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Bulletin du droit d’auteur juin 2003 DOCTRINE LES EXCEPTIONS ET LIMITATIONS AU DROIT D’AUTEUR AU SENS DE L’ARTICLE 13 DES ADPIC 1 L’OMC statue sur les exceptions au droit d'auteur 2 Par Yves Gaubiac 3 1. Les exceptions sont au coeur des discussions dans le milieu du droit d’auteur, du fait, en particulier, de la numérisation des oeuvres et donc des nouvelles formes de leur exploitation. L’élaboration de la Directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (Voir Com. com. électr. mai 2001, chron. n° 13, Christophe Caron) en témoigne. Bien que rendue à propos d’une utilisation traditionnelle des oeuvres, la décision de l’Organisation mondiale du commerce (l’« OMC ») sur l’interprétation de la loi américaine au regard de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (« l’Accord sur les ADPIC ») constitue une contribution essentielle à l’édifice des exceptions. Celles-ci prennent une dimension nouvelle. En effet, un Groupe spécial – panel, en anglais - de l’OMC a rendu le 15 juin 2000 des Conclusions et des Recommandations (le « Rapport ») sur les exceptions aux droits exclusifs 4 contenues dans l'article 110 5) de la loi des États-Unis d’Amérique. Le différend entre les Communautés européennes et les États-Unis concernait cette disposition de la loi de 1976 sur le droit d'auteur, telle qu'elle a été modifiée par la loi sur les pratiques loyales dans le domaine des licences relatives à des oeuvres musicales du 27 octobre 1998, entrée en vigueur le 26 janvier 1999. Aux termes du Rapport, une partie de ces limitations est jugée non conforme à l’Accord sur les ADPIC. Les États-Unis doivent mettre leur législation en conformité avec ce Traité. En effet, le 27 juillet 2000, l’Organe de Règlement des Différends a adopté le Rapport du Groupe spécial. Le 1 A propos de l’Accord sur les ADPIC, voir notre article : Une dimension internationale nouvelle du droit d’auteur : l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce ; RIDA, n° 166, oct. 1995 ; sur les exceptions, voir nos études suivantes : La liberté de citer une oeuvre de l'esprit : RIDA n°171, janv. 1997 ; L’avenir de la copie privée numérique en Europe, en collaboration avec Jane C. Ginsburg : Com. com. électr. janv. 2000, chron. n°1. 2 Cette étude a été publiée, en France, dans la Revue Communication – Commerce Electronique (Com. com. électr.) de Juin 2001. 3 Docteur d'Etat en droit, Avocat, associé du Cabinet Kimbrough & Associés, Chargé d'enseignement à l'Université Panthéon-Assas Paris II. 4 Le droit exclusif de l’auteur auquel l’article 110 5) aménage une exception est celui énoncé à l'article 106 : "… accomplir et autoriser les actes suivants. ... 4) dans le cas d'oeuvres littéraires, musicales, dramatiques et chorégraphiques, de pantomimes, de films cinématographiques et autres oeuvres audiovisuelles, représenter ou exécuter en public l'oeuvre protégée ; 5) dans le cas d'oeuvres littéraires, musicales, dramatiques et chorégraphiques, de pantomimes ainsi que d'oeuvres de peinture, des arts graphiques ou de sculpture, y compris les images isolées d'un film cinématographique ou de toute autre oeuvre audiovisuelle, présenter en public l'oeuvre protégée; ...". U:\ACE\CPY\CY\BULLETIN\BULL. 2 2003\ARTICLEYVESGAUBIAC 2.LIM ET EXC PANEL OMC3.UNESCO.DOC

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Bulletin du droit d’auteur juin 2003

DOCTRINE

LES EXCEPTIONS ET LIMITATIONS AU DROIT D’AUTEUR

AU SENS DE L’ARTICLE 13 DES ADPIC1

L’OMC statue sur les exceptions au droit d'auteur2

Par Yves Gaubiac3

1. Les exceptions sont au cœur des discussions dans le milieu du droit d’auteur, du fait, en particulier, de la numérisation des œuvres et donc des nouvelles formes de leur exploitation. L’élaboration de la Directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (Voir Com. com. électr. mai 2001, chron. n° 13, Christophe Caron) en témoigne. Bien que rendue à propos d’une utilisation traditionnelle des œuvres, la décision de l’Organisation mondiale du commerce (l’« OMC ») sur l’interprétation de la loi américaine au regard de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (« l’Accord sur les ADPIC ») constitue une contribution essentielle à l’édifice des exceptions. Celles-ci prennent une dimension nouvelle.

En effet, un Groupe spécial – panel, en anglais - de l’OMC a rendu le 15 juin 2000 des Conclusions et des Recommandations (le « Rapport ») sur les exceptions aux droits exclusifs4

contenues dans l'article 110 5) de la loi des États-Unis d’Amérique. Le différend entre les Communautés européennes et les États-Unis concernait cette disposition de la loi de 1976 sur le droit d'auteur, telle qu'elle a été modifiée par la loi sur les pratiques loyales dans le domaine des licences relatives à des œuvres musicales du 27 octobre 1998, entrée en vigueur le 26 janvier 1999.

Aux termes du Rapport, une partie de ces limitations est jugée non conforme à l’Accord sur les ADPIC. Les États-Unis doivent mettre leur législation en conformité avec ce Traité. En effet, le 27 juillet 2000, l’Organe de Règlement des Différends a adopté le Rapport du Groupe spécial. Le

1 A propos de l’Accord sur les ADPIC, voir notre article : Une dimension internationale nouvelle du droit d’auteur : l'Accord

sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce ; RIDA, n° 166, oct. 1995 ; sur les exceptions, voir nos études suivantes : La liberté de citer une oeuvre de l'esprit : RIDA n°171, janv. 1997 ; L’avenir de la copie privée numérique en Europe, en collaboration avec Jane C. Ginsburg : Com. com. électr. janv. 2000, chron. n°1.

2 Cette étude a été publiée, en France, dans la Revue Communication – Commerce Electronique (Com. com. électr.) de Juin 2001.

3 Docteur d'Etat en droit, Avocat, associé du Cabinet Kimbrough & Associés, Chargé d'enseignement à l'Université Panthéon-Assas Paris II.

4 Le droit exclusif de l’auteur auquel l’article 110 5) aménage une exception est celui énoncé à l'article 106 : "… accomplir et autoriser les actes suivants. ... 4) dans le cas d'œuvres littéraires, musicales, dramatiques et chorégraphiques, de pantomimes, de films cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles, représenter ou exécuter en public l'œuvre protégée ; 5) dans le cas d'œuvres littéraires, musicales, dramatiques et chorégraphiques, de pantomimes ainsi que d'œuvres de peinture, des arts graphiques ou de sculpture, y compris les images isolées d'un film cinématographique ou de toute autre œuvre audiovisuelle, présenter en public l'œuvre protégée; ...".

U:\ACE\CPY\CY\BULLETIN\BULL. 2 2003\ARTICLEYVESGAUBIAC 2.LIM ET EXC PANEL OMC3.UNESCO.DOC

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24 août 2000, les États-Unis ont informé l’Organe de règlement des différends qu’ils mettraient en place les Conclusions du Groupe spécial. Le 12 décembre 2000, un arbitre a fixé aux Etats-Unis d’Amérique le délai à douze mois pour cette mise en place, à compter de la date de l’adoption du Rapport du Groupe spécial par l’Organe de Règlement des Différends, soit le 27 juillet 2000, le délai arrivant donc à expiration le 27 juillet 2001.

2. La décision de l’OMC est d’une importance majeure dans l’appréciation du contenu et de la portée des exceptions introduites par les législations nationales. Même si le rapport porte sur un différend entre états relatif à la conformité d’une loi à une norme internationale, la démarche des membres du groupe spécial inspirera nécessairement les juges nationaux à l’occasion de litiges portant sur des exceptions au droit d’auteur. Les avocats et les juristes d’entreprises devront intégrer dans leur pratique les éléments de mesure mis en œuvre par le groupe spécial. A un moment où les exceptions suscitent tant d’intérêt à l’ère du multimédia et où les pays de l’union européenne s’apprêtent à transposer la directive, il est indispensable de présenter les conclusions et les recommandations du groupe spécial. Je suis d’ailleurs étonné que l’on en parle si peu en France5.

Le texte établi par le Groupe spécial est riche. Il n’est pas possible d’en faire ressortir tous les points. Je procèderai ici à une tentative de synthèse, quelquefois critique, en encourageant vivement les lecteurs à lire le document dans son intégralité6.

Les Conclusions du Groupe spécial, constituent la première décision d’un tribunal international mettant en cause des États dans le domaine du droit d’auteur. De plus, le Groupe spécial a statué sur une question majeure. La rédaction du rapport est particulièrement soignée. L’analyse est précise et rigoureuse, même si l’on peut regretter parfois le manque de synthèse. J’apprécie que les juges exposent leur raisonnement dans le détail7. Cela ne me conduira toutefois pas à partager toutes les analyses du Groupe spécial, en particulier en ce qui concerne le recours à la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 et la question des « exceptions mineures ».

3. Quelle est la genèse de ce document impressionnant auquel tous les juristes devront se référer ? Le 26 janvier 1999, les Communautés européennes et leurs États membres (les « Communautés européennes ») ont demandé l'ouverture de consultations avec les États-Unis, au sujet de l'article 110 5) de la loi sur le droit d'auteur des États-Unis telle qu'elle a été modifiée le 27 octobre 1998. Les Communautés européennes et les États-Unis ont tenu des consultations, mais ne sont pas parvenues à un accord. Les Communautés européennes ont alors demandé l'établissement d'un Groupe spécial, dans le cadre de l’OMC.

4. Selon la loi de 1976 sur le droit d'auteur des États-Unis, avant la modification du 27 octobre 1998, l'article 110 5) visait à exonérer de la responsabilité pour atteinte au droit d'auteur quiconque utilisait, dans un lieu public, un appareil récepteur ordinaire de radio ou de télévision d'un modèle couramment vendu au public pour un usage privé. Cette disposition était justifiée par le fait que

5 Voir cependant Toward Supranational Copyright Law ? The WTO Panel decision and the « Three-step Test » for Copyright Exceptions, Jane C. Ginsburg : RIDA n°187, janv. 2001, p. 3 ; André Françon, Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique 2001, n°2.

6 Document disponible en anglais et en français sur le site de l’Organisation Mondiale du Commerce : www.wto.org.

7 Ce dont nous privent souvent les juges français, en particulier, les magistrats de notre Cour de cassation. Mais notre tradition juridique est différente. Nous reprendrons dans nos développements des parties substantielles du texte du Rapport. Le but de cet article est de porter à la connaissance des lecteurs le contenu substantiel du Rapport, de la manière la plus neutre possible, en opérant toutefois des choix. Nous imposerons cependant, ça et la, quelques commentaires distincts. Les nombreuses citations proviennent de la version française du Rapport établie par l’OMC.

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l'utilisation secondaire qui était faite d'une émission avec un poste récepteur ordinaire en public est minime et qu'elle ne devrait donc engager aucune responsabilité.

Les facteurs à prendre en considération pour appliquer l'exception étaient en grande partie fondés sur les faits concernant une affaire tranchée par la Cour suprême des États-Unis avant

l'adoption de la loi de 1976 sur le droit d'auteur. Il s’agit de l'affaire Aiken8, dans laquelle la Cour suprême avait décidé que le propriétaire d'un petit restaurant à service rapide était exonéré de toute responsabilité pour atteinte au droit d'auteur, pour la diffusion de musique à l'aide d'un appareil de radio raccordé à quatre haut-parleurs situés au plafond ; la superficie de l'établissement était de 1 055 pieds carrés (98 m2) dont 620 pieds carrés (56 m2) étaient ouverts au public. Cette exception pour usage privé définie à l’alinéa A) de l’article 110 5) concerne la communication d'une émission comprenant la représentation ou l’exécution d'une œuvre musicale dramatique par la réception publique de l'émission sur un appareil récepteur isolé d'un modèle couramment utilisé dans les

foyers9.

Avec la modification de 1998, un nouvel alinéa B) a été ajouté à l'article 110 5), savoir « l'exception pour usage dans des entreprises commerciales ». Cette exception porte sur la communication par un établissement d'une émission ou d'une retransmission comprenant l'exécution ou la présentation d'une œuvre musicale non dramatique destinée à être reçue par le grand public, émise par une station de radiodiffusion ou de télévision ou par un réseau de distribution par câble ou un organisme d'acheminement par satellite.

Cette exception s’applique, dans le cas d'un établissement autre qu'un établissement de restauration ou un débit de boissons, lorsque cet établissement, dans lequel la communication a lieu, dispose d’une superficie inférieure à 2 000 pieds carrés bruts (186 m2). Cette exception s’applique également pour le même type d’établissement, lorsque celui-ci dispose d’une superficie égale ou supérieure à 2 000 pieds carrés bruts, mais à la condition que l’exécution ait lieu par l’usage de moyens limités. Ces moyens sont les suivants : si l’exécution se fait uniquement par des moyens audio, elle doit être communiquée au moyen d'un total de six haut-parleurs au plus, dont quatre au plus sont situés dans une même pièce ou dans l'espace extérieur attenant ; si l'exécution se fait par des moyens audiovisuels, toute partie visuelle de l'exécution ou de la présentation doit être communiquée au moyen d'un total de quatre dispositifs audiovisuels au plus, dont un au plus est situé dans une même pièce, et aucun de ces dispositifs audiovisuels n'a un écran d'une dimension de plus de 55 pouces (environ 15 cm) dans le sens de la diagonale, et toute partie audio de l'exécution ou de la présentation doit être communiquée au moyen d'un total de six haut-parleurs au plus, dont quatre au plus sont situés dans une même pièce ou dans l'espace extérieur attenant.

Dans le cas d'un établissement de restauration ou d'un débit de boissons, la même exception s’applique, à la différence près que la surface à prendre en compte est de 3 750 pieds carrés bruts

(348 m2), au lieu d’être fixée au seuil de 2 000 pieds carrés bruts10.

8 Twentieth Century Music Corp. v. Aiken, 422 U.S. 151 (1975).

9 De plus, si aucun droit n’est directement perçu pour permettre de voir ou d'entendre l'émission, ou si l'émission ainsi reçue n’est pas retransmise ensuite au public.

10 Pour être admise, cette seconde exception doit également remplir les trois conditions suivantes : 1. aucun droit n'est directement perçu pour voir ou entendre l'émission ou la retransmission ; 2. l'émission ou la retransmission n'est pas retransmise au-delà de l'établissement dans lequel elle est reçue ; et 3. l'émission ou la retransmission est autorisée par le titulaire du droit d'auteur sur l'œuvre ainsi exécutée ou présentée en public.

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L'expression « œuvres musicales non dramatiques » figurant à l'alinéa B) de l’article 110 5) ne comprend pas la communication d'un extrait musical faisant partie d'un opéra, d'une opérette, d'une comédie musicale ou d'une autre œuvre dramatique similaire lorsque cet extrait est exécuté dans un contexte dramatique. Toutes les autres œuvres musicales sont visées par cette expression, y compris des chansons isolées extraites d'œuvres dramatiques lorsqu'elles sont exécutées hors de tout contexte dramatique. En revanche, le champ de l'alinéa A) est limité aux œuvres musicales qui ne sont pas visées par l'alinéa B), c’est-à-dire aux oeuvres dramatiques telles que la communication

d'une émission radiodiffusée d'une interprétation dramatique de la musique écrite pour un opéra11.

Les Communautés européennes ont estimé que les exceptions prévues aux alinéas A) et B) de l'article 110 5) « sont incompatibles avec l'article 9.1 de l'Accord sur les ADPIC pris conjointement avec les articles 11 1) 2° et 11bis 1) 3° de la Convention de Berne (1971) et qu'elles ne peuvent être justifiées au titre d'aucune exception ou limitation expresse ou implicite admissible en vertu de la Convention de Berne (1971) ou de l'Accord sur les ADPIC ». Ces mesures « portent atteinte aux droits légitimes des titulaires du droit d'auteur, annulant et compromettant ainsi les droits des Communautés européennes ». Elles demandent en conséquence au Groupe spécial de « constater que les États-Unis ont manqué à leurs obligations au titre de l'article 9.1 de l'Accord sur les ADPIC pris conjointement avec les articles 11bis 1) 3° et 11 1) 2° de la Convention de Berne (1971) et de recommander que les États-Unis rendent leur législation intérieure conforme à leurs

obligations au titre de l'Accord sur les ADPIC »12.

Les États-Unis ont soutenu que l'article 110 5) « est pleinement compatible avec leurs obligations au titre de l'Accord sur les ADPIC. L'Accord, incorporant les dispositions de fond de la Convention de Berne (1971), permet aux Membres d'assortir de limitations mineures les droits exclusifs des titulaires du droit d'auteur » et « l’article 13 de l'Accord sur les ADPIC définit la norme à appliquer pour évaluer le caractère approprié de ces limitations ou exceptions. Les

exceptions énoncées à l'article 110 5) relèvent de la norme définie à l'article 13 »13.

5. Le raisonnement du Groupe spécial est constitué de deux grandes étapes. Tout d’abord, le Groupe spécial examine la question de l’intégration des dispositions de la Convention de Berne dans l’Accord sur les ADPIC et le champ d’application de l’article 13 de cet Accord. Concluant la première partie dans le sens de l’application de l’article 13 au différend, le Groupe spécial procède ensuite à l’analyse des trois conditions posées par cet article, afin de se prononcer sur la compatibilité des deux exceptions de la loi américaine avec ledit article.

11 Les dispositions ne font pas de distinction entre les transmissions analogiques et les transmissions numériques. L'article 110 5) ne s'applique pas à l'utilisation de musique enregistrée ou à l'exécution d'œuvres musicales en direct.

12 L’article 11 1) 2°, de la Convention de Berne dispose : « Les auteurs d’œuvres dramatiques, dramatico-musicales et musicales jouissent du droit exclusif d'autoriser : … 2° la transmission publique par tous moyens de la représentation et de l'exécution de leurs œuvres ». Le point 1° de cet article vise « la représentation et l’exécution publiques de leurs œuvres, y compris la représentation et l’exécution publiques par tous moyens et procédés ».

L’article 11bis, 1) 3°, de cet instrument international dispose : « Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d'autoriser : …3° la communication publique, par haut-parleur ou par tout autre instrument analogue transmetteur de signes, de sons ou d'images, de l’œuvre radiodiffusée. » L’article 11bis 1), 1° et 2°, vise : « 1° la radiodiffusion de leurs oeuvres ou la communication publique de ces oeuvres par tout autre moyen servant à diffuser sans fil les signes, les sons ou les images ; 2° toute communication publique, soit par fil soit sans fil, de l’œuvre radiodiffusée, lorsque cette communication est faite par un autre organisme que celui d'origine ».

Lorsque la Convention de Berne est visée sans précision de date, il s’agit de l’Acte de 1971. 13 L’article 13 dispose : « Les Membres restreindront les limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit. ».

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I. la Convention de Berne intégrée à l'Accord sur les ADPIC 6. L’article 9.1 de l’Accord sur les ADPIC dispose que pour ce qui est des normes qui concernent l’existence, la portée et l’exercice des droits de la propriété intellectuelle, les États se conformeront aux articles premier à 21 de la Convention de Berne et à son Annexe, sauf en ce qui

concerne l’article 6bis14. En conséquence, du fait de leur incorporation, les règles de fond de la Convention de Berne, y compris les dispositions des articles 11bis 1) 3° et 11 1) 2°, sont devenues partie intégrante de l'Accord sur les ADPIC et, en tant que dispositions dudit accord, doivent être considérées comme s'appliquant aux États membres de l'OMC.

Mais l’article 2.2 précise qu’aucune disposition de l’Accord sur les ADPIC ne dérogera aux obligations qui pèsent sur les États membres, les uns à l'égard des autres, en vertu de la Convention de Berne. Si les dispositions de la Convention de Berne sont incorporées dans l’Accord sur les ADPIC, - c’est-à-dire si elles constituent le fond même des règles du droit d’auteur avec les autres dispositions qui ont été ajoutées -, cette incorporation ne devrait toutefois pas modifier les règles applicables entre les États membres de l’Union de Berne.

7. Dans leur argumentation, les Etats-Unis d’Amérique ont invoqué les « exceptions mineures ». Celles-ci ont été évoquées lors des Conférences diplomatiques de 1948 (Bruxelles) et de 1967 (Stockholm) de la Convention de Berne, en dehors des exceptions introduites dans le corps même du texte de cet instrument international. Ces exceptions ne font pas l’objet de dispositions particulières dans la Convention de Berne. Sont-elles intégrées dans l’Accord sur les ADPIC par le biais de l’article 13 de cet Accord, comme l’ont soutenu les États-Unis ? Cet Etat considère que l’Accord sur les ADPIC, en incorporant les dispositions de fond de la Convention de Berne, permet aux États membres d’assortir de limitations mineures les droits exclusifs des titulaires du droit d’auteur et que l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC fixe la norme pour déterminer les exceptions. Selon les États-Unis, les exceptions énoncées à l'article 110 5) relèvent de la norme définie à l'article 13 et la doctrine dite des « exceptions mineures » s'applique aux droits exclusifs prévus aux articles 11bis 1) et 11 1) de la Convention de Berne.

A l’opposé, les Communautés européennes considèrent que l’article 13 s'applique uniquement aux droits exclusifs nouvellement introduits dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC et que les droits conférés au titre des articles premier à 21 de la Convention de Berne, tels qu'ils sont incorporés dans l'Accord sur les ADPIC, ne peuvent faire l'objet d'une dérogation qu'en raison d'exceptions applicables en vertu de la Convention de Berne. Selon elles, l'article 20 de la Convention de Berne permet seulement aux « pays de l'Union [de Berne] … de prendre entre eux des arrangements particuliers, en tant que ces arrangements conféreraient aux auteurs des droits plus étendus que ceux accordés par la Convention [de Berne] ». Celle-ci ne permet pas qu'un autre

traité réduise son niveau de protection15.

8. Pour conduire son raisonnement, le Groupe spécial s’appuie sur la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. Cet instrument international inclut le contexte de l’adoption d’un traité pour son interprétation, savoir la prise en considération de « tout accord ayant rapport au

14 L’article 6bis porte sur le droit moral de l’auteur. 15 Dans leur argumentation, les Communautés européennes ajoutent que l'article 20 de la Convention de Berne se reflète dans l'Accord sur les ADPIC à travers l'article 2 2) ainsi libellé : "Aucune disposition des Parties I à IV du présent accord ne dérogera aux obligations que les Membres peuvent avoir les uns à l'égard des autres en vertu de la Convention de Paris, de la Convention de Berne, de la Convention de Rome ou du Traité sur la propriété intellectuelle en matière de circuits intégrés."

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traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité… »16. Le Groupe spécial considère que la doctrine des « exceptions mineures » fait partie du contexte des articles 11bis et 11 de la Convention de Berne, « en vertu d'un accord au sens de l'article 31 2) a) de la Convention de Vienne, qui est intervenu entre les États membres de l'Union de Berne à l'occasion de la conclusion des instruments respectifs portant modification de ladite convention ». Le Groupe

spécial se fonde sur les rapports des conférences diplomatiques de Bruxelles de 194817, de

Stockholm de 1967 et de Paris de 1971, ainsi que sur la pratique des États18.

9. A défaut d'exclusions expresses à l'article 9.1 de l'Accord sur les ADPIC, le Groupe spécial a considéré que « l'incorporation des articles 11 et 11bis de la Convention de Berne (1971) dans l'Accord englobe l'ensemble de l'acquis de ces dispositions, y compris la possibilité de prévoir des exceptions mineures aux droits exclusifs respectifs ». Le Groupe spécial s’appuie sur les travaux des négociations du Cycle d’Uruguay du GATT, relatives à l’Accord sur les ADPIC, et sur le principe général d'interprétation consistant à adopter le sens qui concilie les textes de différents

traités et qui évite qu'il y ait un conflit entre ces textes19, puisque « Dans le domaine du droit d'auteur, la Convention de Berne et l'Accord sur les ADPIC constituent le cadre général de la protection multilatérale » et que « La plupart des Membres de l'OMC sont également parties à la

Convention de Berne »20.

Le Groupe spécial a suivi l’argumentation des États-Unis. Il a estimé que « ni le libellé exprès ni le contexte de l'article 13 ou de toute autre disposition de l'Accord sur les ADPIC n'étayent l'interprétation selon laquelle le champ d'application de l'article 13 se limite aux droits exclusifs nouvellement introduits dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC ». Il considère que l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC est applicable également aux droits des articles 11 1) et

11bis 1) de la Convention de Berne21.

16 Article 31 2) de la Convention de Vienne. Lorsque l'on évoque la Convention de Vienne, il convient de garder à l'esprit le fait que cette convention n'a pas été ratifiée par la plupart des grands pays (Allemagne, États-Unis, France et Russie), alors même que ce traité est abondamment cité par des représentants d'États qui ne l'ont pas ratifié.

17 Lorsque le droit de représentation ou d’exécution publiques a été inscrit pour la première fois dans l’article 11 et lorsque les alinéas 2° et 3° de l’article 11bis 1) ont été ajoutés.

18 Voir paragraphe 6.60 du Rapport.

19 « En conséquence, il faudrait éviter d'interpréter l'Accord sur les ADPIC comme signifiant autre chose que la Convention de Berne sauf lorsque cela est explicitement prévu ».

20 Le Groupe spécial estime également que le libellé du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur signé en décembre 1996, et, en particulier celui de la Déclaration commune qui y est relative, permet aux États membres de l'Union de Berne d’assortir d'« exceptions mineures » les droits prévus aux articles 11 et 11bis de l'Acte de Paris de l971, et certains autres droits, l'objectif étant non pas de refuser aux Etats parties au Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur la possibilité de prévoir de telles « exceptions mineures », mais plutôt d'assujettir leur application au « triple critère » énoncé à l'article 10 2) du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur.

Quant à la notion d’ « exceptions mineures », le Groupe spécial ne s’est pas rallié à la thèse qui limitait ces exceptions à celles déjà existantes dans les législations nationales avant l’adoption de l’Acte de la Convention de Berne en cause, ni à celle limitant celles-ci aux seules exceptions pour les cérémonies religieuses, les fanfares militaires et les nécessités de l’enseignement et de la vulgarisation.

21 « L'application de l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC aux droits prévus aux articles 11 1) et 11bis 1) de la Convention de Berne (1971) tels qu'ils sont incorporés dans l'Accord sur les ADPIC n'entraîne pas nécessairement des normes différentes de celles qui sont applicables en vertu de la Convention de Berne (1971), étant donné que nous avons établi que la possibilité de prévoir des exceptions mineures fait partie du contexte de ces articles. »

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10. Les « exceptions mineures », cruciales dans cette affaire et entendues largement par le Groupe spécial, ont permis l’extension, à l’ensemble des droits, de l’exception de l’article 9.2 de la Convention de Berne limitée au droit de reproduction. En effet, dans le différend opposant les Communautés européennes aux États-Unis, ce n’était pas le droit de reproduction qui était en cause, mais le droit de représentation à propos duquel il n’allait pas de soi que l’article 13 s’applique.

En acceptant la thèse des « exceptions mineures », le Groupe spécial a étendu le champ des exceptions à l’article 11bis 1), alors que la seule limite permise à ce texte par la Convention de Berne est celle aménagée par l’alinéa 2 qui impose une rémunération équitable. De plus, la Convention de Berne ne prévoit aucune exception à son article 11. Le Groupe spécial a pris le parti d’introduire des exceptions aux articles 11 et 11bis de la Convention de Berne et d’appliquer l’article 13 aux droits contenus dans ces articles comme aux autres droits de propriété intellectuelle couverts indirectement par l’Accord sur les ADPIC. Cette thèse est contestable.

Mais, si les États-Unis ont obtenu gain de cause sur le raisonnement juridique, le Groupe spécial ne les a pas suivis sur le terrain de l’application des critères de l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC, tout au moins à propos de l’exception la plus discutée, nouvellement introduite par la loi du 27 octobre 1998, savoir l’exception pour usage dans des entreprises commerciales.

II. L’application des trois critères cumulatifs de l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC 11. L'article 13 énonce une règle générale de limitation, en posant trois conditions cumulatives : 1) les limitations ou exceptions sont restreintes à certains cas spéciaux ; 2) elles ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ; 3) elles ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit. Le caractère cumulatif ne fut pas l’objet de discussions ; les États-Unis et les Communautés européennes l’ont admis.

Il nous faut maintenant décrire les Conclusions du Groupe spécial en passant en revue chacun des trois critères.

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A. « certains cas spéciaux »

12. Pour conduire son analyse, le Groupe spécial commence par définir les trois termes en jeu.

Le Groupe spécial choisit de définir le terme « certains » par « connu et particularisé, mais pas explicitement identifié », « déterminé, fixe, non variable ; défini, précis, exact ». Il indique que ce terme signifie qu’une « exception ou limitation prévue dans la législation nationale doit être clairement définie », mais « [qu’] il n'est pas nécessaire d'identifier explicitement chacune des situations éventuelles auxquelles l'exception pourrait s'appliquer, pour autant que la portée de l'exception soit connue et particularisée ».

Le terme « spécial » signifierait « ayant une application ou une fin particulière ou limitée », « détaillé ; précis, spécifique », « d'une qualité ou d'une importance exceptionnelle ; inhabituel ; hors du commun » ou « reconnaissable d'une certaine façon ». Le Groupe spécial indique que ce terme signifie « qu'il faut plus qu'une définition claire pour satisfaire à la norme établie par la première condition ». De plus, « une exception ou limitation devrait avoir un champ d'application limité ou une portée exceptionnelle … Une exception ou limitation devrait être restreinte au sens quantitatif aussi bien que qualitatif », ce qui laisse entendre une « portée restreinte ainsi qu'un objectif exceptionnel ou reconnaissable ».

Le terme "cas" recouvrirait un "phénomène", une "circonstance", un "événement" ou un "fait". Par exemple, dans le contexte du différend, le "cas" pourrait être « décrit en fonction des bénéficiaires des exceptions, du matériel utilisé, des sortes d'œuvres concernées ou d'autres

facteurs »22.

13. Ces définitions étant posées, le Groupe spécial analyse, à leurs lumières, si les deux exceptions énoncées aux alinéas A) et B) de l’article 110 5) remplissent la première condition. Le Groupe spécial commence par examiner celle concernant l’usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B).

1. L’exception pour usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B) de l’article 110 5)

14. Pour soutenir leur position, les États-Unis prétendent que cette exception satisfait à la première condition, étant donné qu’elle est clairement définie à l'article 110 5) par des limitations concernant la superficie et le matériel, et que l'objectif de politique générale visé par cette exception est d'encourager les petites entreprises.

A l’opposé, les Communautés européennes soutiennent que cette exception a une portée beaucoup trop vaste, en raison du grand nombre d'établissements qui sont susceptibles d'en bénéficier. Selon les Communautés européennes, il est sans intérêt que la dimension des établissements et le type de matériel soient clairement définis, en raison de la vaste portée de l'exception pour usage dans des entreprises commerciales.

22 Selon le Groupe spécial, conformément à une pratique en usage au sein de l’OMC, il ne convient pas d’interpréter un texte en fonction de l’objectif ou du but subjectif poursuivi par la législation nationale. Ces objectifs peuvent seulement être utiles pour opérer des déductions quant à « la portée d’une limitation … ou de la clarté de sa définition ».

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15. Pour prendre position, le Groupe spécial se livre à une étude factuelle détaillée de la situation aux États-Unis pour déterminer le pourcentage d’établissements de restauration, de débits de boissons et d’établissements de vente au détail susceptibles de bénéficier de l’exception. Dans son analyse, le Groupe spécial prend en compte (a) l’importance en volume des établissements visés - les informations relevées par le Groupe spécial soulignent qu'une vaste majorité des établissements de restauration et débits de boissons et près de la moitié des établissements de vente au détail sont visés par l'exception, (b) les utilisateurs potentiels, (c) l’incidence de l’exception sur l’utilisation d’autres sources de musique substituables et (d) les travaux préparatoires portant sur l’article 11bis 3°) de la Convention de Berne - les travaux de la Conférence de Bruxelles de 1948 indiquent que les établissements visés par le texte fondant le droit exclusif sont « partout où les hommes se réunissent : au cinéma, au restaurant, à l'hôtel, au salon de thé et jusque dans les wagons de chemin de fer ... ». Le Groupe spécial relève également que « les travaux préparatoires mentionnent également des lieux tels que les usines, les magasins et les bureaux ».

En conséquence, le Groupe spécial considère que l’exception pour usage dans les entreprises

commerciales énoncée à l’alinéa B) de l’article 110 5) ne constitue pas un « certain cas spécial »23.

2. L’exception pour usage de type privé énoncé à l’alinéa A) de l’article 110 5)

16. Les États-Unis soutiennent que cette exception remplit la première condition de l’article 13, étant donné que sa portée est limitée à une utilisation faisant intervenir un appareil récepteur pour un usage de type privé. Il s’agit d’une norme précise, suffisamment claire et bien circonscrite.

A l’inverse, les Communautés européennes considèrent que les critères relatifs à l'exception pour usage de type privé sont formulés de manière ambiguë du fait que l'expression « appareil récepteur isolé d'un modèle couramment utilisé dans les foyers » est, en elle-même, imprécise et qu’elle peut recouvrir des réalités différentes en fonction de l'évolution technologique. De plus, les Communautés européennes soulignent la diversité des solutions apportées par les tribunaux des Etats-Unis d’Amérique, ce que les Etats-Unis d’Amérique expliquent par le système juridique de Common Law lui-même.

17. Pour prendre position, le Groupe spécial prend en considérations les facteurs suivants : (a) le texte de l’article 110 5) A) est quasiment identique à celui de la version antérieure de la loi de 1976, (b) la pratique des tribunaux pour l’application de la version antérieure de la loi de 1976, (c) le fait que les bénéficiaires de l’exception soient limités à un pourcentage « comparativement faible » de l’ensemble des établissements de restauration, des débits de boissons et des établissements de vente au détail aux États-Unis, (d) la nature du matériel utilisé et (e) les œuvres musicales concernées ; en effet, les œuvres visées par cette exception sont limitées aux œuvres dramatiques, c’est-à-dire un morceau de musique faisant partie d'un opéra, d'une opérette, d'une comédie musicale ou d'une autre œuvre dramatique similaire lorsqu'il est exécuté dans un contexte dramatique.

En considération de ces éléments, le Groupe spécial estime que l'exception pour usage de type privé énoncée à l'alinéa A) de l'article 110 5), tel que modifié en 1998, est bien définie et limitée dans sa portée et son étendue. Il conclut que cette exception est restreinte à certains cas spéciaux.

23 « Nous ne voyons pas en quoi une loi qui prévoit une exception pour une grande partie des utilisateurs qui étaient expressément censés être visés par les dispositions de l'article 11bis 2 3°) pourrait être considérée comme un cas spécial au sens de la première condition énoncée à l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC ».

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18. Le Groupe spécial ayant considéré que l’exception du paragraphe B) ne constitue pas un cas spécial - la première des trois conditions cumulatives posées par l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC n’étant pas remplie -, il ne devait pas avoir à procéder à l’analyse des deux autres conditions. Toutefois, compte tenu de sa conclusion sur l’exception de l’alinéa A) et de l’imbrication entre les deux exceptions, il a décidé de procéder à l’analyse de tous les arguments des parties au regard des deux autres conditions posées par l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC. Le Groupe spécial s’appuie aussi sur une pratique au sein de l’OMC, selon laquelle l’examen de toutes les allégations est nécessaire pour trouver une solution aux différends et pour permettre à l'Organe de Règlement des Différends de faire des recommandations et de prendre des décisions suffisamment précises, auxquelles les États pourront donner suite rapidement.

B. « Ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre »

19. Comme pour la première condition, le Groupe spécial se livre d’abord à une recherche de définition de l’« atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ».

Le Groupe spécial estime que le terme « exploiter » évoque l'idée de « faire usage de » ou « utiliser pour ses propres fins » et que l’exploitation d'œuvres musicales désigne « l'activité par laquelle les titulaires du droit d'auteur usent des droits exclusifs qui leur ont été conférés pour tirer une valeur économique de leurs droits sur ces œuvres ».

Le Groupe spécial propose de définir le mot « normal »24 comme « constituant un type ou une norme ou s'y conformant ; courant, habituel, classique, ordinaire, usuel ... ». Selon le Groupe spécial, ces définitions ont deux connotations : l’une de caractère empirique, c'est-à-dire ce qui est « courant, habituel, classique ou ordinaire », l’autre exprimant une approche plus « normative, voire dynamique », c'est-à-dire « se conformer à un type ou à une norme ». Le Groupe spécial nuance toutefois la définition, puisque, selon lui, si l'exploitation « normale » équivalait au plein usage de tous les droits exclusifs conférés par le droit d'auteur, la clause d'exception énoncée à l'article 13 serait vidée de son sens. Aussi, selon le Groupe spécial, l'expression « exploitation normale »

signifie-t-elle « un peu moins que le plein usage d'un droit exclusif »25.

20. Pour l’analyse de la deuxième condition, les États-Unis pensent qu’il est nécessaire d'examiner tous les moyens par lesquels un auteur peut exploiter son œuvre pour déterminer ce qui constitue une exploitation normale. Selon eux, l'article 13 ne fait pas référence à des droits

24 La notion de normalité est en effet assez floue. En droit français, le mot « normal » fait écho au bon père de famille, au raisonnable, à la bonne foi et à l’abus de droit. Sur un plan international, la recherche de critères d’appréciation est indispensable.

25 S'agissant des exceptions aux droits de reproduction prévues à l'article 9 2) de la Convention de Berne – dont la deuxième condition est libellée en des termes quasi identiques à ceux de la deuxième condition énoncée à l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC –, le Groupe spécial rapporte que la Commission principale n° I de la Conférence diplomatique de Stockholm (1967) a déclaré : « S'il est estimé que la reproduction porte atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre, la reproduction n'est pas du tout permise. S'il est estimé que la reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre, il convient alors d'examiner si elle ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Seulement, s'il n'en est pas ainsi, il serait possible dans certains cas spéciaux d'introduire une licence obligatoire ou de prévoir une utilisation sans paiement. À titre d'exemple pratique, la photocopie dans divers buts peut être mentionnée. Si elle consiste dans la confection d'un très grand nombre d'exemplaires, elle ne peut pas être permise, car elle porte atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre. Si elle implique la confection d'un nombre d'exemplaires relativement grand pour une utilisation dans des entreprises industrielles, elle peut ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur, sous la condition que, selon la législation nationale, une rémunération équitable doive être versée. Si elle est faite en une petite quantité d'exemplaires, la photocopie peut être permise sans paiement, notamment pour un usage individuel ou scientifique. » (Les Actes de la Conférence de Stockholm de la propriété intellectuelle, 11 juin-14 juill. 1967 ; rapport sur les travaux de la Commission principale n° I (dispositions de droit matériel de la Convention de Berne : articles 1 à 20) ; reproduit dans le Centenaire de la Convention de Berne, page 236) Paragraphes 6.166 et 6.167 du Rapport.

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spécifiques particuliers, mais à « l'œuvre » dans son ensemble, ce qui implique que, en examinant une exception au regard de la deuxième condition, il faille prendre en considération la portée de l'exception par rapport à l'ensemble des droits exclusifs des auteurs, et par rapport au droit exclusif auquel elle s'applique. Selon les États-Unis, les formes les plus importantes d'exploitation d'œuvres musicales, savoir l'exécution et la radiodiffusion, ne sont pas affectées par l'un ou l'autre des alinéas de l'article 110 5). Les exceptions pour usage dans des entreprises commerciales et pour usage de type privé affectent seulement ce que les États-Unis considèrent comme des utilisations secondaires d'œuvres radiodiffusées, estimant que les détenteurs de droits tirent normalement la plus grande part de leur rémunération des utilisations primaires. En revanche, les Communautés européennes rejettent cette hiérarchie entre les droits.

21. Le Groupe spécial estime que le terme « œuvre » de la deuxième condition énoncée à l'article 13 s'entend de tous les droits exclusifs. Le Groupe spécial considère, en outre, que l’atteinte qui pourrait être portée à l'exploitation normale d'un droit exclusif particulier ne peut être ni contrebalancée ni justifiée par le simple fait qu'il n'est pas porté atteinte à l'exploitation normale d'un autre droit exclusif, ou qu'il n'y a pas d'exception à ce droit, même si l'exploitation de ce dernier devait générer plus de recettes. Le Groupe spécial estime que la question de savoir si une limitation ou une exception porte atteinte à l'exploitation normale d'une œuvre doit être appréciée pour chaque droit exclusif pris séparément. L'exploitation normale présuppose que les détenteurs de droits avaient la possibilité d'exercer séparément le droit exclusif prévu à l'article 11bis 1) 3° et le droit exclusif prévu à l'article 11 1) 2° de la Convention de Berne. Selon le Groupe spécial, s'il était permis de limiter par une exception prévue par une loi l'exploitation du droit conféré par le troisième sous-alinéa de l'article 11bis 1) simplement parce que, dans la pratique, l'exploitation des droits conférés par les premier et deuxième alinéas de cet article générerait la plus grande part des redevances, l'« exploitation normale » de chacun des trois droits conférés séparément en vertu de l'article 11bis 1) serait compromise. De plus, le Groupe spécial souligne que les droits exclusifs conférés par différents alinéas des articles 11bis et 11 ne sont pas nécessairement en la possession d'une seule et même personne et il estime que, s’il était permis de justifier l'atteinte portée à un droit exclusif par le fait qu'un autre droit exclusif génère plus de recettes, des titulaires de droits pourraient être privés de leur droit d'obtenir des redevances simplement parce que le droit exclusif

détenu par un autre détenteur est plus rentable26.

Pour déterminer si une utilisation particulière constitue une exploitation normale des droits exclusifs prévus aux articles 11bis 1) 3° et 11 1) 2° de la Convention de Berne, le Groupe spécial retient le critère suivant : « les manières dont on pourrait raisonnablement s'attendre qu'un auteur

exploite son œuvre en temps normal »27. Selon le Groupe spécial, une façon de mesurer l’exploitation normale consisterait à examiner les formes d’exploitation qui génèrent actuellement des recettes significatives et celles qui devraient revêtir une importance économique ou pratique. Selon le Groupe spécial, les exceptions ou limitations seraient présumées ne pas porter atteinte à l'exploitation normale d’une œuvre « si elles sont restreintes à une portée ou à un degré qui ne constitue pas une concurrence aux utilisations économiques ne bénéficiant pas de ces exceptions ». Le Groupe spécial prend en considération dans son analyse les effets tant réels que potentiels sur l’exploitation normale de l’œuvre.

26 Le Groupe spécial ne manque pas d’ailleurs de souligner que l'amplification de musique radiodiffusée se fait à l'avantage commercial du propriétaire de l'établissement.

27 Pour ce faire, le Groupe spécial s’appuie sur l’ouvrage du Professeur Sam Ricketson, The Berne Convention, page 483.

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22. Concernant l’exception pour usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B), le Groupe spécial observe, en particulier, que la très grande majorité des établissements de restauration et débits de boissons, et près de la moitié des établissements de vente au détail, remplissent les conditions pour bénéficier de l'exception pour usage dans des entreprises commerciales. Cela constitue une source majeure potentielle de redevances pour l'exercice des droits exclusifs des articles 11bis 1) 3° et 11 1) 2° de la Convention de Berne. Le Groupe spécial constate également que les États-Unis ne justifient pas le fait que la diffusion d'œuvres musicales à partir de disques compacts et de bandes (ou de musique exécutée en direct) ne soit pas visée par cette exception. Le Groupe spécial ne voit aucune raison logique de faire de différence entre la musique radiodiffusée et la musique enregistrée, lorsqu'il s'agit de déterminer ce qu'est une utilisation normale d'œuvres musicales. Il conclut que l’exception énoncée à l'alinéa B) porte atteinte à l'« exploitation normale » de l'œuvre s'agissant des droits exclusifs conférés par les articles 11bis 1) 3° et 11 1) 2° de la Convention de Berne et, par conséquent, que cette exception porte atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre au sens de la deuxième condition énoncée à l'article 13.

23. En revanche, le Groupe spécial estime que l’exception pour usage de type privé énoncée à l’alinéa A) ne provoque pas une telle atteinte. En effet, il observe que le pourcentage d’établissements susceptibles de bénéficier de l’exception est relativement faible et que la portée de l’exception est limitée aux opéras, opérettes et comédies musicales dramatiques. De plus, si un mécanisme de licence collective pour les œuvres musicales non dramatiques existe aux États-Unis, il semble que les ayants droit ne cherchent pas à en mettre en place pour la communication d’œuvres musicales dramatiques envers les établissements en question.

C. « Ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit »

24. Comme pour les deux premières conditions, le Groupe spécial se fonde sur une définition des termes qu’il prédétermine.

« Intérêts », peut, selon le Groupe spécial, « englober un droit ou un titre légal afférent à une propriété ou à l'utilisation ou au bénéfice d'une propriété (y compris la propriété intellectuelle) ». Il peut également évoquer une préoccupation concernant un avantage ou un désavantage potentiel et, « de façon plus générale, quelque chose qui revêt une certaine importance pour une personne physique ou morale ». En conséquence, « la notion d’intérêts ne se limite pas nécessairement à un avantage ou à un détriment économique réel ou potentiel ».

Le terme « légitime » a, selon le Groupe spécial, les sens de « conforme, consacré ou autorisé [par la] loi ou en principe ; légal, licite ; justifiable ; juste » et de « normal, régulier, conforme à un type courant reconnu », c’est-à-dire qu’il a « trait à la licéité du point de vue du droit positif, mais [qu’] il a aussi la connotation de légitimité d'un point de vue plus normatif, s'agissant de ce que requiert la protection d'intérêts qui sont justifiables au regard des objectifs qui sous-tendent la protection de droits exclusifs ».

Quant au mot « préjudice », il évoque, selon le Groupe spécial, « un tort ou un dommage ». L'expression « pas injustifié » (« not unreasonable» en anglais) évoque un « seuil un peu plus strict que ce qu'évoque le terme ‘justifié’ ». Ce dernier terme (« reasonable » en anglais) signifie « proportionné », « dans les limites du raisonnable, pas beaucoup moins ou pas beaucoup plus que ce qui pourrait être considéré comme probable ou approprié », ou « d'un montant ou d'une ampleur juste, moyenne ou appréciable ».

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25. Pour le Groupe spécial, la question fondamentale qui se pose est celle du degré de « préjudice » qui peut être considéré comme « injustifié », puisque, selon la troisième condition, un

certain niveau de « préjudice » doit être admis, en tant que « n'étant pas injustifié ».28 Pour le Groupe spécial, un préjudice atteint un « niveau injustifié », « si une exception ou limitation engendre ou risque d'engendrer un manque à gagner injustifié pour le titulaire du droit d'auteur ».

Pour ce faire, le Groupe spécial se livre à une analyse précise des données chiffrées que les parties lui ont procurées au soutien de leur thèse, en tenant compte du préjudice réel et du préjudice potentiel provoqués par les exceptions.

26. S’agissant de l’exception pour usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B), le Groupe spécial examine les arguments que les États-Unis avancent pour minimiser le pourcentage important d’établissements bénéficiant de l’exception, savoir, notamment : i) des établissements ne diffusent pas du tout de musique ; ii) certains ont recours à de la musique provenant de sources autres que la radio ou la télévision, telles que bandes, disques compacts, services commerciaux de musique de fond, juke-box ou musique en direct ; iii) des établissements n'avaient pas de licence avant l'adoption de la modification de 1998 et auxquels les sociétés de gestion collective n'auraient de toute façon pas été en mesure de concéder une licence ; et iv) certains préfèrent cesser simplement de diffuser de la musique plutôt que de payer les droits exigés par les sociétés de gestion collective.

A ces arguments, le Groupe spécial répond, en particulier, que l'exception pour usage dans des entreprises commerciales est susceptible de réduire le montant des recettes qui pourraient être perçues auprès des restaurants et des établissements de vente au détail pour l'utilisation de musique enregistrée et de services commerciaux de musique de fond.

Il souligne également, en reprenant l’argument des Communautés européennes, que les exceptions à la protection du droit d'auteur, qui existent depuis longtemps, font que les pratiques de recouvrement des redevances suivies dans le passé par les sociétés de gestion collective ne sont pas représentatives et ne permettent pas de mesurer les pertes subies par les détenteurs de droits. Le Groupe spécial rappelle que, dans l'application des trois conditions énoncées à l'article 13 à une exception prévue dans une loi nationale, les effets aussi bien réels que potentiels de cette exception doivent être pris en considération. S’agissant de la troisième condition, en particulier, le Groupe spécial note que si seules les pertes réelles étaient prises en compte, il pourrait alors être possible de justifier l'introduction d'une nouvelle exception à un droit exclusif, quelle qu'en soit la portée, dès lors que le droit en question aurait été établi depuis peu, que les détenteurs de droits n’auraient pas pu disposer auparavant de moyens de faire respecter ce droit ou que celui-ci n'aurait pas été exercé parce que les détenteurs de droits n'auraient pas encore mis en place la structure de gestion collective nécessaire. Dans ces conditions, l'introduction d'une nouvelle exception pourrait ne pas faire subir immédiatement un manque à gagner supplémentaire au détenteur du droit, et celui-ci ne

28 Dans la note 205 de son rapport, pour ce qui pourrait être la ligne de démarcation entre préjudice "injustifié" et préjudice "pas injustifié", le Groupe spécial considère comme convaincante l'explication donnée dans le Guide de la Convention de Berne, à propos de l’article 9.2 : "Il faut souligner qu'il ne s'agit pas de déterminer si l'auteur éprouve ou non un préjudice quelconque: il est évident qu'il y a toujours à la limite un préjudice; toutes les copies causent un préjudice .… [d]ans le cas où il y aurait un manque à gagner pour l'auteur, la loi devrait lui attribuer une compensation (système de licence obligatoire avec rémunération équitable)." (Guide de la Convention de Berne, paragraphe 9.8, page 63). Le Groupe spécial ne pense pas « que, à cet égard, la norme doive être sensiblement différente pour les droits de reproduction, les droits de représentation ou d'exécution ou les droits de radiodiffusion au sens des articles 9, 11 ou 11bis de la Convention de Berne (1971) ».

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pourrait en aucun cas espérer tirer de gains de l'exercice du droit en question. Le Groupe spécial estime qu'une telle interprétation, si elle devenait la règle, pourrait amoindrir la portée et l'effet contraignant des normes minimales de protection des droits de propriété intellectuelle énoncées dans l'Accord sur les ADPIC.

Au terme de son analyse minutieuse des arguments des États-Unis et des Communautés européennes relative aux méthodes d’évaluation des pertes subies par les détenteurs de droits, le Groupe spécial conclut que l'exception pour usage dans des entreprises commerciales énoncée à l'alinéa B) de l'article 110 5) ne satisfait pas aux prescriptions de la troisième condition énoncée à l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC.

27. S’agissant de l’exception pour usage de type privé énoncée à l’alinéa A), le Groupe spécial adopte au contraire une solution libérale. Il rappelle son argumentation, savoir notamment (a) l’exonération de toute responsabilité pour un petit établissement commercial qui n'a pas une taille suffisante pour justifier, dans la pratique, l'abonnement à un service commercial de musique de fond ; (b) les pourcentages faibles d'établissements visés par l'exception ; (c) l’utilisation de matériel pour usage de type privé ; (d) le champ de l’exception limité à la communication publique d'émissions comprenant des interprétations d'œuvres musicales dramatiques, telles que les opéras, les opérettes, les comédies musicales et d'autres œuvres dramatiques similaires ; (e) l’absence d'éléments de preuve qui montreraient que les détenteurs de droits auraient concédé des licences, ou cherché à en concéder, pour la communication publique d'exécutions radiodiffusées comprenant des interprétations d'œuvres musicales dramatiques.

Le Groupe spécial conclut donc que l'exception pour usage de type privé énoncée à l'alinéa A) de l'article 110 5) ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des détenteurs de droits au regard de la troisième condition énoncée à l'article 13.

III. Conclusion

28. Au terme de sa longue analyse, le Groupe spécial conclut que l’exception pour usage de type privé énoncée à l’alinéa A) satisfait aux prescriptions de l'article 13 de l'Accord sur les ADPIC, alors que l’exception pour usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B) ne satisfait pas à ces prescriptions.

En conséquence, l’exception pour usage de type privé énoncée à l’alinéa A) est jugée compatible avec les articles 11bis 1) 3° et 11 1) 2° de la Convention de Berne tels qu'ils ont été incorporés dans l'Accord sur les ADPIC, alors que l’exception pour usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B) est jugée incompatible avec ces textes.

Le Groupe spécial a donc recommandé que l'Organe de Règlement des Différends demande aux États-Unis de rendre l'alinéa B) de l'article 110 5) conforme à leurs obligations au titre de l'Accord sur les ADPIC. Comme il a été indiqué dans l’introduction, le 27 juillet 2000, l’Organe de règlement des différends a suivi cette recommandation et les modifications de la loi américaine devraient intervenir au plus tard le 27 juillet 2001. Il nous faudra observer dans quels termes la législation américaine sera amendée.

29. La solution proposée par le Groupe spécial est satisfaisante, puisque l’exception pour usage dans les entreprises commerciales énoncée à l’alinéa B), qui avait été introduite par la loi du 27 octobre 1998, doit être abrogée, étant jugée incompatible avec les prescriptions de l’article 13 de

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l’Accord sur les ADPIC29. On pourra néanmoins regretter l’analyse sans nuance conduisant à l’application systématique de l’article 13 à tous les droits d’auteur contenus indirectement dans l’Accord sur les ADPIC, savoir ceux de la Convention de Berne intégrés dans l’Accord sur les ADPIC, et l’adoption d’une notion étendue des « exceptions mineures » tirées des travaux des Actes de la Convention de Berne et ne provenant pas du texte lui-même de cet instrument international.

30. On observe que la démarche adoptée dans la Directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (la « Directive ») tend à unifier les critères de mesure des exceptions, puisque les exceptions énoncées dans les paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Directive sont soumises aux trois conditions célèbres reprises au paragraphe 5 de cet article 5.

Est-ce que l’analyse du Groupe spécial ne rend pas désormais superflue la longue liste des exceptions prévues dans la Directive ? Désormais, tous les droits compris directement et indirectement dans l’Accord sur les ADPIC peuvent faire l’objet d’exceptions, pourvu que ces dernières soient limitées à certains cas spéciaux et qu’elles ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit, selon les critères et les mesures énoncés par le Groupe spécial.

Certes, les Conclusions et Recommandations s’appliquent uniquement dans le cadre de litiges entre Etats. De plus, la Directive limite expressément les cas d’exceptions que les Etats membres de l’Union européenne pourront introduire dans leur législation nationale dans le cadre de sa transposition. Enfin, la Directive a été adoptée en contemplation du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur du 20 décembre 199630, et ce dernier traité n’est pas intégré dans l’Accord sur les ADPIC. Mais les Conclusions et Recommandations du Groupe spécial compliquent le débat sur le plan des normes, des critères et des mesures d’appréciation et sur celui des sources de droit international. Les cas de limitations et d’exceptions prévus dans l’article 5 de la Directive seront, sur le plan du droit international, surtout appréciés au regard des critères des cas spéciaux, de l’atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre et du préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du

droit, selon les critères et les mesures énoncés par le Groupe spécial31.

L’exception obligatoire du paragraphe 1, de l’article 5, de la Directive pourra éventuellement être sanctionnée par l’OMC, si, par exemple, les auteurs d’un Etat subissent un préjudice, même si cela est peu probable du fait de la nature de l’exception. De plus, est-ce que des Etats ne vont pas se servir du Rapport du Groupe spécial pour tenter d’introduire d’autres exceptions, en plus de celles prévues dans la Directive, malgré les contraintes du droit communautaire ? En tous cas, il sera plus difficile dans chaque Etat de l’Union européenne de

29 Dans la Chronique des Etats-Unis d’Amérique, publiée à la RIDA n°179, de janvier 1999, le Professeur Jane Ginsburg avait fait part des réserves que l’introduction de l’exception de l’alinéa B) dans la législation américaine avait suscitées aux Etats-Unis d’Amérique (p. 279).

30 Ce qui a ouvert la voie aux nombreuses exceptions, conformément aux possibilités offertes par l’article 10 et la Déclaration commune relative à cet article.

31 Au moins pour les droits couverts par l’Accord sur les ADPIC et la Convention de Berne ; le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur de décembre 1996, constituant un arrangement particulier au sens de l’article 20 de la Convention de Berne, n’est pas intégré en tant que tel dans l’Accord sur les ADPIC. Mais on doit tenir compte d’une tendance vers une intégration des dispositions de ce Traité dans l’Accord sur les ADPIC, surtout que ce Traité ne prévoit aucune juridiction spécifique, alors que l’OMC dispose d’un pouvoir juridictionnel (voir aussi supra note 18).

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résister à l’introduction de toutes les exceptions que la Directive permet32, dès lors qu’elles sont admises sur le plan de l’Union européenne et que la jurisprudence de l’OMC validera ces exceptions, si elles remplissent les conditions de l’article 13 de l’Accord sur les ADPIC et si l’OMC les considère comme des « exceptions mineures ».

La transposition de la Directive va susciter dans chaque pays de l’Union européenne des débats longs et rudes. Les Conclusions et Recommandations du Groupe spécial vont les compliquer. La théorie des « exceptions mineures » est désormais rappelée à tous les esprits.

31. La source d’une exception prend désormais toute sa mesure dans son impact économique sur l’exercice des droits de l’auteur. Depuis le Rapport, doit être regardée comme autorisée toute limite spécifique aux droits qui n’aurait pas de conséquence économique négative pour l’auteur, selon les critères et les mesures énoncés par le Groupe spécial. On ne peut désormais plus concevoir de droits sans limitation ou exception, puisque tous les droits contenus directement ou indirectement dans l’Accord sur les ADPIC comprennent en puissance des exceptions ou limitations, si elles n’ont pas de conséquence économique négative pour l’auteur, selon les critères et les mesures énoncés par le Groupe spécial.

32. Même si les Conclusions et Recommandations ne sont pas directement applicables en France, les éléments d’appréciation qu’elles contiennent seront utilisés par les magistrats et les juristes de notre pays. On peut se demander comment les magistrats vont manier ces concepts nouveaux. En effet, les Etats étrangers pourront saisir l’OMC s’ils observent que, dans certains pays, leur nationaux ne sont pas protégés comme ils estiment qu’ils devraient l’être, ou que des décisions de tribunaux nationaux vont à l’encontre de leurs intérêts, compte tenu des dispositions de l’Accord sur les ADPIC.

La matière est mûre pour la poursuite de l’examen de l’avenir des exceptions, à l’heure de la mondialisation du droit. A suivre …

32 Sauf à envisager un recours devant la Cour de Justice des Communautés européennes pour « désharmonisation » communautaire.

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COMMENT CERTAINES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR POURRAIENT FAVORISER L’ACCÈS ÉQUITABLE DES AVEUGLES ET DES MAL-VOYANTS À

L’INFORMATION ET LEUR PLEINE INTÉGRATION DANS LA SOCIÉTÉ

Proposé initialement par l’Union mondiale des aveugles 1. Résumé

1.1 L’Union mondiale des aveugles est une organisation non gouvernementale présente dans le monde entier et reconnue dans son domaine. 1.2 L’intégration sociale des aveugles et des mal-voyants suppose qu’ils aient pleinement et équitablement accès à l’information. L’application de certaines exceptions au droit d’auteur pourrait contribuer fortement à leur assurer cet accès. 1.3 Il y a dans le monde environ 180 millions d’aveugles et de mal-voyants qui accèdent à l’information par divers moyens tactiles, visuels ou auditifs. 1.4 Certaines exceptions au droit d’auteur sont nécessaires pour que ces individus, ainsi que les organisations à but non lucratif qui les aident, puissent produire et diffuser des documents sous des formes modifiées, adaptées à leurs besoins. 1.5 L’environnement numérique pourrait faciliter considérablement l’accès des handicapés visuels à l’information, mais seulement si la réglementation relative au droit d’auteur le permet. 1.6 Il faut adopter des dispositions législatives au niveau national. Mais, quelque soit le nombre de pays qui les auront adoptées, de telles dispositions ne seront pas suffisantes. Il faut aussi conclure des accords internationaux sur la diffusion des documents modifiés. 1.7 Les mesures techniques de protection représentent un danger que nous devons surmonter. 1.8 Le système des licences n’offre pas de solution satisfaisante.

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2. Introduction

2.1 L’Union mondiale des aveugles se félicite de l’occasion qui lui est donnée de participer, en tant qu’organisation non gouvernementale spécialisée, à l’EEEtttuuudddeee dddeee lll’’’UUUNNNEEESSSCCCOOO sssuuurrr lll’’’uuusssaaagggeee llloooyyyaaalll dddeeesss llliiimmmiiitttaaattt iiiooonnnsss eeettt eeexxxccceeeppptttiiiooonnnsss aaauuu dddrrroooiiittt ddd’’’aaauuuttteeeuuurrr eeettt aaauuuxxx dddrrroooiiitttsss vvvoooiiisssiiinnnsss dddaaannnsss lll’’’eeennnvvviiirrrooonnnnnneeemmmeeennnttt nnnuuummmééérrriiiqqquuueee . 2.2 L’Union mondiale des aveugles (UMA) s’efforce d’améliorer le sort des handicapés visuels dans le monde entier, et de promouvoir leur pleine intégration dans la communauté. Des associations sont affiliées à l’UMA dans plus de 160 pays. 2.3 Nous avons le statut de consultant auprès de l’Organisation des Nations Unies et celui d’observateur permanent auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). 2.4 La question de l’accès à l’information revêt une importance essentielle pour les aveugles et les mal-voyants. Il doivent pouvoir accéder à l’information pour profiter pleinement des possibilités d’éducation, de travail et d’enrichissement culturel. La façon dont les limitations et exceptions au droit d’auteur sont appliquées, détermine largement dans quelle mesure le droit d’auteur fait obstacle à i’intégration des handicapés visuels. La protection des droits par des mesures techniques (leur gestion numérique) revêt, elle aussi, une importance particulière à cet égard depuis quelques années. 2.5 Au cours de son assemblée générale tenue à Melbourne, en Australie, le 24 novembre 2000, l’UMA a demandé à l’OMPI, à l’UNESCO et aux organisations représentatives des titulaires de droits de collaborer à la formulation de règles nationales et internationales qui permettraient aux aveugles et aux mal-voyants d’accéder pleinement et en toute équité à toutes les œuvres protégées par le droit d’auteur, sans menacer pour autant les intérêts légitimes des auteurs et des éditeurs. 2.6 L’UMA est représentée aux réunions du Comité permanent du droit d’auteur et des droits voisins de l’OMPI ; et l’association européenne affiliée à l’UMA s’est intéressée de près à l’élaboration de la directive européenne sur le droit d’auteur. 2.7 Nous sommes donc prêts à poursuivre notre participation à l’étude entreprise par l’UNESCO, à assister aux auditions, à fournir des informations et à donner des conseils spécialisés en notre qualité d’experts. Nous serons heureux de demander aux différentes associations régionales affiliées à l’UMA de collaborer aux études régionales prévues. 2.8 Nous reconnaissons que certaines exceptions au droit d’auteur seraient utiles à d’autres catégories de handicapés, dont nous ne voulons nullement minimiser les intérêts. Mais l’UMA représente seulement les aveugles et les mal-voyants, et ne s’estime pas qualifiée pour parler au nom des autres handicapés.

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Terminologie 2.9 Veuillez noter que, dans cette proposition, nous employons indifféremment les expressions « aveugles et mal-voyants » et « handicapés visuels ». 2.10 Nous appliquons les expressions « version modifiée » et « version accessible » à des documents qu’on a modifiés pour qu’ils soient parfaitement « lisibles » pour des handicapés visuels.

3. Nombre et caractéristiques des handicapés visuels

3.1 Nous estimons qu’environ 180 millions d’individus dans le monde souffrent d’une déficience visuelle importante et non corrigible. Ces individus ne forment pas un groupe homogène. Certains sont complètement aveugles ; d’autres, beaucoup plus nombreux, ont une vision partielle. L’âge auquel la déficience est apparue, la rééducation plus ou moins poussée dont l’individu a bénéficié, les équipements et les services dont il dispose, sont autant de facteurs qui influencent, entre autres choses, sa capacité de lecture. Si, dans les pays « occidentaux », les déficiences visuelles se rencontrent essentiellement chez les personnes âgées, elles sont répandues dans toutes les classes d’âge dans beaucoup d’autres pays. 4. Comment les aveugles et les mal-voyants lisent-ils ?

4.1 Les handicapés visuels qui pour qui les documents ne sont pas lisibles sous leur forme originelle, que ce soit sur des feuilles de papier ou sur un écran d’ordinateur, doivent les consulter sous une présentation modifiée. Ils doivent faire appel au toucher (notamment en lisant des textes en braille), écouter des enregistrements sonores, lire des textes en gros caractères ou se servir d’un ordinateur capable de transformer les documents visuels en documents sonores ou tactiles, ou d’en agrandir la partie affichée. Quant aux informations graphiques, aux images, il est parfois nécessaire de les décrire pour les rendre accessibles aux handicapés visuels. C’est donc la présentation de l’information qu’il s’agit de modifier, et non pas son contenu. Les handicapés visuels peuvent d’ailleurs recourir à des présentations différentes selon les circonstances. 4.2 Les titulaires de droits produisent rarement des versions de l’œuvre protégée qui soient accessibles aux handicapés visuels. La production de documents en braille n’offre pas d’intérêt commercial. Le marché des versions sonores intégrales et des textes imprimés en gros caractères est relativement étroit. 4.3 Il arrive que, même sous ces formes (braille, gros caractères, etc.), les publications commerciales ne présentent qu’un intérêt limité pour les handicapés visuels. Les « gros caractères », par exemple, ne sont pas assez gros pour tous les lecteurs. Les éditeurs relativement rares qui publient des textes en « gros caractères », doivent employer des caractères d’une taille et d’une police déterminées. Les caractères choisis conviennent à certains lecteurs, mais pas à tous ceux qui ont une vision déficiente. Il sera donc quelquefois nécessaire de produire encore une autre version de l’œuvre, avec des caractères de taille différente, pour une catégorie particulière de lecteurs.

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4.4 En ce qui concerne les versions sonores, la simple audition du texte n’est pas toujours suffisante pour certains utilisateurs. Les élèves, les étudiants peuvent avoir besoin de connaître l’orthographe de certains mots, de certains noms, ou de consulter une édition qui n’est pas disponible dans le commerce, par exemple une édition annotée. Ils peuvent aussi avoir besoin d’un système de navigation qui les aide à se déplacer dans le texte de façon non linéaire. De tels systèmes comportent les fonctions « signet » et « recherche » des lecteurs d’enregistrements sonores numériques ou la fonction « repérage et relecture » de certains magnétoscopes analogiques. 5. Pourquoi certaines exceptions au droit d’auteur sont nécessaires

5.1 Les handicapés visuels sont généralement obligés de créer eux-mêmes des versions accessibles (ou d’en confier la création à des tiers). En l’absence de réglementation à ce sujet, il faut obtenir l’autorisation expresse des titulaires de droits chaque fois que l’on veut modifier le « format » d’une œuvre. Cette autorisation peut être refusée, et il arrive souvent qu’elle soit différée. 5.2 Des traités internationaux comme la Convention de Berne, le Traité mondial sur le droit d’auteur ou l’Accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) permettent, sous certaines réserves, aux différents Etats signataires d’introduire dans leur législation relative au droit d’auteur des exceptions en faveur des handicapés (entre autres). Mais seule une minorité de pays se sont prévalus de cette permission. 5.3 Nous acceptons le test des trois étapes (three-step-test) indiqué dans la Convention de Berne et dans les traités qui l’ont suivie. Les exceptions dont nous avons besoin s’appliqueraient à des activités à but non lucratif qui, de ce fait, ne menaceraient ni les intérêts légitimes des titulaires de droits ni l’« exploitation normale » des œuvres. Quand une version vraiment accessible d’une œuvre est disponible aux mêmes conditions que ses autres versions, nous sommes contents de l’acheter ou de l’emprunter comme tout le monde. 5.4 Nous pensons qu’il n’est plus acceptable que ces traités réservent aux Etats le droit d’apporter des exceptions au droit d’auteur. Les aveugles et les mal-voyants du monde entier revendiquent le droit de lire toutes les publications en même temps que les bien-voyants, et sans frais supplémentaires. Tous les pays du monde devraient avoir des lois qui garantissent ce droit. Il est inadmissible que les aveugles d’un pays n’aient pas accès à des textes auxquels peuvent accéder les aveugles d’un autre pays – et, dans certain cas, d’un pays voisin où l’on parle la même langue. 6. Les changements apportés par l’ère numérique

6.1 Il peut être utile, à ce stade, de voir comment la technologie numérique facilite l’accès des handicapés visuels à l’information. 6.2 La révolution informatique offre de formidables possibilités aux handicapés visuels et à ceux qui les aident. Les disques pour ordinateur et Internet ne remplaceront pas pour autant les textes en braille, les textes imprimés en gros caractères et les enregistrements sonores, pas plus qu’ils ne remplaceront les imprimés ordinaires. Ils permettent, au contraire, de produire plus facilement et plus rapidement ces documents visuels ou sonores, tout en multipliant et en

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diversifiant les accès à l’information ouverts aux handicapés visuels dont la capacité de lecture est limitée. 6.3 L’avènement de l’ère électronique ne signifie pas que la pensée et l’imagination créatrice aient changé ; ce qui a changé, ce sont les moyens de transmettre les produits de la pensée et de la création. Les droits des créateurs et ceux des handicapés visuels n’ont donc pas changé non plus. Il faut simplement les codifier sous un jour nouveau. Mais comme les différents régimes du droit d’auteur n’ont pas toujours reconnu les droits des aveugles et des mal-voyants, il faut affirmer ces derniers droits en même temps qu’on les codifie. Les avantages potentiels de la Société de l’information confèrent une importance d’autant plus décisive à cette entreprise d’affirmation et de codification. 6.4 Nous allons examiner maintenant quelques-unes des situations dans lesquelles les moyens électroniques de stockage, de traitement et de diffusion des informations peuvent aider les handicapés visuels - à condition que le droit d’auteur ne s’y oppose pas.

Méthodes de production et copies intermédiaires 6.5 Les organismes qui produisent des textes en braille ou en gros caractères, le font habituellement aujourd’hui en saisissant ou en numérisant par ordinateur le texte original, en y appliquant un logiciel de transcription, et en imprimant le texte transcrit avec une imprimante anaglyptique (pour le braille) ou une imprimante laser. Ce processus implique la production d’une copie électronique « intermédiaire ». L’organisme conserve logiquement cette copie pour le cas où il devrait réimprimer le texte, le mettre à jour ou imprimer en braille ce qu’il a d’abord imprimé en gros caractères. La réglementation relative au droit d’auteur doit donc tenir compte du fait que ces documents électroniques ne sont pas des « copies » de l’œuvre au sens ordinaire du terme, mais simplement des moyens au service d’une fin.

Faciliter la production 6.6 L’utilisation d’ordinateurs personnels et de périphériques relativement bon marché fait de la production de textes imprimés en braille ou en gros caractères une activité potentiellement beaucoup moins coûteuse et, par conséquent, accessible non seulement aux grandes organisations d’aide sociale, mais aussi à des organismes beaucoup plus petits comme les bibliothèques de quartier ou les associations locales de bénévoles. Sous le régime de l’« autorisation obligatoire » qui prévaut encore dans de nombreux pays, cette activité va conduire à l’anarchie en matière de droit d’auteur ou entraîner une surcharge de travail administratif si la législation relative au droit d’auteur n’est pas amendée.

Les enregistrements sonores numériques 6.7 Comme la publication de textes en braille ou en gros caractères, la production d’enregistrements sonores se fait de plus en plus par des moyens électroniques. Le consortium international Daisy (Digital Audio Information Systems) a établi une série de normes internationales applicables à l’enregistrement et à la lecture des documents sonores. Il est désormais possible de numériser les enregistrements de la voix humaine sous une forme qui se prête à l’annotation, à l’indexation et à la recherche documentaire. Il existe des logiciels de

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lecture, et l’on trouve dans le commerce des lecteurs spécialisés, plus ou moins perfectionnés et adaptables. Un nombre croissant de documents seront diffusés sous cette forme. Grâce à cette avancée, qui permet une présentation beaucoup plus souple des enregistrements sonores, nous pouvons surmonter tous les inconvénients de la lecture linéaire de textes enregistrés sur bande magnétique, et dépasser une technologie analogique obsolescente.

Modifier la présentation, mais non pas le contenu 6.8 On a toujours « modifié », d’une façon ou d’une autre, les documents destinés aux handicapés visuels. Il faut toujours modifier la mise en page d’un texte avant de l’imprimer en braille. Les enregistrements sonores sur bande magnétique comprennent des repères sonores et des descriptions de tableaux. La numérisation des textes permet d’élaborer de précieux index électroniques qui peuvent égaler ou même dépasser en étendue les index détaillés placés à la fin de certains livres imprimés. Les règles relatives au droit d’auteur doivent faire une distinction entre les modifications apportées à la nature intrinsèque du texte, sur laquelle il est juste que l’auteur conserve des droits, et les adaptations uniquement destinées à faciliter l’accès du texte aux handicapés visuels, lesquelles devraient toujours être autorisées.

Les avantages des versions électroniques 6.9 Un nombre croissant de handicapés visuels disposant d’un ordinateur personnel voudraient aujourd’hui se procurer des documents sur disque, quitte à les modifier ensuite. Grâce à des techniques d’appoint comme la synthèse vocale, l’affichage temporaire en braille ou l’affichage en gros caractères (ces techniques pouvant se combiner entre elles), les médias électroniques fournissent des moyens d’accéder à l’information d’emploi très souple. L’utilisateur peut sélectionner les parties du document qu’il veut lire ou écouter en détail ; il peut ensuite, s’il le souhaite, les lire sur une copie papier adaptée à ses exigences particulières. Les textes électroniques offrent les mêmes avantages à tous les lecteurs ; mais ces avantages sont beaucoup plus précieux pour les handicapés visuels qui ne peuvent pas lire facilement les textes imprimés, que pour les autres utilisateurs. Il arrive que la version électronique d’un document soit la seule accessible à certains handicapés visuels, soit pour des raisons pratiques liées aux inconvénients des versions papier, soit parce que la plupart des documents publiés ne sont pas disponibles avant un certain temps en version papier modifiée (sauf quand les utilisateurs finals en font expressément la demande). Un organisme peut donc tout à fait légitimement envoyer à des handicapés visuels la version électronique d’une œuvre, que ce soit sur disque ou par Internet, au lieu de leur envoyer une version imprimée en braille ou en gros caractères ou un enregistrement sonore. Le droit de la propriété intellectuelle doit en tenir compte.

L’utilisation d’Internet 6.10 Internet remplira de nombreuses fonctions. Les organismes d’aide aux handicapés visuels recourront moins souvent à la poste ; ils enverront des messages électroniques au lieu d’envoyer des disques, et enverront par Internet des documents modifiés aux individus et aux autres organismes.

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6.11 Réseau international, Internet permet aux bibliothèques d’échanger des documents en version modifiée. Un document déjà formaté en vue de la production d’une œuvre en braille ou en gros caractères peut être envoyé par Internet à des organismes ou à des individus aux quatre coins du monde (si le monde a des coins). De même, tous les internautes peuvent accéder aux catalogues des bibliothèques, aux catalogues combinés et aux bibliographies nationales. L’usage d’Internet devrait réduire la fréquence des duplications inutiles et le nombre de cas où des handicapés visuels n’ont pas accès à un document en version modifiée parce qu’il est impossible de savoir qu’on l’a produit ailleurs. Mais cela ne servira pas à grand-chose si l’on ne confère pas une dimension internationale aux dispositions adoptées en faveur des handicapés visuels dans le domaine du droit d’auteur. 7. Dimensions nationales et internationales

7.1 Comme nous l’avons dit plus haut, l’ère numérique ne connaît pas de frontières ; et des lois qui s’appliquent sur un territoire limité risquent d’entraver la coopération internationale. La technologie de l’information et de la communication permet aujourd’hui aux individus d’accéder plus facilement, où qu’ils se trouvent, à la bibliothèque d’information mondiale. Elle pourrait aussi aider les producteurs de documents en version modifiée à partager leurs ressources, et à réduire l’écart entre la quantité de documents disponible pour les voyants et celle dont disposent les aveugles. Il ne devrait plus être nécessaire de modifier le format d’un document (par exemple, pour le publier sous forme d’enregistrement sonore numérique ou de texte en braille) dans chacun des pays où il aura des lecteurs ou des auditeurs. 7.2 La gestion des droits d’auteur s’effectue pourtant de plus en plus au niveau mondial ; et tant qu’il n’y aura pas d’accord international sur les exceptions à apporter aux droits exclusifs en faveur des aveugles et des mal-voyants, on ne pourra éviter cette duplication du préformatage. 8. Les mesures techniques de protection

8.1 La généralisation des mesures de protection contre la copie et des systèmes de gestion numérique des droits représente aujourd’hui une nouvelle menace pour les lecteurs aveugles et mal-voyants. 8.2 Le synthétiseur de parole intégré dans certains lecteurs de livres électroniques de marque déposée pourrait ouvrir l’accès de ces livres aux handicapés visuels. Mais l’éditeur désactive souvent la fonction « synthèse vocale », de sorte que le livre reste fermé à cette catégorie d’utilisateurs. 8.3 En outre, la plupart – sinon la totalité – des systèmes de gestion numérique des droits actuellement en usage sont conçus de manière à rendre le document inaccessible aux utilisateurs des techniques d’appoint. Les lecteurs aveugles doivent modifier jusqu’à un certain point le texte pour y accéder, et les systèmes de gestion des droits les en empêchent. 8.4 Les maisons d’édition et les entreprises du secteur de la technologie de l’information et de la communication doivent absolument se mettre d’accord pour améliorer la conception et la présentation des documents.

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8.5 En l’absence de tels accords, les gouvernements doivent intervenir pour que les handicapés visuels aient accès aux œuvres protégées.

9. Des droits pour tous

9.1 Les Termes de référence relatifs à l’étude approfondie entreprise par l’UNESCO rappellent que l’Article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies met le droit d’auteur au nombre des droits de l’homme. Mais le droit à l’information est lui aussi un droit fondamental, reconnu par l’Article 19 de cette même Déclaration. D’autre part, la Règle 5.6 des Nations Unies pour l'égalité des chances des handicapés souligne l’importance, pour ceux-ci, d’accéder à l’information par l’intermédiaire de versions modifiées. 9.2 Nous reconnaissons les droits légitimes des auteurs et des éditeurs, et nous ne croyons pas représenter une menace pour leurs intérêts moraux et économiques. La production de versions modifiées est généralement financée par des organisations charitables ou par les Etats, au titre de leur action sociale, et ne porte pas atteinte à des intérêts commerciaux. Lorsqu’une édition en version modifiée est rentable, nous nous réjouissons que le titulaire des droits l’entreprenne sur des bases commerciales, et nous n’essaierions pas de produire une version identique en nous prévalant d’une exception au droit d’auteur. 9.3 Il est dans l’intérêt des lecteurs aveugles et mal-voyants que les sources des documents soient reconnues, et que rien ne soit fait qui puisse porter atteinte à l’intégrité des œuvres ou léser de quelque autre manière les intérêts moraux de leurs créateurs. 10. Le rôle des licences

10.1 Nous reconnaissons que les licences ou le système des licences peuvent, dans certaines circonstances, offrir des avantages aux producteurs de documents en version modifiée. Les licences peuvent notamment obliger les éditeurs à fournir les fichiers électroniques originels susceptibles de faciliter la production des documents. 10.2 Les licences ne sauraient cependant se substituer aux droits. Dans le système des licences, les titulaires de droits continuent de déterminer dans quelles conditions les aveugles ou les mal-voyants peuvent lire des documents immédiatement accessibles aux bien-voyants. Il n’y aura (presque) jamais lieu de faire payer aux producteurs des versions modifiées le droit d’accéder aux documents, puisque ces versions ne seront pas produites et diffusées pour un but lucratif, et que les éditeurs seront dispensés de fournir eux-mêmes des versions accessibles. 10.3 Le système des licences ne peut remplacer un système de droits d’auteur équitable, bien qu’il puisse parfois le compléter. 11. Solutions

11.1 Nous demandons que la législation relative au droit d’auteur soit modifiée dans le monde entier pour que les handicapés visuels puissent accéder aux documents visuels sous une forme modifiée, visuelle ou non. Il faut que les handicapés visuels aient accès à ces documents sans

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enfreindre la loi et sans être retardés par l’obligation de se conformer à des lois mal formulées. 11.2 Il faut harmoniser les législations nationales pour assurer la cohérence nécessaire aux organisations, aux individus et aux titulaires de droits concernés. Ces lois doivent empêcher que les titulaires de droits ne soient lésés, tout en supprimant les obstacles injustifiés que rencontrent les handicapés visuels et leurs organisations. 11.3 Les lois nationales doivent notamment

a) affirmer le droit des handicapés visuels à accéder en toute équité à toutes les informations publiées ;

b) consacrer des droits, et non pas simplement donner les moyens d’obtenir des autorisations ;

c) s’abstenir de spécifier les formats et les techniques qu’il faut employer ; d) tenir compte des évolutions prévisibles; e) accorder plus d’attention aux différents utilisateurs finals qu’aux formats ; f) reconnaître que les documents en version modifiée peuvent être produits légitimement

par des organisations très diverses et par des individus ; g) reconnaître que les demandes d’accès aux documents peuvent provenir des foyers, des

écoles, des lieux de travail, des bibliothèques ou de tout autre milieu ; h) reconnaître que la production, à partir d’originaux licitement acquis et pour un but non

lucratif, de documents en version modifiée dont la diffusion sera strictement réservée aux handicapés visuels, ne contrevient pas au droit d’auteur et ne nécessite donc pas d’autorisation.

11.4 Des traités internationaux sont nécessaires pour permettre la production de documents en version modifiée, accessible, non commerciale, et leur libre circulation d’un pays à l’autre. 11.5 Nous avons besoin de traités internationaux et de législations nationales harmonisées qui permettent aux Etats d’obliger les titulaires de droits à proposer aux aveugles et aux mal-voyants de bonne foi, ainsi qu’à leurs organisations, des versions accessibles de documents normalement proposés au public sous la protection d’un système de gestion des droits ou de quelque autre mesure technique qui nous les rend inaccessibles. 11.6 L’UNESCO, l’OMPI, l’Organisation mondiale du commerce et les différents Etats ont tous un rôle important à jouer dans la poursuite de ces objectifs. Nous espérons que l’UNESCO sera en mesure d’y contribuer pleinement. Union mondiale des aveugles, juillet 2002

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e.Bulletin du droit d’auteur avril – juin 2003

DOCTRINE ET OPINIONS

JUSTIFICATION, PRATIQUE ET AVENIR DE LA COPIE PRIVEE Un document fondé sur l’exemple du dispositif de copie privée en Allemagne

Reinhold Kreile, professeur et docteur*) Jürgen Becker, professeur et docteur**)

Sommaire I. Protection de la propriété intellectuelle et évolutions technologiques

1. Justification d’une réglementation statutaire relative à la copie privée 2. Le point de vue européen

II. Cadre législatif du droit de copie privée : exemple de la loi allemande sur le droit d’auteur (l’« UrhG »)

1. La reproduction à usage privé ou personnel (Article 53 de l’UrhG) 2. Le droit à rémunération

a) Les titulaires de droits b) Justification de la redevance payée par les fabricants de matériel et de

supports vierges c) Réglementation statutaire relative aux montants de la rémunération d) La position du gouvernement allemand sur le dispositif actuel et

l’avenir de la copie privée e) Le débat sur la classification des enregistreurs numériques f) La compatibilité des règles relatives à la copie privée avec la

Convention de Berne révisée et l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC)

*) Reinhold Kreile, Professeur et docteur, Président-Directeur général de la GEMA (Société allemande de gestion collective des droits d'exécution et de reproduction mécanique des oeuvres musicales). **) Jürgen Becker, Professeur et docteur, Vice-Président exécutif et Conseiller juridique principal de la GEMA.

Original : anglais

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3. La légitimité du droit à rémunération en ce qui concerne les fabricants de supports vidéo et audio a) La nécessité de répercuter indirectement les coûts sur les utilisateurs

finaux b) Une charge indirecte pour les deux branches de l’industrie, avec

possibilité de répercussion 4. Les types de droits concernés 5. La ZPÜ (Zentralstelle für private Überspielungsrechte), société allemande de

perception pour la redevance due pour la copie audiovisuelle privée ; 6. La perception des redevances auprès des fabricants et des importateurs de

matériel audio et vidéo et de cassettes audio et vidéo vierges 7. La redistribution des recettes sur les redevances 8. La redistribution des recettes au sein des différentes sociétés de perception

concernées III. L’avenir de la copie privée à l’ère du numérique

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Malgré l’adoption de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 par le Parlement européen et le Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information1, l’Union européenne (UE), dont l’engagement en faveur de la suppression des frontières nationales entre États Membres est entier, ne pourra échapper au travail nécessaire pour éliminer un obstacle particulièrement encombrant et difficile à la création d’une Europe libre, juste et équitable : l’hétérogénéité du traitement de la copie privée, qui fausse la concurrence. Chacun a sans doute pu constater qu’il est impossible de maintenir un système dans lequel plus de la moitié des citoyens de l’UE doit acquitter des taxes ou des redevances en guise de rémunération de la copie privée – c’est-à-dire, l’achat et l’utilisation d’enregistreurs audio ou vidéo et/ou de cassettes vierges ou d’autres supports d’enregistrement – afin de garantir la protection des créateurs et de leurs œuvres, alors que l’autre moitié n’est pas soumise à cette obligation. Par ailleurs, il est de plus en plus clair que ce paradigme d’une concurrence faussée, qui est aussi préjudiciable pour les compositeurs, les auteurs et les exécutants de leurs œuvres que pour l’industrie qui fabrique le matériel et les cassettes vierges, ne disparaîtra pas avec le simple abandon du régime de rémunération appliqué par les États membres concernés, dans certains cas depuis plus de 25 ans. En effet, les redevances perçues pour la copie privée ont été conçues pour respecter le principe de la propriété tel qu’il est défini dans les constitutions des différents États : la concurrence ne sera rééquilibrée que lorsqu’il existera un régime de rémunération européen relatif à la copie privée, s’appliquant à l’ensemble des États membres.

Pour des raisons politiques (en l’occurrence, l’incapacité d’obtenir une majorité), la Commission européenne n’a pas beaucoup avancé dans son travail d’harmonisation en ce qui concerne la copie privée, ce qui l’a conduite à rayer ce problème de la liste des chantiers prioritaires. Il est d’autant plus indispensable de procéder à l’analyse et à la description des principaux éléments et des spécificités de ces régimes de rémunération. Le choix de commencer par présenter le point de vue allemand sera facile à comprendre : le régime de rémunération allemand est non seulement le dispositif réglementaire et statutaire le plus ancien d’Europe (ayant été créé en 1965), mais également, depuis 1985, le plus complet. L’obligation d’acquitter des taxes ou des redevances concerne aussi bien le matériel d’enregistrement que les supports vierges (cassettes vierges), c’est-à-dire, les deux types de produits industriels qui, une fois réunis, permettent la pratique de la copie privée.

I. Protection de la propriété intellectuelle et évolutions technologiques

1. Justification d’une réglementation statutaire relative à la copie privée

En introduisant une rémunération statutaire pour la copie privée, le législateur a voulu relever le défi posé par la technologie, tout en remplissant son obligation d’assurer la protection de la propriété intellectuelle.

Les différents États membres de l’Union européenne font unanimement référence, dans leur régime juridique, à la notion de la « propriété intellectuelle ». Tel est le terme employé en droit français, tandis qu’en Angleterre, il s’agit de l’intellectual property ; le geistiges Eigentum du droit allemand, lui, est tiré de la Constitution de ce pays. Même si certains auteurs cherchent actuellement à débarrasser cette notion de sa « revendication métaphysique » -- ne serait-ce que pour éviter qu’elle soit réduite à un droit « naturel », ce qui diminuerait son importance et sa pertinence dans les débats relatifs au droit, à la théorie

1 Journal officiel, 2001, No. L 167/10.

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juridique et à la politique juridique2 — nul ne souhaiterait la disparition de ce terme si engageant3.

Il conviendra de se tenir à la définition communément acceptée de la « propriété intellectuelle4 », la « notion de propriété intellectuelle visant à résumer en peu de mots la justification de la protection juridique. Elle permet par ailleurs de classer la législation relative aux droits d’auteur parmi les éléments permettant de garantir le droit à la propriété […]. Enfin, elle vise à expliciter la nécessité d’accorder autant d’importance à l’intérêt des auteurs qu’à celui des propriétaires de biens ». Cette explication se suffit à elle-même. Par ailleurs, nul n’ignore que, dans la mesure où la loi sur le droit d’auteur traite également des droits liés à la personnalité, elle ne se limite pas au seul droit de propriété et ne doit donc pas « être traitée, dans ses différentes déclinaisons, comme la propriété de biens ».

Même si la doctrine des droits naturels, qui a servi, dans un premier temps, à légitimer la loi sur le droit d’auteur (qui a tant fait pour avancer le travail délicat de sauvegarde des intérêts des auteurs) fait l’objet de débats plus récents et plus animés, la concrétisation de la « propriété intellectuelle », facilitée par cette doctrine reste essentielle et pertinente pour la loi sur le droit d’auteur. La suppression d’une partie de ces droits, même infime, correspondrait à un retour en arrière dans un processus d’évolution, comme celui, tout à fait pertinent dans le débat actuel, qu’annonçait Emmanuel Kant : « Ainsi, toute cognition humaine trouve ses origines dans l’intuition, pour devenir ensuite un concept et pour finir en idées5 ». Les droits de propriété intellectuelle, comme les droits de l’homme, ne doivent pas différer en quoi que ce soit des autres droits : ils doivent évoluer selon une dynamique qui leur est propre, en étant soutenus jusqu’à ce que les droits de propriété intellectuelle soient reconnus en droit, de façon positive, dans tous les pays du monde.

Dans tous les pays civilisés, le droit à la propriété est reconnu comme un droit de l’homme, la propriété de biens et le droit de disposer de ses biens à sa guise comptant parmi les éléments les plus importants de la liberté de l’individu. Les biens et la liberté – comme l’ont prouvé, de façon magistrale, les démocraties occidentales – sont la terre fertile qui nourrit l’inspiration et la diversité culturelle, qui, à leur tour, permettent de servir et de satisfaire les besoins spirituels et intellectuels de tous les êtres.

La décision de préserver l’indivisibilité de la notion de propriété est à la fois classique et fondamentale. Les hauts tribunaux allemands ont ainsi fait montre d’une constance impressionnante dans leurs décisions, en évitant systématiquement l’utilisation de qualificatifs en parlant de la propriété. Aussi, les « biens matériels », les « biens réels », ou les « biens reconnus dans la loi relative aux droits d’auteur » -- c’est-à-dire, la propriété « intellectuelle » -- constituent des termes spécifiques, des notions incontestablement subsidiaires, quelles que soient leurs applications respectives.

Si la loi sur le droit d’auteur reconnaît chaque œuvre d’art comme étant propre à son auteur, elle ne cherche pas à empêcher d’autres individus de jouir de cette œuvre. Bien au

2 Cf. Reinhold Kreile, Vervielfaeltigung zum privaten Gebrauch, eine Herausforderung an den Kulturstaat

und seine Urheberrechtsgesetzgebung [La reproduction à usage privé : un défi pour les Etats civilisés et leur législation relative aux droits d’auteur], ZUM 1991, p. 104.

3 Cf. Manfred Rehbinder, Urheberrecht [Loi sur le droit d’auteur], 12th Ed., 1987, p. 52. 4 Cf. Heinrich Hubmann, Urheber- und Verlagsrecht [Lois relatives aux droits d’auteur et au droit d’édition

des éditeur], 6e Ed., p. 54 f. 5 Immanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft [Critique de la raison pure], 1781, Vol. II of Wilhelm

Weischedel's Edition, 1956, p. 604.

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contraire, les œuvres originales sont conçues pour être diffusées et publiées, pour être accueillies par un public. En revanche, les auteurs et les diffuseurs de ces œuvres doivent pouvoir percevoir les fruits pécuniaires de leurs réalisations, les réalisations intellectuelles méritant, en principe, le même niveau de protection que toutes les autres réalisations. Par conséquent, la loi sur le droit d’auteur accorde en principe aux auteurs le droit exclusif de disposer de leurs œuvres et de les utiliser à leur guise.

Or, aujourd’hui, en raison du développement de techniques d’enregistrement modernes, ce n’est pas tant l’utilisation par l’acquisition qui soulève un problème juridique, mais l’utilisation par la copie privée. En disposant d’un matériel d’enregistrement et de reproduction, ainsi que de supports vidéo et audio pour l’enregistrement, les auditeurs et les spectateurs peuvent « s’enrichir en accédant directement à la réalisation créatrice », sans avoir à passer par l’achat, par exemple, de livres ou de supports audio et vidéo pré-enregistrés, etc. Ainsi, en raison des progrès technologiques, le droit des auteurs d’autoriser et d’interdire ne peut plus être assuré pleinement vis-à-vis de tous les utilisateurs6.

Les législateurs de la majorité des États membres de l’UE ont reconnu très tôt que, les évolutions technologiques aidant, la notion juridique d’un droit d’interdire dans le cadre de la loi sur le droit d’auteur ne pouvait fonctionner, l’interdiction de la copie privée ne pouvant être mise en application. Adopter une telle interdiction serait ne pas tenir compte de la réalité, tout en affaiblissant l’autorité et la crédibilité de l’appareil judiciaire. Il serait impossible d’imposer cette obligation aux utilisateurs, compte tenu de leur nombre important et de leur anonymat, d’autant que, ni les législateurs, ni les auteurs ne souhaitent compromettre la protection par la loi de la vie privée des utilisateurs7. Il faut donc faire accompagner les progrès technologiques par une loi (sur le droit d’auteur), dont la mise en application serait progressive.

Dans la plupart des États membres, les législateurs ont prévu un régime de cette sorte. Après avoir, dans un premier temps, autorisé la copie à usage privé ou personnel, seule décision possible du point de vue de la politique juridique, ils ont remplacé le droit des auteurs d’interdire ou d’autoriser, par le droit à rémunération, qui venait alléger l’effet de la rémunération perdue. C’est pourquoi il existe, à présent, des régimes de rémunération dans tous les États membres de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Luxembourg.

2. Le point de vue européen

Pour expliquer son intervention dans le domaine de la loi sur le droit d’auteur, la Commission européenne a cité l’incidence de plus en plus fréquente, au cours des dernières années, de problèmes relevant de ce droit au sein de la Communauté, problèmes qui touchent directement le Marché commun et sa mise au point.

Les nombreuses affaires examinées par la Cour européenne de justice confirment cette tendance. Mais la problématique des droits d’auteur ne se limite pas aux obstacles au mouvement transfrontalier de biens et de services, puisqu’elle englobe également les initiatives visant une action commune dans le domaine culturel, notamment dans la diffusion transfrontalière. L’importance de la loi sur le droit d’auteur s’accroît, comme la Commission l’a très justement fait remarquer, au fur et à mesure des évolutions structurelles de

6 Paul Kirchhof, Der verfassungsrechtliche Gehalt des geistigen Eigentums [L’essence constitutionnelle de la

propriété intellectuelle], in: Festschrift for Wolfgang Zeidler, 1987, p. 1646. 7 Cf. Haimo Schack, in: Festschrift for Willi Erdmann, pp. 165/170.

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l’industrie et des entreprises. Aujourd’hui, la créativité et l’imagination figurent au nombre des « matières premières » les plus importantes pour l’Europe. La Commission a donc estimé qu’il serait nécessaire de prendre des mesures au niveau communautaire « pour éliminer les disparités dans les dispositions et les modalités statutaires, qui constituent des écueils, et pour empêcher l’apparition de nouvelles disparités qui pourraient être préjudiciables au Marché commun ».

Pour cette raison, la Commission européenne a estimé que la reproduction d’enregistrements audiovisuels à usage privé constituait un problème particulièrement important. Après avoir déjà consacré le troisième chapitre de son « Livre vert sur le droit d’auteur et le défi technologique » à ce sujet, en juin 1988, elle a annoncé, dans son « Programme de travail dans le domaine des droits d’auteur et des droits voisins », du 17 janvier 1991, qu’elle s’engageait à traiter ce problème au niveau de la Communauté, en proposant un projet de directive sur la copie privée de supports audio et audiovisuels.

Dans ce programme de travail, la Commission européenne a annoncé sa position remarquable en ce qui concerne la loi sur le droit d’auteur et la protection de la propriété intellectuelle, puisqu’elle s’allie à tous les créateurs d’Europe8.

Pendant le déroulement du Programme, la Commission européenne avait sans doute compris que, dans un cadre juridique tel que celui de la Communauté européenne, la protection de la propriété intellectuelle par la Constitution, sur laquelle s’appuient les différentes revendications de participation aux fruits des réalisations créatrices, ne pouvait être assurée tant que les pays de l’UE feraient appliquer des normes différentes en la matière, tout en favorisant une intégration de plus en plus grande par ailleurs. Bien que la Constitution de la Communauté, c’est-à-dire, les différents Traités de Rome, ne comprenne aucun catalogue explicite des droits fondamentaux, comme le fait, par exemple, la Grundgesetz allemande, la Communauté remplit néanmoins tous les critères d’une démocratie de droit, selon la tradition de l’Europe occidentale et de l’Amérique. Effectivement, au sein de la Communauté, les droits fondamentaux constituent des principes juridiques communément admis qui, conformément aux décisions de la Cour de justice européenne, doivent trouver leur origine dans les traditions constitutionnelles communes des États membres. Chaque citoyen de l’UE peut affirmer ces droits vis-à-vis de l’autorité communautaire, l’UE ayant l’obligation de les respecter immanquablement dans son action législative.

Parmi les droits fondamentaux des individus, réaffirmés par la Cour européenne de justice, la protection de la propriété et, partant, de la propriété intellectuelle, a la primauté.

S’il est vrai que, dans n’importe quel pays de l’UE, le principe du traitement national tel qu’il est promulgué dans la Convention de Berne pourra prévenir toute discrimination contre les auteurs issus d’autres pays de l’UE, il ne peut empêcher que les auteurs européens se trouvent face à un paysage juridique hétérogène, certains pays acceptant de leur accorder ce que d’autres leur refuseront. Les régimes de rémunération des différents États membres de l’UE sont les suivants : dans le domaine audio et vidéo, trois pays (le Royaume-Uni, l’Irlande et le Luxembourg) n’ont prévu aucune disposition ; seulement six pays (la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne) ont un régime de rémunération prenant en compte les deux domaines (avec des taxes ou des redevances sur le

8 Programme de travail de la Commission dans le domaine des droits d’auteur et des droits voisins, COM (90), 584, version définitive du 17 janvier 1991, p. 2 f.

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matériel et les supports d’enregistrement vierges) ; dans les autres pays, les taxes ne sont dues que sur les supports audio et vidéo vierges. Aussi, à terme, les différences qui persistent dans le contenu des différentes lois sur le droit d’auteur et dans le niveau de protection assuré aux auteurs ne pourront plus être tolérées, en raison des inégalités sociales qu’elles engendrent en Europe. Indépendamment de la Convention de Berne, les titulaires de droits allemands ne comprendraient pas, par exemple, qu’un auteur du Royaume-Uni, Etat membre de l’UE, puisse bénéficier du régime de rémunération allemand, tandis qu’un auteur allemand reviendrait du Royaume-Uni sans avoir perçu la moindre rémunération.

L’harmonisation des sous-sections de la loi sur le droit d’auteur, qui figure au Programme de travail, a été décidée par la Commission européenne pour mettre fin à des disparités évidentes et contraires au principe de traitement égalitaire et au principe du Marché commun tel qu’il sont promulgués dans les traités communautaires.

Il va sans dire que la Commission européenne, en préparant ses projets d’harmonisation, se laisse guider par la réglementation existante des États membres de la Communauté, en s’y référant dans la mesure où elle peut servir de modèle pour l’ensemble de la Communauté.

Le programme de travail de 1991 mettait l’accent sur l’importance de garantir la protection de la propriété intellectuelle au sein de la Communauté européenne. Les années suivantes ont vu plusieurs tentatives de faire avancer encore ce dossier, jusqu’à la présentation d’un projet de directive relative à la copie privée.

Mais ce n’est qu’avec la « Directive du Parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information9 », qui est entrée en vigueur le 22 juin 2001, que la Commission européenne a repris le sujet de la copie privée. Or, dans cette Directive, la Commission n’a pas proposé d’harmoniser l’obligation de verser une rémunération liée à la copie privée, mais, conformément à l’Article 5 2b) de la Directive, a autorisé des exceptions à la loi sur la reproduction, notamment en ce qui concerne la reproduction de supports audio et audiovisuels à usage privé. Ainsi, les États membres de l’UE peuvent, s’ils le souhaitent, introduire ou maintenir des exceptions dans le cas de ces formes de reproduction. Simplement, la mise en application d’une telle exception nécessiterait le « versement d’une rémunération ». Par ailleurs, les exceptions autorisées au vu de l’Article 5 2b) « ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit » (Article 5, paragraphe 5). En d’autres termes, les États membres ayant introduit une exception relative à la copie privée sous forme de rémunération statutaire peuvent maintenir cette exception, aux côtés du régime de rémunération introduit par la loi. Quant à l’éventuelle distinction entre la copie analogique et la copie numérique, la Directive n’impose pas de faire respecter certaines exigences. En particulier, elle n’exige pas que la copie numérique soit exclue des limites imposées en matière de copie privée. En revanche, le considérant 38 sur la Directive souligne qu’il convient de « tenir dûment compte des différences existant entre copies privées numériques et analogiques et de faire une distinction entre elles à certains égards ». Le considérant 39 indique que, « Lorsqu'il s'agit d'appliquer l'exception ou la limitation pour copie privée, les États membres doivent tenir dûment compte de l’évolution technologique et économique, en particulier pour ce qui

9 Voir ci-dessus, note 1.

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concerne la copie privée numérique et les systèmes de rémunération y afférents, lorsque des mesures techniques de protection efficace sont disponibles. »

S’agissant de la reproduction à l’aide de technologies analogiques, la Directive (Article 5 2b) indique, sans ambiguïté, qu’il n’est plus admissible de ne pas prévoir un régime de rémunération spécifique pour la prise en compte des droits des auteurs. L’Article 5 2b, récemment introduit, permet aux États membres de prévoir des exceptions relatives à la copie privée à usage personnel, dont la copie numérique. En revanche, la compétence réglementaire restera du ressort des législateurs nationaux.

II. Cadre législatif du droit de la copie privée : exemple de la loi allemande sur le droit d’auteur (« UrhG »)

1. La reproduction à usage privé ou personnel (Article 53 de l’UrhG)

L’article 53 de l’UrhG autorise la reproduction, directe ou indirecte, d’œuvres dont les droits d’auteur sont protégés, à condition que : le nombre des copies ne dépasse pas sept ; les copies soient à usage privé ; les copies soient fournies gratuitement. Pour traiter ce cas, le législateur allemand s’est écarté du principe du droit exclusif de l’auteur d’autoriser la reproduction et la diffusion de ses œuvres, en s’appuyant sur la notion de « licence statutaire » pour la copie privée tout en y associant une obligation essentielle de verser une rémunération à l’auteur. Il a ainsi réconcilié les intérêts du grand public avec ceux des auteurs.

2. Le droit à rémunération

a) Les titulaires de droits

Le principe de la libre pratique de la copie privée est nécessairement assortie d’un droit à rémunération, conformément à l’article 54 de l’UrhG, qui introduit l’obligation de verser des taxes pour toute forme de reproduction réalisée à l’aide de médias technologiques de pointe (appareils et supports vierges). Ce droit à rémunération existe depuis 1965 pour les fabricants de matériel (appareils d’enregistrement audio et vidéo) et depuis 1985 pour les fabricants de supports vierges (cassettes audio et vidéo).

Conformément à l’Article 54(1) de l’UrhG, c’est l’auteur de l’œuvre qui est le titulaire. Mais il existe d’autres titulaires de droits, notamment ceux qui perçoivent des droits d’auteur ancillaires. En effet, l’article 70 les place dans le champ de l’article 54. Il s’agit des auteurs de manuels scolaires et universitaires (Article 70(1), UrhG), des personnes ayant réalisé une révision d’un editio princeps (Article 71(1), UrhG), des intermittents du spectacle et des organisateurs (Article 84, UrhG), des fabricants de supports audio (Article 85(3), UrhG), des producteurs de films (Article 94(4), UrhG) et des producteurs de dessins animés (Articles 95 et 94(4), UrhG).

D’après l’article 54h(1), UrhG, les demandes de rémunération doivent s’effectuer par le biais d’une société de perception. On évite ainsi les situations qui mettraient face à face les personnes devant acquitter des rémunérations et celles pouvant prétendre à une rémunération, ces dernières étant bien trop nombreuses.

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b) Justification de la redevance payée par les fabricants de matériel et de supports

vierges

En introduisant une taxe sur le matériel et les supports vierges dans l’article 54 de la loi allemande sur le droit d’auteur, les législateurs allemands ont voulu compenser les pertes engendrées par les ventes de supports audio, qui permettent la copie privée. En règle générale, cette rémunération doit être supportée par les individus qui, par la copie privée, s’approprient les œuvres de tiers. Ce sont eux, en effet, qui enfreignent la loi sur le droit d’auteur et doivent donc en supporter le poids économique, en acquittant une taxe. Or, le but de la taxe couplée sur le matériel et les supports vierges est d’associer l’utilisateur final à cette rémunération, de façon indirecte.

Malgré cela, les décisions des tribunaux de grande instance allemand et la doctrine juridique allemande admettent que l’utilisateur individuel direct ne soit pas dans l’obligation de verser une rémunération directe, mais seulement indirecte. C’est le cas lorsqu’une taxe est perçue – conformément à la décision du législateur allemand, reprise depuis lors par d’autres législateurs – sur le matériel et les supports servant à réaliser les copies privées, les fabricants pouvant répercuter ces coûts sur l’utilisateur final.

Dès 1965, la Cour de justice fédérale allemande avait estimé, dans l’affaire qui opposait la GEMA aux fabricants de matériel audio, que sans être utilisateurs d’œuvres protégées (dans le cadre de la copie privée), les fabricants de matériel audio étaient les « instigateurs » d’un empiètement sur le terrain régi par la loi sur le droit d’auteur. Elle a donc décidé que ceux qui, dans leurs activités industrielles ou professionnelles, donnent au copieur privé les outils et les moyens de faciliter la reproduction, sont également responsables de l’atteinte aux droits des auteurs. La Cour constitutionnelle fédérale allemande s’est ralliée à cette décision, en estimant que « l’appropriation de services créés par d’autres […] est directement induite par les fabricants de matériel et de supports vierges10 ». Au regard de la doctrine, d’après la Cour constitutionnelle fédérale allemande, l’article 53 de la loi allemande sur le droit d’auteur s’inscrit bien dans le principe « d’un système gradué pour l’association indirecte de l’utilisateur final au processus défendu par ailleurs dans la loi sur le droit d’auteur, qui prévoit la rémunération de l’auteur pour la jouissance privée d’une œuvre généralement garantie par une plainte directe contre les diffuseurs de cette œuvre, ces derniers pouvant répercuter le coût de la rémunération sur les utilisateurs ». Selon la Cour constitutionnelle fédérale allemande, les fabricants de matériel et de supports vierges comptent également parmi les diffuseurs de l’œuvre11.

c) Réglementation statutaire relative aux montants de la rémunération

Dans une annexe à l’article 54d(1), UrhG, le législateur allemand, en 1985, a fixé le montant des différents niveaux de rémunération, en fonction de la nature et de l’ampleur de l’utilisation d’un appareil. Le législateur français, par exemple, confie la définition de ces montants à une commission créée spécialement à cette fin. Au grand désappointement des auteurs allemands, ces montants sont inchangés depuis 1985.

Actuellement, le législateur allemand estime que les montants suivants offrent une rémunération équitable pour les auteurs :

10 Décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans : ZUM 1989, p. 189 – voir aussi Manfred

Rehbinder, Urheberrecht [Loi sur le droit d’auteur], 12e édition, 2002, note de marge No. 82 11 Décision 31 de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, 267.

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1. 1,28 euros pour chaque enregistreur audio ;

2. 9,21 euros pour chaque enregistreur vidéo, avec ou sans élément audio ;

3. pour les supports audio, 0,0614 euros par heure de durée et d’utilisation usuelle ;

4. pour les supports audio, 0,0870 euros par heure de durée et d’utilisation usuelle.

La variabilité des taux de rémunération appliqués aux supports vidéo et audio, en fonction de la durée, permet d’éventuelles modifications suite au développement de nouvelles technologies dans le domaine des appareils numériques.

Le tableau suivant propose un aperçu général des appareils et des supports numériques disponibles sur le marché qui ont été ou doivent être intégrés au régime de rémunération, suite à des négociations avec l’industrie.

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Synthèse des appareils et des supports numériques disponibles sur le marché ou annoncés sous peu

Appareil numérique Supports vierges numériques

Enregistreur Mini disc Mini disc

Lecteur MP3 Cartes multi-média Cartes « Smart-media » Cartes mémoire

(Sony)

MP3 pour téléphones mobiles (Nokia, Siemens, Samsung)

Cartes multi-média

MP3 pour caméras numériques

Cartes « Smart-media »

Enregistreurs CD indépendants

CD-R/RW audio

Graveur de CD intégré à un ordinateur

CD-R/RW de données

Décodeur satellite avec disque dur intégré

Enregistreur vidéo numérique avec disque dur intégré

Enregistreurs DVD DVD vierges capacité 4.7 Go = durée de 2 heures

Graveurs de DVD

Actuellement, l’élément déterminant dans la définition des taux de rémunération sur les supports vierges numériques ne concerne ni la taille ni la technologie du support d’archivage, mais sa capacité, par exemple 74 minutes maximum sur les mini-disques.

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d) La position du gouvernement allemand sur le dispositif actuel et l’avenir de la copie privée

Le 19 juin 2000, l’État a publié un deuxième rapport sur le renforcement des droits d’auteur liés à la copie privée, en se prononçant explicitement en faveur du dispositif de copie privée actuel, tout en préconisant une augmentation raisonnable des taux de rémunération actuels, à la fois pour le matériel d’enregistrement vidéo et audio et pour les supports d’enregistrement vierges12.

Malgré les demandes explicites de l’industrie, l’ État a estimé qu’il ne convenait pas d’interdire la copie numérique, une telle mesure ne pouvant être appliquée. Par ailleurs, toujours selon l’Etat, il existe des raisons valables d’autoriser ce type de reproduction dans le cadre d’un usage privé, entre autres, dans des limites raisonnables et à condition qu’une rémunération équitable soit versée.

Les nouvelles techniques de reproduction et les supports d’enregistrement pertinents doivent être explicitement intégrés aux mesures prévoyant la rémunération obligatoire. Pour justifier cet avis, l’Etat a cité les raisons suivantes :

« Les régimes de rémunération prévus à l’article 54f de l’UrhG et à l’Annexe de l’article 54d(1) de l’UrhG ne posent pas de limitations quant au type de matériel concerné, tandis que le paragraphe 2 précise même que les mesures doivent s’appliquer aux techniques de reproduction ayant un effet comparable. Aussi, toute précision supplémentaire pour mieux définir les catégories de produits ou pour intégrer les nouvelles technologies ou les nouveaux matériels de reproduction à cette loi, ce que demandent certains groupes, ne constituerait qu’une explication de la loi et non une mesure législative dans le cadre de la Constitution, ce que confirme la décision de la Cour de justice fédérale sur l’élargissement du champ de la loi pour englober le matériel de télécopie (voir BGHZ 140, p. 326f). La régularité des avancées technologiques semble plaider contre une énumération définitive des différents types de matériel concerné ; au contraire, il faut préférer une réglementation générale, la plus abstraite possible, qui se contente de citer des exemples, en laissant l’appareil judiciaire se prononcer sur les cas particuliers.

Parmi les matériels entraînant le paiement d’une redevance obligatoire, il faut citer les appareils et les supports de conservation qui font déjà l’objet d’une redevance obligatoire dans la pratique. Dans le domaine audiovisuel, il s’agit des cassettes audio numériques (DAT), les cassettes compactes numériques (DCC), les mini-disques et les CD enregistrables (CD-R et CD-RW audio). Il faudrait également intégrer les DVD enregistrables, ceux-ci étant comparables à des CD enregistrables. Par ailleurs, il convient de prévoir des mesures spécifiques à l’endroit des enregistreurs MP 3 et des appareils assimilés, destinés à la reproduction numérique de programmes musicaux sur des disques durs fixes.

La technologie informatique doit, elle aussi, être prise en compte dans le régime de rémunération actuelle. En effet, elle permet de stocker de vastes répertoires musicaux sur les disques durs, à un coût modique. Les CD-R/RW de données peuvent également être utilisés pour le stockage d’œuvres musicales à condition de disposer des bons logiciels, avec une déperdition qualitative négligeable. Enfin, le retraitement électronique des données permet aussi la reproduction d’œuvres publiées, en quantité quasiment illimitée.

12 Voir document Bundestag 14/3972.

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Dans la mesure où la copie privée numérique continue d’être autorisée, il convient de prévoir des taux de rémunération différents pour les reproductions analogiques et les reproductions numériques. On peut justifier des taux de rémunération plus élevés pour les reproductions numériques en expliquant qu’en règle générale, elles sont d’une qualité sensiblement meilleure, tout en étant moins longues à réaliser. Elles s’adaptent bien mieux aux besoins des utilisateurs – notamment, pour la compilation de programmes musicaux ou de textes – et, de plus, peuvent s’intégrer directement à des archives électroniques ou à des réseaux en ligne. Cependant, étant donné que la reproduction numérique nécessite peu de dépenses, on peut se demander si elle ne fera pas l’objet d’une utilisation excessive, sans but réel.

Quant aux CD-R enregistrables et aux supports ré-enregistrables, comme les CD-RW ou les mini-disques, il convient de prévoir des taux de rémunération différents, les utilisateurs ayant la possibilité, en effaçant des plages et en réenregistrant de nouveaux programmes sur leurs mini-disques ou leurs CD-RW, de copier de nouvelles œuvres protégées, sans avoir à acquitter les redevances correspondantes. »

e) Le débat sur la classification des enregistreurs numériques

En Allemagne, les fabricants et les importateurs ont longtemps refusé d’acquitter une redevance sur les graveurs de CD. Aussi, dès qu’est apparue une affaire que la ZPÜ (Zentralstelle fuer private Ueberspielungsrechte — Organisation centrale de défense des droits relatifs à la copie privée) jugeait représentative, celle-ci a été présentée au Conseil des arbitrages de l’Office des marques et brevets allemand. L’Organisation centrale souhaitait que le Conseil émette une proposition d’accord prévoyant un taux de rémunération cumulée de 2,5 Deutschmarks (1,28 euros) plus 18 Deutschmarks (9,20 euros) – soit un montant global de 20,50 Deutschmarks (10,48 euros) – à titre de « rémunération équitable », telle que définie par le paragraphe 1, lignes 1 et 2 de l’Annexe à la l’article 54d de l’UrhG, étant donné que le matériel concerné pouvait servir, de façon vérifiable, d’appareil d’enregistrement audio indépendant, tel que défini au paragraphe 1, numéro 1 de l’article 54d de l’UrhG, et d’appareil d’enregistrement vidéo à part entière (avec ou sans audio), tel que défini au paragraphe 1, no. 2 de l’annexe à l’article 54d de l’UrhG.

Le défendeur a affirmé qu’il était inadmissible d’appliquer les articles 53 et 54 de l’UrhG aux graveurs de CD, étant donné qu’une telle action nécessiterait la définition d’une distinction nette entre la reproduction analogique et la reproduction numérique. En effet, le législateur n’avait envisagé que la reproduction analogique en prévoyant les dispositions légales actuelles, entrées en vigueur en 1965. Par ailleurs, l’installation de dispositifs techniques rendant la copie impossible, nés dans l’intervalle, aurait rendu caduque toute demande de rémunération dans le cadre de l’article 54(1) de l’UrhG, puisqu’il serait possible, dans le domaine numérique, de remplacer le régime de rémunération forfaitaire existant par un système de règlement individuel des droits d’auteurs, administré par l’organisme de gestion des droits numériques.

Dans sa proposition d’accord, datée du 4 mai 2000 et rendue le 5 mai 2000, le Conseil des arbitrages ne s’est pas rallié à ce point de vue. Il n’a notamment pas voulu reconnaître de différence juridique entre les formes analogique et numérique de la reproduction. Aussi a-t-il proposé, en soutenant la ZPÜ, que le répondant (Hewlett Packard GmbH) indique le nombre de graveurs de CD du modèle correspondant vendus ou commercialisés en Allemagne depuis le 1 février 1998 en acceptant d’acquitter une redevance de 17,00 Deutschmarks (8,69 euros) et 7 % de TVA sur chaque graveur de CD

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concerné, ayant été vendu ou commercialisé pendant la période correspondante, d’après les informations données.

Le défendeur, c’est-à-dire Hewlett Packard GmbH, a refusé cette proposition d’accord à l’amiable, ce qui a mis la ZPÜ dans l’obligation de se retourner vers les tribunaux, en intentant un procès en plusieurs étapes, devant le Tribunal régional de Stuttgart. Alors que le procès était en cours, une proposition d’accord à l’amiable révocable, proposée par le Tribunal – selon laquelle le défendeur fournirait des informations exhaustives sur les graveurs de CD commercialisés par son groupe depuis le 1er février 1998, en acceptant de verser une redevance de 3,60 DM (1,84 euros) et 7% de TVA sur chaque graveur de CD vendu ou commercialisé par le Groupe en Allemagne entre le 1er février 1998 et le 21 novembre 2000, ainsi qu’une rémunération de 12 DM (6,14 euros) et une TVA de 7 % pour chaque graveur vendu ou commercialisé par le Groupe en Allemagne depuis le 22 novembre 2000 – a été révoquée par Hewlett Packard.

L’accord révoqué, l’action en justice s’est poursuivie devant le tribunal de première instance (le Tribunal régional), qui a rendu une décision partielle le 21 juin 2001. Cette décision, favorable à la ZPÜ mettait Hewlett Packard en devoir de :

o fournir des informations relatives aux graveurs de CD vendus ou commercialisés en Allemagne depuis le 1er février 1998 ;

o indiquer les modèles et le nombre des graveurs de CD vendus ou commercialisés depuis le 1er mai 1999, pouvant fonctionner avec ou indépendamment d’un ordinateur individuel.

Cette décision, qui était assortie d’un argumentaire très détaillé, s’appuie sur le droit à l’information sous les formes suivantes :

1. La ZPÜ avait le droit de faire valoir son droit à l’information ;

2. l’intégration des graveurs de CD au champ de la loi existante sur la production privée de copies numériques dans le cadre de l’application des articles 53 et 54 de l’UrhG ; et

3. la loi conventionnelle de la nouvelle Convention de Berne et l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC).

C’est seulement après l’intervention du Ministère fédéral de la justice, dans le cadre d’une médiation entre l’industrie et les titulaires de droits, que les fabricants des graveurs de CD, qui sont par ailleurs membres de BITKOM (Association fédérale des entreprises d’information, des fournisseurs de télécommunications et des nouveaux médias), se sont déclarés prêts à trouver un accord pour éviter le prolongement du litige. Un accord général, élaboré avec la ZPÜ, a ainsi été trouvé : il prévoit, jusqu’au 31 décembre 2003, une rémunération de 6,00 euros sur chaque graveur de CD.

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f) Compatibilité des règles relatives à la copie privée avec la Convention de Berne révisée et l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC)

Pour justifier son opposition à la prise en compte des matériels numériques en ce qui concerne la rémunération prévue dans la loi relative à la copie privée, l’industrie a systématiquement fait valoir que cette prise en compte serait contraire à l’Article 2 de la Convention de Berne révisée ou aux articles 9 et 13 de l’Accord sur les ADPIC. Le tribunal régional de Stuttgart, dans la décision décrite ci-dessus, a eu raison de ne pas admettre ce point de vue. Le Tribunal a bien compris que la loi conventionnelle de l’ADPIC avait vocation à guider les États dans la définition des normes nationales en matière de droits d’auteur. Il a estimé que l’application des règles allemandes en matière de copie privée (Articles 53 et 54 de l’UrhG), y compris pour la reproduction numérique, respecte parfaitement les « trois niveaux » d’exigence dans ce domaine. En effet, les exceptions autorisées par la législation nationale (droit d’interdire, reconnu à l’auteur) portent sur un cas spécifique et bien défini (premier niveau) qui n’entrave pas l’exploitation normale de l’œuvre (niveau 2), sans pour autant empiéter de façon excessive sur le droit de l’auteur (niveau 3). Le Tribunal indique : « Au contraire, tant que le titulaire des droits individuels ne sera pas en mesure d’exercer pleinement son droit d’interdiction à l’aide de mécanismes de protection fiables et universels contre la reproduction, il pourra, grâce à cette rémunération forfaitaire, percevoir ne serait-ce qu’une modeste reconnaissance pour les enregistrements et les copies réalisés dans la sphère privée13.»

3. La légitimité du droit à rémunération en ce qui concerne les fabricants de supports vidéo et audio

Comme lors de l’introduction, au niveau national, du droit à rémunération statutaire pour les auteurs, les opposants au droit d’auteur en ont inlassablement référé à la Commission européenne durant la période précédant l’adoption d’une réglementation communautaire dans le domaine de la copie privée.

Ayant réussi à faire supprimer les taxes dues sur les cassettes vierges au Royaume-Uni suite au projet de loi sur le droit d’auteur de 1985, un groupe de pression dont la composition n’est pas clairement établie a redirigé ses efforts vers Bruxelles contre la rémunération pour les cassettes vierges. Sous la direction d’une Campagne pour les droits touchant à la copie domestique (CDCD), ce groupe œuvre pour empêcher la mise en application d’une obligation de verser une rémunération liée à la copie privée.

Les arguments avancés par les opposants au dispositif de copie privée sont bien connus14 : d’une part, pour s’assurer que tous les acteurs endossent leur part de responsabilité, ils prétendent que tous, notamment les organismes de diffusion, doivent participer à la rémunération, puisqu’en diffusant des émissions adaptées à l’enregistrement, ceux-ci étaient à l’origine de la copie privée ; d’autre part, ils avancent le fait que les dispositifs nationaux actuels ne peuvent pas garantir que l’argent perçu par les sociétés de perception sera effectivement versé aux titulaires de droits. Ils souhaitent ainsi faire comprendre que ces régimes de rémunération s’appuient sur des systèmes extravagants, qui se caractérisent par des procédures et des relations extrêmement complexes. Mais aucun des arguments avancés jusqu’à présent ne résiste à une analyse sérieuse.

13 Cour régionale de Stuttgart, Décision partielle du 21 juin 2001, in: ZUM 2001, p. 614. 14 Voir Kreile, op. cit. (2e note de pied de page, ci-dessus), p. 110 ff.

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a) La nécessité de répercuter indirectement les coûts sur les utilisateurs finaux

Conformément aux intentions du législateur allemand – d’autres législateurs européens ayant, depuis lors, présenté des arguments similaires – la redevance introduite sur le matériel vise à « accorder une rémunération pour les pertes liées à la baisse des ventes des disques phonographiques, en raison du phénomène de la copie privée ». L’amendement de 1985 à la Loi sur le droit d’auteur « a respecté cet objectif ». « La création d’une taxe globale sur les cassettes vierges et le matériel était destinée à toucher les utilisateurs finaux de façon indirecte. Il convient effectivement de faire porter la charge par les personnes qui, à travers la copie privée, s’approprient les réalisations de tiers de façon concrète. Ils empiètent sur les droits autres et doivent donc supporter la charge économique en acquittant une taxe (qui sera reversée). » Selon la Cour constitutionnelle fédérale, cet acquis social, qui constitue désormais une norme juridique dans l’Article 54 paragraphe 1 de la Loi sur le droit d’auteur, concourt à l’objectif d’« accorder, à ceux qui participent à la rémunération, un dédommagement, étant donné que dans la reproduction de disques phonographiques sur d’autres supports (par exemple, des cassettes audio, des cassettes vierges, voire des disques compacts), on exploite les réalisations de tiers, notamment d’auteurs et de fabricants de supports audio15. »

Cette vision de la Cour constitutionnelle fédérale doit maintenant être amplifiée. En effet, si la description des objectifs recherchés dans l’Article 54, paragraphe 1 de l’UrhG (c’est-à-dire, de garantir une « rémunération équitable » pour la reproduction de supports audio et vidéo) est bien juste, elle ne recouvre pas toute la réalité de la copie privée. La vision de la Cour constitutionnelle fédérale ne tient notamment pas compte du fait que les médias de stockage enregistrables et effaçables ne sont pas utilisés exclusivement à cette fin, mais très souvent, pour l’enregistrement d’émissions de radio et de télévision lors de leur diffusion, ou encore de représentations publiques en tous genres. Ainsi, le régime de rémunération promulgué dans l’Article 54 de l’UrhG trouve sa justification dans deux éléments : d’une part, la rémunération des pertes subies en raison de la baisse des ventes de supports audio et vidéo ; et, d’autre part, la jouissance d’œuvres acquises par l’enregistrement d’émissions et de représentations16.

Il s’ensuit que le droit statutaire à rémunération vise essentiellement à garantir aux titulaires de droits une compensation pécuniaire, étant donné que, dans l’expérience pratique, les œuvres protégées par la loi sur le droit d’auteur sont reproduites dans la sphère privée, sans qu’il en résulte une quelconque indemnité pour les titulaires de droits.

S’agissant de la doctrine juridique, la position du législateur sera donc incontestable, comme le sera la définition des groupes à qui il incombera de verser une rémunération, ces groupes « étant directement à l’origine de l’appropriation de réalisations intellectuelles de tiers17».

15 La Cour constitutionnelle fédérale, dans sa décision du 3 octobre 1989 : ZUM 1990, p. 353 f. 16 Le classement, en termes de doctrine juridique, du droit à la compensation dans le cadre de la Section 54 de l’UrhG comme étant un “droit à part entière”, par différents tribunaux, comme par la Commission européenne, n’est pas sans importance pour la redistribution des recettes de ces taxes par les sociétés de gestion collective, qui doivent donc redistribuer des taxes perçues non seulement pour le droit de représentation, mais également pour des droits mécaniques. 17 Voir la décision du 11 octobre 1988 de la Cour constitutionnelle fédérale dans : ZUM 1989, p. 189.

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b) Une charge indirecte pour les deux branches industrielles, avec possibilité de répercussion

On peut d’ores et déjà confirmer au législateur allemand que ses dispositions relatives à la copie privée, dans la loi allemande sur le droit d’auteur, ont permis de résoudre un problème fort complexe, de la manière la mieux adaptée, ayant réussi à concilier les intérêts de nombreuses parties – les auteurs, l’industrie du matériel, les fabricants de cassettes vierges, les utilisateurs des œuvres – d’une façon adaptée et applicable, et « en cherchant à ce que la charge soit portée à égalité par les deux branches de l’industrie18». Il convient de reconnaître aussi la réussite des législateurs d’autres pays qui ont introduit des dispositifs comparables, même si ceux-ci – comme c’est le cas en France, par exemple – comportent des restrictions dans la rémunération liée aux cassettes vierges. Le montant global de la rémunération sur les cassettes vierges en France est néanmoins comparable à celui de l’Allemagne, où une redevance globale est perçue sur le matériel et les cassettes vierges ; ainsi, en France, les taxes sur les seules cassettes vierges doivent être sensiblement plus élevées pour pouvoir générer une somme équivalente à celle du système de rémunération allemand « dual system », qui tient compte du matériel et des cassettes vierges. Dans la mesure où, dans le système de rémunération allemand, le paiement de la redevance est pris en charge par les deux groupes bénéficiant directement de la possibilité d’utiliser des œuvres protégées, celui-ci semble mieux adapté et plus équilibré du point de vue de la politique industrielle, qu’une simple redevance sur le matériel ou une simple taxe sur les cassettes vierges.

Compte tenu de la valeur considérable des œuvres intellectuelles en libre accès pour la copie privée par des tiers, et au vu des ventes générées par les fabricants de matériel audio et vidéo ainsi que des supports audio (en 2001, le chiffre d’affaires global de l’industrie informatique s’est élevé à 38,6 milliards de Deutschmarks - soit un peu moins de 20 milliards d’euros19-) le montant de la rémunération en l’Allemagne en 2001, de 118 millions de Deutschmarks (soit environ 60 millions d’euros) issus des redevances globales sur les matériels et les cassettes vierges pour la reproduction dans un cadre privé des œuvres protégées par les lois directes ou ancillaires sur le droit d’auteur, semble plutôt modeste. Mais il convient de rappeler que l’industrie de l’électronique grand public table, pour une grande partie de ses bénéfices, sur le fait que le matériel vendu permet la copie privée. Ce serait donc une erreur de se laisser impressionner par des recettes globales de 118 millions de Deutschmarks (soit environ 60 millions d’euros). Etant donné que les créations intellectuelles pouvant être enregistrées grâce au matériel électronique et aux supports audio et qui le sont effectivement, valent des milliards, cette somme ne représente qu’une partie infime de la valeur des œuvres enregistrées et ne constitue absolument pas une rémunération équitable pour les pertes liées à la copie privée.

4. Les types de droits concernés

L’obligation de verser une rémunération dans le cadre des dispositions statutaires sur la copie privée (Articles 53 et 54 de l’UrhG) concerne tous les processus de la reproduction privée de supports audio, de cassettes audio et vidéo, d’émissions de radio et de télévision,

18 Cour constitutionnelle fédérale, op. cit. 19 Cf. Die Welt [quotidien], 25 avril 2002, p. 15.

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etc. Ce papier laissera de côté toute la problématique de la reprographie, qui constitue un domaine à part, bien qu’elle nécessite également une réglementation au niveau européen.

S’agissant de la perception et de la redistribution des recettes des redevances, il faudra commencer par bien définir le nombre des titulaires de droits concernés par la copie privée.

D’après la loi allemande sur le droit d’auteur, il existe quatre grands types de droits en ce qui concerne la reproduction d’œuvres adaptées à l’enregistrement à partir de supports audio ou vidéo ou à partir d’émissions de radio et de télévision :

o les droits d’auteur sur des œuvres existantes (musiques avec ou sans paroles ; textes littéraires ou journalistiques ; modèles de romans, scénarios, traductions de scénarios, modèles visuels) ;

o les droits d’auteur sur des films (notamment les films créés par leur metteur en scène et, éventuellement, les droits des chef-opérateurs, des responsables de la rédaction, etc.) ;

o les droits d’auteur ancillaires détenus par des artistes de la scène (acteurs, danseurs, musiciens) ;

o les droits d’auteur ancillaires détenus par des producteurs de disques phonographiques, conformément à l’Article 85, UrhG, et les producteurs de films, conformément à la l’Article 94, UrhG.

Etant donné qu’il serait impossible pour tous les auteurs et tous les ayant-droits dans le cadre du droit d’auteur ancillaire de faire valoir ce droit auprès des fabricants de matériel d’enregistrement audio et vidéo et de cassettes audio et vidéo vierges, à qui il incombe d’acquitter une redevance, le législateur allemand a confié cette tâche aux sociétés de gestion collective20, qui relèvent de l’Office des marques et brevets allemand, en précisant que chaque titulaire de droits doit recevoir une « rémunération équitable » des redevances perçues.

5. La ZPÜ (Zentralstelle für private Überspielungsrechte), société allemande de perception pour la redevance due pour la copie audiovisuelle privée

Afin de mieux faire respecter le paiement des droits à rémunération qui leur sont confiés et d’accroître leur efficacité, les sociétés de gestion collective allemandes se sont regroupées pour créer la ZPÜ21 (Organisation centrale pour les droits touchant à la copie privée), une société de droit civil allemand. Les statuts de cette organisation prévoient que sa représentation sera assurée par le Conseil exécutif de la GEMA. La GEMA veille par

20 Actuellement, les sociétés de gestion collective sont les suivantes :

GEMA (société de gestion des droits de représentation musicale et la reproduction mécanique) VG Wort (société de gestion des droits littéraires) VG Bild-Kunst (société de gestion des arts graphiques) GVL (société pour l’exploitation des droits d’auteur ancillaires) VFF (société de gestion des droits des producteurs de cinéma et de télévision) GWFF (société de gestion des droits touchant au cinéma et à la télévision) VGF (société de gestion au bénéfice des œuvres cinématographiques) GÜFA (société pour le droit de reprendre et d’administrer les droits de diffusion cinématographique)

21 La ZPÜ est composée des sociétés de gestion citées en note de pied de page 18.

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ailleurs à ce que la ZPÜ dispose de tout ce qui lui est nécessaire pour la réalisation de ses activités. Les redevances perçues seront – après déduction des frais de gestion – redistribuées parmi les différentes sociétés, en respectant des quotas définis conjointement par les sociétés de gestion collective, en fonction des droits détenus par chacun des organismes.

6. La perception des redevances auprès des fabricants et des importateurs de matériel audio et vidéo et de cassettes audio et vidéo vierges

Le droit à rémunération concerne les fabricants de matériel mais aussi les fabricants de supports vidéo ou audio, c’est-à-dire les cassettes vierges et les supports vierges numériques manifestement conçus pour la reproduction d’œuvres (Article 54(1) de l’UrhG).

Outre les fabricants, les importateurs et les revendeurs devront également verser une redevance. En revanche, la responsabilité collective ou secondaire sera annulée d’avance par la loi, si un revendeur achète, au cours d’un semestre, des supports vidéo ou audio contenant moins de 6 000 heures de durée et moins de 100 pièces de matériel. Les fabricants de matériel conçu à des fins neutres, au vu de la loi sur le droit d’auteur seront exemptés de la redevance obligatoire, comme les fabricants de matériel et de cassettes vierges destinés à l’exportation. De même, les cassettes pré-enregistrées ne seront pas soumises à une taxe obligatoire, n’étant pas manifestement conçues pour l’enregistrement.

Tous ceux qui fabriquent (produisent) ces articles seront des fabricants de fait, pour la loi. Toute entreprise locale qui fait fabriquer du matériel ou des cassettes par une autre entreprise ne sera pas considérée comme un fabricant, étant donné qu’elle commercialise peut-être ce matériel pour la première fois dans son pays, sous sa marque ou son logo22. Outre les fabricants, tout importateur ayant des activités commerciales sera tenu responsable à titre de débiteur collectif, l’importateur étant celui qui réalise l’introduction ou la réintroduction commerciale du matériel ou des supports vidéo ou audio dans le champs territorial de la Loi sur le droit d’auteur.

Le recensement du matériel d’enregistrement et des supports vidéo et audio importés est facilité par l’obligation pour les importateurs commerciaux de déclarer toutes leurs activités et par le devoir d’information des revendeurs. L’importateur commercial est en principe obligé de faire une déclaration écrite du type de matériel importé et des quantités concernées tous les mois, avant le 10e jour de chaque mois.

Le devoir d’information du revendeur l’oblige aussi à indiquer le nom de ses fournisseurs. Cet instrument de contrôle, « l’information du revendeur », s’est révélé extrêmement utile.

La loi oblige les sociétés de gestion collective allemandes à signer des accords globaux avec les associations dont les membres doivent acquitter une redevance dans le cadre de la Loi sur le droit d’auteur. La perception par la ZPÜ s’effectue à un taux de 80 % (2001) environ, d’après les modalités définies dans les accords globaux avec les associations ou les confédérations de fabricants ou d’importateurs de matériel audio ou vidéo et de cassettes vierges audio ou vidéo ; l’obligation statutaire respecte les intérêts des sociétés de gestion collective et des associations qui doivent acquitter les redevances. Si l’avantage pour les sociétés de gestion collective réside dans la suppression de formalités administratives

22 BGH [Cour de justice fédérale], GRUR 1984, p. 518.

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fastidieuses, les membres des associations soumises à la rémunération obligatoire bénéficient d’un escompte de 6 %, accordée par la ZPÜ aux signataires des accords globaux.

7. La redistribution des recettes sur les redevances

En élaborant le cadre réglementaire de la rémunération liée à la copie privée, sous forme d’amendement à la Loi sur le droit d’auteur, le législateur allemand s’est délibérément abstenu de prévoir des dispositions statutaires quant à la redistribution des recettes des redevances, se contentant de préciser que chaque ayant-droit devait toucher une rémunération équitable sur ces recettes. Le législateur avait de bonnes raisons de privilégier la retenue. En effet, partant d’une situation abstraite, il était quasiment impossible de fixer des quotas de répartition équitables et juridiquement recevables, puisque l’équité de la répartition des droits dépendrait de la participation effective des différents acteurs à la création de l’œuvre en question. La problématique est particulièrement complexe dans le domaine du cinéma, et continue de donner lieu à des litiges, en fait et en droit, entre les différentes sociétés de gestion collective du monde cinématographique, puis entre ces sociétés et leurs homologues au sein de la ZPÜ.

Le Ministre de l’intérieur allemand et l’Office des marques et brevets allemand, dont relèvent les sociétés de gestion collective allemandes, expliquent qu’il appartient aux sociétés de collection concernées de définir les critères d’une juste redistribution des redevances et de trouver des compromis durables quant à ces critères. Le cas échéant, si une position est jugée trop controversée, elles sont invitées à faire expliciter les principes de la loi par les tribunaux. Mais jusqu’à présent, les différentes parties ont préféré la voie du compromis durable, suite à un examen comparé de leurs intérêts, à la voie des tribunaux.23

8. La répartition des recettes au sein des différentes sociétés de perception concernées

Les différentes sociétés de perception membres de la ZPÜ répartissent les sommes perçues entre les titulaires de droits d’après les quotas définis au préalable et conformément aux statuts et aux régimes de répartition internes.

La GEMA, dont le régime de répartition sera présenté ci-après à titre d’exemple, doit répartir les sommes qui lui sont confiées, au titre de la copie privée audio et vidéo, à des compositeurs, des paroliers et des éditeurs. Lors de la redistribution, une distinction est faite entre les redevances audio et vidéo en tenant compte de frais supplémentaires occasionnés par la redistribution des recettes de l’année précédente dans les domaines sur lesquels portent les accords relatifs à la copie privée, c’est-à-dire, en priorité, la diffusion et les supports audio. Ce dispositif permet de remplir l’exigence statutaire selon laquelle un auteur doit recevoir une rémunération pour toute œuvre adaptée à l’enregistrement et dont le genre laisse penser que l’enregistrement aura lieu.

On garantit ainsi que, grâce aux régimes de répartition des différentes sociétés, conçus par les titulaires de droits eux-mêmes, tous les titulaires de droits pourront bénéficier de la rémunération statutaire liée au matériel et aux cassettes vierges.

23 Pour connaître les modalités de redistribution actuelles, voir Reinhold Kreile, Einnahme und Verteilung der gesetzlichen Geraete- und Leerkassettenverguetung fuer private Vervielfaeltigung in Deutschland — Ein System hat sich bewaehrt [La perception et la redistribution de la compensation statutaire liée au matériel et aux cassettes vierges destinées à la copie privée en Allemagne – un dispositif qui a fait ses preuves], in: GEMA Jahrbuch [Rapport annuel] 2002/2002, p. 121 ff.

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e.Bulletin du droit d’auteur avril – juin 2003

III. L’avenir de la copie privée à l’ère du numérique

Depuis l’arrivée des enregistreurs et des supports d’enregistrement vierges numériques sur le marché, les fabricants, et notamment les fabricants de matériel d’enregistrement numérique, représentés en Allemagne par l’association BITKOM (Association fédérale des entreprises d’information, des fournisseurs de télécommunications et des nouveaux médias) ne cesse de répéter qu’il convient, à l’« ère du numérique », de faire remplacer le régime de rémunération forfaitaire pour la copie privée par un dispositif prévoyant le règlement individuel des droits d’auteurs. L’industrie voudrait convaincre le grand public et les décideurs politiques, notamment le législateur européen et les législateurs nationaux, que les dispositifs de gestion numérique des droits (GND) peuvent favoriser la création de licences individuelles, y compris dans le domaine de la copie privée, ce qui permettrait pour les auteurs, une rémunération équitable et en rapport avec leur participation, et pour les utilisateurs, une redevance proportionnelle à leur utilisation. Le règlement individuel rendrait la rémunération forfaitaire caduque. Pour les autres aspects, l’industrie préconise une interdiction catégorique sur la copie numérique à usage privé.

Pour les titulaires de droits d’auteur directs et ancillaires, aussi, il ne fait pas de doute que le règlement individuel doit, en principe, être préféré aux régimes de rémunération forfaitaire. C’est seulement en deuxième recours, afin de défendre les droits des auteurs, que l’on doit utiliser le régime de rémunération forfaitaire. L’introduction de dispositifs DRM est donc souhaitée par les titulaires de droits et par les sociétés qui les représentent, ce souhait se transformant en soutien fort dès que la situation le permet. Mais, comme le confirment plusieurs études récentes, on ne peut fermer les yeux sur l’utilisation des médias de stockage numérique dans la sphère privée pour la reproduction d’œuvres protégées. Ainsi, même à l’ère du numérique, on voit se perpétuer une pratique en cours depuis des décennies dans le domaine analogique, avec le matériel audio et vidéo, ou encore avec des photocopieuses et les médias afférents. Les méthodes de reproduction classiques, tels que l’enregistrement d’émissions de radio et de télévision au cours de leur diffusion, comme la reproduction de livres et de revues ne peuvent être traitées par le système de règlement individuel. Par ailleurs, il est facile, aujourd’hui comme hier, de contourner les dispositifs de protection conçus pour rendre impossible la fabrication de CD « piratés » ou la distribution de musique par Internet.

L’Etat fédéral allemand, ayant subi des pressions de la part des acteurs industriels à ce sujet, a – en conformité avec son second rapport, déjà cité, sur le développement de la rémunération dans le cadre de la loi sur le droit d’auteur – continué de préconiser le régime de rémunération forfaitaire pour la reproduction privée d’œuvres protégées, y compris dans son « projet de loi sur la réglementation des droits d’auteur dans la société de l’information », qui est la transposition en droit national de la Directive européenne précitée sur les droits d’auteur dans la société de l’information24. Contrairement à l’opinion du Conseil fédéral – la deuxième chambre du Parlement allemand, composée des membres des gouvernements des états – sur ce projet, l’Etat fédéral estime que seul le régime de rémunération forfaitaire, bien éprouvé, peut garantir la rémunération équitable de la copie numérique à usage privé, y compris en ce qui concerne l’exigence de couverture géographique universelle. L’Etat explique clairement que, pour le règlement individuel de la copie numérique, il n’existe « à présent aucun système global opérationnel et communément admis remplissant les exigences de sécurité des différentes parties, tout en étant capable de s’intégrer aux infrastructures organisationnelles nécessaires ». Par ailleurs, « l’élaboration

24 voir ci-dessus, Note de pied de page 10.

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e.Bulletin du droit d’auteur avril – juin 2003

de mécanismes de protection techniques » était « jusqu’à présent, ni suffisamment bien définie, ni assez sophistiquée, qu’il s’agisse de la technologie avec fil ou de la technologie sans fil ». De plus, l’Etat fédéral a bien fait comprendre, en amendant l’Article de l’UrhG, que la copie privée est autorisée, y compris avec des outils numériques, ce qu’a toujours contesté l’industrie. L’égalité de traitement statutaire des formes numérique et analogique de la reproduction par l’Etat fédéral s’appuie sur l’idée suivante : tant qu’il sera impossible de contrôler la copie à usage privé, l’interdiction sur la copie privée sera impraticable, même si la technologie de reproduction utilisée était proche25.

On peut donc penser qu’à part l’intégration des dispositifs de gestion des droits numériques, l’Allemagne restera fidèle à son dispositif éprouvé concernant la copie privée et le droit à rémunération.

25 Voir la contre-déclaration de l’Etat fédéral sur l’avis du Conseil fédéral du 27 septembre 2002, sur un projet de loi relatif à la réglementation des droits d’auteur dans la société de l’information (au 6 novembre 2002).

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Bulletin du droit d’auteur Mars 2003

DOCTRINE

LIMITATIONS ET EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR ET DROITS VOISINS DANS L’ENVIRONNEMENT NUMÉRIQUE : PERSPECTIVES

INTERNATIONALES EN CE QUI CONCERNE LES BIBLIOTHÈQUES

La Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions (IFLA)

Résumé : • La Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions (IFLA)

représente les intérêts des bibliothèques et des services d’information ainsi que ceux des usagers de ce type de services à travers le monde.

• Les bibliothèques constituent de gros acquéreurs d’information sur formats papier,

analogique et numérique et souhaitent garantir un accès légal et équitable au savoir contenu dans ce genre d’œuvres.

• L’IFLA considère qu’il doit exister un juste équilibre entre les droits économiques des

fournisseurs d’informations et les besoins de la société en matière d’accès au savoir, et estime que les bibliothèques jouent un rôle clé dans cet équilibre.

• L’environnement numérique peut favoriser l’accès à l’information pour tous les membres

de la société, en particulier dans les pays en voie de développement et pour les personnes appartenant à des groupes défavorisés. Cependant, cela ne pourra se produire que si les lois sur la propriété intellectuelle continuent à être compensées par des limitations et des exceptions efficaces.

• L’IFLA estime que les exceptions et les limitations au droit d’auteur, existant en matière

de bien public, sont menacées par une utilisation accrue des mesures techniques de protection et de restriction dans l’établissement de contrats de licences.

Introduction L’IFLA accueille favorablement la proposition de l’UNESCO consistant à étudier l’utilisation des limitations et des exceptions au droit d’auteur dans l’environnement numérique. En tant que porte-parole principal, en matière de droit d’auteur, des professions de l’information et des bibliothèques au niveau international ainsi que des usagers dans les secteurs de l’éducation, du commerce, de l’industrie, de la santé, du bénévolat et du secteur public, l’IFLA estime qu’il doit exister un juste équilibre entre les droits économiques des fournisseurs d’informations et les besoins de la société en matière d’accès au savoir. L’IFLA craint que l’utilisation accrue de mesures techniques de

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Bulletin du droit d’auteur - Mars 2003 Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique

protection et de restrictions de licence ne tende à fausser cet équilibre en faveur des intérêts commerciaux et au détriment des utilisateurs de l’information. Cette tendance affecte les utilisateurs de l’information partout dans le monde, mais défavorise plus particulièrement ceux des pays en voie de développement. Alors qu’au niveau mondial, l’on utilise de plus en plus les technologies numériques et en ligne afin de créer et de diffuser la connaissance et la culture, les questions relatives au droit d’auteur à l’ère du numérique prennent une ampleur croissante. Si l’humanité doit avoir un accès en ligne à son patrimoine aussi large que possible, il est indispensable que les règles qui régissent ce type d’accès (en particulier les lois sur la propriété intellectuelle) fassent l’objet d’une étude détaillée par un large éventail d’intéressés concernés par la question. La tradition de promotion de la création et de la diffusion du patrimoine culturel mondial, qui fait la fierté de l’UNESCO, est tout à fait appropriée dans ce contexte. Définition du droit d’auteur Avant toute considération sur les limitations “d’utilisation équitable” du droit d’auteur dans l’environnement numérique, il est tout d’abord nécessaire de comprendre la définition du droit d’auteur et l’importance de l’équilibre évoqué ci-dessus. Il est possible de définir le droit d’auteur comme un droit exclusif d’une personne à autoriser certaines actions (telles que la reproduction, la publication, la représentation publique, l’adaptation, etc.) liées à l’œuvre originale de sa création. Le créateur de cette œuvre est généralement détenteur d’un droit d’auteur, du moins au départ. Cependant, ce droit d’auteur est souvent vendu ou attribué, intégralement ou en partie, à un éditeur commercial, un cinéaste, un studio d’enregistrement ou à quelque autre personne qui exploitera ce travail d’un point de vue commercial. Par conséquent, le droit d’auteur sert souvent plus des intérêts commerciaux que les auteurs eux-mêmes. La loi sur le droit d’auteur a longtemps souligné que la protection du droit d’auteur n’existe pas exclusivement pour le propre avantage de l’auteur, mais plutôt pour servir un intérêt public. Pour prendre un exemple bien connu, la Constitution des États-Unis d’Amérique déclare que l’objectif du droit d’auteur dans ce pays est de : « favoriser les progrès de la science et des arts utiles, en garantissant pour un temps limité, aux auteurs et aux inventeurs un droit exclusif sur leurs écrits et découvertes respectifs »1. De la même manière, la première loi sur le droit d’auteur au niveau international, la loi de la Reine Anne (Statute of Queen Anne) (1710)2 déclarait que le droit d’auteur visait à « encourager l’apprentissage ». L’intérêt public est renforcé de deux manières : en premier lieu, en incitant les auteurs à la créativité, et en second lieu, en encourageant la diffusion des nouvelles connaissances. Les créateurs disposent du droit de contrôler la diffusion ultérieure et d’être rémunérés en conséquence. Sans ces mesures incitatives, certains auteurs risqueraient de ne pas être motivés pour consacrer du temps et des efforts à la création d'expressions originales de valeur. Toutefois, il est à noter qu’un nombre important de créateurs (essentiellement les

1 U.S. Const. Art. I, s. 8, cl. 8.

2

2 An Act for the Encouragement of Learning, 1709, 8 Ann., c. 21 (Eng.), réimprimé en 9 STATUTES OF THE REALM, à 256 (1993).

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et droits voisins dans l’environnement numérique

universitaires) considèrent la diffusion de leurs créations comme plus importante que le remboursement direct lié à l’utilisation de leurs œuvres mêmes3. En outre, la société ne profitera pas immédiatement des nouvelles idées et connaissances si la diffusion en est limitée. Ce n’est que lorsque la connaissance est acquise, discutée et complétée par les étudiants, les chercheurs, les scientifiques et les citoyens ordinaires que sa valeur est réellement appréciée. Les moyens pour renforcer l’intérêt public subissent souvent des tensions : d’une part, le détenteur de droits peut contrôler la diffusion de ses œuvres, d’autre part la diffusion rapide et étendue de l’information contenue dans ces œuvres doit également être encouragée. C’est uniquement en équilibrant correctement et consciencieusement ces deux aspects opposés qu’un régime de droit d’auteur pourra optimiser à la fois la création et la communication des nouvelles connaissances et idées. La nécessité d’un tel équilibre se retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui estime que les deux aspects de cette équation sont essentiels pour l’humanité. La protection du travail des auteurs est garantie par l’Article 27(2) : « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. » Le droit de tous à profiter des progrès culturels et scientifiques de l’humanité est, lui, assuré par l’Article 27(1) : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent4. » L’IFLA préconise fortement que le droit d’auteur repose sur un équilibre juste. La « position de l’IFLA concernant le droit d’auteur dans l’environnement numérique » est la suivante : « Les bibliothécaires et les professionnels de l'information reconnaissent que leurs clients ont besoin d'accéder à des œuvres protégées par le droit d'auteur et aux informations et aux idées qu'elles contiennent, et s’engagent à les y aider. Ils respectent aussi les besoins des auteurs et des titulaires de droits d’auteur qui attendent un retour économique équitable de leur propriété intellectuelle. Un accès effectif aux œuvres est essentiel pour atteindre les objectifs du droit d'auteur. L’IFLA soutient une loi équilibrée sur le droit d'auteur qui favorise la société dans son ensemble, accordant une protection forte et efficace aux intérêts des titulaires de droits mais aussi un accès raisonnable permettant d'encourager la créativité, l'innovation, la recherche, l'éducation et la formation5. »

3 Il est à noter qu’une grande partie des publications académiques est basée sur un contenu pour lequel les universitaires ne réclament aucun paiement en droit d’auteur. Par ailleurs, la qualité du contenu est validée par un processus d’arbitrage, qui, normalement, est fourni gratuitement. Toutefois, c’est ce même contenu qui est « racheté » par des établissements d’éducation supérieure à des prix en croissance constante. Ces prix font l’objet de préoccupations au niveau international de la part des bibliothèques et des universités depuis près d’une décennie. C’est la raison pour laquelle de récents efforts pour développer des modèles de publication alternatifs ont de plus en plus attiré l’attention des groupes de recherches, des disciplines universitaires et des établissements d’éducation supérieure. 4 Déclaration universelle des droits de l’homme, G.A. Res. 217A (III), U.N. Doc. A/810 à 71 (1948). 5 http://www.ifla.org/111/clm/pl/pos-dig.htm.

3

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et droits voisins dans l’environnement numérique

Importance de l’équilibre propre au droit d’auteur et rôle des bibliothèques Actuellement, nombreux sont ceux qui encouragent des droits de propriété intellectuelle forts. Les entreprises de media et leurs associations professionnelles considèrent qu’un renforcement des droits des titulaires de droits d’auteur est la meilleure solution pour leur assurer un revenu potentiel maximum. Cependant, il est un peu plus difficile de trouver des partisans de la même envergure pour défendre les besoins du grand public en matière d’accès équitable et légitime aux œuvres protégées par droits d’auteur. L’on peut en partie expliquer cet écart par le fait que de nombreux partisans d’un renforcement des droits d’auteur y trouvent un intérêt financier. L’intérêt pour le grand public d’avoir accès à ces œuvres est plus flou et n’a généralement pas de motivation économique directe. Pour ces raisons, il est donc moins susceptible d’attirer des défenseurs professionnels. Dans ce contexte, le secteur bibliothécaire est, toutefois, fier de se considérer comme le gardien de l’intérêt public. Les bibliothèques sont de gros acquéreurs d'œuvres analogiques ou numériques, protégées par des droits d’auteur et mettent ces œuvres à la disposition des usagers pour qu’ils puissent les parcourir, les lire et les utiliser. Les bibliothécaires et les professionnels de l’information font de leur mieux, dans la mesure du possible, pour protéger les œuvres de leur collection contre les violations du droit d’auteur. L’accès au savoir est capital pour les raisons suivantes :

• Un échange complet et vaste des informations est nécessaire à un fonctionnement sain de la démocratie. Une société incapable d’accéder à la connaissance nécessaire aux discussions appropriées sur des questions d’ordre politique, social, économique ou sur l’environnement ne sera pas en mesure d’atteindre un quelconque large consensus sur lequel établir une société saine ; • Un domaine public riche et un accès équitable aux œuvres protégées par droits d’auteur incitent à la créativité et à la production de nouvelles œuvres. L’on suppose souvent que la croissance économique profite du renforcement des droits de propriété intellectuelle alors que certaines concessions devraient être faites vis-à-vis des exceptions au droit d’auteur pour des raisons purement sociales. En réalité, il s’agit là d’une fausse dichotomie. De nombreuses industries requièrent un accès aux œuvres protégées par droits d’auteur pour leur recherche et développement, l’enseignement, l’interopérabilité des logiciels ou du matériel. La croissance économique pâtira de l’absence d’un accès raisonnable. • Un accès équitable aux œuvres protégées par droits d’auteur peut permettre de résoudre la problématique posée par le numérique. Si l’accès à la connaissance dépend de la capacité d’un individu à payer, alors les moins privilégiés seront clairement désavantagés. En particulier, ce point peut contribuer à perpétuer la pauvreté et à réduire les chances d’éducation.

Limites du droit d’auteur

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Un certain équilibre entre les intérêts des titulaires de droits d’auteur qui perçoivent une rétribution équitable pour les récompenser de leurs efforts et ceux des usagers des œuvres protégées par droits d’auteur pour un accès raisonnable à ces œuvres est traditionnellement

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et droits voisins dans l’environnement numérique

maintenu de différentes manières. Parmi les limites, la plus importante est la mise en place d’une série de limitations et d’exceptions aux droits exclusifs des détendeurs de droits d’auteur. C’est l’objet de cette présentation. Cependant, outre les exceptions, il existe d’autres limites importantes au contrôle de la connaissance imposées par le droit d’auteur, dont certaines sont réduites dans l’environnement numérique. Ces limites sont les suivantes :

• durée du droit d’auteur • suite limitée de droits • domaine

Durée du droit d’auteur La durée du droit d’auteur est limitée à une certaine période, après quoi les œuvres protégées par un droit d’auteur entrent dans le domaine public et peuvent être librement utilisées par quiconque à toute fin. Il s’agit là d’un aspect très important en matière de droit d’auteur étant donné qu’il garantit une source formidable de matériel disponible en permanence pour l’enseignement, la recherche et le développement de nouvelles œuvres de création. Toutefois, l’entrée dans le domaine public d'œuvres protégées par droits d’auteur est limité par des prolongations successives de la durée des droits d’auteur. La durée maximale du droit d’auteur, lorsque la toute première loi (Copyright Act) sur le droit d’auteur a été signée en Angleterre, suite à l’adoption du Statut d’Anne (Statute of Anne), était de 28 ans. Depuis lors, dans de nombreuses juridictions, cette durée a été étendue à une période comprenant la vie de l’auteur plus 70 ans après sa mort, ce qui est bien au-delà de tout créneau d’exploitation commerciale. Aux États-Unis, Lawrence Lessig6 avance que la durée du droit d’auteur a été allongée pas moins de 11 fois au cours des quarante dernières années7 . Le Professeur Peter Jaszi y fait référence en le comparant à un : « droit d’auteur perpétuel selon un système de vente à tempérament8. » Bien que la durée du droit d’auteur assure à l’auteur une période de protection déterminée, la prolongation progressive de cette période se fait au détriment des usagers. La raison avancée pour expliquer cette prolongation consiste à dire que l’espérance de vie augmente et donc la période de protection devrait être augmentée en conséquence. Cet argument n’est cependant pas valable car la durée du droit d’auteur est désormais bien au-delà de celle d’une vie. En outre, ces prolongations sont encore plus néfastes pour les pays en voie de développement où l’espérance de vie reste faible. Ce sont principalement les titulaires de droits d’auteur qui profitent de cette prolongation ainsi que leurs générations futures dans les pays développés, au détriment des usagers et des nouveaux créateurs potentiels dans les pays développés et en voie de développement. Ce résultat fausse l’équilibre et empêche l’utilisation des œuvres antérieures de manière innovante. L’IFLA considère également la prolongation des droits d’auteur comme une certaine forme d’ironie car elle se produit au moment où de nombreux gouvernements préconisent un accès

6 Professeur de droit à Stanford Law School (Etats Unis d’Amérique). 7 NY Times, 30 avril 2001

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8 Déclaration de Peter Jaszi, Professeur de droit au Washington College of Law de the American University, Washington D.C. Loi sur l’extension de la durée du droit d’auteur (Copyright Term Extension Act) de 1995: Séances S. 483 devant le comité Senate Judiciary Committee, 104ème Congrès (1995). WL 1052-4355 9.

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et droits voisins dans l’environnement numérique

plus large au contenu local grâce à la numérisation. Une grande partie de ce contenu est perçu par les détendeurs de droits d’auteur comme sans valeur économique. Toutefois, il restera globalement inaccessible, étant donné qu’il n’entrera pas dans le domaine public avant l’expiration de la période définie (bien supérieure à la vie de l’auteur). Suite à l’adoption de la loi sur l’extension de la durée du droit d’auteur (Copyright Term Extension Act9) aux États-Unis, par exemple, pratiquement aucune nouvelle œuvre n’entrera dans le domaine public d’ici 2023. Le droit d’auteur étant effectif sur une si longue période, le recours à un système d’exceptions devient plus important que jamais. Suite limitée de droits La capacité des titulaires de droits d’auteur à contrôler l’utilisation de leurs œuvres se limite à la suite de droits que le régime de droit d’auteur leur confère. Ces droits comprennent généralement le droit de reproduction, de communication au public, de publication, etc. Toute utilisation non couverte par ces droits n’est pas soumise au contrôle du détenteur de droits d’auteur. Par exemple, l’autorisation de droit d’auteur est requise pour imprimer des copies d’un livre. Cependant, une fois la copie imprimée légalement vendue, il est possible que le détenteur de droits d’auteur ne contrôle pas l’utilisation faite de cette copie (avec les exceptions d’importation de certaines juridictions et les droits de location et de prêt en Europe). L’acquéreur est libre de lire le livre en question plusieurs fois, de le prêter, de l’emprunter, de le vendre ou de le détruire. (Ceci est écrit dans la loi américaine sous l’intitulé « Doctrine de la première vente10 ». Encore une fois, il est important de souligner que l’environnement numérique a très considérablement affaibli la valeur de cette limitation. La plupart des utilisations d'œuvres numériques constitueront une reproduction ou/et une communication. L’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur dans l’environnement numérique nécessite la reproduction de ces œuvres même temporaire, par exemple, une copie cache. Si le droit de contrôler cette reproduction n’est pas limité, un détenteur de droits d’auteur peut alors contrôler complètement l’ensemble des accès11. Domaine Traditionnellement, le droit d’auteur s’appliquait uniquement aux livres. Depuis, il a été étendu jusqu’à inclure un ensemble bien plus large d'œuvres créatives ou non. Par exemple, certaines compilations de données purement factuelles (par exemple les catalogues) peuvent être protégées par un droit d’auteur, si elles satisfont au test d’originalité, et bénéficier d’une protection de base de données unique dans de nombreuses juridictions12, bien qu’il soit à noter que ceci ne soit pas vrai aux États-Unis. Dans les juridictions où ces données sont protégées, la distinction traditionnelle entre une idée et son expression dans le droit d’auteur

9 Loi sur l’extension de la durée du droit d’auteur Sonny Bono (Sonny Bono Copyright Term Extension Act) de 1998, Pub. L. No.105-298, 112 Stat. 2827 (codifié comme amendé dans les sections diffusées du titre 17 du U.S.Code.) 10 Titre 17 U.S. Code, section 109. 11 Randall Davis Communications of the ACM, Vol. 44, No. 2 (février 2001), pp. 77-83. Document distribué lors de la conférence de l’OMPI sur le commerce électronique, septembre 2001.

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12 Principalement au sein de l’Union européenne. Cela va également dans le sens d’une prolongation de la durée de la protection : le droit sui generis dans la directive de l’Union européenne sur la protection juridique des bases de données accorde potentiellement une protection perpétuelle des données, étant donné qu’en pratique la période de 15 ans pourrait être prolongée indéfiniment.

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et droits voisins dans l’environnement numérique

n’existe plus, ce qui signifie que les usagers sont limités dans l’extraction de données factuelles contenues dans une base de données (comme, par exemple une adresse résidentielle) ou dans l’utilisation d’œuvres plus créatives. Du fait de l’incidence réduite de ces limitations sur le domaine d’application du droit d’auteur dans l’environnement numérique, l’introduction d’autres exceptions et limitations est devenue plus importante que jamais. Il faut garder à l’esprit que le droit d’auteur est un droit de monopole. Sans les exceptions, les titulaires de droits d’auteur exerceraient un parfait monopole sur les outils d’apprentissage et contrôleraient ainsi l’accès au savoir à l’ère du numérique. Rôle et fonctionnement des exceptions aux droits des titulaires de droits d’auteur Les exceptions aux droits des titulaires existent depuis presque aussi longtemps que les droits eux-mêmes. Le Statut d’Anne britannique (English Statute of Anne) (1710) ne contenait aucune exception, mais exigeait que des exemplaires de dépôt légal soient placés dans sept bibliothèques importantes pour en garantir la protection : première codification d’un principe d’équilibre, c’est-à-dire que pour assurer la protection des œuvres protégées par un droit d’auteur, des copies de ces œuvres doivent être mises à la disposition du public. L’Article 9(2) de la Convention de Berne (Acte de Paris de 1971)13 autorise les pays membres à accorder des exceptions en matière de respect du droit de reproduction des titulaires de droits d’auteur à condition que ces exceptions correspondent aux cas suivants :

• « certains cas particuliers », • Ne porte pas atteinte à « l’exploitation normale de l’œuvre », et • Ne cause pas un « préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ».

La Convention de Berne contient également l’Article 10 (qui autorise des utilisations libres à des fins de « Citations » et d ’« Illustrations de l’enseignement ») et l’Article 10bis (qui autorise des utilisations libres plus poussées à des fins de comptes-rendus d’événements de l’actualité). Les licences obligatoires sont également autorisées dans certaines autres circonstances, stipulées dans l’Article 11bis et l’Article 13. Des clauses similaires sont mentionnées dans l’accord de l’Organisation mondiale du commerce concernant les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC)° (Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights (TRIPS))14 (en particulier, l’Article 9(2) de la Convention de Berne est répété dans l’Article 13 des ADPIC, qui étend ses effets à tous les droits, et pas uniquement au droit de reproduction.). Les exceptions constituent une part importante de nombreux régimes nationaux de droits d’auteur. L’exception probablement la plus connue dans ce domaine est la doctrine américaine basée sur une « utilisation équitable » (Fair use). Cette doctrine a été intégrée dans la section 107 - Titre 17, de la Loi américaine sur le droit d’auteur (U.S. Copyright

13 Convention de Berne concernant la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre, 1886, 828, Recueils des Traités des Nations Unies (U.N.T.S.) 221, révisée à Paris le 24 juillet 1971, 1161 U.N.T.S. 31.

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14 Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce. 15 avril, 1994, Accord de Marrakech établissant l’Organisation mondiale du commerce [ci-après dénommé Accord OMC], Annexe 1c, 1869, U.N.T.S. 299 (1995) [ci-après dénommé Accord ADPIC].

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et droits voisins dans l’environnement numérique

Act15) de 1976, mais dont les origines remontent à plus d’un siècle de jurisprudence. Elle stipule qu’une « utilisation équitable » ne constitue pas une violation du droit d’auteur. « L’équité » est définie conformément aux quatre principes suivants : • le but et les caractéristiques de l’utilisation, en précisant si l’utilisation est de nature

commerciale ou à des fins éducatives à but non lucratif, • la nature des œuvres protégées par le droit d’auteur, • la quantité et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’ensemble des œuvres

protégées , • l’impact de l’utilisation faite sur le marché potentiel ou sur la valeur des œuvres

protégées. Les utilisations à des fins « de critique, de commentaires, de reportage, d’éducation (incluant les copies multiples pour l’utilisation en classe), d’études ou de recherche » sont considérées comme des « utilisations équitables » possibles, mais elles ne sont pas exclusives. D’autres utilisations rentrent également dans le cadre d’une « utilisation équitable ». Dans ces conditions, un éventail potentiellement très large (de plus en plus étendu) d’utilisations gratuites, couvert par ces exceptions, est autorisé. D’autres jurisprudences, telles que celles du Royaume-Uni, du Canada, d’Afrique du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande et de quelques autres pays du Commonwealth, ont des clauses similaires, liées à des besoins spécifiques (par exemple « l’utilisation équitable en vue d’études privées ou de recherches »). Ces pays se caractérisent habituellement par un large éventail d’exceptions relativement limitées en faveur des individus, des établissements d’enseignement, des bibliothèques ou autres institutions culturelles et des gouvernements. (Les Etats-Unis d’Amérique jouissent d’une autre clause, section 108, en faveur des bibliothèques et des archives.) Ces exceptions ont été admises comme acceptables.

« L’exception relative à une utilisation équitable concernant la violation du droit d’auteur est, et a toujours été, foncièrement basée sur la reconnaissance de l’importance de l’intérêt public en matière de copie ou de reproduction d’une œuvre protégée par le droit d’auteur pour répondre à certains besoins dans le domaine de la recherche et des études, de la critique ou de la révision, de l’information, de la justice et de la fourniture de conseils juridiques16. »

Les pays n’ayant pas de tradition de « common law » ont tendance à ne pas disposer d’autant d’exceptions que ceux de « common law ». Cependant, beaucoup autorisent de nombreuses utilisations gratuites. Selon Goldstein :

« Il n’existe pas de clause spécifique relative à une utilisation équitable dans le droit civil, mais la législation en matière de droit d’auteur dans la plupart des pays régis par le droit civil comprend des exemptions comparables à celles fournies en faveur de la défense d’une utilisation équitable. La législation française, par exemple accorde des exceptions limitées dans le cas d’œuvres publiées pour des copies privées et, dans la mesure où la source et le nom de l’auteur sont clairement indiqués, dans le cas de

15 17 U.S.C. s. 107 (1976).

8

16 Sir Anthony Mason, anciennement juge en chef de l’Australie. The Australian Library and Information Association Library Week Oration, Bibliothèque de l’État de la Nouvelle-Galles du Sud (1996) The Australian Library Journal, pp. 8-91.

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comptes rendus d’événements ou d’analyses, ainsi que des exceptions de courtes citations à des fins d’études critiques, éducatives, polémiques ou scientifiques. La loi allemande sur le droit d’auteur fournit une longue liste énumérant les exceptions limitées autres que celles pour un usage privé ou des citations17. »

Exceptions en matière de droit d’auteur dans l’environnement numérique Les traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, finalisés à Genève en décembre 1996, ont défini le cadre de travail des régimes de droit d’auteur dans l’environnement numérique. Le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT – WIPO Copyright Treaty)18 et le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT – WIPO Performances and Phonograms Treaty)19, qui sont entrés en vigueur après leur 30ème ratification, constituent une mise à jour cohérente par rapport à la Convention de Berne du régime du droit d’auteur international. Le WCT permet en particulier aux pays membres d’établir des exceptions dans les limites du test des trois étapes :

« Article 10 Limitations et exceptions (1) Les parties contractantes peuvent prévoir, dans leur législation, d’assortir de

limitations ou d’exceptions les droits conférés aux auteurs d’œuvres littéraires et artistiques en vertu du présent traité dans certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

(2) En appliquant la Convention de Berne, les Parties contractantes doivent

restreindre toutes limitations ou exceptions dont elles assortissent les droits prévus dans ladite convention à certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. »

En outre, la déclaration convenue à l’Article 10 clarifie ce point et laisse une marge aux nations signataires pour étendre les exceptions dans l’environnement numérique :

« Déclaration commune concernant l’Article 10 Il est entendu que les dispositions de l’Article 10 permettent aux Parties contractantes de maintenir et d’étendre de manière adéquate dans l’environnement numérique les limitations et les exceptions prévues dans leurs législations nationales qui ont été considérées comme acceptables en vertu de la Convention de Berne. De même, ces dispositions doivent être interprétées comme permettant aux Parties contractantes de concevoir de nouvelles exceptions et limitations qui soient appropriées dans l’environnement des réseaux numériques. Il est aussi entendu que l’Article 10.2) ne réduit ni n’étend le champ d’application des limitations et exceptions permises par la Convention de Berne.»

17 Paul Goldstein. International Copyright. Oxford Univ. Press, pp. 293-4 . 18 Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, 20 déc. 1996, 36 I.L.M. 65 (1997).

9

19 Traité de l’OMPI sur les phonogrammes et les exécutions, 20 déc. 1996, 36 I.L.M. 76 (1997).

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Application des traités de l’OMPI Un certain nombre de pays développés ont mis à jour, ou sont en train de le faire, leurs lois sur le droit d’auteur d’après les traités de l’OMPI. Les Etats-Unis d’Amérique, l’Australie et l’Union européenne ont édicté une législation conforme au WCT. D’ici le début 2003, tous les États membres de l’Union européenne devraient avoir mis en application la nouvelle directive sur le droit d’auteur. Les autres nations, telles que le Canada, la Nouvelle Zélande et l’Afrique du Sud ont entamé une procédure de mise à jour de leur législation sur le droit d’auteur. La manière dont ces traités seront appliqués déterminera, en grande partie, l’avenir de l’équilibre qui a été si capital pour le système de droit d’auteur et les usagers dans le passé. L’application des traités de l’OMPI la plus connue et la plus controversée est celle de la loi américaine du « Digital Millenium Copyright Act (DMCA)20 ». Non seulement le DMCA permet de mettre à jour la loi américaine sur le droit d’auteur afin d’ajouter une protection juridique aux mesures techniques de protection du droit d’auteur (qui sera étudiée plus loin), mais elle met également à jour les exceptions en matière de droit d’auteur dans l’environnement numérique. La section 1201 du DMCA comprend une clause « économies » qui stipule qu’aucune nouvelle protection accordée aux titulaires de droits d’auteur (telle que la protection pour des mesures techniques de protection du droit d’auteur) n’a d’impact sur les exceptions ou limitations existantes, y compris l’utilisation équitable. La section 404 du DMCA amende également l’exemption existante pour les archives et les bibliothèques à but non lucratif dans la section 108 de la loi sur le droit d’auteur afin d’intégrer les technologies numériques et les pratiques de préservation en constante évolution. Il existe également plusieurs exceptions spécifiques aux protections pour les mesures techniques de protection comprenant :

• Une procédure administrative permanente d’établissement de règles (administrée par le Librarian of Congress) visant à évaluer l’impact de la nouvelle interdiction contre le contournement des mesures relatives au contrôle de l’accès, et

• Six exceptions spécifiques : « évaluation des œuvres à acquérir pour une bibliothèque à but non lucratif, ou pour des établissements d’archives ou d’éducation », « décompilation » « recherche sur le chiffrage », « protection des mineurs », « à titre privé », et « test de sécurité ».

Cependant, les universitaires et les établissements éducatifs ne se montrent pas tous satisfaits de l’ensemble des clauses du DMCA et le débat se poursuit sur de nombreux points. L’adoption de la Directive européenne sur le droit d’auteur (EUCD – European Union Copyright Directive) (Directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information21) a également conduit à de nombreuses controverses. Cette directive comprend un certain nombre d’exceptions normatives non obligatoires que les gouvernements nationaux peuvent inclure dans leur législation concernant

20 Loi du 28 octobre 1998 des Etats-Unis d’Amérique sur le droit d’auteur pour le millénaire numérique, Pub. L. No. 105-304, 112 Stat. 2860 (1998) (codifié dans les sections diffusées du titre 17 du U.S.Code).

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21 Directive 2001/29/EC du Parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation..., 2001 O.J (L. 167) 10.

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l’application de l’EUCD, s’ils le souhaitent. Parmi celles-ci figurent des exceptions (gratuites ou non) liées à : la reproduction temporaire, la reproduction photographique d’œuvres protégées par le droit d’auteur, l’usage privé, la copie pour des institutions éducatives ou culturelles, des enregistrement éphémères à des fins de diffusion, des reproductions de diffusions pour des « institutions sociales », des supports de cours ou de recherche scientifique, au profit de personnes souffrant d’un handicap, l’information sur l’actualité ou les affaires courantes, des critiques ou des révisions, la sécurité publique, l’utilisation de discours politiques, l’ utilisation au cours de cérémonies religieuses, aux œuvres d’art et à l’architecture publiques, l’introduction ponctuelle d’une œuvre dans un autre support et bien d’autres utilisations, généralement moins importantes. La Directive européenne sur le droit d’auteur est un exemple illustrant bien la tendance croissante de certains titulaires de droits d’auteur d’essayer de limiter les exceptions généralement admises. Les bibliothécaires ont dû faire fortement pression pour éviter que les pratiques d’équité ne soient trop réduites, en particulier concernant la reproduction dans les bibliothèques. Pour compenser la perte potentielle des titulaires de droits d’auteur à cause de certaines exceptions, les États membres sont autorisés à prélever une somme d’argent, bien que toutes les exceptions facultatives soient explicitement soumises au test des trois étapes de la Convention de Berne. Les bibliothécaires affirment que si une exception est autorisée, c’est qu’une décision a été prise selon laquelle elle ne porterait pas préjudice aux titulaires de droits, auquel cas il n’est pas nécessaire de leur verser une quelconque compensation. D’autres pays tels que l’Australie, ont également mis à jour leur régime de droit d’auteur afin d’intégrer les nouvelles technologies numériques et ont inclus de nombreuses extensions aux exceptions dans l’environnement numérique. La loi australienne sur l’amendement du droit d’auteur (Copyright Amendment Act 2000)22 (programme numérique) offre un large éventail d’exceptions sur le droit d’auteur dans le domaine numérique, incluant la recherche et l’étude, la critique et la révision, l’information, la communication d’œuvres par les archives et les bibliothèques, la préservation de ces œuvres, la reproduction temporaire et les copies destinées à l’enseignement, entre autres. Cette loi comprend également les utilisations autorisées dans le cadre desquelles une « personne qualifiée » peut légalement fabriquer, importer ou fournir des dispositifs de contournement. Il s’agit des cas suivants : reproduction et communication dans le cadre d’archives/bibliothèques, compilation pour des programmes informatiques, copies destinées à l’enseignement, au Parlement et au Gouvernement. Le recours à la législation sur le droit d’auteur pour limiter l’utilisation de l’œuvre a d’importantes implications en matière d’éducation, en particulier dans les pays en voie de développement, où les photocopies ou les copies numériques sont souvent la seule source d’information disponible. A titre d’exemple, ces dernières années, le gouvernement d’Afrique du Sud a publié les amendements proposés à la loi sur le droit d’auteur et ses réglementations, qui auraient limité l’utilisation équitable et virtuellement supprimé de la législation du moment toutes les exceptions à des fins éducatives. Le gouvernement d’Afrique du Sud n’est pas non plus parvenu à répondre aux besoins des personnes souffrant d’un handicap, ou suivant une formation à distance, ni des analphabètes et à résoudre les problèmes posés par la technologie numérique. Le secteur de l’éducation s’est fortement opposé à ces amendements et a réussi les faire supprimer.

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22 Loi sur l’amendement du droit d’auteur (programme numérique) (Copyright Amendment (Digital Agenda) Act), 2000, no. 110 (Austrl.).

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Un équilibre atteint ? Malgré les efforts de certaines juridictions à maintenir un équilibre, selon l’IFLA, il est de plus en plus visible que cet équilibre traditionnel en matière de droit d’auteur est sérieusement menacé par différentes sources dans l’environnement numérique. L’utilisation récente étendue de mesures techniques de protection (et les lois qui les protégent) ainsi qu’un environnement de plus en plus régi par des licences tendent à orienter l’utilisation des œuvres protégées par droits d’auteur vers un environnement de paiement à la carte, qui restreint l’accès à ceux qui ont les moyens de le payer. Utilisation de mesures techniques de protection du droit d’auteur Le DMCA des Etats Unis d’Amérique, lors de son adoption en 1998, a représenté le premier effort au niveau mondial visant à mettre en application les Traités de l’OMPI. De ce fait, et à cause de son importance et des avancées technologiques des États-Unis, il s’avère être un excellent baromètre des tendances en matière de droit d’auteur à l’ère numérique. Les mesures techniques de protection du droit d’auteur constituent une question clé pour les communautés éducatives et les bibliothèques dans le monde entier, car elles peuvent prévaloir sur toute exception au droit d’auteur et les supprimer réellement . Cela s’explique par le fait que de telles mesures techniques ne font pas de différence entre les utilisations non autorisées par le détenteur de droits d’auteur, mais qui sont toutefois autorisées par la loi, et celles non autorisées par le détenteur et contrevenant à la loi. Par exemple, le même mécanisme de contrôle des copies, qui interdit à toute personne d’effectuer des contrefaçons d'œuvres protégées, peuvent également empêcher un étudiant ou une personne présentant une déficience visuelle d’en faire une utilisation équitable. Récemment, aux États-Unis, plusieurs affaires ont testé la nouvelle approche comme présenté ci-dessous : • Universal v. Reimerdes:23 dans cette affaire, un logiciel, le DeCSS, permettait de

décrypter les DVD de façon à pouvoir (i) les lancer sur des PC équipés d’un autre système d’exploitation que Windows et (ii) les copier. La Cour a même interdit tout lien à cette application de logiciel en alléguant qu’un tel dispositif mènerait au piratage (bien qu’aucune preuve d’une utilisation réelle du DeCSS à des fins de piratage de DVD n’ait été présentée). La Cour a rejeté l’argument selon lequel il pourrait exister des raisons pour une utilisation légitime et équitable consistant à copier tout ou partie d’un film sur DVD. La Cour a adopté cette attitude malgré une décision antérieure de la Cour Suprême, face au DMCA, - Sony v. Universal Studios, selon laquelle un dispositif ne pouvait pas constituer une violation de la loi sur le droit d’auteur dans la mesure où il présentait d’autres utilisations importantes ne contrevenant pas à cette loi. Par conséquent, le simple fait que les magnétoscopes, les lecteurs de CD et les photocopieurs puissent être utilisés dans l’objectif de réaliser des contrefaçons ne signifie pas qu’ils aient été interdits par la loi.

• Felten v RIAA:24 dans cette affaire, le Professeur Edward Felten de la Princeton

University, a été menacé d’un procès par l’Industrie phonographique selon le DMCA dans le cas où il révèlerait ses découvertes concernant des défauts de sécurité dans la Secure

23 Universal City Studios, Inc. v. Reimerdes, 111 F. Supp. 2d 294 (S.D.N.Y. 2000).

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24 La plainte contre le Professor Felten n’a pas abouti, mais elle figure sur le site Internet de la Electronic Frontier Foundation ainsi que d’autres informations utiles. Voir http://www.eff.org/Legal/Cases/Felten v RIAA/

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Digital Music Initiative (SDMI) lors d’une conférence sur la sécurité des Technologies de l’Information. Il a par la suite poursuivi la RIAA en jugement déclaratoire afin d’éclaircir ses droits à la liberté d’expression. La RIAA a retiré sa menace juridique spécifique, l’affaire Felton est ainsi devenue sans objet, mais la menace planant sur la liberté d’expression scientifique demeure.

• Dans l’affaire Etats-Unis v. Sklyarov25, Dmitri Sklyarov, un programmateur informatique

russe, a été arrêté et menacé de poursuite pénale pour la réalisation d’un processeur avancé de livres électroniques (Advanced e-book Processor, AEBP). (Il a par la suite été relaxé mais l’entreprise pour laquelle il travaille doit toujours répondre de la réalisation de ce processeur). L’AEBP est un outil qui convertit les livres électroniques du format e-book de Adobe en format PDF (Portable Document Format) d’Adobe. Ce processus de conversion élimine les différentes restrictions (contre la copie, l’impression, le traitement de synthèse vocale, etc.) que les éditeurs peuvent imposer sur les livres électroniques. Le programme est conçu pour ne fonctionner que sur les livres électroniques qui ont été achetés légalement dans les points de vente. Ce processeur (Advanced e-book Processor) permet à ceux qui ont légitimement acheté leurs livres électroniques d’en faire un usage équitable, qui ne serait pas possible avec le format de livre électronique d’Adobe, tel que l’impression sur papier d’un livre électronique ou la lecture à voix haute par ordinateur d’un livre électronique grâce à un logiciel de synthèse vocale. Cette dernière possibilité est particulièrement importante pour les personnes malvoyantes.

Ces interprétations judiciaires du DMCA révèlent que, dans le cas d’un conflit entre les nouvelles mesures techniques de protection des œuvres protégées par droit d’auteur et les nouvelles utilisations rendues possibles par les nouvelles technologies, ce sont les nouvelles utilisations qui seront pénalisées, à tel point que les créateurs d’outils à double usage (à la fois “équitable” et contrefait) peuvent faire l’objet d’une poursuite pénale. Un autre exemple des inconvénients, voire des dangers, présentés par les exceptions dérogeant aux mesures techniques de protection, figure dans la Directive de l’Union européenne sur le droit d’auteur, article 6.4. En théorie, grâce à cet article, les gouvernements des Etats membres de l’Union européenne peuvent intervenir, en l’absence d’accords volontaires entre les usagers et les titulaires de droits d’auteur, pour permettre au bénéficiaire d’une exception de profiter de celle-ci ; toutefois, dans la pratique, cet article n’est pas pris en compte car la Directive n’autorise pas d’intervention lorsqu’il existe un contrat. Il est probable que de très nombreux contrats en ligne soient établis sur l’Internet, dont les clauses et conditions sont imposées et non-négociées ; la valeur des interventions gouvernementales pour permettre des exceptions est donc en réalité limitée à l’environnement hors ligne. En tout cas, ce type d’intervention nécessite beaucoup de temps et de grands efforts, il est donc probable que peu d’usagers y aient recours. Emergence de l’environnement des contrats de licence Outre la législation sur la propriété intellectuelle et l’utilisation croissante de la technologie de gestion des droits numériques, l’établissement de contrats de licence définit également l’environnement numérique et sert à limiter les droits des usagers. « A la différence des œuvres sur papier, l’information numérique n’est généralement pas achetée par les consommateurs ou les bibliothèques, elle fait plutôt l’objet d’une licence détenue par la

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25 Voir U.S. v. Elcom, Ltd., 203 F. Supp. 2d 1111 (N.D. Cal. 2002).

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bibliothèque et délivrée par les fournisseurs d’informations. Une licence prend généralement la forme d’un contrat ou d’un accord écrit entre la bibliothèque et le détenteur des droits concernant la diffusion d’informations numériques26. » Les licences pour les bibliothèques adoptent souvent l’une des trois formes suivantes : les licences sur papier « de forme standard », les licences « sous plastique » et les licences « cliquez sur ». Dans la plupart des cas, il n’est pas possible de négocier les clauses de la licence, et, même si cela était possible, le pouvoir de négociation relatif entre l’acheteur et le fabricant est nettement inégal. Les licences sous plastique portent ce nom car elles sont emballées dans un film plastique et constituées d’un article faisant l’objet d’une propriété intellectuelle (tel qu’un CD-ROM). Les licences « Cliquez sur » sont généralement utilisées pour les œuvres protégées par droit d’auteur que l’on achète en ligne; avant que l’usager ne puisse accéder à une partie de l’œuvre, il doit d’abord indiquer qu’il accepte les conditions de la licence (habituellement en cliquant sur le bouton ‘I agree’ – « J’accepte »). Les accords de forme standard peuvent ou non être négociables, toutefois les licences sous plastique ou “cliquez sur” ne le sont jamais. Il existe de nombreuses raisons expliquant pourquoi un distributeur peut souhaiter utiliser ce type de contrat de licence et pourquoi l’IFLA ne s’oppose pas à l’utilisation de ces contrats dans la mesure où les deux parties au contrat sont égales, c’est-à-dire que l’une des parties a quelque chose à vendre, que l’autre partie a le pouvoir d’achat adéquat et que les deux parties ont négocié les clauses et conditions. Toutefois, il existe un problème croissant lié au fait que ces contrats sont utilisés comme « législation unilatérale »; c’est-à-dire que les contrats de licence prennent fréquemment le pas sur les exceptions de droit d’auteur et définissent un niveau d’usage plus restrictif que celui permis par la loi. Ces licences peuvent impliquer toute une série de clauses et conditions, mais, à la différence de la loi sur le droit d’auteur, les concédants de licence ne sont pas légalement tenus de prendre en compte l’intérêt public en matière d’accès à l’information lorsqu’ils définissent ces clauses et conditions. La plupart des informations numériques étant diffusées sous licence, il est probable que les considérations de politique publique, telles que l’usage équitable, l’utilisation équitable ou les exceptions au droit d’auteur deviendront nulles et non avenues. Il est par conséquent indispensable de prendre soigneusement en compte les limitations et les exceptions dans le domaine numérique afin de protéger l’accès à l’information. Certains exemples des types de restrictions souvent imposés par les accords de licence comprennent :

• Des restrictions sur les copies par impression, téléchargement ou envoi par courrier électronique de tout ou partie de l’œuvre, effectuées par les usagers ;

• Des restrictions sur le nombre, le lieu et l’affiliation organisationnelle des usagers ;

• Des restrictions à l’égard des bibliothèques sur les activités de prêts et de fourniture de documents entre bibliothèques ;

• Des restrictions à l’égard des bibliothèques sur les activités de copie d’œuvre dans un objectif de préservation ;

• Des restrictions sur l’usage d’une œuvre au-delà d’une certaine date ; • Des restrictions à l’égard des bibliothèques ayant un accès aux œuvres en

réseau dans leurs locaux ;

26 http://www.library.yale.edu/~llicense/intro.shtml

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• Des restrictions sur le prêt ou la cession d’une œuvre numérique ; • Des restrictions sur le droit de citer, d’analyser ou même d’indexer une œuvre.

La combinaison des mesures techniques de protection et des licences peut conduire à une protection absolument illimitée des intérêts des titulaires de droits, qui bénéficient d’une accumulation de niveaux de protection : protection du droit d’auteur, protection technologique, protection juridique des mesures techniques, droit des contrats. La position de l’IFLA

« La technologie numérique permet [aux éditeurs] de suivre et de faire payer tout accès électronique, même pour un simple parcours... Le pouvoir de marché qui en résulte permet alors à l’éditeur d’imposer des prix de monopole et éventuellement des conditions abusives aux usagers, y compris les bibliothèques, les universités, les instituts et les centres de recherche, et d’ignorer les conséquences sociales liées à l’incapacité des organismes de recherche de payer un tel accès27 ».

La plupart des reproductions d’œuvres sur papier dans les bibliothèques sont effectuées dans un objectif éducatif, de recherche ou d’étude à titre privé, ou dans un but de préservation. Les raisons généralement avancées pour justifier une copie sont l’impossibilité pour les usagers de lire l’œuvre en bibliothèque (œuvre très demandée ou uniquement en consultation sur place) ou le désir de l’usager de la lire à un moment plus approprié. Malgré les craintes des titulaires de droits au sujet de perte de ventes, rien ne prouve que la copie d’un nombre raisonnable d’œuvres protégées par le droit d’auteur modifie les ventes. Les personnes qui effectuent une copie n’achèteraient pas forcément l’œuvre si on les empêchaient de la copier. Rien ne permet de penser que ce schéma ne s’avèrera pas également vrai en ce qui concerne la copie d’œuvres numériques. Par conséquent, selon l’IFLA, non seulement les exceptions traditionnelles au droit d’auteur doivent être préservées, à la fois dans l’environnement papier (analogique) et dans l’environnement numérique, mais elles doivent être traitées en même temps que les questions concernant l’usage croissant des technologies de protection des droits d’auteur et des accords contractuels de licence. Il est peu pertinent que les autorités législatives nationales garantissent des droits d’usage équitable si, dans pratiquement tous les cas, ces derniers sont rapidement supplantés par des contrats de licence “cliquez sur” non négociables ou des systèmes de protection technologique. L’IFLA considère également que, si les exceptions autorisées selon les législations nationales sont conformes au test des trois étapes de la Convention de Berne, les intérêts des titulaires de droits ne subiront pas de préjudice et, par conséquent, aucun autre paiement relatif à une autorisation ou à des indemnités ne devrait être exigé. Toutefois, il faut garder à l’esprit que les besoins des usagers dans les pays en voie de développement sont plus importants que ceux des usagers dans les pays développés. Davantage d’exceptions sont nécessaires, notamment pour passer de l’analphabétisme à l’alphabétisation, par exemple dans le cadre de programmes d’alphabétisation, de formations élémentaires pour adultes, etc.

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27Pamela Samuelson and J.R. Reichman, Vanderbilt Law Review 50 (1) January 1997, p. 71.

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La position de l’IFLA sur le droit d’auteur dans ces domaines est la suivante : Concernant les exceptions au droit d’auteur L’IFLA maintient qu’à moins qu’il ne soit accordé aux bibliothèques et aux citoyens un accès raisonnable et une utilisation équitable pour des objectifs ne nuisant pas aux intérêts des titulaires de droits et qui sont dans l’intérêt du public et correspondent à une pratique équitable, telle que l’éducation ou la recherche, il existe un risque que seules les personnes étant en mesure de payer pour obtenir des informations pourront profiter des avantages de la société de l’information. S’il n’existait pas de réelles exceptions dans l’intérêt du public, notamment dans l’environnement numérique, cela créerait un écart encore plus important qu’il ne l’est actuellement entre les riches et les pauvres de l’information, que ce soit dans les pays développés ou en voie de développement. Ceci ne signifie pas qu’il faudrait convaincre ayants-droit d’offrir gracieusement leur travail. Lorsqu’une œuvre a été légitimement obtenue, par exemple achetée par une personne ou une bibliothèque, certaines exceptions devraient être autorisées selon les législations nationales, en conformité avec le test des trois étapes de la Convention de Berne. En outre, les lois sur le droit d’auteur ne devraient présenter aucune discrimination à l’encontre des personnes souffrant de déficiences visuelles, auditives ou ayant des difficultés d’apprentissage. La conversion d’une œuvre dans un autre format ne devrait pas être considérée comme une violation du droit d’auteur mais comme un accès raisonnable. Dans les pays utilisant de nombreuses langues et de nombreux dialectes, les exceptions sont davantage nécessaires pour permettre la traduction et la reproduction d’œuvres dans un objectif d’alphabétisation et d’apprentissage. Les exceptions au droit d’auteur et droits voisins, autorisées selon la Convention de Berne et avalisées par les traités de l’OMPI, devraient être révisées, si nécessaire, dans les législations nationales sur le droit d’auteur afin de garantir que les usages autorisés s’appliquent également aux informations au format électronique et papier, et pour toutes les reproductions non couvertes par ces dispositions, il devrait exister des systèmes de licence ou de paiement simples d’un point de vue administratif. L’IFLA soutient l’évolution vers des tarifs de licence différentiels et moins élevés pour les communautés désavantagées. Par exemple, les pays en voie de développement ne disposent pas toujours des ressources permettant de payer des droits d’auteur élevés, notamment dans des monnaies étrangères. Or, s’il leur est impossible de payer ces frais de licence, ils ne peuvent avoir accès à l’œuvre ni bénéficier de ses avantages pour leur communauté. Une œuvre moins appropriée ou non actuelle doit donc être substituée, ce qui peut avoir de sérieuses implications, notamment dans les domaines où une information à jour est indispensable, par exemple en matière de santé, sur le VIH/SIDA, etc. Les reproductions temporaires ou techniques liées à l’utilisation d’œuvres protégées par des droits d’auteur et qui n’ont aucune valeur économique ne devraient pas être concernées par le droit de reproduction. En ce qui concerne les ouvrages au format numérique, tous les usagers légitimes d’une bibliothèque devraient pouvoir, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer tout autre paiement ou de demander une autorisation : • parcourir une œuvre protégée par le droit d’auteur disponible publiquement ;

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• lire, écouter ou regarder de manière privée, sur place ou à distance, une œuvre protégée par le droit d’auteur, commercialisée publiquement et légalement acquise, (y compris une œuvre devant être adaptée pour les personnes ayant des difficultés d’apprentissage ou traduite dans une langue différente) ;

• copier ou obtenir une copie de la bibliothèque et des centres d’information une partie raisonnable d’une œuvre numérique protégée par des droits d’auteur pour un usage personnel, éducatif ou de recherche.

Concernant le partage des ressources informatives L’IFLA estime que le partage des ressources joue un rôle vital dans l’éducation, la démocratie, la croissance économique, la santé et le bien-être ainsi que le développement personnel. Il facilite l’accès à une plus grande quantité d’informations, qui, sinon, ne seraient pas à la disposition de l’usager, de la bibliothèque ou du pays qui les demande. Le partage des ressources n’est pas un mécanisme visant à réduire les coûts mais dont l’objectif est d’accroître la disponibilité des informations pour les personnes qui, pour des raisons économiques, techniques ou sociales, ne peuvent pas y avoir directement accès. Si une bibliothèque a légalement accès à une œuvre numérique, alors elle devrait être autorisée par la loi sur le droit d’auteur à en fournir l’accès à des fins légitimes, telles que la recherche ou l’étude. Concernant le prêt Le prêt public non commercial n’est pas une activité relevant traditionnellement de la loi sur le droit d’auteur, mais dans certains pays, il est limité. Ce type de prêt est indispensable à la culture et à l’éducation. Tout le monde devrait y avoir accès. L’information fournie à tous les formats a constitué et constituera une partie du fonds de prêt. A son tour, le prêt favorise la commercialisation des informations enregistrées disponibles sur le marché et encourage les ventes. Les bibliothèques sont, en effet, des catalyseurs pour la vente d’information à tous ses formats. Par conséquent, toute restriction légale ou contractuelle au prêt nuirait aux titulaires de droits tout comme aux bibliothèques. Malheureusement, l’Union européenne a crée un précédent lorsque le prêt a été défini comme un acte limité par le droit d’auteur, bien qu’il ne s’agisse pas d’une exigence internationale28. L’IFLA considère que le prêt d’œuvres publiées par les bibliothèques ne devrait pas être limité par la législation et que les clauses contractuelles, par exemple dans le cadre de contrats de licence, ne devraient pas concerner le prêt raisonnable de ressources électroniques par les bibliothèques et les centres d’information. Concernant la préservation et la conservation Les bibliothèques rassemblent des informations et les préservent. En réalité, la responsabilité de préserver l’information et la culture incombe largement aux bibliothèques et aux professionnels de l’information. La loi sur le droit d’auteur devrait autoriser les bibliothèques à reproduire les œuvres protégées afin de les préserver, et la législation ne devrait pas les empêcher d’utiliser les

28 http://www.library.yale.edu/~llicense/intro.shtml

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Bulletin du droit d’auteur - Mars 2003 Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique

nouvelles technologies pour améliorer les techniques de préservation et pour mettre les œuvres préservées numériquement à la disposition des usagers des bibliothèques.

La législation devrait accorder aux archives et aux bibliothèques, lorsque cela est nécessaire, l’autorisation de convertir les œuvres protégées par le droit d’auteur au format numérique dans le but de les préserver et de les conserver. Les bibliothèques devraient, en outre, pouvoir mettre ces œuvres à disposition comme elles le feraient pour un livre, en fournissant un accès sur place et en autorisant le prêt. Concernant la responsabilité en cas de violation du droit d’auteur Bien que les bibliothèques, en tant qu’intermédiaires, aient un rôle important à jouer pour garantir la formation et la conformité avec la loi sur le droit d’auteur, c’est le contrefacteur qui devrait, en fin de compte, être tenu pour responsable. La loi sur le droit d’auteur devrait indiquer des limitations claires de la responsabilité des tierces parties lorsque la conformité ne peut pas en pratique ou raisonnablement être appliquée. Concernant l’environnement des contrats de licence 29 Les clauses des accords contractuels de licence concernant les œuvres protégées par droits d’auteur devraient soutenir les politiques publiques dans des domaines, tels que le droit d’auteur, la vie privée, la liberté intellectuelle et les droits des consommateurs. Les contrats de licence en matière d’information ne devraient pas exclure les utilisateurs de l’information ou leur nuire en supprimant tous les droits législatifs pouvant être accordés par la loi sur le droit d’auteur applicable. L’IFLA estime que les contrats de licence devraient compléter la législation sur le droit d’auteur et non la remplacer. La législation nationale sur le droit d’auteur devrait invalider toutes les clauses d’une licence limitant ou supplantant les exceptions ou les limitations mentionnées dans la loi sur le droit d’auteur lorsque la licence est établie de manière unilatérale par les titulaires de droit sans que l’usager puisse négocier les dispositions de cette licence. La licence devrait au moins permettre aux usagers de lire, de télécharger et d’imprimer les œuvres pour leur usage personnel, sans restriction. Concernant les mesures techniques de protection des droits d’auteur La protection du droit d’auteur devrait encourager l’utilisation et la créativité, et non pas les entraver. La loi sur le droit d’auteur ne confère pas aux titulaires de ce droit une autorité supplémentaire qui consisterait à pouvoir utiliser les mesures techniques pour annuler les exceptions et les limitations à ce droit d’auteur et fausser l’équilibre défini dans la législation nationale et internationale sur le droit d’auteur. L’accès à l’information, plutôt que son contrôle, en accroît l’utilisation. En effet, les études ont révélé qu’un trop grand contrôle, sous forme de protection technique, est contre-productif30. Il devrait être possible de contourner ces mesures techniques dans le cadre d’activités sans rapport avec la contrefaçon. Les lois nationales sur le droit d’auteur devraient, en fait, avoir pour objectif de tendre vers une équilibre entre les droits des titulaires de droits d’auteur afin de protéger leurs intérêts 29 Voir les Principes des Contrats de Licences de l’IFLA http://www.ifla.org/V/ebpb/copy.htm 30 Randall Davis. Op.cit.

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et droits voisins dans l’environnement numérique

grâce à des moyens techniques et les droits des usagers de contourner ces mesures pour des usages légitimes et sans rapport avec la contrefaçon. Conclusion L’IFLA est heureuse de pouvoir faire ces commentaires concernant le besoin d’accorder les exceptions appropriées pour soutenir les objectifs de l’UNESCO en matière d’éducation, d’alphabétisation et de justice sociale et encourage l’UNESCO à la consulter autant que possible sur ce sujet de la plus haute importance. L’IFLA croit sincèrement qu’une pression exercée par certains titulaires de droits contre les exceptions nationales au droit d’auteur, ainsi que l’usage croissant de mesures techniques de protection du droit d’auteur et de conditions de licence abusives, créent une situation où la diffusion de la culture et de la connaissance est menacée et où le niveau de diffusion ne correspond plus aux objectifs élargis de politique publique. L’IFLA ne considère pas que la meilleure solution pour résoudre les problèmes de droits d’auteur dans l’environnement numérique consiste à remplacer le régime réglementaire de la loi sur le droit d’auteur par les conditions d’accès fixées de manière unilatérale par les fournisseurs d’informations. L’objectif premier du droit d’auteur était de protéger l’auteur ou le créateur dans l’intérêt public général. Nous vivons désormais à l’âge du numérique et le droit d’auteur risque de devenir un mécanisme de protection juridique pour les conglomérats financiers. L’aspect « intérêt public » du droit d’auteur est donc de plus en plus menacé puisque certains titulaires de droits disposent d’un pouvoir énorme pour définir leurs propres règles et établir une « législation d’intérêt privé » ne prenant pas nécessairement en compte l’équilibre créé dans les lois sur le droit d’auteur. L’IFLA ne souhaite pas voir un environnement où l’accès à l’information serait complètement contrôlé par un petit nombre de grandes entreprises transnationales. Si tous les usages de l’information sont contrôlés, seules les personnes ayant des moyens pourront bénéficier d’un accès aux productions créatives du monde entier. L’IFLA redoute que, à moins que ce contrôle ne soit limité, il ne nuise à la société. Il ne faut pas compter sur ayants-droit pour privilégier avant tout les intérêts de la société. Il s’agit là du rôle des gouvernements. Bien que personne ne réfute le droit de ces titulaires à obtenir un retour sur leur investissement, des limitations sous la forme d’exceptions doivent être intégrées à l’équation afin de garantir que la société puisse également obtenir un retour similaire sur ses investissements en matière de recherche et d’éducation. Ce n’est que de cette manière qu’un équilibre sera atteint. Annexe 1 : La position de l’IFLA en matière de droit d’auteur dans l’environnement numérique. Annexe 2 : Les principes de contrats de licence de l’IFLA.

Sites Web : www.ifla.org ; http://www.cfifla.asso.fr/accueilifla/accueilifla.htm#Venez

http://www.cfifla.asso.fr/

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 1

Annexe 1

Position de l’IFLA sur le droit d’auteur des documents numériques (2000) http://www.ifla.org/III/clm/p1/pos-dig-f.htm Comité sur le droit d’auteur et autres problèmes juridiques [Committee on Copyright and Other Legal Matters – CLM]

L'IFLA est une organisation non-gouvernementale internationale (ONG) créée pour mener, soutenir et coordonner la recherche et des études, diffuser l'information sur tous les aspects de la bibliothéconomie et des sciences de information dans le monde entier. De plus, elle organise des congrès et des sessions de formation dans ce domaine.

Dans le débat international sur le droit d'auteur, l'IFLA représente les intérêts des bibliothèques et de leurs usagers au niveau mondial. Les lois sur le droit d'auteur ont une grande influence sur tout ce que font les bibliothèques. Ces lois conditionnent les services aux lecteurs et les moyens par lesquels elles peuvent donner accès à des documents protégés par le droit d'auteur. Elles affectent la façon dont les bibliothèques orientent leurs usagers vers la documentation et les méthodes par lesquelles elles conservent et préservent ces documents. C'est pour ces raisons que l'IFLA participe au débat sur le droit d'auteur.

Droit d'auteur équilibré pour tous Les bibliothécaires et les professionnels de l'information reconnaissent que leurs clients ont besoin d'accéder à des œuvres protégées par le droit d'auteur et aux informations et aux idées qu'elles contiennent. Ils respectent aussi les besoins des auteurs et des ayants-droit qui attendent un retour économique équitable de leur propriété intellectuelle. Un accès effectif aux œuvres est essentiel pour atteindre les objectifs du droit d'auteur. L'IFLA soutient une loi équilibrée sur le droit d'auteur qui favorise la société dans son ensemble, accordant une protection forte et efficace aux intérêts des ayants droits mais aussi un accès acceptable permettant d'encourager la créativité, l'innovation, la recherche, l'éducation et la formation. L'IFLA soutient le renforcement effectif du droit d'auteur et reconnaît que les bibliothèques ont un rôle fondamental à jouer en contrôlant, mais aussi en facilitant l'accès à un nombre croissant de sources d'information proches et distantes. Les bibliothécaires et les professionnels de l'information font la promotion du respect du droit d'auteur et défendent activement les œuvres protégées par le droit d'auteur contre la piraterie, l'usage déloyal et l'exploitation non autorisée, dans l'environnement analogique et numérique. Les bibliothèques sont depuis longtemps conscientes de leur rôle en matière d’information et de formation des usagers sur l'importance de la loi sur le droit d'auteur et le respect de celle-ci. Cependant l'IFLA maintient qu'une protection excessive par le droit d'auteur menace les traditions démocratiques et a un impact sur les principes de justice sociale, lorsqu'il restreint de manière excessive l'accès à l'information et à la connaissance. Lorsque la protection par le droit d'auteur est trop forte, la concurrence et l'innovation sont limitées et la créativité est étouffée.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 1

Dans l'environnement numérique L'information est de plus en plus souvent produite sur des supports numériques. Les nouvelles technologies de la communication offrent de nouvelles opportunités permettant d'améliorer l'accès à l'information, en particulier à ceux qui sont désavantagés par la distance ou pour des raisons économiques. Cependant, nous savons que la technologie peut également créer des clivages entre ceux qui ont l'information et ceux qui ne l'ont pas. Si un accès raisonnable à des œuvres protégées par le droit d'auteur n'est pas maintenu dans l'environnement numérique, une barrière supplémentaire sera érigée, qui interdira l'accès à l'information à ceux qui n'ont pas les moyens de la payer. Les bibliothèques continueront à jouer un rôle fondamental en garantissant l'accès à tous dans la société de l'information. Des réseaux nationaux et internationaux de bibliothèques et de services d'information efficaces sont primordiaux pour la fourniture d'un accès à l'information. Dans l'environnement traditionnel, les bibliothèques ont toujours été capables d’offrir un accès raisonnable à des copies d'œuvres protégées par le droit d'auteur, qu'elles ont achetées et qui font partie de leurs collections. Toutefois, s’il faut à l’avenir payer pour tous les accès et usages de l’information sur support numérique, la capacité d’une bibliothèque à fournir un accès à ses usagers sera sérieusement limitée. Afin de maintenir un équilibre entre les intérêts des ayants droit et ceux des usagers, l'IFLA a établi les déclarations de principes suivantes :

Le support numérique n'est pas différent La Convention de Berne permet aux membres de l'Union de Berne d'accorder des exceptions dans certains cas spéciaux qui n'entrent pas en conflit avec une exploitation normale de l'œuvre et ne causent pas de préjudice excessif aux intérêts légitimes de l'auteur. En 1996, les membres de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ont adopté deux traités dans le but d'adapter la loi sur le droit d'auteur à l'environnement numérique. En confirmant que les exceptions et les limites existantes pouvaient être maintenues et étendues dans l'environnement numérique, les pays de l'OMPI ont rejeté l'affirmation qui voulait que "le numérique soit différent". Les parties contractantes peuvent maintenir et étendre de telles limites dans l'environnement numérique et créer de nouvelles exceptions si elles sont opportunes. L'IFLA maintient que, à moins que les bibliothèques et les citoyens se voient accorder des exceptions qui leur permettent l'accès et l'usage sans paiement à des fins qui sont dans l'intérêt public mais aussi conformes aux pratiques loyales, telles que la formation et la recherche, le risque est grand de voir que seuls ceux qui peuvent payer pourront tirer avantage des bénéfices de la société de l'information. Ceci créera un clivage croissant entre les info-riches et info-pauvres. En outre, il ne devrait pas y avoir de discrimination dans les lois sur le droit d'auteur au détriment des handicapés visuels, auditifs ou de personnes ayant des difficultés d'apprentissage. Le reformatage de documents permettant de les rendre plus accessibles ne devrait pas être considéré comme une infraction au droit d'auteur mais comme un accès normal.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 1

1. Dans les législations nationales sur le droit d'auteur, les exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins autorisées par la Convention de Berne, reprises par les traités de l'OMPI, devraient être révisées, si nécessaire, pour s'assurer que les utilisations autorisées s'appliquent de la même façon à l'information sur support numérique et l'information sur support papier.

2. Dans le cas de copies faites au-delà de ces dispositions, des procédures administratives de paiement simples devraient être proposées.

3. Les copies temporaires ou techniques exceptionnelles par rapport à l'usage d'un document protégé par le droit d'auteur devraient être exclues du champ du droit de reproduction.

4. Pour les œuvres sur support numérique, sans devoir payer ou chercher à obtenir une permission, tous les usagers d'une bibliothèque devraient pouvoir :

o feuilleter des documents protégés, publiquement disponibles ;

o lire, écouter ou regarder des documents disponibles sur le marché pour un usage strictement privé, dans les locaux de l'établissement ou à distance ;

o copier, ou obtenir une copie faite à leur demande par la bibliothèque et les centres d'information, d'une partie acceptable d'une œuvre protégée sur format numérique, pour un usage personnel, de formation ou de recherche.

Le partage des sources d'information Le partage des sources joue un rôle fondamental dans la formation, la croissance économique, la santé et le bien-être, et le développement personnel. Il facilite l'accès à un vaste éventail d'informations qui ne pourraient pas, si ce service n'existait pas, être disponibles à l'usager, à la bibliothèque ou au pays désireux de les consulter. Le partage des ressources n'est pas un mécanisme qui vise à réduire les coûts mais à étendre la disponibilité de ressources à tous ceux qui, pour des raisons économiques, techniques ou sociales ne peuvent pas avoir accès directement à cette information.

• Fournir l'accès à des œuvres protégées sur support numérique à un usager pour des objectifs légitimes tels que la recherche ou l'étude devrait être un acte autorisé dans le cadre du droit d'auteur.

Le prêt Le prêt public à but non lucratif n'est pas une activité régie traditionnellement par le droit d'auteur. Il est essentiel pour la culture et la formation. Il devrait être proposé à tous. L'information, sur tout support, est et deviendra une partie des fonds susceptibles d'être prêtés. Le prêt est un instrument dans le marketing de l'information proposée sur le marché et de promotion des ventes. Les bibliothèques sont, en effet, des catalyseurs pour la vente d'informations sur tous les supports. C'est pourquoi, toute limite juridique ou contractuelle au prêt se ferait au détriment des ayants-droit mais aussi des bibliothèques elles-mêmes.

• Le prêt de documents publiés sur des supports numériques tangibles (par exemple, les cédéroms) par les bibliothèques ne devrait pas être limité par la législation.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 1

• Les clauses contractuelles, par exemple dans le cadre d'accords de licences, ne devraient pas supprimer les possibilités de prêt de ressources électroniques accordées, dans des limites acceptables, par les bibliothèques et les centres d'information.

Préservation et conservation Les bibliothèques collectent et conservent l'information. En fait, la responsabilité de la conservation de l'information et de la culture incombe traditionnellement aux bibliothèques et aux professions de l'information. La loi sur le droit d'auteur ne devrait pas empêcher les bibliothèques de recourir aux nouvelles technologies pour améliorer leurs techniques de conservation.

• La législation devrait donner aux bibliothèques et aux archives la permission de transférer sur support numérique les documents protégés par le droit d'auteur, à des fins de préservation et de conservation.

• La législation devrait aussi couvrir le dépôt légal des médias électroniques.

Les contrats et les systèmes de protection contre la reprographie La protection par le droit d'auteur devrait encourager et non inhiber l'usage et la créativité. La loi sur le droit d'auteur ne devrait pas donner aux ayants-droit le pouvoir d'utiliser des mesures techniques ou contractuelles pour supprimer les exceptions et limitations au droit d'auteur et fausser l'équilibre établi par les législations internationales et nationales. Les accords de licences devraient compléter la législation sur le droit d'auteur et non la remplacer. C'est l'accès à l'information, et non le contrôle de l'information, qui augmente son usage. En fait, des études ont démontré que trop de contrôle, sous la forme de protection technique, a des effets contraires à ceux attendus. Le contournement des mesures techniques dans le cadre d'activités autorisées devrait être possible.

• La législation nationale sur le droit d'auteur devrait rendre invalide tous les termes d'une licence qui restreint ou supprime les exceptions ou limites présentes dans la loi sur le droit d'auteur, lorsque les licences sont établies unilatéralement par les ayants-droit, sans aucune possibilité pour l'usager de négocier les termes de la licence.

• Les lois nationales sur le droit d'auteur devraient viser un équilibre entre les droits des ayants-droit, en protégeant leurs intérêts par des mesures techniques et les droits des usagers, en leur donnant la possibilité de contourner de telles mesures pour des fins légitimes qui n'enfreignent pas le droit d'auteur.

Responsabilité pour les infractions au droit d'auteur Bien que les bibliothèques, en tant qu'intermédiaires, aient un rôle important à jouer en assurant le respect du droit d'auteur, la responsabilité finale devrait être supportée par le contrefacteur.

• La loi sur le droit d'auteur doit énoncer des limites claires à la responsabilité des parties tierces dans les circonstances où le droit d'auteur ne peut être pratiquement ou de manière acceptable assuré.

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Approuvé par le Bureau exécutif de l'IFLA, août 2000.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 2

Annexe 2

Principes fondamentaux des contrats de licence des ressources électroniques (2000) Préparé par la Commission sur le droit d'auteur et autres thèmes juridiques [Copyright and other Legal Matters] de l’IFLA ( )http://www.ifla.org/V/ebpb/copy-f.htm INTRODUCTION 1. Le marché mondial des ressources en informations électroniques de tout type se développe rapidement car les éditeurs et les distributeurs qui créent l'information électronique cherchent à attirer toutes les bibliothèques (publiques, universitaires, spécialisées, nationales) et à les transformer en clients. Aujourd'hui, les bibliothèques du monde entier poursuivent leur rôle de médiateur entre les citoyens - y compris celles qui opèrent dans des institutions spécifiques - l'information et l'expression culturelle - rôle qui est maintenu, semble-t-il, de manière encore plus ferme pour les informations au format électronique que pour celles au format papier. Alors que les bibliothèques progressent dans le domaine de l'archivage et de la préservation des média traditionnels, elles cherchent parallèlement les moyens d'assurer l’archivage et la préservation des ressources électroniques afin de pouvoir y accéder sur une longue période. Le prix aussi reste l'un des points clés car les bibliothèques craignent que de nombreuses ressources électroniques ne soient proposées à un prix plus élevé que leur contrepartie sur support papier. 2. Alors que la communauté des bibliothèques soutient fortement le maintien dans l'environnement numérique des exceptions qui leur ont été accordées par les différentes lois sur le droit d'auteur, il existe des domaines où différentes procédures et politiques demandent à être développées en matière de gestion des publications électroniques. Les points suivants, relatifs au développement des contrats de licence, présentent de ce fait un intérêt tout particulier pour l’IFLA :

2.1 L'utilisation de l'information électronique dans le monde entier est aujourd'hui, généralement définie et décrite par des accords contractuels, connus également sous le nom de contrats de licence. Ces contrats décrivent de manière exhaustive les conditions de la relation liant un fournisseur à une bibliothèque. La contractualisation est apparue relativement récemment (dans les années quatre-vingt-dix) dans les relations commerciales liant plusieurs parties de la chaîne de l'information.

2.2 Les contrats de licence sont des dispositions liées aux lois du marché où un fournisseur d'informations et un acquéreur d'accès à l'information, tous deux volontaires, se mettent d'accord pour mettre au point des dispositions pour chaque transaction et chaque type de ressource.

2.3 Les droits de l'usager sont définis par les termes et les conditions fixés dans les contrats de licence. Ils ne sont pas régis par une législation sur le droit d'auteur (relativement bien cernée) comme dans le cadre de l'usage de formats « bien définis » ou traditionnels.

2.4 Les bibliothèques permettent généralement aux clients d’accéder à l’information par le biais de sites d'éditeurs ou de distributeurs éloignés, plutôt qu'à partir de sites qu’elles contrôleraient. Pourtant, les tâches et les coûts incombant aux fournisseurs d'informations et aux bibliothèques, en ce qui concerne l'archivage à long terme et la préservation des ressources électroniques, ne sont pas – et c’est troublant - clairement

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 2

définis. Bien qu'un contrat de licence ne permette pas de résoudre les problèmes posés par l'archivage électronique, il peut généralement les identifier et exprimer un ensemble d'engagements ou d'attentes relatifs à ces questions émanant des parties contractantes.

3. L’IFLA considère la question des contrats de licence comme une ouverture bien que

des points clés doivent encore être réglés. Les contrats de licence s’avèrent être une réaction aux dispositions commerciales complexes instituées entre les fournisseurs d'informations et les consortiums de bibliothèques de tout type et de toute nature. L’IFLA encourage et soutient l’évolution vers des négociations menées dans le cadre de ces consortiums. Toutefois, en dépit du mouvement actuel vers la généralisation de l'adoption de contrats de licence comme moyen complémentaire de réglementer l'usage de l'information électronique, les bibliothèques et leurs usagers ont besoin de lois nationales sur le droit d'auteur efficaces, équilibrées, qui reconnaissent non seulement le droit à une reconnaissance et à une rémunération des titulaires de droits, mais qui répondent aussi au point critique que constitue l'accès à l'information du public, à des fins d'éducation et de recherche. Cet équilibre, défini dans une législation sur le droit d'auteur appropriée, doit trouver une expression dans tous les contrats de licence de ressources électroniques.

Dans ce contexte, l’IFLA présente un ensemble de principes fondamentaux qui devraient s'imposer dans les relations contractuelles et les contrats écrits entre bibliothèques et fournisseurs d'informations. CONTRATS DE LICENCE ET LÉGISLATION P.1. Un contrat de licence est un accord entre une bibliothèque qui souhaite donner accès à une ressource électronique disponible à ses lecteurs ou membres, et un éditeur ou distributeur, titulaire de droits sur ces ressources, qui cherche à les rendre disponibles sur le marché que constitue l'ensemble des bibliothèques. L'ensemble des termes et conditions du contrat de licence doit être porté à la connaissance des clients avant l’établissement du contrat pour les ressources concernées. Chaque licence peut faire l’objet de discussions sur les termes et de négociations entre les parties. P.2. Dans le cas de contrats de licence non négociés de type « sous plastique » et « Cliquez sur », les termes devraient être conformes aux politiques publiques dans des domaines comme le droit d'auteur, le respect de la vie privée, la liberté intellectuelle et les droits du consommateur. P.3. Les contrats de licence dans le domaine de l'information ne devraient pas exclure des utilisateurs de l'information ou avoir un impact négatif sur ces derniers par rapport aux droits qui pourraient être accordés par la loi sur le droit d'auteur applicable. P.4. Le choix de la loi applicable doit être acceptable pour les deux parties. Ce devrait être, de préférence, la loi du pays ou de l'État du détenteur (acquéreur) de la licence. P.5. Les contrats de licence devraient être négociés et écrits dans la langue maternelle de la bibliothèque cliente.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 2

CONTRATS DE LICENCE ET VALEURS P.6. L'accord de licence devrait être clair et complet, reconnaître les besoins des parties concernée. En particulier, les termes importants devraient être définis de sorte à éviter toute ambiguïté. P.7. La licence devrait établir un équilibre entre les droits et les responsabilités des deux parties. P.8. La licence devrait prévoir des périodes pour effectuer des modifications et d'autres modes de résolution des conflits avant d'envisager une annulation ou un procès. P.9. Les parties contractantes devraient avoir le droit de se dédire des engagements mentionnés dans le contrat dans des conditions appropriées et bien définies. CONTRATS DE LICENCE : ACCÈS ET UTILISATIONS P.10. La licence devrait fournir un accès à tous les usagers affiliés au détenteur d'une licence, que ce soit une institution ou un consortium, sans tenir compte du fait que cet accès se fasse dans les locaux des titulaires de la licence ou ailleurs. P.11. La licence devrait fournir un accès à chaque usager non affilié, lorsqu'il est dans les locaux du détenteur de la licence. P.12. La licence devrait fournir un accès aux sites géographiquement éloignés s'ils font partie de l'institution du détenteur de la licence. P.13. L'accès à distance devrait être donné via une interface conviviale, à partir d'un site Web. P.14. Les données téléchargées localement devraient être disponibles sous divers formats standard (par exemple, PDF, HTML et SGML), transférables vers la quasi-totalité des plates-formes informatiques et des environnements en réseau. P.15. La licence devrait au moins permettre aux usagers de lire, télécharger et d'imprimer des œuvres à des fins personnelles, et ce sans aucune restriction. P.16. Les ressources fournies grâce à un accès à distance vers des sites de fournisseurs devraient être disponibles 24 heures sur 24, avec des systèmes d'aide ou des services d'assistance appropriés, sauf dans le cas d'une indisponibilité de courte période annoncée aux clients des bibliothèques. Des amendes pourraient être encourues si les engagements de services ne sont pas tenus. P.17. Un degré élevé de stabilité du contenu, qu'il s'agisse de ressources individuelles ou agrégées, devrait être garanti et les clients institutionnels devraient être avisés de tout changement. Des amendes pourraient être encourues si les engagements de services ne sont pas tenus.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 2

LES CONTRATS DE LICENCE ET L'USAGER FINAL P.18. Les bibliothèques devraient former les usagers à l'utilisation correcte des ressources électroniques et prendre des mesures raisonnables pour éviter tout usage contraire à la loi ainsi que les intérêts des producteurs afin d'arrêter toute activité interdite, si elle devait être portée à leur connaissance. Mais la bibliothèque ne devrait pas être responsable légale des actions menées par les usagers individuels. P.19. Il n'est pas opportun de demander aux usagers individuels d'accepter un contrat sur simple « clic », lorsqu'une institution/bibliothèque a déjà conclu un accord (ou pourrait le faire) pour le compte de ses clients. P.20. La vie privée des usagers devrait être protégée et respectée dans les contrats de licence et lors de toute intervention faite par les fournisseurs d'informations ou par des intermédiaires. P.21. Le fournisseur d'informations en réseau devrait proposer des informations sur l'usage des données (non sur l'usager) afin que la bibliothèque détentrice de la licence puisse évaluer l'usage fait de cette ressource. LES CONTRATS DE LICENCE ET L'ACCÈS PERPÉTUEL P.22. Une licence devrait inclure des clauses permettant un accès perpétuel aux informations concernées par la licence à un prix abordable et par des moyens appropriés et utilisables. P.23. Une licence devrait prendre en considération des clauses pour un accès à un long terme et l'archivage des ressources d'information électronique et devrait identifier des responsabilités dans ce domaine. LES CONTRATS DE LICENCE ET LA POLITIQUE DE PRIX P.24. Les prix devraient être établis pour encourager l'usage et non le décourager. Ainsi :

• de nombreux fournisseurs fixent un prix pour l'information électronique à un niveau inférieur à celui de l'équivalent sur support papier (si ce dernier existe) ;

• de nombreux fournisseurs offrent maintenant des prix incitatifs, tels que des prix dans le cadre de consortiums, un choix de modèles de prix et d'autres dispositions de cette nature.

P.25. Les prix doivent être clairs et ne cacher aucune charge. P.26. Un prix au détail (à partir du format papier) devrait être proposé pour les versions électroniques et un prix défini pour un lot peut être offert s'il offre des avantages pour le détenteur de la licence. P.27. Il ne devrait y avoir aucune pénalité lorsque l'on refuse la version papier pour opter pour la version électronique d'une ressource.

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Bulletin du droit d’auteur Limitations et exceptions au droit d’auteur

et droits voisins dans l’environnement numérique Annexe 2

P.28. Les exigences de non divulgation des termes de la licence sont généralement inappropriées. LE PRÊT ENTRE BIBLIOTHÈQUES P.29. Des clauses relatives au prêt entre bibliothèques ou des services équivalents devraient être introduites. P.30. En général, les bibliothèques devraient pouvoir extraire des quantités jugées raisonnables d'informations obtenues par des contrats de licence à des bibliothèques qui n'ont pas signé un contrat pour cette information pour un usage par un client spécifique. L'ENSEIGNEMENT ET LA FORMATION P.31. Les contrats de licence devraient soutenir les efforts en matière d'enseignement et de formation tout au long du cursus universitaire, en permettant de faire des liens ou des copies ou de faire apparaître des informations relatives au cours, dans des activités de support à des cours en ligne, pour constituer une réserve électronique. P.32. La formation à distance représente un défi pour les fournisseurs et les bibliothèques. Les concédants de la licence devraient accepter l'affiliation des usagers à une bibliothèque ou une institution donnée, sans tenir compte du lieu physique de résidence de l'usager, et devraient permettre un accès régulier aux ressources en informations électroniques concernées par la licence (voir aussi clause 8).

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Bulletin du droit d’auteur mai 2003

ACTIVITES DE L’UNESCO

L’ALLIANCE GLOBALE POUR LA DIVERSITE CULTURELLE

De nouveaux partenariats pour les industries culturelles

L’Alliance globale pour la diversité culturelle, une initiative basée sur la technique du partenariat lancée par l’UNESCO conformément à décision de la 31ème session de la Conférence générale de l’UNESCO (novembre 2001), est désormais entrée dans sa phase opérationnelle.

Cette Alliance a reçu un accueil particulièrement favorable et compte aujourd’hui 130

partenaires provenant des cinq continents et déployant leur activité dans le milieu des industries culturelles.

S’appuyant sur ce réseau, une vingtaine de projets pilotes touchant des domaines aussi

variés que la musique, l'édition, les produits dérivés des musées, la production de films d’animation ou les micro-entreprises artisanales se développent actuellement sur la base d’un principe de solidarité et de bénéfice mutuel au Pérou, en Algérie, en Jamaïque, en Chine (Tibet) ou encore au Zimbabwe. A travers ces premiers projets une méthodologie propre à l'Alliance, applicable à d'autres partenariats portant sur la création ou le développement des industries culturelles, est mise en place en vue d’être développée et élargie par la suite.

Parallèlement, l'Alliance globale lancera bientôt au sein de son site web

(www.unesco.org/culture/alliance) un véritable point de rencontre entre les besoins et les offres de soutien financier ou technique proposés par ses membres ; l'équipe de l'Alliance travaillant comme intermédiaire pour rapprocher les positions et faciliter la mise en place de nouveaux partenariats.

Le but poursuivi depuis l’origine reste le même : susciter de nouvelles opportunités,

combinant les forces et les atouts des secteurs concernés, en vue de favoriser l’expression pluraliste des idées ainsi que la variété et la répartition plus équitable des biens et des services culturels à l’échelle planétaire. Dans cette perspective, l’Alliance a créé un fonds spécial extrabudgétaire, mais elle encourage surtout, activement, la mise en place de nouvelles formes de multi-partenariats entre le secteur public, le secteur privé et la société civile, qui puissent fournir des réponses aux défis posés par la mondialisation à la création, la production et la diffusion de biens et services culturels.

Les industries culturelles jouent indéniablement un rôle déterminant dans la

transformation des marchés mondiaux et le développement des économies nationales mais aussi la préservation et le renforcement de la diversité créatrice. Or, la mondialisation et l’avancée des nouvelles technologies, particulièrement en ce qui concerne le commerce

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électronique, offrent aux sociétés actuelles des chances sans précédent de développer leurs industries culturelles grâce à un élargissement de leur public et à des systèmes de production et de distribution plus rapides et moins coûteux. Cependant, les évolutions marquantes de la convergence technologique, les déséquilibres dans la circulation des biens, services et capitaux et les méga-fusions commerciales, compromettent souvent les potentialités offertes, notamment dans les pays en développement et ceux en transition.

De même, la fracture numérique continue à préoccuper la communauté internationale

et se trouve au cœur de l’agenda du prochain Sommet mondial de la société de l’information (Genève, 2003). De surcroît, les nouvelles technologies rendent plus faciles et plus rapides les actes de piraterie qui engendrent des pertes considérables en termes de revenus, bénéfices et sources d’investissement pour ce facteur de développement durable que sont les industries culturelles. En définitive, la mondialisation ne bénéficie pas à tous comme elle le pourrait, les asymétries s’aggravent et appellent des actions positives.

La place centrale du droit d’auteur

C’est pour répondre à cette situation que l’Alliance globale s’articule autour de deux axes d’action stratégiques intimement liés : le développement des industries culturelles locales et la prévention de la piraterie.

La promotion de l’application des règles internationales du droit d’auteur et des droits

voisins constitue ainsi un domaine d’action prioritaire. Ceux-ci constituent le fondement juridique qui sous-tend le tissu des industries culturelles. Ils garantissent le fonctionnement normal des relations entre créateurs, industries et public, agissent en tant que stimulants à la créativité et réglementent les marchés de biens et services culturels.

D’autre part, la mise en œuvre de mesures effectives pour prévenir la piraterie et

parvenir à son élimination progressive apparaît aujourd’hui comme une condition essentielle au succès de tout effort de création ou de renforcement des industries culturelles qui se trouvent confrontées à l’impitoyable concurrence déloyale des œuvres piratées, vendues à très bas prix. Ce phénomène entraîne la généralisation dans nos sociétés d’une idée niant aux biens et services protégés par le droit d’auteur toute valeur marchande, notamment dans l’environnement numérique. Si certains voient encore dans la piraterie un moyen de rendre la culture plus accessible à tous, il est acquis que, à long terme, aucune action ne peut être plus nuisible au développement économique, culturel et social d’un pays ni ne peut entraver davantage le développement des industries culturelles locales. C’est pourquoi, l’Alliance globale a vocation à aider les gouvernements à revoir leur législation dans ce domaine et à mettre en place des mesures de mise en œuvre qui se révèlent indispensables. Pour plus d’information, nous vous invitons à nous contacter à l’adresse suivante : L’Alliance global pour la diversité culturelle UNESCO, Division des arts et de l’entreprise culturelle 1, rue Miollis, 75732 Paris Cedex 15, France Teléphone 33 (0)1 45 68 43 05 ; Télecopie 33 (0)1 45 68 55 95 e-mail : [email protected] http://www.unesco.org/culture/alliance

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Bulletin du droit d’auteur septembre 2003

BIBLIOGRAPHIE

STAMATOUDI, Irini A. Copyright and Multimedia Works, A Comparative Analysis. Cambridge University Press, 2002, 317 pp. La question de la protection juridique des œuvres multimédia ne s’est posée qu’après le succès foudroyant de ces œuvres et leur essor dans le commerce. Cette étude fait le point sur le thème très discuté de la qualification juridique des œuvres multimédia au travers d’une approche comparative du sujet. Après avoir délimité son analyse au domaine du droit d’auteur, Irini Stamatoudi étudie les différents types d’œuvres protégées afin de savoir quelle définition s’appliquerait avec le plus de pertinence aux créations multimédia : les œuvres littéraires, les compilations, les bases de données, les œuvres audiovisuelles et les logiciels.

Et l’auteur de conclure que ces références à des définitions déjà existantes ne permettent pas de donner une qualification juridique adéquate à des œuvres multimédia désormais très sophistiquées. L’auteur préconise donc une qualification qui mélangerait, sans les cumuler les solutions adoptées pour les œuvres audiovisuelles et pour les bases de données. L’étude du statut des œuvres multimédia dans une analyse comparative donne des solutions intéressant aussi bien les pays de droit civil que ceux de Common Law. ISBN 0 521 80919 7