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Lucas Trouillard Ma1 – Art du spectacle CORPS, TECHNIQUES ET CULTURE MATERIELLE Olivier Gosselin HAAR-B-4065

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Lucas TrouillardMa1 Art du spectacle

CORPS, TECHNIQUES ET CULTURE MATERIELLEOlivier GosselinHAAR-B-4065

Universit libre de Bruxelles2011 2012Introduction:

Lobjet que jai choisi pour mener cette tude est la statue de Julio Cortzar. Nous ne nous attarderons pas sur la vie de lcrivain argentin n Ixelles mais essayerons de considrer la statue comme un objet dans son environnement sur une trajectoire temporelle. Nous prfrons ici utiliser le terme de chose plutt que celui dobjet la manire de Tim Ingold de manire illustrer le devenir constant de lobjet pris dans de multiples forces et en exerant lui-mme. Durant une priode de 2 mois et demi (de octobre mi-dcembre) jai contrl la vie de cette chose et son volution dans un environnement urbain, place Georges Brugmann Ixelles. Grce un journal de bord complt par des visites rgulires, jai construit une brve tude en analysant les diffrentes forces voluant autours de la chose et ma relation mme avec celle-ci. Il sagit dune tude entirement subjective qui part dune volont de concentrer mon attention et mes sens sur lobjet dtude et ainsi couter mon propre corps et intellect de manire devenir ltre en alerte de Jos Ortega y Gasset. Jessayerai ici de synthtiser les sensations que jai pu ressentir lors de ma relation avec lobjet de manire en recueillir lessence ncessaire une cration potique et picturale. Dans un premier temps, il convient dexpliquer le choix de cette statue qui pose les bases de ma relation avec elle. Outre le fait quelle se trouve proche de mon domicile jai une histoire de rencontre singulire avec elle. En effet, revenant dune librairie avec un livre de Julio Cortzar sous le bras, jai remarqu cette statut devant laquelle javais du passer prcdemment sans y prter attention. Je nai pas tout de suite reconnu lauteur mais jai t troubl par son visage. Jai alors ralis en jetant un coup dil sur la quatrime de couverture de mon livre o se trouvait une photo de Julio Cortzar que javais sa reprsentation en face de moi. Cette rencontre inopin au dtour dune rue alors que je venais justement dacheter un des livres de lauteur posait les bases dune relation mystrieuse et mystique avec cette statue. Nous marchons sans nous chercher mais en sachant que nous marchons pour nous rencontrer. Julio Cortzar. Cette statue reprsente en auteur mort, n dans les environs dIxelles, il sagit dune reprsentation humaine dun auteur dont jai dj lu quelques livres. Durant mon tude jessaierai docculter ma relation avec ses crits pour me concentrer sur une relation avec la sculpture en gardant lesprit que dune manire o dune autre mes connaissances de lauteur peuvent minfluencer dans la relation mme avec sa reprsentation. La chose exerce par consquent sur moi une force symbolique que mme en essayant de mettre de ct restera prsente au cours de ltude. De manire apprhender la chose et me mettre en alerte sensorielle, jai ralis quelques clichs de la statue. Je pratique la photographie depuis quelques annes et celle-ci me permet de me focaliser sur lobjet dans son environnement. Le fait de cadrer et de crer une image demande lattention ncessaire et pose les bases dune relation cratrice. Part la position de la statue, et sa sculpture, la chose exerce dj sur moi une force qui me demande dutiliser une position, un cadrage et une luminosit ncessaire la bonne illustration de mon objet. De la mme faon, jexerce une force sur la chose par mon regard et mes choix techniques. La photographie ma ainsi permis de me situer tout de suite dans un nud de forces avec cette statue et poser les bases dune relation avec elle. Aprs une srie des photos et une fois lcoute de mon propre corps, il sest dessin 3 entits distinctes et en interactions, moi, la chose, le monde. Cest dans cette trinit que vont se jouer diffrents rapports de forces. Par un travail de dnotation et dinterprtation je raliserai une analyse smiologique vivante dbouchant sur une cration potique et picturale. Dnotation et interprtation, volution de lenvironnement et la chose:La statue est mise en valeur sur la jonction dune place et dune avenue, elle est surleve par une dalle de pierre et est perche sur un monolithe. Elle est dirige vers la place, de manire ce que le regard porte sur une glise en face. Devant la statue se trouve un large trottoir sur lequel des passants circulent, il peut aussi servir de terrasse pour le caf d ct. Elle est encadre par une alle darbres qui donne sur lavenue Louis Lepoutre. La place Brugman est assez calme, les voitures sont peu nombreuses et les passants occasionnels. Seul quelques bars et bistrots font entendre de la musique et des bruits de discussion. Au milieu de la place une dizaine darbres procurent une impression de calme et de srnit. Une grande glise en brique toise la place et renforce limpression de tranquillit. Des grandes maisons aux faades art nouveau entoures la place et souligne le sentiment d havre de paix. On entend quelques bruits de moteurs, de pas et de discussions. La terrasse sur laquelle est la statue se nomme la terrasse de lintemporel, ce qui rsume bien le sentiment global donn par cette place en rupture avec le temps lintrieur de lespace urbain. La statue a t place au centre de deux rangs darbres, respectant une symtrie parfaite et mettant en valeur la sculpture par une perspective. Le quartier est calme, ordonn et propre mais non dnu de vie quapporte les quelques bars et restaurants. En octobre, la terrasse tait encore occupe et les gens buvaient devant la statue claire par quelques rayons de soleils. En novembre, la terrasse tait vide, le ciel gris et les feuilles des arbres avaient roussis. En dcembre la place tait presque vide et il ne restait que quelques feuilles sur les arbres. Des illuminations de nol taient prsentes dans les arbres de la place et un vendeur de sapin tait au milieu de la place. La dalle sur laquelle reposait la statue est de forme rectangulaire, si bien que lon a limpression que cest une tombe ou un monument aux morts. Le buste de Julio Cortzar trne sur le monolithe de pierre, il est en bronze noir. La tte est disproportionne et difforme, on voit tout dabord des yeux immenses et creux souligns par dnormes sourcils. Les cheveux sont tirs en arrire laissant voir deux oreilles immenses et pas en face lune de lautre. Le visage sur lequel une paisse barbe se dessine est asymtrique, le nez semble aussi trs grand et nest pas parfaitement en face de la bouche qui semble faire un rictus. Sous les yeux semble se dessiner des cernes, les sourcils sont froncs et donne un air srieux un homme qui a visiblement un certain ge. Son cou est massif et la pomme dAdam prominente, les rides semblent dessiner le visage dun homme dune cinquantaine dannes mais encore dans la force de lge. La statue ma fait penser aux reprsentations de Victor Hugo par Rodin la fin de sa vie, lhomme est vieux, sage mais massif et impressionne par sa carrure. Mme si on ne voit que le buste on peu aisment imaginer le corps dun colosse. Son regard est la fois vide et plein. Vide car il sagit de deux trous mais plein parce quon ne sait pas o il regarde. Il me regarde peut tre ou alors il scrute son fond intrieur. Son regard est ce qui marque le plus, jarrive difficilement ne pas regarder la statue dans les yeux tant il me fascine et me terrifie la fois. Les yeux nont pas la mme taille, dans le plus grand on voit comme une vague lintrieur ou du moins une pupille qui donne un sentiment de vie. Lautre, plus petit, est creux et on ny discerne rien quun gouffre noir. Ce regard apparait tre celui de quelquun qui en a trop vu et qui donne la fois un sentiment de sagesse mais aussi de profonde fatigue. La barbe donne un aspect nglig mais aussi trs viril, renforc par la forme de la tte carre. Lasymtrie du visage dessine un ct humain contrebalanc par ce regard dentre les morts. Julio Cortzar tant n Ixelles, la statue devrait clbrer sa naissance mais dispose sur la dalle en forme de pierre tombale elle semble plutt tmoigner de sa mort. Dans tous les cas il sagit dune statue vocation mmorielle. Une petite plaque sur le ct prcise que Julio Cortzar est un crivain Argentin n Ixelles en 1914 et mort Paris en 1984 et que la sculpture a t ralise par largentin Edmund Valladares, ralise sous les auspices de lUNESCO et offerte la commune dIxelles par lambassade dArgentine. Au fur et mesure du temps il est important danalyser lvolution de la sculpture dans ma perception mais aussi dans la notion de trace. La statue encore bien conserve quoiqu regarder de plus prs de la mousse a pousse dans les rainures de la barbe, des sourcils ou des cheveux. On remarque aussi quelques traces noires sur les surfaces les plus lisses, les joues ou le front. La statue ne semble pas vraiment altre par le temps, Julio Cortzar est devenu intemporel comme le nom de la terrasse derrire. Lenvironnement lui volue au fil des saisons, lui reste droit, stoque, imperturbable, ce qui magnifie son ct hors du temps, ternel. En faisant le tour de la statue je fais plus attentions aux petits dtails, aux coups de marteaux du sculpteur dans la barbe et les cheveux revches, sa signature dans le cou mais aussi aux orbites sans fonds qui mattirent irrsistiblement. Plus je mapproche plus son air semble svre et grave et plus ses yeux mintriguent, ils exercent sur moi une force dattraction particulirement efficace. Je ne peux mempcher alors de toucher la barbe froide et imprcise pour aller poser ma main jusque sur sa joue lisse mais je nose pas aller jusqu toucher, la bouche, le nez ou les yeux. Je sens comme une gne face cette figure humaine froide que je viens de toucher et son regard de mort-vivant me trouble toujours. Je suis maintenant si prs que je ne peux regarder quun il la fois et jai limpression dtre littralement aspir par lorbite. Puis jai souffl au visage de la statue dans le froid de lhiver, ce qui a provoqu un cran de fum qui sest cass sur la statue. Jai beau savoir que cest une statue, la symbolique humaine du visage soffre moi et fait que je la regarde dans les yeux, que je nose pas faire des gestes trop dplacs et que jimagine la voir sanimer. Je sens les passants dans mon dos et je me demande ce quils peuvent penser de moi entrain de regarder attentivement cette statue depuis plusieurs minutes comme si jattendais un mouvement de celle-ci. Ils passent imperturbables, sans un regard pour moi ni pour la statue. Je me demande combien de passants sarrtent pour regarder cette statue et combien savent qui est Julio Cortzar mais jimagine aussi ce que peut penser la sculpture devant cette foule journalire. Jimagine tout ce que la statue a pu voir depuis 20 ans et ce que Julio Cortzar penserait du monde daujourdhui depuis la place o il lui est donn de contempler le monde. Puis les quelques passants derrires moi finissent par rompre la relation presque intime que jtais entrain dentretenir avec la statue. Mon regard se dcroche de ses yeux et me laissent une impression davoir contempl la mort en face. Cette statue fige dans loubli un tre bel et bien mort et dans des formes mortes et figes. Jutilise la statue comme respectable de mon irrationnel, de mes peurs et mes fantasmes. Cette vision morbide de la statue a volue avec le temps, en octobre la statue caresse par les rayons du soleil semblait plus vivante et prs sanimer mais plus je mapprochais de dcembre plus elle avait triste mine et plus je voyais un regard de mort dans ses grands yeux creux. Devant le constat et lobservation dun monde fragment entre moi, la chose (lautre) et le monde mais aussi de la fragmentation de mes sens, lexercice potique consiste relier (religare) les choses entre elles. Par linterprtation que jai donne la statue qui est devenue une sorte de catalyseur de mon irrationnel, jai fait un premier pas dans lexprience potique. Jai le fond, reste crer la forme. Le processus de la cration potique: La forme est la fin, la mort. La cration de vie, la naissance, la vie Klein. Quand Tim Ingold parle de choses il potise lobjet, il le rend la fois plus incertain et plus complet la dfinition de lobjet par les forces et les nergies dans lequel il est pris et quil gnre aussi. La posie, nat de ltat potique, tat second pratiqu lors de contemplation, lobservation (ltre en alerte) et qui gnre le fond. Vient ensuite le processus cratif o lartiste rentre dans un duel entre le fait de se laisser guider par la matire et celui dimposer la matire une forme. La cration de la forme nat de ce combat perptuel entre rationnel et irrationnel, sagesse et folie qui peut passer par plusieurs mdiums: le dessin, la peinture, le thtre, lcriture, la vido, la danse, la musique etc. Il sagit alors de recueillir lessence dun sentiment, une ide, une motion et de lui donner vie par la cration de forme. Or donner la vie, cest aussi donner la mort, on crer une forme et aussitt ne elle meurt. La posie est une aventure vers labsolu. On arrive plus ou moins proche, on emprunte tel ou tel chemin: cest tout. Salinas. En posie, la cration de forme se fait par une disposition des mots sur la feuille, une police spcifique, des procds stylistiques comme la mtaphore ou loxymore, la ponctuation et le rythme (par des rimes, des allitrations, des assonances). En vers ou en prose le but de la posie est de nous mettre dans un tat potique (le fond) de manire se laisser guider par son intuition pour crire (la forme). Lambition du pote serait alors de crer un pont entre rve et ralit, prose et posie, de manire montrer les puissances suprieurs, les influences intelligible et les principes infinis dont, quen tant que pote il est persuad que lunivers est plein[footnoteRef:2], abolir les barrires du temps pour figer la forme dans loubli. [2: Maurice Maeterlinck.]

Cration potique:

La mort est morte

Jai regard la mort en faceDans ses orbites noires et sans fond,Elle tait au milieu dune placeEt des passants qui tournent en rond.Elle paraissait un peu lasseDe lombre des grandes maisons,De lindiffrence de la masseEt des tristes arbres moribonds.

Son visage tait difforme,Recouvert dune barbe mal taille,Ses cheveux compltaient la formeDun buste de bronze basan.Je lui ai souffl la gueule Pour essayer de lanimer,Esprant ne plus rester seulDevant sa statue fige.

Ma respiration est devenue fumeEt pendant une fraction de secondeJai cru voir la sculpture sourciller,Mais ce ntait que le monde Que javais senti tourner.La nuit tendait son onde Sur mon souffle, vapor,Perdu dans la lune rondeQui ne cessait de me narguer.

La mort est morte,Me suis-je disEt peut-importeSi les passants ahurisFont tous en sorteDe la laisser dans loubli.Elle viendra leur porte,Ou se glisser dans leur lit,Mordre leur artre aorteDans un rle dagonie.

La mort est la forme,Fige, arrte, accomplie,La vie, la non-formeA crer, inventer, jcrisPour voir natre tes formesEt les figer dans loubli.

Si la mort est morte,Il faudra lui donner vie.

Cration picturale:

La peinture nat du mme processus potique, se laisser guider par la matire pour imposer une forme. La peinture est une posie muette et la posie une peinture parlante. Marie - Phillipe Commeti.

Conclusion:Cette tude ma permis de dcortiquer le processus de cration potique et artistique travers la rencontre sensorielle avec un objet. Par lexercice de contemplation jai pu dvelopper mon imagination et saisir les diffrentes forces prsentes entre moi, le monde et lobjet de manire les relier dans un exercice potique. Cest finalement rien dautre que la nature que jessaie de peindre avec des mots ou des couleurs, une nature complexe qui meurt et se rgnre sans cesse. La dmarche potique est une dmarche de naturation qui sopre sous limpulsion dmentielle de limagination. Aim Csaire.