectifs chez leschercheurs et dans les opinions concernées.Une façon de tenter des bilans qui aident à affronter lestemps nouveaux, pas aussi radieux qu’on les imaginaitmais néanmoins porteurs d’espoirs renouvelés gardantles traces du passé.