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Tarif standard : 7 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus : 5 • Tarif de soutien : 10 N o 17 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 DOSSIER BIODIVERSITÉ ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ LE SOLEIL, LE VENT ET L’ÉLECTRICITÉ par Sylvestre Huet TRAVAIL TRAVAIL HUMAIN ET TRAVAIL ANIMAL par Jocelyne Porcher SCIENCE LA PENSÉE HUMAINE VS LES MACHINES? par Taylan Coskun ZOOM SUR ÉCONOMIE DU PÉTROLE : OÙ EN EST-ON? par Denis Babusiaux et Pierre-René Bauquis

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No 17 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

DOSSIER

BIODIVERSITÉ

ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉLE SOLEIL, LE VENT ET L’ÉLECTRICITÉ par Sylvestre Huet

TRAVAILTRAVAIL HUMAIN ET TRAVAIL ANIMAL par Jocelyne Porcher

SCIENCELA PENSÉE HUMAINEVS LES MACHINES? par Taylan Coskun

ZOOM SUR

ÉCONOMIE DU PÉTROLE : OÙ EN EST-ON?par Denis Babusiaux et Pierre-René Bauquis

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SOMMAIRE2 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

ÉDITO La dynamique des luttes conditionne la politique Ivan Lavallée ....................................................................................... 3

Repas de la revue Progressistes. Rendez-vous en Loire-Atlantique Fanny Chartier.......................................................................4

Pour la paix ! Philippe Rio ........................................................................................................................................................................5

ZOOM SUR...ÉCONOMIE DU PÉTROLE, OÙ EN EST-ON ? ..............................................................................................................7

Charbon et gaz, de moins en moins liés au pétrole Denis Babusiaux et Pierre-René Bauquis .............................................................8Quelles évolutions des prix du pétrole à l’avenir? Denis Babusiaux et Pierre-René Bauquis ..............................................................10

DOSSIER BIODIVERSITÉÉDITO Lutter contre l’érosion de la biodiversité : il est temps d’agir Aurélie Biancarelli-Lopes ................................................... 14Retour sur la loi sur la biodiversité Évelyne Didier ..............................................................................................................................15De la biodiversité aux services écosystémiques Denis Couvet .......................................................................................................17Souveraineté alimentaire, semences et biodiversité Jean-Louis Durand........................................................................................19Plantes génétiquement modifiées : bénéfices et risques pour l’environnement Jean-Claude Pernollet .....................................23La biodiversité : une question politique Hervé Bramy .......................................................................................................................26

BRÈVES....................................................................................................................................................................................... 29SCIENCE ET TECHNOLOGIEÉCHECS La pensée humaine peut-elle encore rivaliser avec les machines ? Taylan Coskun .................................................... 32RECHERCHE Le CERN, ce modèle de la « coopétition » Gilles Cohen-Tannoudji................................................................................ 34ÉDUCATION Le charlatanisme à la Culture ? Alain Tournebise............................................................................................................ 36

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIEORDONNANCES TRAVAIL La représentation du personnel attaquée Olivier Sévéon......................................................................... 39SANTÉ Souffrance : un monde du travail de plus en plus pathogène ? Marc Loriol .................................................................... 40RAPPORTS HUMAIN-ANIMAUX Ce que la prise en compte du travail animal

peut changer au travail humain Jocelyne Porcher ............................................................................. 42

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉAMÉNAGEMENT Compensations écologiques : leurres ou solutions ? Alain Pagano ...................................................................... 44PATRIMOINE Service public ferroviaire de qualité et grande vitesse. L’exemple Marseille-Nice Alain Patouillard.................... 46ÉNERGIE Le soleil, le vent et l’électricité Sylvestre Huet ..................................................................................................................... 49

APPEL Un autre agenda pour l’emploi et le Code du travail ! .....................................................................................................52

Hommage ............................................................................................................................................................................................55

Les sciences et les techniques au féminin : Maryam Mirzakhani .............................................................................................. 56

Progressistes (Trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 11 59 • Directeur honoraire : † Jean-Pierre Kahane • Directeur de la publication : Jean-François Bolzinger• Directeur de la rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints : AurélieBiancarelli-Lopes, Sébastien Elka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Responsable des rubriques : Ivan Lavallée, Jean-Claude Cheinet, Malou Jacob,Brèves : Emmanuel Berland • Vidéos et documentaires : Celia Sanchez • Livres : Delphine Miquel • Politique : Shirley Wirden • Jeux et stratégies : TaylanCoskun • Comptabilité et abonnements : Françoise Varoucas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, GeoffreyBodenhausen, Léa Bruido, Jean-Claude Cauvin, Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Gabriel Laumosne, Michel Limousin,George Matti, Simone Mazauric, Hugo Pompougnac, Hervé Radureau, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Lise Toussaint, Françoise Varoucas • Conception gra-phique et maquette : Frédo Coyère • Expert associé : Luc Foulquier • Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)• No CPPAP : 0922 G 93175 • Imprimeur : Public imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz, Igor Zamichiei.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 Progressistes

ÉDITORIAL

lors que le gouvernement du Medef, Macronen tête, vend à l’encan l’industrie straté-gique française dans une logique ultra

libérale dans l’espoir de restaurer une profitabi-lité du capital niant les souverainetés nationales,ce sont les travailleurs de France – et partant lepeuple de France – et leurs acquis sociaux obte-nus de haute lutte qui en font les frais, et par rebondles travailleurs des autres pays européens.

Là où les avancées scientifiques et techniques per-mettent des ruptures technologiques significa-tives qui, dans le souci de l’humain pourraientpermettre de soulager la peine des hommes et êtredes instruments de leur libération à l’échelle euro-péenne et mondiale, le capital, sous la férule d’ungouvernement-conseil d’administration instru-mentalise science et technologie pour remodelerla société au service de la finance.

Les réactions sont nombreuses, même si elles sontpour l’heure dispersées. Il est remarquable que,

dès la sortie d'un scrutin présidentiel, un mouve-ment social s’amorce et s'installe dans la durée.Mobilisation contre la loi « travail » XXL, puissantemanifestation des retraités contre la hausse de laCSG, mobilisation unitaire comme on n’en avaitpas vue depuis une décennie dans la fonctionpublique et des étudiants prêts à entrer dans ladanse, premières brèches dans la logique desordonnances grâce aux luttes des conducteursroutiers…

La multiplication des conflits appelle un fil conduc-teur commun apte à ressourcer une alternativepolitique attendue. Les Français n’ont pas votépour une américanisation à marche forcée, et lesmouvements actuels sont les prémices d’uneconstruction politique dans laquelle le PCF doitdémontrer toute son utilité et sa pertinence. n

*IVAN LAVALLÉE est professeur émérite

des universités.

*IVAN LAVALLÉE, DIRECTEUR

DE RÉDACTION DEPROGRESSISTES

La dynamique des luttes conditionne la politique

A

Mauranne et Laura avaient respectivement vingt et vingt et un ans. Elles avaienttoute leur vie devant elles. L’une faisait des études de médecine, l’autre était enécole d’infirmières. Elles ont été assassinées le dimanche 1er octobre à Marseille,dans la gare Saint-Charles. Ce double meurtre a suscité l’effroi et une grandeémotion dans toute la France. Ce sont deux jeunes femmes qui sont tombéesce jour-là : c’est l’obscurantisme, et sa forme la plus sauvage, qui a encorefrappé. Nos condoléances les plus sincères à la famille et aux proches deMauranne et de Laura.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

L e grand repas de soutien à la revue Progressistes s’est dérouléle jeudi 14 septembre dans le stand de la fédération de laLoire-Atlantique à la Fête de l’Humanité. Malgré un contexte

politique difficile, la rencontre fut une nouvelle fois un succès. Etpour cette troisième édition, les fruits de mer et la sole meunièreont remplacé le cassoulet toulousain, pour le plus grand plaisirde la centaine de convives venus partager ce moment de frater-nité annuel. Scientifiques, travailleurs, intellectuels, syndicalistes,dirigeants politiques, militants et, surtout, lecteurs de notre revue,engagés ou non, étaient venus célébrer ensemble l’union dumonde du travail et des sciences pour le progrès.

Nous réitérons nos remerciement à tous les camarades du standqui ont amplement contribué à la réussite de cet événement sin-gulier : les communistes et les amis de la Loire-Atlantique, celleset ceux qui nous ont régalés avec leur cuisine (mention spécialeà la sole meunière !) ainsi que celles et ceux qui nous ont accueil-lis et ont assuré le service à table. Le repas et les discussions sesont achevés autour d’une tarte aux pommes et d’un café.Rendez-vous l’année prochaine !

FANNY CHARTIER

Chers amis, chers camarades,

Le 6 août dernier, le Japon commémorait au Mémorial de la paixd’Hiroshima le largage de la première bombe atomique sur laville, en 1945, il y a soixante-douze ans. Des dizaines de milliersde personnes, unies dans le souvenir, intériorisent chacun à leurmanière l’horreur atomique. Beaucoup pensent à cette ville enruine et à son dôme, au désastre humain sans précédent, auchampignon nucléaire causé par « Little Boy », aux effets desradiations sur la santé ou sur l’écologie, d’autres pensent aussi àla vie, simplement, et certainement aussi aux hibakushas, « lesirradiés », littéralement les survivants de la bombe atomiqued’Hiroshima et de Nagasaki. Les hibakushas sont les survivantsde cet holocauste atomique. Ce sont les survivants d’une autresolution finale. Ils et elles sont moins de deux cents et ont unemoyenne d’âge de 81 ans. Si comparaison n’est pas raison, forceest de constater des parcours communs de vie. Victimes les unset les autres, d’abord du déni reposant sur l’incompréhensionface à une horreur encore inconnue. Ensuite, victimes d’une relé-gation sociale et mémorielle, voire discriminés lorsque la pagede l’après-guerre doit être vite tournée. Ils et elles ont, par leurdétermination, sans cesse œuvré à être des passeurs de mémoire.Des témoins dotés d’une force de vie remarquable.

Repas de la revue Progressistes

Rendez-vous en Loire-Atlantique

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Philippe Rio, maire de Grigny et président del’AFCDRP Maires pour la paix France depuis2014, de retour de son voyage au Japon pourles commémorations des bombardementsnucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki, avaitintroduit le traditionnel repas de notre revue. Ci-dessous la retranscription de son discours.

Pour la paix !Le stand de nos hôtes.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 Progressistes

Nous connaissons toutes et tous les faiblesses des traités, mais laforce principale de ce dernier texte réside maintenant dans sonexistence juridique reconnaissant la sécurité internationale commeun bien commun de l’humanité.« L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde »,nous disait Nelson Mandela… L’éducation à la culture de paix,ajouterions-nous. Voilà également le principe unanimement

approuvé lors du plan d’action « Une paixmondiale durable » (2017-2020) de la 9e confé-rence de Maires pour la paix, qui s’est réunieà Nagasaki du 8 au 10 août 2017. Ainsi, nousaffirmons que l’éducation à la culture de paixest un outil du développement local et unvecteur de paix et de sécurité internationale.Nous voulons promouvoir une mobilisationpour le désarmement général, et nucléaireen particulier. Cela repose donc sur le principe bien connu du « penser global et agir local ».Quels pouvoirs peuvent avoir les villes et lesvillages dans un monde de guerre, menacépar l’arme nucléaire, le retour des armes chi-miques ou encore le terrorisme ? Pis, noussavons que la folle course aux armementsalimente les conflits, les trafics et le terro-risme. Avec un réseau de 7 417 villes dans

162 pays, l’organisation Maires pour la paix affirme que les auto-rités locales sont au plus près des citoyens pour mener des actionsconcrètes. Cet ambitieux plan d’action repose sur deux objectifsà atteindre : d’abord, la réalisation d’un monde sans armesnucléaires, sans exclure la fin des autres armes ; ensuite, et c’estune nouveauté notable, parvenir à des villes sûres et résilientes.Cet objectif fait suite aux menaces protéiformes de violencesvécues dans nos villes, comme le terrorisme. Cela concerne aussila question du traitement humain des réfugiés. Villes martyres,villes mémoire, villes prônant la tolérance et le bien-vivre-ensem-ble… Il y a de la place pour tous.Ensemble, soyons convaincus de notre responsabilité et de notreforce communes. Cessons enfin d’opposer les guerres et leursarmes, les conflits et les violences. Notre intelligence collectivedoit nous conduire à mieux penser globalement pour mieux agirlocalement. Rappelons-nous le poète Tōge Sankichi, lui-mêmesurvivant : « Tant que je suis au monde/En ce monde d’humains/Qu’on me rende la paix/La paix qui ne peut se détruire. »

En témoigne Mme Satsuko Matsuo, onze ans le 9 août 1945. Seulesurvivante d’une famille de sept personnes. Elle décrit la lumièreblanche, le boum, la pluie noire, les brûlures, l’inconnu des effetsde la radiation, les cultures devenues des terrains nus. Pour finir,elle dit avec force : « Je ne veux plus voir cela. Il ne faut jamaisrecommencer la guerre. L’arme nucléaire est l’arme du diable. »Venus de la société civile, d’ONG comme Maires pour lapaix France, représentants gouvernementaux…, touteset tous écouteront la déclaration de la paix du maired’Hiroshima, l’appel de la jeunesse ou encore la chan-son de la paix d’Hiroshima, avec espoir et conscients dela fragilité de ce monde. Mais tout cela est-il encore d’ac-tualité ? Ce pacifisme mémoriel n’est-il pas dépassé ? Lamenace nucléaire est une réalité bien concrète, citons la Coréedu Nord non loin de là. C’est la sécurité internationale qui estmenacée, et la vie sur Terre. L’arsenal nucléaire peut détruire notrehumanité. Mieux vaut en être conscient !Après les armes biologiques (1972), les armes chimiques (1992),les mines antipersonnel (1999), les bombes à sous-munitions(2010), le monde s’est doté d’un droit nouveau en matière desécurité internationale et de survie de son espèce. L’arme nucléaireest, en droit, une arme de destruction massive illégale. Pour laplus dévastatrice des armes, cela semble d’une logique implaca-ble. Fallait-il encore convaincre ? C’est aujourd’hui chose faite.Soyons clairs, l’actualité, la course à l’ar-mement militaire ou les discours belliqueuxn’écartent pas la menace nucléaire.Mais un cap est franchi. En effet, le 7 juil-let dernier, c’est de l’ONU qu’est venue labonne nouvelle avec le vote sans appelpour un traité d’interdiction des armesnucléaires : 122 voix pour, 1 abstention(Singapour), 1 contre (Pays-Bas). Sans sur-prise, les huit puissances nucléaires ontmarqué par leur absence. La France allantmême déclarer par les Affaires étrangères :« Ce texte est inadapté au contexte interna-tional. » Dorénavant, elle devra – à l’instardes autres puissances nucléaires – s’expli-quer sur sa contradiction nouvelle avec lerespect de la Charte des Nations unies prô-nant un « monde de paix et de justice fondésur le droit » et le traité.Soulignons le rôle joué par le comité d’animation d’ICAN France.Cette campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaireslancée en 2007 a pris une part significative dans ce résultat. Présentdans 95 pays, ICAN, c’est 424 ONG, dont Maires pour la paix, quiont sans relâche, avec méthode, volontarisme et argumentation,mené et mènent une campagne de proximité pour la sécurité detous. Loin d’être un débat d’experts des relations internationales,de la sécurité ou du droit, ce traité est pleinement au cœur desenjeux contemporains : la reconnaissance des conséquenceshumanitaires catastrophiques de tout conflit armé, la contradic-tion avec le droit international humanitaire, l’importance del’éducation à la paix et au désarmement ou encore l’impact surle transit lié aux armes nucléaires dans l’espace aérien commesur les mers. C’est aussi l’engagement pour les pays détenteursde remettre en état l’environnement des zones affectées. Nuln’empêche la France de ratifier ce traité pour s’engager vers lasuppression de son arsenal. Avec une dépense nucléaire de 7 mil-liards par an prévue à partir de 2020, le combat n’est pas gagné.

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« L’éducation à la culture de paix est unoutil du développementlocal et un vecteur depaix et de sécuritéinternationale. Nousvoulons promouvoir une mobilisation pour le désarmementgénéral, et nucléaire en particulier. »

Philippe Rio

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

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NOUVEAUX TARIFS

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ÉCONOMIE DU PÉTROLE : OÙ EN EST-ON?Les deux articles qui suivent, une adaptation (avec l’aimable autorisation des auteurs)d’Anticiper la fin du pétrole, de Denis Babusiaux et Pierre-René Bauquis, font suite audossier de Progressistes no15.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 Progressistes

n ZOOM SUR...

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

Néanmoins, ces échanges inter-nationaux connaissent unerapide croissance, tirée notam-ment par la demande asiatiqueet appelée à se poursuivre mal-gré des investissements lourdset des coûts de transport parunité d’énergie 5 à 10 fois plusélevés que pour le pétrole.Pour assurer le financement desinfrastructures, des contrats àlong terme prévoient des for-mules d’indexation propres àchacune des zones de consom-mation. Et jusqu’à un passérécent les prix étaient indexésprincipalement sur les prix desproduits pétroliers susceptiblesd’être des substituts du gaz, fioullourd et gazole. Mais une par-tie croissante de l’indexationest adossée aux prix spots (voirencadré) du gaz lui-même.

AMÉRIQUE ET ASIE, GAZ DESCHISTE ET DÉSINDEXATIONPROGRESSIVEEn Amérique du Nord, les prixdu gaz étaient assez volatils, etdepuis 1985 globalement orien-tés à la baisse. L’obligation faiteaux transporteurs d’ouvrir leursréseaux aux producteurs tiers

avait créé les conditions d’uneconcurrence forte et du déve-loppement de marchés à terme,marchés spot et produits finan-ciers dérivés. Vers l’an 2000, lahausse du pétrole et un manqued’investissements dans la

recherche de nouveaux gise-ments de gaz avaient entraînéde fortes hausses de prix et fai-saient prédire des importationsde gaz naturel liquéfié (GNL) auxÉtats-Unis atteignant rapide-ment 50 millions de tonnes (Mt),incitant à la remise en service età la construction de nombreux

terminaux de regazéification.Au lieu de cela, vers 2005 on avu l’essor des gaz de schiste, etde 2007 à 2011 les impor tationssont tombées à 6 Mt. Devenusquasi autosuffisants en gaz natu-rel, les États-Unis ont alors misà l’étude la conversion des ter-minaux de regazéification pré-vus en usines de liquéfactiondestinées à exporter leur gaz.Une vingtaine de ces projetsétaient recensés en 2015, et lespremiers méthaniers d’expor-tation ont quitté la Louisianedébut 2016, y compris pourl’Europe, avec une livraison auPortugal dès avril 2016.En Asie-Pacifique, 20 % deséchanges sont réalisés au prixdu marché, et l’indexation surle pétrole a expliqué les prix éle-vés depuis 2010 et leur chute àpartir de l’été 2014. Pour autant,après l’augmentation de lademande consécutive à la cata -strophe de Fukushima, c’estl’accroissement de l’offre mon-diale de GNL qui a peu à peuconduit à un rapprochementavec les prix spots.

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Gaz naturel : des coûts de transport par unité d’énergie 5 à 10 fois plus élevés que pour le pétrole.

Charbon et gaz, de moins en moins liésau pétroleLes prix du gaz et du charbon ont été historiquement très liés à ceux du pétrole. Maisles évolutions géopolitiques et énergétiques autant que la libéralisation des marchésont depuis quinze ans entraîné un mouvement de désindexation qui invite à différen-cier notre regard sur les différents types d’hydrocarbures fossiles.

PAR DENIS BABUSIAUX,ET,PIERRE-RENÉ BAUQUIS*,

« LE PÉTROLE EST UN LIQUIDE ET LE GAZ EST UN GAZ »1

Liquide, le pétrole est bien plusfacile à transporter que le gaz,et donc plus propice auxéchanges internationaux et àl’utilisation comme carburantpour les transports. Les coûtsd’acheminement du pétrole nedépassent pas quelques dollarspar baril, et l’on peut bien par-ler de marché international. Cen’est pas le cas pour le gaz natu-rel, dont seulement 30 % de laconsommation mondiale faitl’objet d’échanges internatio-naux, pour un tiers sous formeliquéfiée par méthanier et pourdeux tiers par gazoduc.

ECONOMIE DU PÉTROLE : OÙ EN EST ON ?

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 Progressistes

EN EUROPE, LA FIN DU « MONOPOLE NATUREL »L’Union européenne dépendpour 60 % de sa consomma-tion de gaz de trois fournis-seurs : Russie, Afrique du Nordet Norvège. En 2014, 32 % descontrats de long terme étaientencore indexés sur le pétrole,mais la référence aux prix dumarché se généralise2. Il fautnoter que la rigidité des infra-structures et les économiesd’échelle ont longtemps conduità considérer les réseaux de dis-tribution comme relevant de« monopoles naturels », confiésà des sociétés nationalescomme GDF et British Gas ouà des sociétés privées commeGasunie ou Distrigaz. Jusqu’àce qu’une directive européenned’août 1998 ouvre le secteur àla concurrence et engage une« dérégulation » progressivedu transport et de la distribu-tion gazière.Récemment, la productiond’électricité à partir de gaz aperdu en compétitivité, notam-ment du fait du développementd’énergies renouvelables à coûtmarginal faible et appelées enpriorité lorsqu’elles sont dispo-nibles. Mais aussi parce que ledéveloppement des gaz deschiste aux États-Unis a conduità d’importantes surcapacitésde production de charbon, dontles prix ont baissé et qui estdevenu parfois plus compétitifque le gaz, particulièrement enAllemagne, où il n’existe pas detaxes spécifiques sur les émis-sions de CO2.

CONVERGENCE DES MARCHÉSSi le pétrole reste difficilementsubstituable dans les transportset la pétrochimie, le gaz natu-rel est en concurrence forte avecle fioul, le charbon et l’électri-cité. Le rapport des prix entreune calorie de gaz et une calo-rie d’origine pétrolière, minimeau début des années 2000, adépassé 7 aux États-Unis en2012 – lorsque le brut atteignait110 dollars par baril – avant deretomber à 2,5 en 2016.

Les ressources récupérables degaz naturel, et en particulier degaz de schiste, sont très impor-tantes, les perspectives de pro-duction à la hausse et les nom-breux projets de constructiond’usines de liquéfaction lancésentre 2010 et 2014 invitent àanticiper un renforcement dela concurrence avec une offrequi pourrait augmenter plus viteque la demande3. Une situationqui pourrait se maintenir long-temps, dans la mesure où l’im-portance des investissementsrend la production gazière net-

tement moins sensible aux prixque celle du pétrole une fois lesinvestissements réalisés.

CHARBON, QUALITÉS ET CONCENTRATION DES MARCHÉSLa qualité d’un charbon estcaractérisée par son pouvoircalorifique, lui-même lié à soncontenu en carbone. Le lignitea un pouvoir calorifique infé-rieur à 5000 kcal/kg, quand lescharbons subbitumineux ontun pouvoir calorifique com-pris entre 5000 et 5700 kcal/kg.Ces brown coals (« charbonsbruns ») contiennent plus de35 % d’eau et de matières vola-tiles, et sont en général utili-sés uniquement comme « char-

bons vapeur », c’est-à-dire pourdes usages thermiques, dontla production d’électricité.Alors que les hard coals (« char-bons durs »), bitumineux etanthracite, ont un pouvoir calo-rifique supérieur à 5700 kcal/kget peuvent être utilisés commecharbon à coke pour la sidé-rurgie. Deux tiers de la consom-mation mondiale de charbonsert à produire de l’électricité.Seuls 20 % de la productionmondiale sont échangés surles marchés internationaux, etl’on distingue un marché

Atlantique – essentiellementrelatif à l’approvisionnementde l’Europe depuis les États-Unis, l’Afrique du Sud ou laColombie – et un marchéPacifique, dominé par lesimportations du Japon – long-temps depuis l’Australie etaujourd’hui presque autantdepuis l’Indonésie – et surlequel pèsent de plus en plusla Chine et l’Inde.Car de fait les grands produc-teurs – Chine, États-Unis etInde – sont aussi les premiersconsommateurs. La Chine seulereprésente la moitié de la pro-duction et de la consomma-tion mondiale – soit 4 fois plusque le deuxième pays, les États-Unis –, et 80 % de son électri-

cité sont encore issus du char-bon. Les engagements pris lorsde la COP21 autant que la qua-lité de l’air et le ralentissementde la croissance économiqueou l’émergence de leviers decroissance moins consomma-teurs d’énergie concourent àanticiper une croissance ralen-tie des consommations chi-noises dans les années à venir,et même une diminution4. Lesconsommations indiennesdevraient par contre croîtred’environ 3,6 % par an5 etaccroître les importations, les-quelles comptent déjà pourprès d’un tiers des consom-mations.

CHARBON ET CO2, UNERELATION (SUPER)CRITIQUELa progression de la demandemondiale devrait être limitéepar la lutte contre le réchauf-fement climatique. Même dansdes installations de produc-tion électrique à cycle super-critique (ou même ultra-super-critique !), le charbon émetgrosso modo deux fois plus deCO2 que le gaz. Les analystesprévoient donc un recul ducharbon plus rapide que celuidu pétrole dans les mix éner-gétiques nationaux, condui-sant certaines institutions finan-cières à ne plus participer aufinancement de projets char-bonniers. En 2015, pour la pre-mière fois depuis de nom-breuses années, la productionmondiale a baissé.Le captage et stockage de CO2pourrait théoriquement alléger

L’importance des investissements rend la productiongazière nettement moins sensible aux prix que celle dupétrole une fois les investissements réalisés.

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la contrainte carbone sur le char-bon, mais avec un coût estiméaujourd’hui entre 60 et 100 dol-lars par tonne, et à moins d’unerupture technologique majeureces techniques ne sauraient êtrerentables qu’avec un prix de latonne de CO2 bien plus élevéqu’actuellement. Malgré tout,certains scénarios6 continuentd’envisager un recours signifi-catif à ce procédé.

LE PÉTROLE NE FAIT PLUS LES PRIX DU CHARBONSi le transport terrestre du char-bon est cher, le transport mari-time l’est bien moins que celuidu gaz naturel7. Il reste toute-fois très volatil : le transport del’Afrique du Sud à Rotterdamest par exemple passé de 6 à50 dollars par tonne de 2006 à2008, avant de rechuter avec lacrise et les surcapacités desgrands vraquiers.

Le marché du charbon à cokeest étroit. L’Australie en est leprincipal exportateur, le Japonle principal importateur. Moinsspécifique, le charbon vapeura longtemps été en concurrencedirecte avec le fioul lourd, etaux États-Unis avec le gaz natu-rel. Si bien que ses prix inter-nationaux ont été longtempscorrélés à ceux du fioul, et doncdu pétrole. Mais l’émergencedes gaz de schiste a déplacéune part importante de la pro-

duction électrique américainevers le gaz naturel. Les excé-dents de charbon ainsi créésont fait l’objet d’exportation etaccentué la baisse des prix inter-nationaux. Parallèlement, desarrêts de production en Australieet l’annonce par le gouverne-ment chinois d’un programmede réduction des capacités deproduction du pays d’unedizaine de millions de tonnespar an ont entraîné une aug-mentation inattendue des

importations états-uniennes.Si bien qu’au second semestre2016 les prix ont doublé. Unehausse qui ne devrait être quepassagère, mais caractéristiqued’une tendance à ce que lademande soit moins porteuseque par le passé.n

*PIERRE-RENÉ BAUQUIS a étédirecteur stratégie et planification dugroupe Total, DENIS BABUSIAUXest enseignant-chercheur à l’Institutfrançais du pétrole.

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Quelles évolutions des prix du pétrole à l’avenir ?Les prévisions de prix à moyen ou long terme réalisées dans le passé par les socié-tés pétrolières ou les organismes internationaux se sont révélées largement erronées.Contentons-nous ici de quelques observations.

1. 1948, Paul Frankel (1903-1992), grand spécialiste des enjeux pétroliers au XIXe siècle.2. Gazprom, par exemple, a dû au printemps 2016 accepter de renégocier certains contrats européens aux conditions de marché.3. L’Agence internationale de l’énergie estime à 45 % l’augmentation des capacités de GNL entre 2015 et 2021, en provenance pour 90 % des États-Unis et de l’Australie.4. D’après le scénario « New Energy Policies » de l’AIE (en 2016) la consommation chinoise de charbon baisserait d’ici à 2040 de 13 %, et sa part dans le mix énergétique passerait de deux tiers à 45 %.5. Source : AIE 2016.6. C’est le cas notamment des scénarios bas carbone Shell ou 450 de l’AIE.7. Ils peuvent tout de même représenter un quart du coût total livré en Europe de l’Ouest, transport et assurances inclus.

PAR PIERRE-RENÉ BAUQUIS,ET DENIS BABUSIAUX*,

ÉLÉMENTS DE L’HISTOIRE DES PRIX ET DE LEURSPRÉVISIONSLes évolutions des prix, des causes multiplesL’histoire de l’évolution des prixdu pétrole a souvent mis l’accentsur les aspects géopolitiques.N’oublions pas cependant queces derniers ne sont pas les seulsdéterminants de l’évolution desprix. Au cours des années 1960,la consommation pétrolière mon-diale augmentait au rythme de7 à 8 % par an, mais dès le débutdes années 1970 les capacités de

production avaient de plus enplus de difficultés à suivre cerythme. Si le déclencheur du premier choc pétrolier fut laguerre du Kippour, en octobre1973, il n’en constitue pas la causeprofonde.De même, le second choc pétro-lier, celui de 1979, ou le choc« lent » des années 2003 à 2008s’expliquent par une multipli-cité de causes, ainsi que lescontre-chocs des années 1985et celui de 2014. Nous revien-drons rapidement sur cettedernière période car pour denombreux observateurs elleconstitue un changement deparadigme.

La baisse des prix au second semestre 2014À partir de l’été 2014, l’équili-bre lié à un point focal voisinde 110 dollars par baril (pour lebrent) est rompu (fig. 1).

Figure 1. Contre-choc de 2014.Source : BP (2016).

La baisse des prix du pétrole ausecond semestre 2014 peut s’ex-pliquer par la conjonction de

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plusieurs facteurs. Il y a toutd’abord le rythme d’augmen-tation de l’offre de pétrole, quia crû de 2,2 Mb/j (millions debarils par jour) entre 2013 et2014, due essentiellement aux« huiles de schiste » américaines.Face à cette offre, le rôle de lademande a été controversé. Enjanvier 2014, l’AIE (Agence inter-nationale de l’énergie) prévoyaitune hausse de la demande de1,2 Mb/j. Au printemps 2015,certaines estimations situaientcette progression entre 0,6 et0,8 Mb/j, mais des réévalua-tions postérieures ont conduità la chiffrer entre 1 et 1,2 Mb/j,soit à des valeurs inférieuresmais proches de la moyennedes dix dernières années. Enbref, il s’agit assez clairementd’un choc d’offre.Il y a d’autre part le jeu des grandsacteurs de l’OPEP : l’organisa-tion a décidé en novembre 2014de ne pas modifier ses quotasde production, décision confir-mée le 5 juin 2015, suivie endécembre 2015 et juin 2016 parl’abandon des quotas. L’Arabie

saoudite a refusé de jouer seulele rôle de régulateur de l’offreen trouvant vraisemblablementquelques avantages à un prixqui affaiblit à la fois l’Iran chiite,le nouvel État islamiste, la Russieet l’industrie nord-américainedes hydrocarbures de rochemère. Non seulement elle n’apas diminué sa production, maiselle l’a surtout augmentée.L’impact d’une baisse du prixdu brent sous les 50 dollars lebaril sur l’industrie américainedes « huiles de schiste » pour-rait, paradoxalement, être derenforcer celle-ci sur le longterme en la contraignant à accé-lérer ses remarquables progrès

technologiques qui lui ont per-mis d’abaisser ses coûts. Une autre source de diminu-tion des coûts est la baisse destarifs des services parapétro-liers, l’industrie parapétrolièrecomprimant ses marges pourfaire face à la baisse d’activité.À cette compression pourraits’ajouter une diminution descoûts obtenue par la restructu-ration des sociétés de servicespétroliers : achat de Cameronpar Schlumberger en 2015-2016,projet de fusion entre Technipet FMC Technologies annoncéau printemps 2016, prise decontrôle de Baker Hughes parGeneral Electric en 2016.Après la chute des cours en 2014,il y a eu une remontée due auxaccords OPEP - non-OPEP fin2016 (fig. 2). Ces accords ontpoussé les prix à la hausse, maiscette hausse a amplifié la crois-sance des activités de forage surles gisements compacts desÉtats-Unis, dont la productionpeut repartir à la hausse et annu-ler au moins en partie le rebonddes prix.

Figure 2. Prix du pétrole en 2016.Source : EIA, Short Term Energy

Outlook, 10 janvier 2017.

Les prix du pétrole, la myopie des prévisionsLes sociétés pétrolières commeles organismes officiels ne sontjamais parvenus à établir desmodèles prédictifs relatifs auxprix à moyen et long terme dupétrole. La raison est le plussouvent à imputer aux décisionsprises pour faire face aux varia-tions de prix prévues, bref auca ractère autodestructeur desanticipations.La difficulté à prévoir est-elleamenée à persister dans l’ave-nir ? On constate qu’un certain

nombre de scénarios publiésentre 2013 et 2016, par exem-ple par BP ou par le Conseilmondial de l’énergie, ne don-nent pas d’hypothèses expli-cites concernant les prix. Quantaux scénarios de l’EIA (EnergyInformation Administration),la fourchette de prix est trèslarge, de 70 à 250 dollars le barilen 2040 (fig. 3).Plus fondamentalement, il resteaussi difficile aujourd’hui quedans le passé de prévoir le rythmedes progrès technologiques enmatière de production de pétroleet de ses substituts. Aux incer-titudes techniques s’ajoutentcelles liées aux politiquespubliques concernant la limi-tation des émissions de gaz àeffet de serre. Enfin, en ce quiconcerne le rôle futur de l’OPEP,les incertitudes à moyen termedemeurent élevées ; et elles sontencore plus fortes au plan géo-politique avec la multiplicationdes zones de conflit.

LES FACTEURS D’ÉVOLUTION DES PRIXNous nous limiterons à un rap-pel de quelques points impor-tants concernant les fondamen-taux gouvernants les évolutionsdes prix.

L’offrePour de nombreux organismeset sociétés, l’offre sera limitéenon par la disponibilité des res-sources mais seulement par lesfreins au développement denouvelles capacités. Pour d’au-tres, elle pourrait plafonner auxalentours d’une centaine de mil-lions de barils par jour dans lesannées 2020. Particulièrementimportantes sont les incerti-tudes qui portent sur le poten-tiel des pétroles de formationscompactes et les progrès tech-niques qui permettraient undéveloppement important endehors de l’Amérique du Nord.

La demandeL’évolution de la demande àmoyen et long terme sera condi-tionnée par les politiques quiseront mises en place pour lut-

ter contre le réchauffement cli-matique et par les progrès tech-niques qui permettront de déve-lopper l’utilisation de l’électricitédans le transport automobile.À moins d’un choc majeur surles prix, si un plafonnement dela demande peut être obtenu,il est cependant peu probablequ’il puisse être observé avantles années 2030.

La régulation par l’OPEPLa question de son pouvoir demarché est posée. Il risque eneffet d’être limité au cours desannées à venir, malgré l’accordde novembre 2016, par les addi-tions possibles de capacités deses États membres et la remon-tée de la production des gise-ments compacts (aux États-Unis).De nombreux analystes suppo-sent que la production mon-diale de pétroles de gisementscompacts (pétrole de schiste)plafonnera à une valeur de 5 à10 Mb/j d’ici à 2020-2025, l’OPEPpourrait alors retrouver son rôled’acteur dominant dans lesannées 2020. Un rationnementde la production peut cepen-dant être freiné par la volontéde chaque pays de valoriser sesressources en terre avant unéventuel plafonnement de lademande. Enfin, si le dévelop-pement des gisements com-pacts se poursuit et se généra-lise hors des États-Unis, ildeviendra très difficile à l’OPEPde reprendre la main.

La régulation par les capacités de productionSchématiquement, lorsque lessurcapacités mondiales dépas-sent 5 à 6 Mb/j, les prix tendentà diminuer, tandis qu’une fortepression à la hausse apparaîtlorsque ces surcapacités se rédui-sent à environ 2 à 3 Mb/j. Cemécanisme, observé dans lepassé, ne peut pas facilementêtre extrapolé pour deux rai-sons. Tout d’abord, les surca-pacités sont de plus en plus dif-ficiles à définir compte tenu descapacités indisponibles ou seu-lement partiellement disponi-

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bles pour des raisons politiquesou sécuritaires. C’est le cas descapacités de l’Irak, de la Libye,du Nigeria, de l’Iran et peut-être demain du Venezuela oude la Russie. Ensuite, l’émer-gence des productions de réser-voirs compacts fait perdre engrande partie son sens à la notionde capacité installée : une nou-velle capacité peut être instal-lée très rapidement par le foraged’un puits, mais une fois enplace la production de ce puitsdiminue également rapidementau début de l’exploitation.

Un nouveau régulateur, les pétroles de gisementscompactsEntre 2011 et 2014, la produc-tion de pétroles de réservoirscompacts (petrole de schiste oulight tight oil) a couvert la tota-lité de l’accroissement des pro-ductions mondiales (de l’ordrede 4 Mb/j). Or il s’agit de pro-ductions fonctionnant en fluxtendu, ce qui se traduit par uneforte sensibilité du niveau deproduction au nombre de puitsforés, fracturés et connectés. Laréaction des productions auprix du brut est sensiblementsupérieure à celle des produc-tions de gisements convention-nels ou de gisements d’huilesextralourdes.Sur le moyen et long terme, lerôle de régulateur des prix quepourraient jouer ces pétrolesest difficile à évaluer. Il dépen-dra des niveaux de productionet des coûts, fortement liés etdépendant des évolutions tech-niques, mais aussi de la pos-sibilité de développer de tellesproductions hors de l’Amériquedu Nord (Argentine, Russie,Europe, Chine, Afrique duNord).

QUELS SCÉNARIOS DE PRIXPOUR LES ANNÉES À VENIR?

Les évolutions à court termeParler des évolutions possiblesà court terme conduit à ce quenotre propos soit très vite obso-lète. Malgré ce risque, nousconsacrerons ce paragraphe àune analyse rapide de la scènepétrolière au début de l’année2017.

L’offreLa hausse des productions cor-respondant aux pays non OPEPet aux gisements compacts desÉtats-Unis, malgré les réduc-tions prévues par l’accord dedécembre 2016 (Russie etMexique principalement), peutplus que compenser le déclindes gisements en exploitation.Ainsi l’AIE (2016) envisage pour2017 une légère hausse de laproduction des pays non OPEPde 0,2 Mb/j. Les analyses del’EIA et de l’OPEP donnent desvaleurs peu différentes, entre0,2 et 0,4 Mb/j. Pour 2018, l’EIAprévoit une augmentation de0,7 Mb/j.

Rappelons que l’OPEP avaitdécidé de diminuer sa produc-tion de 1,2 Mb/j au cours dessix premiers mois de l’année2017, ce qui nécessitait le res-pect des engagements par sesmembres. En supposant l’ac-cord reconduit pour le secondsemestre et compte tenu de laforte croissance observée en2016, en moyenne annuelle labaisse de production serait de0,4 à 0,5 Mb/j selon l’OPEP etl’AIE. L’EIA, par contre, supposeune hausse de l’ordre de 0,3 Mb/j,en particulier provenant despays non soumis à quota, Libyeet Nigeria.

La demandeLa demande en 2016 pourraitêtre comprise entre 1,2 et1,4 Mb/j. Pour l’année 2017, lesprévisions d’augmentation dela demande sont comprisesentre 1,1 et 1,6 Mb/j.

L’équilibre du marchéL’augmentation des consom-mations, sensiblement supé-rieure à celle de l’offre, mêmesi tous les engagements ne sontpas respectés, devrait permet-tre la résorption d’une partieau moins des stocks accumu-lés depuis 2014 et un retour àun marché équilibré. Ce sontles hypothèses de l’AIE et del’OPEP. Pour l’EIA, par contre,en supposant une croissancede la production OPEP, le retourà l’équilibre n’interviendrait pasavant 2018, sans cependant queles prix rechutent sous la cin-quantaine de dollars par baril.Seront déterminants la vigueurde la reprise de la productiond’huiles de schiste aux États-Unis et le comportement despays producteurs.Les données disponibles condui-sent à considérer comme peuprobable une rechute en des-sous de la cinquantaine de dol-lars par baril. Après deux annéespendant lesquelles l’offre a étésignificativement excédentaire,le retour à un équilibre entrel’offre et la demande est en effetattendu en 2017 ou 2018. Lesaccords de l’OPEP de novem-bre et décembre 2016 devraienty contribuer.

Des prix durablement bassont-ils possibles ?Des prix inférieurs à 50 dollarsle baril seraient vraisemblable-ment insuffisants pour permet-tre une reprise importante dudéveloppement des pétroles deformations compactes enAmérique du Nord, et a fortioridans d’autres pays. Ces coursne sont pas compatibles avecles coûts élevés des pétrolesfrontières, dont les pétroles pro-duits en mer ultraprofonde ouen zones arctiques, qui serontprobablement nécessaires à

terme pour équilibrer offre etdemande. Des scénarios d’unmaintien de prix bas ne sontcependant pas totalement àexclure. Ils pourraient être laconséquence d’un ralentisse-ment de l’augmentation de lademande, lui-même provoquépar un ralentissement généra-lisé de la croissance mondiale,éventuellement à la suite decelui observé en Chine. Unequasi-stagnation « à la japo-naise » (voire une déflation mon-diale) n’est pas impossible. Untel ralentissement peut égale-ment résulter à terme de la miseen place de politiques très volon-taristes de réduction des émis-sions de gaz à effet de serre. Untel choc de la demande suppo-serait de très importants chan-gements de comportement etdes investissements lourds dansde nombreux secteurs : effica-cité énergétique, énergies renou-velables et nucléaire.Face à cette diminution poten-tielle de la demande, des aug-mentations de l’offre ne sontpas impossibles. Elles pour-raient être dues à des avancéestechnologiques majeures, mêmesi elles sont difficiles à imagi-ner aujourd’hui. Enfin, il n’estpas impossible qu’un éclate-ment de l’OPEP apparaisse àterme, avec une intensificationde la concurrence entre tous lespays producteurs pour valori-ser leurs ressources avant uneperte de valeur du pétrole enterre résultant d’une baisse dela demande.Toutes ces hypothèses parais-sent cependant ne pas avoir unetrès forte probabilité de se maté-rialiser, le maintien de prix dura-blement bas semble donc peuprobable.

Le risque d’insuffisance des investissementsÀ l’horizon de 2020-2025, si lademande continue sa progres-sion et si la production des huilesde gisements de formationscompactes est plafonnée,comme dans plusieurs scéna-rios publiés, il sera indispensa-ble pour équilibrer l’offre et la

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demande de disposer de capa-cités de production de gise-ments conventionnels mais oné-reux, en mer profonde parexemple, éventuellement mêmedans des zones difficiles d’ac-cès comme l’Arctique.Des baisses de coûts ont certesété obtenues par les opérateurspétroliers à la suite de la chutedes prix du brut. Néanmoins,les décisions d’investissementsseront sans doute insuffisantes.En effet, avant même la baissedes cours du second semestre2014, la hausse des coûts de l’ex-ploration-production avaitconduit la plupart des grandsopérateurs internationaux àdiminuer sensiblement leursinvestissements. Avec la baissedes prix, ils ont tous engagé deplus fortes réductions : la baisseen 2015 a été de l’ordre de 25 % ;la chute des investissementspour l’ensemble des opérateursest estimée sur cette mêmeannée 2015 à 36 % parBloomberg ; celle de 2016 a été,selon l’AIE, à nouveau de l’or-dre de 25 % malgré l’apparitionà partir du début de l’été 2016de quelques signes de reprise.La baisse de l’activité est ainsisignificative, même si elle estmoins que proportionnelle àcelle des budgets grâce auxefforts de réduction de coût desopérateurs et à la diminutiondes tarifs de l’industrie parapé-trolière, qui est sinistrée. Lesréductions de personnels ontété particulièrement élevéesdans l’industrie des servicesparapétroliers : une quinzainede milliers d’emplois ont étésupprimés chez Baker Hugues,une vingtaine de milliers chezSchlumberger.

En conséquence, un défaut d’in-vestissement risque de se tra-duire vers 2020 par une satura-tion des capacités disponibles,et donc par une remontée desprix.

Un scénario de prix modérésEn 1985, les capacités de pro-duction étaient devenues lar-gement excédentaires à la suitedes ajustements de la demandeà des prix élevés et de la miseen production de gisementsplus « difficiles » en mer du Nordet en Alaska. La montée de laproduction de gisements com-pacts présente des similitudesavec la situation du milieu desannées 1980. La volonté del’Arabie de retrouver ses partsde marché avait été le détermi-nant du contre-choc de 1985.À court et à moyen terme, un scé-nario semblable pourrait se réa-liser, avec des prix de l’ordre de60 à 80 dollars par baril par réfé-rence au coût marginal des pétrolesde formation compacte des zonesmoins favorables que les sweetspots, dont les coûts sont infé-

rieurs. Pour que ce prix puisseêtre maintenu sur une longuepériode, comme au cours desannées 1990, il faudrait que seréalisent différentes hypothèses.Parmi celles-ci, il pourrait se faire

que le plafonnement prévu desproductions de gisements com-pacts ne soit pas au rendez-vous.Un facteur de stabilité des prixpourrait être une décision del’OPEP, implicite ou explicite,d’augmenter sa production. Leniveau de prix serait vraisem -blablement inférieur au seuild’équilibre de leurs budgets pourla plupart des pays membres.Cependant, un objectif d’aug-mentation de leurs parts de mar-ché peut être motivé par la crainted’un plafonnement puis d’unebaisse de la demande, qui seraità terme destructrice de valeurpour l’huile restée en terre.

Un scénario de prix croissantsUn troisième scénario est sou-vent considéré comme plus pro-bable. Après quelques annéesde prix modérés (vers 70 à 80 dol-lars par baril), dès le début desannées 2020 le plafonnementdes productions de pétroles degisements compacts peut ren-dre nécessaire le recours auxpétroles « frontières », plus chers,et redonner un rôle prépondé-rant à l’OPEP. Pour répondre àla croissance de la demande,les pays membres de cette orga-nisation devraient assurer l’es-sentiel de l’augmentation de laproduction mondiale. Leur pou-voir de marché restauré leurpermettrait de soutenir les prix.C’est un scénario de ce type quia été décrit par l’AIE, les prixdépassant la centaine de dol-lars par baril (dollars constants

2015) à partir du milieu desannées 2020.Le scénario de référence de l’EIA(fig.3) présente quelques simi-litudes avec celui de l’AIE. Onremarquera l’ampleur de la four-

chette des prix lorsque l’on consi-dère les différents scénarios.

Un nouveau choc pétrolier?Compte tenu du très bas niveaudes excédents de capacité deproduction observé en 2016-2017, un nouveau choc pétro-lier déclenché par des événe-ments de nature géopolitiqueest toujours possible en raisonde l’instabilité des pays duMoyen-Orient, mais aussi duVenezuela et du Nigeria.En dehors de ce cas de figure,un quatrième scénario peut êtredéfini par analogie à la situa-tion des années 1998-1999. Lasituation pourrait être encoreplus difficile que celle des années2004-2008 si apparaît un pla-fonnement des productions,prévu par différents analystes.Avant que les prix ne retrouventun nouvel équilibre de longterme, par exemple aux envi-rons d’une centaine de dollarspar baril, voire 120 à 130 dol-lars (en dollars d’aujourd’hui),comme dans le scénario de réfé-rence de l’AIE, il est fort possi-ble que les prix dépassent tem-porairement le niveau des 150à 200 dollars, niveau nécessairepour que les investissementssoient réalisés.Pour éviter un tel choc et ren-dre possible une transition doucecomme celle du deuxième scé-nario, il faudrait que le scénariod’un nouveau choc, pénalisantpour tous les acteurs, soit consi-déré comme très probable. C’estle consensus sur sa venue quiseul peut inciter l’ensemble desacteurs à prendre les décisionsidoines en temps utile : les opé-rateurs industriels à investir etles gouvernements à prendre lesmesures nécessaires. Les mar-chés à terme, par leur capacitéà refléter les anticipations delong terme des investisseursfinanciers, pourraient alors contri-buer à l’apparition de signauxde prix adéquats. n

*PIERRE-RENÉ BAUQUIS a étédirecteur stratégie et planification du groupe Total, DENIS BABUSIAUXest enseignant-chercheur à l’Institutfrançais du pétrole.

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Figure 3. Scénarios de prix de l’EIA (en dollars constants 2015).Source : EIA (2016).

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DOSSIER

PAR AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES*,

u sens large, on entend par biodiversité la variété du vivantsous toutes ses formes. Mais le concept ne se limite pasà la somme des espèces, il englobe l’ensemble des inter-

actions entre les êtres vivants. Il comprend ainsi la diversité génétique au sein d’une même espèce, la diversité spécifique, quicorrespond à la diversité des espèces vivantes, et enfin la diver-sité écosytémique, autrement dit la diversité des éco systèmes existants.Depuis plusieurs années, la communauté scientifique se mobi-lise pour la préservation de la biodiversité. Car elle est en danger,elle est en régression partout dans le monde. Chacun peut le constater au quotidien en étant un peu observateur. La bio -diversité, au même titre que l’eau, l’air, les sols, les forêts et le climat, doit être considérée comme un commun. Elle appartientà tous, et donc à personne en particulier.Il y a aujourd’hui urgence à agir pour sa préservation, le dévelop-pement durable de nos sociétés dépendant très fortement de notrecapacité à le faire. L’appropriation ou la mise en péril du vivantau nom de logiques économiques et financières est contraire auxintérêts que nous souhaitons défendre. Face aux conséquencespour l’humanité et la planète, les solutions sont à chercher ducôté des progressistes.À l’automne 2016, le Parti communiste, à travers sa commissionÉcologie, a consacré une série de débats et une exposition révé-lant les particularités et la richesse de la biodiversité en Île-de-France. Cette exposition s’est tenue à Paris, au siège du Parti com-muniste, place du Colonel-Fabien, avec le concours de Natureparif,du SIAAP, du Syndicat national des apiculteurs (SNA) et du Muséumnational d’histoire naturelle (MNHN). Des centaines de personnesse sont déplacées pour visiter l’exposition et suivre les débats,retransmis sur Internet.C’est consciente de l’urgence d’agir et de l’importance des poli-tiques écologiques, industrielles, agricoles qui doivent être misesen œuvre pour changer le cours des choses que la commission

Écologie du PCF poursuit son travail. Elle a en particulier, durantles mois suivants, reçu plusieurs scientifiques afin de les enten-dre sur ces enjeux.L’objet de ce dossier est de vous proposer de découvrir les réflexionsde quelques-uns des intervenants sollicités par la commissionÉcologie du PCF et leur travail. Nous avons choisi pour la pré-sente livraison de présenter quatre axes traités au cours de cesrencontres :– Évelyne Didier, sénatrice du groupe CRC (2001-2017) présentela loi biodiversité votée en juillet 2016 et le travail accompli parles parlementaires ;– Denis Couvet, professeur au Muséum national d’histoire natu-relle, intervient ici sur la notion de service écosystémique ;– Jean-Louis Durand, membre du bureau national de la CGT-INRA, revient sur la souveraineté alimentaire ;– Jean-Claude Pernollet, directeur de recherche honoraire de l’INRA,membre de l’Académie d’agriculture de France, intervient surl’équilibre bénéfice/risque des plantes génétiquement modifiées ;– Hervé Bramy, responsable du secteur Écologie, présente le tra-vail engagé par le Parti communiste sur ces enjeux.

L’équipe de Progressistes vous invite à poursuivre la réflexion avecla chaîne YouTube du PCF (playlist Écologie), vous y retrouverezl’ensemble des débats et auditions d’experts. Pour nous, le res-pect et la préservation de la biodiversité est une affaire de choixde société qui nécessite de poursuivre le débat.

*AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES, membre du comité de rédaction de Progressistes, est docteur

en sciences des matériaux et nanosciences.

BIODIVERSITÉ

LUTTER CONTRE L’ÉROSION DE LA BIODIVERSITÉ : IL EST TEMPS D’AGIR

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 Progressistes

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PAR ÉVELYNE DIDIER*,

DE NOUVEAUXPRINCIPES JURIDIQUESLa loi pour la reconquêtede la biodiversité, de lanature et des paysages,

publiée au Journal officiel le 9 août2016, couvre de nombreux domaines.Tout d’abord, elle consacre de nou-veaux principes directeurs du droitde l’environnement : le triptyque évi-ter, réduire, compenser s’appliqueà tout aménageur dont le projetentraîne des dégradations éco logiques.La loi inscrit dans le droit positif leprincipe de non-régression du droitde l’environnement, « selon lequella protection des écosystèmes ne peutfaire l’objet que d’une améliorationconstante », principe qui fut mis encause jusqu’au stade de la saisine duConseil constitutionnel. C’est un cur-seur essentiel dans la mise en œuvrede la « compensation », et notam-ment parce que cette dernière laisseà penser que les éléments de la natureseraient interchangeables.La loi introduit également dans le Code civil la reconnaissance dupréjudice écologique, qui oblige leresponsable d’un dommage à l’en-vironnement à le réparer ou, à défaut,à acquitter des dommages et inté-rêts. La réparation du préjudice écologique doit donc s’effectuer parpriorité en nature.

LUTTE CONTRE LES POLLUTIONSEnsuite, la loi a été l’occasion de renforcer la lutte contre différentes pollutions.

D’une part, à partir du 1er septem-bre 2018, sept substances actives desnéonicotinoïdes seront interditespour l’ensemble des cultures agri-coles, quels qu’en soient les usages.La loi accorde toutefois des déroga-tions jusqu’au 1er juillet 2020 lorsqu’iln’existe pas d’alternative. Nous avionsdemandé que cette interdictiondébute dès septembre 2017 et qu’elle

ne souffre d’aucune dérogation. Auniveau européen, il semblerait quela Commission prenne enfin acte dela dangerosité de tels produits et sedirige vers leur interdiction. Lesmêmes motivations, de santé publiqueet de protection de notre environ-nement, ont conduit à proposer l’in-terdiction de la culture et de la com-mercialisation des variétés tolérantesaux herbicides, notamment le colzaet le tournesol. Notre amendementn’a pas été retenu, aussi avons-nousdéposé une proposition de loi visantà instaurer un moratoire afin de proposer une mesure qui pourraitêtre mise en œuvre facilement etrapidement.D’autre part, la lutte contre les pol-lutions marines, concernant notam-ment les plastiques, nous a particu-lièrement mobilisée. 80 % des déchetsaquatiques proviennent des activi-tés humaines, et ils sont composésmajoritairement de plastiques. Lapossibilité que nous avons de chan-ger les choses est donc immense.C’est dans ce sens que nous avonsdéposé un amendement visant àinterdire l’utilisation des cotons-tigesdont le bâtonnet est en plastique.Cette interdiction au plus tard àcompter du 1er janvier 2018 figure

désormais dans la loi. Le décret d’ap-plication a été publié.Animés par la même volonté de réduc-tion des déchets à la source, nousavions présenté un amendementvisant à réduire la pollution due auxmicrobilles plastiques. Il s’agissaitd’interdire la production, la distri-bution et la vente de produits rincés– soit des produits d’hygiène, de soin,de cosmétique destinés à être enle-vés après application sur la peau, lesystème pileux ou les muqueuses –,de détergents, ainsi que les produitsd’entretien et de nettoyage compor-tant des particules plastiques solides.Les conséquences de cette pollutionsur la biodiversité marine et ses inci-

dences sur la santé humaine susci-tent une vive inquiétude parmi lesscientifiques. Seulement une partiede notre proposition concernant lesproduits cosmétiques a été retenue.

La loi introduit également dans le Code civil la reconnaissance du préjudiceécologique, qui oblige le responsable d’undommage à l’environnement à le réparer ou,à défaut, à acquitter des dommages et intérêts.

“ “RETOUR SUR LA LOI SUR LA BIODIVERSITÉLa préservation de la biodiversité est intimement liée aux évolutions du droit. Cette contribution présente lesprincipaux dispositifs et mesures que la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la natureet des paysages introduit dans le droit français.

80% des déchetsaquatiquesproviennent des activitéshumaines, et ilssont composésmajoritairement de plastiques.

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DOSSIER16 BIODIVERSITÉ

Nous travaillons en ce moment surd’autres propositions de loi pour pro-téger nos rivières et nos océans contrece fléau. De nombreux sujets méri-tent d’être étudiés, en particulier l’in-terdiction des pailles en plastique,des petits objets en plastique (lescanards des bain des enfants, parexemple) ou encore la réglementa-tion des lâchers massifs de ballonsen plastique ou autres objets dumême type. Ce travail par petitestouches et non consistant à s’atta-quer de front à l’ensemble de l’in-dustrie du plastique, nous a permisd’obtenir des résultats.

GÉNÉTIQUE ET BREVETSLa loi consacre ensuite le protocolede Nagoya, adopté en 2010, relatifaux activités de recherche et déve-loppement sur la composition géné-tique ou biochimique des ressourcesanimales, végétales, microbiennesainsi que l’utilisation des connais-sances traditionnelles associées auxressources génétiques. Le protocoleorganise un système dit de « partagedes avantages et bénéfices » décou-lant de l’utilisation des ressourcesgénétiques ou des connaissancestraditionnelles. Il réglemente doncl’accès aux ressources génétiques.Ce système n’est pas exempt de cri-tique, car il n’évite pas la mise enplace de droits de propriété pourpréserver la biodiversité. Nous aurionssouhaité que le bénéficiaire de l’ac-cès à une ressource phytogénétiquene puisse pas revendiquer un droitde propriété intellectuelle sur lescaractères natifs d’une ressourcegénétique. Le système est imparfait,mais ne rien faire c’était laisser leslaboratoires s’emparer de ces richessesen interdisant aux populations des’en servir.Enfin, nous avons obtenu des avan-cées concernant l’interdiction debreveter les gènes natifs en France.Notre travail sur cette question étaitdéjà ancien. L’enjeu a d’abord été demobiliser les sénateurs. Lors desdébats parlementaires, nous avonsconstaté qu’il était nécessaire de sen-sibiliser l’ensemble des parlemen-taires sur cette question. Or la juris-prudence de l’Office européen desbrevets, en admettant le dépôt d’unbrevet sur des produits issus de pro-cédés essentiellement biologiques,

a montré à quel point il était impor-tant de clarifier la position de cha-cun en matière de brevetabilité duvivant. Notre amendement, adopté,qui interdit les brevets sur les par-ties et les composantes génétiquesdes végétaux et animaux issus desprocédés dits « essentiellement bio-logiques » est essentiel dans la posi-tion défendue par la France au niveaueuropéen. En revanche, nous n’avonspas obtenu d’exclure les effets dudépôt d’un brevet sur une informa-tion génétique qui, en l’état actueldu droit, s’étend aux produits quicontiennent naturellement cetteinformation génétique. C’est pour-quoi nous avons déposé une propo-sition de loi afin de limiter la protec-tion conférée par un brevet et delutter contre l’appropriation du vivant.Les avancées dans la recherche rela-tive aux biotechnologies posent éga-lement la question de l’évaluationdes produits, de la transparence et

de l’information des citoyens. C’estpourquoi nous demandons que laréglementation évolue et que les pro-duits issus d’une ou de plusieursnouvelles techniques de modifica-tion génétique, d’une manière quine s’effectue pas naturellement parmultiplication ou recombinaisonnaturelles, soient soumis à la régle-mentation applicable aux OGM.

DES CONTRADICTIONS TOUJOURS POSSIBLESBien d’autres sujets ont été traitésdans la loi. En permettant de porterle débat sur une multitude de pro-blèmes concrets, tout en introdui-sant dans notre droit des notionsfondamentales et des outils utiles,cette loi constitue un socle qu’il fautconsolider et enrichir.Au-delà des arbitrages budgétairesà venir et des décrets d’applicationen attente, les avancées consacréespar la loi restent fragiles, notamment

en raison de la dimension mondialedes enjeux et des intérêts contradic-toires en présence. De plus, la rapi-dité des découvertes scientifiques etles bouleversements profonds inter-venus, par exemple dans le domainedes biotechnologies, laissent égale-ment planer le risque d’une loi àpeine votée et pourtant, dans plu-sieurs de ses volets, déjà obsolète.Ce dernier aspect n’a sans doute pasété suffisamment pris en compte parle législateur. En effet, de nouvellestechniques de modification géné-tique se développent actuellement.Ces techniques, comme CRISPR-Cas9, sont porteuses d’immensesespoirs. Ainsi, des chercheurs desuniversités de Temple et de Pittsburgh(États-Unis) ont démontré que laréplication du VIH peut être inter-rompue à l’aide de ces « ciseaux géné-tiques ». Cependant, ces avancéessoulèvent également des questionséthiques, elles s’accompagnent derisques qu’il faut mesurer et dont ilfaut débattre. Or les chercheurs etles politiques travaillent trop sou-vent chacun de leur côté, si bien queles connaissances ne sont pas par-tagées et que des débats fondamen-taux pour l’humanité finissent paréchapper au plus grand nombre.

Il faut donc ouvrir le débat sansoublier que la biodiversité, la ques-tion de l’eau ou du dérèglement cli-matique sont des réalités intime-ment liées. Ce sont des combats àmener de front et de toute urgence,qui nécessitent d’entreprendre sansattendre un travail de compréhen-sion, d’éducation et d’information.n

*ÉVELYNE DIDIER a été sénatricecommuniste de Meurthe-et-Moselle (2001-2017), et notamment vice-présidente de lacommission de l’aménagement du territoireet du développement durable au Sénat.

Au-delà des arbitrages budgétaires à venir et des décrets d’application enattente, les avancées consacrées par la loirestent fragiles, notamment en raison de ladimension mondiale des enjeux et desintérêts contradictoires en présence.

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Le lacher massifde ballons : une tradition bienancrée qu’il fautremettre en cause.

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,PAR DENIS COUVET*,

TROIS TYPES DE SERVICESÉCOSYSTÉMIQUESEn 2005, sous l’égide desNations unies, le Millen -

nium Ecosystem Assessment (MEA)2,réunissant plusieurs milliers d’ex-perts, distingue vingt-quatre servicesécosystémiques majeurs, répartis entrois types de services :– les services d’approvisionnement(agriculture, eau, ressources géné-tiques…) ;– les services culturels (espaces récréa-tifs, espèces emblématiques…) ;– les services de régulation environ-nementale, nécessaires au fonction-nement des écosystèmes, et quisont d’importance fondamentaledu point de vue de l’écologie, notam-ment pour la fertilité des sols et lapollinisation.Objet de controverses virulentes3, lanotion offre donc l’avantage d’expli-citer l’importance écologique de labiodiversité et d’en préciser les enjeuxsociaux. Ainsi, les écosystèmes richesen biodiversité, en espèces sauvages,forêts, zones humides, etc., sontriches de services écosystémiquesmenacés. En d’autres termes, pré-server les services écosystémiquesles plus menacés implique de conser-ver la biodiversité, les espèces sau-vages, et réciproquement.

DES DYNAMIQUES DIFFÉRENTESSELON LE TYPE DE SERVICESÉCOSYSTÉMIQUEL’analyse du MEA montre que ladynamique de ces services dépendde leur prise en compte sociale.Les services dont les bénéfices sontl’objet de marchés : agriculture, bois,produits de la chasse et de la pêche,paysages touristiques, espaces récréa-tifs, notamment dans les voisinagesaisés (bois de Boulogne ou CentralPark, par exemple). Ces services d’ap-

provisionnement comme la plupartdes services culturels (voir tableauci-dessous) sont plutôt bien préser-vés. Ainsi, en agriculture, le nombrede calories produites par humain esten augmentation depuis cinquanteans. En conséquence, l’enjeu socialest d’assurer une meilleure distribu-tion sociale des bénéfices relevantde ces services marchands. Exemplemarquant, la production agricoleactuelle permettrait de nourrir 3 mil-liards d’habitants en plus tout enaméliorant la qualité de l’alimenta-tion dans les pays4.

À l’inverse, les services dont les béné-fices ne font pas l’objet de marchés,lesbiens communs, non appropriés,se dégradent. Ce sont les services derégulation environnementale, asso-ciés aux espèces sauvages : entretiende la fertilité des sols par les écosys-tèmes microbiens ; modération descrues et sécheresses, rétention desnitrates et pesticides, par les arbres,forêts et zones humides ; pollinisa-

tion ; contrôle biologique des rava-geurs ; régulation du climat locale et globale.

SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES«MARCHANDS » OU «COMMUNS »?L’antagonisme écologique entre ser-vices écosystémiques «marchands »et «communs », impose de qualifierleur importance sociale respective.La dynamique inverse entre ces deuxtypes de services est liée à la dispo-nibilité limitée en écosystèmes,espèces, etc., donc en bénéfices éco-systémiques, que ce soit à l’échellelocale ou planétaire. Le développe-ment d’un type de services se fera leplus souvent au détriment d’autresservices ; ainsi, le développement del’agriculture, par déforestation et/oudrainage des zones humides se faitaux dépens des forêts et des zoneshumides, donc des services assuréspar ce type d’écosystèmes. S’il existequelques synergies, qu’essaie de pro-mouvoir l’agroécologie, elles sontsans doute limitées, les antagonismesétant beaucoup plus fréquents, etimportants, dans l’état actuel despratiques du fonctionnement du sys-tème agricole5.Les conséquences politiques de cettedisponibilité limitée en différentstypes de services écosystémiquessont profondes. Un arbitrage poli-

Pour expliciter l’importance sociale de la biodiversité, l’importance de sa préservation, écologues et autres scien-tifiques et acteurs ont proposé la notion de service écosystémique1. Le terme recouvre les bénéfices que leshumains – en tant qu’individus, groupes sociaux, sociétés – retirent du fonctionnement des écosystèmes, de labiodiversité, des espèces « sauvages » (non domestiquées). D’autres dénominations sont parfois utilisées :« services environnementaux », « fonctions de service public », « services de la nature », « services écologiques ».

DE LA BIODIVERSITÉ AUX SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES

Services d’approvisionnement

Services de régulation et de support des écosystèmes

Services culturels

AgricultureBois et fibres

Ressources génétiquesRessources biologiques (pharmacologiques)

Eau potable …

Formation et entretien de la fertilité des sols Purification de l’air et de l’eau

Régulation du climat, local et globalRégulation des flux hydriques,

Atténuation des crues et sécheressesContrôle de l’érosion des sols

Pollinisation des plantes, dispersion des grainesContrôle biologique (des ravageurs, etc.)

Résistance aux épidémies Cycle des nutriments

Populations, espèces,écosystèmes, sources de :

réflexion, inspiration,recréation, loisirs,écotourisme,éducation

à la biodiversité,éthique…

Objet de controverses virulentes, la notion services écosystémiques offrel’avantage d’expliciter l’importanceécologique de la biodiversité et d’en préciserles enjeux sociaux. “ “

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DOSSIER18 BIODIVERSITÉ

tique est nécessaire entre écosys-tèmes et espèces selon qu’ils assu-rent plutôt des services marchandsou plutôt des services communs6.Cet arbitrage se traduira en termesde rigueur des lois de protection desforêts et zones humides, d’espècessauvages, et/ou d’incitations, de taxesenvironnementales. Délicat à menercet arbitrage dont l’objectif est depréserver à la fois la qualité de l’ali-mentation et des écosystèmes.

AUGMENTER LA PRODUCTIONAGRICOLE OU PROTÉGER LES ÉCOSYSTÈMES?De manière générale, ce qui appa-raît comme une alternative pose leproblème des priorités. Plus prosaï-quement, est-il pertinent de se préoc-cuper plus de la préservation desécosystèmes, des espèces sauvages,que de l’augmentation de la produc-tion agricole, forestière? Cette ques-tion a été explorée par une équipeuniversitaire dans le cas de l’agricul-ture britannique à l’horizon 2060.Deux scénarios ont été comparés7 :– le premier, « présence sur les mar-chés », maximise la production agricole, au besoin en diminuant les normes environnementaleslorsqu’elles gênent l’activité des producteurs.– le second, « multifonctionnalitédes paysages », se préoccupe de réten-tion du carbone par les écosystèmesafin d’atténuer le changement cli-matique, d’habitat pour la biodiver-sité, de valeur récréative et touris-tique, des paysages.Pour éclairer le débat, les auteursfont un exercice de monétarisation,estimant la valeur monétaire de latonne de carbone – pour l’huma-nité –, ou encore d’un espace récréa-tif – pour les Britanniques. Ces coûtssont estimables, ne serait-ce qu’àtravers le coût pour la collectivité dela lutte contre le changement clima-tique ou du développement desespaces récréatifs.Les résultats, impressionnants, sem-blent peu sensibles aux incertitudesde calcul. En effet, l’avantage écono-mique de la multifonctionnalité estmassif, dépassant largement la contri-bution de l’agriculture britanniqueau PIB de ce pays. Des bénéfices col-latéraux émergent aussi, que lesauteurs n’ont pas monétarisé faute

d’outil adéquat. Ils concernent la bio-diversité, en termes d’abondance descommunautés d’oiseaux (pour les-quelles on dispose de suffisammentde données quantitatives pour pro-duire des scénarios quantitatifs solides),et donc très probablement d’autresentités de la biodiversité. Ce résultatrejoint l’intuition de nombreux acteurs. Pour l’agriculture des paysriches, très productive, notammentpar agriculteur, l’enjeu socio-écono-mique majeur est de protéger les éco -systèmes : réduction des pollutions,préservation de la biodiversité, contri-bution à la lutte contre le change-ment climatique, etc.L’analyse des coûts et bénéfices desnitrates et pesticides conduit à lamême conclusion. Leur intensitéd’utilisation actuelle n’est pas ration-nelle, lorsque l’on la considère àl’échelle collective. Seuls certainsbénéfices privés, importants, peu-vent expliquer cette non-rationalitécollective. C’est un problème majeurdes activités marchandes, les mar-chés pouvant avoir pour propriétéde transférer les coûts vers ceux quisont absents des négociations. Lesvilles de New York, de Pékin ou deMunich sont arrivées empirique-ment à cette même conclusion. Afinde préserver la qualité de leur eau,elles ont subventionné la désinten-sification de l’agriculture en amont,démarche moins onéreuse que la

construction de nouvelles usines deretraitement des eaux ou que le coûtd’une eau dégradée. Dans les paystropicaux, transformer les mangrovesou les forêts tropicales en culturescommerciales serait aussi peu inté-ressant économiquement, lorsquel’on considère l’ensemble des acteurssociaux, pas seulement ceux com-mercialisant ces cultures.

QUID DES POPULATIONS LES PLUS VULNÉRABLES?L’importance relative de ces deuxtypes de services devrait varier selonle revenu, l’appartenance sociale desindividus. L’arbitrage entre ces deuxtypes de services dépend donc del’importance que l’on accorde auxdifférentes classes sociales, dans lamesure où l’on peut estimer leurs

intérêts et préférences respectives.Par exemple, qui supporte les coûtsdits « cachés », non révélés par lesmarchés, comme les coûts du dérè-glement climatique ? N’est-ce pasd’abord les plus vulnérables (parexemple ceux construisant en zonesinondables car moins chères)? Si ces

Un arbitrage politique est nécessaireentre écosystèmes et espèces selon qu’ilsassurent plutôt des services marchands ou plutôt des services communs. “ “

Le rôle des espècessauvages dans le fonctionnementdes écosystèmes,l’importance socialede ces derniers sontdes enjeux majeursde biodiversité.

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coûts affectent les finances publiques,quelles sont les conséquences parricochet sur d’autres politiquessociales, l’éducation, la santé…? Lespopulations les plus vulnérablessocialement sont probablement lesplus exposées aux erreurs de moné-tarisation et/ou à un mauvais arbi-trage qui peut en résulter.On peut alors contraster deux erreursd’arbitrage :1.Une surprotection des services dontles bénéfices sont des « communs ».Elle aurait comme inconvénient unetrop grande réduction des activitésmarchandes liées aux services éco-systémiques marchands, notammentl’agriculture, ce qui entraînerait l’aug-mentation des prix des biens résul-tants de ces services, et qui sont sou-vent des denrées essentielles,alimentation et énergie notamment.Et en conséquence la destructiondes emplois dans ces secteurs éco-nomiques, directs et indirects – fabri-cation de fertilisants, pesticides,machines agricoles, chalutiers…2.Une sous-protection de ces services« communs ». Les inconvénients pour-raient être des pertes de fonction-nalité des écosystèmes (pollinisa-tion, par exemple), un dérèglementclimatique accéléré, une plus grandesensibilité aux crues, la diminution

de la qualité de l’eau et de l’air… Cepeut être aussi à terme une dégra-dation indirecte de la productionagricole, liée au déclin des pollini-sateurs et de la fertilité des sols.La plupart des travaux suggèrent queles populations vulnérables bénéfi-cient particulièrement d’une meil-leure préservation des écosystèmes,des espèces sauvages, car elles sonttrès exposées aux aléas environne-mentaux (voir l’épisode Katrina).

CONCLUSIONLe rôle des espèces sauvages dans lefonctionnement des écosystèmes,l’importance sociale de ces dernierssont des enjeux majeurs de bio -diversité. La représentation des impli-cations sociales, économiques oupolitiques est nécessaire. Dans cecontexte, la notion de service éco-systémique constitue une avancéeimportante. Elle demande néan-moins à être encadrée par des notionsplus vastes, inclusives, de la biodi-versité, tenant compte de toutes sesdimensions, sociales et/ou éthiques.Les travaux sur l’importance socialede la biodiversité devraient être foca-lisés socialement, selon différentshorizons temporels, considérant spé-cifiquement le cas des populationsles plus vulnérables. Une limite étant

que de multiples imbrications socialesindirectes peuvent être difficilementévaluables.n

*DENIS COUVET est professeur auMuséum national d’histoire naturelle etprofesseur chargé de cours à l’Écolepolytechnique sur le thème de lamarchandisation de la nature.

1. G.C. Daily (dir.), Nature’s Services:Societal Dependence on Natural Ecosystems,Island Press, Washington D.C., 1997.2. Millennium Ecosystem Assessment,Ecosystems and Human Well-Being.Synthesis, Island Press, New York, 2005.3. F. Flipo, C. Aubertin, D. Couvet, « Une “marchandisation de la nature” ? De l’intégration de la nature en économie »,in Journal du MAUSS, 2016.4. D. Couvet et A. Teyssèdre, «Quellespolitiques agricoles pour le 21e siècle ? »,in Regards et débats sur la biodiversité, SFE,Regard no 72, 23 nov. 2016.5. D. Couvet, X. Arnaud de Sartre, E. Balianet M. Tichit, « Services écosystémiques : descompromis aux synergies », in P. Roche,I. Geijzendorffer, H. Levrel, V. Maris, coord.,Valeurs de la biodiversité et servicesécosystémiques, Quæ, 2016, p. 147-160.6. E. Ostrom, Gouvernance des bienscommuns. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck,Bruxelles, 2010.7. I. Bateman, A.R. Harwood, G.M. Mace,R.T. Watson, D.J. Abson, B. Andrews, A. Binner et al., « Bringing ecosystemservices into economic decision-making:Land use in the United Kingdom», in Science, no 341, p. 45-50, 2013.

PAR JEAN-LOUIS DURAND*,

PROGRÈS AGRONOMIQUE,SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE ET BIODIVERSITÉ NATURELLE

Assurer une alimentationdigne et de qualité àchaque membre d’unepopulation qui pourraitavoir augmenté d’envi-

ron 30 % d’ici à 2050 demande unprogrès agronomique et génétiqueconsidérable dans l’utilisation et lerenouvellement des ressources natu-relles. Dans certaines régions dumonde, cela sera nettement plus

nécessaire qu’ailleurs. En outre, lesconditions climatiques de certainspays en forte croissance démogra-phique ne permettront pas leur sou-veraineté alimentaire, de sorte qu’ilsdevront recourir à des importationsmassives. Outre l’indispensablesoustraction des systèmes alimen-taires à la logique capitaliste, unepart essentielle du progrès agrono-mique reposera sur l’améliorationdes plantes existantes et la créationde nouvelles variétés. Il faudra lefaire pour plus d’espèces cultivéesafin de maintenir des niveaux etqualités de production compatibles

avec les populations à nourrir sansatteinte à l’environnement.Dans ce contexte, la biodiversité, ladiversité des espèces et populationsvivantes sur terre, est une compo-sante majeure de notre environne-ment. À la base de l’évolution detoutes les formes vivantes qui sontapparues depuis l’origine, la biodi-versité a conditionné notre existenceen tant qu’espèce à l’échelle géo -logique. Mais ce n’est pas son seulmérite. De plus en plus de recherchesde toutes natures confirment l’inté-rêt de la biodiversité contemporainepour le bien-être de l’humanité. La

SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE, SEMENCES ET BIODIVERSITÉAlors que des grands groupes industriels mondiaux cherchent à s’accaparer des connaissances sur le génome viades brevets sur les gènes, il est impératif d’assurer des droits de propriété intellectuelle permettant le partage des connaissances tout en assurant la souveraineté alimentaire des peuples et la préservation de la biodiversité.

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DOSSIER20 BIODIVERSITÉ

CGT-INRA prend en compte lesconclusions des organismes inter-nationaux compétents en la matièretout en relevant qu’ils ne remettentnullement en cause la globalisationcapitaliste et qu’ils promeuvent lemythique marché libre et non faussécomme condition de ces objectifs1.

LA BIODIVERSITÉ SEMÉE,CARBURANT PRINCIPAL DE L’AMÉLIORATION DES PLANTESÀ cette biodiversité naturelle il s’agitdonc d’ajouter la biodiversité semée.En effet, c’est la variabilité génétiquenaturelle qui existe au sein des espè -ces cultivées qui a permis dans unpremier temps leur domestication,parfois avec des modifications trèsprofondes de leurs génomes.Ultérieurement, et afin de tirer lemaximum du rayonnement solaireabsorbé par les feuilles, d’une part,et de la force de travail agricole, d’autre part, un type de plantes géné-tiquement très homogènes a étésélectionné. Pour autant, et contra-dictoirement, la recherche de carac-tères utiles à une production agri-cole optimale recourt toujours et deplus en plus à une diversité géné-tique de plus en plus étendue. Eneffet, les caractères qui composentchaque variété proviennent de plantes différentes, et c’est par croi-sement/sélection au cours de nom-breuses générations que s’accumulegraduellement dans les variétés leprogrès génétique. Au début des années1990, avec les premiers OGM, cer-tains ont pu penser que l’on pour-rait sélectionner directement les« bons gènes » sans s’appuyer sur celent processus de tri parmi des mil-liers de combinaisons observées auchamp. Or, à mesure que se révèlel’énorme complexité des régulationsde l’expression des génomes, en inter-action avec l’environnement, cetteapproche s’est avérée bien plus com-plexe que prévu. C’est pourquoi lacontribution de la biodiversité desespèces cultivées reste cruciale pourl’avenir de notre alimentation.L’efficacité constante obtenue depuisenviron soixante ans résulte de l’uti-lisation des variétés déjà cultivéescomme base de sélection, sans devoirà chaque nouveau programme repar-tir de zéro. Cela nécessite des moyensdédiés à l’observation de très nom-

breuses plantes et au choix des meil-leurs croisements. En France, ce sys-tème repose sur le travail réalisé dansles sociétés semencières, générale-ment de taille moyenne et plus ou

moins liées aux territoires et aux agri-culteurs qui utilisent ces progrès.Une partie du prix des semences estjustement liée à ce travail : les socié-tés de sélection consacrent environ10 % de leurs ressources à l’investis-sement dans la sélection. Un peucomme dans le cas du logiciel libremais inventé bien avant, un droit depropriété intellectuelle particulier,le certificat d’obtention végétale (COV),combine la liberté d’accès pour chaqueobtenteur de variétés au travail déjàréalisé par les concurrents et la cer-tification que sa variété ne pourraêtre exploitée que sous licence. Lasélection put donc avancer, s’ap-puyant sur ce partage limité, créantune vaste communauté internatio-nale solidaire jusqu’à un certain point,en contradiction avec les lois du mar-ché régnant par ailleurs.

SÉLECTION GÉNOMIQUE ETPROPRIÉTÉ INTELLECTUELLEL’accès libre aux variétés déjà sur lemarché pour en sélectionner de meil-leures, sans devoir de droits sur lespremières à leurs obtenteurs, per-met un brassage et de nombreux

échanges entre tous les opérateursde tous les pays ayant signé l’accordsur les obtentions variétales (UPOV2).En France, un système public d’éva-luation du progrès génétique sélec-tionne rigoureusement les variétésqui peuvent figurer dans les cata-logues de vente et reconnaît à ceuxqui ont inventé de nouvelles varié-tés des droits sur les semences ven-dues, sans empêcher que cette nou-velle variété soit utilisée dans d’autrescroisements suivis de sélection. Cesystème, mis au point après la guerrepar l’INRA et la France, fut adoptépar la plupart des pays, y compris laChine et les États-Unis, en 1961. Ilassure à la fois l’existence de socié-tés de semences sur tout le territoireet une compétition entre les meil-leures variétés. Créé en 1944, le COVcontribue depuis fortement non seu-lement à l’indépendance nationaleen matière de génétique végétale,mais aussi au progrès rapide des per-formances des variétés. Et heureu-sement, parce que nous aurons besoind’une forte et rapide dynamique deprogrès génétique. Le sens de l’amé-lioration et les propriétés des plantesque l’on souhaite favoriser sont ainsiégalement à la main de la puissancepublique. Ainsi, même si le proces-sus reste loin d’être achevé, il a suffide quelques années pour ajouter, audébut des années 2000, aux critèresde rendement et de qualité des cri-tères de respect de l’environnement.

Un droit de propriété intellectuelleparticulier, le certificat d’obtention végétale(COV), combine la liberté d’accès pourchaque obtenteur de variétés au travail déjàréalisé par les concurrents et la certificationque sa variété ne pourra être exploitée quesous licence.

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Aux États-Unis, le secteur privé sousl’influence de l’industrie pharmaceutique etchimique, considère que ce qui peut fairel’objet de propriété intellectuelle est le gènelui-même, à partir duquel la propriétéintellectuelle s’étend à tout l’organisme.

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Aux États-Unis, le secteur privé sousl’influence de l’industrie pharma-ceutique et chimique, considère quece qui peut faire l’objet de propriétéintellectuelle est le gène lui-même,à partir duquel la propriété intellec-tuelle s’étend à tout l’organisme3.Cela suppose d’affecter à une séquencegénétique particulière un caractèreparticulier, comme une résistance àune maladie et/ou à la sécheresse,un potentiel de rendement élevé…Mais les associations entre carac-tères et gènes sont statistiques etempiriques ; un caractère requierten outre la mise en jeu de nombreuxgènes, ce qui fait que la méthoderéellement utilisée de nos jours pourle progrès génétique reste celle descroisements et de la sélection à lasuite de l’observation des perfor-mances des descendants. L’efficacitédes choix des parents à utiliser pourras’appuyer à l’avenir sur les associa-tions statistiques entre l’ensembledes gènes d’un individu et les per-formances de ses descendants.Cette sélection génomique en émer-gence aura de plus en plus besoind’un accès libre et très diversifié aumaximum de ressources génétiques.Or certains revendiquent des droitsde propriété attachés à des brevetsobtenus sur les gènes. Ils revendi-quent même des droits sur touteplante contenant ces gènes. Ainsi,un caractère (tel que le taux de sucreou une résistance à une maladie),présent ou introduit dans une plantepar des procédés naturels mais dontultérieurement un laboratoire bre-vète un gène associé à ce caractère,peut devenir la propriété privée dece dernier laboratoire. Ce laboratoirepeut donc même exiger des droitsde l’obtenteur qui avait sélectionnéinitialement la plante présentant lecaractère et le gène associé. Ce n’estpas un cas théorique : associé à ungroupe d’obtenteurs inquiets de cesdérives, l’INRA a très efficacementpoursuivi en justice une compagnieprivée qui prétendait obtenir de l’ar-gent d’un sélectionneur du sud dela France qui avait créé une variétérésistante à un puceron. Mais denombreux brevets de ce type sontaujourd’hui accordés par l’Officeeuropéen des brevets de la directive98/44/CE4. Tant que cette directiveeuropéenne sera en vigueur, le risque

existe de voir des obtenteurs pour-suivis pour fraude du fait que leursvariétés contiennent des gènes bre-vetés. Pis, l’INRA détient encore detrop nombreux brevets de ce type !Cette situation mine les relationsentre les semenciers et rendentméfiants les détenteurs de tout typede ressources génétiques. Les échangesdeviennent incroyablement difficileset procéduriers. Le progrès géné-tique en pâtit déjà.

BIODIVERSITÉ ET ACCORDSINTERNATIONAUXPortés par une légitime préoccupa-tion sur le sort de la biodiversitécontenue dans les écosystèmes natu-rels, les accords internationaux deRio de 1992 ont été très influencéspar la prise de brevets sur les espèceset toutes leurs composantes, jusqu’auniveau du gène. Finalement, cesaccords n’ont en rien permis de pro-téger réellement la biodiversité5.Pourtant, afin que des compagniesayant pris des brevets sur des gènesd’espèces utilisées ou appartenantà des populations ne les spolientpas de tous leurs droits, les traitésde Nagoya6 pour les espèces nondomestiques et le Traité internatio-nal sur les ressources phytogéné-tiques pour l’alimentation et l’agri-culture7, pour les plantes cultivées,encadrent la gestion de la biodiver-sité et le « partage des bénéfices ». Ils’agit des avantages que quiconque

tirerait de l’usage de ressources géné-tiques et qu’il devrait donc parta-ger avec ceux qui en étaient les dépo-sitaires traditionnels.

Ces traités ne condamnent ni n’in-terdisent le brevetage du vivant. Sila reconnaissance de cette part detravail non reconnue auparavantdans la valeur des ressources géné-tiques est certes une avancée, la CGT-INRA défend pourtant l’idée quec’est le brevet qu’il faut interdire. Enl’occurrence, en effet, il est accordéen violant un des principes fonda-mentaux de la brevetabilité qui estl’activité inventive, le travail dont ilest question relevant de la décou-verte. Découvrir que tel gène pré-sent dans une plante depuis la nuitdes temps code pour telle protéineayant dans cette plante telle fonc-tion est remarquable, mais ce n’estpas plus une invention que la décou-verte de l’électron. Il s’agit de connais-sance fondamentale qu’il faut déga-ger de tout commerce et, au contraire,considérer comme disponible pourtout un chacun.

Découvrir que tel gène présent dansune plante depuis la nuit des temps codepour telle protéine ayant dans cette plantetelle fonction est remarquable, mais ce n’estpas plus une invention que la découverte de l’électron.

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La contributionde la biodiversitédes espècescultivées restecruciale pourl’avenir de notrealimentation. s

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Face à l’impressionnante efficacitéde la sélection végétale effectuée surla base de variétés entièrement libresde droit en tant que ressources géné-tiques, les brevets sur les gènes (il yen a des dizaines de milliers) neconcernent qu’un nombre minus-cule de variétés nouvelles… et encore,pour des caractères aussi probléma-tiques que la résistance au glypho-

sate ou aux insectes. Sur les milliersde brevets sur des gènes supposésaugmenter la résistance à la séche-resse, aucun n’a été jugé suffisam-ment efficace à ce jour pour cultiverdes champs avec moins d’eau, contrai-rement, par exemple, aux nombreusesvariétés de maïs inventées dans lesannées 1990. En réalité, les compa-gnies de biotechnologie déposentdes brevets pour deux raisons prin-cipales : d’une part, le portefeuillede brevets augmente la valeur pure-ment spéculative de leurs actions ;d’autre part, en vue de la conquêted’un marché sur un caractère parti-culier (teneur en certains nutriments,

rendement…), la détention d’un bre-vet associé à ce caractère décourageles concurrent d’y investir pour échap-per aux droits qu’ils devraient à lacompagnie détentrice. C’est ainsi uninstrument de domination sur legénome, qui apparaît bien commeun champ de bataille entre les empiresde la semence que sont les troisgrandes compagnies en cours deconstitution (Pioneer-Dow Chemicals,Chem China-Syngenta et Bayer-Monsanto). Par ailleurs, contraire-ment au droit des variétés, le COV,le brevet oblige celui qui crée la variétéqui contient des éléments brevetés(des gènes, par exemple) à rendredes comptes à celui qui a le brevet.En outre, il interdit totalement auxagriculteurs la production de leurspropres semences alors que c’estautorisé pour les variétés.

UNE AUTRE GÉNÉTIQUE AU SERVICE DE TOUSPourquoi accepter ces multiplesatteintes aux droits fondamentaux :droit à la souveraineté alimentairedes États, droit d’accès aux ressourcesgénétiques du monde entier, droitsdes laboratoires publics et privésd’accéder librement aux connais-sances sur les gènes ? Pourquoi pri-vatiser et restreindre l’accès à l’en-semble des ressources génétiques ?Pourquoi céder à un système qui pié-tine celui du COV mis en place il y a

soixante-treize ans et qui a permisde tels progrès ? De plus en plusdépendant des marchés financiers,les lobbys industriels poussent lesÉtats et la Commission de Bruxellesà ouvrir des autoroutes aux brevetset cherchent à liquider le systèmedu COV. Jusqu’ici, avec les Pays-Baset l’Allemagne, la France a réussi àcontenir l’attaque : des dizaines dePME et entreprises nationales conti-nuent à enrichir les territoires et àdéfendre la biodiversité semée. Maisau sein même des entreprises semen-cières françaises les plus dévelop-pées, comme Limagrain (quatrièmegroupe mondial, avec Villemorin, safiliale cotée en Bourse), certains pré-tendent se faire une place sur lechamp de bataille. Ce alors mêmeque tout porte à croire qu’ils n’y sonttolérés que pour servir les intérêtsde l’impérialisme industriel qui finirapar les absorber. Fortement repré-sentés dans les institutions publiquescompétentes, ces fanatiques trou-vent au sein des établissements publicsde recherche et des universités unmilieu, hélas, poreux pour dévelop-per ces brevets.Alors que le conseil scientifique del’INRA8 alerte la communauté scien-tifique et au-delà sur les dangers decette politique, les ministères detutelle se révèlent hésitants. La CGT-INRA soutient au contraire le carac-tère fondamentalement inaliénablede la connaissance sur le vivant etdénonce les brevets sur les gènesnatifs. Elle a accueilli positivementla loi sur la biodiversité, qui modi-fie le code de la propriété intellec-tuelle en interdisant les brevets surles gènes présents naturellement oudu fait d’une sélection essentielle-ment biologique dans les plantes.Elle milite toujours pour l’abroga-tion de la directive 98/44/CE. Poury parvenir, il convient que l’INRA soitirréprochable et fasse un grandménage dans son portefeuille de bre-vets encore pollué de nombreux bre-vets sur les connaissances et les gènesnatifs.La connaissance sur l’hérédité descaractères concerne l’identité desindividus, sur la base d’un code géné-tique commun à l’ensemble des êtresvivants sur la planète. Il est essen-tiel que la liberté de la connaissancesur cette grammaire commune soit

De plus en plus dépendant des marchésfinanciers, les lobbys industriels poussent les États et la Commission de Bruxelles à ouvrir des autoroutes aux brevets etcherchent à liquider le système du COV.“ “

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garantie par des lois solides. Avec laFédération nationale agroalimen-taire et forestière CGT et les syndi-cats CGT des entreprises semen-cières, la CGT-INRA revendique uneconsolidation de la liberté de l’ac-cès aux ressources génétique et ladéfense de la biodiversité. Ils pro-posent la création d’un office natio-nal des semences chargé de veiller aurespect des droits des populations,des salariés et des agriculteurs enassurant la juste rémunération dutravail de chacun, sans qu’aucunlobby ne profite de position impé-rialiste sur les génomes, patrimoinecommun de l’humanité. n

*JEAN-LOUIS DURAND est chargé de recherche à l’INRA et membre du bureaunational de la CGT-INRA.

1. Adoptés aux Nations unies pour lesannées 2015-2030, les objectifs dudéveloppement durable listent une séried’objectifs, parmi lesquels la protection de labiodiversité figure au no 15, en bonne placeavec l’accès à l’eau potable et la satisfactiondes besoins nutritionnels(https://fr.wikipedia.org/wiki/Objectifs_de_d%C3%A9veloppement_durable).2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_pour_la_protection_des_obtentions_v%C3%A9g%C3%A9tales3. Au Canada, les plantes contenant des gènes brevetés ne sont pourtant pasbrevetées en tant que plante. Seule laséquence génétique embarquée est brevetée.Pour l’Office européen des brevets, au contraire, tout gène breveté étend le droitde propriété à la plante qui le porte. Enfin,dans le cas des nouvelles biotechnologiesde sélection, qui modifient chaque gènecible à l’aide d’outils moléculairesmodernes, il est revendiqué par certain ledroit de breveter les plantes ainsi obtenues,même si, scientifiquement, une plantemodifiée artificiellement serait indiscernabled’une plante portant la même modificationapparue par mutation.4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Directive_sur_la_brevetabilit%C3%A9_des_inventions_biotechnologiques5. M.-A. Hermitte, « La convention sur la diversité biologique », in Annuaire françaisde droit international, 1992, p. 844-870(http://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1992_num_38_1_3098).6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Protocole_de_Nagoya7. https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_international_sur_les_ressources_phytog%C3%A9n%C3%A9tiques_pour_l%27alimentation_et_l%27agriculture8. Conseil scientifique de l’INRA, Rapport de synthèse du groupe de travail sur la propriété intellectuelle dans le domainevégétal à l’INRA, février 2014(http://prodinra.inra.fr/ft?id=63FF87DE-FD27-477B-A26A-8F0E1143DA53).

BILAN GLOBAL DE LAPRODUCTION DES PGM EN 2016Chaque année, l’ISAAA (InternationalService for the Acquisition of Agri-biotech Applications), organisationinternationale sans but lucratif dotéenotamment par la FAO (Food andAgriculture Organization of the UnitedNations), établit un bilan exhaustifde la culture des PGM sur la planète.Les chiffres des récoltes 2016, vingtans après les premières culturesautorisées, montrent que le déve-loppement de la culture des PGM,tant en Amérique du Nord etdu Sud,qu’en Asie et en Afrique, mais trèslimité en Europe, est important. En2016, plus de 18 millions d’agriculteurs

PAR JEAN-CLAUDE PERNOLLET*,

es prises de position à l’égarddes plantes génétiquementmodifiées (PGM) sont mar-

quées le plus souvent par une volontéde réfuter les modèles socio-écono-miques productivistes en proférantdes contre-vérités, lesquelles fontleur chemin d’autant plus facilementque les populations urbaines neconnaissent plus l’agriculture (< 2%de la population) qu’à travers desimages d’Épinal surannées, sans rap-port avec une réalité agricole quirelève aujourd’hui des hautes tech-nologies. Or la problématique mériteune approche non simplificatrice.

PLANTES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉES :BÉNÉFICES ET RISQUES POUR L’ENVIRONNEMENTEn France et dans les pays industrialisés, en absence de famines récurrenteset d’avantages décisifs pour le citoyen-consommateur, la situation desplantes génétiquement modifiées (PGM) est complexe, en raison de laméconnaissance des progrès de leur culture due à son développement extra-ordinaire depuis vingt ans. En Europe, cette ignorance est entretenue parpusillanimité ou par idéologie.

En 2016, plus de 18 millions d’agriculteurs dans le mondecultivent des plantes génétiquement modifiées.

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(soit 30 fois le nombre d’agriculteursfrançais), dont 7,1 millions de Chinoiset 7,7 millions d’Indiens, cultiventdes PGM dans 26 pays regroupant60 % de la population mondiale. Plusde 90 % d’entre eux, qui cultivent54 % des surfaces de PGM, sont desagriculteurs à faible revenu travail-lant de petites surfaces. En 2016, lescultures transgéniques occupaient185 millions d’hectares, soit plus de13,5 % de la surface agricole de laplanète, en croissance constante

(3 % par an en moyenne) ; ces sur-faces ont été multipliées par 110 envingt ans. L’Europe n’autorise quela culture de quelques rares PGM,mais seuls l’Espagne et le Portugalen cultivent significativement. Elleest cependant le deuxième impor-tateur mondial de soja (95 % trans-génique) pour alimenter ses ani-maux d’élevage.L’utilisation massive des PGM enAmérique du Nord autant que duSud depuis vingt ans fournit des don-nées factuelles irréfutables sur leursavantages et leurs inconvénients.

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉTIQUESDES PGM EN 2016La grande majorité des caractèresgénétiques consistent encore en tolé-rance à un herbicide total (HT) etrésistance à des familles d’insectes(RI ou Bt), traits les plus répandusparce que les premiers à avoir étéautorisés sur des cultures majeures.Mais sont cultivés ou se développentd’autres caractères génétiques : pourles améliorations agronomiques, cesont tolérance à la sécheresse, résis-tance à la salinité et à l’anoxie, opti-misation de l’absorption d’azote etdu rendement photosynthétique,d’une part, et thérapie génique (résis-tance aux maladies virales et micro-biennes) et résistance aux ravageurs,de l’autre ; pour l’amélioration desaliments à destination de l’être humainet des animaux domestiques, il s’agit

de biofortification (vitamines A etC), enrichissement en protéines, enacides aminés indispensables, enacides gras insaturés, élimination detoxines cancérigènes, suppressiondu brunissement des fruits et tuber-cules, etc.Les PGM à intérêt non alimentaire,soit à haute valeur ajoutée commele molecular pharming pour pro-duire des médicaments et des anti-corps thérapeutiques, soit à but agro-industriel, n’ont pas encore atteintdes productions suffisantes pour entenir compte dans les bilans globaux.

LES ESPÈCES TRANSGÉNIQUESCULTIVÉESEn 2012, quatre espèces de grandeculture, le soja, le maïs, le cotonnieret le canola (colza de printempscanadien à faible taux d’acide éru-cique), représentaient 99 % des sur-faces transgéniques cultivées, aux-quelles il faut ajouter la luzerne, enplein développement. Leurs sur-faces cumulées représentent, rap-pelons-le, plus de 10 fois l’ensem-ble de la surface arable française,toutes cultures confondues. Il estimportant de noter que, en 2016,78% du soja, 64 % des cotonniers,26 % du maïs et 24 % du colza de laplanète sont trans géniques. AuxÉtats-Unis, c’est la quasi-totalité (90à 94 %) des cultures précitées quisont génétiquement modifiés.Cela dit, ces espèces de grande culture

ne sont pas les seules espèces impli-quées, car de nombreuses nouvellesespèces transgéniques sont désor-mais autorisées à la culture et à lacommercialisation (hors Europe) :papayer résistant à un virus, bette-rave sucrière HT, prunier HoneySweet résistant au virus de la sharka,courge, haricot résistant à un virusau Brésil, poivron résistant à un virus,aubergine Bt au Bengladesh, canneà sucre tolérante à la sécheresse enIndonésie, peuplier Bt en Chine ainsique des cultures fruitières et maraî-chères… Et on attend pour bientôtdes variétés de blé1 et de riz (lescéréales les plus cultivées de la pla-nète) génétiquement modifiées,notamment grâce aux travaux chi-nois, leaders mondiaux en géno-mique, ainsi que des bananiers enri-chis en vitamine A, eucalyptus, maniocrésistant à plusieurs virus, oranger,pois chiche, pomme de terre, pom-mier et sorgho, etc.

LES PGM ET LE RISQUE ALIMENTAIREEn matière d’alimentation, les hypo-thétiques risques qui pourraient êtreencourus sont dramatisés, alors qu’ilss’avèrent nuls en termes de santéhumaine ou animale, ce qui est attestépar un recul de vingt ans sur 2 mil-liards de consommateurs, et faibleset contournables pour l’environne-ment, même si la vigilance est derigueur. Depuis vingt ans, en plus

Depuis vingt ans, en plus des testsd’homologation très rigoureux des agencesnationales, des milliers de milliards de repasà base de PGM autorisées ont été consommésdans le monde sans révéler le moindreproblème sanitaire.

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90% de ceux qui cultivent des PGM sont des agriculteurs à faibles revenus, travaillantsur de petites exploitations familiales, et ils font vivre 65 millions de personnes.

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des tests d’homologation très rigou-reux des agences nationales, des mil-liers de milliards de repas à base dePGM autorisées ont été consommésdans le monde sans révéler le moin-dre problème sanitaire. Et c’est lamême situation chez les animauxd’élevage, dont des dizaines de mil-liards ont été nourris toute leur vieavec des PGM (la France importemassivement du soja transgénique)sans que les éleveurs ni les vétéri-naires aient mis en évidence l’ap-parition de maladies imputables àl’aliment.Mais la commercialisation est lenteen raison de la rigueur, de la lour-deur et du coût des dossiers d’ho-mologation (de l’ordre de 100 mil-lions d’euros pour un ensemble devariétés), les PGM faisant l’objetd’une stricte surveillance. Ces coûtsconsidérables sont responsables dela concentration des industriessemencières au détriment des petitesfirmes. Quant à la rigueur, on peutcomprendre à quel point elle estextrême si l’on pense que, soumisaux mêmes règles que les PGM, nom-bres d’aliments très courants neseraient pas acceptés : ni les kiwis,ni le pain, ni les arachides, ni le laitne passeraient les tests de toxicitéet d’allergénicité.

LES PGM ET LES RISQUESENVIRONNEMENTAUXLa réduction de l’usage des pesti-cides est manifeste avec les plantesBt, attestée par de nombreuses études.Cette approche permet de mainte-nir la biodiversité sauvage et de pro-téger notamment les insectes auxi-liaires, puisqu’au lieu d’être disséminéedans l’environnement, empoison-nant toute la faune alentour, la toxineest produite à l’intérieur de la planteet n’est par conséquent active quesur ses ravageurs. La transgénèsepeut permettre d’éviter la dispari-tion de certaines espèces du fait dudéveloppement de maladies (ç’a étéle cas du papayer de Hawaii ou duprunier, ravagé par la sharka, enEurope centrale).Cependant il ne faut pas oublier querésistances et contournements sontparmi les plus efficaces des moteursde l’évolution. Ainsi, la généralisa-tion des caractères tels que la tolé-rance à un herbicide ou la résistance

à des insectes appelle une vigilanceparticulière, car ils peuvent modi-fier les pratiques culturales et leséquilibres environnementaux, d’au-tant que la conduite en mono cul-ture exacerbe ces risques.Comme pour les plantes convention-nelles, l’utilisation répétée d’un seulherbicide peut conduire à l’appari-tion accélérée de mauvaises herbesrésistantes ; les insectes ravageurspeuvent, par divers mécanismes,devenir résistants à la toxine pro-duite par une plante génétiquementmodifiée avec le gène de cette toxine;l’éventuelle diffusion d’un gène derésistance à la sécheresse vers desplantes de l’environnement pour-rait modifier l’équilibre des popula-tions sauvages. Mais il est possibled’éviter les résistances par diffusiond’un avertissement pour que soientmodifiées certaines pratiques culturales (supprimer la monocul-ture, inciter à la diversification phy-topharmaceutique), ou encore parutilisation de zones refuges pourlimiter la pression de sélection surles insectes ravageurs (et éventuel-lement une solution biotechnolo-gique en équipant la plante rece-veuse de plusieurs toxines insecticidesdistinctes). Il convient de remarquerqu’une plante transgénique crééepour améliorer une propriété nutri-tionnelle est neutre en termes derisques environnementaux, de mêmeque celles rendues résistantes à desvirus pathogènes qui compromet-tent les récoltes.L’autre question relève de la poten-tielle dissémination des transgènes.Le risque de dissémination par trans-génèse horizontale (c’est-à-dire entreespèces différentes) n’est pas obser-vable à une échelle de temps humainesi ces espèces ne peuvent s’hybrider(absence de transfert constaté auxbactéries du sol ; pas de transfert

constaté aux cultures convention-nelles). En revanche, ce risque est liéà l’existence dans l’environnementd’espèces végétales apparentéesinterfertiles : c’est le cas en Europe

pour le colza et la betterave ; à l’op-posé, le maïs n’a pas de partenairedans la flore européenne, donc nepeut se croiser avec une plante sau-vage de ce continent.Comme pour l’alimentation, lesrisques environnementaux sont doncà considérer pour chaque espèce,pour chaque trait génétique, et lesdécisions sont à prendre au cas parcas.On reproche souvent aux PGM derestreindre la biodiversité cultivée.Il y a là une grave confusion entreévénement transgénique et variété.À un caractère transgénique corres-pondent de multiples variétés, carl’agriculteur demande des variétésadaptées à un contexte agroclima-tique et économique donné.L’approche PGM apporte rapide-ment des traits génétiques ayant deseffets intéressants, mais qui ne sau-raient dispenser de créer des varié-tés par sélection conventionnelle,laquelle concerne un fonds géné-tique, et pas seulement un trans-gène. Ainsi, aux États-Unis, en 2012,il y avait déjà plus de 4300 variétésde maïs transgéniques MON810.

QUI CULTIVE LES PGM ET POURQUOIL’examen de la répartition des sur-faces cultivées en PGM montre queces cultures sont largement parta-gées dans le monde entre pays indus-trialisés et pays en développement,entre agriculture familiale et sys-tèmes de grandes cultures indus-trielles. Depuis 2011, les pays émer-gents sont passés en tête des surfacescultivées en PGM (54 % en 2016). Enoutre, 90 % des agriculteurs qui lescultivent sont des agriculteurs à fai-bles revenus travaillant sur de petitesexploitations familiales, et ils fontvivre 65 millions de personnes. On

Comme pour l’alimentation, les risquesenvironnementaux sont à considérer pourchaque espèce, pour chaque trait génétique, etles décisions à prendre au cas par cas.“ “

La culture des PGM aboutit à laréduction annuelle des émissions de CO2 de23 millions de tonnes, à l’économie de prèsde 500 millions de kilogrammes de produitsphytosanitaires, à l’économie de plus de100 millions d’hectares de terres et à 68%d’augmentation moyenne des revenus desagriculteurs des pays en développement.

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Ouvrage issude la réflexiondu groupe de travail de l’Académied’agriculture de France.

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est loin de l’agriculture industriellesystématiquement associée aux PGMpar leurs opposants : la culture desPGM n’est pas liée à un modèle agri-cole unique.Les effets positifs des PGM expli-quent leur expansion. Les agricul-teurs qui adoptent les PGM ne revien-nent pas en arrière pour plusieursraisons : diminution de la pénibilitédu travail (travail sans labour), accrois-sement de la protection sanitaire(épandages réduits de produits phy-tosanitaires), stabilité accrue de laproduction et amélioration sensibledes rendements, accroissement etrégularité des revenus. Concrètement,la culture des PGM aboutit à la réduc-tion annuelle des émissions de CO2de 23 millions de tonnes, à l’écono-mie de près de 500 millions de kilo-grammes de produits phytosani-taires, à l’économie de plus de100 millions d’hectares de terres età 68 % d’augmentation moyenne desrevenus des agriculteurs des pays endéveloppement.Comparée aux autres causes de décès,la malnutrition est responsable de9 millions de morts chaque annéeselon l’OMS, soit plus que la somme

de toutes les autres causes majeuresde mortalité confondues (sida, tuber-culose, diabète, accidents de la route,paludisme). Même si la faim déclinedans le monde (taux de sous-alimen-tation en 1990 : 19 %; en 2015 : 11 %),le nombre d’êtres humains en sous-nutrition démontre que l’améliora-tion génétique des plantes, commel’intensification, est indispensableà l’alimentation humaine.Dans ces conditions, peut-on ima-giner échapper au productivisme?D’autant que l’avenir doit relever ledéfi de l’alimentation d’une popula-tion en croissance : pour nourrir unepopulation de plus de 9 milliardsd’habitants en 2050, il va être néces-saire d’augmenter la production agri-cole de 70 %, selon la FAO, sans guèreaugmenter les surfaces cultivées (etsans prendre en compte les produc-tions agricoles autres qu’alimentaires)et avec moins d’eau, moins d’engraiset moins de pesticides, dans des condi-tions de changement climatique glo-bal. Aucun moyen ne peut être écartépour relever ces défis cruciaux pourl’avenir de l’humanité.Bien que la transgénèse ne soit pasune panacée, elle mérite d’être éva-

luée dans une approche de typecoûts/bénéfices, prenant en compteles différents contextes sociaux, éco-logiques et économiques, en évitanttoute instrumentalisation idéo logique.Pour avancer dans ce débat, il estindispensable que le public puissebénéficier d’informations loyales etfiables, fondées sur l’expérience del’usage des PGM et des avancéesscientifiques, et que soient dénon-cées les contre-vérités et inexacti-tudes propagées par certains groupesde pression2. n

*JEAN-CLAUDE PERNOLLET est directeurde recherche honoraire de l’INRA et membrede l’Académie d’agriculture de France.

1. On peut s’étonner qu’une plante d’unetelle importance n’ait pas encore été l’objetde transgénèse ; c’est la complexité de songénome (c’est une plante hexaploïde) et deson étude qui a été jusqu’à présent le facteurlimitant.2. Ces réflexions sont issues d’un groupe detravail de l’Académie d’agriculture de France(rapport sur les plantes génétiquementmodifiées, 2013 : http://www.academie-agriculture.fr/academie/groupes-de-travail/plantes-genetiquement-modifiees), lesquellesont été publiées dans un ouvrage collectif :J.-Cl. Pernollet (coord.), Plantesgénétiquement modifiées, menace ou espoir ?, Quæ, 2015.

PAR HERVÉ BRAMY*,

e travail entreprispar le PCF sur lesenjeux actuels de la

biodiversité marque unengagement politique

d’importance. En effet, la biodiver-sité est essentielle à la vie de l’hu-manité, qui en est complètementdépendante à travers les servicesécosystémiques d’approvisionne-ment, de régulation, de bénéficesrécréatifs et culturels et de soutienpour assurer le bon fonctionnement

de la biosphère (grands cycles bio-géochimiques de l’eau, du carbone…).Il est donc important de bien mesu-rer la fragilité des écosystèmes, deleur dynamique interne en perpé-tuel mouvement qui assure un équi-libre général.

UN ÉTAT DES LIEUX PRÉOCCUPANTForce est de constater qu’aujourd’huiles services écosystémiques sont dansle viseur des prédateurs et des spé-culateurs capitalistes qui veulent toutmarchandiser, y compris la nature.Doit-on laisser faire le marché?

De récentes études constatent, unefois encore, de préoccupantes dégra-dations de la biodiversité. Depuisbien avant 2010, année internatio-nale de la biodiversité, les alertes desscientifiques et des acteurs de ter-rain n’ont pourtant pas manqué.Dans son dernier rapport, « Planètevivante 2016 », WWF Internationalmontre, au travers de l’indice pla-nète vivante1 (IPV), une réduction,entre 1970 et 2012, de 58 % de l’abon-dance des populations de vertébrés.Ce rapport corrobore les travaux dela Plate-forme intergouvernemen-

LA BIODIVERSITÉ : UNE QUESTION POLITIQUEEn octobre 2016, la commission Écologie du Parti communiste français a organisé le « Moisde la biodiversité » : auditions de scientifiques de renom, débats publics, exposition….L’événement se donnait pour but de sensibiliser à la nécessité de préserver la biodiversité,mais aussi de proposer des moyens d’agir.

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tale sur la biodiversité et les servicesécosystémiques (IPBES) qui ontconduit l’ONU à élaborer une conven-tion sur la diversité biologique (COB). Parmi ces menaces figurent la perteet la dégradation de l’habitat accueil-lant une espèce, la surexploitationdes espèces (on pense là, entre autres,à la pêche), les pollutions terrestreset marines, la multiplication desespèces invasives qui font concur-rence aux espèces autochtones et,enfin, les effets du changement cli-matique sur les conditions de vie dedifférentes régions.

UN RYTHME D’EXTINCTION QUI S’ACCÉLÈRELe rythme d’extinction des espècesque nous connaissons est de 100 à1000 fois supérieur au rythme desprécédentes ères géologiques2.La Fondation pour la recherche surla biodiversité a, quant à elle, attirél’attention sur une toute récenteétude, réalisée à grande échelle,publiée dans la revue Nature3. Cetimportant article, précise la fonda-tion dans un communiqué, révèleque les changements environnemen-taux associés aux activités humainesimpactent la biodiversité terrestre.Aujourd’hui, 80 % des espèces demammifères et d’oiseaux sont mena-cées par les pertes d’habitat asso-ciées à l’agriculture. Ses auteurs ontétudié les enjeux de l’accroissementde la population mondiale et de l’aug-mentation des surfaces dédiées àl’agriculture selon les pratiques

actuelles. Tenant compte de cecontexte, ils préconisent plusieurspistes pour tenter de ralentir le rythmed’extinction des espèces.Enfin, plus proche de nous, l’Unionnationale de l’apiculture française(UNAF), un des deux principaux syn-dicats d’apiculteurs hexagonaux,alerte à nouveau sur les risques d’af-

faiblissement des colonies d’abeilles.En 2016, la production de miel aaccusé une chute de 33,5 % sur l’an-née précédente. Parmi les causes,les conditions météorologiques par-ticulièrement défavorables, aux-quelles il faut ajouter d’autres fac-teurs comme un taux de mortalitéélevé dans certaines zones4. L’UNAFdénonce, à ce propos, la lenteur del’interdiction des insecticides de laclasse des néonicotinoïdes, particu-lièrement meurtriers pour tous lespollinisateurs.On ne le dira jamais assez, les insectesbutineurs contribuent à la pollini-sation de 80 % des espèces de plantesà fleurs. Une récente évaluation éco-nomique du service de pollinisationréalisée dans le cadre de l’évalua-

tion française des écosystèmes etdes services écosystémiques (EFESE)5

montre que la part de la productionvégétale destinée à l’alimentationhumaine représente en France unevaleur comprise entre 2,3 et 5,3 mil-liards d’euros (2010). Ainsi, c’estentre 5,2 % et 12 % de la valeur totalede ces productions qui dépendentdes pollinisateurs.

DONNER UN SENS À L’ACTIONPOLITIQUE DES COMMUNISTES EN FAVEUR DE LA BIODIVERSITÉLa commission nationale Écologiedu PCF n’a pas cherché à se situersur le seul terrain des constats, pasplus que sur celui de la diffusion desconnaissances, car celles-ci sont tropabondantes. Nous nous sommeslimités, lors de nos rencontres dumois d’octobre 2016 et des auditionsqui s’ensuivirent, à trois enjeux surlesquels l’action politique est sus-ceptible d’agir efficacement.1. Sur les enjeux de la marchandisa-tion capitaliste de la biodiversité laquestion était : Est-il souhaitablepour la préservation des ressourcesnaturelles d’avoir ou non une visionutilitariste, et donc capitaliste, de lanature ? Ainsi, les enjeux du breve-tage du vivant, de la survie de lavariété des semences ont été convo-qués tout au long de nos échanges.2. Nous voulions également provo-quer des débats contradictoires surdes sujets d’actualité pour mieux encomprendre les tenants et les abou-tissants.La liste des sujets de contro-verses est consistante dans cedomaine : OGM-PGM, huile de palme,pesticides, engrais… quels dangersreprésentent-ils, ou pas, pour la santéhumaine et pour la biodiversité ?3. Enfin, nous voulions évaluer lacapacité de la société à réparer lesdégâts environnementaux causéspar l’activité humaine.C’est, là encore,un sujet au cœur des projets d’amé-nagement des territoires. Est-il réel-lement possible de restaurer des éco-systèmes dégradés ? Les mesurescompensatoires sont-elles efficaces?Ce travail n’est pas abouti. Toutefoisnous en retirons déjà les premiersenseignements.Alors que répondre à la sollicitationd’un parti politique n’allait pas desoi, des scientifiques de renom etdivers instituts de recherche ont

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Les insectes butineurs contribuent à la pollinisation de 80 %des espèces de plantes à fleurs, d’où la nécessaire luttecontre l’emploi des néonicotinoïdes.

Aujourd’hui, 80 % des espèces demammifères et d’oiseaux sont menacées par lespertes d’habitat associées à l’agriculture. “ “

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BIODIVERSITÉ28 DOSSIER

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accepté facilement nos différentesinvitations. Les débats, quelle qu’enfût la forme, rencontre publique ouaudition, ont été déterminants pourune connaissance approfondie desenjeux et la confrontation des idées6.Car, comme pour le climat, les tra-vaux de la communauté scientifiqueinternationale ont permis, auprèsdes populations, des acteurs asso-ciatifs et des autorités publiques, defavoriser, constat après constat,d’alerte en avertissement, la prise deconscience des risques que l’activitéhumaine fait subir à la biodiversité.

« SAUVEGARDER LA BIODIVERSITÉ,C’EST SAUVEGARDER LA VIE ETGARANTIR NOTRE AVENIR »7

Toutefois, tous ont convenu qu’il fau-drait aller plus loin et plus vite sur lerecensement d’espèces nouvelles ouen voie de disparition, sur l’étudedes dégâts de l’économie en matièrede prélèvement de ressources natu-relles, sur les moyens à mobiliserpour arrêter l’hémorragie. Or lesmoyens de la recherche font cruel-lement défaut. Les politiques d’aus-térité produisent aussi leurs effetsdévastateurs.

Les acteurs de terrain sollicités, toutautant mobilisés, ont livré leursapproches. Pour les professionnels(apiculteurs, agriculteurs…), il s’agitde préserver, voire de sauver leursmétiers. Pour les forces vives asso-ciatives, l’urgence cruciale est defavoriser l’engagement de la sociétéet des citoyens pour la préservationde la biodiversité. C’est à cette utile et nécessaire conver-gence d’intérêts que, sans exclureles confrontations, nous nous effor-çons de travailler. L’action politiquedes communistes y trouve son uti-lité, tant sur le terrain militant quesur le plan institutionnel pour sesélus. C’est vrai des interventions deces derniers au Parlement, nationalcomme européen8, par la voix des

député(e)s et des sénateurs (-trices)9.Avec le vote de la loi biodiversitéd’août 2016, des avancées sont, mal-gré tout, bien réelles. L’Agence fran-çaise de la biodiversité est créée,certes avec des moyens humains etfinanciers bien trop limités. Les décretsparaissent. Le dernier en date enca-dre l’exploitation de la biodiversitéconformément à la signature du pro-tocole de Nagoya par la France.Toutefois, trop d’intérêts contradic-toires ralentissent la mise en œuvred’une action conséquente et efficacepour la préservation de la biodiver-sité. La domination de l’économielibérale détruit et oppose les hommesà la nature. Nous avons regretté, parexemple, de ne pas avoir invité dereprésentants de l’État, de l’indus-trie chimique et des banques lors dudébat « Sauvons les abeilles ! ». Eneffet, puisque la dangerosité de cer-tains pesticides est avérée, leur pré-sence aux côtés des agriculteurs etdes apiculteurs aurait sans nul doutesuscité beaucoup de réactions.

NOUS SOMMES ENGAGÉS DANS UNE COURSE DE VITESSEL’enjeu du devenir de la biodiver-sité, de cette dimension essentielleà la vie humaine et dont l’hommelui-même constitue un maillon, estune question politique à part entière.C’est une question trop sérieuse pourla laisser entre les mains du marché

capitaliste. En prendre toujours plusconscience est un défi que nous in -scrivons en bonne place dans notreprojet politique. Les défis éco logiques,du développement humain durableet des rapports homme-nature sontintrinsèquement liés, aussi faut-illes relever ensemble. Nous ne fer-mons pas la porte au progrès, bienau contraire, mais nous avonsconscience qu’il nous faut changerde cap dans notre manière de pro-duire, de consommer et d’urbani-ser. C’est ce chemin que nous emprun-tons avec la France en commun10. n

* HERVÉ BRAMY est responsable nationalà l’Écologie du PCF et membre du Conseilnational du PCF.

1. L’indice planète vivante de WWF mesurela biodiversité en collectant des donnéesrecueillies sur les populations de différentesespèces de vertébrés et en calculant lavariation moyenne de leur abondance au fil du temps.2. Sébastien Montcorp, directeur de l’Union internationale pour la conservationde la nature pour la France. Conférence de Nagoya, 2012.3. David Tilman, Michael Clark, David R.Williams, Kaitlin Kimmel, Stephen Polasky etCraig Packer, « Future threats to biodiversityand pathways to their prevention »(« Prédiction des menaces futures sur labiodiversité et pistes pour les réduire »), in Nature, no 546, 2017 (transcription deséléments essentiels de l’article par Jean-François Sylvain, directeur de recherche à l’IRD et président de la Fondation pour larecherche sur la biodiversité, disponible surhttps://www.nature.com/nature/journal/v546/n7656/full/nature22900.html).4. Étude publiée par France Agrimer le 2 juin 2017.5. Commissariat général au développementdurable, « Le service de pollinisation »,Théma. Analyse. Biodiversité, novembre2016.6. Toutes les vidéos de nos débats etauditions sont disponibles sur la chaîneYouTube du PCF, playlist Écologie.7. Association Humanité et biodiversité.8. Avec les députés français de la GUE-GVN(Gauche unitaire européenne-Gauche vertenordique).9. Lire à ce propos l’article d’Évelyne Didier,sénatrice CRC.10. Les communistes proposent la Franceen commun. 2017, l’Humain d’abord !, 2 €.

Les travaux de la communauté scientifique internationale ont permis, auprès des populations, des acteurs associatifs et des autorités publiques, de favoriser, constat après constat,d’alerte en avertissement, la prise de conscience des risques que l’activité humaine fait subir à la biodiversité.“ “

L’enjeu du devenir de la biodiversité estune question trop sérieuse pour la laisser entreles mains du marché capitaliste. En prendretoujours plus conscience est un défi que nousinscrivons en bonne place dans notre projetpolitique.

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Débats, expositions... le PCF organisait en octobre2016 un mois de rencontres

avec des chercheurs, desélus, des syndicalistes...

pour la biodiversité.

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BRÈVESn MENACE SUR LA QUALITÉ DES RÉCOLTES MONDIALESDes chercheurs de la faculté de santé publiquede l’université de Harvard (Massachusetts) poin-tent dans une étude que l’augmentation desconcentrations de CO2 dans l’atmosphère liée auréchauffement de la planète pourrait, à l’horizon2050, avoir une incidence négative sur la valeurnutritive des récoltes de riz et de blé – c’est queles plantes réagissent aux fluctuations du tauxde dioxyde de carbone, affectant leur croissanceet leur transpiration – avec un impact néfaste surla santé des populations dans les pays en déve-loppement. Concrètement, c’est environ 150 mil-lions de personnes de plus pourraient courir lerisque de carence en protéines en raison desconcentrations élevées de CO2. En effet, au niveaumondial, 76% de la population satisfont leursbesoins quotidiens en protéines provenant deplantes, notamment en Afrique sub-saharienne,en Inde et en Asie du Sud. Les plus exposées àces carences seraient les enfants de moins de5 ans et les femmes en âge de procréer. « Cette recherche met en lumière le besoin pourles pays les plus vulnérables de s’assurer queleur population puisse satisfaire ses besoins nutri-tifs et, ce qui est encore plus important, qu’ilsagissent pour réduire leurs émissions de CO2 etd’autres gaz à effet de serre résultant des activi-tés humaines », affirme le scientifique SamuelMyers, principal auteur de l’étude.n

n L’ÉDITION GÉNÉTIQUE, ENTRE PRÉVENTION ET EUGÉNISMEUne étude publiée le 6 septembre 2017 dans larevue Nature fait état de modifications dans desembryons humains sur des gènes porteurs d’unemaladie cardiaque héréditaire. Grâce à une tech-nique inédite d’« édition génétique », ces travaux,qui n’en sont qu’à leurs débuts, sont une premièrepiste pour le traitement des maladies génétiques,surtout à l’heure où les scandales se multiplientau sujet des pacemakers piratables à distance,avec des milliers de patients concernés. Plus glo-balement, cette technique d’intervention « enamont » sur des maladies génétiques ouvre avanttout d’autres questionnements éthiques, car unetelle « édition » permet une application directe del’eugénisme et d’améliorations physiques, théo-riquement du moins, à la demande. n

n HAYANGE : SCANDALE ENVIRONNEMENTALDébut juillet, un employé de Suez RV Osis Industrial,sous-traitant d’ArcelorMittal, révélait qu’il avaitété contraint de déverser, plusieurs fois par jour,et ce pendant un trimestre, pas moins de 28 m3

d’acide dans la zone de stockage des scories (communément appelée « crassier ») des hauts-fourneaux de Hayange.La loi oblige à livrer ces résidus toxiques à uncentre de traitement agréé, or ceux-ci ont conti-nué leur « vie » dans les cours d’eau de la région.Aux dires de l’employé, l’accès à cette zone destockage aurait été arrangée en contrepartied’« enveloppes »… et d’un maquillage des bonsde livraison, renseignant des « boues de fer » aulieu « d’acide usagé ». La direction d’ArcelorMittala nié toute responsabilité, rejetant les éventuelstorts sur des individus isolés ou encore sur sessous-traitants.La direction régionale de l’environnement, del’aménagement et du logement (DREAL) ouvertune enquête. n

Rappel constitutionnel pour l’environnement au Brésil

Le 30 août 2017, la justice brésilienne a suspendu un décret portant sur l’abro-gation du statut de réserve naturelle dont bénéficie la réserve de Renca. Ce sta-tut empêchait la prospection et l’exploitation de la zone par des entreprises.Lieu de vie de trois tribus indiennes et concentrant d’importants gisementsd’or, de fer, de cuivre ainsi que de manganèse, la réserve était dans le viseur duprésident du Brésil, le sulfureux Michel Temer.Visiblement éloigné du principe de respect constitutionnel, l’impopulaire MichelTemer – menacé de destitution en raison d’innombrables scandales de corrup-tion et sauvé par un vote de la Chambre de députés à majorité de droite – n’avait

pas jugé bon de faire précé-der ce changement de statutpar l’autorisation du Congrèsbrésilien, comme le stipule laConstitution du pays. Le pré-sident du Brésil, lié aux grandsgroupes industriels, avait tentéd’expliquer que le nouveaustatut qu’il entendait imposerà la réserve de Renca visait à« encadrer l’exploitation pouréviter les dégradations causéespar les activités minières clan-destines afin de favoriser undéveloppement durable del’Amazonie ».Sous la gouvernance du Parti

des travailleurs brésiliens, avec l’iconique Lula da Silva puis Dilma Rousseff(destituée par une coalition de la droite dure, de militaires et de politiciens telsque Michel Temer), la déforestation avait diminuée de 84 % dans la période2004-2012… avant de reprendre de plus belle. n

Prestations sociales : des atteintes aux droits des usagers

Le Défenseur des droits expose dans son rapport publié le 7 septembre 2017les limites de la lutte contre la fraude aux prestations sociales.À l’origine de ce rapport, l’augmentation depuis 2014 des réclamations d’allo-cataires, notamment auprès des délégués territoriaux du Défenseur des droits,liées « au durcissement de la lutte contre la fraude aux prestations sociales ». Desexcès et dérives ont été constatés, qui ont eu pour conséquence de nombreusesatteintes aux droits des usagers.Le rapport mentionne qu’« une rhétorique de la fraude [est] alimentée par desdiscours politiques “décomplexés” ».En 2015, selon la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, la fraude auxprestations sociales (allocations familiales, chômage, RSA…) représente 3 % dumontant total de celle détectée en 2015. Soit un montant de 677 millions d’eu-ros, pour un faible nombre d’individus. Le travail des élus communistes Alainet Éric Bocquet sur l’évasion fiscale pointait dans un rapport parlementaire de 2016 les sommes vertigineuses qui échappent à l’État à cause de l’évasionfiscale : 80 milliards d’euros annuels estimés.La notion même de fraude ne fait l’objet d’aucune définition légale. Confondantfraude et oubli, les usagers ont souvent fait les frais d’un système alimenté pardes « objectifs chiffrés de détection des fraudes imposés par l’État aux organismes »,comme le souligne le rapport.Alors que le présidente Emmanuel Macron introduit l’idée du « droit à l’erreur »pour les déclarations administratives des entreprises, on se demande si cettemansuétude ira jusqu’à concerner les bénéficiaires d’aides sociales. n

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n ZÉRO POINTÉ POUR LA POLITIQUE D’ENSEIGNEMENTSUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHEDans son dernier rapport annuel sur l’état de laFrance, le Conseil économique social et environ-nemental (CESE), souligne que « l’effort derecherche de la France n’a pas fait de progrèssignificatifs sur une longue période » (~ 2,2 %du PIB au début des années 1990). Pis, « l’ef-fort public a même régressé, passant d’environ1 % en 1992 à moins de 0,8 % aujourd’hui, tan-dis que l’effort attribué au privé a légèrement aug-menté. Ces statistiques montrent que la Francen’a pas investi à la hauteur de ses engagementseuropéens ».Le CESE pointe même la « faiblesse » des recru-tements qui entraîne « une entrée plus tardivedans les carrières et une multiplication des situa-tions de précarité (dans les EPST, on recense20 000 personnes physiques précaires et, pourle seul CNRS, environ 13000). » Du Sciences enmarche dans le texte (association de sensibili-sation aux enjeux politiques et sociétaux de larecherche et de défense de celle-ci).Dans ce rapport, le CESE enfonce même le clouen évoquant, dans une critique à peine voilée desempilements de réformes successives de l’ensei-gnement supérieur des gouvernements Sarkozyet Hollande (loi Pécresse et loi Fioraso), « la com-plexité et l’instabilité du paysage institutionnelainsi que l’accroissement des tâches administra-tives [qui ] se font au détriment des actions derecherche ». De quoi relancer le débat sur le cré-dit d’impôt recherche, d’autant plus que les aidespubliques profitent davantage aux entreprisesqu’à l’innovation et à la recherche en France. n

n REMOUS CHEZ LES PARTISANS DE L’ANTIVACCINATION

L’annonce de la miseen place d’un ensem-ble de onze vaccinsobligatoires a faitfrémir les opposantsau vaccin. Réunissantde 200 à 300 per-sonnes le dimanche10 septembre 2017à Paris, les collec-tifs antivaccins ontprotesté. Interviewéspar le Monde, cer-tains participantsestiment que leurenfant est « tropjeune pour recevoir[de tels traite-

ments] » et que « prendre en charge l’éducation[de l’enfant] s’il ne devait plus être admis à l’école »est envisageable.Une mère de trois enfants, maîtresse d’école,confiait réfléchir à « partir vivre en Allemagne »si ces onze vaccins étaient obligatoires à courtterme. C’est que l’Allemagne, notamment cer-tains quartiers berli nois, concentre de farou chesopposants aux vaccins. Et ce malgré une haussede la mortalité infantile et des infections sévères,liées à la tuberculose notamment.Le débat public sur les intérêts pharmaceutiquesmérite d’être approfondi, en démêlant méfianceet remise en cause d’intérêts privés. Le tout dansun cadre scientifique permettant un débat rai-sonné, sans croyances urbaines. n

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Le cas du Levothyrox

Le Levothyrox est à la une, mais pas pour de bonnes raisons. Ce médicament,conçu pour corriger l’hypothyroïdie (liée à l’insuffisance de production d’hor-mones par la glande thyroïde ou à son absence), offre aussi la possibilité deralentir la sécrétion d’une hormone, la TSH, qui stimule la thyroïde. Prescrit à3 millions de patients en France, dont 80 % des femmes, le médicament est aucœur de controverses.C’est le laboratoire allemand Merck, producteur du Levothyrox, qui domine cemarché en raison du caractère rare de ce produit « non substituable ». C’est lapremière des boîtes vendues sur ordonnance.Dès 2012, l’Agence nationale de sûreté du médicament avait relevé que la dosede substance active du Levothyrox, outre que la posologie est difficile à adap-ter à chaque patient, avait tendance à varier d’une boîte à l’autre ou au coursdu temps et que l’un des excipients, le lactose, pouvait entraîner des intolé-rances. Ce dernier a donc été remplacé. Le laboratoire a alors simplement informéen début d’année 2017 les professionnels de santé par un courrier. Fin mars,une nouvelle formule du Levothyrox a été mise sur le marché. Les changementsne concernent pas la molécule active mais les excipients, c’est-à-dire les subs-tances qui permettent de donner sa forme au médicament (comprimé, gélule,sirop), d’en améliorer la conservation ou d’en modifier le goût.La nouvelle formule fut introduite progressivement, et parfois sans informa-tion, puisque les médecins et pharmaciens n’avaient pas tous lu attentivementla lettre du laboratoire. Mais des milliers de témoignages de patients sont appa-rus progressivement sur le Net et dans les médias, relatant des effets secondairessévères (crampes, vertiges, pertes de mémoire, fatigue extrême, insomnies, désordres digestifs…). Au-delà du fait que l’identification de l’origine des mauxdont souffraient les patients a pris du temps et a été source de diagnostics préliminaires alarmistes, c’est bien la méthode qui pose in fine le problème del’industrie pharmaceutique peu soucieuse d’une modification des composéschimiques de ses médicaments. n

Le combat de deux anciens de Google

Liée au big data, quelle est la précieuse denrée recherchée par l’ensemble desgéants du Web? Il s’agit du temps, dont chacun avoue ou peste à propos de sonmanque.Tristan Harris et James Williams sont deux anciens employés de Google qui cher-chent à éveiller les consommateurs, à leur faire prendre conscience que nouspossédons cette richesse. Richesse souvent dilapidée à grand renfort de com-mentaire sans fin ou de suites de vidéos sans intérêt sur les réseaux sociaux,plates-formes de presse…Leur association, Time Well Spent (« Du temps bien utilisé ») vise à lutter contreles plates-formes technologiques qui capturent littéralement les esprits et lesintérêts collectifs au profit d’un étalage d’ego et de postures sur le Web. Rien deneuf à première vue, mais la prise de conscience est facilitée par une pédagogiequi met en évidence les ruses techniques employées par les géants du Web: vidéosqui se déclenchent automatiquement, notifications continues, sons, applica-tions censées améliorer l’usage mais qui aliènent chaque fois un peu plus.Au-delà de cet éveil, les deux anciens de Google affirment que la réponse « n’estpas d’abandonner [les technologies]. La réponse est de changer l’industrie destechnologies pour qu’elle prenne en compte nos intérêts ». Si l’on compare l’« éco-nomie de l’attention » actuelle à une mégapole, disent-ils, on a « une ville trèspolluée, avec beaucoup d’accidents ». Il s’agit alors, pour filer la métaphore, dene pas tomber dans le piège de dire à ses habitants de tout abandonner mais dese saisir de l’aménagement de la ville. Un brin utopique, cette association a lemérite de rappeler que nous nous laissons souvent voler ce qui nous est le plusprécieux. Et ce avec notre complicité.Le temps, cette notion qui du propre aveu du philosophe Karl Marx, l’avait pousséavec ténacité à s’intéresser au fonctionnement de l’économie, effaré par le « tempsvolé » à l’individu dans le fonctionnement capitaliste. n

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n MOINS D’ENFANTS POUR L’ENVIRONNEMENT?Réduire son empreinte carbone, voilà une bonnerésolution. Pour Seth Wynes, de l’université deLund (Suède), « il y a quatre actions qui peuventréduire de façon importante l’empreinte carboneindividuelle : un régime alimentaire végétarien,éviter de voyager par avion, ne pas avoir de voi-ture et faire moins d’enfants ».Et pour aller plus loin dans le calcul au boulierd’une écologie punitive, car dans cette étudetrès sérieuse les leviers d’action sont on ne peutplus limpides, le quatrième conseil est étayé :puisque, par exemple, un enfant de moins revientà diminuer les émissions de CO2 de 58,6 t paran, si aux États-Unis une famille choisit d’avoirun enfant en moins, elle contribue au mêmeniveau de réduction des émissions de CO2 que684 adolescents qui décideraient de recyclersystématiquement leurs déchets pendant le res-tant de leur vie.Sinon, cette même famille peut faire pression pourque leur président rejoigne l’accord de Paris, laCOP21, qu’il l’enrichisse à la hauteur des vraisenjeux, qu’il finance l’Agence américaine de pro-tection de l’environnement, la recherche… n

n DIESEL/NUCLÉAIRE : ANNONCESET ORDRES DE GRANDEURSL’annonce est assez floue pour être relevée : leministre de la Transition écologique Nicolas Hulotaffiche sa volonté de fermer « peut-être jusqu’àdix-sept réacteurs nucléaires » pour être dans lesclous des 50 % de la part de l’atome dans la pro-duction d’électricité française d’ici à 2050.Cette prise de position, qui par son manque derigueur ressemble davantage à une prise de tem-pérature auprès de ses collègues du gouverne-ment qu’à un objectif clair, va de pair avec l’en-gagement d’une interdiction de l’usage des énergiescarbone à l’horizon 2040 pour les véhicules.Alors que constructeurs et pouvoirs publics affi-chent un intérêt de plus en plus grand pour les

véhicules électriques, il est utile de rappeler quela voiture électrique française est une voiturenucléaire… qui consomme des métaux rarescomme le lithium pour ses batteries. Le journall’Opinion relève ainsi que « faire rouler 5 millionsde véhicules électriques ou hybrides 35 km parjour en moyenne représente la production d’unEPR ». Dès lors, en se fondant sur les scénariosde RTE, les 38 millions de voitures circulantaujourd’hui consomment la production de sept cen-trales Flamanville.Au-delà même de ces annonces politiques, laréalité technique et la faisabilité scientifique detelles mesures sont à mettre en perspective. Enmatière de mobilité, le partage de la voiture etune accessibilité renforcée aux transports collec-tifs sont des leviers puissants d’une transition desmodes de déplacements. n

Égalité femmes-hommes et réforme du Code du travail

Une cinquantaine d’organisations féministes, de partis politiques de gauche etde syndicats dénoncent ensemble le projet de réforme du Code du travail. « Cetexte apparemment neutre a en réalité des conséquences particulières pour lesfemmes », pose la tribune collective.Pour Sophie Binet, dirigeante CGT en chargede l’égalité femmes-hommes, le manque de concertation en amont entre lesecrétariat d’État et les acteurs sociaux est criant. Une fois les ordonnancesapprouvées, l’exercice du droit à l’expertise de l’égalité entre les femmes et leshommes – instauré en 2015 pour aider les élus du personnel et les syndicats àidentifier les sources des inégalités – sera cofinancé par les comités d’entre-prise, alors que le financement de ce « radar » du droit des femmes incombaitjusque-là à l’employeur. Dès lors, les sujets économiques favoris des comitésd’entreprise (expertises, compétitivité…) primeront sans doute sur l’enjeu prégnant de l’égalité entre les femmes et les hommes.La loi Roudy (1983) impose une négociation annuelle sur égalité profession-nelle et la qualité de vie au travail, et oblige l’entreprise à fournir des donnéesaux salariés sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.En cas de non-respect de cette loi, il n’y aura désormais plus de sanctions.Dans la droite ligne des ordonnances, il est prévu qu’un accord d’entreprise, etnon plus de branche, permette aux employeurs « de passer d’une négociationannuelle à une négociation quadriennale » et de « choisir les données sur l’éga-lité à transmettre ou non ». Les négociations des temps partiels – il concerne80 % des femmes – entrent dans ce cadre. Autre illustration, la disparition desCHSCT, qui permettent de prévenir les violences sexuelles au travail : 20 % desfemmes déclarent avoir subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Cechamp de vigilance sort du cadre d’intervention d’instances représentativesdes salariés. Lors de la première réunion du Conseil supérieur de l’égalité pro-fessionnelle entre les hommes et les femmes de l’année, les syndicats, à l’ex-ception de la CFTC, ont voté contre ces ordonnances. À l’inverse, les organisa-tions patronales ont donné un avis favorable. La secrétaire d’État MarlèneSchiappa a expliqué, sans répondre sur le fond, qu’elle ne voyait pas de pro-blème dans les points soulevés par le front politique, syndical et associatif. n

Antarctique, une vie sous la glace?

En date du 8 septembre 2017, des chercheurs australiens affirment qu’un « mondemystérieux d’animaux et de plantes pourrait exister dans des grottes creusées parl’activité volcanique sous les glaciers de l’Antarctique ». Avec à la clé des espècesinconnues. Derrière cette annonce, c’est la découverte de grottes creusées parla chaleur libérée par les volcans et éclairées par la lumière du jour filtrée au

travers de la glace qui amè-nent les scientifiques à detelles conclusions.Avec une température de25 °C, un écosystème pro-pre s’est développé dans lesecteur du mont Erebus, levolcan actif le plus australdu monde, situé sur l’île deRoss. Pour la chercheuseCeridwen Fraser, l’analysed’échantillons de sol préle-vés dans les grottes a révélé

d’étranges traces d’ADN originaires d’algues, de mousses ainsi que de petitsanimaux. Certaines séquences ADN n’ont pu être identifiées. La scientifique adéclaré, après avoir souligné les perspectives qu’ouvraient ces découvertes :« […] je ne pense pas que personne ait vraiment regardé. Il est donc possible qu’ily ait une vie sous la glace que nous n’avons pas vue. » n

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PAR TAYLAN COSKUN*,

n réaction à l’article surle jeu d’échecs que j’avaisproposé dans le no 13 de

Progressistes, des lecteurs atten-tifs et bien informés m’ont signi-fié que les joueurs humains nepouvaient plus rien faire faceaux ordinateurs. Ils soutiennentque les algorithmes utilisés parles machines sont d’une puis-sance telle qu’elles peuvent bat-tre les meilleurs joueurs dumonde.J’ai donc conçu le présent texteet son argumentation un peualambiquée pour essayer deprendre la défense de la penséehumaine contre cette offensivealgorithmique.

UNE GÉNÉRATIONBIBERONNÉE À L’ORDINATEURLe 30 novembre 2016, leNorvégien Magnus Karlsen aréussi à garder son titre de cham-pion du monde face au RusseSergey Karjakine à l’issue d’unmatch de 15 parties qui s’est dis-puté à New York.Ce match a été fortement criti-qué. Les parties, dont la majo-rité s’est soldée par un résultatnul, furent jugées un peu ternespar les spectateurs spécialisteset amateurs. D’ores et déjà despropositions s’expriment pourchanger la réglementation deschampionnats du monde afinde rendre le jeu plus attrayantet spectaculaire.En fait, les deux jeunes cham-pions – vingt-six ans chacun lorsdu match – appartiennent à unegénération de joueurs issus dela période où les ordinateurs ont

pris le dessus sur les joueurshumains. Tous deux avaient sixans quand le champion dumonde Garry Kasparov a perducontre un ordinateur, Deep Blued’IBM. C’était une première !Le même Garry Kasparov disait,à la veille de la bataille qui, en2016, a opposé Lee Sedol, lechampion du monde de go, àun ordinateur : « Aujourd’hui,n’importe quel programmed’échecs gratuit sur ordinateurest capable de battre Deep Blueet tous les grands maîtres d’échecs.Il aura fallu à peine une dizained’années pour que des machinesjoueuses d’échecs faibles et pré-visibles deviennent effroyable-ment puissantes. Ce n’est qu’unequestion de temps avant que lamachine ne s’impose au go. » Ilaura été prophète de malheurà bon compte. La machine l’aemporté contre l’humain dansle jeu de go aussi, même sil’homme a pu aussi la battre àson tour. Comme aux échecs :la machine est capable de bat-tre les grands maîtres, mais ilarrive aussi que de grands maî-tres battent les machines.Kasparov l’a fait.

DES ALGORITHMES ET DES HOMMESÉvidemment, des machines quine connaissent ni la fatigue nila tension psychologique, quitrouvent avec une grande régu-larité de bons coups sinon lesmeilleurs et qui ne commettentpas d’erreur de calcul à court etmoyen terme sont de terriblesadversaires. C’est entendu. Celadit, un ordinateur ne joue pasau sens strict du mot. Il ne prendpas de plaisir esthétique au jeu.

Il ne se met pas en colère ni nese réjouit. Il calcule sans s’émou-voir. Il essaie de résoudre parune suite de calculs les pro-blèmes qui se posent. C’est làqu’interviennent – je ne saiscomment – les algorithmes.Je propose une hypothèse quiservira ma démonstration : cequi est commun à la façonhumaine de jouer aux échecs età la façon algorithmique de cal-culer c’est leur objectif, à savoirla résolution de problèmes. Cequi les distingue, c’est la manièrede s’acquitter de cette tâche.

Pour y voir un peu plus clair, jevous propose une petite réflexionà partir de Toute vie est résolu-tion de problèmes,un recueil deconférences de l’excellent épis-témologue Karl Popper. Danscet ouvrage, Popper définit unschéma de la résolution de toutproblème et le pose sous formede trois étapes comme suit :1.Le problème – « un problèmesurgit lorsqu’une perturbationquelconque se produit ». Surl’échiquier, la confrontation desdeux armées crée des zones deconflit, des perturbations entreles forces en présence par unerupture de leur équilibre.2. Les essais de solutions – « àsavoir les tentatives pour résou-dre le problème ». C’est l’élabo-ration des hypothèses. Au jeu

d’échecs, on imagine des coups« candidats » susceptibles deconvenir à la situation.3. L’élimination – « la suppres-sion des essais de solutions infruc-tueux ». Aux échecs, on calculeles conséquences de nos coupscandidats pour essayer de lesréfuter un par un, en nous met-tant à la place de l’adversaire eten cherchant ses meilleuresréponses à nos plans. Ainsi, onélimine les mauvais coups et onpeut faire un choix entre lesoptions qui restent.

Les ordinateurs aussi proposentdes coups candidats possiblesen réaction aux possibilités ad -verses. Ils peuvent analyser enprofondeur plusieurs séquencesde dizaines de coups. En fonc-

tion de l’évaluation des forcesen présence, ils proposent unemyriade de coups, dont certainséchappent à l’œil et à la penséehumaine. En cela, les ordina-teurs sont infiniment plus puis-sants que l’homme. On obtientainsi des parties un peu ternesmais redoutablement efficaces.D’ailleurs, depuis une décennie,on ne rencontre que très rare-ment des parties officielles entrehumains et ordinateurs, car lesaffrontements tournent à l’avan-tage des derniers.Pour résoudre le problème, c’est-à-dire la situation de perturba-tion qui se crée dans le rapportdes forces entre les deux camps,les ordinateurs proposent prin-cipalement des coups visant à endissoudre les causes et à en sta-

Un ordinateur ne joue pas au sens strict du mot. Il ne prend pas de plaisir esthétique au jeu. Il ne se metpas en colère ni ne se réjouit. Il calcule sans s’émouvoir. Il essaie de résoudre par une suite de calculs les problèmes qui se posent.

n ÉCHECS

SCIENCE ET TECHNOLOGIE32

Face aux ordinateurs, le cerveau humain semble dépassédans des domaines où pourtant l’intelligence humaine estdéterminante. Le jeu d’échecs semble l’illustrer, mais qu’en est-il réellement ?

La pensée humaine peut-elle encore rivaliser avec les machines ?

E

« Agir en primitif et prévoir en stratège. » René Char, les Feuillets d’Hypnos

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017 Progressistes

biliser les effets à leur avantage.Une des différences d’appré-ciation entre l’approche humaineet l’approche algorithmique sesitue justement à ce niveau :celui de l’élaboration des essaisde solution. En général, une per-turbation peut être résolue detrois manières: en la détruisant,en l’évitant ou en la surmon-tant par une perturbation plusgrande.Aux échecs, par exemple, faceà une menace adverse on peut

décider soit de la combattrepour la supprimer, soit de la fuirou de l’éviter, soit encore decréer une menace plus grandeencore pour empêcher l’exécu-tion du plan de l’adversaire.

Ce qui est proprement humainc’est la capacité de passer del’un à l’autre de ces trois typesde solutions et l’utilisation pri-vilégiée du troisième type desolutions, qui cherche à créerdu désordre pour surmonterune perturbation. Elle impliqueune pensée qui ne calcule passeulement d’un coup à l’autremais s’appuie sur des schémaslui permettant de voir en unéclair les conséquences très éloi-gnées d’une décision. Les ordi-nateurs ordonnent ; la penséehumaine peut jouer de l’ordreaussi bien que du désordre pourrésoudre une situation de pro-blème. C’est ce que certainsthéoriciens du jeu d’échecsappellent « pensée stratégiquede jeu dynamique ». Elle estaujourd’hui un des atouts de lapensée humaine. Et paradoxa-lement elle se développe dansla confrontation avec les ordi-nateurs. Elle est aussi briméepour la même raison; il est eneffet extrêmement difficile defaire jouer l’imagination désor-ganisatrice face à la puissancede calcul brutale des machines.

Les risques pris par la penséehumaine sont impitoyablementpunis par les machines à la moin-dre imprécision.Le jeu des deux champions quenous avons évoqués est forte-ment influencé par le fait qu’ilsont comme principal outil d’en-traînement les ordinateurs avecdes programmes très perfor-mants. Leur jeu comporte peud’erreurs tactiques. Ils propo-sent des schémas stratégiquestrès complexes dont il est extrê-

mement difficile d’apprécier laprofondeur. Leur créativité semontre pleinement dans desparties rapides, où les petiteserreurs de calcul peuvent êtrecontrebalancées par la pressionque le temps exerce sur les deuxjoueurs. En partie de plus longuedurée, ils essaient d’éviter leserreurs de calcul et leur créati-vité peut se trouver bridée carils consacrent leurs capacités àcalculer plutôt qu’à élaborerpleinement des stratégies dyna-miques et créatrices à long terme.

UNE COOPÉRATION POSSIBLEEn conclusion, je prends le risqueproprement humain de faireune proposition de paix entremachines et humains. Pourquoine pas imaginer à l’avenir l’af-frontement de grands maîtresassistés d’ordinateurs puissantsdans les championnats dumonde ? Ce qui libérerait leshumains de la tâche ingrate decalculer sans faille sur de longuesséries de coups. Ils pourraientse concentrer sur les décisionsstratégiques créatrices. Je gagequ’on assisterait alors à des com-bats d’une grande intensité alliantle meilleur du cerveau humainet la puissance de calcul sanségale des algorithmes. Cela impliquerait que les humainsrévolutionnent leur approchedu jeu. Mais il faudrait certaine-

ment penser aussi autrementles programmes informatiquesen fonction de ce nouvel usage.Comme le dit le grand maîtreroumain Mihai Suba dans sonsavoureux livre Dynamic ChessStrategy, c’est une possibilitétout à fait envisageable. En effet,personne ne s’offusque de lacoopération homme-machinedans d’autres sports : cyclisme,formule1, ski nautique ou encoresaut en parachute (où cette coo-pération devient même vitale).Il y a eu une expérimentationdans ce sens : Garry Kasparov aaffronté Veselin Topolov en 1998dans un match où les deuxjoueurs étaient assistés d’ordi-nateurs. Un des enseignementsde cette expérience c’est quesous la pression du temps lesjoueurs n’ont pas le temps deconsulter les ordinateurs versla fin de partie. Il serait évidem-ment intéressant de multiplierces tentatives pour faire émer-ger le jeu d’échecs d’avenir, ceque l’on a appelé à l’occasionde ce match « les échecs depointe » ou « advanced chess ».Les algorithmes sont partout,et les jeux de stratégie, commeles échecs, ont été les premierslaboratoires de leur développe-ment actuel. Ils rendent au quo-tidien des services qui étaientnaguère inimaginables.Cependant, leur destination etleur structuration même pré-parent pour l’humanité un ave-nir aussi terne que ces partiesd’échecs d’une efficacitéennuyeuse… à moins que la rai-son créatrice humaine avec sonorganisation désorganisatricene s’en mêle avec le désir de fairereculer ses propres frontières.En attendant cet avenir radieuxde l’entente cordiale et fructueuseentre nous et nos créatures élec-troniques, je vous propose deuxproblèmes issus du match desdeux champions humains. Nous,qui ne sommes ni des machinesni des grands maîtres, nous pou-vons simplement prendre plai-sir à les résoudre. n

*TAYLAN COSKUN, membre ducomité de rédaction de Progressistes.

Une des différences d’appréciation entre l’approchehumaine et l’approche algorithmique se situe justement à ce niveau : celui de l’élaboration des essais de solution.

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LE COUP QUI A COURONNÉLE CHAMPION DU MONDETrouvez-le et montrez que vous auriezpu mériter le titre de champion du monde.Magnus Carlsen/Sergey Karjakine, partie 15.

Les Blancs jouent et gagnent

SOLUTION :1. Dh6+, abandon.

Car si 1. … - R×Dh6, alors2. Th8 échec et mat ;et si 1. … - g7×Dh62. T×f7 échec et mat.

COMMENT BATTRE LE CHAMPION DU MONDE ?Voici la position finale de la seule partiegagnée par Karjakin lors de ce match.Trouvez son coup gagnant, et surtoutl’idée de mat qui suivra plus tard.Magnus Carlsen/Sergey Karjakine, partie 8.

Les Noirs jouent et gagnent

SOLUTION :Pensons comme un humain : si le Cavalierest sur la case g4 et la Dame sur la caseh2, le Roi sur la case h3 serait mat. Pourcela il faut d’abord éloigner la Dameblanche de la proximité du Roi noir. D’où :

1. a2 - D×a22. Cg4+ - Rh33. Dg1 - Ff34. Cf2+ - D×Cf2 (La seule façon d’évi-ter le mat est de donner la Dame.)

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

PAR GILLES COHEN-TANNOUDJI*,

LA CRÉATION DU CERNAprès la décou-verte du boson de Higgs, Michel

Spiro et moi-même avons écritun ouvrage intitulé le Boson etle chapeau mexicain, où noussommes revenus sur l’histoirede la création du CERN, le labo-ratoire européen de rechercheen physique des particules oùs’est faite cette découverte.

À la fin de la Seconde Guerremondiale, fin accélérée par l’uti-lisation de l’arme nucléaire,l’Europe de la science avait étécomplètement décimée, pourne pas dire anéantie. Dès lors,la question s’était posée de laremettre à niveau, en particu-lier dans le domaine du nucléaire.Et c’est ainsi que, à l’initiativede quelques scientifiques de trèshaut niveau et de quelqueshommes politiques particuliè-rement clairvoyants, s’est crééun Centre européen de recherchenucléaire, le CERN, qui s’estdonné pour objectif de refon-der une science européennecapable de maîtriser les appli-cations de cette nouvelle éner-gie. Il est assez rapidement apparuqu’il était préférable pour un telcentre de recherche de mettre

de côté les applications indus-trielles ou militaires de l’éner-gie nucléaire et d’en concentrerles efforts plutôt sur la recherchefondamentale ou recherche aca-démique donnant lieu à despublications ouvertes à tous.C’est ainsi que s’est mise enplace une organisation de coo-pération scientifique interna-tionale fonctionnant sur unmode totalement original. Àpartir d’un financement garantipar un traité international, desscientifiques rassemblés dans

cette organisation pouvaientdévelopper leurs recherches encoopération, en toute liberté,car il ne devaient effectuer leursrecherches que dans la mesureoù leurs résultats seraient inté-gralement publiés, et commele financement était garanti,étant entendu qu’ils devaienten permanence respecter lebudget qui leur était alloué, ilsont pu anticiper avec une trèsgrande efficacité les dévelop-pements et les recherches quiétaient nécessaires, et mêmelancer des programmes qui quel-quefois pouvaient s’étaler surplusieurs années.Très rapidement ce système s’estrévélé d’une extraordinaire effi-cacité, puisqu’à peine dix ansaprès sa fondation cet orga-nisme avait atteint un niveau

mises en œuvre au CERN ontpermis de relever le défi de lacoopération scientifique inter-nationale.Quand s’instaure une collabo-ration ouverte à toutes leséquipes qui, de par le monde,sont jugées capables de contri-buer efficacement à telle ou tellepartie de l’installation envisa-gée, il est demandé à toutes leséquipes dont la coopération aété acceptée et reconnue des’intégrer à la collaboration enrespectant un principe de fonc-

n RECHERCHE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE34

d’efficacité comparable à celuiatteint par ceux des autresgrandes puissances scientifiquesdu domaine, à savoir les États-Unis d’Amérique ou l’Unionsoviétique.

RELEVER LE DÉFI DE LACOOPÉRATION SCIENTIFIQUEINTERNATIONALELes défis posés par les expé-riences dans le domaine de laphysique des particules élé-mentaires sont particulièrementélevés; y répondre nécessite desinstallations impliquant de trèsnombreuses technologies qu’ils’agit d’intégrer au sein de sys-tèmes d’une extrême complexité,et qu’un seul pays n’a pas lesmoyens matériels ou humainsde développer. Il faut donc faireappel à la coopération interna-tionale, une coopération quisuppose de faire travailler ensem-ble des personnes venant depays de langues et de culturestrès différentes, et d’avance-ments technologiques très dif-férents aussi, et c’est là que laméthodologie et la gouvernance

À partir d’un financement garanti par un traitéinternational, des scientifiques rassemblés dans cetteorganisation pouvaient développer leurs recherches en coopération, en toute liberté.

Le CERN, ce modèle de la « coopétition »«De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » (Critique du pro-gramme de Gotha, Karl Marx), « Sur la vérité physique / J’écris ton nom » (Liberté, PaulÉluard)… Ces deux citations conjuguent les principes qui président au fonctionne-ment d’un organisme qui, de la reconstruction d’un outil de recherche scientifiqueau défi que pose à l’humanité le réchauffement climatique, reste exemplaire.

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tionnement qui n’est pas sansrappeler celui de la Critique duprogramme de Gotha: « De cha-cun selon ses moyens, à chacunselon ses besoins. » Qu’est-ceque cela peut bien vouloir diredans le cas d’une coopérationscientifique? Une petite équipevenant du fin fond de l’Afrique

ou de l’Asie, de quatre ou cinqscientifiques, peut selon sesmoyens, apporter quelque choseà la collaboration, mais, dès lorsque son apport est reconnu parla communauté scientifiqueque constitue l’ensemble de lacollaboration, cette équipe estadmise de plein droit au seinde la collaboration, et elle y aaccès, à égalité avec les équipesdes grandes université nord-américaines ou européennes,à tout ce dont elle a besoin entermes de supports technique,administratif ou informatiquepour tenir à part entière sa placeau sein de la collaboration. Etc’est ainsi qu’au fil des ans leCERN s’est hissé au premierrang mondial des laboratoiresde physique des particules, etqu’il a remporté le succès quel’on sait avec la découverte, en2012, du boson de Higgs.

objectif commun. Et ça marche!Ce type de comportement commun, de méthodologie commune, a été adopté dans d’autres collaborations scien-tifiques, dans le domaine duspatial ou de la climatologie,par exemple, et là aussi la coo-pétition se révèle remarquable-ment efficace.On peut se demander si cettecoopétition ne serait pas la bien-venue, dans l’Union européennepour répondre aux défis de notremonde. Considérons, par exem-ple le « Manifeste pour décar-boner l’Europe »1 d’ici à 2050.Ce projet répondrait à l’objec-tif affiché lors de la COP21d’aboutir, au moins en Europe,en 2050, à des émissions de gazà effet de serre aussi prochesque possible de zéro. Il com-porte « 9 propositions pour quel’Europe change d’ère» : « Fermertoutes centrales à charbon, géné-raliser la voiture à moins de2 L/100 km, réussir la révolutiondu transport en ville, relier lesgrandes métropoles par des trainsà grande vitesse (tripler le réseau),inventer l’industrie lourde post-carbone, rénover les logementsanciens, lancer le grand chan-tier de rénovation des bâtimentspublics, développer la séques-tration de carbone par les forêtseuropéennes, réussir le passageà l’agriculture durable. » Il s’agi-rait d’un plan d’investissement

financiers de plusieurs centainesde milliards d’euros, et de mobi-lisation d’une véritable inter-nationale de la science fédérantdes centaines de milliers descientifiques formés à et par larecherche et qui pourrait sedoter d’une organisation ana-logue au CERN. Pour la mise en œuvre de la pre-mière proposition, les promo-teurs du projet ont comparéquatre scénarios conduisant auremplacement de les toutes lescentrales à charbon d’Europe :« – Scénario A (1300 Md€) l’en-semble des centrales à charbonde l’Union européenne est rem-placé par des énergies renouve-lables.– Scénario B (800 Md€) les paysqui y sont favorables rempla-cent leurs centrales à charbonpar des centrales nucléaires, lesautres déploient une solution100 % renouvelables.– Scénario C (700 Md€) les paysqui y sont favorables rempla-cent les centrales à charbon pardes centrales nucléaires, les autrespar un mix de renouvelables etde gaz naturel.– Scénario D (400 Md€) l’ensem-ble des centrales à charbon del’Union européenne est remplacépar des centrales nucléaires. »Ils notent d’ailleurs que « Lesscénarios A, B et C n’intègrentpas le coût de la gestion de l’in-termittence de l’éolien et du solaire,ni celui de leur adaptation auréseau. Difficiles à estimer, cescoûts sont importants, et pour-raient accroître très significati-vement les montants d’investis-sement totaux de ces scénarios ».Cette étude montre de manièreincontestable que le recours aunucléaire est incontournable sil’on veut sortir du fossile. Il s’agitlà d’une vérité physique, surlaquelle, n’en déplaise àl’Allemagne et à MM. Hamon,Jadot et Mélenchon, on peutécrire le nom de la liberté. n

*GILLES COHEN-TANNOUDJI estphysicien, chercheur émérite aulaboratoire des recherches sur lessciences de la matière (LARSIM).

1. http://decarbonizeurope.org/

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LA «COOPÉTITION» POUR RÉPONDRE AUCHANGEMENT CLIMATIQUEAvec Michel Spiro nous avonsforgé un néologisme pour carac-tériser cette méthodologie dela collaboration, la coopétition,un mot-valise qui rassemble lesnotions de coopération et de

compétition. En réalité, dans lacoopétition, plutôt que de com-pétition, il conviendrait de seréférer à la notion d’émulation,pour affirmer le rejet de touteidée de concurrence. À l’inté-rieur de chaque collaboration,il y a bien une certaine compé-tition entre les différentes équipesen charge de telle ou telle par-tie de l’installation, mais en leursein l’idée prévaut de se concen-trer sur l’objectif commun, etdonc de coopérer. Au sein del’organisme même et dans lecadre d’un grand programmeexpérimental, il est possiblequ’il y ait deux expériences encompétition, travaillant avec lamême installation mais de façonindépendante, le but étant depouvoir corroborer leurs résul-tats ; il y a donc une certainecompétition entre elles, mais ily a aussi la coopération comme

Au fil des ans, le CERN s’est hissé au premier rangmondial des laboratoires de physique des particules.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

n ÉDUCATION

SCIENCE ET TECHNOLOGIE36

PAR ALAIN TOURNEBISE*,

e 21 juin 2017, EmmanuelMacron et son Premierministre, Édouard Phi -

lippe, ont nommé FrançoiseNyssen ministre de la Culture.Beaucoup se sont félicités decette décision, la dame étant ladirectrice des mythiques édi-tions Actes Sud, découvreurs etéditeurs en France d’auteursprestigieux tels Nina Berberova,Stieg Larsson ou le prix NobelSvetlana Alexievitch.Mais cette désignation a ausside quoi surprendre. Car si enmatière de littérature la minis-tre a une compétence et untalent indiscutables, sa relationà l’approche scientifique a toutpour inquiéter, notamment tousceux qui, comme notre revue,sont attachés au développe-ment de cette composante essen-tielle de la culture que consti-tuent les sciences et lestechniques. Car FrançoiseNyssen, ce n’est pas seulementla maison d’éditions Actes Sud,c’est aussi la fondatrice de l’écoleprivée Domaine du possible,qu’elle a créée en 2015 à Arles

pour « s’appuyer sur la curiositéet la joie d’apprendre plutôt quesur la contrainte ». Un projetqui pourrait séduire largement

s’il ne cachait des conceptionsmoins avouables. Car l’école duDomaine du possible est uneécole qui applique la pédago-gie Steiner-Waldorf et la doc-trine anthroposophique.

DERRIÈRE UNE NOMMINATIONOn pourrait déjà s’étonner quesoit nommée ministre de laRépublique – et, qui plus est,ministre de la Culture – une

personne qui dans sa pratiquemême combat l’école de laRépublique. Dans un entre-tien publié par la revue de la

Société anthroposophique,Jean-Paul Capitani, cofonda-teur de l’école Domaine dupossible avec son épouseFrançoise Nyssen, s’exprimeainsi à propos de l’Éducationnationale : « Je pense qu’il y aun système qui s’est mis en place,qui est prédateur. J’en suis inti-mement convaincu par monexpérience, l’expérience de mesenfants et même déjà celle demes petits-enfants. D’une cer-taine manière, on ne respectepas les enfants… Nos enfantssont considérés comme desobjets, des marchés qu’on

exploite. C’est comme unematière première… Les enfantssont le plus grand marché actuel.Lorsque les conseils générauxsont très fiers d’offrir des ordi-nateurs aux enfants, c’est sim-plement parce que quelqu’una flanché devant la proposi-tion commerciale d’un vendeurd’informatique.1 »Un tel mépris pour l’action desstructures publiques d’éduca-tion autorise à s’interroger surl’aptitude de Mme Nyssen àconduire la politique culturellede la France au cours des pro-chaines années. Ce conflit d’in-

Le charlatanisme à la Culture ?Si la nouvelle ministre de la Culture du gouvernement français, Françoise Nyssen, est éditrice, elle est également la fondatrice d’une école à la pédagogie et à ladoctrine plus que controversées, notamment dans leur rapports avec la discipline et la méthode scientifique.

L

Françoise Nyssen, ministre de la Culture

du gouvernement Macron-Philippe.

On retrouve dans la société anthroposophique toutes les caractéristiques des sectes, un gourou vénéré, une théorie pseudo-scientifique fumeuse etcharlatanesque, un réseau tentaculaire mondial touchantà de multiples activités, des structures de financementet, enfin, une opacité totale pour masquer à l’opinion la réalité de ses activités et de ses conceptions.

Rudolf Steiner, théoricien de l’anthroposophie.

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térêts, pourtant évident, a lar-gement échappé à la penséecomplexe de « Jupiter ». Mais ily a plus grave.

UNE SECTE…La doctrine anthroposophique,sur laquelle se fonde la péda-gogie Steiner-Waldorf, a fait l’ob-jet d’une enquête parlemen-taire en 1999, d’un rapport dela mission interministérielle delutte contre les sectes en 2000,et c’est l’un des sujets traitéspar un rapport de la Miviludes(mission interministérielle devigilance et de lutte contre lesdérives sectaires) en 2013-2014.On retrouve dans la sociétéanthroposophique toutes lescaractéristiques des sectes tellesque la scientologie, Raël ouMoon : un gourou vénéré, RudolfSteiner, une théorie pseudo-scientifique fumeuse et char-latanesque, un réseau tentacu-laire mondial touchant à demultiples activités (enseigne-ment, médecine, pharmacie,agriculture, etc.), des structuresde financement et, enfin, uneopacité totale pour masquer àl’opinion la réalité de ses acti-vités et de ses conceptions.Exemple d’opacité : sur le sitedu Domaine du possible, commesur le site de la Fédération desécoles Steiner-Waldorf, on neparle pas ouvertement des liensentre la pédagogie Steiner-Waldorf et la doctrine anthro-posophique, et le nom de RudolfSteiner n’est mentionné qu’unefois, comme celui du concep-teur d’une pédagogie parmid’autres. Désormais, FrancoiseNyssen ne parle plus d’anthro-posophie, mais de « spiritualitélaïque ». Mais, pour se persua-der de la réalité des liens avecl’anthroposophie, il suffit desavoir que le directeur de l’éta-blissement est Henri Dahan,dont l’épouse, Praxède Dahan,est membre du comité direc-teur de la Société anthroposo-phique en France. Le Domainedu possible, comme toutes lesécoles Steiner-Waldorf, préfèrese présenter comme une insti-tution pédagogique innovante,

au même titre que les écolesFreinet, Montessorri ou Piaget.Mais Celestin Freinet, MariaMontessori ou Jean Piaget étaientdes praticiens et des théoriciensde la pédagogie. Il en va toutautrement de Rudolf Steiner.Rudolf Steiner (1861-1925), aprèsêtre passé par la Société théo-sophique de Helena PetrovnaBlavatsky (association ésoté-rique empruntant nombre deses concepts à l’hindouisme, àl’occultisme et à l’astrologie),et s’en être séparé en 1913, donnanaissance à la Société anthro-posophique. Il est difficile dedéfinir l’anthroposophie, tantelle se veut une doctrine uni-verselle fournissant une concep-tion globale de l’homme et del’Univers. Il est tout aussi diffi-cile d’en comprendre les fon-dements, car les écrits de RudolfSteiner constituent un fatrasésotérique à peu près inacces-sible à un esprit normal.

IDÉOLOGIE DANGEREUSE ETENTREPRISE TENTACULAIREPour résumer rapidement cettebouillie antiscientifique, selonl’anthroposophie, l’être humainse compose de quatre éléments :le corps physique, le corps éthéré,le corps astral et le Moi, qui fontpendant aux quatre stades queconnaîtrait l’humanité (miné-

ral, végétal, cosmique et stadedu « Je ») et aux quatre stadesde l’évolution cosmique (satur-nien, lunaire, solaire et terres-tre). Ce découpage farfelu encorps, phases, périodes est àl’origine de toutes les méthodespseudo-scientifiques dévelop-pées sur les bases de l’anthro-posophie. Ainsi, dans la péda-gogie Steiner, le but initial, pourles enseignants, est de repérerà quel stade d’évolution se trou-vent les enfants qui leur sontconfiés, de façon à leur permet-tre un maximum de dévelop-

pement au stade où ils se situent.En médecine anthroposophique,le cancer, par exemple, n’est quela conséquence de « déséquili-bres cellulaires qui échappentaux forces éthériques forma-trices ». Le sida, quant à lui, estun « effondrement du noyau cen-tral de la personne, le Moi », c’estpourquoi, d’après les anthro-posophes, les populations lesplus touchées sont les homo-sexuels ou les toxicomanes.L’agriculture biodynamique,elle aussi avatar de l’anthropo-sophie, recourt à des agendascosmiques et étudie les forcesvitales « éthériques » des plantesà travers ce que les adeptesappellent la « cristallisation sen-

sible » et la « dynamolyse capil-laire ». Pour en savoir plus, onpourra se référer au livred’Ehrendfried Pfeiffer, pionnierde l’agriculture biodynamique,réédité par… Actes Sud. Demême, pour ceux qui voudraienten savoir plus sur la pensée deRudolf Steiner, nous décon-seillons la biographie élogieusepubliée en 2009 aux éditions…Actes Sud ; nous conseilleronsplutôt de lire quelques extraitsédifiants de l’« œuvre » du maî-tre. Par exemple, dans sonouvrage Science occulte, Steiner

nous livre ses conceptions dumonde.En physique : « Pour l’occultiste,[…] La chaleur est […] un étatau même titre que les états gazeux,liquide ou solide. Seulement elleest encore plus subtile qu’un gaz.Ce dernier n’est que de la cha-leur condensée, comme le liquideest un gaz condensé, et le solideun liquide condensé. »En matière de cosmologie, làencore sa vision est originale :« Comme notre terre, Saturneétait entouré d’une atmosphère,mais cette atmosphère était d’es-sence spirituelle […].Auparavanta lieu un important événement.Un astre se détache de la Terred’air et de feu, un astre qui, dansson évolution désormais auto-nome, deviendra le soleil . »Et en médecine, ses concep-tions de l’épidémiologie sontlumineuses : « L’occultisme mon-tre que la plus grande partie deces maladies vient des aberra-tions du corps astral qui conta-minent le corps éthérique et vien-nent ainsi par une voie détournéedétruire l’harmonie, parfaite ensoi, du corps physique. Ces réper-cussions […] sont la véritableorigine de beaucoup de phéno-mènes morbides ; aussi échap-pent-ils à cette conception scien-tifique qui s’en tient aux donnéesdes sens physiques. »Voilà, synthétisées en quelquesphrases, quelques-unes desconceptions « scientifiques » decelui qui suscite la dévotion dela ministre de la Culture de la

Ces élucubrations charlatanesques pourraient fairesourire si elles n’avaient donné naissance à une véritablegalaxie mondiale, influente dans de nombreux secteurs.

Le Goetheanum, bâtiment érigé sur la colline de Dornach, à 10 km ausud de Bâle (Suisse), siège de la Société anthroposophique universellefondée par Rudolf Steiner.

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République française du XXIe siè-cle ! Régression n’est pas le motidoine ; décadence semble plusadaptée. Ces élucubrations char-latanesques pourraient fairesourire si elles n’avaient donnénaissance à une véritable galaxiemondiale, influente dans denombreux secteurs : scolaire, àtravers les écoles Steiner-Waldorf;médical, avec le développementd’une médecine dite « anthro-posophique » ; agricole, au seinde l’agriculture « biodyna-mique » ; et bancaire, avec, enFrance, la NEF et la Sofinef.Le réseau mondial des établis-sements Steiner comprend 1 092 écoles dans 64 pays et 1857 écoles maternelles dansplus de 70 pays. Quant à la méde-cine, elle s’appuie, d’une part,sur un important réseau de pra-ticiens, fédérés dans l’Associationmédicale anthroposophique deFrance (AMAF) et, d’autre part,sur plusieurs centres thérapeu-tiques qui accueillent notam-ment de jeunes handicapés ainsique sur les laboratoires Weleda,qui emploient quelque 180 per-sonnes à la fabrication de pro-duits cosmétiques et diététiques,et aussi de préparations médi-camenteuses. La NEF (Nouvelle

Économie fraternelle) est unesociété financière directementissue de l’initiative des anthro-posophes, notamment appar-tenant à la « section des sciencessociales » de l’École de sciencede l’esprit de la Société anthro-posophique. La liste des pro-jets fournie sur leur site révèlequ’un nombre non négligeablede projets ou d’associations sou-tenus sont directement et ouver-tement en rapport avec elle : Édi-tions Triades (publiant lesouvrages du fondateur de l’an-throposophie), librairies anthro-posophiques, fermes biodyna-miques, écoles Steiner-Waldorf.Elle avait fait l’objet d’investi-gations de la commission d’en-quête parlementaire de 1999.

UN REFUGE INDIVIDUEL, UNE MENACE SOCIALEBien entendu, Françoise Nyssen,personne privée, a parfaitementle droit d’adhérer à la religionou la philosophie de son choix,fût-ce l’anthroposophie. De sonpropre aveu, c’est le suicide deson fils Antoine, à l’âge de dix-huit ans, dont elle rend respon-sable l’inadaptation de l’ensei-gnement public, qui l’a amenéeà se tourner vers les théories

pédagogiques de Rudolf Steiner.On comprend parfaitementqu’un tel drame dans la vie d’unemère puisse avoir des consé-quences mentales lourdes, etqu’elle se réfugie dans une doc-trine qui nie la mort. Pour Steiner,en effet, durant « la vie qui s’écouleentre la mort et une nouvellenaissance […] l’homme entredans une sphère lunaire, dansune sphère de Mercure, dans unesphère de Vénus, et […] la sphèresolaire ». Le refus de la mort, larésurrection, la réincarnation,a toujours été le fonds de com-merce des religions comme dessectes ésotériques de tous poils.Après ce drame, FrançoiseNyssen et Jean-Paul Capitaniont voulu construire « l’écolequi aurait permis à leur fils des’épanouir » et qu’ils n’ont pastrouvé dans le système public.C’est respectable. Mais ce quine le serait pas, c’est que

Françoise Nyssen use de sa posi-tion de ministre pour promou-voir une pensée pseudo-scien-tifique et une filière pédagogiquequi renie l’éducation publiquedispensée dans l’école républi-caine dont, en tant que minis-tre, elle devrait être une des pre-mières garantes. On peutlégitimement se demander sil’honnêteté intellectuelle n’au-rait pas dû l’amener à refuserune charge difficilement com-patible avec ses convictions pro-fondes. D’autant que l’activismede Françoise Nyssen pour la« pédagogie » Steiner au coursde ces dernières années ne s’estjamais démenti. D’après GrégoirePerra, blogueur, ancien élèved’une école Steiner, « FrançoiseNyssen aurait activement œuvréen tant que membre du conseil

d’administration de l’universitéd’Avignon pour faciliter la créa-tion d’un DU de formation à lapédagogie Steiner-Waldorf […]et aurait utilisé son influencepour convaincre le recteur del’université d’Aix-Marseille defaire preuve de bienveillance,pour ne pas dire de complai-sance, envers l’école Steiner-Waldorf du Domaine duPossible ». Enfin, elle et son marine comptent pas en rester àl’école du Domaine du possi-ble, puisqu’ils sont désormaisà l’initiative d’un projet d’uni-versité privée Domaine du pos-sible sur un site couvrant 120 hade terres cultivables, le but étantde développer l’enseignementet la recherche en « agroécolo-gie », avatar de la biodynamiqueSteiner.Le rapport de la mission inter-ministérielle de lutte contre lessectes de 2000 se terminait par

une recommandation au gou-vernement visant à mettre soussurveillance la galaxie anthro-posophique : « Il apparaît indis-pensable pour les pouvoirs publicsde maintenir une politique deveille soutenue et un dispositifde contrôles coordonnés, tenantcompte de la grande variété desentités agissant dans le contexteanthroposophique.»EmmanuelMacron, au contraire, a installél’anthroposophie au gouver -nement. Trop jeune en 2000, il n’avait sans doute pas lu lerapport de la mission inter -ministérielle. n

*ALAIN TOURNEBISE est ingénieur.

1. Entretien paru dans DasGoetheanum, no 31-32, juillet 2015.

n SÉCURITÉ

SCIENCE ET TECHNOLOGIE38

Françoise Nyssen, personne privée, a parfaitement le droit d’adhérer à la religion ou la philosophie deson choix, fût-ce l’anthroposophie. [...] le suicide deson fils Antoine, à l’âge de dix-huit ans, dont elle rendresponsable l’inadaptation de l’enseignement public,l’a amenée à se tourner vers les théoriespédagogiques de Rudolf Steiner.

Françoise Nyssen et son époux, Jean-Paul Capitani, fondateurs en 2015de l’école Domaine du possible, à Arles, qui applique la pédagogieSteiner-Waldorf et la doctrine anthroposophique.

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TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIEn ORDONNANCES TRAVAIL

PAR OLIVIER SÉVÉON*,

i le gouvernement se refusepour l’instant encore àdéfinir le nombre d’élus

du personnel, les cinq modifi-cations consignéespar les ordon-nances constituentdéjà un affaiblis-sement significa-

tif des instances représentativesdes salariés.Les représentants du personnelont pour fonction d’être les porte-voix des salariés et de défendreleurs intérêts. Les ordonnancesmettent fin à leur spécialisation,en fusionnant délégués du per-sonnel, comité d’entreprise (CE)et comité d’hygiène, de sécuritéet des conditions de travail(CHSCT), avec pour objectif offi-ciel de « simplifier le dialoguesocial » et de réduire les coûtssupportés par l’employeur.La naissance de la nouvelle ins-tance unique, baptisée comitésocial et économique (CSE), s’ac-compagne d’une multitude demesures qui répondent aux vœuxdu Medef. Elles conduisent àune remise en cause radicale del’existant, via cinq modifica-tions majeures.Première modification.Les attri-butions des représentants dupersonnel en matière de santéprofessionnelle sont considé-rablement réduites. Les ordon-nances passent à la trappe cer-taines prérogatives essentiellesdu CHSCT : les élus n’ont pluspour mission de veiller au bonrespect par l’employeur de sesobligations légales ni de procé-der à l’analyse des conditionsde travail ou à l’analyse de l’ex-position aux facteurs de péni-bilité. L’hygiène n’est par ail-leurs plus mentionnée commechamp d’intervention, oubli sur-

prenant lorsque l’on songe à dessecteurs aussi sensibles quel’agroalimentaire, le médical oula chimie.La nouvelle commission « santé,sécurité et conditions de tra-vail », loin de remplacer le CHSCT,permet à l’employeur de res-treindre le nombre d’élus impli-qués sur ces thèmes. Elle lui per-met également de renforcer saprésence, vu qu’il pourra uni-latéralement y inviter « des expertset des techniciens » de l’entre-prise choisis par ses soins.Deuxième modification. Lesconsultations perdent de leursubstance, alors qu’elles sontau cœur des prérogatives des

élus. Effectivement, représen-ter les salariés consiste à rendredes avis pour faire connaître leurpoint de vue sur la marche del’entreprise, grâce à des infor-mations à fournir obligatoire-ment par l’employeur. Dorénavant, un accord d’entre-prise pourra tout à la fois réduireces informations à leur plus sim-ple expression et redéfinir lapériodicité des consultations.Ainsi, un employeur ne sera plusobligé de communiquer le bilanou le compte de résultat de l’en-treprise ! De son côté, la délé-gation salariale du CSE pourrase contenter de donner son avissur la situation financière, ou lapolitique sociale, tous les troisans (au lieu d’une fois par anactuellement). À souligner éga-lement que la règle qui interditun délai de consultation infé-rieur à 15 jours est supprimée.

Troisième modification. Lerecours aux expertises devientplus difficile. Les ordonnancesfacilitent les contestations del’employeur et, en outre, obli-gent le CSE à cofinancer la plu-part des expertises, à hauteurde 20 %. Cette disposition s’ap-plique notamment à l’expertisepour projet important modi-fiant les conditions de travail.Le cofinancement appelle deuxcommentaires : – il intervient à un moment oùl’on exige des représentants dupersonnel une totale polyva-lence et où ils ont donc parti-culièrement besoin de l’aide despécialistes ;

– il est contraire au principed’égalité de traitement : les pluspetits comités, dont le budgetde fonctionnement est modique,seront de fait dépossédés de leurdroit à expertise.Quatrième modification. Lesordonnances amputent le bud-get de fonctionnement desélus du personnel. Outre lecofinancement précité, le bud-get de fonctionnement habi-tuellement dévolu au CE pren-dra en charge les besoins duCHSCT (documentation, dépla-cements, avocats, etc.), alorsqu’ils étaient auparavant cou-verts par l’employeur.La réforme gouvernementaleintroduit par ailleurs un vérita-ble cheval de Troie : elle met finà la séparation du budget defonctionnement d’une part etdu budget des activités socialeset culturelles (ASC) d’autre part,

séparation jusqu’ici impérative.Désormais, un reliquat du bud-get de fonctionnement pourraêtre utilisé pour les ASC et ser-vir, par exemple, pour deschèques vacances ou pour l’ar-bre de Noël. Ceci risque bienentendu d’inciter à une réduc-tion des dépenses de fonction-nement et, partant, à peser surle rôle économique des élus.Cinquième modification. Lesheures de délégation enregis-trent un recul substantiel. Jusqu’àprésent les représentants dupersonnel bénéficiaient d’heuresexceptionnelles en cas de pro-jet important ou de plan de licen-ciement. Ils en sont maintenantprivés et devront se contenterde leur contingent d’heures cou-rant, sachant que celui-ci serade surcroît ramené à 16 heurespar titulaire et par mois, au lieude 20 heures actuellement pourle CE.

Au final, ces cinq modificationsse soldent par une régressionbrutale, même si un élément detaille reste encore à préciser,puisque le gouvernement serefuse pour l’instant à dévoilerses intentions quant au nom-bre d’élus du personnel. Dansce domaine aussi, il faut s’at-tendre à une réduction signifi-cative : les économies au béné-fice des chefs d’entreprise sontplus que jamais à l’ordre du joursi l’on en juge par l’interdictionfaite aux suppléants d’assisteraux réunions (sauf absence dutitulaire). n

*OLIVIER SÉVÉON, ancien expertau service des CE et des CHSCT, est diplômé de HEC.

1. Cet article est paru dans Libérationle 27 septembre 2016. Nous l’avonsrepris avec l’accord de l’auteur.

La naissance de la nouvelle instance unique, baptiséecomité social et économique, s’accompagne d’unemultitude de mesures qui répondent aux vœux du Medef.

S

La représentation du personnel attaquéeAu fur et à mesure que le contenu des ordonnances Macron était connu, leur carac-tère régressif était dénoncé. Nous reprennons ici un texte paru dans Libération1 quifait le point sur les conséquences qu’elles auront pour l’organisation des salariés.

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TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE40

n SANTÉ

PAR MARC LORIOL*,

aire un travail difficile,prenant, exigeant n’estpas forcément une cause

de souffrance. Si les salariés ontla possibilité de réaliser un pro-duit ou un service de qualité,de mettre en œuvre leur savoir-faire et leurs compétences, defaire un travail qui a du sens etest reconnu, une activité arduepourra être source de réalisa-tion et d’estime de soi. Le désar-roi et le malaise exprimés parun nombre croissant de sala-riés résultent alors de la conjonc-tion d’une triple évolution (quipèse de façon variable d’unmilieu professionnel à l’autre) :l’intensification du travail, l’in-dividualisation du travailleur etle management désincarné àdistance. Ces trois évolutionssont liées entre elles.

UN TRAVAIL INTENSIFIÉMême si l’emploi industriel areculé, le travail à la chaîne ousous contrainte de temps a conti-nué d’augmenter, touchant deplus en plus les services. Lesenquêtes « Conditions de tra-vail » menées tous les sept ansdepuis 1978 auprès d’un grandnombre de salariés (34000 en2013) permettent de saisir cestransformations. De 1984 à 2013,la part de salariés qui déclarentque « leur rythme de travail leurest imposé par le déplacement,automatique d’un produit oud’une pièce » est passée de 2,6 %

à 8 % ; ceux soumis à « d’autrescontraintes techniques » a aug-menté de 6,7 % à 17,4%. Enfin,ceux dont le rythme de travailest lié à « la dépendance vis-à-vis des collègues » est passé de11,2 à 26,9 %. La proportion desalariés qui disent « devoir fré-quemment abandonner unetâche pour une autre non pré-vue » est passée de 48,1 % en1991 (cette question n’était pas

posée en 1984) à 64,3 % en 2013.La proportion de salariés quidéclarent que l’exécution deleur travail leur impose de nepas quitter le travail des yeuxest passée de 15,5 % en 1984 à39,1 % en 2013.

Les salariés soumis à un travailrépétitif sous contrainte de tempscherchent souvent à se recréerde petites marges de manœu-vre, afin de reprendre un mini-mum de contrôle sur leur acti-vité : autoaccélération pourgagner quelques secondes afinde souffler de temps à autre,intérêt pour la qualité de ce quiest produit, prévention des inci-dents au-delà de ce qui est

attendu, etc. Quand cela n’estpas possible, l’alternative est des’évader mentalement (échan-ger quelques mots avec son voi-sin, rêvasser, penser à desmusiques ou à des paysagesagréables…). Mais si le travail

s’intensifie au point qu’aucunede ces stratégies n’est réalisa-ble, il risque de devenir sourcede souffrance et de stress chro-nique. Le stress est d’autant pluspathogène que le travailleur nepeut réagir (ce à quoi sert lemécanisme de stress) et doitjuste subir.Contrairement au taylorismeclassique, basé sur le chrono-métrage des salariés, la nou-velle organisation du travailprescrit bien souvent des aug-mentations de la productivitéimposées d’en haut, de façonarbitraire en fonction d’uneconception abstraite et décon-textualisée de l’activité. Pourêtre « compétitives » avec lesrendements rapportés par lesplacements financiers spécu-latifs, les entreprises sont som-mées d’augmenter sans cesseles dividendes et leur valeuractionnariale au détrimentdes salariés et de l’investisse-ment productif. Chaque année,les coûts doivent être réduitsde façon arbitraire et forfai-taire, sans tenir compte del’activité réelle. Seule les « tri-cheries » permettent de tenirà moyen terme : habiles mani-pulations cosmétiques descomptes (exemple du scan-dale Enron), fraude sur la qua-lité (par exemple les véhiculesDiesel trafiqués pour passerles tests antipollution), ratio-nalisation en trompe-l’œil dutravail et des process de pro-duction, etc.

F

Souffrance : un monde du travail de plus en plus pathogène ?

Souffrance au travail, stress, harcèlement, risques psychosociaux constituentdepuis une trentaine d’années de nouveaux motifs de plaintes. L’analyse deces phénomènes est complexe, car ils sont multifactoriels et hétérogènes

d’un milieu social à l’autre. Ils dépendent des conditions et de l’organisation du tra-vail, mais aussi des moyens et des ressources individuelles et collectives qu’ont lessalariés pour faire face aux difficultés et aux défis de leur activité. Ils sont égalementmis en forme de façon propre à chaque groupe professionnel.

La proportion de salariés qui déclarent que l’exécution de leur travail leur impose de ne pas quitter le travail desyeux est passée de 15,5 % en 1984 à 39,1 % en 2013.

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Tout ce qui peut apparaîtrecomme des temps morts oupeu productifs est considérécomme du temps perdu, mêmesi ces temps étaient l’occasiond’échanger sur le travail, de favoriser la coopérationinformelle, de régler les petitsproblèmes avant qu’ils n’in-duisent de trop grandes dif fi -cultés… Chacun est sommé deproduire autant que les sala-riés les plus productifs, sanstenir compte des contextes nides moyens différents, et uneconcurrence faussée est ins-taurée entre travailleurs.

UN TRAVAIL INDIVIDUALISÉ Souvent soumis à des injonc-tions paradoxales (faire plusavec moins), les salariés ne peu-vent, en outre, compter autantqu’auparavant sur la coopéra-tion et l’entraide, lesquelles sup-posent un certain degré d’in-terconnaissance et de confiance.Les technologies de l’informa-tion et de la communicationont nourri l’illusion que le tra-vail pouvait être contrôlé etcoordonné à distance, de façonimpersonnelle et standardisée.Les multiples écarts entre le tra-vail prescrit (ce que sont cen-sés faire officiellement les sala-riés) et le travail réel (ce qu’ilsdoivent faire effectivement pourque les choses marchent) rap-pellent les limites de ce typed’organisation et obligent, infine, les salariés à endosser per-sonnellement la responsabilitéde situations qu’ils ne contrô-lent que partiellement. La pro-portion de salariés qui décla-rent qu’une erreur dans leurtravail pourrait entraîner « dessanctions à leur égard » est pas-sée de 51,3 % en 1991 (cettequestion n’était pas posée en1984) à 63,1 % en 2013.Les responsabilités accrues por-tées par les salariés tiennentaussi au développement desservices et du travail relation-nel. La proportion de salariésqui assurent être en contactdirect avec le public est passéede 60,8 % en 1991 à 70,8 en 2013.Le contact avec des clients ou

des usagers rend à la fois le tra-vail plus intéressant et plus com-pliqué, source de reconnais-sance ou de gratification ourisque de conflits et d’infério-risation sociale.Pour pouvoir faire face avec effi-cacité et plaisir au travail rela-tionnel, deux facteurs sont néces-saires. Tout d’abord le soutiende l’organisation : une organi-sation qui ne donne pas lesmoyens de rendre un service dequalité, qui fait des promessesintenables aux clients, qui nelaisse aucune marge de liberté(comme pour les téléopérateurssoumis à des scripts et des tempsde réponse standardisés) met-tra ses salariés en porte-à-fauxet augmentera les risques detensions. Ensuite, le soutien descollègues est important, car ilpermet de poser des normescollectives : Jusqu’où faut-il allerdans les réponses aux demandesdu public? Quand peut-on légi-timement dire non sans êtrepour autant un mauvais pro-fessionnel ? Les discussionsinformelles avec les collèguespermettent également d’échan-ger des ficelles du métier, desinformations et des façons defaire, de préparer l’équipe à par-ler d’une même voix face auxdemandes des clients et par-fois, à l’abri des oreilles indis-crètes, de se moquer ou de lan-cer des plaisanteries entre soipour relativiser et relâcher lapression. Si ces conditions nesont pas réunies, le plaisir autravail risque vite de se trans-former en souffrance.

UN TRAVAIL PRÉCARISÉPour réduire la masse salarialeinscrite au bilan comptable,flexibiliser leur force de travailet économiser sur la formationcontinue ou la protection sociale,les employeurs ont développédes formes d’emploi précaires

et atypiques (CDD, stages,contrats aidés, intérim, sous-traitance, auto-entrepreneu-riat, etc.). Dans un même lieude travail se côtoient ainsi deplus en plus des travailleursayant des statuts, des employeurset parfois même des intérêtsdivergents. Le sentiment d’ap-partenir à une même commu-nauté de destin et de valeurss’effrite, les solidarités se dis-tendent, les luttes communessont plus difficiles. C’est ce qu’il-lustre la montée en puissanced’un problème comme le har-cèlement moral. Dans les années1960-1970, de nombreux conflitsont éclaté pour protester contredes petits chefs sadiques ouautoritaires, des formes demanagement humiliantes ouinhumaines.Ces conflits étaient le plus sou-vent collectifs, car toute unecatégorie de salariés se sentaitconcernée. Si ces solidarités dis-paraissent, la victime risque leplus souvent de se trouver seule

face à son tourmenteur. Les col-lègues, par peur ou par indiffé-rence ou même parfois parcequ’ils reprennent à leur compteles griefs du management, sedésolidarisent. C’est notam-ment le cas lorsque des formesd’évaluation par service, éta-blissement ou magasin, de l’ac-tivité conduisent à stigmatiserceux qui font baisser la moyenne(même si cela tient au soucid’assurer un service de meil-leure qualité). D’où l’incompré-hension de ceux qui sont visésparce qu’ils prennent trop à

cœur leur travail. Si la notionde harcèlement moral peut sem-bler réductrice en mettant l’ac-cent sur les personnalités desprotagonistes plutôt que surl’organisation et les conditionsde travail, elle a permis de met-tre un nom sur cette expériencedifficile que vivaient nombrede salariés sans parvenir à luidonner sens. Mais en retour,cette notion tend à renforcerplus encore la psychologisationet l’individualisation de la souf-france au travail.Au-delà du cas du harcèlement,quand les salariés n’ont plus lemême statut, ne font plus exac-tement le même travail, ne sontpas rémunérés sur les mêmesbases, sont mis en concurrenceles uns avec les autres, les ten-sions s’accroissent. Chacun ale sentiment de fournir une partplus importante de l’effort col-lectif, car le travail des autresest moins visible, plus difficile-ment appréhendable. En 2013(la question n’était pas posée

avant), la proportion de sala-riés qui déclarent avoir subi descomportements hostiles éma-nant d’une ou plusieurs per-sonnes de leur organisation étaitde 74,7 % ! Au final, ces conflitsaccentuent le sentiment de pertede sens, de manque de recon-naissance, d’un travail dont il est plus difficile d’être fier, du moins dans le regard de sescollègues. n

*MARC LORIOL est sociologue,chargé de recherche au CNRS et HDR,membre de l’IDHES Paris-I.

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L’évaluation par service, établissement ou magasin,de l’activité conduit à stigmatiser ceux qui fontbaisser la moyenne (même si cela tient au soucid’assurer un service de meilleure qualité).

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TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE42

n RAPPORTS HUMAIN-ANIMAUX

Ce que la prise en compte du travail animal peut changer au travail humainLe bien-être des animaux est souvent considéré comme étant incompatible aveccelui des humains, ce qui justifierait de sortir les animaux de la sphère productive.Alors comment penser conjointement le travail humain et le travail animal ?

PAR JOCELYNE PORCHER*,

a question du travail estplus que jamais à l’or-dre du jour médiatique,

et le projet d’une « société dutravail » est désor-mais en ordre demarche. Or derrièreles déclarationsd’intention des par-

tisans du travail et de ceux dela fin du travail, la probléma-tique est brouillée, le terme« travail » et les enjeux liés autravail renvoyant à tout et à soncontraire. Parallèlement, la« question animale » agite lesmédias. Les animaux, notam-ment les animaux d’élevage,ont surgi dans l’espace socialet politique, et leur sort sem-ble préoccuper nos concitoyensd’une manière inédite.La violence exercée à l’encon-tre des animaux dans les pro-ductions animales industriellesexiste depuis plus de cinquanteans, et jusqu’à présent elle n’avaitpas intéressé les medias et n’avaitguère remué les foules. Dans lecontexte politique et média-tique actuel, la question du tra-vail et la question animale nesont pas reliées, elles sont mêmepensées comme des objets àpolarité opposée. Les défen-seurs des animaux visent eneffet à « libérer » les animaux,c’est-à-dire, concrètement, àles libérer du travail. Les défen-seurs du travail pour leur partsont centrés sur la maximisa-tion de leurs profits pour les unset sur les conditions de possi-bilités de leur survie pour lesautres, sans que les animauxaient aucune place dans leursstratégies1. Je voudrais montrer

ici brièvement que la questiondu travail, posée au sujet desanimaux domestiques, a pour-tant beaucoup à apporter à laproblématique du travailhumain.

LE TRAVAIL, LE TRAVAILLERET LES ANIMAUXComme le remarque la psycho-dynamique du travail2, le terme« travail » ne fait l’objet d’au-cun consensus, et ne renvoiedonc pas à un concept. Il existepar contre une indiscutable réa-lité : travailler. Pour que le tra-vail soit réalisé, il faut quequelqu’un travaille. Travailler,c’est investir son intelligence,son affectivité, son corps pour

une production à valeur d’usage.Travailler, c’est ce que font desmillions de personnes chaquejour, mais c’est aussi ce que fontdes millions d’animaux. Commeles humains, ceux-ci investis-sent leur intelligence, leur affec-tivité et leurs corps dans desproductions à valeur d’usage.Ainsi du chien, archétype del’animal domestique au travaildans ses différents métiers :chiens de berger, d’aveugles,d’assistance, chiens policiers,militaires, thérapeutes, acteurs…Ainsi des chevaux, mais aussides vaches ou des cochons.Les animaux domestiques sontengagés dans de nombreux pansdes activités de production debiens et services, sans que ce

travail soit pris en compte, nimême perçu. Les recherchesmenées par l’équipe Animal’sLab3 ont mis en évidence l’im-plication subjective des ani-maux dans le travail et le faitque celle-ci n’est pas donnéemais résulte d’un processusd’engagement des animaux. Iln’est pas naturel, par exemple,pour un chien d’assistance d’ai-der une personne handicapéeà retirer son manteau, de luiporter la télécommande oud’ouvrir la porte du frigo ou dela maison. Le chien suit un par-cours de formation exigeant.Au bout de son cursus de for-mation, il est, ou pas, reconnucompétent pour accomplir les

tâches qui lui sont demandées.Si le métier de chien d’assis-tance ne lui convient pas, il seraréorienté vers un autre métierplus conforme à ses compé-tences et à ses goûts. Au-delàde la formation, lorsque le chiensera effectivement au travailavec une personne handica-pée, il sera capable de bien d’au-tres choses que ce qu’il a appris.C’est dans sa relation au quo-tidien avec la personne, dansla relation affective, mais aussidans tout ce qui l’ennuie ou lecontraint, qu’il puisera les res-sources pour agir et retirer duplaisir à son travail.L’enjeu majeur du travail desanimaux, qu’il s’agisse d’unchien d’assistance, d’un élé-

phant dans un cirque ou dansun zoo, d’un cheval en centreéquestre ou d’un animal deferme, c’est en effet son intérêtpour le travail et la reconnais-sance par les humains du tra-vail qu’il accomplit. L’hypothèsehaute que nous avons posée estque les animaux travaillent, etc’est avec les outils de sciencessociales que nous avons entre-pris de le montrer4.

TRAVAILLER N’EST PAS FONCTIONNERL’implication subjective des ani-maux au travail n’avait jusqu’àprésent jamais fait l’objet derecherches. En effet, du fait dela division des disciplines scien-tifiques, les animaux relèventdes sciences de la nature tan-dis que la question du travailrelève des sciences sociales.Pour les sciences de la nature,et notamment pour l’éthologieappliquée aux animaux domes-tiques, le cadre théorique majeurreste la théorie du condition-nement et les méthodes sontcentrées sur l’expérimentation.C’est pourquoi la question dutravail, qui interpelle la subjec-tivité des individus et l’inter-subjectivité de leurs relations,est un objet inaccessible pources sciences. Du côté des sciencessociales, ce sont les animauxqui sont des objets inaccessi-bles, exclus du travail supposéêtre un propre de l’homme irré-ductible et renvoyés égalementà la programmation des com-portements par la nature ou leconditionnement. Au milieu du XIXe siècle, au nomdu progrès scientifique et socialet dans l’esprit du capitalismeindustriel qui s’impose alors, la

Les recherches menées par l’équipe Animal’s Lab ontmis en évidence l’implication subjective des animauxdans le travail et le fait que celle-ci n’est pas donnéemais résulte d’un processus d’engagement des animaux.

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zootechnie théorise l’animald’élevage comme une machine,non pas par nature mais du faitde ses fonctions économiques.Les premiers zootechniciensadmettent que les animaux sontintelligents, mais affirment quecette intelligence doit être réduiteafin de satisfaire aux nouveauxbesoins de production. Ainsique l’explique le professeur dezootechnie Paul Dechambre(1868-1935), « Le dressage doitavoir pour effet de soumettrecette intelligence et de transfor-mer l’animal en un de ces auto-mates dont parle Descartes, quin’exécutera d’autres actes queceux qui lui sont commandés5 ».Autrement dit, le dressage doitse substituer au travail.

L’industrialisation de l’élevages’est appuyée sur cette repré-sentation instrumentale des ani-maux, laquelle reste prédomi-nante aujourd’hui dans lesproductions animales (indus-trielles et intensifiées). Les ani-maux d’élevage, et plus large-ment l’ensemble des animauxdomestiques, sont supposésfonctionner, c’est-à-dire répon-dre au dressage ou au condition-nement. La part autonome qu’ilspourraient apporter au travailest le plus souvent entravée, etleurs conditions au travail s’entrouvent affectées de manièrenégative. Or travailler n’est pasfonctionner. Les machines, lesrobots fonctionnent; les humainset les animaux travaillent ! Ladistinction est importante alorsque les robots sont en passe desupplanter les humains, et aussiles animaux dans le travail6.

TRAVAIL ANIMAL/TRAVAIL HUMAINLes résultats de nos recherchesnous permettent d’avancer quetravailler, pour les animauxcomme pour les humains, c’estcombler l’écart entre ce qui estprescrit et ce qu’il faut faire effec-tivement pour atteindre lesobjectifs. Qu’il s’agisse de vaches,de chevaux, de chiens ou d’élé-phants, les animaux compren-nent – ou cherchent à compren-dre – les objectifs à atteindre etmettent en œuvre leur intelli-gence et leurs capacités d’ini-tiative pour y réussir, ou pas. Siles objectifs sont incompréhen-sibles ou si les conditions detravail sont déplorables, commeen systèmes industriels ou si les

moyens dont disposent les ani-maux sont incohérents avec lesobjectifs, ils peuvent renoncer,résister, partir… Il faut noterque si les finalités du travail peu-vent être explicites pour cer-tains animaux, pour un chiende berger ou un cheval de coursepar exemple, elles le sont moinspour d’autres, notamment pourles animaux de ferme : l’enga-gement des vaches au travailn’est pas finalisé par la produc-tion laitière7mais par les moyensde cette production, c’est-à-direpar les conditions de travail etpar la qualité des relations detravail avec les congénères, etsurtout avec leurs éleveurs.Penser le travail du point de vuedes animaux, c’est reconsidé-rer le travail dans sa dimensionrelationnelle, celle qui importeprioritairement pour les ani-maux. Comme l’a montré la psy-

chodynamique du travail, tra-vailler, c’est d’abord vivre ensem-ble. C’est ce que nous rappel-lent les animaux.

UN ENJEU POLITIQUEVivre et travailler avec les ani-maux n’a plus rien d’une évi-dence aujourd’hui8. Multinationales, start-up ali-mentaires 4.0, fonds d’investis-sements et abolitionnistes9, alliésobjectifs des précédents, sou-tenus par des intellectuels etdes personnalités médiatiques10

préparent une société d’où serontexclus les animaux11. L’exclusiondes animaux domestiques dutravail et de nos vies est déjàamorcée. Dans l’alimentation,outre les « steaks » de soja ouautres « laits » végétaux, desstart-up proposent d’ores etdéjà des substituts de produitsanimaux : poulet sans poulet,jambon sans porc (à base de soja), œufs et lait issus deculture cellulaire, et prochai-nement viande in vitro. Dansla vie quotidienne, des robotstendent d’ores et déjà à rem-

placer les animaux dans lesmaisons de retraite, auprès desenfants…Ce processus de sortie des ani-maux du travail n’est pas uneentreprise anodine, c’est aucontraire une rupture anthro-pologique majeure, car depuisdix mille ans nous sommeshumains avec les animauxdomestiques : c’est avec eux quenous avons appris à vivre et àtravailler. Les sortir du travail,faire disparaître les vaches ouremplacer les chiens par desrobots, c’est rompre le lien avecla nature, c’est rendre les humainsplus vulnérables en pensant lesrendre plus puissants, voireimmortels comme le voudraientles transhumanistes. Car les ani-maux domestiques sont desmaîtres irremplaçables. Ils nousenseignent bien mieux que laplupart des philosophes ce queveulent dire vivre et mourir.Vivre, travailler et être heureuxavant de mourir. n

*JOCELYNE PORCHER est directrice de recherches à l’INRA,UMR Innovation, Montpellier.

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( ))

Ce processus de sortie des animaux du travail n’est pasune entreprise anodine, c’est au contraire une ruptureanthropologique majeure, car depuis dix mille ans noussommes humains avec les animaux domestiques. 1. Les animaux sont bien entrés dans les stratégies politiques de certains partis,

infiltrés par des activistes de la « cause animale », mais cela en dehors de laquestion du travail.2. Christophe Dejours, Travail vivant, t. II « Travail et émancipation », Payot,2013.3. http://www.sad.inra.fr/Recherches/Les-animaux-au-travail:http://www.inra.fr/Chercheurs-etudiants/Economie-et-sciences-sociales/Toutes-les-actualites/Travail-animal 4. Jocelyne Porcher (coord.), « Travail animal, l’autre champ du social », Écologie et Politique, n° 54, Le Bord de l’eau, 2017.)5. Paul Dechambre, Zootechnie générale, Librairie agricole de la maison rustique.Librairie des sciences agricoles, 4e éd., 1928 (1re ed., 1900), p. 448.6. Jocelyne Porcher, « Elmo et Paro®. Pourquoi l’un travaille et l’autre pas, et ce que cela change », in Écologie et Politique, no 54, Le Bord de l’eau, 2017,p. 17-34.7. Jocelyne Porcher et Tiphaine Schmitt, « Les vaches collaborent-elles autravail ? Une question de sociologie », in Revue du MAUSS, no 35, premiersemestre 2010 (la Gratuité. Éloge de l’inestimable), p. 235-261.8. Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux, une utopie pour le XIXe siècle, La Découverte, 2011-2014.9. Les abolitionnistes refusent tout lien de travail, voire toutes relations, avec lesanimaux. Le plus souvent adeptes du véganisme, ils militent, à l’instar des start-up alimentaires de la Silicon Valley, pour une alimentation sans produits animauxet pour une agriculture sans élevage. La mort des animaux est le point nodal des critiques de l’élevage. Mais refuser la mort, c’est aussi refuser la vie.10. La violence des systèmes industriels mobilise intellectuels, politiques et militants soumis à la question morale par les défenseurs des animaux sansque ce tardif élan consensuel en faveur des animaux soit interrogé d’un point de vue critique par ces mêmes intellectuels.11. Penser vivre avec les animaux en les excluant du travail, comme yprétendent certains, est une illusion. En effet, même les animaux de compagnietravaillent. Tenir compagnie n’a rien de naturel ni de spontané : c’est un travail.

Berger et ses moutons, Paul Veysson (1841-1911).

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n AMÉNAGEMENT

44 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

Nombre d’aménagements sont contestés par des associations environnementales à cause de leur impact négatif sur l’environnement. Pourtant, la protection de la bio-diversité, qui concerne à la fois les espèces animales et végétales ainsi que les habitats (on traduira plus simplement par écosystèmes), est désormais bien enca-drée par une législation précise qui prévoit tout un processus pour compenser leseffets négatifs sur l’environnement.

PAR ALAIN PAGANO*,

LA RESTAURATIONÉCOLOGIQUEÀ chaque aménagement humain,le processus est prévu commesuit :– une analyse d’impact envi-ronnemental avant les travaux,qui précise les dommages envi-ronnementaux potentiels del’ouvrage et propose des mesurescompensatoires, des solutionspour annuler les effets négatifssur les écosystèmes ou espècesmenacés ;– une validation par un orga-nisme national des mesurescompensatoires ;– les travaux d’aménagementavec mise en place des mesurescompensatoires ;– dans certains cas, un suivi surplusieurs années pour juger del’efficacité de ces mesures etaider à leur amélioration.Derrière ces mesures compen-satoires, il y a une discipline quel’on appelle la « restauration éco-logique » qui travaille à amélio-rer toujours plus notre connais-sance du vivant pour proposerdes solutions compensatoirestoujours plus efficaces. Les scien-tifiques qui œuvrent dans cedomaine forment également desjeunes à l’ingénierie écologique(à l’exemple des masters profes-sionnels, bac + 5). Ce sont cespersonnes que l’on retrouve dansles bureaux d’études en environ-nement, dans le cadre desquelsils réalisent les inventaires de bio-diversité et les études d’impact

environnemental pour proposerdes mesures compensatoires.Les questions qui surgissentimmédiatement sont : Est-ceefficace et, si oui, pourquoi y a-t-il des contestations sur les pro-jets d’aménagement humain?

UN EXEMPLE PRÉCIS : LA CONSTRUCTION DE L’AUTOROUTE A87Pour répondre à ces questions,je vais commencer par parlerde mon expérience profession-nelle personnelle en la matière.Enseignant-chercheur en éco-logie, spécialisé dans la protec-tion des zones humides et l’éco-logie des amphibiens, j’ai étéamené à réaliser de telles étu -des d’impact et à proposer des mesures compensatoires.Exemple : lors de la construc-tion de l’autoroute A87, le tracéretenu a eu comme conséquencela destruction de zones humides,des mares en l’occurrence, etles espèces qui leur sont inféo-dées. J’ai donc proposé la recréa-tion de mares comme mesurescompensatoires, c’est-à-dire lacréation d’écosystèmes équi-valents pour permettre auxespèces de trouver un nouveaumilieu d’accueil.Pour ne prendre que l’exempledes amphibiens : ils vivent et sereproduisent dans des zoneshumides, ou, pour être plus par-lant, des mares; eh bien, si l’au-toroute détruit des mares, ellessont reconstruites à côté de l’au-toroute selon un cahier descharges établi par des profes-

sionnels de l’écologie afin queces nouvelles mares soient lesplus appropriables par les amphi-biens (et/ou autres plantes ouanimaux).Dans le cas des travaux que j’aimenés, le résultat est largementpositif, puisqu’on retrouve desniveaux de biodiversité équi-valents, voire supérieurs, à cequi préexistait… même si toutn’est pas résolu par ces mesures,notamment parce que lesespèces les plus fragiles ledemeurent.

QUELLE EFFICACITÉ?Donc à la question concernantl’efficacité, on peut répondreoui, globalement… si c’est bienréalisé et si l’on connaît suffi-

samment les espèces-cibles dela protection.À la question subsidiaire : « Est-on assuré de conserver tout cequi préexistait aux travaux ? »,la réponse est non. Certainesespèces disparaissent, d’autresse maintiennent ou apparais-sent. C’est la loi du genre, queles modifications des écosys-tèmes soient d’origine naturelleou d’origine humaine d’ailleurs.Ce qu’il convient d’ajouter c’estque la recherche a aussi pourbut d’évaluer ce qui fonctionneou ne fonctionne pas afin detravailler à des améliorationspour que les futures restaura-tions soient le plus efficaces et,in fine, d’élaborer un guide desbonnes pratiques pour la res-

Compensations écologiques : leurres ou solutions ?

Destruction d’une mare présente sur un tracé autoroutier : pêche des espèces présentes dans la mare pour les héberger dans une nouvelle mare artificielle.

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tauration d’écosystèmes afinque les professionnels de l’éco-logie dans leur ensemble s’enemparent.Comme toute discipline, la res-tauration écologique n’est pasinfaillible ; elle est perfectible,mais un certain nombre degrands principes permettentd’ores et déjà de traiter les caset de trouver des solutions réel-lement intéressantes.

PERSISTANCE DE LA CONTESTATIONAlors la question qui vient est :Pourquoi ces contestations deprojets si l’on peut « réparer »les troubles environnementauxcausés? Je vois trois raisons prin-cipales à cela.

1. Beaucoup ignorent qu’il estpossible de compenser écolo-giquement, de réparer. C’estpeut-être la première raison,sur laquelle on peut, par l’édu-cation, faire progresser cetteconnaissance, et donc aboutirà des revendications de protec-tion de l’environnement plusconstructives.2. La « réparation » ne peut garan-tir un retour au préexistant à 100 %.C’est une faille sur laquelle s’ap-puient certains environnemen-talistes, en omettant de dire quec’est également le cas quand lesécosystèmes sont modifiés pardes causes naturelles (feux, inon-dations, glissements de terrain…).L’argument n’est donc guère rece-vable, surtout quand on sait que

certaines restaurations écolo-giques profitent à des espèces quiréapparaissent dans ces nouveauxmilieux de compensation.

3. Pour certains environnemen-talistes, la question est plus« philosophique » : l’hommeabîme la nature par ses activi-tés, qu’il faut donc réduire. Jepense que c’est une vision erro-née et simpliste, parce quel’homme fait partie de l’écosys-tème, et donc de la nature. Enrevanche, trouver un mode dedéveloppement humain qui respecte la capacité des éco -systèmes à se ressourcer est fondamental.Ces quelques lignes seront utilessi chacun est convaincu qu’ac-tivité humaine n’est pas forcé-ment synonyme de destructionde la planète, qu’on peut tra-vailler à de nouveaux modes dedéveloppement humains dura-bles, compatibles avec la nature,et que très concrètement unaménagement n’est pas néces-sairement synonyme de dés-agrément écologique, qu’il

s’agisse d’une autoroute, d’unaéroport, de construction delogements… Des profession-nels de l’écologie travaillent

pour que l’impact environne-mental soit neutre ou positif.Donc, les projets grands ou petitsne sont ni nécessairement inu-tiles ni forcément imposés. Parcontre, il est souvent nécessairede lutter pour imposer desmesures environnementalessérieuses et efficaces, qui ontcertes un coût financier maisqui sont créatrices d’emploi etde qualité de vie.Les solutions pour préserver laplanète ne sont pas aussi sim-plistes et univoques que cer-tains le prétendent! C’est ce queje constate fréquemment dansla profession, où beaucoup deprofessionnels ont envie de« parler solutions » pour conci-lier Homme et Nature. Là est, àmon sens, la voie de l’avenir.n

*ALAIN PAGANO est maître de conférences en écologie et membre du Conseil national du PCF.

Il est souvent nécessaire de lutter pour imposer des mesures environnementales sérieuses et efficaces, qui ont certes un coût financier mais qui sont créatricesd’emploi et de qualité de vie.

Exemple de mesure compensatoire : mare «artificielle» creusée à lapelleteuse lors des travaux autoroutiers.

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De longue date, l’homme a cherché à se déplacer, à aller au-delà de l’horizon. De tout temps, il a cherché à aller voir de plus en plus loin, de plus en plus vite.L’évolution du transport par le train, par l’automobile et par l’avion depuis un siècle etdemi en témoigne, avec une recherche permanente de la performance.

PAR ALAIN PATOUILLARD*,

LA CONCURRENCE DES DIFFÉRENTS MODES DE MOBILITÉPour l’automobile, après lacourse à la puissance, à la vitesseet au confort des voitures, cefut la construction d’autoroutes.Pour l’avion, ce fut le passagedes moteurs à explosion auxmoteurs à réaction et la construc-tion d’aéroports de plus en plusgrands. Pour le train, ce furentles augmentations de puissance,et donc de vitesse, des locomo-tives à vapeur, puis l’apparitiondes machines de traction Dieselet électriques, et la construc-tion de lignes à grande vitesse.À chaque progrès, le nombrede déplacements a considéra-blement augmenté, que ce soiten voiture particulière ou partransport collectif, avion outrain.C’est ainsi que, il y a une cin-quantaine d’années, les déve-loppements rapides du moderoutier et, surtout, du modeaérien ont contribué à mettreen difficulté le mode ferroviaire,qui certes modernisait ses véhi-cules mais restait handicapépar la vitesse maximale de cir-culation autorisée sur des lignesconstruites pour la plupart auXIXe siècle.C’est dans ces conditions quequelques ingénieurs vision-naires de la SNCF ont imaginéque la survie du transport fer-roviaire en France ne pouvaitpasser que par un « saut de per-

formance » ; ils ont vu que lesconnaissances technologiquespermettaient d’atteindre l’ob-jectif de rouler à 250 km/h, voireplus. Il s’est avéré nécessairepour cela de construire de nou-velles lignes, ce qui allait per-mettre non seulement de relierles villes plus rapidement pourles voyageurs, mais aussi de

dégager de la capacité sur leslignes classiques pour les trainsde fret et les trains du quoti-dien. Sans ces nouvelles lignes,

le ferroviaire n’aurait pu évo-luer et devenir un service publicde qualité.

ARRIVA ENFIN LE TGVÀ long terme, les lignes nou-velles se sont avérées des atoutsmajeurs pour le développementet le dynamisme socio-écono-mique régional en améliorant

les relations interrégionales, enaugmentant la fréquence desmanifestations professionnelles,touristiques et culturelles, et en

permettant la modernisationdes quartiers de centre-villepour accueillir les TGV, maisaussi en assurant une possibi-lité d’augmentation importantedes TER sur les lignes classiques,plus proches des habitants, pourleurs déplacements au quoti-dien, que ce soit pour se ren-dre au travail ou à l’école, ouencore pour se promener.Le choix de la première ligne àgrande vitesse ferroviaire s’esttout naturellement porté sur laliaison Paris-Lyon, car elle répon-dait à tous les critères de per-formance souhaitables.Il y a près de cinquante ans,quasi simultanément le Japonet la France se sont lancés dansle développement de la grande

Service public ferroviaire de qualité et grande vitesseL’exemple Marseille-Nice

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n PATRIMOINE

46 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

À chaque progrès, le nombre de déplacements aconsidérablement augmenté, que ce soit en voitureparticulière ou par transport collectif, avion ou train.

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vitesse ferroviaire, ces pays ayantopté pour des concepts qui leurétaient propres en raison descaractéristiques techniques,géographiques, économiques,culturelles, sociales… qui leursont propres.Le choix des Japonais se portasur un système en site propre,avec un système d’exploitationpropre. Ils ont largement privi-légié une pose de voie dite« directe », c’est-à-dire sans bal-last, et également un gabaritélargi, qui présente l’avantaged’augmenter le nombre de placesoffertes dans les rames, maisl’inconvénient de ne pas per-mettre à ces rames de circulersur le réseau classique. Les rai-sons de ces choix sont large-ment exposées dans la littéra-ture spécialisée.En France, la SNCF a opté pourun train apte à circuler tant surles voies nouvelles que sur les

lignes classiques. Le matérielroulant à « grande vitesse » (ramesTGV) est donc au même gaba-rit que le matériel roulant àvitesse « classique ». Ce systèmeprésente le grand intérêt de limi-ter le nombre de ruptures decharge qu’un voyageur subira,en permettant aux TGV d’en-trer dans les gares de centre-ville sur le réseau classique. Dufait de la compatibilité des TGVavec les lignes classiques, denombreuses gares de centres-villes (Paris, Dijon, Lyon,Marseille, Lille, Bordeaux,Montpellier, Toulon, Nantes,Rennes…) et hors des villes(Montchanin, Valence, Avignon,Aix, Meuse, Lorraine, Cham -pagne-Ardenne…) ont ainsi puêtre desservies.À noter que ces deux famillesde gares se justifient par la mêmeconsidération, à savoir permet-tre au plus grand nombre d’usa-

gers de parvenir rapidementjusqu’au quai.

POLITIQUES PUBLIQUESENVERS LE FER ET LA ROUTEAlors que les routes et auto-routes étaient construites etentretenues par l’État, celui-ciobligea la SNCF à réaliser tousles investissements afférents à

la grande vitesse sur ses fondspropres, entraînant de fait unendettement colossal qui, à ladifférence de l’exemple alle-mand, n’a pas été repris parl’État, même partiellement. Unedes conséquences a été que la

SNCF, à laquelle l’État deman-dait aussi d’être une entrepriserentable, n’a pas réalisé toutesles modernisations nécessairesdes lignes existantes, ni mêmeassuré la maintenance de cer-taines lignes, entraînant leurfermeture au profit de la route.Cette politique aboutit à unesaturation des lignes existantes

et à beaucoup plus de voitureset de camions sur les routes,d’où un degré de pollution cata -strophique que les travaux de laCOP21 n’ont même pas évoqué.La dernière étude environne-mentale réalisée en France (2016)

Alors que les routes et autoroutes étaient construites etentretenues par l’État, celui-ci obligea la SNCF à réalisertous les investissements afférents à la grande vitesse surses fonds propres, entraînant un endettement colossal.

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est alarmante. En effet, la pol-lution tue dans notre pays48 000 personnes par an à causedes particules fines, dont plusde 30% sont émises par la route.Cela se traduit également parla diminution de l’espérance devie pour un adulte de 15 moisen ville et de 9 mois zone rurale.L’Agence nationale de santépublique précise que cette pol-lution est en France la troisièmecause de mortalité, après le tabacet l’alcool. Aux États-Unis, uneautre étude récente réalisée àproximité d’une autoroutedémontre un nombre impor-tant de problèmes cardiaquesqui affectent les enfants.

UNE LGV EN PACAUne enquête sur les déplace-ments des actifs réalisée parl’Ifop pour SNCF Réseau sur larégion Provence-Alpes-Côted’Azur montre qu’un actif surdeux est exaspéré par les pro-blèmes de circulation qui impac-tent leur vie professionnelle,mais aussi personnelle. Environ60 % des personnes interrogéesestiment que les conditions decirculation se sont dégradéesau cours des dernières annéeset que la situation va encore sedégrader dans les cinq annéesà venir si rien n’est fait d’ici là.Près de 50 % de ces personnespensent qu’il y a des réponsesefficaces possibles, notammentpar l’accroissement et l’amé-lioration des réseaux de trans-port en commun, ferroviaire enparticulier.Il est évident que nous ne pou-vons continuer à empoisonnerles habitants de Provence-Alpes-Côte d’Azur en favorisant toutce qui est routier. Il n’est pluspossible de rajouter un nom-bre incalculable de camions surles routes, de remplacer cer-taines lignes ferroviaires par desbus, comme voudrait le faire lanouvelle direction du conseilrégional PACA, de favoriser l’em-ploi de la voiture alors que toutle monde reconnaît que le fer-roviaire est le moyen de trans-port collectif le plus propre.Mais il est non moins évident

que le nécessaire changementdans ce domaine demanderades investissements importants,sans attendre 2050 pour per-mettre d’abord un développe-ment des trains au quotidien.Ce développement, tout lemonde le reconnaît, nécessi-tera des infrastructures com-plémentaires comme le projetde la nouvelle LGV PACA, quis’est transformé au fil des annéesen un projet de LNPCA (lignenouvelle Provence-Côte d’Azur).Cette réalisation est urgente etelle est possible, ce n’est qu’unequestion de volonté politiqueet de financement ; d’ailleursde l’argent il y en a, il suffit dele prendre là où il est (ce qu’onttrès bien compris nos voisinssuisses). Elle est égalementincontournable pour que letransport de fret puisse se faireà nouveau par le rail, car il seraimpossible de faire circuler tousles trains roulant à des vitessesdifférentes et avec des arrêtsdifférents sur une même ins-tallation construite au XIXe siè-cle, même modernisée.

LA LONGUE MARCHE D’UNAMÉNAGEMENT NÉCESSAIREAu début des années 2000, denombreux habitants de PACAavaient demandé à Gérard Piel,alors vice-président, commu-niste, chargé des transports surla région, de bien vouloir remet-tre au goût du jour la ligne àgrande vitesse entre Marseille

et Nice, projet qui avait été aban-donné vingt ans plus tôt à lasuite d’interventions purementdémagogiques de certains élusvarois. Jean-Claude Gayssot,alors ministre des Transports,en accepta le principe. En 2005eut lieu le débat public obliga-toire pour ce type d’investis -

sement, ce débat fit ressortir l’absolue nécessité d’un tel inves-tissement. Et après de multi-ples atermoiements et une ultimeconcertation en 2016, un pro-jet a été retenu, qui a eu unaccord ministériel en avril 2017.Ce projet est a minima, comptetenu de l’austérité ambiante ; ilse caractérise notamment par :– l’amélioration du nœud fer-roviaire marseillais avec unegare souterraine TGV à Marseille-Saint-Charles et un doublementdes voies existantes jusqu’àAubagne, avant 2030 ;– l’amélioration du nœud fer-roviaire niçois entre Nice-Saint-Augustin et la ligne de Cannesà Grasse, avec amélioration decette ligne afin que les TGV puis-sent revenir sur la ligne ancienne,et cela avant 2030 ;

– pour le reste, entre Aubagneet Toulon et entre Le Muy et laligne Cannes-Grasse, le projetest reporté après 2030 ;– pour Toulon-Le Muy, le pro-jet est repoussé après 2050.Le dossier avance, certes, maiscet étalement dans le tempsn’est pas acceptable si l’on veut

ne serait-ce qu’appliquer le peude propositions retenues lorsde la COP21.Pour toutes les raisons évoquées,nous considérons que le modeferroviaire garde toute sa perti-nence pour opérer le rééquili-brage entre les modes de trans-ports au bénéfice des plusvertueux, et qu’il est un outilmoderne incontournable pourengager le changement de notremode de développement et decroissance que la situation exige.Et nous soutenons ce que nousappelons un « pacte de progrèspour un service public ferroviairede qualité ». n

*ALAIN PATOUILLARD est un animateur du MNLE, réseau Homme & Nature, et président de l’association TGV Développement Var Nice Côte d’Azur.

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Le mode ferroviaire garde toute sa pertinence pouropérer le rééquilibrage entre les modes de transports au bénéfice des plus vertueux. Il est un outil moderneincontournable pour engager le changement de notremode de développement et de croissance.

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uelle place pourraitprendre le solaire dansla production d’électri-cité? Voici quelques élé-

ments de réponse – qui ne fontpas le tour de la question, maisen abordent certains aspects.La technologie photovoltaïquea fortement progressé ces trentedernières années, soulignaient,lors d’une rencontre organiséele 11 mai 2017 à Paris par l’Asso -ciation des journalistes scien-tifiques de la presse d’informa-tioni (AJSPI), deux chercheursdu CNRS, Abdelilah Slaoui dulaboratoire des sciences de l’in-génieur, de l’informatique et del’imagerie, UMR CNRS-univer-sité de Strasbourg, qui dirige lacellule Énergie du CNRS, et Jean-

François Guillemoles, directeuradjoint de l’Institut de rechercheet développement sur l’énergiephotovoltaïque (IRDEP), CNRS-EDF-Chimie ParisTech.

DU LABORATOIRE À L’INDUSTRIESelon les deux chercheurs, lesprogrès accomplis en termesde rendement des cellules pho-tovoltaïques et de coût de fabri-cation des panneaux solairescomplets permettent de parlerde maturité technologique. C’estle résultat d’une recherche para-doxalement « conservatrice »,qui a procédé surtout par petitspas. Mais, au total, ces petitspas ont permis que les rende-ments actuels de conversion de

l’énergie solaire en électricitédes systèmes industrialisés soientceux des laboratoires d’il y atrente ans. Une durée de trans-fert qui n’a rien d’original. Quantà l’industrialisation des fabri-cations, elle a permis de béné-

ficier de la R&D privée et de l’effet d’échelle permettant de diminuer drastiquement les coûts.Le potentiel théorique de l’éner-gie solaire est bien sûr immense,au point qu’une utilisation d’une

fraction même petite de cetteénergie pourrait couvrir, en prin-cipe, tous les besoins en élec-tricité des populations. Aussi,même si aujourd’hui elle ne cou-vre que 2 % de l’électricité mon-diale, cette source d’énergie est

appelée à croître rapidement,sous la forme actuelle de pan-neaux solaires ou sous d’autresformes qui sont encore à l’étatde recherches scientifiques,comme les revêtements de vitresou ce concept très futuriste de

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n ÉNERGIE

Sylvestre Huet, journaliste scientifique, revient sur son blog sur les enjeux et l’avenir dela production d’électricité à partir d’énergie solaire.

Article paru le 11 mai 2017 sur le blog {Sciences²} du site lemonde.fr, et publié avec l’autorisation de son auteur.

Le soleil, le vent et l’électricité

Q

Même si aujourd’hui l’énergie solaire ne couvre que2 % de l’électricité mondiale, cette source d’énergieest appelée à croître rapidement.

s

Quoique intermittents, l’éolien etle solaire sont des composants

nécessaires de tout mixénergétique d’avenir.

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centrale solaire atmosphérique(dessin ci-contre) sur lequel tra-vaille Jean-François Guillemolesdans le cadre du Laboratoireinternational associé CNRS-université de Tokyo, le NextPV.D’autres sujets de rechercheprogressent vite, comme les« pérovskites » ces structurescristallines où l’on trouve duplomb, de l’iode et d’autresmatériaux dont les propriétésintéressantes pour la conver-sion de l’énergie solaire en élec-tricité n’ont été découvertesqu’en 2012. Des structures énig-matiques puisque la physiqueen jeu demeure mystérieuse,même si le plomb semble y jouerun rôle important : toute ten-tative d’y substituer un autreélément, comme l’étain, faitchuter le rendement de la conver-sion. Cela dit, en laboratoire lesrendements sont déjà très éle-vés. En outre, la mise en œuvredu matériau se fait à tempéra-ture presque ambiante, contreles 1400 °C exigés par celle dusilicium. Mais les problèmes destabilité sont loin d’être réso-lus, comme celui de la présencedu plomb sous une forme méta-bolisable par les humains.

Le déploiement massif de l’élec-tricité solaire dans les systèmesélectriques destinés à alimen-ter la population urbaine etles centres industriels des paysdéveloppés va-t-il se faire àgrande vitesse désormais ? Ilest clairement engagé danscertains pays. Il propose eneffet toute une série d’avan-tages de sécurité d’approvi-sionnement et de faible pol-lution locale (la fabrication,comme toute activité indus-trielle, pollue nécessairement).Sa marge de progression estphénoménale, puisqu’il repré-sente aujourd’hui moins de2 % de la production d’élec-tricité, laquelle croît à grandevitesse.

LE POIDS DES SUBVENTIONSJusqu’à présent, l’introductionde photovoltaïque dans les sys-tèmes électriques s’est opéréeà l’aide de subventions publiquesmassives, souvent prélevées surles factures d’électricité, commeen Europe. Ainsi, en France, les

consommateurs d’électricitéacquittent une CSPE (contri-bution au service public de l’élec-tricité) qui devrait être de 8 mil-liards d’euros en 2017, dont plusde 1,5 milliard pour la subven-

tion à l’éolien et, surtout, 2,8 mil-liards pour le photovoltaïque.Autrement dit, les consomma-teurs ont payé leur électricitésolaire 0,40 € le kilowattheure,soit huit fois le prix moyen dela production en France, guidépour l’essentiel par le nucléaireet l’hydraulique. En 2016, l’élec-tricité éolienne a représenté4,3 % pour l’éolien (21 TWh) et1,7 % pour le photovoltaïque(8,3 TWh). Le parc éolien conti-nue de progresser et atteint11670 MW installés fin décem-bre 2016, tandis que le parcsolaire grimpe à 6672 MW enpuissance maximale théorique.En Allemagne, la majorité des300 milliards d’euros de sub-ventions publiques consacrés

aux énergies renouvelables (EnR)depuis vingt ans sont allés àl’éolien et au photovoltaïque.Ces chiffres montrent l’énormeécart qui subsiste entre les prixde production du kilowattheuresolaire ou éolien annoncés parles industriels pour leurs sys-tèmes récents et la réalité éco-nomique fondée sur ces sub-ventions massives.Les coûts de l’introduction mas-sive d’électricité intermittentedans le système électrique fran-çais sont en outre systémati-quement sous-estimés. Les rac-cordements des panneauxsolaires en mode autoconsom-mation ne sont pas comptés.Le bras de fer qui avait opposél’alors ministre Ségolène Royalet la commission de régulationde l’électricité sur le TURPE(tarif d’utilisation des réseauxpublics d’électricité; soit le coûtde l’acheminement de l’élec-tricité) relève du même pro-blème : atteindre 40 % d’EnRdans la production d’électricitéen 2030 comme le stipule la loide transition énergétique sup-poserait des centaines de mil-lions d’euros d’investissements

n ÉNERGIE

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

Le principal frein à une pénétration massive du solaire dans les systèmes électriques provienttoutefois de son caractère intermittent.

Concept de centrale solaire sur ballons porté par un laboratoire franco-japonais. (Dessin Grégoire Cirade, PixScience.fr/, pour CNRS, le Journal.)

s

Fabrication de panneaux solaires : une ambiance futuriste.

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dans des lignes de transport quin’ont pas d’autres justifications.Il est urgent de les comptercomme coût systémiquede l’éo-lien et du photovoltaïque etd’anticiper cette évolution.

L’INTERMITTENCE DEMEURELE PROBLÈME MAJEURLe principal frein à une péné-tration massive du solaire dansles systèmes électriques pro-vient toutefois de son caractèreintermittent, une caractéris-tique partagée avec l’autre grandesource d’électricité nouvellerenouvelable, l’éolien. En voiciune illustration avec la produc-tion photovoltaïque en mars 2017en France (voir graph. 1).Cette caractéristique pèse tou-tefois d’une manière souventcontre-intuitive. De façon légèretant que l’apport à la produc-tion électrique totale reste mar-ginal, elle pèse de plus en plusau fur et à mesure que cette partaugmente. Il ne s’agit pas là seulement des coûts d’intro-

duction dans le système de tout équipement nouveau(connexion au réseau), il s’agitsurtout de la nécessaire com-pensation de l’intermittencepar la disponibilité de moyensde production ou de stockaged’électricité, auxquels il sera faitappel en cas de manque de ventou de soleil. Cette disponibilitépeut alors représenter un coûtcroissant qu’il faut calculer pourchaque système électrique etqui peut être soit faible, soit très,en fonction des caractéristiquestechniques dudit système.Voici une illustration de ce phé-nomène avec la comparaisondes productions en France, enmars 2017, d’électricité d’ori-gine éolienne et des centralesà gaz. Elles évoluent souvent enanticorrélation, signe que lescentrales à gaz sont utiliséespour compenser l’absence devent (voir graph. 2).Le problème provient bien sûrde l’équilibre économique final.Si les centrales à gaz devien-

nent non rentables car utiliséestrop peu de temps par an, aucunproducteur d’électricité ne vou-dra en exploiter… à moins d’êtresubventionné pour le faire. Ilfaudra donc choisir entre « cou-per le jus » ou décider d’unenouvelle subvention massive.L’exemple allemand est là pournous alerter. Il peut s’illustrer àl’aide des seize premiers joursde décembre 2016. Le graphi -que 3 montre la production dusystème électrique allemanddurant cette période.Ce graphique permet de visua-

liser les caractéristiques prin-cipales de l’intermittence solaireet éolienne. Pour le solaire, lepic de production journaliervarie sans rapport avec les évo-lutions de la consommation.Quant à la production éolienne,elle montre une grande varia-bilité, elle aussi complètementdéconnectée de la consomma-tion. Les deux premiers joursdu mois, ainsi que la périodedu 8 au 12 affichent de bonsrésultats éoliens, avec une puis-sance qui varie entre 10 et 15 GW,à rapporter à une consomma-tion qui varie entre 60 et 80 GW.Mais pour les périodes du 3 au7 et du 13 au 16 les résultats sonttrès faibles. Ainsi, le 14 décem-

bre à midi, pour une consom-mation de 70 GW, le solaireapporte 4 GW et l’éolien 1,3 GW.Au-delà des progrès techniquesqui ont rendu possible l’intro-duction de l’éolien et du pho-tovoltaïque dans les systèmesélectriques demeure donc laquestion de leur part dans unmix raisonnable. Les problèmesde stabilité du réseau, de coûtet, surtout, de compensationde leur intermittence semblentles plafonner à un apport d’en-viron 30 % avec les techno -logies actuelles pour un pays

de la taille de la France. EnEurope, seul le Danemark faitplus (environ 40 % d’éolien),mais avec un recours massifaux échanges électriques avecses puissants voisins, une solution impossible pourl’Allemagne ou la France. Seuleune baisse drastique des coûtsde stockage semble en mesurede leur permettre de dépasserce stade pour devenir un soclemajoritaire de la production,sauf à accepter une augmen-tation considérable des coûtsde l’électricité. n

SYLVESTRE HUET est journalistescientifique.

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Les problèmes de stabilité du réseau, de coût et,surtout, de compensation de leur intermittencesemblent les plafonner à un apport d’environ 30 %avec les technologies actuelles pour un pays de la taille de la France.

Graphique 1 Graphique 2

Graphique 3

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APPEL52

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2017

Le diagnostic qui sous-tend les ordonnances est erroné. Dans uncontexte de globalisation, de financiarisation et de mutations tech-nologiques, nous récusons l’idée selon laquelle, face à la persis-tance d’un chômage de masse, la solution consisterait à « restau-rer les mécanismes du marché » et à toujours plus marchandiser letravail : faciliter les licenciements et exacerber la concurrence sala-riale et sociale, renforcer le pouvoir patronal, réduire le « dialoguesocial » à un tête-à-tête entre employeurs et salariés au niveau del’« entreprise », inciter au dumping social. Tout cela pour poursui-vre encore la baisse du « coût du travail ».

Il repose sur l’idée paradoxale que la lutte contre le chômage pas-serait par des licenciements plus faciles.

Les ordonnances du gouvernement Macron-Philippe considèrentles salariés comme des mineurs, des variables d’ajustement, et nerelèvent pas les défis de notre temps : précarité massive, nouvellestechnologies où les capacités humaines créatives sont de plus en plus décisives, financiarisation, mondialisation, changementclimatique et urgence écologique, exigence de maîtrise du travailet de temps libéré.

Les ordonnances ne contiennent rien : • sur les relations mortifères entre la finance et l’investissement,sauf de les renforcer en autorisant les licenciements en France dansles multinationales sans regarder leurs profits à l’étranger ; • sur l’évaluation nécessaire de l’usage des fonds publics et desliquidités bancaires massivement versés aux entreprises ; • sur la responsabilisation des grands groupes envers les PME/TPE;• sur la formation;• sur la responsabilité sociale et environnementale des multinatio-nales à base française dans leurs transferts financiers ou produc-tifs à l’étranger (paradis fiscaux, délocalisations, etc.) ; • sur l’exercice par les salariés de pouvoirs réels sur la gestion desentreprises.

Nous pensons que ces ordonnances doivent être retirées ou trèsprofondément modifiées. Les députés devraient les rejeter. C’estun tout autre agenda qui est nécessaire pour l’emploi et le travail.

L’ordre du jour que nous proposons : viser une sécurité réelle del’emploi, organiser une maîtrise par les salariés de leurs mobilités,créer les moyens de consacrer des dépenses nouvelles au dévelop-pement des capacités humaines, désintoxiquer les entreprises dela finance, créer de nouveaux pouvoirs des salariés et des popula-tions sur l’utilisation des marges des entreprises et de leurs aidespubliques, discuter d’une réduction importante du temps de tra-vail. Nous voulons renforcer le pouvoir d’innovation économique

et sociale des salariés au lieu de s’en remettre à des logiques finan-cières, à la logique des actionnaires, en laissant le monopole dupouvoir aux dirigeants d’entreprises. Nous refusons de réduire l’en-treprise à une société de capitaux cherchant leur rentabilité finan-cière maximale. Bref, il s’agit de gagner de nouvelles libertés.

Cela permettrait aussi de relancer la demande et l’activité par l’in-vestissement matériel mais aussi immatériel dans la formation, laprotection sociale et dans une véritable transition écologique enFrance et avec nos partenaires européens.

Huit domaines devraient être discutés :1. Renforcer les garanties et protections des salariés et travailleurs,tout particulièrement par l’instauration de contrats de travail vrai-ment sécurisés pour les salariés, et par des formules spécifiquespour les nouveaux entrants dans le monde du travail (jeunes, femmesinactives), pour les séniors, etc.2. Une nouvelle articulation entre formation et emploi, visant àmettre fin à l’alternance entre travail (plus ou moins précaire) etchômage, qui touche en priorité les jeunes, les femmes et les séniors.3. De nouveaux droits individuels et collectifs pour les salariés (for-mation, organisation du travail, pénibilité, licenciements, etc.) etles chômeurs (indemnisation, licenciement, protection sociale,accompagnement). 4. Une refonte profonde du service public de l’emploi pour lui fairejouer un nouveau rôle de sécurisation des revenus (salaire, alloca-tion de formation…) et de l’emploi (accompagnement dans l’em-ploi et au-delà, appui à l’intervention économique des salariés…).5. Une extension et une modulation des cotisations sociales enfonction de la politique d’emploi des entreprises, avec un bonus-malus significatif antilicenciements et anticontrats précaires. 6.Une réorientation de l’ensemble des « aides » actuelles pour bais-ser le coût du capital (dividendes, intérêts bancaires, accumula-tion financière…) au lieu de celui du travail. 7. Une réduction offensive du temps de travail assortie à la foisd’une autre politique d’embauche pour lutter contre le chômageet de la mise en place de droits des travailleurs concernés sur ladéfinition de leur charge de travail, sur leur évaluation et sur leseffectifs nécessaires.8. La dévolution de moyens financiers nouveaux aux salariés et auxinstitutions représentatives du personnel, en lien avec les syndi-cats, à l’appui de droits nouveaux de propositions alternatives contreles licenciements, fermetures d’entreprises et sur la GPEC (gestionprévisionnelle de l’emploi et des compétences). Il faut tout parti-culièrement ouvrir un véritable droit de suivi des salariés sur l’uti-lisation des aides publiques voire de saisine du crédit bancaire, per-mettant un réel partage des pouvoirs sur les investissements et lesdécisions de production.

CONTRE LES ORDONNANCES MACRON

Un autre agenda pour l’emploi et le code du travail !

APPEL

Militants syndicaux, associatifs, politiques, ou intellectuels d’horizons divers, nous voulons ouvrir un débat social etcitoyen pour un projet alternatif allant vers une véritable sécurisation de l’emploi et de la formation. En l’état, lesordonnances du gouvernement contiennent surtout les éléments d’une flexibilité accrue du marché du travail audétriment des salariés, de l’emploi, du plus grand nombre et des PME. Elles ne portent pas sur les sujets nécessaires.

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Le renforcement du rôle de suivi et d’interpellation des organisationssyndicales et des représentants des salariés dans les entreprises iraitde pair avec la création, dans les territoires ou au niveau des branches,de nouvelles institutions sociales faisant le lien entre les entreprises,l’argent à leur disposition, les territoires concernés, la sécurisation etla formation des salariés et des privés d’emploi.

Il devrait s’agir, en définitive, de viser à la fois une autre démocratieet une autre économie, le social pouvant devenir le moteur d’un nou-veau type d’efficacité économique et écologique. L’enjeu est démo-cratique. Il est aussi d’inciter à une autre utilisation des moyens finan-ciers (marges des entreprises, crédits bancaires) pour appuyer lesinvestissements matériels et de R&D favorables à la création d’em-plois, à leur sécurisation, à la réduction du temps de travail, à l’ac-croissement des qualifications, aux économies de matières, à de moin-dres pollutions et à la création de richesses dans les territoires, visantainsi une nouvelle efficacité économique, sociale et écologique.

Initiateurs :BAUMGARTEN Christophe (avocat, barreau de Bobigny)BOCCARAFrédéric (économiste, CEPN-université de Paris-Nord,membre du CESE et des Économistes atterrés)DIDRY Claude (sociologue, CNRS, Centre Maurice-Halbwachs,IDHES-ENS Cachan)DURANDDenis (économiste, cadre retraité de la Banque de France,codirecteur d’Économie & Politique)KIRAT Thierry (économiste, IRISSO Paris-Dauphine)MEDADominique (sociologue, professeur, IRISSO Paris-Dauphine)MILLSCatherine (économiste, maître de conférences honoraireà l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, codirectrice d’Écono-mie & Politique)RAUCH Frédéric (rédacteur en chef d’Économie & Politique)SWEENEYMorgan (juriste, Paris-Dauphine Institut droit, GR-PACT[groupe de recherche pour un autre code du travail])

PLUS DE 500 PERSONNALITÉS ONT SIGNÉ CET APPEL. Pour signer : écrire à [email protected] ou aller directement sur le texte en ligne à l’adresse suivante :

https://framaforms.org/contre-les-ordonnances-macron-un-autre-agenda-pour-lemploi-et-le-code-du-travail-1505125529

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COMMANDEZ LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

N°16 HOMMAGE À JEAN-PIERRE KAHANEUn numéro dédié à notre camarade Jean-Pierre Kahane, mathématicien derenommée mondiale, cofondateur deProgressistes. Une sélection de ses derniers textes, mais aussi les hommagesqui lui ont été rendus par diverses person-nalités. À lire aussi, « La Chine en transi-tion énergétique » par Dominique Bari,« Failles et fragilité du monde numérique »par Francis Velain ou encore « Droit du travail : dernière étape du démantèlement?»par Léa Bruido et Jérôme Guardiola.

N°15 PÉTROLE, JUSQU’À QUAND?Grand oublié des débats sur l’énergie. Cenuméro revient sur les enjeux économiques,écologiques et géopolitiques actuels et àvenir autour de l’extraction du pétrole. Àlire aussi, « La science économique est-elle expérimentale ? » par Alain Tournebise,« D’autres choix politiques pour retrouverun haut niveau de sécurité ferroviaire » parDaniel Sanchis, ou encore « Loi “travail” :quand le Web rencontre la rue » par SophieBinet.

N°14 INDUSTRIE PEURS ET PRÉCAUTIONFace aux peurs et à la désindustrialisation,comment lier sûreté et développement indus-triels ? Ce numéro montre que des conver-gences existent pour repenser la gestionde l’industrie afin qu’elle soit propre, sûreet utile. On lira aussi : « Scénarios 100%renouvelable, que valent-ils ? », « Jumelageentre syndicats français et cubains », etencore « L’ intérim, un essor spectaculaire-ment contradictoire ».

N°13 JEUNESSE, REGARD SUR LE PROGRÈSDonner la parole à des étudiants commu-nistes de toute la France sur des sujets aussidivers et fondamentaux que l’écologie, lestransports, l’énergie, l’industrie, l’agroali-mentaire ou encore la révolution numérique.Dans ce numéro, on lira également « Linky,mythes et réalités sur un compteur élec-trique » de Valérie Goncalves, « Faut-il débat-tre des terroristes ou du terrorisme? » parNicolas Martin ou encore un article sur lesjeux d’échecs par Taylan Coskun.

No 12 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUEAprès un éloge de la simplicité dû à Jean-Pierre Kahane, ce numéro complète le no 5et prolonge la réflexion sur la révolutionnumérique dans la société, et plus particu-lièrement dans l’organisation du travail. Ildonne la parole à des experts et syndica-listes confrontés aux remises en cause desconquêtes sociales. Vous y trouverez lesrubriques habituelles, un article sur ce quinous lie aux vers de terre, un texte d’ÉdouardBrézin sur les ondes gravitationnelles…

No 11 LE PROGRÈS AU FÉMININLes femmes dans le monde du travail etdans les métiers de la science, sous l’an-gle des combats féministes qui contribuentau projet d’émancipation humaine. Vousy trouverez des textes d’Hélène Langevin,de Catherine Vidal, Maryse Dumas, LaurenceCohen, Caroline Bardot… Dans ce numéro,une rubrique spéciale « Après la COP21 »et le point de vue de Sébastien Balibar,membre de l’Académie des sciences, ainsiqu’une contribution de Nicolas Gauvrit surles biais en psychologie.

No 10 UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENTAprès le gâchis industriel de l’entrepriseSanofi, sortir les médicaments du marchéet développer une filière industrielle s’im-pose. Ce dossier aborde aussi la néces-saire maîtrise publique du stockage de don-nées (big data) dans ce secteur. Il met enlumière les liens entre révolution numé-rique et nouvelles industrialisations, sousla plume de Marie-José Kotlicki, mais éga-lement la problématique du stockage desdéchets nucléaires grâce à Francis Sorin.

No 9 COP21 (LES VRAIS DÉFIS)Humanité, planète, communisme et éco logie,même combat. Il va falloir prendre des mesuresdrastiques pour limiter le réchauffement climatique, mais il est lié au système de production et d’échange qui l’a créé. Quelssont les leviers sur lesquels agir? On lira aussidans ce numéro « La lutte contre le change-ment climatique passe par la bataille pourl’égalité » ; « L’écologie, une discipline scien-tifique et un métier », d’Alain Pagano un arti-cle de Sophie Binet « Ouvrir le débat en grandavec le monde du travail » et aussi « Raceset racisme » d’Axel Khan.

Tous les numéros sont téléchargeables gratuitement sur Le blog ! : revue-progressistes.org et sur revueprogressistes

CONTACTEZ : 07 88 17 63 93 ou [email protected]

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C’est avec tristesse et douleur que nous avons apprisle décès de notre amie et camarade Anne Terrel, sur-venu le jeudi 7 septembre. Elle était âgée de soixante-trois ans et luttait depuis un an contre un cancer.Elle a été un des premiers artisans de Progressistes,revue au sein de laquelle elle dirigea la rubrique «Travail ». Militante active dans la section PCF du XXe

arrondissement de Paris, elle était aussi dirigeantefédérale. Juriste de formation, vivant la réalité dumonde du travail et sa violence, elle nourrissait larevue de ses réflexions et idées d’articles. Elle signaitses textes de son pseudonyme, Anne Rivière, pour nepas se mettre en difficulté dans son entreprise, où ellemenait des combats contre la dégradation des con-ditions de travail et les logiques marchandes qui yétaient appliquées et les souffrances qui en résultaient. Anne était une femme d’une incroyable gentillesse,respectueuse d’autrui, d’une humanité rare. D’unedouceur constante, elle nous manque déjà et nousressentons la douleur de sa disparition. Nous contin-uerons son combat à travers la revue.Nous voulons exprimer ici toutes nos condoléancesles plus sincères aux proches et à la famille d’Anne.

MERCI, ANNE

« Les révolutions sont des révolutions sociales qui s’enracinent dansle développement de profondes contradictions et de malaisesdevenant explosifs au sein des nations et des sociétés. »

Antoine Casanova, « Napoléon et la pensée de son temps. Une histoire intellectuelle singulière », 2000.

Antoine Casanova nous a quittés. Il était un des grands intel-lectuels communistes de notre pays. Historien, il a travaillé surles voies de passage du féodalisme au capitalisme, sur la Révolution,sur l’histoire sociale et politique de la Corse, où il était né, et surNapoléon Bonaparte. Il était aussi un connaisseur averti et respec-té de l’Église catholique, en particulier de son histoire depuis leconcile Vatican II. Antoine Casanova a été un intellectuel rigoureuxdans sa pensée, ouvert aux autres. C’est dans cet esprit qu’il aanimé la Nouvelle Critique, avec Francis Cohen, dans les années1970, et qu’il a dirigé la Pensée de 1978 à 2014.Spécialiste de la Révolution française, il aimait vivre à Versailles,près de la salle du Jeu de paume et du palais. Il en fut pendant denombreuses années un élu d’opposition, vigoureux, reconnu etrespecté de la droite versaillaise au sein du conseil municipal.Antoine Casanova a fait profiter au collectif communiste de sonsavoir, de sa pensée singulière. Membre du comité central du PCF,de son bureau politique, Antoine a été de tous les combats pourl’émancipation humaine, pour que son parti soit à la hauteur desenjeux de notre temps. Dans le cadre de ses fonctions, il a beau-coup travaillé afin de construire des échanges fructueux,

passionnants, avec le mondedes croyants, y compris desmembres de la hiérarchiecatholique. Il défendait l’idéede Jaurès d’une laï cité del’égalité, qu’il a fait partagernotamment en 2005 dansde très nombreuses con-férences lors du centenairede la loi de séparation desreligions et de l’État.Antoine c’était aussi l’amourde son île, la Corse. Il en agardé l’accent, et aimaitpartager sa culture, ses spé-cialités culinaires et les joiesde la montagne et de la mer.À sa fille, Michèle, à sesproches, je tiens à leurexprimer en mon nom et celui des communistes mes condoléancesles plus sincères. Nous partageons votre chagrin. Nous garderonsun beau souvenir d’Antoine, qui nous laisse en héritage une pen-sée pénétrée des grands apports de Marx, exigeante et créative.

Pierre Laurent, secrétaire national du PCF

« Antoine Casanova était un des grands intellectuels communistes de notre pays »

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Les sciences et les techniques au féminin

Maryam Mirzakhani

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Maryam MirzakhaniMathématicienne iranienne, elle est surtout connue pour ses travaux en topologie et géométrie. Elle investit différents champs de recherche enmathématique, tels que l’espace de Teichmüller, la géométrie hyperbolique, la théorie ergodique, l’espace de modules et la géométrie symplec-tique. Mais c’est en travaillant sur la géométrie des surfaces de Riemann qu’elle fait ses plus grandes découvertes. Après une thèse, qualifiée de « chef-d’œuvre », sous la direction de l’éminent Curtis McCullen, elle devient maître de conférences à l’université de Princeton puis poursuit sa carrière à l’université de Stanford, où elle enseignait depuis septembre 2008. Elle sera plusieurs fois distinguée pour ses travaux, notamment,en 2014, par la médaille Fields : elle est la première femme à recevoir cette distinction.Atteinte d’un cancer du sein, elle poursuivra jusqu’au bout ses recherches, et déclare le 13 juillet 2017 dans un post sur Facebook : « Plus je passede temps à faire des maths, plus je suis heureuse. » Elle s’éteindra le lendemain. Elle avait quarante ans.

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