dossier fleuve

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La descente du Rhône /pages 12-14 Delirium Rhodanum /page 19 La Jonction: courants et contre-courants /pages 24-25 Nager dans la Tamise /page 27 « On notera avec amusement et regret que nos rivières ne deviennent ces fleuves qui font la fierté de la Suisse qu’au moment où ils l’ont abandonnée… » /page 24 JOURNAL DES BAINS Le journal de l’AUBP · Association d’usagers des Bains des Pâquis · www.bainsdespaquis.ch numéro 11 · été 2014

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Page 1: dossier fleuve

La descente du Rhône/pages 12-14

Delirium Rhodanum/page 19

La Jonction: courantset contre-courants/pages 24-25

Nager dans la Tamise/page 27

«On notera avec amusement et regret que nos rivières ne deviennent ces fleuvesqui font la fierté de la Suisse qu’au moment où ils l’ont abandonnée…» /page 24

JOURNAL DES BAINSLe journal de l’AUBP · Association d’usagers des Bains des Pâquis · www.bainsdespaquis.ch numéro 11 · été 2014

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Journal des Bains 11 · été 2014

ÉDITO

A chevalsur le Rhône

Dix numéros durant, le Journaldes Bains a flotté sur les eauxtranquilles du lac Léman.Pour sa onzième parution, ilsemblait opportun de laisser

voyager nos pages tant en amont qu’enaval, suivant en cela le fil du Rhône,source de vie depuis le glacier de Gletschjusqu’à son delta, à Port-Saint-Louis.

A l’extrême limite du lac, les Bains des Pâquis, pris entre les courants duGoléron et du bout de la jetée, se senti-raient déjà presque à cheval sur le Rhône.Et pourquoi pas après tout, tant il est vraiqu’est tenace la légende d’un chenalsous-lacustre traversant de part en part leLéman et dans lequel coulerait le fleuve.

Il y a, quoi qu’il en soit, dans le coursdu Rhône une allégorie avec la vie associa-tive des Bains. Une jeunesse tumultueuse,faite de torrents et de cascades, une ado-lescence incontrôlable, vive, aventureuse,avant de se bonifier dans le lac, de s’éta-ler, bonasse, placide, même si quelquestempêtes continuent à faire des vagues.

Mais un cours d’eau n’est jamais siserein qu’on le croit aux beaux jours. Rienn’y fait, contraintes, bétonnage, lois, cana-lisations. Les crues sont toujours là, par-fois violentes ou meurtrières. Le fleuve,comme la vie, a ses colères et ses excès,ses coups de folie et nous laisse parfoissurpris ou démunis.

Bien sûr, il y a une espèce de finquand les eaux se dispersent, quand elless’évasent comme un entonnoir en undelta marécageux. Ce qui pourrait ressem-bler à la mort n’en est pas une, non parceque la mer continue le long et sinueuxtravail du fleuve, mais parce que celui-ciest de toute éternité, toujours semblableà lui-même et toujours changeant. Ainsien va-t-il des Bains, comme le Rhône,avec cette apparence d’immanence qui se renouvelle dans chaque goutte d’eauqui passe.

La rédaction

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Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves: le Rhône, la Saône et le Beaujolais.

Léon Daudet

A Lavaux les Savoyardes,pour les effeuilles,traversent cette autre plaine du Rhône, cetteplaine d’eau qu’est le lac.

C.F. Ramuz

Allégories du Rhône : à Lyon (en haut) et à Versailles.

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3Journal des Bains 11 · été 2014 DOSSIER FLEUVE

JEAN-LUC BABEL

On disait qu’un morceau de bois lâchéau Bouveret met onze ans pour tra-verser le lac en longueur, chahutéautant qu’un ludion, à hue, à dia,deux vagues en avant, une vague

en arrière. A Genève on lui ral longeait troisjours pour qu’il aille jusqu’à la mer. Un poneyau trot, un honnête 8 kilomètres-heure. L’éclu -sier des Forces motrices me confirma ce chiffre.

«Nous habitons le château d’eau», ponti-fiait-il en prétendant recevoir un appel desbateliers d’Arles : les chalands touchaient lavase. Frères d’eau comme on dit frères de lait,les Provençaux demandaient aux Suisses quel -ques mètres cubes en plus. Trois jours après,une houle tendre et tendue comme une plumelibérait les bateaux. Pour la frime, l’hommeaux vannes agitait des mots étranges: carène,sirène de proue, tirant d’eau. Je comprends«tyrandeau». J’ai 9 ans.

J’effeuille les mouches comme la margue-rite, une patte à la fois, à l’abri derrière monpupitre. Le proviseur se tait en gardant un sou-rire intriguant. Lui qui ne se rappelle ja mais lacouleur des yeux des orphelins, il sait toutesles nuances de l’eau. On la sentait venir à tousles coups, la vieille colle sémantique: où finitle lac, où commence le fleuve? Des disputesde ce genre, qui est médiéval, en flammaientle réfectoire. La tomate, fruit ou légume?

Qu’est-ce qui fait le plus mal sur la tête :un kilo de plumes ou un kilo de plomb?

Et qu’est-ce qui prouve que c’est bien leRhône qui déboule, le même Rhône? Body -buildé, rasé de frais, réoxygéné, salubre. Entrébille en tête dans le lac comme un sanglierboueux et fou, ressortant bleu et lucide commeun bonbon à la menthe? Le moins qu’onpuisse dire c’est qu’il ne perd pas au change.Las! C’était trop beau. A peine sorti de la villeil court chez les loubards saloper son beaucostume, lui l’apprenti banquier cravaté deponts. L’Arve des banlieues est une fille à laredresse mais elle a la manière. Les deux cou-rants rejouent d’abord la fable de la nympheAréthuse, le pur et l’impur coulent côte à côtesans se mêler pendant une ou deux centainesde mètres muets et tristes.

Le Rhône tourne le dos pour toujours.Adieu Heidi, toboggans alpestres, faux-sem-blants d’Amazone où les arbres viennent boireen trempant leurs chevelures. Ça planait pourlui. Dansez maintenant! Verbois a un goût de bouchon. Il va marner, le fleuve tranquille.Au cambouis ! Il traversera des bleds hébétéscomme un lendemain de passage du Tour;des trous où le soleil ne revient jamais et oùles pluies se déshonorent.

Passé Bellegarde, sous une arche énormeformée par une chute de rocs, il s’évanouis-sait. Ce fut une attraction touristique, la pertedu Rhône. Je revois les cartes postales. Choseinouïe: un fleuve escamoté comme un lapin

par un prestidigitateur. Il y avait sûrement untruc. A la fin, la femme coupée en morceauxrevient toujours pour saluer.

Ce Rhône fantôme disparaîtra deux fois,aboli en 1945 par le barrage de Génissiat. Etmême trois fois, car aujourd’hui plus personnene s’en souvient. En aval, d’autres barrages se -ront construits et des centrales nucléaires enveux-tu en voilà. Mais que les longues nuitssont froides! Le concierge sort les containers,c’est dans la cour un grondement d’orage loin-tain auquel je me laisse chaque fois prendre.Les vibrations sourdes de la tôle produisentce borborygme crépusculaire d’une grandejustesse de requiem: avec nos scories, n’est-cepas un peu de nous qui s’en va?

Souvent la carte géographique s’arrêtepile, elle suspend la rivière qu’on suit avec ledoigt, le chemin, le village, la forêt, la mon-tagne. On passe par-dessus bord comme autemps où la Terre était une assiette plate pourtomber dans le blanc. On cherche la carteannexe mais le cœur n’y est plus, il n’aime pas jouer à cache-cache dans ses momentschimériques, en quête du sel gemme ou del’or des fous.

Le Rhône s’enlise dans la Camargue, touten bas. Il fourchicote, radote, s’effiloche. Sonnom s’est noyé dans la mer, emportant tousles autres. Mais chaque hiver, les feuilles qu’ondisait mortes réinventent l’imprimerie en es -tampillant les pierres. Patiemment l’alphabetse remet à l’ouvrage.

On ne renroule pas les serpentinsNous étions nés dans une coquille de noix. Naviguer, en attendant, les rêves le faisaient à notre place. C’est des histoires de garçons. La virile cédille discriminatoire brille au fronton des écoles.

Jean-François Luthy, Intervalles, octobre 00-01, encre sur papier, 50x70 cm www.jfluthy.com

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Journal des Bains 11 · été 20144 DOSSIER FLEUVE

LeRhôneàcontre-courantJEAN-HENRY PAPILLOUD

Le répit d’une retraite partielle et des contactsprivilégiés avec des passionnés qui se deman-dent d’où vient l’eau qui alimente les bassinsdes Bains des Pâquis me permettent de réaliserun vieux rêve longtemps caressé, mais jamais

abouti : parcourir le Rhône à la fois dans l’espace et dansle temps. L’espace d’un canton alpin qu’il irrigue commeune artère discrète et le temps d’une époque qui a vu deschangements incroyables se produire. Bizarrement, jen’ai pas eu le réflexe primaire de me rendre à la source dufleuve et de le suivre dans sa descente, inexorable, versson premier bassin. Comme je n’avais pas encore vu leRhône se jeter dans le lac, j’ai couru le voir se perdre dansles flots du Léman. Un moment fort. Comme s’il défilaitdes souvenirs, des histoires, des images. Une invitation àremonter le fleuve. Mais remonter le Rhône c’est aussiremonter le temps, flâner au gré des lieux qu’il arrose et,à défaut de suivre ses méandres disparus, se promenerdans les dédales de la mémoire et des images.

Champéry, Saint‐Maurice, Pissevache – Avant de se jeter dans le fleuve, les eaux des montagnes remplissent toutes sortes de fonctions plus ou moins agréables. Très tôt, le côté utilitaire fait valoirses droits. La première concession hydroélectrique du Valais, accordée en 1891, fournit à la ville de Lausanne la force hydraulique pour son éclairage électrique. Les passants y perdent la visiondu fleuve en furie dans le Bois-Noir. A quelques kilomètres de là, ils perdront aussi la bruine de l’incontournable cascade de la Pissevache. (Photos: Max Kettel, Usine de Lavey, Pantaléon Binder)

Grand‐Saint‐Bernard, Martigny, Charrat – Du col du Grand-Saint-Bernard, qui n’est ouvert que l’été à la circulation, à l’antique Octodure, la distance est faible. Elle l’est d’autant plus quand lescrues de la Dranse menacent la ville. Si les souvenirs de la débâcle du Giétroz de 1818 ou des inondations de 1860 sont ténus dans la mémoire collective, les incursions récentes des eaux ne sontpas oubliées. En 1948, le Rhône sort de son lit et transforme en un vaste lac la plaine de Martigny et des environs. (Photos: Max Kettel, Martigny, Charles Paris)

Entremont, val Ferret, Fully – Lutte pour l’eau, lutte contre l’eau: le dilemme paraît longtemps insoluble. Pour améliorer le rendement de leurs prairies, les paysans recourent à l’arrosage. Ils lefont surtout quand le marché les oblige à remplacer les céréales par l’élevage du bétail. Le grand tournant est marqué par le chemin de fer, qui monte de Martigny à Sion en 1860. Cette année-là,les inondations catastrophiques du Rhône obligent les pouvoirs publics à entreprendre la première grande correction du fleuve. (Photos: Améliorations foncières, Max Kettel, Ponts et chaussées)

Bouveret, Monthey – C’est donc ici que commence le grand trait d’union entre Valais et Genève. Pour moi, ce rapport est aussimarqué par cette photographie réalisée par un Genevois pour l’Enquête photographique en Valais. Une image qui en appelle uneautre: les ouvriers de la future Ciba vivent d’un autre usage de l’eau. (Photos: Eddy Mottaz, Vieux‐Monthey)

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5Journal des Bains 11 · été 2014

Colonne vertébrale du Valais, souvent présenté comme un enfant sauvage et capricieux, le Rhône occupe une place importante dans l’histoiredu canton. Les photographies qui le racontent ici sont mises à disposition par la Médiathèque Valais – Martigny, une institution crééeen 1987 et dirigée jusqu’en 2010 par Jean-Henry Papilloud. Actuellement sous la houlette de Lionel Gauthier, elle a toujours pour missionde conserver, traiter et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel en relation avec le Valais et ses habitants (www.mediatheque.ch).

Grande‐Dixence, Bisse de Savièse – Très développés dans la région de Sion, les travaux collectifs m’invitent à relier deux éléments qui ont beaucoup de points communs: les bisses et les barrages.Sur la rive gauche, je pense à la formidable épopée qui va du barrage de la Dixence des années 1930 à celui de la Grande-Dixence en 1960. Sur la rive droite, le vertigineux bisse de Savièse est aban -donné en 1935 et remplacé par le tunnel du Prabé, moins spectaculaire, mais plus efficace et plus économe en travaux et en vies humaines. (Photos: Frank Gygli, Raymond Schmid, Charles Paris)

Sion, Conthey, Montorge – Malgré la grande correction, la plaine du centre du Valais est souvent inondée. Celle de Sion n’est pas épargnée. A Conthey, en 1935, le Rhône sort de son lit. En catas -trophe, il faut effectuer des travaux importants pour colmater la brèche vers Aproz et remettre le fleuve dans ses rives. Alors, c’est-à-dire avant l’ère des frigidaires, on fabrique encore de la glaceavec l’eau du lac de Montorge. Et on la ressort à la bonne saison pour le plus grand plaisir des clients de la brasserie de Sion. (Photos: Pierre de Rivaz, Raymond Schmid)

Tourtemagne, Chippis, Finges – Avec l’arrivée des grandes industries, les utilisations marginales de la force des rivières cèdent le pas à la production de l’hydroélectricité. A Sierre, les usinesd’aluminium, gourmandes en énergie, obtiennent, en 1905, les concessions des eaux du val d’Anniviers, amenées par d’impressionnantes conduites forcées. Plus fort encore, en 1908, elles détournentle Rhône de La Souste à Chippis. Pendant deux ans, des centaines d’ouvriers creusent un canal pharaonique dans les alluvions de l’Illgraben. (Photos: Pierre Odier, AIAG, Ruttimann)

Brigue, Furka – Ecartant l’idée de bifurquer sur l’Italie par le tunnel du Simplon, inauguré en 1906, je suis, dans sa jeunesse fougueuse, le Rottu comme l’appellent les gens du lieu. Dans l’interminablevallée de Conches, tantôt tumultueux, tantôt apaisé, il descend en paliers, prenant le temps de jouer avec les cailloux transportés et polis à longueur d’année. Et me voilà déjà devant la grandebarre rocheuse qui marque le fond de la vallée, le fond du Valais. Mais où sont le glacier du Rhône et les sources du fleuve? (Photos: Giovanni Ruggieri, Pierre de Rivaz, Junghanss & Koritzer)

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Journal des Bains 11 · été 20146 DOSSIER FLEUVE

BERTRAND THEUBET

En 1964 on terminait la constructiondu Mur de Berlin. Avec la guerrefroide, les choses semblaient sim -ples : les communistes d’un côté,les capitalistes de l’autre. On choi-

sissait son camp, la vie suivait son cours, avecses guerres, ses coups d’Etat, chacun faisantreposer la responsabilité des conflits sur l’autre.Nos autorités assurant quant à elles leurs bonsoffices aux belligérants. Notre neutralité étaitune fierté. Mais cette fierté a toujours eu unprix : notre armée. Obligatoire à l’époque (onoublie vite), il y avait l’école de recrues, les coursde répétition, les tirs obligatoires et j’en passe.

Je ne sais pas si j’étais un bon Suisse. Onm’a flanqué dans une compagnie, avec le titrede soldat sanitaire complémentaire! Ma basede «mobilisation» était Martigny-Bourg, et jeme demandais toujours pourquoi Martigny-Bourg et pas Goumoëns-le-Jux?

La raison s’est peu à peu imposée: le Rhônene coule pas à Goumoëns-le-Jux! Et Martignyse situe à la jonction de deux axes de pénétra-tion essentiels pour notre Défense nationale :au sud le Grand-Saint-Bernard (tout le mondey passait, d’Hannibal à Napoléon Bonaparte ;en 1939 on se préparait à l’arrivée des troupesde l’Axe), et à l’ouest les berges du Léman et le Rhône.

Ce qui est révélé ici était considéré àl’époque comme «secret défense». En 1973,dans son opuscule Livret de service, Max Frischsera le premier à questionner et révéler quel -ques aspects de ce dispositif qui ne souffraitd’aucune question émanant des citoyens sol-dats. Le risque était d’être qualifié de traître à la patrie ! Donc, c’est en ignorant tout dusystème de défense de la Confédération queje me rendais à mes cours de répétition. Quel -ques officiers supérieurs devaient être au parfum. Comme un rituel immuable, à l’issuedu premier rassemblement, un capitaine ouun premier lieutenant nous fixait l’objectif de l’exercice justifiant notre engagement: dèsle lendemain, une mobilisation générale seraitdéclenchée. Le rôle de notre unité consisteraà réceptionner les citoyens mobilisés et diri-ger ceux munis d’un certificat médical vers les postes sanitaires pour y subir un contrôled’aptitude. Autant dire : la planque assurée,mais aussi la frustration d’être maintenu loindu front! Le danger au front existait bien: descommandos de «rouges» avaient débarqué de -puis les côtes françaises du Léman et avaientpris position dans le vieux Rhône! Cette me -nace des ar mées de l’Est venait paradoxalementde l’ouest ; le scénario de cette situation stra-tégique impliquant préalablement la conquêtede la France avait sans doute été inspiré d’unépisode de la Seconde Guerre mondiale ainsirelaté : «…La Haute-Savoie, occupée à cetteépoque par les troupes allemandes, toutesnos frontières étaient sous haute surveillance.La zone de Saint-Gingolph faisait souventl’objet d’attaques surprises des milices de larésistance française et la répression était ter-rible. Une vive fusillade eut lieu entre lesmaquisards et la garnison de la Wehrmacht,cantonnée à l’Hôtel de France. Pour autantqu’on soit renseigné, les Allemands auraienteu six morts. Le petit poste allemand reçut desrenforts par le lac et par la route. La trouped’occupation, au nombre d’environ 600 sol-dats, avait des ordres stricts pour procéder àune expédition punitive et répondre par desreprésailles sévères. Et cela n’a pas manquéd’arriver. C’est bien pourquoi les habitantsont quitté la localité le plus vite possible. Leprésident de la commune de Saint-Gingolph(côté Suisse) a longtemps parlementé avec les

Secret défense«Peut-on être un bon Suisse et un mauvais soldat?» La question était posée par Gulliver lors de l’Expo 64 dans le cadre d’une grande enquête sociologique. Censurées, les réponses révélées des années plus tard nous apprennent que 47% des Helvètes avaient répondu oui !

chefs de troupes d’occupation pour obtenir quel’on ne mette pas tout le village en feu et quel’on ne procède pas à des fusillades. Quatrehommes ont été emmenés dans les bois etprobablement fusillés à coups de mitrail -lettes…» (Gazette de Lausanne, 24 juillet 1944).

Mais comment nos concitoyens étaient-ilsen mesure d'assister par-dessus la frontièreaux horreurs de la guerre comme du balcond'un théâtre? La réponse se trouve dans uneétude récente:

«…A l’exception des positions de barragede Chillon/Veytaux et de Saint-Gingolph quicontrôlent l’entrée nord de la plaine duChablais, la plupart des ouvrages d’infanteriedu secteur sont situés sur la rive droite duRhône et sur le versant vaudois de la vallée.Ces ouvrages sont tournés face à la plaine duChablais et jalonnent les différents axes decirculation pénétrant le massif des Alpes… Lebut était de verrouiller les différents passagesconduisant vers le cœur du Réduit alpin, aucas où un assaillant aurait réussi à prendre pieddans la plaine du Chablais…» (fortlitroz.ch).

L’exercice de mobilisation devait doncnous tenir sous pression plusieurs jours. Lesmobilisés ne se précipitant pas aux postesd’accueil installés dans la salle communale

de Martigny-Bourg, nous étions astreints à de longues parties de jass. Il fallait passer letemps. Nous avions devant nous des fichesd’inventaires, des caisses pour le dépôt deseffets personnels et toute une série de re -commandations pour les cas difficiles (psy-chiatriques et autres handicapés de la vie).Nous imaginions alors qu’une majorité de sol-dats s’étaient présentés aptes au service etétaient dirigés vers les rives à l’embouchuredu Léman prêts à combattre des soviets prisau piège dans le vieux Rhône, encerclés danscette impasse par nos valeureux, planqués enembuscade dans les bois alentours. Ils assis-taient à l’effondrement de cette armée d’oc-cupation anéantie par les moustiques quipullulent dans cette zone d’eaux stagnantes,dans une ambiance tropicale assurée lors descanicules des longs étés d’autrefois.

D’autres «rouges» embarqués dans desbarges équipées de puissants moteurs remon-taient le Chablais par le fleuve vers Saint-Maurice et la vallée du Rhône… et ceux-làallaient voir ce qu’ils allaient voir !

C’est là que le Concept défensif de notrearmée nous apprend que: «…L'articulationde la région fortifiée du Bas-Valais est baséesur le concept d'une défense élastique éche-

lonnée en profondeur. Elle vise à bloquer pasà pas l'agresseur, au fur et à mesure de sa pro-gression, en profitant de tous les renforce-ments naturels du terrain. Les barrages, lesobstacles et les coupures ar tificielles ont étémultipliés à l'envi, de façon à obtenir uneredondance des points de résistance poten-tiels et une saturation du territoire permet-tant une défense tous azimuts, selon la bonnevieille stratégie du hérisson.» (fortlitroz.ch).

C’est ainsi qu’après la chute du Mur, l’ac-cès aux informations concernant le Réduitnational alpin et son système de fortificationsa peu à peu été rendu public (qualifié de «hé -risson maudit» par Hitler qui craignait delourdes pertes pour sa Wehrmacht en cas d’in -vasion de la Suisse). Et, s’agissant de la pro-tection du delta du Rhône au Bouveret, ce nesont pas les moustiques qui auraient déciméles troupes ennemies, mais bien un canon de155 mm camouflé au sommet de la forteressede Dailly, à même de tirer des obus à 25 kmpour atteindre la région de Saint-Gingolph etde l’embouchure du Rhône.

A Martigny-Bourg, le scénario de la mobi-lisation générale battait son plein. Les partiesde jass se prolongeaient en deuxième semainedu cours de répétition. Nous avions pratique-ment tous obtenu des congés pour le weekend,laissant l’ennemi libre de ses mouvements. Le jeudi suivant, au rassemblement du matin,l’officier nous annonca la fin de l’exercice. Unsuccès total : les «rouges» avaient été repous-sés ! Nous n’en saurions pas plus. Le scénarione prévoyait pas de suite concernant les ma -nœuvres ; personne n’était en mesure de nousinformer où s’étaient repliés les commandos«de communistes». L’un de nous avait pro-voqué un certain malaise en criant depuis lesrangs: «…ils ont sans doute été engloutis parle Rhône!»

La menace (axes de pénétration région du Rhônechablaisien).

Le dispositif de défense.Sources : www.fortlitroz.ch

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7Journal des Bains 11 · été 2014

PHILIPPE CONSTANTIN

Le lac recelait ses coins et ses recoins,ses tours et ses détours, ses pièges.Il était accidenté, pentu, de peudisait-il, mais suffisamment pourque l’eau s’écoule jusqu’à la Médi -

ter ranée. A ce titre d’ailleurs, il parlait sanscesse du Rhône comme du plus grand dangerqui soit. Même par beau temps, il gardaitconstamment un œil vers l’est, l’air toujours unpeu inquiet. C’était que s’il venait à pleuvoiren Valais, il suffirait de quelques heures pourque la crue nous emporte; invisible tsunami,raz-de-marée nocturne, lame de fond cachéeet hantée.

Le lac entretenait ainsi un lien indissociableavec la montagne, à laquelle il ressemblait.Des précipices, des cols, des forêts d’arbrespétrifiés, fragiles comme du verre. Il imaginaitun coup de tabac sur les pics dans un ciel noirde peur et voyait déjà les ravines s’embourber,les torrents se gonfler, dévalant les pentes enemportant tout sur leur passage, s’engouffrantcomme une furie dans le chenal naturel duRhône qui dessinait un large canyon au fonddu lac.

Regarde, là, me disait-il en un endroit queje n’aurais jamais su reconnaître, nous sommesau-dessus des berges du Rhône. Il a creusé sonlit depuis des millénaires et bon dieu, quandil se met en colère, on ne peut le franchir.

Je ne voyais que de l’eau, identique à elle-même, où que je regarde. Pas même une ombreou un mouvement. Rien. Je restais stupéfaitde la science du père Forel.

Aller, on traverse, tu vas voir.Et on traversait le Rhône jusque sur l’autre

rive où le père Forel coupait les gaz du mo -teur avec un petit sourire de soulagement.

On aurait pu croire qu’il se moquait unpeu de ma naïveté d’enfant, mais ses supersti-tions n’avaient pas le goût de la raillerie ou del’affabulation. Il y croyait dur comme le fer de ses hameçons. Et par beau temps, redes-cendant vers Ouchy, quand le lac n’avait pasune ride, il empruntait ce fleuve enfoui dansles profondeurs de son imagination, certainque nous serions plus vite rentrés au port.

Il y avait du bonheur dans ses yeux. Il écou-tait le lac chanter, le regardait d’un œil neufchaque jour. Aucune risée ne ressemblait àune autre, aucune vague n’était pareille. Etécomme hiver, il inventait les couleurs et les

odeurs de l’eau. Et quand il levait la tête pourfixer les rives lointaines, il égrainait dans lebrouillard les noms des clochers et des villagesqu’on ne distinguait qu’à peine.

Mais il pouvait aussi avoir des frayeurs detruite effarouchée. En somme, le lac s’apparen-tait plus dans son ensemble à un animal qu’àune masse d’eau plus ou moins stagnante. Il évoquait parfois des naïades lémaniques,surgies entre deux flots et avec lesquelles, unelarme au coin de l’œil, il avouait des aventuresd’un romantisme teinté de plaisir sulfureux.Las! La chaire n’était pas toujours seule aurendez-vous. Il fallait aussi compter sur desmonstres moins chaleureux, jaloux comme dessangsues, matamores pleins de rodomontadessous une chevelure d’algues visqueuses, mé -chants comme des crapauds.

Il connaissait la frontière et parlait de cebar, rendez-vous de tous les vieux loups d’eaudouce, au mitan du lac, bien qu’il jurait nejamais y aller par peur de ne pouvoir rentrerle soir chez lui. On y buvait sec entre pê -cheurs, de ce petit vin blanc du pays de Vaud,ou d’autres alcools mordorés plus enivrants.Je l’avais souvent supplié de m’y emmener,curieux de ce que pouvait être ce bistrot ancréau milieu de nulle part, qui dans mon imagi-nation, pour ne l’avoir jamais aperçu malgrénos incessantes pérégrinations, devait à peineaffleurer à la surface de l’eau, comme un sous-marin. Y avait-il une trappe au détour d’unevaguelette par laquelle descendre dans cenon-lieu magique?

La frontière, elle, longeait sur quelqueskilomètres le lit du Rhône. Bonne raison pourne pas trop s’en approcher quand le tempsdevenait mauvais. Les autres jours, il laissaitaller sa barque doucement, se tenant debout,pour me tracer d’un doigt sûr la ligne qui sé -parait la France de la Suisse. Je cherchais unedouane, une barrière, un uniforme, un bateaumilitaire peut-être. Mais d’un côté comme del’autre, le lac semblait monochrome et plat,semblable à lui-même, masquant dans sonmouvement continuel l’impossibilité d’y éta-blir une borne ou une limite.

Pour rire, voyant parfois passer une ombresous la surface de l’eau, je repoussais ou avan-çais la frontière de quelques mètres sous leregard désapprobateur du père Forel : allons,allons Claude, ce que tu vois là, ce sont lestruites qui remontent le Rhône. Avec un peude chance, marmonnait-il alors, lançant saligne, nous en mangerons une ce soir…

Divers Auteurs anciens & modernes ont écritsuivant le sentiment d’Ammian Marcellin,que les eaux du Rhône traversent celles duLac sans se mêle, ce qui, d’un côté, ne s’ac‐corde point du tout avec ce qu’on a remarquéci‐dessus, & d’un autre, est tellement opposéaux regles de la pesanteur & de l’équilibre desLiqueurs, que la chose est absolument im pos ‐sible: Car il faudrait pour cela que les eaux duLac fussent de Niveau, & que les eaux duRhône eussent une pente très considérablepour pouvoir couler, & se frayer un passage àtravers les premieres, dans une distance depassé 36 mille Toises. Quand donc on suppo‐seroit que le Rhône d’auroit qu’un pied depente, sur mille Toise de France de chemin,ainsi que la Seine aux environs de Paris, leRhône devroit être élevé proche du Bouveretde 36 pieds pour le moins, par dessus la sur‐face du Lac; & si cela étoit, comment ce Fleuveprendroit‐il la route de Geneve, en suivant unecourbure fort grande, plûtôt que de s’épanchede toutes parts dans le Lac? & que devien‐droient d’ailleurs les autres Rivières qui portentleurs eaux dans ce vaste Bassin? Fatio de Dullier, «Remarques faites par M. J.-C Fatio de Duillier sur l’histoire naturelle desenvirons du Lac de Geneve», in Jacob Spon, Histoire de Genève, 1730, t. II, pp. 454-455.

La piste des truitesLe père Forel m’emmenait souvent dans sa barque pour l’aider à la pêche. Il connaissait tout du lac, ou du moins le prétendait-il. Il le savait imprévisible, capricieux, dangereux à ses heures. Il ne l’imaginait pas comme une étendue informe et égale à elle-même.

Page 8: dossier fleuve

Journal des Bains 11 · été 20148 DOSSIER FLEUVE

SARAH BUDASZ

Le professeur Hippolyte-Jean Gosseest alors chargé par le Conseil admi-nistratif de la Ville de Genève d’éta-blir un rapport des objets trouvés,qui reviendront au musée archéo-

logique de la ville. Dans celui-ci il note que lestravaux «avaient donné à quelques personnesdes espérances complètement chimériquessur l’importance des découvertes archéolo-giques qui pourraient être faites», mais qu’il ya lieu d’être «vraiment surpris en bien en exa-minant le nombre de pièces qui sont venuesenrichir le Musée archéologique».

Un visage blanc émerge de la boue quisèche. Il n’a pas le regard perdu de celles quise jettent dans le Rhône par un désespoir quela légende ne peut s’empêcher de trouverromantique. Les yeux de celle-là sont fiers.Elle semble être rentrée dans l’eau de sonplein gré. Son corps est depuis longtempsperdu et l’ouvrier, devenu archéologue d’unjour, se demande bien à quoi une tête seulepeut-elle penser pendant deux mille ans dansla vase. Autour d’elle, d’autres objets se sontaccumulés dans le bric-à-brac anachroniquede son dernier temple. Les pièces que lessiècles ont perdues dans le fleuve semblent,soudain hors de l’eau, des offrandes bien déri-soires, le fond du porte-monnaie d’un distraitqui aurait oublié qu’en 1883 ces monnaies nevalent plus rien. Le premier rayon de soleilqui frappe sa peau de marbre lorsqu’on laremonte sur la berge fait naître un sourire surses lèvres glacées. L’éternité divine finit par lasser. Elle qui a vu flotter les siècles sans lesvoir se laisse maintenant regarder, brosser,soulever, examiner, transporter enfin d’une

caisse à une autre à travers une ville qu’elle neconnaît plus.

Sur la grande table de l’atelier d’Hippolyte-Jean Gosse, hybride genevois d’un esprit de laRenaissance capable de se passionner pour la médecine légale, la préhistoire, la topogra-phie lacustre et désormais l’archéologie, etd’un notable bourgeois positiviste fermementde son époque, elle occupe certes une placede choix. Elle n’est pas le premier vestigeaquatique à fasciner le savant qui, une dizained’années plutôt, a établi le premier plan desstations lacustres du canton. Le scientifiqueclasse, ordonne et fait des listes mais sonregard s’attarde longuement sur la tête decette femme inconnue pour des motifs moinsacadémiques. Le soir venu, il s’imagine mêmece qu’a pu être sa vie, il la fantasme en divinitédes fleuves, retournée à son élément à la dis-parition de son culte. Il secoue la tête, la coif-fure soignée et l’air impassible de la figuredémentent toute tentative de fuite improvisée.«Elle a appartenu à une statue placée dansune niche, par la manière dont a été traitée lapartie postérieure», écrira-t-il froidement dansson rapport. Fixée dans son coin donc, pas legenre à filer en douce lorsque Rome com-mence à brûler.

Au IIe siècle, il y a longtemps que César apassé le Rhône et Genève (Genava, ae, nomféminin) est une province parmi les centainesd’un Empire à son apogée. Pourtant, bienqu’encore jeune, pour Hippolyte la statue ap -partient déjà à une époque révolue («unepériode de décadence» notera-t-il presqueperfidement) ; déesse païenne quand sonmonde devient chrétien. Le savant bute faceà l’identification de ses attributs. Elle pourraitêtre Junon, la mère, mais il la préfère Cybèle,déesse de la nature sauvage; un médecin

L’inconnue au diadèmeEn 1883, lors des travaux de fondation de l’usine des Forces motrices,le lit du Rhône fut asséché et permit de mettre à jour quantitéd’objets archéologiques, dont la tête d’une statue romainereprésentant une divinité féminine.

PHILIPPE CONSTANTIN

Je me plais à relier cette découverteavec ces yeux éteints, aveugles, ne seportant que sur un univers qui nousrestera à toujours inconnu, lavé du -rant des millénaires par les eaux et la

vase du Rhône. L’idée fait son chemin. Découvrir le néant

d’un regard et le nommer. César.Automne 2007. Luc Long et son équipe

du DRASSM extirpe du fleuve, à Arles même,les vestiges d’une antiquité qui me fait chaudau cœur.

Je n’ose imaginer l’instant de la découverte.Quand le limon en suspension s’évanouit pourlaisser passer un rayon opaque de lumièreestivale, quand brusquement, au détourd’une morgue fluviale, l’œil anxieux du plon-geur plonge dans l’abysse d’un regard perdu;poisson mort, masque mortuaire, puis soudain,statue décapitée, évidemment, selon la moded’autrefois. Me comprenne qui voudra.

La grandeur de l’Empire et la brièveté dela vie des hommes, quel que fut leur statutsocial, empêchaient qu’on les sculpte de capen pied, cheval compris. C’est un jeu de bil-boquet, un manège de l’absurde, un jeu dechaise pour têtes couronnées, une rationalisa-tion économique et de communication déjà à la pointe du progrès lapidaire.

Arles est au temps de Jules une presquecapitale. Elle domine la Camargue et le lieud’amerrissage, peu après, de certaines Maries,putains transgéniques ou mères de Dieu, allezsavoir. Elle cultive déjà le culte de la tauro-machie dans des amphithéâtres imbéciles siplein de respect et de croyances, d’étonne-ment et de désirs morbides.

Arles sera donc à César ce que César est àArles. Lauriers bien sûr, cornes, vous m’aurezentendu et femme pour les intimes. Et qu’onrende alors à qui de droit ce qui doit lui reve-nir. Un amphithéâtre, un fleuve, une statueéquestre magistrale, un taureau à l’agonie?Non. Une tête en l’occurrence, un œil quiautrefois dut être peint de vives couleurs,

comme le reste, mais qui aujourd’hui est aussivide que la pupille d’un poisson cuit à pointdans son court-bouillon.

Pourtant, je ne voudrais pas minimiser ceregard. Il est stellaire, effrayant, indicible d’in -nocuité, englobant et unique, lui qui laisseraitcroire vouloir mendier une canne blanche.

Etrangement, il n’y a pas d’effroi. Juste cetteimmense vacuité qui voudrait ne pas mêmeinterroger sur le sens de la vie. Le fleuve estpassé là, gommant l’identité d’une personna-lité qu’on croyait pouvoir découvrir au-delàde ses traits.

Rhône, ô Rhône, te voilà spolié d’un visageaux yeux morts pour conforter les vivants dansle courant de la vie, ici, à Arles ou ailleurs, etlaisser courir dans le lit des polémiques lesvains discours mortels qui ne savent voirl’éclat d’un regard, fut-il à notre intelligencedélétère déjà disparu: César de tous les sens,ou pas César.

légiste de presque cinquante ans a des accèsromantiques qu’on ne s’explique pas.

A côté d’elle sur la table s’amoncellent deshaches et des lames d’épées, des braceletspréhistoriques, un autel dédié à Neptune,quelques morceaux de frises ou de stèles, desbijoux, des plats en faïence et de catelles re -naissantes, quelques poteries et, curiosité quiretiendra Hippolyte pendant quelques jours,dix-sept superbes cuillers en étain, couvrantentre elles trois siècles d’histoire de la soupe,et n’ayant brassé que de l’eau boueuse pourles trente dernières décennies. La tête mysté-rieuse a pourtant plus d’attrait que les étainsaffadis. Il est indéniablement flatteur d’être lepremier à voir une femme (ou en tout cas, desouffrir peu de rivaux pour ses œillades, quisoient encore de ce monde). Lorsque la nuittombe, la statue, «plus grande que nature»,

lui apparaît presque menaçante. Son nez écor-ché ne projette pas d’ombre, ses paupièresobscurcissent ses yeux et donnent aux contoursde ses lèvres une moue impérieuse. Il se sou-vient de l’histoire fantastique d’un jeunehomme marié contre son gré à une statuepour lui avoir glissé par jeu la bague au doigt.

Sept ans plus tard, avec la fausse morguedes amoureux dédaignés, il l’achèvera d’unephrase, d’un adverbe même: «Elle est néan-moins intéressante, vu la rareté des pièces decette nature recueillies jusqu’ici à Genève.»

Cybèle, la «déesse diadémée», se trouvetoujours dans les collections du Musée d’artet d’histoire. Certains archéologues ont depuissuggéré qu’elle représentait plutôt Tutela,déesse protectrice des cités, voire Genava,personnification de Genève, dont l’âme survitdepuis deux mille ans dans le Rhône.

Il faut rendre à CésarJe suis resté pétrifié par ce regard vide. Est-ce cela la mort? Empereur ou simple citoyen, magistrat ou ouvrier…

Le César d’Arles

Déesse diadémée, Empire romain, première moitié du IIe siècle. © Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, inv. no C1095. Photo Bettina Jacot-Descombes

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9Journal des Bains 11 · été 2014

Les touristes qui débarquent à la belle saison à Genève enont une vision de carte postale.Ah, que le ciel est bleu et le soleil radieux sur cette petite République! Ces heureux estivants ne font pas encore partie de tous ceux qui sontdéfinitivement brouillés avec le climat local. A les entendre, Genève ne serait, par temps frais,qu’une cuvette à brouillard. Ce qui expliquerait en partiel’humeur sombre de seshabitants.

LIONEL FONTANNAZ

Quel Valaisan de Genève, triste delaisser en semaine au pays toutesces heures de soleil, n’a pas dé -crié le crachin du bout du lac?C’est ainsi : la Cité de Calvin a la triste réputation d’être un pays de

brouillard. Mais c’est faux, archi faux! Ce ne sont pas les brouillards qu’il faut

blâmer pour ces heures de déprime automnaleet hivernale, mais les stratus. Ces nuages basqui, par faible courant de bise, flottent à quel -ques centaines de mètres au-dessus de nostêtes. Cette explication est sans doute unefaible consolation. Mais autant savoir de quoinous souffrons, nous déprimerons ainsi plusintelligemment.

Genève n’est donc pas une terre à brouil -lard comme peuvent l’être d’autres villes deSuisse. Zurich, par exemple, compte deux àtrois fois plus de jours de brouillard que cequi est ici relevé! Voilà pour les généralités.Cette statistique, toute officielle, est pour l’essentiel basée sur des observations faitespar MétéoSuisse à l’aéroport de Genève. Ellesemble plutôt bien s’appliquer à une grandepartie du canton.

Or, qui n’a pas traversé le pont Butinenveloppé dans une nappe de brouillard?Qui n’a pas vu, depuis le sommet des tours duLignon, ces nuages rampants épouser les mé -andres du Rhône? Qui n’a pas plongé dansl’inconnu des miasmes rhodaniens du côtéd’Aire-la-Ville? On peut allègrement fairel’hypothèse que le nombre de jours de brouil -lard ou de brume le long du Rhône dépasse lastatistique établie au seul point d’observationde l’aéroport.

Pourquoi une telle hypothèse? Parce quenous avons tous remarqué que ces brumes etbrouillards sont souvent confinés au seul litdu Rhône. Ensuite, le lit de la rivière offre desconditions topographiques et d’humidité par-ticulièrement propices à la formation de cesgrisailles. Pour qu’il y ait formation de brouil -lard, trois éléments au moins sont indis -pensables.

Il faut de l’air assez froid près du sol pouratteindre la température de condensation,laquelle permettra à la vapeur d’eau de setransformer en fines gouttelettes. Cet air froidest généralement lié au refroidissement noc-turne par ciel dégagé.

Il faut aussi un vent faible pour mettre ensuspension ces gouttelettes. Sans vent, il n’yaurait que la formation de rosée au sol, et tropde vent disperserait les gouttelettes dans del’air trop sec.

Dans les brouillards du Rhône

Et puis, bien entendu, il faut de l’humi-dité, de la vapeur d’eau, sans quoi aucunegouttelette ne pourrait se former.

Le Rhône, comme la plupart des fleuves etrivières, permet de réunir assez facilementtous ces éléments. Tout d’abord un bon ap -port d’humidité, fourni par le Rhône lui-même,mais aussi par les terrains humides et trèsvégétalisés qui le bordent. Il suffit d’explorerla toponymie le long du Rhône pour identifierces terres humides, Les Evaux (eve=eaux), le Bois des Mouilles, Loëx (terre humide etboueuse). Des terres parfois incultes, vraisem-blablement trop humides ou argileuses, che-min des Tattes (terre de mauvaise qualité),Nant de Longemalle (terrain allongé de mau -vaise qualité). Le chemin des Biolay, qui in -dique la présence de bouleaux, une plantepionnière qui apprécie les terrains humides.Les zones qui longent le Rhône ne manquentdonc pas d’humidité.

La topographie, parfois bien encaissée dela vallée du Rhône, va aussi jouer un rôle favo-rable pour la formation de brouillard. La nuit,l’air froid plutôt dense va s’écouler et se concen-trer dans les méandres de la rivière et permettred’atteindre la température de condensation,appelée température de «point de rosée». Cettetopographie en vallon, ainsi que les forêts quibordent le Rhône, vont aussi pouvoir retarderou empêcher le réchauffement solaire et ainsimaintenir plus longuement des conditionspropices aux bancs de brouillards.

De même, si dans certains cas le vent esttrop calme sur le canton pour former desbrouillards (dépôt de rosée), les courantsd’air qui s’écoulent dans le vallon du Rhônepeuvent permettre cette mise en suspensiondes gouttelettes.

A la mi-saison, il arrive que le passage d’airdoux et humide sur les eaux fraîches du Rhôneou de l’Arve puisse aussi provoquer la forma-tion de bancs de brume ou de brouillard.

Les brouillards du Rhône sortent parfoisde leur lit et migrent vers les zones riveraines,notamment vers l’aéroport. L’arrivée de cesnappes de fines gouttelettes en suspensionpeut alors réduire drastiquement la visibilitésur la piste, au mieux moins d’un kilomètre,au pire pas plus de 50 mètres. Il suffit de re -garder une carte pour s’apercevoir que la pluscourte distance qui sépare le Rhône et le boutde la piste, côté Meyrin, n’est environ que d’un kilomètre. Les brouillards du Rhônepeuvent ainsi retarder et rendre incertain ledépart des nombreux vols vers des contréesplus ensoleillées.

Dans son Glossaire genevois (1851), JeanHumbert donne l’explication suivante du mot«brouillards»: «Nous disons proverbialementd’une affaire que nous regardons comme in -certaine et fort chanceuse, qu’elle est sur lesbrouillards du Rhône». Quelle affaire? L’avan - cée du CEVA? La traversée de la Rade? Laplage des Eaux-Vives? Sacrés brouillards duRhône!

Photographie Philippe Constantin

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11Journal des Bains 11 · été 201410 CARTE BLANCHE

PHOTOGRAPHIE EDDY MOTTAZChasses du Rhône, Peney, juin 2012

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Journal des Bains 11 · été 201412 DOSSIER FLEUVE

ARMAND BRULHART

Installés dans la mouette, vous jetterezun œil sur le quai d’en face et l’hôtel cinqétoiles autrefois Hôtel du Rhône, aujour -d’hui Mandarin Oriental, sans savoirnécessairement qu’un ancien quartier

médiéval s’étalait au soleil, avant d’être rasé en1932. Ici, Le Corbusier avait dessiné une seuledes trois tours triangulées qui auraient dûremplacer le vieux faubourg de Saint-Gervais.Il faut l’imaginer culminant à 100 mètres dehauteur «offerte à l’air et à la lumière, étein-celante de clarté radieuse…». Ici, l’architecteMaurice Braillard avait projeté plus simplementune suite d’immeubles luxueux avec pergolasperpendiculaires au Rhône, tandis qu’après la Première Guerre mondiale d’autres archi-tectes auraient bien vu des immeubles avecfrontons cintrés ou triangulaires – comme àla rue des Granges – le long du quai baptiséquai Tur rettini en souvenir de l’ingénieur quifut à l’origine des Forces motrices du Rhône à la Coulouvrenière.

Vous pouvez voir deux puissantes statueséquestres de part et d’autre du quai à gradinslégèrement incurvé, construit après la correc-tion du bras droit du Rhône en 1937-1939. Lesgradins et les socles des statues sont tout ceque Maurice Braillard a laissé de son rêve surle faubourg et si vous regardez bien l’hommenu tenant une colombe de la Paix contre sapoitrine, vous ne verrez pas ses jambes; ilmonte en amazone, comme si le sculpteur,Frédéric Schmied, voulait exprimer la fragi-

lité de la paix ; rien de tel sur l’autre cavalierbien campé, l’Aigle de Genève sur son épaulegauche.

Quant à l’hôtel, construit par l’architecteMarc J. Saugey en 1947-1950, il inaugurait àGenève la renaissance de la Société des Na -tions (SDN), sous le nom d’Organisation desNations Unies (ONU). Si Saugey reprend àl’extérieur le travertin classique du Palais desNations, il innove à l’intérieur, expérimentantpour la première fois à Genève la flexibilitésaisonnière entre les chambres d’hôtel et lesbureaux.

Ouf, le bateau part enfin! En passant sousla grande arche du pont de la Coulouvrenière,vous aurez une pensée pour l’Expositionnationale suisse de 1896, pour laquelle il futconstruit, quand bien même les colonnes demarbres roses qui ornaient la partie centralene sont plus.

Sur votre gauche, le long bâtiment indus-triel à cheval sur le fleuve, en pierre de Meil -lerie et toiture d’ardoise, fut solennellementinauguré en 1889 et connu sous le nom deForces motrices de la Coulouvrenière. Désaf -fectée, l’usine fut transformée en salle despectacles. En retrait, l’ancienne Usine gene-voise de dégrossissage d’or (UGDO), fleuronde l’industrie du luxe, fut conquise par la jeu-nesse turbulente et culturelle de Genève.

L’écluse du barrage du Seujet est un obs-tacle à franchir au départ et au retour. Vousaurez le temps de vous voir écrasés par lesimmeubles du Seujet qui ont remplacé lequartier de la bière et des pierres précieusesde Sous-Saint-Jean.

L’ancien pont privé de Sous-Terre a été re -construit en 1967-1968, dominé par l’Ecole decommerce cubiste et audacieuse dédiée àl’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier.

En contrebas du pont, les ruines de l’an-cien couvent augustin de Saint-Jean-hors-lesmurs, démoli en 1536, furent aménagées enpromenade archéologique, là où le cousin deBenjamin Constant, Charles «le Chinois»s’était fait construire son bain du Rhône.

Vous avez laissé sur la rive gauche la fin del’ancien quartier industriel de la Coulou vre -nière et son usine de chocolat désaffectée, lebâtiment administratif et sec des Services in -dustriels, l’institution par excellence de l’eau,qui masque le chantier d’un nouveau quartierécologique sur l’ancien emplacement d’uneusine à gaz abandonnée après une explosionmeurtrière, et une vue lointaine sur le rond-point de la Jonction.

Du haut du pont Sous-Terre, vous verrezpeut-être plonger d’intrépides adolescents dansles eaux jades et sombres du fleuve.

Le bateau navigue maintenant entre deuxsentiers «célèbres», le sentier jadis roman-tique des Saules, planté de peupliers italiens,et celui des Falaises, classé il y a moins d’unsiècle. Si vous levez la tête, le clocher del’école primaire de Saint-Jean vous donnerapeut-être l’heure.

D’anciennes usines d’horlogerie, de bri-quets de luxe, la robinetterie Kugler, transfor-

mée en ateliers d’artistes, un dépôt d’autobus,une plateforme pour la baignade annoncentle point de jonction du Rhône et de l’Arve dontles eaux boueuses (embourbées) colorent lefleuve. Une digue freine les eaux rapides de larivière qui autrefois avaient tendance à re -monter le cours du fleuve et à faire tourner lesmoulins en sens inverse. La magie du site aexercé sur les Anglais de 1830 son charmeannoncé dans les meilleurs guides. L’écrivainLuis Borges aimait cette confluence.

C’est ici que finit la ville en queue de pois-son et que s’ouvre le paysage du Rhône touffuet ses mystères. La puissance du fleuve qui acreusé son lit durant des millénaires peut semesurer grâce au viaduc du chemin de fer,construit en pleine guerre, entre 1942 et 1946,sur un dessin structurel de l’architecte ArthurLozeron.

Tout commence avec le Bois de la Bâtie,ainsi nommé à cause de son ancien châteaude la Bâtie-Mellié, cité au XIVe siècle, détruit,puis reconstruit en pierre et à nouveau ruiné,probablement par les Bernois, au temps de laRéforme. Si la première gravure de Genève,parue dans la Cosmographie universelle deSebastian Munster et datée 1548, représentebien la jonction du Rhône et de l’Arve, le Boisne devient le point de vue privilégié des ar -tistes sur la ville que dès la fin du XVIe siècle.L’artiste anonyme qui a gravé Genève depuisle lac, publiée par Chouet en 1655, est le seul à

La descente du RhôneAccosté sur la rive droite de l’Ile, dans l’enfilade des baies en plein cintre des Halles, tout à côté de la libraire d’architecture, le bateaudu Rhône vous attend. Vous êtes à la rue des Moulins, qui furent si nombreux sur le Rhône et tous morts depuis belle lurette.

Le quartier du Seujet en cours de démolition, juillet 1931 (BGE-CIG).

Le Corbusier, étude pour Saint-Gervais, 1932.

Photo de la maquette du futur quai Turrettini,projet de Maurice Braillard, 1929.

Gravure de Gantner, 1897. Si vous observez bien cette gravure publicitaire de la fin du XIXe siècle, vous verrez sur le Rhône le bac qui fut concédé à la tenancière du café des Moraines, qui conduisait à la Coulouvrenière au café «Chez Antoine», et dont le passeur périt dans fausse manœuvre.

Jonction de l’Arve et du Rhône, carte postale Jullien frères, 1911. La digue est aménagée et la vue s’étend sur l’ouest du Bois de la Bâtie avec sa brasserie.

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des hérons cendrés, des mouettes rieuses, descygnes, des grèbes, des foulques, des canardscolverts ou quelque épervier.

Bien vite, le pont Butin se dresse de toutesa hauteur, évoquant l’image romaine et mo -numentale d’un pont du Gard qu’on auraitcompressée. Son histoire commence en 1914par un concours national d’architecture au -quel le jeune Charles-Edouard Jeanneret par-ticipa. On lui préféra ce mastodonte dessinépar l’architecte Henri Garcin qui venait des’illustrer par la construction de la MaisonRoyale sur le quai des Eaux-Vives (actuel quaiGustave-Ador). Impression trompeuse, car lorsde l’orage du 5-6 juillet 1924, une des cinqarches s’écroula avec sa charpente du côté duplateau de Saint-Georges. L’inauguration eutlieu le 4 mars 1927. Le riche David Butin quiavait légué un million pour cette opérationpouvait être à demi-satisfait, le pont n’étaitpas en fer et le chemin de fer prévu fut aban-donné, triste destin pour un marchand de fer,même si le béton était armé.

Comme le dit le poète Pierre Duniton, aliasAntoine Dufaux:

Douze millions, mazette ! avec cinq vies humaines

Pour élever un pont qui ne conduit à rien! Butin, «cher» donateur, ce n’était pas

la peineDe leur léguer ton bien.

La grande arche à peine franchie, on setrouve sur le tracé transversal de l’ancien bacd’Aïre concédé en 1886 avec sa «traille» (câ -ble métallique) au dénommé John Branchu,un cafetier-restaurateur-passeur qui vous fai-sait traverser d’une rive à l’autre pour moinsde 4 sous.

On ne voit pas l’ancien site du prieuré deSaint-Georges fondé par les Augustins de l’ab -baye de Filly en Haute-Savoie avant 1311 etdont il subsiste la ferme avec sa tour. Sur larive droite, en revanche, bordant la crête d’Aïre,la maison-forte, dite le Prieuré d’Aïre dont«le couvent», démoli en 1882, fut peint par lemaître de Hodler, Barthélémy Menn.

Sur la rive gauche, noyé dans la végétation,juste avant la grande boucle du Rhône, le pre-mier des moulins de la campagne, le très an -cien moulin des Evaux, dont il ne reste qu’uneportion de mur. Avec sa machine hydraulique,il fut abandonné à l’aube du XXe siècle. A lafin du XVIIIe siècle existait ici un bac un peu«spécial», dont le passeur bien connu fut ac -cusé de contrebande entre le royaume dePiémont-Sardaigne et la France.

En face, la «Grande Isle», appelée aujour-d’hui la presqu’île d’Aïre, où autrefois desorpailleurs tamisaient le sable pour retrouverles paillettes d’or de l’Arve. En plein contour,après un ponton blanc, vous sentirez une légèreodeur qui annonce la plus importante stationde traitement des eaux usées (STEP) du can-ton et dont le bâtiment principal, achevé en1967, ponctue les installations.

Vous êtes dans l’axe du hameau de Loëx,accroché à la crête. Les meilleurs connaisseursdes paysages genevois l’ont choisi comme siteà protéger dès 1919. La photographie de FredBoissonnas vous offre le jeu des différences.

Surgissent alors sur votre droite, à l’arrièredu cordon boisé, les deux tours totémiques duLignon, emblèmes de modernité. La cité satel-lite, construite entre 1963 et 1971, fait aujour-d’hui partie du patrimoine de l’architecturedu XXe siècle et comprend un long zig-zag de plus d’un kilomètre dont chaque allée estplacée sous le signe du Candide de Voltaire,illustré par Hans Erni.

Le bateau passe maintenant sous la passe-relle piétonne du Lignon, qui soutient l’oléo-duc en provenance du complexe pétrolier deLavera (Port de Bouc, Marseille) alimentant encarburant les citernes de Vernier. Elle conduitsur la presqu’île de Loëx, ancien domaine agri-cole de Lullin de Châteauvieux dès 1723 et quidevint en 1891 l’asile de Loëx, puis hôpital en2001. La résistance à l’érosion de la presqu’îles’explique par la présence d’une carrière demolasse encore exploitée au XIXe siècle. Vers1840, un bac reliait la presqu’île à Vernier, créépar l’astucieux Veinié, mécanicien et surveil -lant de la Machine hydraulique de l’Ile.

Le chantier du viaduc de la Jonction, vers 1945(BGE-CIG).

Gravure de «La ville de Genève, pour Pierre Chouet, 1655», coll. A.B. Dans le cercle bleu, le graveur a parfaitement représenté, avec ses quatre tours, le « fort de la Bâtie».

Vue anonyme depuis le Bois de Bâtie sur la rive d’en face, aquarelle anonyme, 1845, coll. A.B.

Le pont Butin (d’après le dessin d’Henri Garcin et Bolliger & Cie de Zurich), marque une frontière historique entre les communes de Vernier (en France, jusqu’en 1815) et le Piémont-Sardaigne (jusqu’en 1816).

Le bac d’Aïre ou de Saint-Georges, carte postale Charnaux frères, 1900.

fournir du Bois de la Bâtie une vision préciseet en même temps imaginaire en «reconstrui-sant» un château fantastique.

Le bois et les ruines de la Bâtie furent ra -chetés par la Seigneurie au marquis de Challesen 1756, deux ans après le Traité de Turin.Passé en mains privées, le Bois fut presqueentièrement coupé par les soldats autrichiensdurant le terrible hiver de 1813-1814. Affaiblie,la colline subit de gros dégâts par les crues del’Arve, offrant au savant géologue Louis-AlbertNecker-de Saussure l’occasion unique, dèsl’hiver 1825, d’étudier et dessiner «le terraindiluvien cataclysmique qui recouvre l’alluvionancienne», puis du côté du Rhône, «à l’ouestdes ruines du vieux fort de la Bastie». L’auteurde la première carte géologique du canton deGenève, Alfonse Favre, a repris la lecture descouches en analysant la marche passionnantedes glaciers du Valais à Lyon, qui s’est tantcomplexifiée depuis lors.

Le Bois fut mis en vente en 1868, rachetépar les frères Auguste et William Turrettini etoffert à la Ville de Genève en 1872 pour y amé-nager une promenade publique.

Alphonse Favre note encore la découverte,en 1878, d’ossements et d’une défense de mam -mouth et rappelle que son illustre prédéces-seur, Horace-Bénédict de Saussure, avait trouvésur la rive du fleuve, «vers 1786», une défensed’éléphant à 150 mètres en aval du moulin desEvaux (Onex), interprétée comme une preuvedu passage d’Hannibal. En 1948, lors du per-cement du tunnel de la Bâtie, une nouvelledéfense de mammouth fut découverte.

L’histoire du Bois de la Bâtie n’a jamais étécontée. En plus de sa réelle valeur géologique,de son histoire médiévale, de son importanceartistique, des légendes «fantomatiques» dela période française, de ses embellissements«jardiniers» (mieux connus), il faudrait dé -crire la première passerelle du Bois-de-la-Bâtie,agrandie après la création du réservoir pour la distibution d’eau en 1873 (doublé en 1934),la construction de la rampe de Saint-Georgeset ses portes masquant les galeries de la culturedes champignons de Paris, les industries de la bière dont les vestiges ont été vécus «del’intérieur» par les adolescents à travers les«Grottes du Cardinal», creusées et fermées

par de très hautes portes, ainsi que le montrele dessin du géologue Ernest Favre, à droitede la brasserie.

Pour protéger et soutenir l’entretien de ceBois, la Confédération l’a soumis à la loi surles forêts dès 1903 en même temps que le Boisdes Frères de Vernier. Les lois de protectiondes rives du Rhône ont complété ce dispositiflégal. En 1977, fut créé l’extraordinaire Festivaldu Bois de la Bâtie. Au pied de la colline, vousverrez peut-être sur le chemin «côtier» descamions déchargeant leur contenu d’orduresdans une barge, car elles empruntent le mêmeparcours que votre bateau jusqu’à l’usine desCheneviers, où les ordures de la ville serontbrûlées.

Sur la droite, entre le viaduc et le pontButin s’étend un plateau rapidement colonisépar deux vastes campagnes de notables aprèsque l’ingénieur de la République, Pierre Raby,eut tracé, à la fin du XVIIe siècle, une largeavenue conduisant à Aïre, limitée à l’intérieurdes franchises de la ville. La seule maison demaître visible est celle des Fuzier-Cayla, prochedu viaduc, la seconde appartient aujourd’huiau dessinateur Zep, le père de Titeuf.

Sur les rives, le fleuve, encaissé, chariant en -core les alluvions de l’Arve (plus de 2500 tonnesquotidiennement), les arbres qui ont pris leuressor se battent vainement contre la puissancede l’eau qui les fait pourrir. Le spectacle decette bataille inégale se reproduira à plusieursreprises, augmenté par la vitalité des castors.L’homme a tenté de les protéger en construi-sant sur la rive droite un mur bas et quelquesempierrements. Le règne des oiseaux commenceet vous aurez peut-être le loisir d’admirer

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Sur votre droite, le Bois des Frères, au-des-sus d’une carrière de molasse, doit son nomaux Frères mineurs, les Dominicains de Plain -palais qui en héritèrent en 1422. Géré dès laRéforme par l’Hôpital de Genève, le Bois futvendu en 1786 au Seigneur de Vernier Jean-Louis de Gallatin, propriétaire du château deVernier nommé château de Poussy, que l’onaperçoit au-dessous de la silhouette du villagede Vernier. Vous pouvez voir le long de la rivele «chemin du Moulin des Frères» et le petitpont qui traverse le nant d’Avanchet au-dessousdu Bois de la Grille. Ce bois, menacé par unprojet de zone industrielle, fut finalementclassé en zone forêt en 1987, tandis que lemoulin signalé dès le XVIe siècle sur les bordsde l’Avanchet fut reconstruit sur le Rhône parle même comte de Gallatin et rendu inutilepar la construction du barrage de Chèvres.

En vous retournant, vous apercevrez la ter-rasse et la maison de maître du domaine du«Lignon», du nom d’un affluent de la Loire etd’une contrée rendue célèbre par le romandélicieusement mièvre de L’Astrée d’Honoréd’Urfé. Jean-Jacques Rousseau, qui s’attendaità y voir des bergers et des bergères énamou-rées, conclut sèchement: «Ce n’est qu’un paysde forges et mon voyage m’enleva toute illu-sion.» Le Lignon genevois fut vendu en 1791par une dame Prévost-Revilliod à François(Sir Francis) d’Ivernois qui l’agrandit.

Dans la seconde boucle en épingle duRhône, contre la presqu’île de Loëx, vous ver-rez la «roselière des Fonds» (2004), précieuseréserve aussi bien pour les oiseaux, les pois-sons et où sont recensées périodiquement lesespèces. C’est sur ce site naturel qu’en février1929 Le Corbusier situait dans la boucle deVernier l’arrivée d’un canal en droite ligne dulac Léman, jalon du rêve d’une liaison navi-guable entre le Rhin et le Rhône, avec enprime une «cité industrielle», sur la rive op -posée. Ouf! Vous l’avez échappé belle !

C’est ensuite le «Canada», toponyme mys-térieux sur la limite sud de Vernier, où s’ins-talla dès 1898 l’odorante usine de parfumerieGivaudan et une cité ouvrière.

Le site fut choisi après l’inauguration dubarrage de Chèvres, dont il ne reste que lapasserelle piétonne. Près de l’ancien moulinde Chèvres, «on a pris soin – écrit A. Favre –de réunir… une collection de blocs erratiques,qui proviennent surtout des bords du Rhône;ce sont : euphotide que l’eau a rongé en formede marmite de géant, poudingue de Valorsine,amphibolite noire, schiste chloriteux, quartziteblanc, grès du Trient, éclogite presque noire,parsemée de grenats.» Cet inventaire poétiqueet pré-historique du Rhône a-t-il disparu?

idées. Et l’on retrouve, après la Seconde Guerremondiale, le canal du Rhin au Rhône.

Impossible d’échapper à l’usine des Che -ne viers, construite par les architectes Guex &Kirchhoff en 1962-1963, et ses deux cheminéeshelvétiques. Les radeaux que vous voyez ser-vent aux sternes pierregrains. Quant aux bargesdu Bois de la Bâtie, vous en apercevrez quel -ques-unes.

Le paysage s’élargit et commence alors lelac de retenue au nom si étrange de Verbois.Du bois vous en verrez, car les castors ycontribuent. La construction du plus grandbarrage genevois fut conçue à partir d’un pro-

jet de l’entreprise Zschokke et réalisé entre1938 et 1943. Quand vous serez sur le barrage,la chute de l’eau du Rhône vous démontreraque l’homme peut pulvériser un fleuve et lecanaliser, on appelle cela le rêve ou le cau-chemar du Niagara. La vue des falaises deCartigny et du Moulin-de-Vert vous apaisera.

Pour en savoir plus :www.rhone-geneve.ch

Croisière «Les rives du Rhône» Pour tout renseignement sur les horaires et les prix :www.swissboat.com022 732 47 47

Le Prieuré d’Aïre, huile sur toile de Barthélémy Menn, vers 1880, coll. A.B. La maison-forte, appelée la Revilliode, appartenait à la fin du XVIIe siècle à Pierre Revilliod. Ici, le peintre Corot venait voir ses amis Baud-Bovy en 1857.

L’usine de Chèvres en 1898, in Théodore Turrettini, Chèvres, Genève, 1900.

L’ancien moulin des Evaux.

L’usine de Chèvres, inaugurée en 1896 etdynamitée en 1953, fut construite par la Villede Genève, qui confia à Théodore Turrettini,encore lui, de signer la monographie qui ac -compagnait la maquette transportée à l’Expo -sition universelle de Paris de 1900, en mêmetemps que celle de la Coulouvrenière.

Juste après la passerelle, sous laquelle on retrouve une roselière – dite «Roselière deChèvres» (créée en 2000) alors qu’elle se trouveau «Canada»! –, le pont incliné de l’autoroutede contournement, construit en 1986, laisseéchapper sa rumeur. Les parois érodées du boisde Chébé annoncent la commune de Satigny.Des hirondelles viennent y nicher. Em prun tantla courbure interne du Rhône, l’île de Plan -fonds (2000) s’agrandit chaque an née, tandisqu’en face le bois de Bay annonce la plus grandezone industrielle des bords du fleuve où s’im-posait là encore une île – l’île de Peney (2007-2008) – caractérisée par des saules, excel lentenourriture des castors.

Avant d’arriver au pont de Peney, il fautencore noter le grand bois de Châtillon et lepetit estuaire du nant Bordaz.

La commune d’Aire-la-Ville évoque laconquête d’Henri IV de toute la rive droite surla Savoie en 1601 et le premier pont construitaprès la révolution radicale de 1846, recons-truit en 1942 avec une fragilité telle qu’il a fal-lut y placer un feu rouge.

Le moulin de Peney et la machine hydrau-lique ont disparu depuis longtemps. Sur les«hauteurs», le site médiéval de Peney-Dessuspossédait un château édifié par l’évêqueAymond de Grandson le même qui avait faitconstuire le château de l’Ile. Parmi ses châ -telains se retrouve étrangement PhilibertBerthelier, héros de la liberté décapité devantle château de l’Ile. Peney-Dessus a joué un rôlebien connu au temps de la Réforme puisqueles Peneysans, catholiques, s’y retranchèrentavant que les Bernois rasent le château.

A Peney-Dessous, l’estuaire du nant d’Avrilforme un petit port qui engendra de grandes

Loëx, photographie de Fred Boissonnas tirée de Camille Martin, Sites et paysages genevois,Genève, 1919.

Le Lignon, construit par les architectes Georges Ador, Jacques Bolliger, Dominique Julliard,Louis Payot.

Chromophotographie de l’usine Givaudan, vers 1920. Coll. A.B.

Plan de Le Corbusier et P. Jeanneret, Paris, février 1929. En bleu, le tracé du canal souterrain reliant le Léman à Vernier, segment de la «Navigation Rhône-Rhin».

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15Journal des Bains 11 · été 2014 DOSSIER FLEUVE

FRANÇOIS PASQUINI*

Le Rhône est l’émissaire du Léman.Son passage dans le territoire gene-vois structure le paysage, commeune épine dorsale. A le voir si ma -jestueux et naturel dans son écrin

de verdure, les promeneurs en oublieraientpresque que ce fleuve a la capacité de fournirune énergie tout ce qu’il y a de plus renouve-lable. Trois ouvrages se situent sur son coursgenevois: les barrages du Seujet, de Verbois etde Chancy-Pougny. Ils fournissent aujourd’huiun quart de l’énergie consommée à Genèvealors que dans les années soixante leur pro-duction suffisait pour couvrir l’entier de laconsommation…

Bien que renouvelable, l’exploitation de cesbarrages par les Services industriels de Genève(SIG) n’est pas sans impact sur le fonctionne-ment écologique du fleuve. Son débit estréduit la nuit et augmenté le jour. Cette pra-tique permet de produire de l’énergie durantles périodes de pointe de consommation maisn’est pas sans causer des dommages environ-nementaux, principalement sur la faune pis-cicole. La loi fédérale sur les eaux récemmentmodifiée doit permettre d’assainir l’impactdes ouvrages hydroélectriques. Le canton deGenève doit ainsi établir, d’ici la fin de l’année,des planifications stratégiques dans les do -maines des éclusées (variation des débits), ducharriage des graviers, de la migration pisci-cole et de la renaturation.

Les efforts consentis pour exploiter cesbarrages en respectant la nature ont toutefoispermis de certifier une partie de la produc-

tion «nature made star» qui se commercialisesous l’appellation «Vitale vert». Celle-ci permetd’alimenter le fonds éco-électricité (COGEFE)qui finance de nombreux projets en relationavec le fleuve. Par exemple, dans le cadre dela requalification de la zone industrielle situéeà l'ouest du village de La Plaine, au bord duRhône, il contribuera à financer la créationd'une zone de renaturation de 4 hectares aubord du Rhône en relation avec un nouveauquartier d’habitation. Une partie du secteursera également affectée à la baignade. Un telprojet est réjouissant car il montre que leshabitations peuvent se développer en harmo-nie avec le fleuve, pour profiter au mieux de lanature.

Le Rhône est d’ailleurs de plus en plus uti-lisé pour la baignade. La partie urbaine a étérécemment équipée pour accueillir les ama-teurs. La qualité bactériologique du fleuve enville est suivie par le Service de l’écologie del’eau et est généralement correcte, semblableà celle du Léman. Mais il vaut toujours mieuxéviter de se baigner dans les 24 heures qui sui-vent un gros orage. Par ailleurs, si la baignadeau lac est à la portée de tous, la baignade dansle Rhône reste réservée aux bons nageurs.

Le canton de Genève a aussi une respon-sabilité envers l’amont. En effet, il est en chargedu respect des niveaux du Léman fixés dansune convention qui unit les cantons du Valais,de Vaud et de Genève, sous l’égide de la Confé -dération. Il s’agit, en particulier, de protégerles riverains du lac contre les inondations.

Les inondations concernent également lesriverains du Rhône et dépendent en partie dumode de gestion des barrages. La façon de gérerles sédiments qui se déposent dans les retenues,

par exemple par des vidanges régulières, in -fluence directement les dangers d’inondation.

Afin d’étudier cette problématique, et d’yfaire participer la société civile, le canton deGenève a mis en place une commission consul-tative pour la gestion du Rhône et de l’Arvequi comprend des représentants de la Ville de Genève, des communes, des utilisateurséconomiques du Rhône comme Givaudan,Firmenich, Swissboat, des milieux de la pêcheet de protection de la nature. Un grand inté-rêt de cette commission est de réunir autourd’une table des gens d’horizons et de préoc-cupations différents qui sont contraints decroiser leurs points de vue.

Cette gestion du fleuve ne concerne natu-rellement pas uniquement le canton maiségalement les territoires à l’aval. Comme leRhône s’écoule en France, il devient un sujetde préoccupation et de discussions dans lesrelations transfrontalières. Outre la gestion dessédiments, la perspective de changementsclimatiques et leurs répercussions sur le bas-sin versant du Rhône inquiètent les autoritésfrançaises qui ne disposent que de peu deleviers sur les débits s’écoulant de Suisse.

Plusieurs plateformes de discussions sonten place, dont une, conduite par l’Universitéde Genève, a lancé une réflexion sur la gou-vernance globale du fleuve. Un séminaire estprévu au printemps 2015 afin de faire un bilande la situation et de proposer des pistes pourune gestion future. Après, ce sont les volontéspolitiques qui décideront.

*Directeur du Service de l’écologie de l’eau à la Direction générale de l’eau de l’Etat de Genève.

Un fleuve sous haute surveillanceLe service de l’écologie de l’eau occupe un bâtiment surplombant la station d’épuration d’Aïre, avec une vue plongeante sur le Rhône, objet de toutes les attentions. La surveillance des eauxgenevoises se fait ici. Une quarantaine de personnes veille à leur état quantitatif et qualitatif en procédant à des mesures et analyses.

«Commeun vin qui a bienvieilli»

Charles Lenthéric, un polytech-nicien qui s’est construit unevie autour de l’eau, représentebien le parfait savant du XIXe

siècle. Né à Montpellier en 1837et mort à Paris en 1914, il a plus de 50 anslorsqu’il publie la première monographiedu Rhône. Son livre est construit sur laméthode encyclopédique qui englobe lapréhistoire, l’archéologie, la géographie,l’économie, l’hydrologie et sur ses propresobservations effectuées aussi bien enValais que dans le sud de la France. Bienécrit, Le Rhône fut un succès de libraireavec près d’une réédition chaque année,augmentée, entre 1892 et 1905. Il montreavant toute chose le désir d’un homme de recréer son fleuve et d’en traduire sapropre image.

Sans avoir la puissance et le lyrismed’un Michelet, Lenthéric fonde en quel -que sorte les études sur le Rhône, enoffrant pour la première fois au public unouvrage sérieux, accessible et plein d’es-poir sur la maîtrise des crues, hantise deplusieurs villes sur le fleuve.

La Suisse, dans sa politique nationaledes cours d’eau, a entrepris dès 1862 lacorrection du Rhin et, l’année suivante,celle du Rhône, autant de travaux gigan-tesques pour lutter contre les risquesd’inondation et pour travailler le paysage.Lenthéric appartient à cette générationd’ingénieurs que la vision industrielle,commerciale et agricole fascine. Pour lui,le Rhône doit devenir une source decroissance et les pages qu’il consacre au«Rhône primitif», par exemple, conserventune référence reconnue, une mémoire in -dispensable contre l’oubli.

Le Rhône de Lenthéric ne doit pasfaire illusion, il se boit comme un vin quia bien vieilli, un vin de collection. Lefleuve a tellement changé en un siècle, lesconnaissances se sont tellement affinéesque tout doit être vérifié. Le Rhône au -jourd’hui est étudié segment par segment.L’ouvrage de référence de la fin du XXe

siècle est celui de Jean-Paul Bravard, LeRhône du Léman à Lyon, publié à Lyon en1987, un ouvrage qui incite encore à ou -vrir toutes les disciplines dans l’approchedu fleuve et dont les prolongements sepoursuivent dans le Laboratoire rhoda-nien de l’Université de Lyon 2 ou à l’Ecolepolytechnique fédérale de Lausanne. Lestemps militent pour une écologie appli-quée et pour une renaturation des rives.

En descendant ou remontant le Rhônepar le TGV, les voyageurs auront un éven-tail contrasté du paysage fluvial: tantôt lechoc des ruines industrielles qui jalon-nent le parcours ; tantôt celui des installa-tions industrielles de la seconde partie duXXe siècle, tantôt la puissance de la végéta-tion. Rien ne vaut cependant le parcoursoffert par showmystreet.com, qui permetde suivre sans peine le cours entier dufleuve qui, de sa source à Sierre prend sonnom du vieil allemand Rotten, et celui deRhône jusqu’à la Méditerranée.

Armand Brulhart

Charles LenthéricLe Rhône. Du Saint-Gothard à la mer.Histoire d’un fleuve2 vol., Paris, 1892

Croquis de Zep

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Journal des Bains 11 · été 201416 DOSSIER FLEUVE

SERGE ARNAULD

La liesse

Nous fréquentons aujourd’hui lesquais genevois et assistons en étéà la Lake parade, appréciée pourses tréteaux sonores. Hier, lors desFêtes de Genève, nous étions assis

devant le Grand Casino pour admirer la pro-cession des chars du Corso fleuri défilant surun espace coloré par les confettis répandus surla chaussée. En juillet 1929 eurent lieu les Fêtesdu Rhône. Cette manifestation se voulait unefête populaire infléchie par l’Antiquité, selonl’auteur de l’avant-propos qui rappelait quejadis « le dithyrambe, devenu solennel, ryth-mait la danse du Chœur et la lente processiondes Masques autour des autels antiques.»L’aspect folklorique était vanté par «une cor-respondance entre une foule en marche et leRhône qui coule.» On avait aimé associer encette occasion le picoulet des Genevois à lafarandole des Provençaux, parmi d’autres ex -pressions collectives des populations vivantau bord du Rhône.

La présentation du Poème de René-LouisPiachaud (musique de Frank Martin) Evocationdu fleuve Rhône se termine par cette consta-tation: «Rien ne saurait, en effet, comme lesFêtes du Rhône, rappeler les drames que lesanciens consacraient aux dieux fécondateursde la terre et aux héros protecteurs des citéset des familles.» Cette Evocation s’appuie surdeux aphorismes en rapport avec l’élémentaquatique: l’un est dû à Héraclite, «De la terrenaît l’eau et de l’eau naît l’âme». L’autre est tiréde Pascal, «Les rivières sont des chemins quimarchent et qui portent où l’on veut aller».

A chaque époque, une certaine idée de cequi doit être populaire est avancée; à chaqueépoque, une certaine idée de ce qui paraît êtrela culture du moment est mise en avant.

Qui est « le» peuple? Qui décide du genre de fête qui convient

au peuple?Préalablement à ces interrogations, il faut

admettre que l’art et l’argent contribuent l’unet l’autre à l’épanouissement de l’imaginairenécessaire aux humains.

Pour le commun des mortels, l’idéal debeauté et le besoin de communion expriment

cette élévation en matière d’art. Telles pour-raient être les qualités de cette âme qui naîtde l’eau selon le philosophe présocratique,tant que l’homme, sur terre, est fait d’eau etqu’il est tiré de la poussière.

Pour le commun des mortels, la liberté etla sécurité sont les effets ou les bienfaits de cequi est promis par l’argent. Tel pourrait êtreperçu le rapprochement entre la rivière etl’argent, par ces chemins pascaliens qui mar-chent, qui (se) creusent (pour nous) plus pré-cisément, ces chemins qui nous portent, quinous conduisent, plus symboliquement dit.

Nous allons examiner en quoi les Fêtes duRhône répondent à ces deux questions rela-tives au peuple et à la fête (pensée comme artpopulaire) en exposant la situation économiquegenevoise au temps qui suit leur apparition eten étudiant le contexte culturel qui a précédécette manifestation d’exception. Nous verronsqu’il existe des liens puissants entre les do -maines culturels, financiers et politiques. Lesinteractions de cette trinité séculière sontmanifestes. Elles donnent à réfléchir.

Le krach

D’emblée, nous sommes frappéspar la date des Fêtes du Rhône,présentées en juillet 1929, sa -chant l’effondrement boursierqui va faire entendre d’autres

chants trois mois plus tard; quand cet éclairsur l’économie mondiale aura des effets surles oreilles des habitants de Genève, alors quela Banque d’escompte suisse fera une failliteretentissante, plus forte qu’aucun tonnerren’eût été capable de l’annoncer jusqu’alorsdans la Cité de Calvin.

Temps des suicides. Heures des pleurs etdes grincements de dents.

Est-il opportun ou déplacé de rappeler quele père de René-Louis Piachaud, David-Albert(1853-1907) était un agent de change ayant euun sens élevé de l’honneur car il mit fin à sesjours en l’année 1907, marquée par la paniquedes banquiers due à une grave crise liée à desspéculations sur le titre United Cooper?

C’est tout à fait déplaisant d’évoquer cesuicide si l’on tire des déductions hâtives de cefait tragique; c’est cependant instructif au seulsouvenir du nombre de personnes qui se sont

écroulées à la suite des événements sombressubséquents qu’il convient de rappeler mainte-nant: la phrase de Karl Marx, tirée des Manus ‐crits de 1857‐1858, excite toujours les esprits :«L’argent est la communauté et ne peut entolérer aucune autre qui lui soit supérieure».

Voici ces événements.La fermeture de la Banque d’escompte

suisse eut lieu à la fin du mois d’avril 1934,donnant suite à un arrêté législatif voté par leGrand Conseil, muni de la clause d’urgence,donc soustrait au référendum populaire.

A cette époque, le président du Conseild’Etat était le socialiste Léon Nicole (1887-1965)qui fut malmené sur ce point de frein à la dé -bâcle financière. Il dirigea un gouvernementmajoritaire (1934-1936) avec trois membresde son parti ; son nom reste associé à son rôlepolitique actif lors des manifestations qui abou-tirent à la fusillade du 9 novembre 1932. En1937, une votation populaire interdit le particommuniste et le parti socialiste abrita certainsde ses membres.

Cette faillite bancaire et cette émergencepolitique «rouge», momentanément à la têtede Genève, révèlent combien le cosmopoli-tisme des capitalistes est alors honni et com-bien la haine des bolcheviks attise un repli surce que signifient symboliquement le sang etle sol, une désignation du peuple, la défensede la patrie, notre terre.

De la terre naît l’eau et de l’eau naît l’âme.La vie qui naît de l’eau, l’esprit qui vient de

l’eau vont rendre gloire à Dieu par le baptême,vont exalter le Crucifié qui dit « j’ai soif, j’aisoif» contre les ravages de l’athéisme conta-gieux en raison de sa faim, toujours insatisfaitepar l’exaltation de l’individu borné par sa chairet ses intelligences.

Ce qui creuse et qui se remplit ; ce quiconduit et qui nourrit les mortels.

Filigrane culturel de la liessedans la liasse de papiers (sans) valeur

C’est en 1937 précisément queRené-Louis Piachaud écrit sonDiscours sur l’éternelle anarchie,édité par le bureau de l’Ententeinternationale anticommuniste.

Au Rhône! Au Rhône!Ancienne interjection genevoise dont le sens actuel est comparable à : «Au jus! Au jus!»

J’y vois comme une poussière de la queue dela comète, passée chez nous en 1929 sous laforme d’un événement culturel appelé à unretentissement pour les riverains du fleuvedepuis 1926: les Fêtes du Rhône.

Voici le réel sujet d’intérêt pour moi dansl’approche de cette glorieuse manifestation.C’est plus le contexte idéologique, dira-t-oncommunément de nos jours, que le contenuculturel, quoique celui-ci demeure digne d’at -tention et d’émerveillement parce qu’il reven-dique la terre et invoque le divin pour parlerdu destin des hommes (et que cet aspectdemeure provocateur, aujourd’hui encore).

Ce que recouvre le savoir de personnalitésinstruites et polémistes, en l’occurrence le poèteauteur de cette Evocation du fleuve Rhône, lehéraut de ce raout antique et populaire, m’ap-paraît troublant quand on considère ce qu’ildéclare des arts et des hommes apparus peude temps avant l’écriture de son Poème, auxlendemains de la Première Guerre mondiale.Ce qui est inquiétant, ce sont non seulementses attaques politiques, esthétiques et moralesque de nombreux observateurs ont relevéeset sur lesquelles je ne m’étendrai pas, car jeconcède à Piachaud une certaine perspicacitédans les effets de ce qu’il dénonce, des méfaitsqui vont en quelque sorte fonder l’avenir danslequel nous avons vécu et nous vivons de nosjours. Ce n’est pas son opposition au séduc‐teur Gide contre le patriote Maurras qu’il sou-tient, non plus que son endurcissement decœur eu égard aux soviets et aux juifs, toutcela a été sujet de polémiques, je ne m’y aven-turerai pas. Non, c’est une défiance de l’im-médiateté qui m’intrigue. Jugez-en lorsqu’ilcritique le surréalisme et Dada ou encore LeCorbusier. Je cite ces lignes lorsque Piachauds’en prend à Georges Ribemont-Dessaignesqui s’écrie: «Qu’est-ce que c’est: beau? Qu’est-ce que c’est : laid? Qu’est-ce que c’est : grand,fort, faible? Qu’est-ce que c’est : Carpentier,Renan, Foch? Connais pas. Qu’est-ce c’est :moi? Connais pas, connais pas, connais pas,connais pas. Abou tissement de la civilisationdu Dieu social, de la déification de l’Hommequotidien, de la re ligion sentimentale de laVie individuelle (selon le catéchisme ibsé-nien, “vivre sa vie”) : le “Connais pas!” de M. Ribemont-Dessaignes. Autant dire le cri dedésespoir d’un nègre dans un tunnel.» (fin dela citation de la page 26). Lorsqu’est reprisdans son Discours sur l’éternelle anarchie lecélèbre mot d’ordre «Dada ne subsisteraqu’en cessant d’être», Piachaud rétorquevivement: «Volonté d’être pour détruire l’ex-périence humaine des siècles ; volonté d’êtredans l’instantané, à l’état de pure expérience;refus d’aller au delà de soi-même et de soncaprice du moment; partant, volonté den’être plus, consentement au suicide, pourque l’Anarchie continue d’agir, sous n’im-porte quelle forme, en tant que principe d’op-position à la vie organique. (…) Vie del’instant fugitif, instant pour rien, non merci,non merci, non merci! reprendra René-LouisPiachaud à la suite d’Edmond Rostand. Etpour finir, deux exclamations concernant LeCorbusier. La première: «Le mouvement estnotre loi» (p. 10), la seconde: «L’heure de lascience a sonné » (p.29), mots qui offensent lepoète des Fêtes du Rhône qui s’indigne ainsi :«Nous vivons l’ère de la science pour la Science,après avoir vécu l’ère de l’art pour l’Art.»

N’allongeons pas, n’insistons pas. Cettecharge se justifie selon la perspective qui estdonnée à l’histoire de la culture. Or, la re -construction parfois factice du passé aide àcroire en soi (ici, le monde antique grec) etl’illusion du présent (ici, le rassemblementpatriotique des citoyens) aide à croire à unavenir pour les autres. Les Fêtes du Rhône ensont un bon exemple.

Dans les temps qui s’ouvrent va être célé-brée la libération de l’occupation genevoisepar la France (1798-1813), puis sera louée l’in-tégration du canton à la Suisse dès 1815.

Dans quel contexte aujourd’hui?

Concernant René-Louis Piachaud, voir la noticede Serge Zuber, in Andreas Kotte (dir.),Dictionnaire du théâtre en Suisse, 2005.

Photographie Fausto Pluchinotta

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17Journal des Bains 11 · été 2014

Un jour, je ferai les 850 kilomètresqui séparent le glacier de Gletschde Port-Saint-Louis-du-Rhône, ensuivant le fameux Guide du Rhôneà vélo, établi par une équipe gene-

voise, dont Françoise Godinat et Léon Meynet.La rencontre avec cette cycliste à l’enthou-

siasme communicatif est l’occasion de com-parer nos motivations à nous lancer dans degrandes randonnées. Car entreprendre à véloun tel itinéraire n’était pas, à l’origine, aussisimple qu’il n’y paraît :

«En 2003, au cours d’un repérage avec 38 cyclistes, nous avons observé qu’il n’exis-tait pas de parcours spécifique et balisé pourle vélo le long du Rhône», relève FrançoiseGodinat. «C’est de là qu’est née l’idée de créerune piste cyclable pour que les gens découvrent,chacun à leur rythme, au rythme du vélo, leRhône caché et le Rhône oublié, les “brasmorts” devenus des étangs ou “le Rhône court-circuité”, les “Lônes”, ces retraits du lit prin -cipal devenus terrains de jeu. Certains sontnaturels, d’autres sont des bras artificiels pouréviter les crues et plus généralement ce quel’on nomme “les pertes du Rhône”. C’est ainsique sont nés le projet associatif Dérives duRhône et le réseau ViaRhôna.»

«En roulant, poursuit Françoise, nous noussommes découvert une vocation de “traîneursde rêves”, avec cette ambition de joindre lasource – la montagne qui se transforme enliquide – au delta, comme une invitation auvoyage vers d’autres continents. Le Rhônechange: d’un lac glacière en torrent, puis enfleuve avec les confluences de l’Arve, de laSaône et de l’Isère. On passe en vélo – à piedle rythme est trop lent pour bien capter ledébit du Rhône. A pied tu as l’impression qu’ilt’échappe, en voiture tu le dépasses! Sur tonvélo, tu accompagnes le mouvement de l’eau.»

Françoise tient à me faire partager cettecitation de Raymond Farquet, tiré de Septcents ans de solitude (éditions de l’Aire, 1991) :«Je cours aujourd’hui à la recherche d’unRhône indécent, d’un mythe, en traversant uneplaine asphyxiée. Je cherche la beauté sauvagedisparue au profit du rendement. Je cherchel’ancien fleuve menaçant le terroir, à traversle polder agricole d’aujourd’hui. J’ai l’impres-sion de poursuivre un cadavre enregistré surle cahier des illusions. Je me sens comme uncheminot en train de changer d’aiguillage surun quai où les trains ne passent plus.»

Parmi les 26 étapes du Guide, la 9e passepar Genève et un tronçon cyclable inauguréen 2010. Le parcourir nous révèle des pointsde vue étonnants de la ville et de sa campagne.Cette traversée se fait en utilisant parfois deschemins pédestres, au contact d’une faunetrès présente, en un parcours assez sportif etdiversifié. Peu à peu, on entre dans cette zonetransfrontalière où le Rhône ne fait pas de dif-férence, mais nous permet de découvrir ladiversité des populations et des relations que les gens, les riverains ont et continuentd’entretenir avec le Rhône. A la hauteur deSeyssel, le Rhône reprend son statut de fleuve,avec ce sentiment de saut dans l’inconnu,d’aventure au fil des fiches d’étapes que nouspropose le guide.

Pédaler n’est pas tout. Il faut aussi cultiverl’esprit. Une autre utopie est en cours de réa-lisation, en prolongeant le «Réseau Rhône»par un réseau d’activités créatrices, et relierentre eux les différents festivals, événementsculturels déjà existants. Faire descendre unemusique venue d’ailleurs sur les eaux duRhône, des Alpes à la mer, n’avoir plus que la

La longue route du Rhône Le lecteur doit être prévenu: je n’ai jamais longé le Rhône autrement qu’en voiture ou en train. Sur mon vélo, dans un autre temps, j’ai traversé la Suisse, l’Italie, la France, sur des itinéraires improbables et parfois sublimes, avec mes cartes Michelin au 1 : 150000e.

Le Rhône,fleuvetranquille ou troublé?Traversant certaines villescomme Sion, Lyon, Avignon, le Rhône est le plus important des fleuves européens tributairesde la Méditerranée.

THIERRY OTT

1. Le Rhône, fleuve de Suisse et de France, naîtdu glacier du Rhône. A quelle altitude?1800 mètres : allez au 82800 mètres : allez au 13

2. Le compte est bon! Les trois cantons sont leValais, Vaud et Genève. Dernière question, la 15.

3. Pas de chance! Le Rhône a 812 km, dont 290en Suisse. Alors que le Rhin a 1320 km, dont375 en Suisse. La question suivante est la 5.

4. Parfaitement ! La Borgne naît dans les Alpesvalaisannes et finit dans le Rhône. Alors quel’Arbogne, dans le canton de Vaud, est l’affluentde la Broye qui se jette dans le lac de Morat. Onpoursuit avec la question 12.

5. En Suisse, le Rhône coule dans plusieurs can-tons. Combien? Trois : allez au 2.Quatre : allez au 9.Cinq: allez au 11.

6. Dans le mille ! Le Rhin a 1320 km, dont 375en Suisse et le Rhône a 812 km, dont 290 enSuisse. La question suivante est la 5.

7. Ce n’est pas la Savoie ! C’est la Haute-Savoie !A bientôt !

8. Ça coule de source ! Deuxième question, la 10.

9. Vous n’y êtes pas ! Retour à la question 5.

10. Une de ces rivières est un affluent du Rhône.Pas la deuxième. Quelle est l’intruse?L’Arbogne : allez au 4.La Borgne : allez au 14.

11. Vous n’y êtes pas ! Retour à la question 5.

12. Quel est le plus long fleuve qui coule sur leterritoire suisse?Le Rhône : allez au 3.Le Rhin : allez au 6.

13. Eh non! Le glacier du Rhône a une altitudede 1800 mètres. Deuxième question, la 10.

14. Vous n’y êtes pas ! La Borgne naît dans lesAlpes valaisannes et finit dans le Rhône. Alors quel’Arbogne, dans le canton de Vaud, est l’affluentde la Broye qui se jette dans le lac de Morat. Onpoursuit avec la question 12.

15. Dans la ville de Genève, le Rhône a un af -fluent, l’Arve. Rivière torrentielle des Alpes, elletraverse une centaine de kilomètres et, entre autres,la ville d’Annemasse. Dans quel département naîtl’Arve? La Haute-Savoie? Ou la Savoie? Réponseau 7.

fluidité de l’esprit comme lien entre les villeset les populations que le Rhône traverse. Au-delà des appartenances, faire couler l’espoir denouvelles solidarités. Il s’agit de promouvoirdes activités culturelles le long des rives duRhône avec des expositions visibles depuis lesbateaux, de créer un réseau Rhône-culturesen prenant contact avec toutes les activités,démarches, projets culturels existant le longdu Rhône, en lien avec les activités fluviales :navigations fluviales et conviviales, éventuelle-ment sous forme de navettes entre les diversesvilles et/ou sous forme de croisières avec un«pass-ports» ou «festival-pass», permettant,durant un été, d’assister à tous les événementsle long du Rhône.

Vu sous cet angle, le terme de mobilitédouce s’applique à la philosophie de ce guide.On peut parcourir les rives du Rhône enfamille (âge idéal dès 12 ans) en comptant auminimum huit jours. Après, c’est selon lesdésirs de chacun.

Le Guide du Rhône à vélo a été conçu en collaboration avec plusieurs institutions en Suisse et en France (Région Rhône-Alpes entre autres).www.carteviarhona.rhonealpes.fr

L’association Cycl’EauRhône propose une descente du Rhône à bicyclette, du glacier à la mer, du 27 juin au 5 juillet 2014.Renseignements: Cycl’EauRhône, case postale 3744, 1211 Genève 3tél. 022 349 11 45 ou 076 391 68 [email protected]

A lire : David Byrne (fondateur des Talking Heads), Journal à bicyclette, Ed. du Seuil, coll. Fictions & Cie, 2011. En kiosque: la revue Viarhônawww.viarhona.com et www.viarhona.tv

25500 kilomètres d’itinéraires cyclistes ou VTT à travers 13 pays d’Europe :www.eurovelo.com www.europebybike.info

BERTRAND THEUBET

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Journal des Bains 11 · été 201418

FREDERIK PEETERS www.frederikpeeters.com

Page 18: dossier fleuve

19JOURNAL DES BAINSnuméro 11 · été 2014

rH2One:DeliriumRhodanum Il n’y a pas d’heures, ni de jours, ni de nuits. Une sinuosité permanente. Chaque point est le même, toujours identique à chaque instantet pourtant complétement dissemblable en une fraction de seconde. Avant? Après? Je ne sais plus.

PHILIPPE CONSTANTIN

J’ai titubé sur le feu d’un glacier,haut dans le ciel blanc, frappé degel. Flocon de neige, cristal, étoiletranslucide et douloureuse. Lalumière me blesse d’un horizon

sans fil. Une nappe froide de brouillard danslaquelle se jeter pour en finir. Dessous, peut-être des dents acérées, minérales, dures, pouraccueillir et déchirer le monde. Vautouralpestre. Césarienne incongrue qui arrache àla naissance laiteuse la promesse de barrageset d’autoroutes.

Calypso. Je découvre le torrent figé, le tempsqui court, le glacier qui goutte au rythme d’unmétronome désarticulé dans un silence demort. Les heures tissent vers l’aval le réseaud’un fleuve ininterrompu. Les horloges et lesmontres des larmes sans conséquence, sansmesure ni vie propre. Exode et mensonges dutemps perdu. Des excès mille fois répétés dansune idoine indigence. Une foi en une conti-nuité qui n’a de valeur que pour elle-même.Les battements sourds du temps qui équili-brent les aiguilles des cimes à hauteur d’aiglepour nous aveugler d’ombres.

Il faut tirer la bonde du monde pour qu’ilse vide enfin. Alcools, fumées, drogues, médi-caments, guerres, folies et rêves. Ne plus rienvoir, ne plus dire, ne plus penser. Cesser d’en-tendre le gémissement des rochers, le hurle-ment impétueux de cascades de gibier mort,de vie sauvage sacrifiée, le démembrement dela raison qui coule vers la plaine.

Entre deux ponts, un autre pont. Commesi le fleuve n’en était un, sur lequel navigue unDiogène, au milieu des décharges charriées parle Rhône mollement grondant, couleur rhu-barbe. Et du béton partout pour contraindre,pour ne plus suivre de cours, ne plus savoirs’écrire ni écrire ses méandres. Paquet, em bal -lage, canalisation, égout, latrine à l’équerre,Rhône, ô Rhône, bientôt droit comme I.

Rhône, sainte Agathe, ma sœur, mon amie,mon amante; amazone aux seins tranchés,tendus en offrande aux chats que j’écorchepour les crucifier sur l’arc de l’eau.

J’ai repris mes notes. Au bas de la page del’éternité, ou celle du néant. Il n’y a qu’unedispersion temporaire de ce que l’on est dansles phrases. Vagues roulant à la surface desnaufrages, faisant le lien entre les peuples etles absents. Je compte mes papes. Une frac-tion inintelligible dans la mémoire des bêtes ;gueules de malfrat, aussi grises que la nuit.

Sur les berges, des filles belles comme descocons de soie lancent des mots, des lettresdans des bouteilles, des SOS. Elles supplientun sauveur, une bouée, elles qui sont sur laterre ferme, ancrées, ne voyant pas qu’ellespleurent et espèrent quelqu’un qui se noie.

Entre ces rives mutilées l’âme est en dés -hérence. De combien de chiens avons-nousbesoin? Atermoiements, glapissements, vagis -sements, miaulements, de vie en vie, de lac en lac. Je ne puis dormir qu’à même la terre,le visage enfoui dans les coteaux, le nez d’undoigt trop long, dans les chevilles des vignesenivrantes, les yeux perdus dans les cime-tières d’autrefois, bordels à mi-temps où lesputains congédiaient la mort et la solitudepour ne pas mendier l’arrogance de Dieu.

Ecrire. Etre Rhône. Regarder le paysage des-cendre son cours. Des maisons de Monopolyou en Lego, habitées de personnages dePlaymobil, glissent lentement vers la mer. Le

fleuve blanc se teinte d’encre. Relire ses didas-calies dans la partition de l’eau.

Des jeunes filles, chrysalides riantes, sebaignent de Rhône. Elles sont déjà limon,déjà sédiment, déjà déposées de leur trôned’orgueil pour se coucher dans le delta dufleuve que de grosses mains paysannes polli-nisent de riz et d’abeilles sauvages commedes bombardiers. Derrière leur corps juvénilese dressent quelques comtoises oscillantes,hautes comme des montagnes, si peu raison-nables, si peu comptables des croix que dres-sent les hommes pour oublier leur fureur.

Dans le bruit fracassant des tempêtes, sou-dain, les horloges chavirent pour disparaître

dans les flots, emportant avec elles le souve-nir de ces sourires et des grimaces que la mortet l’ennui conféreront à ces visages qu’on au -rait voulu croire innocents de tant de beautémouchetée. Eclat d’un papillon sur le pare-brise d’une voiture.

Il y a un excès de paysages sublimes quidéfilent ainsi vers le delta. Et un excès deguerres dans ces tableaux idylliques et inu -tiles. Un excès d’hommes aussi. Brutaux etcapables d’amour pourtant. Fumées noires,explosions, pneus qui brûlent, vacarme desdéflagrations, des cris de marionnettes habil -lées de suie et de poudre, de morale et de bon sens.

Une vue de charniers bien sûr, et d’usines.Un paysage? Un pays sage?

Voilà, la goutte redevient cristal. Mon piedfragile, habillé de rouge, retourne à sa source,ce berceau de glace en haut de la montagne.Flocon de neige, léger, irréel, aux traits régu-liers d’une géométrie du recommencement.Et ma vie? Chienne de vie, chienne d’amour,un flocon désagrégé dans le désert des idées,là où coule le sable d’un fleuve minéral.

Photographie : Eden Levi AmModèle : Lena Lou Monteduro

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Journal des Bains 11 · été 201420 DOSSIER FLEUVE

J

Viaduc de la Jonction C’est leur lieu, leur place, leur plan -que: le bâtiment au pied du pont (ilfaut dire le viaduc). C’est le repère deleurs vendredis soirs. Tags, odeurs depisse et d’égouts : ils sont rarementdérangés (eux trouvent ça funky). Iln’y a que les trains, qui font vibrerles pierres.

Ils arrivent tous ensemble, s’ins-tallent dans les escaliers et sortentle matériel (feuilles, herbe, et unecigarette qu’ils cassent en deux pourrécupérer filtre et tabac). L’un d’euxse charge des gestes – lisser émiettercaler lécher rouler ajuster tasser –et puis on craque l’allumette et onrefait le monde. C’est leur bonheurfunky du vendredi soir, au bord deseaux, au pied du pont. BP

Pont ButinC’est rare qu’on me traîne dans cegenre d’endroit. Il faut être poètepour faire ça sous un pont pareil. Oualors il veut se donner du courage.Ça se voit qu’il se sent trop léger sousles piliers massifs, mais à chaqueinspiration ses muscles se tendent.C’est l’effet du pont, le pouvoir despierres, moi j’y crois. Ou alors, il achoisi ce lieu pour le jeu de mots. Lepont Butin. Un petit poète, je m’endoutais bien. Il est tout fier mainte-nant. Il ne dira rien, rien du tout,mais il m’attrapera la main. C’est cequ’ils font tous, la première fois.

NS

Passerelle du LignonJ’ai jamais pensé que je resterais àGenève pour lui. Il est du Lignon.Peur et admiration. La cité, sa grandemuraille de béton, de grues et para-boles. Mais maintenant, je fais par-tie de cet univers et je suis heureux.Comme quoi Cité Lignon – Faut yaller ! Le slogan a du vrai.

Les rayons de soleil forment uneéchelle de lumière à travers la ram-barde de la passerelle. Je cours joyeu-sement sur les échelons. Tandis qu’enface de moi vient un type qui pleurecomme une madeleine. Ça ne m’ar-rête pas. J’ai rendez-vous avec monhomme et on va baiser. CG

Passerelle de ChèvresSa cape rouge de cycliste fuse à tra-vers les Evaux. Tous les dimanches,elle va déposer des fleurs sur la tombede sa grand-mère, au cimetière duchemin de la Grille. Dans la lumièresucrée et vaporeuse de l’après-midi,elle s’assied sur le marbre tiède etmoussu, décapsule une bouteille delimonade, suçote des caramels etbabille pendant des heures. Aujour -d’hui, une joie étrange envahit sespoumons. Elle s’arrête au centre dela passerelle et contemple métal etbéton s’unir dans les profondeursdu Rhône. Les treillis d’acier se lo -vent tendrement contre son ventrerebondi. JG

Barrage de VerboisMaman elle connaît tous les oiseaux.Il y a le harlem lièvre, le cygne tout-bien-recollé, la chouette culotte… ilsont des noms aussi marrants queles joueurs de foot Panini. Avec ma -man on va au bord du Rhône, on secache dans des petites cabanes enbois et on les attend. Une fois on amême vu un castor, comme dansYakari. Mais ce que je préfère c’estl’usine, avec ses cheminées qui res-semblent à la fusée de Tintin, et puisle barrage. On dirait un super grandmur, et le Rhône il est plus bas d’uncôté que de l’autre, comme si ons’était trompé en le dessinant. Aprèsles oiseaux on rentre et maman faitune tarte aux pommes. NL

Viaduc de la JonctionDans la nuit, tous les hommes sontgris. Pour tant, celui-ci, il était sombrecomme un moineau. On aurait ditqu’il allait se jeter, fragile et coincéentre le rail et le vide, posté auxtrois quarts du pont ferré. Une sortede cage à la main l’amarrait sur cesol suspendu et, pour un soir, c’étaitlui le prédateur qui devrait tuer pourrien. Finalement le bruit vint, puisl’étincelle d’une caténaire, et la ca -resse à revers d’une bourrasque dansle dos. De la cage, il sortit quatrechatons qu’il n’entendit ni miaulerni frapper l’eau, mais l’impressiond’une douceur resta dans sa mainjusqu’au matin. TL

Pont ButinMa première pute, je l’ai emmenée ici.Entre les piliers de béton, énormes,géants, violents. Dessous, tu te sensforcément puissant. Ça t’écrase et tegrandit. Dessous, tu fais résonner lescris, mais y a que toi qui les entends.Je regardais le Rhône, lâche et do -cile, fuyant la ville. Je regardais mapute et j’y voyais du vide. Une imagefloue de plus, les arches taguées d’en -nui. Dessous, tu peux chercher lesoleil et souiller la lumière. Tu peuxcacher le bruit de l’eau. Tu peuxtromper le fleuve, et pour reconqué -rir la mer, il suffit de suivre l’écho.

FW

Passerelle du LignonJ’ai tout lâché pour elle. J’ai quittél’endroit que j’aimais. Où elle disaitne pas être heureuse. J’ai trouvé ceposte à l’université. Un ami lui adéniché le job de rêve. Il l’a baiséedès le troisième mois.

Je pense à toi, évidemment, surcette passerelle-oléoduc. Je pense àtoi, à chaque poteau qui résonne,tandis que je croise ce crétin toutexcité de regagner ce Lignon moisi.

Vieux Rhône, ne me vois-tu paspleurer? C’est ridicule, un mec quipleure. Aussi ridicule que ces quatreannées de contrat qui m’emprison-nent ici. Seul.

Je veux te regarder, car te garderc’est impossible. Tu es partie. Et main-tenant, comme un con, je m’en vaisvoir ton avion s’envoler. EG

Passerelle de ChèvresSa cape rouge de cycliste fuse à tra-vers les Evaux. Tous les dimanches,elle va voir sa grand-mère, qui habitele village, à Vernier. Mais chaque foisqu’elle traverse la passerelle, une peurétrange envahit ses poumons. Si elles’est habituée petit à petit aux troncsqui pourrissent, penchés vers les eauxboueuses, une chose crispera tou-jours ses deux mains blanches sousla cape: les relents de fraise et denougat qui filtrent de l’usine touteproche. Elle mord alors le brouillardsucré, et répète comme un Com -man dement le conseil de sa mère:«Tu n’accepteras pas les bonbonsque te propose un inconnu, tu n’ac-cepteras pas les bonbons…» NL

Barrage de VerboisQuarante ans que je bosse au bar-rage. J’en connais chaque fissure,chaque aspérité. Je connais le Rhôneet ses caprices. Je connais les normeset les impératifs de sécurité. Et voilàqu’elle débarque avec ses idéaux debobo. Elle m’embrasse et minaude:«Tu sais que la vidange du barrageme nace la biodiversité? Tu sais quela faune piscicole va être décimée?».Elle est chouette Caro, avec ses jambeseffilées et son odeur de pomme cuite.Elle aurait été une bonne mère. N’em -pêche, j’ai pas pleuré lorsqu’elle s’estattachée au barrage. J’ai pas pleurélorsqu’ils ont repêché son corps pé -trifié par la boue. J’ai pas pleuré.

JG

Rhône blanc

Auteurs : Guy Chevalley, Clémentine Glerum,Elodie Glerum, Alain Guerry, Julie Guinand, Nicolas Lambert,Timothée Léchot, Julie Mayoraz,Bruno Pellegrino, Matthieu Ruf,Noémi Schaub, Lydia Schenk, Anne-Sophie Subilia, Fanny Voélin,Daniel Vuataz, Fanny Wobmann,Vincent Yersin

L’AJAR, créé en janvier 2012, est uncollectif de vingt jeunes auteurs un peu rebelles mais très appliqués.Depuis sa fondation, il a organisé ou pris part à une trentaine demanifestations en Suisse romande et ailleurs. Informations et contact : [email protected]

Pont

But

in

Le L

igno

n

Chèv

res

Verb

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PORT-ST-LOUIS-DU-RHÔNE

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21Journal des Bains 11 · été 2014

Traversée de la RadeQuand il y a du brouillard devant mafenêtre, je pense toujours à Genève.Je sens l’air froid affluer dans mesnarines, une moiteur fraîche se dé -poser sur mon visage.

Quand il y a du brouillard dans mavallée natale, je m’imagine Genève etje vois le pont. Ce pont que tu m’as dé -crit, avec tes yeux riants et tes mainssaccadées. Ce pont que tu as dessiné.

Je n’ai jamais vu Genève. Maisj’imagine une architecture majes-tueuse. Et je vois tes mains, rêcheset blanches qui en caressent les ar -matures. Et mon cœur s’illumine aumoment où, après t’être passé lesmains dans les cheveux, tu poses tonpied sur le pont de la Rade. Pour lapremière fois. LS

Pont du Mont-BlancLe pont du Mont-Blanc est garni dedrapeaux confédérés, comme à Stansou à Frauenfeld. Sur le pont duMont-Blanc, ta grand-mère prenaitle tram et tes enfants le reprendrontpeut-être dans vingt ans. A la fin dupont du Mont-Blanc, il y a Pictet etde l’eau projetée en l’air – si tu placesta main sur le jet ça t’arrache le bras.De l’autre côté, il y a les prostituéeset Max Lobe qui écrit. La chausséedu pont du Mont-Blanc se lézardeen juillet sous les woofers de la LakeParade. En passant sous le pont duMont-Blanc, le lac redevient leRhône. DV

Pont des BerguesIl chérit l’idée d’union – du pontcomme un trait d’union. Chacun ferala moitié du chemin depuis la rive(gauche pour lui, droite pour elle).Ils iront à leur rencontre, remonte-ront le temps jusqu’à leur premierjour. Comme le Rhône sous leurspieds: changeant mais éternel.

Il connaît sa chance. Il ne pren-drait pas la place du type là-bas, seulsur son île, pour toutes les libertésdu monde. Dans sa poche, il tientfermement la bague qu’il va lui of -frir. Et comme un présage, en pas-sant le pont, il a vu l’anamorphosede Markus Raetz: un grand «oui»,haut perché dans le ciel. GC

Pont de la Coulouvrenière Ça faisait une heure qu’il me parlaitde son scooter. Dans son maillot debain jaune, ses jambes dodues écra-sées sur le transat. Il avait les sour-cils emmêlés. Je gardais les lèvrestrempées dans ma bière et je comp-tais les plumes de canard qui s’éloi-gnaient dans le courant. Je voyais lesoleil, complice, se refléter sur lesvoitures. Le pont brillait sous les gazd’échappement.

J’ai pas beaucoup réfléchi, j’avaischaud, c’était dimanche. J’ai courusur le goudron, toute la ville allaitau ralenti. De l’autre côté de la bar-rière, le fleuve semblait infini. J’aihurlé. L’eau était douce, vivante.

FW

Pont Sous-TerreComme eux j’enjambe la rambarde.Me voici arquée au-dessus d’unRhône taillé dans le soleil. Mes orteilss’agrippent à l’étroit rebord. Béton,soleil, amis. Comme eux je ris. Messeins tremblent. Je réalise à quelpoint j’ai peur de manquer de cou-rage. La masse émeraude avive lesentiment de danger. C’est une bêtequi me sonde et me veut. Grand vide.Je regarde mes amis dans les yeux.On ne trahit pas les pactes d’été,c’est ça? Un, deux… L’écrin s’ouvre.Béance. Jusqu’aux remous, monplongeon ne sera plus qu’un cri. Unegrenade de trouille et de joie.

ASS

Traversée de la RadeTu te souviens, agrippé au volant deta vieille hybride, qui bourdonne aumilieu de l’embouteillage, du pontà haubans de Lisbonne. Blanc et in -fini dans la lumière du Tage. Ça filait,ça disparaissait dans le silence. Quellenaïveté fut la tienne, de croire que tatraversée allait y ressembler. Parceque les haubans, quand ça fait vingtminutes que tu les vois de près, ceshaubans qui défilent au rythme d’unmauvais zoom, tu te rends compteque tu les vomis. La prétendue cléde voûte de ton œuvre maîtresse tedégoûte. Le pont de tes rêves est unedéviation minable. Tu ne l’emprun-teras plus. MR

Pont du Mont-Blanc A Genève les ponts n’ont aucune en -vergure / A Lausanne encore il y aBessières / Mais Genève, c’est uneblague / Je suis sur le pont du Mont-Blanc et je regarde l’eau / sur le pontdu Mont-Blanc! / La grosse mon-tagne, les sommets enneigés / Wiki -pédia / c’est le plus haut sommet dela chaîne des Alpes / je pensais bienmais je doute parfois de ma culturegénérale / A Fribourg ils saventfaire les ponts / Celui du Gottéronc’est quand même quelque chose /76 m au-dessus du vide / Je suis surle pont du Mont-Blanc et je regardel’eau / cette conne d’eau / Genève-Fribourg aller simple /// AG

Pont des BerguesElle sait pourquoi il lui a donné ren-dez-vous sur ce pont précis, en cejour précis. Elle n’est pas idiote. Ellesent une boule se former dans sagorge. Le Rhône est sombre. Elle estloin d’être une sainte, c’est vrai. Letémoin de cette vérité attend patiem-ment que sa corvée soit terminée,juste là, sur l’île. L’autre, son amant.

Pas une sainte, non, mais ça neveut pas dire qu’elle aime faire souf-frir. Si seulement cette putain desculpture, ce grand «non» monté surune pique en ferraille pouvait ré -pondre à sa place. A lui, mais aussià l’autre, qui ne se doute pas qu’ill’attend pour rien. JM

Pont de la CoulouvrenièreJe dois courir – à cause d’un retard.Il pleut. A chaque pas, une gerbe saleme trempe les jambes. D’en haut, lefluide s’insinue partout dans mesvêtements. Sous les voûtes, le fleuvenoir trouble s’engouffre avec bruit.Vers le milieu, un peu après l’île,une fille à vélo me double. D’unemain, elle tient un parapluie et sefaufile lentement entre les véhiculesarrêtés. Certains klaxonnent. Aprèsle pont, là où la rue des Terreaux-du-Temple rejoint le boulevard Fazy,elle ripe soudain dans une flaque etpuis s’étale. Sans même lâcher sonparapluie. VY

Pont Sous-TerreSous le pont on est bien, j’amène untabouret pliant, d’une main je le posi-tionne face à l’eau et je m’installe, ily a comme un creux dans le mur oùje peux caler ma jambe tendue etappuyer ma béquille, mon corps secrispe chaque fois qu’un gamin trans-perce la surface du Rhône, incons-ciemment je retiens mon souffle enattendant de le voir re mon ter sur laberge, j’attends, j’attends, j’attends,il ne remonte pas, et, lorsqu’il com-mence à faire froid, je plie mon ta -bouret et m’en retourne sur l’autrerive, en faisant un détour pour allertraverser au pont suivant. FV

Rhône noir

L’AJAR – Association de jeunes auteurs romands – vous propose une balade genevoise au fil du Rhône. Dix ponts ont inspiré deux séries de courtes fictions, l’une «blanche», l’autre «noire», avec pour contrainte de se faire écho.

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Page 21: dossier fleuve

Journal des Bains 11 · été 201422 CORRESPONDANCE

JEAN FIRMANN

Du haut ciel jusqu’au fin fond desmers im menses de la terre qu’ilsprétendaient tant aimer pour-tant à la levée tant qu’au tomberdu jour, aux sables blonds, soleil

orange un peu violet à l’horizon si souple dugrand large abaissant ou soulevant lentementdans l’air sacrément salé d’iode sa cinglée par-faite boule douce divine. Au son fertile desvagues qui roulent en leur mugissementimmense, longtemps tenu & tranquille, leglobe frémissant de sa triple & si splendidepaupière, se couchant, se levant sur la mer.

Et qu’ils s’acharnent à capturer au lieu dele sentir, ces faux sincères du rien-que-de-l’image, à l’i-phone, au nikon, au canon, (auleica pour les plus snobs, à l’hasselblad carré-ment pour les nouveaux Russes, ces vieuxAméricains) & tous appareils à voir brandisd’une seule main molle, négligeante & nullesur l’enclume turquoise et exigeante de la mer.A prétendre capter le soleil, cette mangue mûre& rose, brûlant d’un feu véritable si doux. A balancer, existentiels délateurs, suicidairessycophantes des algo rythmes les plus intimesde leurs proches et d’eux-mêmes sur les mursimpitoyables des pitoyables confessionnauxaméricains livrés aux viandeurs voraces degoogle, de twitter et de facebook. Aux criquessauvages où bien avant eux dansaient libresdans les grottes sous-marines la murène souple& le mérou têtu. Où nageaient comme dessaints furtifs bien avant eux en l’alcazar im pal -pable du vieil océan féroce & tendre, le phoqueà museau franc & la loutre si souple.

Lors vint acide par les compagnies holo-caustes au pur sucre des îles Vierges et vitriolfusant au low cost des gazomètres en fuméesgrasses à pleines veines, à pleines artèresépoustouflées en la thrombose bleue du ciel.

Alors surgirent la cinglée brûlante et le fouetd’un coup sciant, la cravache nageante en toutesmers des méduses, clignotant des tétons rosestranslucides et actionnant par mil liers, si prèsdes plages, leurs électriques & musculeux para-pluies. Interdiction de nager nu, déconseillé defaire la planche sous la lune à jambes ouvertesdans le ciel marché dessus des sales sabotsavionnant toujours plus, aux compagnies men-teuses des îles Vierges, des hommes et desfemmes innombrables qui rigolent avec leurshommes innommables au nom des deux tétonsde la moutarde en cette détestation furieuse,joviale, archi-niaise et conviviale de la beauté.Tueurs programmés de leurs propres vacances.

Mais la beauté, l’audacieuse, la franche etqui traverse d’un bleu sombre jusqu’en la nuitdu jour les paupières, la beauté qui palpite &qui respire par les deux trous nets des narinesde la bête qu’on a sous le nez meuglante & sibelle. La beauté pure demeure un secret simple,une enclenchée du cran d’arrêt, une envoléepar le ciel sans le moindre tatouage sur la peaufollement furtive & poudreuse du papillon nud’amour.

Libre & sans entourloupes, la beauté. Cetterecette toujours neuve & pétrie de mains devieil archange à la pâte mouillée d’eau, de selet de farine d’épeautre. Cette face nord où batle vent – ô gloire du dedans – à gravir à cœur nu,à mains neuves de peau tendre & fine dans lepétrin si lourdingué du monde. A doigté trem-blé d’être, à lèvres murmurées d’épaulardspulsant des nageoires du dos, de la queue etdu ventre leur libre joie sous les étoiles aufront de nuit qui magiquement au fond bleuides mers serpentent. La beauté à parcourir àlèvres embaumées d’absinthe, de myrtille &de chèvre-feuille.

L’eau qui tout ditLors soudain surgirent punaises nanométriques & millionnaires en nos lits. Lors fusèrent d’un coup acide & vitriol giclés brûlantsdescendus – à la défiguration ainsi qu’à l’arrachement horrible de la tendresse du si doux naseau des narines – par les nuageshideusement pour très longtemps salis des hommes.

Alors oui, congédier, les détestant, ces dé -tresses et pénétrer des yeux jusqu’aux braisescouvées de l’âme le regard d’amande verteinspiré & paisible de mon amour.

Foutre le feu en la sacristie aux containerspervers des chasubles brodées de trop d’ortrouble. Incendier les étoles, ersatz mou del’écharpe de chanvre vif dont s’étranglèrentau désert tant d’ermites.

Alors jadis me vint l’idée de faire d’uncoup de clé volée, en pleine fête d’un mariagevendue & achetée par un crétin bourré de fric(un guiguelet dit Tinguely qui fit s’arracher lacravate par un jeune & vigoureux singe qu’ilvoulut en cager pour le montrer noir & poiluau peuple et qui pour devenir vite riche sai-gna des centaines de pauvres bougres), ouifaire d’un simple tour de clé sonner toutes lescloches d’un coup & le tocsin d’abord augrand clocher noir et raide de l’église de Bulleen pleine Gruyère. Et jusqu’à la plus hautetour de Dubaï, de La Mecque, de New York &de Chicago qui prétendent dominer les villesde leurs piquets misérables, de leurs bites àjamais caverneuses & sans sang dedans. Oui,enclencher le glas, le glas des tours si hautesque jamais le moindre corbeau pour y claquerson chant lucide & gé néreux n’y volera. Nil’alouette qui pourtant adore tant de quel quescoups d’aile piquer en trillant de son petitgosier des arrachantes gloires à la pointe laplus franche & bleue du ciel.

Enclencher le tocsin et le glas, les enclen-cher d’un coup de clé sincère en leur sonnéenoire & lugubre en ce plein mariage de troisnouveaux riches puis sortir lestement de lasacristie et jeter la clé des cloches & du glas auhaut clocher pour longtemps rendues folles.La jeter la clé des cloches aux pieds sombresdes buis qui durablement sentent l’urine dechat si fort en leurs bosquets parfaitementtaillés tout autour de l’église.

Dire à Dieu que Python, le quatrièmediable, lui a fiché son petit doigt dans l’œil,noir & gras du cambouis juteux de jalousie, devanité et d’orgueil et que les lunettes qu’ilporte Dieu depuis, teintées de rose & de nuit

noire comme un pape branchées google, luivont mal & très mal. Lui dire à Dieu qu’ellessont laides et qu’elles glissent implacable-ment ses lunettes sur son nez de faiseur detout et de l’origine du monde qui n’appartientplus qu’aux cyclopes mathématiques duCERN. Qu’elles glissent ses lunettes sur sonnez de Dieu à la vitesse des mers montantesdu bleu fondu des calottes glaciaires aux deuxpôles de la terre sous ses deux blancs petitscapets, toutes religions confondues, ces obéis -sants, ces agenouillés, ces culs-en-l’air, ces à-plat-ventrés petis capets de clowns déses-pérés qu’on arrime depuis des siècles tantbien que mal par les cheveux légers pour lut-ter contre le vent de la terre qui tourne dedeux ridicules sixtus. Ah, que les vents libresde penser la levée splendide chaque matin dujour bientôt les fassent s’envoler toutes, cescroyances effrontées qui depuis si longtempsétouffent la vie qui les effraye!

Dire à Dieu, à Allah, à Yahvé ainsi qu’auxbuveurs d’eau tuée du Gange que les deuxcalottes blanches aux épaisses glaces du clownreligieux de la terre au nord tant qu’au sudfondent. Dire à Dieu qu’il n’y aura bientôtplus de clown blanc ni au nord, ni au sud.Leur dire qu’ils arrêtent d’aller acheter desmontres suisses à complications masturba-toires & ridicules en Chine dite populaire ettrempée jusqu’au trognon des dollars inter-continentaux et de l’asphyxie organisée des nez& des poumons des enfants de Mao & de safemme qui voient bien, malgré leurs pauvresmasques de papier-chiffon tenus par deuxélastiques racornis aux oreilles, que le désertterrible avance et qu’il souffle léger & poudreuxson étouffant sable par les immenses villesjaunes même s’ils n’y pédalaient plus qu’àvélos électriques. Mais à la mort infligée àtous par tant de nerveux petits chefs assoiffésd’oseille & d’or, j’ose espérer que nous n’obéi-rons bientôt partout plus du tout.

Car petite fille alerte juste hier sortie del’aveugle & lourde école, dansant des piedslégers comme peau d’ange sur le trottoir debitume et le sourire au franc tremblant du

cœur, à sa maman profonde et belle a dit (jel’ai entendue spontanée qui parlait de joyeuseévidence) :

Jérémie, je l’adore il est si bon dans ses cou ‐rages. Et il m’a dit que le Rhône est le Mississippides pauvres mais que ces deux fleuves sontfrères martyrisés, endigués, éclusés pour la saleoseille comme nous. Non, non pas la sage oreille,la sale oseille. Il l’a dit en riant de toute sa bellebouche Jérémie, Maman, je te dis que je l’adore& que je veux porter des boucles d’oreilles ensucre à tête rose de mort pour que le monde sedépêche d’aller mieux.

Entends le chant bourdonné foutu par leshommes prétendus bibliques des abeilles.Goûte, goutte à goutte toujours plus ténu,goûte leur miel. Tant qu’il est temps. La reinea le bourdon qui sonne comme un frelon auxtocsins de la ville construite avec des pierrestaillées par outils durs à mains d’hommesmais aujourd’hui même la lumière, même l’airlibre, même la paupière d’archange se vendentaux îles Vierges des faussaires, à Sainte-Croix,à Saint-Thomas, à Saint-John, à Tortola oùtrônent impunément les guichets hideux duflouze qui n’engrossent qu’eux-mêmes. Auxîles Vierges des acheteurs, aux îles Vierges desarracheurs d’yeux en leur orbite même en laface syrienne des enfants, des femmes & deshommes tués vivants.

Mais on s’en fout. Genève religieusementlessive depuis longtemps au fil du Rhône lessalopettes les plus malignement dissimuléesdu monde. Ça lui a déjà permis deux guerresmondiales en paix sans une goutte de sangcoulée. D’ailleurs ici, on ne verse ni sang, nilarmes. On ne verse que des sommes, duchampagne & du sperme. On a les trous enface des yeux, on a les yeux en face des trous.On a les trente-six pieds sur terre comme à latélé le montrent le rictus acide & le facièstétanisé de plus d’un grand banquier…

Comprenez bien dès lors qu’il faille sanscesse aux yeux du monde, que Genève l’inter-lope panache sur sa rade le faux sang blanc deson jet d’eau.

Repeindre d’eau dès le printemps la piscine. Photographie Jean Firmann

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23Journal des Bains 11 · été 2014

t

THÉO ALBERTINI

Entre ciel bleu et sable blanc, dans un décor avoisinant celui des plages lumineuses des grandes stations balnéaires, Théo Albertini nous propose cette déambulation latérale qui n'est pas sansrappeler les moments cinétiques du photographe Eadweard Muybridge. Sous le regard résolument admiratif des usagers masculins des Bains, une divine néréide au strabisme divergent et au teintd'un rose incarnadin passe et traverse ce moment de BD et termine son périple en un plongeon à la courbe élégante. Guy Mérat, directeur CFP Arts appliqués

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Journal des Bains 11 · été 201424 DOSSIER FLEUVE

TEXTE ET ILLUSTRATIONGÉRALD HERRMANN

Normalement, c’est joli un pont,deux, c’est encore mieux. Mais là,non: celui de Saint-Georges estquelconque et trapu du dessus,glauque en dessous, avec ses lu -

mières crues destinées à empêcher tout cam-pement rom. Celui de Sous-Terre penche.Pour un pont, c’est con. Ça tue l’équilibre et lesymbole. Et puis, pont Sous-Terre, c’est quoi,cet oxymoremoilnoeud? Enfin, passons!…Pour autant que ça ne bouchonne pas. Carnotre toboggan balance les véhicules dansune cuvette saturée dont ils ne réchappentque difficilement en remontant une falaiseinjectée de béton, route de Chancy. Ou enempruntant l’improbable route des Jeunes,certainement baptisée ainsi par le facétieuxnomenclateur du pont Sous-Terre.

Verrouillée à l’intérieur de ces trois flux, laJonction. Plus qu’un quartier, mieux qu’untriangle, une île. Dès qu’on y pénètre par lapresque bien nommée avenue de la Jonction(ne chipotons pas sur le terme avenue), on estfrappé par le calme soudain. Plus un seulcommerce – excepté un petit bistro –, plus unpassant. Des immeubles sans grâce, d’où par-viennent quelques voix, presque toutes por-tugaises. Un imposant hangar de bus, unquotidien de gauche, un dépôt de canoës. Puisun promontoire subreptice qui s’avance enaval au confluent des deux courants qu’il main-tient un temps concurrents. Le français et lesuisse, le limoneux et le limpide, le turbulentet le majestueux. Il faudra bien encore quel -ques centaines de mètres au lait froid de l’Arvepour se dissoudre dans le thé rhodanien.

Ce lieu étonnant, si propice à la méditationeût pu être une métaphore de Genève, unesignature, un emblème, une injonction au mé -tissage et à la synthèse comme le Jet d’eau l’està la droiture et à la grandeur. Mais là, re-non:il n’est qu’une curiosité perdue aux confins dela morosité. No glamour! Jusqu’il y a peu bou-

dée par l’artiste, l’intello, le bourgeois et lepatricien, cette péninsule lusitanienne nousinterroge sur le statut des deux cours d’eau,voire sur celui de la rivière en général. Carétrangement, habitations et occupants sem-blent lui tourner le dos; au mieux l’ignorer oului assigner un statut purement utilitaire, àl’instar de ce que faisaient les Genevois avec lelac voici quelques siècles.

Pourquoi tant d’indifférence?D’abord, cette loi, héritée de nos ancêtres

africains et bien connue des agents immobi-liers: s’ils peuvent choisir librement l’emplace-ment de leur maison, les humains penchenttoujours pour une combinaison de trois avan-tages : être sur des hauteurs, avec vue plon-geante sur un espace de type prairie parseméed’arbres, et voir de l’eau, qu’elle soit mer,fleuve ou ruisseau.

Ben alors quoi? Alors, avec les rivièressuisses, il est fort rare qu’eau, vue et lumièrese conjuguent. Les pentes y sont fortes, lesforêts denses, les lits encaissés, le soleil rare.Pour l’amoureux de la nature, la vocation pre-mière de toute onde semble être de refléter leciel et de le relier ainsi au cosmos. Mais noscours d’eau suisses, eux, passé leur prime en -fance de source claire, semblent souvent fairele contraire. Tel le trou noir, ils absorbent lalumière ou se plaisent à la diluer dans leurtrouble flux. On dirait que ces eaux sombres etturbulentes, davantage qu’à la nage, sont uneinvite au suicide le plus accompli, c’est-à-direà la disparition jumelée de l’âme et du corps.

Le baigneur moins neurasthénique hésite,lui, à y plonger, car deux forces le fascinent etl’inquiètent: le courant horizontal, qui le happeet l’entraîne à l’insu de son plein gré, et letourbillon, ce nœud vertical, ce cercle vicieuxqui joue de lui et, contrairement au tonitruantmais magnanime rouleau de mer, jamais ne ledépose.

A cette crainte de se mouiller, il faut ajouterune peur atavique, celle du riverain devant lesincontinences parfois soudaines de nos coursd’eau. Nos prédécesseurs ont certes appris àles dompter et les canaliser. Les apprivoiser a

pris plus de temps. Et notre propension sécu-laire à les utiliser comme égouts et dépotoirsn’a pas forcément contribué à les rendre plusfréquentables.

Et puis, sauf pour le pêcheur, c’est fatigantune rivière! D’ailleurs ça n’a presque jamaisde plage. Il est rare que l’on s’arrête sur sesbords pour s’y étendre, s’y prélasser ou ybronzer. Non, la rivière est avare de son lit,elle appelle plutôt la balade ou la promenade.Voire carrément la marche (ah, les excursionsde mon en fance neuchâteloise sur les flancsde l’Areuse ou du Doubs!). Le courant appe-lant le mouvement, celui-là nous condamnedonc à le suivre obséquieusement, toujoursdans le sens du poil, en essayant de ne pasperdre de vue les bouts de bois que nos en -fants y jettent à la mer.

Reste une question de taille : dans les paysalentour, presque toutes les grandes villes sesont construites autour de fleuves, alors, pour-quoi pas chez nous? Peut-être tout simple-ment parce que nous n’en avons pas. Certes leRhône, certes le Rhin. Linguistiquement, ilsfleuvent, puisqu’ils se jettent dans la mer (êtredéfini par sa fin, quel bizarre distinguo, propreà la seule langue française, entre rivière etfleuve! Comme si Socrate était essentiellementun buveur de ciguë ou Claude François unélectrocuté!)

En fait, techniquement, nos deux fleuvesne sont que rivières, car ils sont plutôt étroitsde hanches et dénués d’une fonction essen-tielle : ils ne servent ni de voie de transport, nide voie de communication. Le premier vraiport du Rhin est à Bâle et le premier port duRhône bien en aval de Genève (une autreétrangeté du français veut qu’au substantifrivière ne corresponde aucun adjectif. Le dic-tionnaire nous propose bien le mot rivulaire,mais on l’emploie aussi peu que l’on emploiela rivière elle-même. Et s’il existe un trafic flu-vial, il n’existe pas de trafic riviéral). Onnotera donc avec amusement et regret quenos rivières ne deviennent ces fleuves quifont la fierté de la Suisse qu’au moment où ilsl’ont abandonnée…

Pourtant, il semblerait depuis quelquetemps que le Genevois se rapproche duRhône. Est-ce un effet du réchauffement quinous pousse toujours plus à nous rafraîchirdans l’eau, une conséquence de la saturationdes rives du lac et particulièrement des Bainsdes Pâquis? Oui, mais il faut y ajouter lerécent aménagement très réussi de plusieurspontons en aval du pont Sous-Terre. Et puisavec la surélévation de quelques immeubleset l’arrivée d’un second bistro, branché celui-ci, le lieu s’est gentrifié…

Il faut dire aussi que le Rhône avant sajonction, c’est encore un peu le lac et pas en -core tout à fait une rivière. Particulièrementle week-end, lorsque les vannes du barrage enamont sont fermées et l’onde presque immo-bile. Mais la semaine aussi, l’eau a le teint clair,décantée qu’elle est par les décennies néces-saires à sa traversée du Léman. Elle en ressortdéminéralisée, transparente, amnésique. Il luifaudra, quelques mètres plus bas, avaler l’Arvetoponymiquement pour retrouver le goût descimes, des sapins et des cailloux. Un meurtreparfait mâtiné de schizophrénie. En absorbantson concurrent, le Rhône accélérera, s’élargira,se troublera. Il s’appropriera non seulement lesqualités de l’autre, mais même ses souvenirs.Avant cela, il s’offre une ultime cure de som-meil. Dernière station avant l’autoroute. Der -nière trempette avant la tempête.

Aujourd’hui, le sentier des Saules, ce demi-kilomètre qui relie le pont Sous-Terre àl’Arve, n’est plus le refuge du promeneur dechien et du retraité, du dealer et du pêcheur.Dès l’été, toute la jeunesse et la moins-jeu-nesse genevoise l’investissent bruyammenten un joyeux mé lange avec le résident portu-gais. Dans l’opprobre des nouveaux locatairesdu dessus, évidemment. D’où quelques ron-chonnements devant le bruit et la saleté yafférents et des pétitions devant le manquede toilettes publiques. Le week-end, plus unespace vert de libre. Un étrange parfum de sau-cisse grillée et de joint s’en dégage. On peutalors admirer une procession d’ados, nus commeune affiche H&M en hiver, qui marchent sur

La Jonction: courants et contre-courantsC’est un espace triangulaire dessiné par trois quasi-droites : le Rhône, l’Arve et la très déprimante rue des Deux-Ponts.

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25Journal des Bains 11 · été 2014 BAINS D’À CÔTÉ

le pont à côté d’automobilistes stressés pouraller faire un plongeon en enjambant les barrières. Et se laisser ensuite entraîner par lecourant avant de rejoindre les rives.

Comme les plongeurs, presque tous les bai-gneurs préfèrent nager dans le sens du courant.

Normal, direz-vous. La nage n’est-elle pasliée à la légèreté et l’apesanteur? L’eau estl’Espace de la Terre et le baigneur est sonastronaute. Avancer en restant immobile, quelbonheur! Le fantasme absolu de tout flem-mard et de tout procrastinateur. Le nageur dudimanche, lui, choisit de faire quelques gestesde crawl pour aller plus vite que la rivière,plus vite que soi. Cool aussi !

En se dotant de lunettes, il peut en outreadmirer les fonds. Certes, ceux de la rive gauchesont plutôt inintéressants. Le courant, impor-tant, ne tolère rien d’autre que des graviers.Encore plus puissant au milieu, il réservequelques surprises. Ainsi certain caddy ou vélodont on se demande bien comment ils ont puatterrir si loin du bord. La rive droite, beau-coup plus calme, est un enchantement: justeen aval du pont Sous-Terre, le sol, couvert desable ou de coquillages, est d’un blanc écla-tant, l’eau y prend des teintes turquoise : c’estles Maldives-sous-Camions! Passé un arbreabattu un peu sournois qui barre la moitié dufleuve et vous agrippe le maillot, il se tapissed’algues courtes avant de se transformer enun pré aquatique peu profond où barbotenttanches et barbots. Les pêcheurs lusitaniensappâtent ce poisson moustachu avec du painsous le re gard condescendant de leurs pairssuisses. Un jour, face à mon admiration devantune prise respectable, un concurrent gene-vois m’a ex pliqué que le barbot, c’est imman-geable, plein d’arêtes, mais que les Portugais,eux, auraient un truc pour les dissoudre en lescuisinant au vinaigre… De la reconstitutiondes classes sociales en milieu piscicole… Bref,nageons!

En eau peu profonde, le jeu des lu mièressur le sol est un ravissement pour l’œil et l’es-prit, une sorte d’exercice de développementde géométrie qui transpose et transforme lesirrégularités et reliefs de la surface en unenatte plane tressée de lumières sans cesserefaufilées. On suit ces fils et l’on arrive alorsen un lieu étonnamment tranquille, un havreombragé, un dôme fait de feuillage où se réfu-gient canards et foulques. Le nid de ces der-niers repose à même l’eau, sur des branchesd’arbres poussés de travers. Une situationplutôt périlleuse vu les variations du niveaudu Rhône à cet en droit. Quelques mètres plusloin, l’eau se fait plus dense et sombre. C’est làque l’on rencontre des bancs d’alevins qui fré-tillent et scintillent au soleil. Ne pas aller plusavant. Ne pas dé passer la jetée de béton. Lefleuve, pressentant l’Arve, accélère soudain. Ilde vient alors très difficile de résister au cou-rant, encore plus de le remonter.

Depuis que le Rhône est à la mode, beau-coup de noyades sont à déplorer dans le péri-mètre de la Jonction. Ce qui paraît malgré toutsurprenant: on se dit qu’en cas de problème il devrait suffire de se laisser glisser vers la rivedroite où l’eau est peu agitée et peu profondeet les berges pas si abruptes. Encore faut-il lesavoir et ne pas paniquer. C’est peut-êtrepour cela que les touristes étrangers sont ensurnombre parmi les victimes.

Faisons donc machine arrière! Quant àmoi, remonter le courant, c’est ce que je pré-fère. Même si ça n’est pas courant. C’est unpeu à la nage ce que le ski de randonnée estau slalom. Sur la rive gauche (gauche en des-cendant), c’est moins rigolo: cela procèdeplutôt du vélo d’ap parte ment ou du tapis decourse. Ici, on peut s’escrimer des heures sansavancer d’un mètre. Sous les quolibets desdériveurs (eh, c’est de l’autre côté, la mer!) ou des nombreux bronzeurs qui rigolent denos longs et vains efforts. Quand on sort del’eau, on se fait alpaguer. Après toutes lesplaisan teries dont on a fait les frais – heureu-sement sans les entendre –, on est devenuleur ami.

Au milieu du Rhône en revanche, il est ab -solument impossible de lutter contre le flux.Là, tout nageur normal est condamné à la re -culette. Sans compter qu’on se fait klaxonnerpar les Mouettes.

FRANÇOISE NYDEGGER

Ce pavillon flottant n’est pas du genrediscret, avec son carré rouge pétardde 900 m2 et sa croix blanche faitede bassins à profondeurs variables.Autour de ce point d’eau se trouvent

douches, sanitaires, chaises de repos, casiers…et des baigneurs.

Tout ceci en quel honneur? Ces bainspublics célèbrent de manière on ne peut plusludique et décalée les deux cents ans du rat-tachement de Genève à la Suisse!

Cette plateforme provisoire, qui a pournom l’Amarr@GE, sera accrochée là jusqu’aumois de septembre, le temps des commémo-rations estivales du bicentenaire, et reviendrajouer les prolongations à la belle saison 2015.

Aussi étrange que cela puisse paraître,cette réalisation unique en son genre a vu lejour en un temps record pour Genève. Jugezplutôt. L’association GE200.CH se crée en oc -tobre 2012 pour concocter une commémora-tion historique qui corresponde à l’esprit dutemps. Un mois plus tard, elle lance un appeld’idées à la population et en reçoit 121, toutescatégories confondues. Au printemps 2013, 20 projets sont retenus, dont 19 seront financéspar GE200.CH, qui rassemble des représen-tants du canton, de la ville et des communesgenevoises. D’autres réalisations seront en -core développées en partenariat avec des ins-titutions de la place, mais c’est encore une

autre histoire, dont le détail est à découvrirsur le site des organisateurs.

Le vingtième projet, celui des bains pu -blics, est quant à lui autofinancé par un parte-naire privé et mené à bien par un consortiumd’entreprises genevoises.

Il est amusant de constater que cette réa-lisation s’ancre à la même place que les an -ciens bains flottants du Rhône au pont de laMachine. Là où les Genevois venaient fairetrempette dès 1889 et jusqu’en 1918, date deleur démolition. A l’époque, le prix d’entréeétait fixé à quatre sous et trente centimes pourune cabine… (voir le livre Genève‐les‐Bains,édité par l’AUBP en 1996).

Un temps que n’ont pas connu les mem -bres du bureau d’architectes TJCA, à l’originede l’Amarr@GE. Mais l’idée de créer des bainslacustres à cet endroit leur trottait aussi dansla tête depuis longtemps. Il faut dire que cebureau s’occupe du bâtiment de l’Hôtel desBergues depuis plus de vingt ans, un cinqétoiles dont la climatisation est refroidie avecl’eau du lac. Et cette eau chaude, rejetée en -suite dans le Rhône, leur a toujours sembléidéale pour la baignade. L’occasion fait doncle larron! Le bureau envoie son projet auxorganisateurs du bicentenaire, dans la caté-gorie «œuvre monumentale, art urbain» etdécroche la timbale.

L’Amarr@GE suscite rapidement l’enthou-siasme général : tout le monde retrousse lesmanches pour que ce pavillon flottant puisse seréaliser. Les porteurs du projet œuvrent béné-

volement, les écoles techniques s’impliquent,les entreprises travaillent à prix coûtant. Plusétonnant encore, ce projet passe la rampe desdifférentes commissions cantonales et muni-cipales, obtient les autorisations. Mieux, il n’estbloqué par aucun re cours. Un vrai miracle !

Tout reste encore à inventer : la plate-forme est ainsi constituée de près de 3000plots de plastique, surmontés d’une croixsuisse. Des profils aux vertus antidérapantesque les nageurs pourront tester cet été!

Ces bains publics n’étant pas extensibles à souhait, leur entrée est limitée à 350 per-sonnes. Elles pourront faire trempette dansune eau à 24 degrés et dans trois bassins deprofondeurs différentes, adaptés à tous lesâges. Un service de gardiennage sera assurépar le Service des sports de la Ville de Genève.Les clients n’y trouveront point de buvette,mais un débit d’eau. Et pas de risque de tom-ber dans le Rhône: le drapeau suisse est pro-tégé par des balustrades aux normes. Lesclichés ont décidément la vie dure…

Inauguration prévue le 7 juin 2014 Ouverture de juin à septembre 2014 et de mai à septembre 2015

Horaires : du dimanche au mercredi de 10h à 20h du jeudi au vendredi de 10h à 21h

Tarifs : 2 francs (adultes) ou 1 franc (enfants)

www.ge200.ch

La piscine patriotiqueC’est le cliché absolu dans lequel on se baignera tout l’été ! Un grand drapeau suisse a trouvé refugedébut juin, au cœur de Genève, tout près du pont de la Machine.

Rive droite, c’est parfait. Il y a bien quel -ques pêcheurs qui vous ligotent dans leurs filsen vous injuriant ou même – ça m’est arrivé –qui vous jettent des pierres, car la rivière estpour eux ce que la piste cyclable est à l’auto-mobiliste : une chasse gardée. Mais sinon,quel plaisir ! Escalader une rivière! L’eau n’estplus plate, comme au lac. Elle n’est plusgazeuse ou frisée, comme à la descente. Ellese fait yaourt, et le nageur, pédaleur. Commele cycliste, il peut alors jouir de ce double

bonheur de l’effort et du paysage. Un paysaged’autant plus beau qu’il est le fruit d’un mé -rite. Ici tout est zen. Car une certaine violencedu mouvement s’y conjugue avec une intensepaix intérieure due à la lenteur de la pro -gression. Fusion et dépassement. Le nageurse fait acteur et spectateur. Et chaque cailloureluqué et remonté devient à la fois poème etvictoire.

Gide disait qu’il faut toujours suivre sapente, pourvu que ce soit en montant. Une

vérité pas forcément universelle. Certes, il estsi confortable de se laisser aller. Mais les vraisbonheurs et les vrais succès ne sont-ils pasdans le surpassement? Si dériver c’est voler,s’oublier, en revanche, remonter le courant,c’est peser, c’est penser.

Et si nager vraiment c’est s’opposer au flux,je crois que penser vraiment, c’est penser contrele courant. Surtout, penser contre soi.

Mais là, je ne sais pas si je suis entièrementd’accord avec moi.

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Journal des Bains 11 · été 201426

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27Journal des Bains 11 · été 2014 BAINS D’AILLEURS

TEXTE ET PHOTOGRAPHIESAGNÈS VILLETTE

Une voiture file dans les ruesdésertes et endormies d’un petitmatin frais de la fin d’hiver.Comme tous les samedis, TomKean rejoint un parking vide aux

franges d’Henley-on-Thames, une petite villede l’Oxfordshire située à égale distance deLondres et de la source de la Tamise. D’autresvéhicules attendent là, tous phares éteints,occupés par des individus en combinaisonsluisantes qui surgissent tout à coup dans lalumière orangée des lampadaires. Ce rendez-vous incongru, au caractère presque clandes-tin, est le point de ralliement des membres duHenley Swimming Club avant leur baignadehebdomadaire. Quelques pas sur les pontonsde bois et les voici à l’eau. Dans la Tamise, pasencore perturbée par le trafic des bateaux àcette heure matinale. Peu de conversations,mais une tension palpable que l’entrée desnageurs dans une eau à 12 degrés rend plusloquaces. L’un après l’autre, ils s’engagent àcontre-courant, puis disparaissent dans uncoude du fleuve.

Lorsqu’en 2012 Tom Kean et Jeremy Lamingcréent le Henley Swimming sur les bords de la Tamise, ils ignorent qu’ils ressuscitent unancien club de la fin du XIXe siècle et qu’ilsrenouent avec un loisir ancestral et très popu-laire, éclipsé depuis l’après-guerre. Leur clubcompte aujourd’hui une trentaine d’adhé-rents, à qui on propose, indique Tom Kean,«un cadre sécurisé pour ceux qui s’entraînentdans le fleuve, connaître les courants, les bergesoù entrer et sortir de l’eau, car cela reste unepratique risquée». D’où le choix de ces bon-nets de bain roses, « les bateaux peuvent nousvoir de loin».

Nager dans la Tamise… Mais quid de l’hy-giène? «C’est la première question posée parles curieux. Depuis dix ans que je nage dans laTamise, je n’ai pas été une seule fois malade!»,assure Tom Kean. Pourtant, le fleuve revientde loin et la nage y a longtemps été proscrite.Après la révolution industrielle, la Tamise estdevenue le réceptacle de toutes les pollutionsindustrielles. Les égouts de la ville s’y déver-saient au point qu’en 1858, «the Great Stink»força la cour de justice à déménager à St Albans, loin du fleuve. Les épidémies decholéra perdureront au XIXe siècle. En 1957,les autorités déclareront même le fleuve bio-logiquement mort. Mais depuis 1996, l’agencenationale Environment Agency légifère et main-tient des quotas drastiques limitant la pollutiondu fleuve. Aujourd’hui, quelque 125 es pècesde poissons y vivent et on peut croiser desloutres et des phoques vers l’embouchure dufleuve. On considère que 80% de l’eau de laTamise a atteint une qualité très satisfaisante,ce qui a valu au fleuve d’être, en 2010, distin-gué par l’International River Symposium.

Le café vient à peine d’ouvrir, les nageursdu Henley club y ont pris leurs habitudes, ilssont d’ailleurs souvent les premiers clients. Laserveuse, au fait des plats roboratifs qu’ils com-mandent, dépose les cafés au milieu des cartesde la région étalées sur la table. Ils planifientleurs prochaines sorties, l’aventure et l’explo-ration sont inhérentes à la nage en rivière. Latransition est étonnante entre le monde silen-cieux et aquatique qu’ils viennent de quit teret l’agitation quotidienne autour d’eux.

Avec exaltation, les nageurs en combi -naison racontent la sensation de liberté etl’immersion dans un univers féérique, despaysages qui, saisis au fil de l’eau, subissentune totale métamorphose et livrent une visionatemporelle et ancestrale de la campagneanglaise. «La perception de l’espace est sai-sissante», s’enthousiasme Tom Kean. «C’estune manière nouvelle de se réapproprier lanature, de comprendre que les rivières sontune ressource que l’on peut améliorer en les

Nager dans la Tamise,so British!

fréquentant», ajoute Oliver Pitts, membre del’Outdoor Swimming Society (OSS).

Créé en 2006, ce club compte aujourd’hui16000 membres, des amateurs non encartés.Quant aux adeptes de la nage en plein air, ilsseraient près de 3 millions au Royaume-Uni.Tous évoquent son côté pratique: «A l’inversede la piscine, on peut nager sans interruptionet sans se bousculer avec d’autres nageurs.»

Un regain d’intérêt qui s’explique, selonTom Kean, par le succès du triathlon, disci-pline olympique depuis les JO de Sydney, en2000: «Beaucoup de gens ont commencé às’intéresser aux rivières qu’ils délaissaientjusque là.»

Le wild swimming, comme le désignent lesBritanniques, bénéficie également des nou-velles pratiques communautaires, liées auxréseaux sociaux, qui ont donné de l’ampleur à un passe-temps autrefois réservé à quel -ques excentriques ou à des écrivains commeAgatha Christie ou Virginia Woolf. L’OSSs’est ainsi doté d’une page Facebook et d’unsite (www.outdoorswimmingsociety.com).

«Nager en plein air ne laisse aucune trace,explique Oliver Pitts, membre de l’OSS. Celademande peu d’organisation préalable : onannonce sur le site un lieu et une date, desdizaines d’adeptes suivent. La transparenceet l’immédiateté de l’Internet apportent uneliberté nouvelle.» Le site propose une carterecensant les lieux accessibles, soit plus de300 sites recensés dans tout le pays. Des com-

pétitions ont également vu le jour. L’OSS orga-nise depuis trois ans le Dart 10k, une coursede 10 kilomètres dans le Devon.

Sur la Tamise, dans l’Oxfordshire, troiscourses ont lieu chaque été : le Henley Classic(2,1 km), le Henley Mile et le Bridge to Bridge(14 km). En 2013, 17000 participants, âgés de 8 à 80 ans, ont pris part à ces compétitions. Larenommée de la ville, connue pour ses régatesroyales datant de 1839, y est aussi pour quel -que chose. Car jusqu’à l’ère victorienne, lanage en rivière est restée «l’apanage des roiset de la gentry qui fréquentaient la Tamise»,rappelle l’historienne Caitlin Davies, qui achèveun ouvrage sur les nageurs de la Tamise. Leplus ancien club de natation du pays, créé auXVe siècle, est d’ailleurs celui d’Eton, la pres-tigieuse école d’où proviennent de nombreuxpremiers ministres ou membres du gouver-nement comme l’actuel David Cameron.

«Les élèves payaient une amende s’ils nenageaient pas tous les mois de l’année», indiqueCaitlin Davies. L’usage se démocratise au XIXe

siècle, quand toutes les classes sociales se mé -langent dans un engouement sportif et hygié-niste qui coïncide avec l’invention de nouvellesdisciplines comme le plongeon ou l’introduc-tion du crawl. Jusqu’aux années 30, il existaitdes plages aménagées pour les classes popu-laires dans la capitale. Mais la pratique vas’essouffler dans les années 1960, avec la cons -truction de piscines chauffées, les voyages àl’étranger et la pollution agricole. Enfin, le goût

de la modernité achève d’éloigner les Anglaisdes rivières et d’un loisir perçu comme désuet.

Aujourd’hui, c’est l’inverse, les Britanniquesvoient là l’occasion de redécouvrir une natureidyllique, pré-industrielle, digne des pasto-rales des tableaux de Constable.

Plus qu’un simple retour nostalgique à untemps révolu, le wild swimming du XXIe sièclerépond à des changements sociétaux et serevendique comme un activisme écologique.Depuis l’arrivée de David Cameron au pou-voir, en 2010, il ne se passe pas un mois sansqu’une piscine annonce sa fermeture, malgréles protestations et la résistance des associa-tions de défense. Les coupes budgétaires ontégalement touché les lidos, ces immenses pis-cines de plein air qui avaient été construitesdans les années 20 et 30 dans un élan de démo-cratisation de la natation, la classe ouvrièren’ayant pas accès aux climats plus clémentsdes rivieras européennes. Lors de la prépara-tion des Jeux olympiques de Londres, en 2012,le rythme des fermetures n’a pas fléchi et aalimenté un débat sur l’inégalité géographiqueet sociale de l’accès à la natation.

Pour l’historienne Caitlin Davies, ce mou-vement et le succès qu’il rencontre témoignentd’une «rupture avec une époque obsédée parla sécurité, où la vie quotidienne est délimitéepar toutes sortes de règles. Il y a une dimen-sion vraiment britannique dans l’affirmationindividuelle d’une prise de risque».

Autre enjeu très britannique, la questionde la propriété privée et des usages. Les lacs,rivières et bords de mer offrent un loisir gra-tuit. Mais dans ce pays où les terres appar-tiennent toujours à une minorité de grandspropriétaires issus de l’aristocratie, l’accès àces territoires est longtemps resté interdit. Ennovembre 2000, à l’instigation du mouvementdes Ramblers qui réclame le droit de circulerlibrement dans les campagnes, le parlement aadopté la loi du Countryside Rights of Way, quiautorise en Angleterre et au Pays de Gallesl’accès des randonneurs à l’«open country»soit les montagnes, landes, falaises qui jus-qu’alors étaient restreintes à des chemins dontil était illégal de s’éloigner. La loi englobe lesrivières et les étangs que s’étaient appropriésles éleveurs de truites et les pêcheurs. Ils doi-vent à présent composer avec les nageurs.

Ce texte est paru dans le magazine Mdu journal Le Monde du 5 avril 2014.

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Journal des Bains 11 · été 201428 AUX BAINS

Ce sont de petits tableaux. Des prin-temps oniriques dans la chrono -logie d’une mort repoussée. Despeintures presque, lovées dans lessoies d’une pellicule secrète, pour

mieux s’exprimer plus loin. Des histoires quise racontent d’elles-mêmes, du temps qui passe,sans trucages ni montages et qui jouent de leuratemporalité et de leur effet cinétique. Qui seplaisent à mêler tout à la fois le naturel à l’ir-réel, comme pour mieux nier les algorithmesqui nous lient et nous délient. On y devine,dans ce décalage du temps, entre deux imagessi proches et si lointaines pourtant, entre deuxregards perdus de rêves et de chimères, ce qui

Le bonheurrêvéPHOTOGRAPHIES EDEN LEVI AM

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29Journal des Bains 11 · été 2014

est et ce qui pourrait-être. Encore faudrait-ilsavoir, dans ce récit fantasmé, ce qui se définitcomme vérité ou comme conte.

C’est cette part de mythe, ou de mythologie,qui nous ramène aux fondamentaux de l’imageet de la photographie en particulier. A-t-onjamais évoqué le subjectif comme une entitéphysique et matérielle susceptible de trans-crire la réalité? De quoi parle-t-on alors sinond’un objectif qui capture et traduit la poésiedu monde en une fraction de temps pourl’immortaliser? De quoi parle-t-on sinon d’unobturateur qui en une fraction de noir, d’obs-curité, nous renvoie à la lumière et à nos rêvesles plus secrets?

J’y vois une part de paradis perdu, d’Edenà redécouvrir, de narration qui nous ramèneaux sources de l’univers et à ses légendes. Unefaçon de redevenir amoureux, un instant, denotre jeunesse passée et se glisser à nouveaudans la trace fine des incongruités que la vienous a parfois réservées.

Ce sont de petits tableaux. Des éveils auprintemps. Des récits qui redorent d’un peude désir l’extraordinaire qui peuple notre quo-tidien, mais que nous ne savons plus inventer.

Sommes-nous donc tant Cyclopes que nousne puissions voir la multitude des mondesqui nous environnent et nos rêves qui lesaccompagnent d’une mémoire borgne?

Je ne sais, mais tant de conquêtes restentlà, sous nos yeux, enfouies dans nos contra-dictions intérieures, que seule notre imagina-tion peut les nourrir d’un peu d’amour avantque les fables ne reprennent le dessus et quenotre œil ne se plie à la courbe de ce mondevoûté comme un vieillard.

Il reste, heureusement, quelques petitscoins de paradis comme des portes sur l’ima-ginaire, aux Bains ou ailleurs, pour renoueravec nos vraies racines : celle d’un bonheurrêvé… le temps d’un déclic, ou d’une vie,peut-être…

Ph.C.www.edenleviam.com

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Journal des Bains 11 · été 201430 AUX BAINS

Le danger existe sans cesse que la ville perde sa valeurd’usage, de lieu de rencontreset de mélange des diversités,que ce soit en raison d’unurbanisme qui chasse les lieux populaires du centre, ou au travers d’unemarchandisation des espacespublics ou semi-publics. Le cas des Bains des Pâquis est exemplaire à cet égard.

RÉMY PAGANI*

Comme l’historien Armand Brulhartme le rappelait dernièrement, lesGenevois se sont baignés de touttemps. Au XVIIIe siècle, divers em -placements aménagés au bord du

lac, du Rhône et de l’Arve accueillaient leshabitants, qui venaient se rafraîchir, nagerou… se laver. Et, au grand dam de certains etcertaines, il arrivait que les jeunes gens dé -ambulent en tenue d’Adam sur les places duMolard, de Bel-Air ou de Longemalle. Cettepratique prit fin au début du XIXe siècle, aprèsune campagne d’affichage virulente!

Du côté des Pâquis, les gens se baignaientau bout de l’actuel quai Wilson, avant que nesoit érigé l’Hôtel National (aujourd’hui PalaisWilson). Puis des bains en bois furent cons -truits en 1872 en aval de la jetée. Réservés auxhommes à l’origine, ils s’ouvrirent aux femmespour une journée hebdomadaire, dans un pre-mier temps, grâce à un mouvement populaireet féministe. Par la suite, une an nexe exclusi-vement destinée aux femmes fut édifiée.

Ce retour sur l’histoire pour dire l’im por -tance de ce qu’Henri Lefebvre nomme le «droità la ville», question qui me préoccupe parti-

culièrement en ma qualité de responsable duDépartement des constructions et de l’amé-nagement. Les Bains des Pâquis ont été delongue date véritablement investis par la po -pu lation. Comme on vient de le voir, cela a étéle cas au moment où les femmes ont reven -diqué le droit à la baignade. Cela a encore étéle cas à la fin des années 1980, au moment oùles Bains ont été menacés par un projet dedémolition-reconstruction qui leur aurait faitperdre leur identité et leur esprit. La popula-tion a véritablement exprimé son «droit à laville» en s’opposant à ce programme et en ga -

gnant contre les autorités. Pour moi, les Bainsdes Pâquis sont emblématiques d’un lieu derésistance à la menace de la perte de la valeurd’usage, d’un lieu où la vie collective a droit decité, d’un lieu ac ces sible à toutes et tous, d’unlieu où la rencontre, la discussion, l’expression,la découverte sont possibles, d’un lieu qui secrée et se recrée en permanence, d’un lieu quireprésente parfaitement le «droit à la ville».

*Conseiller administratif de la Ville de Genève, en charge du Département des constructions et de l’aménagement.

Photographie Fausto Pluchinotta

L’affaire dela mictioncolombine et la verrine opaque debrochetJÉRÔME ESTÈBE

L’autre jour, le Dr Slurp, tel unLouison Bobet du XXIe siècle, che -vauchait sa bicyclette dans les ruesde Genève. Altier, superbe, tout enmuscles et en souplesse,

il glissait sur le bitume à une allurede 17 nœuds environ. Rien ne sem-blait pouvoir l’arrêter. Ni les siffle-ments admiratifs que lui lançaientles filles sur le trottoir. Ni les regardsde jalousie que lui décochaient leurscompagnons.

C’est là qu’un pigeon lui a pissédans l’œil.

Oui, t’as bien lu.Une crapule de volatile a osé ex -

pédier sa misérable urine dans lamirette gauche de mézigue.

Ça pique. Ça vexe. Ça avilit. Le Dr Slurp ena conçu une aigreur majuscule à l’âme et unerougeur disgracieuse autour du cristallin, quia considérablement émoussé le charmenotoire de son regard minéral.

Du coup, l’héroïque cyclo-randonnée s’estachevée en eau de boudin, avec une espèce demonstre borgne et furax en train de zigzaguersur son vélo tout en marmonnant des injuresà l’intention des volatiles incontinents.

Depuis, bien sûr, on hait les pigeons. Aupoint même d’envisager une croisade plané-taire pour éradiquer ces pisseurs ailés de nos

http://jeromeestebe.blog.tdg.ch

évitant de le réduire en charpie. Répartissezle tout dans ces petits verres opaques, ou pas,que les magazines nomment verrines.

Servez d’un œil.Crapules de pigeons.

cieux. Sus à l’espèce colombine et à ses mic-tions infâmes!

Inutile de vous dire que l’on ne mangeplus d’oiseau. Boycott complet.

Du coup, on a eu l’idée de vousbricoler une verrine opaque de bro-chet fumé du lac Léman au citronconfit.

Pourquoi opaque? Ben,parce que c’est plussimple pour la photo,nigaud.

Pourquoi du bro-chet? Ben, parce quec’est pas du pigeon,couillon.

Acquérez un beaufilet de brochet fumé, par

exemple auprès du jeune JulienMonney, pêcheur au look pittoresquequi vend désormais ses poissons surnos marchés. Au même marché,payez vous un ou deux citrons confits.

Découpez le poisson en cubes har-monieux. Dans une jatte, écrabouillez lecitron confit. Ajoutez un bout de gingembrehaché, un piment finement émincé, unegrosse lichette d’huile d’olive, un tour demoulin à poivre, quelques rondelles d’oignonfrais et toute autre chose qui vous ferait plai-sir. Touillez bien. Puis intégrez le poisson, en

Top Slurp

Les magistrats parlent des Bains

Les Bains des Pâquis ou le «droit à la ville»

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31Journal des Bains 11 · été 2014 VOL AU VENTH

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Le soleil, la pluie, le désir de changement et leplaisir d’une longue collaboration riche en dé -couvertes. Tant d’éléments concourent à effi-locher nos drapeaux. Pour la troisième fois, lesBains ont ainsi convié une cinquantaine d’élèves

du Centre de formation en arts appliqués à plancher pourla realisation de deux nouvelles bannières. Des enseignantesde l’école et des membres de l’association ont eu fort àfaire pour départager les projets qui leur semblaient lesmeilleurs. Il aura fallu pour cela s’interroger sur les cou-leurs du ciel, imaginer les effets cinétiques d’une imagefixe livrée au vent, comprendre le paysage environnantet… faire preuve de compromis. Un grand merci, quoiqu’il en soit, à tous les élèves pour leur belle imaginationet leur talent en attendant que flottent au-dessus desBains les couleurs des lauréats.

1er prix : Ismaël Toure2e prix : Maryline Couraud

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Journal des Bains 11 · été 201432 PORTRAIT

François s’en va. Il a décidé derendre son tablier de tenancierde la buvette pour voguer vers d’autres destinées. Les Bains ne l’ont pas laissés’en aller sans lui faire la fête, et Armand lui a adressé undiscours de circonstance dont nous reprenons iciquelques passages.

Il faut, dans un concert symphonique, unchef d’orchestre et un soliste. Mais sansles musiciens, il n’y a plus de concert,plus de soliste, plus de chef d’orchestre.Sans les employés de la buvette, plus de

buvette. Et sans les usagers des bains, plus deconcert. Or, c’est bien la très grande difficultéqu’il y avait au départ de l’entreprise.

Dans la marche difficile des premiers temps,François a été à la fois le pianiste qu’on ima-gine dans la très belle publicité qu’il a com-mandée, et le chef d’orchestre en alternance.Faire de la buvette une institution insépa-rable des Bains des Pâquis et tout à la fois larendre autonome, lui donner un lustre, c’étaitun pari : il fallait être deux et quelques-uns se souviennent. Imaginez les Walkyries deWagner et une sonate de Mozart, et vous aurezl’écart entre Raymond et François : c’est unpeu le calme après la tempête. Car à cetteépoque-là, les deux lascars étaient dans laforce de l’âge.

François Monney, le bourlingueur gourmand

Il est un livre, petit de taille, dense etardent, qui trouvera sans peine lechemin des meilleures poches. Riende tiède là-dedans. Rien de convenu.Quinze peintures et quinze textes se

font face. A chaque duo une vibration. Entrechaque duo une respiration. Il est bon deprendre son temps pour gravir l’escalier ducœur, en se laissant happer par les couleursde Tatiana Khazanova et emporter par lesécrits de Jean Firmann, l’auteur qui troussel’esperluette avec tant de bonheur.

L’ouvrage, tiré à compte d’auteur, a été imprimé àGenève par les artistes eux-mêmes sur beau papiervergé demi-crème. Pour commander ce livre venduà 30 francs, une adresse : Editions de la tem-presse, rue de Montchoisy 55, 1207 Genève.

Par bonheur, François représentait, dans sonapparente timidité, l’équilibre, la persévérance,la fidélité, l’engagement. Autant de vertus quifacilitent la gouvernance à deux têtes. Le cari-caturiste de l’époque les a représentés face àface et de profil. L’un avec ses dents de car-nassier, l’autre avec la sagesse de sa tonsurenaissante. La formule est bien connue: « il fal-lait le faire» et sans aucun doute, le succès estvenu récompenser ce numéro d’équilibristes.

Le succès entraîne avec lui l’envie, la convoi-tise. Il faut alors défendre ou attaquer. Sescheveux blancs témoignent aujourd’hui deces soucis quotidiens et si l’on tient comptede cette demi-vérité, la palme lui revient in -contestablement.

J’ai voulu en savoir plus sur FrançoisMonney, qui restera un être caché, jusqu’à se

réfugier derrière le Petit-Salève. Mais n’allezsurtout pas sur internet pour en savoir plus.Vous y verrez un autre François Monney quin’a pas son pareil pour vous parler de l’arméesuisse et qui n’est qu’un homonyme vaudois.Point de François, donc!

En relisant les Chroniques de Genève deBonivard, le premier historien de Genève, vousdécouvrirez un certain Monnet ou Monneyqui colportait dans la ville d’infâmes scènesde débauches qui furent brûlées de vant lepeuple. Monnet échappa aux flammes, mais ileut la tête tranchée à Champel. Comme quoi,il ne faut jamais rechercher ses ancêtres.

Pour mieux découvrir François, il fauts’éloigner des Bains. Il faut voyager avec lui,l’observer à distance: en Inde, au Mali, auYémen, en Jordanie, au Maroc.

Vous vous demandez qui le pousse à capterautant d’images, à faire vibrer ses sensations,à témoigner de son exaltation, lui pourtant siréservé d’apparence. Veut-il rivaliser avec Jean-Pierre Balmer? Que nenni, il prolonge sonvoyage et vous offre, avec surprise, le plaisircaché de sa récolte: des diaporamas aussi talen-tueux que sensibles. Vous découvrez alors l’undes dons cachés de cet esthète et d’où lui vientcette patience que suppose ce travail d’as sem -blage, de couleurs et de correspondances.

En repensant à l’évolution de François du -rant ces longues années, il me vient le souvenirqu’avant son travail sur les Bains, il était déjàpréoccupé par le social, comme on dit, puisqu’ils’occupait des repas aux réfugiés, aux requé-rants d’asile à l’arrière de la gare de Cornavin.

Lui qui avait émigré en Australie, et qui enétait revenu, voulut y retourner bien plus tard,

pour se reposer de la buvette des Bains desPâquis. Etait-ce à Sidney? Attablé sur une ter-rasse, il surprit dans la conversation de sesvoisins australiens, le mot «Geneva» puis,très distinctement, d’un lieu extraordinaire,«les Bains des Pâquis»! Il comprit alors oùétait sa vraie place! Il n’y a décidément pasmoyen de se dépayser. Les Bains vous rattra-pent au bout du monde.

Et voilà qu’aujourd’hui, après un parcoursqui ne fut pas seulement celui de la buvette,mais celui du comité de l’AUBP et des plan-nings casse-tête des employés, François varéaliser ses rêves. Si je dis, au revoir François,on pense trop à Jacques Brel, il faudrait uneautre formule, moins connotée. A demain, àla revoyure, à tout bientôt, à tout soudain, auplaisir partagé!

L’escalier du cœur

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33Journal des Bains 11 · été 2014 AUX BAINS

Poésie en ville s’expatrie donc cetteannée aux Bains des Pâquis, ce terri-toire hors du siècle et des conven-tions, qui rêvait depuis longtempsdéjà d’organiser un tel festival. Dire

que le lieu s’y prêtait serait estomper d’un coupde fusain gris l’essence même de cette confi-guration et son architecture. Un paysage bas,en filigrane, qui redéfinit la ligne d’un horizonclair tout en poésie et qui ré-enchante le mondeà chaque instant dans la lumière changeantedu lac.

L’équipe de programmation des Biblio -thèques municipales et des Bains s’est doncattachée à construire un univers de mots quihabitent chaque particularité du site, suivantdes parcours intimistes ou initiatiques. Jouantici sur les reflets de l’eau, entre les galets, surun pédalo, déclamant haut sur le phare ou leplongeoir, allant se percher sur les platanesou se lover dans un transat, effleurant un riend’érotisme dans l’étouffante chaleur d’un sauna,discourant de tables rondes en conférences,de débats en concerts de slam ou projectionsvisuelles, entre la buvette et l’extravagantchapiteau rouge d’un théâtre de rue.

La poésie est à l’image de ces lieux. Elleignore parfois l’âge et le temps, méconnaît d’au -tres fois la culture et l’élitisme, oublie souventles conditions sociales et les conventions. Elle

est une parole ouverte, droite dans sa langue,qui se crée et s’entend pour et par tous.

Ailleurs, entre la bibliothèque des Eaux-Vives et celle des Pâquis, des animations vien-dront ponctuer ce panorama d’un monderéinventé, créant des phrases dans une villenouvelle à cheminer selon son imagination,mais qui nous ramèneront toutes au cœur dela rade, où de tout temps on se baigne de poé-sie comme d’autres d’excès de réalisme.

Cent fous font un sage disait Aristote. Maisun seul poète suffit à refaire le monde et nouslaisser rêver à ses multiples définitions. Lespoètes sont ces funambules des mots qui main-tiennent l’improbable équilibre de l’univers,marchant sur la corde raide d’un horizon sansgrammaire en une suite perpétuelle de petitsdéséquilibres.

Quel autre lieu que ces Bains palimpsestespouvaient donc accueillir une poignée de sageset quelques poètes?

du 2 au 5 octobre 2014 Programme consultable dès le 8 septembre sur www.ville-geneve.ch/poesieenville et sur www.bainsdespaquis.ch

Quand les Bains riment avec poésieUne virgule au-dessus du lac qui conjugue tous les possibles, une bibliothèque, en rénovation et sans parole pour un temps,des envies communes pour un partenariat.

Vous les avez peut-être aperçus gesti-culant avec des aiguilles de toutes lestailles et des laines flashy. Hommeset femmes, d’âge et de cultures variés,se réunissent un samedi sur deux,

aux Bains des Pâquis, dans le but de tricoterla laine, mais aussi de tisser des liens autourd’une tisane de gingembre et autres gourman-dises. Ce projet de tricot urbain réunit unedizaine d’associations et de cafés du quartierdes Pâquis.

Dès le mois de juin, le mobilier urbain serarevêtu de laine. Vous découvrirez alors unquartier haut en couleurs, à l’allure chaleureuseet féerique. L’œuvre d’une centaine de per-sonnes venant de tout le canton.

Léa HerquelAnimatrice socioculturelle et initiatrice

du projet «Les Pâquis se rhabillent».

Le 14 juin nous fêterons l’inauguration du projet.La compagnie Transe Express viendra animer lesrues tricotées avec une parade musicale décalée.Vous êtes cordialement invités dès 18h30 auxBains des Pâquis pour un apéro, suivi du départde la parade musicale à 19h15. L’exposition detricot urbain durera jusqu’à fin août.

Prochaines rencontres de tricot : samedis 17 et 31 mai, de 14h à 16h

www.facebook.com/LesPaquisSeRhabillent

Les Pâquis se rhabillentDepuis octobre 2013, les Bains des Pâquis accueillent tricoteurs et tricoteuses dans le cadre du projet socioculturel «Les Pâquis se rhabillent».

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Journal des Bains 11 · été 201434

aubes musicalestous les joursdu 12 juillet au 31 août

de 06h00 à 07h00

SAMEDI 12 JUILLETLuluxpo. Dj

DIMANCHE 13 JUILLETDuck Duck Grey DuckSoul-Surf-Garage du lac Léman

LUNDI 14 JUILLETNguyên Lê Saiyuki+Quang. World jazz Asie

MARDI 15 JUILLETColette Grand Kurt Weill Kabaret. Asphalt songs

MERCREDI 16 JUILLETCédric Schaerer sextet. Jazz

JEUDI 17 JUILLETMonofocus. Musique spectaculaire

VENDREDI 18 JUILLETMilord. Musique spectaculaire

SAMEDI 19 JUILLETDanse africaine, avec Filibert Tologo pour faire danser le public

DIMANCHE 20 JUILLETZumba avec un animateur pour faire danser le public

LUNDI 21 JUILLETChants des pavillons. Musique spectaculaire

MARDI 22 JUILLETVannereau Eric Franceries. Duo Tango

MERCREDI 23 JUILLETJose Antonio Julado et Isabela Rodriguez Flamenco avec une danseuse et un danseur

JEUDI 24 JUILLETSurprise

VENDREDI 25 JUILLETSurprise

SAMEDI 26 JUILLETTaïchi avec NaeremaMéditation taïchi avec hang et balafon

DIMANCHE 27 JUILLETFranz Treichler. Electronica et guitare acoustique

LUNDI 28 JUILLETCarte blanche à la Cave 12Simone Aubert (Massicot) & Vincent Bertholet(Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp)Répétitif trance duo

MARDI 29 JUILLETCarte blanche à la Cave 12Testa Di Cavallo. Rock décalé

MERCREDI 30 JUILLETA Moving Sound. World music–Asian Fusion

JEUDI 31 JUILLETCarte blanche à la Cave 12Cabinet de Logique. Diffusion électroacoustique

VENDREDI 1er AOÛTDuo Extrême Suisse. Chanson suisse déjantée

SAMEDI 2 AOÛTDidier Kugel duo. Harpe-violon

DIMANCHE 3 AOÛTOrganic Flowers. Jazz

LUNDI 4 AOÛTOh ma Lune. Chanson électro-bricolo

Vous rêviez de glisser ainsi sur l’eau? Vous pourrezdésormais tenter l’aventure aux Pâquis. A l’ouverture de la saison d’été, trois SUP(stand up paddle) seront mis à disposition des adultes,moyennant quelquesprécautions: l’exercice se pratique en dehors desbalises, en direction du large et avec un gilet de sauvetage. La location est fixée à 15 francs l’heure durant le temps d’ouverture de la plage, la dernière location se faisant à 19h. Il sera demandé 50 francs de dépôt et une carted’identité.

Paddleaux Bains

MERCREDI 27 AOÛTCarte blanche à l’AMRParallels. Jazz sensuel et mystique

JEUDI 28 AOÛTPaula Oliveira et Léo Tardin duoChant traditionnel portugais

VENDREDI 29 AOÛTCarte blanche aux Ateliers d’ethnomusicologieElena Greandia, Michel Bastet, Sylvain FournierHistoires à partager. Jazz, boléro et tango

SAMEDI 30 AOÛTCarte blanche aux Ateliers d’ethnomusicologiePalenque La Papayera. Fanfare colombienne

DIMANCHE 31 AOÛTCarte blanche aux Ateliers d’ethnomusicologieLebedik. Chants yiddish et musique klezmer

MARDI 5 AOÛTSurprise

MERCREDI 6 AOÛTSlurp BB. Second Line

JEUDI 7 AOÛTSurprise

VENDREDI 8 AOÛTSurprise

SAMEDI 9 AOÛTRazzmatazz. Musique et danses d’Europe de l’Est avec un animateur pour faire danser le public

DIMANCHE 10 AOÛTTrio ElbasanUn voyage du Danube à la Méditerranée

LUNDI 11 AOÛTSurprise

MARDI 12 AOÛTManuel Gesseney Quintet. Jazz moderne

MERCREDI 13 AOÛTCatherine Sury et Manuel CalderónChant et guitare

JEUDI 14 AOÛTMing Zeng, flûte dizi et Lingling Yu, luth pipaMusique chinoise traditionnelle

VENDREDI 15, SAMEDI 16ET DIMANCHE 17 AOÛTCarte blanche au Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre

LUNDI 18 AOÛTEspace Musical : au fil de l’eaubeSaint-Saëns, Cage, Instant composing

MARDI 19 AOÛTThe Blossomed Voice. Groupe vocal a cappella

MERCREDI 20 AOÛTHares Khan. Chant haindustany

JEUDI 21 AOÛTMarc Liebeskind trio. Jazz

VENDREDI 22 ET SAMEDI 23 AOÛTTop Chrono. Concert spectaculaire

DIMANCHE 24 AOÛTSwing Spirit. Jazz swing avec un animateur pour faire danser le public

LUNDI 25 AOÛTCarte blanche à l’AMRGumbo Kings. Jazz piquant et boxeur

MARDI 26 AOÛTCarte blanche à l’AMRThe Blue Biscuits of the King FerdinandJazz gourmand et volant

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35Journal des Bains 11 · été 2014 AGENDA

JOURNAL DES BAINS

Le journal de l’AUBPAssociation d’usagers des Bains des PâquisQuai du Mont-Blanc 30, 1201 Genèvetél. 022 732 29 74www.bainsdespaquis.ch

Rédactrice responsable Françoise [email protected]

Rédaction Serge Arnauld, Armand Brulhart, Sarah Budasz, Philippe Constantin, Eden Levi Am, Fausto Pluchinotta, Bertrand Theubet

Conception graphiquePierre Lipschutz, www.promenade.ch

Ont collaboré à ce numéroThéo Albertini, Jean-Luc Babel, Guy Chevalley,Jérôme Estèbe, Jean Firmann, Lionel Fontannaz,Clémentine Glerum, Elodie Glerum, Alain Guerry,Julie Guinand, Léa Herquel, Gérald Herrmann,Nicolas Lambert, Timothée Léchot, Aloys Lolo,Jean-François Luthy, Julie Mayoraz, Eddy Mottaz,Guy Mérat, Thierry Ott, Rémy Pagani, Jean-HenryPapilloud, François Pasquini, Frederik Peeters,Bruno Pellegrino, Plonk & Replonk, Matthieu Ruf,Noémi Schaub, Lydia Schenk, Anne-SophieSubilia, Agnès Villette, Fanny Voélin, DanielVuataz, Fanny Wobmann, Vincent Yersin, Zep

Publicité Helena de Freitas [email protected]

ImpressionCIL Centre d’impression Lausanne SA

Tirage : 5000 exemplaires

Journal imprimé sur du papier certifié FSC®

© 2014, les auteurs et l’AUBPISSN 1664-3003

Prochaine parution : hiver 2014-2015Délai rédactionnel : 5 septembre 2014

SAMEDI 14 JUIN

ÙFÊTE «LES PÂQUIS SE RHABILLENT»avec un spectacle de la compagnie Transe Expressdès 18h30

LUNDI 16 JUIN

ÙASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’AUBP À 20 h

DU 21 AU 28 JUIN

ÙEN PLEIN LACThéâtre, tous les soirs à 21h15

JEUDI 26 JUIN

ÙJOURNÉE DES AÎNÉ-E-S ET DES ENFANTS

SAMEDI 28 JUIN

ÙTOURNOI DE PÉTANQUE À 15 hTriplette mixte (maximum 12 équipes de 3)Grillades pour les participants dès 19h

DU 12 JUILLET AU 31 AOÛT

Ù8e ÉDITION DES AUBES MUSICALESChaque matin à 6h00 par tous les temps.Cafés, thés offerts � voir page ci-contre

LES MARDIS 15 JUILLET ET 5 AOÛT, LES JEUDIS 17 JUILLET ET 7 AOÛT

ÙÀ LA DÉCOUVERTE DU BIOTOPE Pour les enfants. Dès 14h, inscriptions à la Rotonde

SAMEDI 19 ET DIMANCHE 20 JUILLET

ÙTRIATHLON

MARDI 22 JUILLET

ÙCONCERT «ÉCOUTE AU VERT» À 18 h

MERCREDI 30 JUILLET, VENDREDI 15 AOÛT

ÙSUMMERBREAK

VENDREDI 1er AOÛT

ÙFÊTE NATIONALETournoi de jass à 8h, lutte à la culotte à 13h, concours de ricochets à 15h, lancer de la pierreà 16h, fondue à 20h. Animations musicales.

SAMEDI 9 AOÛT

ÙDESTRESSHip hop, body painting et autres

DU 19 AU 24 AOÛT

ÙCINÉSUD AVEC HELVETASEn avant-séance, projection du film d’animationAubade, de Mauro Carraro

DIMANCHE 24 AOÛT

ÙCOURSE AUTOUR DU PHAREdès 14 h. Inscription sur place dès 11h30

DIMANCHE 14 SEPTEMBRE

ÙTOURNOI DE PÉTANQUE À 10 hTriplette mixte (maximum 12 équipes de 3)

JEUDI 18 SEPTEMBRE

ÙINAUGURATION DU FESTIVAL DU FILM CHIANT

DIMANCHE 21 SEPTEMBRE

ÙNETTOYAGE DU LAC

DU 2 AU 5 OCTOBRE

ÙPOÉSIE EN VILLE SUR LES BAINSvoir page 33

PLAGE

Ùdu 12 au 23 mai 2014: de 10h à… (selon météo)du 24 mai au 24 août : de 10h à 21h la semaine,de 9h à 21h le dimanchedu 25 août au 12 septembre : de 10h à… (selon météo)

Prix d’entrée2.– pour les adultes, dès 16 ans1.– pour les enfants, AVS et AIGratuité pour les enfants en-dessous de 6 ansAbonnement pour toute la saison:50.– pour les adultes30.– pour AVS, AI, étudiants (jusqu’à 25 ans)20.– pour les juniorsTél. 022 732 29 74

LA BUVETTE DES BAINS

ÙDès 7 h du matin, petit-déjeuner complet. Dès midi, un excellent plat du jour. Horaires: de 7 h à 22h30. Tél. 022 738 16 16

DÈS LE 1er SEPTEMBRELA BUVETTE PROPOSE :« ANNIVERSAIRE PIRATE »Animations, chasse au trésor, gâteaux,chansons, bal, de 5 à 105 ans, forfait 200 fr.les mercredis et samedis de 14h à 16h,les dimanches de 10h à 12hRéservations à la Buvette

MASSAGES

ÙDes masseurs et masseuses professionnellesproposent différents types de massages, de détente, sportifs ou musculaires, réflexologie,drainages lymphatiques ou encore shiatsu.

Tarif : séance de 50 minutes à 65 francsHoraire: de 9h30 à 21h tous les jours Réservation sur place ou par téléphoneau 022 731 41 34 (lundi-vendredi) de 9 h à 13 h

HAMMAM

Ùdu 24 mai au 24 août, de 10h à 19h30

DU 22 AU 25 MAI

ÙLUXInstallations, performances, photo, vidéo,musique, ateliers pour enfants

PLONK & REPLONK

Deuxconcours

Amis des Bains, poètes à vosheures, croqueurs d’images ounageurs en eaux vives, cecivous concerne. L’AUBP lancedeux concours pour stimuler

votre créativité estivale. • «La fable de l’été» s’adresse à toutes

celles et ceux qui aiment écrire. L’histoiredoit tenir sur une feuille A4 et avoir untitre, ainsi qu’une morale, comme toutefable qui se respecte. Le premier prix seraattribué au récit qui aura le plus touché legroupe animations culturelles de l’AUBP.Son auteur gagnera un voyage de quatrejours à Berlin.

• «La photo la plus inutile de l’été»vise les preneurs d’images qui aiment sur-prendre leur public par des vues drôles oudécalées. Le premier prix ira au cliché leplus déroutant. Son auteur gagnera égale-ment un voyage de quatre jours à Berlin.

Ces concours sont ouverts à tous. Chaqueparticipant recevra un bon sauna et unbon fondue. Les travaux sont à adresser à[email protected] jusqu’au 24 août à minuit.Qu’on se le dise!

Page 35: dossier fleuve

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A B O N N E Z -V O U S !O P É R A S C O N C E R T S & S P E C T A C L E S

R I G O L E T T OE U G È N E O N É G U I N E

L A G R A N D E - D U C H E S S E D E G É R O L S T E I NI P H I G É N I E E N T A U R I D E

P O R G Y A N D B E S S M E S S A D A R E Q U I E M

M E D E AF I D E L I O

C A S S E - N O I S E T T EW A T E R S T A I N S O N T H E W A L L

« S A L U E P O U R M O I L E M O N D E ! »

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L E P E T I T P R I N C E

M O N A M O U R

O P É R A S

B A L L E T SO P É R A S

A B O N N E Z

C O N C E RB A L L E T S

A B O N N E Z

R É C I TT SC O N C E R

V O U S-A B O N N E Z

S P E C T&A L SR É C I T

!V O U S

C L E SAS P E C T

C L E S