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JEUDI14JUIN2012 P ECOREVUE 2012 2 TP1 02 GESTION Une thèse soutenue par un chef d’entreprise alsacien La faillite d’un entrepreneur est un échec collectif A u cours d’un débat des Apéros du Manage- ment qui a marqué les mémoires l’an dernier à Strasbourg (DNA du 18 octo- bre), Jean-Denis Budin avait dé- voilé quelques aspects du tra- vail de recherche qu’il était en train d’achever à l’université Dauphine… Le chef d’entrepri- se de Kaysersberg, aujourd’hui conseil auprès de dirigeants, vient de soutenir avec succès sa thèse à Paris, recueillant les fé- licitations du jury qui a salué l’originalité de son approche. Les histoires méconnues des chefs d’entreprise en difficulté L’auteur a intitulé sa recherche « Les histoires méconnues des chefs d’entreprise en difficul- té : à la recherche des facteurs clés de succès dans l’échec ». En représentant exemplaire de sa corporation, le thésard a non seulement essayé de compren- dre et de produire des connais- sances nouvelles mais il a vou- lu tout autant « être positif ». Autrement dit, donner à ses pairs des conseils et des pistes pour, sinon réussir, du moins se tromper un peu moins. Bref, tenter de prévenir, lorsque c’est possible, l’invraisemblable gâ- chis de ressources humaines et financières que représente ce qu’il est convenu d’appeler un dépôt de bilan. Pour y parvenir, Jean-Denis Bu- din a parcouru des milliers de kilomètres afin de recueillir les « récits de vie » de témoins se- lon une méthode bien établie, en laissant ses interlocuteurs fixer eux-mêmes le point de dé- part de leur histoire et son fil chronologique. Il a également, grâce au soutien de M e Claude-Maxime Weil, ad- ministrateur judiciaire de pre- mier plan à Schiltigheim, pu éplucher 140 dossiers de procé- dures réelles. Ni les témoins ni les dossiers ne sont, bien enten- du, identifiables. Mais l’auteur en a tiré une som- me de réflexions impressionnante. L’une des plus cho- quantes, morale- ment parlant, est la véritable mise en danger vital ou social des intéres- sés. Le système, encore aujourd’hui, est stigmatisant au point de détruire les individus con- sidérés comme res- ponsables. Autre découverte, le stress provoqué par ces affaires est tel que le dirigeant d’entreprise, épui- sé, assailli par le doute, dépossédé de ses moyens psy- chologiques et in- tellectuels, sa com- pétence mise en doute, en vient à prendre les pires options possibles. Pour lui-même, mais aussi pour les salariés concernés et les partenaires de l’entreprise, fournisseurs, fi- nanceurs, clients… Le regard du chef d’entreprise, dans ces situations qu’il n’imaginait pas, est ainsi altéré. Une dérive déjà dé- crite par la littéra- ture scientifique sous le nom de « rationalité limi- tée ». C’est si vrai que M e Claude-Maxime Weil, en écho au ti- tre de la thèse, n’hésite pas à évoquer « les salariés en diffi- culté ». À ses yeux, parler de l’échec du chef d’entreprise, c’est aussi souligner l’échec de l’entreprise en général. Et fina- lement, l’échec de toute une communauté. Qui n’a pas dé- tourné lâchement le regard face à un homme à terre ? C’est en ce sens que la décision par un tribunal de confier le pilotage à un administrateur ju- diciaire peut s’avérer la plus salutaire… À condition que le mandataire en question soit de qualité et doté d’un minium de sens psychologique. Et, sur ce sujet comme à l’endroit des tri- bunaux de commerce de vieille France qu’il voit surtout peuplé d’amateurs, Jean-Denis Budin, au-delà de sa soutenance, a des mots très durs. « Le combat, dit-il, pour avoir de bons admi- nistrateurs judiciaires va être mené. Il y a des choses écrites dans cette thèse qui ne vont pas leur plaire ». Le chef d’entreprise n’hésite pas à laisser libre cours à ses indignations – pour prendre un terme à la mode : « Le régime des auto-entrepreneurs est une ânerie phénoménale, on ne s’improvise pas chef d’entrepri- se et on va mettre des gens dans des trajectoires de souffrance ». Il n’est guère plus tendre pour le sort fait par la société à ceux qui assument leurs dettes, à travers un plan de continua- tion : « La législation française est honteuse… C’est un vérita- ble chemin de croix ! » Le laisser-aller, inspiré par un libéralisme mal compris, en matière d’obligation déclarati- ve et comptable en prend à son tour pour son grade : « Arrêtons de démonter les obligations comptables ! En faisant ainsi, on laisse les chefs d’entreprise s’enfoncer dans leurs difficul- tés, faute d’information fiable sur leur propre situation… » Autre trait décoché à l’ensei- gnement de gestion : « Il faut prendre la question de l’échec à bras-le-corps et revoir la forma- tion des étudiants. Nous devons réformer l’accompagnement, peuplé de gens qui n’ont aucu- ne formation psychologique ». La psychologie du dirigeant est évidemment un fil rouge essen- tiel de cette recherche, du fait même de la méthode par entre- tiens. Les profs qui ont corna- qué le thésard font mine de s’en inquiéter, demandant au cher- cheur d’aller plus loin, de dé- tecter des lignes, des tableaux, des régularités, des typolo- gies… « Les récits de vie sont une méthode éprouvée. Mais ne conduisent-ils pas à magnifier la dimension psychologi- que ? », s’interroge le profes- seur Géraldine Schmidt. Le chef d’entreprise est, quelque part, un joueur ; il pense toujours qu’il va se refaire Jean-Denis Budin a tendance à renvoyer au verbatim, dans le- quel il détecte la vérité du diri- geant. Deux exemples de ces témoi- gnages : « Quand vous êtes pa- tron du CAC [d’une entreprise cotée en bourse], vous plantez votre boîte, vous avez un para- chute doré. Quand vous êtes patron de PME, vous vous faites avoir par un client qui ne vous paie pas. Vous essayez de sau- ver votre toit, votre résidence principale. Je suis désolé, ce n’est pas normal, il y a quelque chose qui ne va pas ». Ou enco- re : « Pour moi, je pense que, franchement, cela a été la hon- te… Je crois la honte de me dire : mais je suis diplômé dune grande école, je sais gérer une entreprise. Je sais, je suis sain, mais je n’ai pas su gérer toute cette vague de pépins qui m’est arrivée ». L’apprenti chercheur souligne en outre que le déclenchement des difficultés n’est pas néces- sairement lié à un retourne- ment conjoncturel ou au défaut d’un client. Cela peut être un aléa de la vie privée, un simple divorce par exemple. La symé- trique existe tout autant, les déboires d’un dirigeant ayant souvent des conséquences sur son couple ou sa famille. À la recherche de l’introuvable point R, le moment où tout peut se retourner Les réflexions de M e Claude- Maxime Weil, d’un niveau de liberté inspiré par une profonde expérience, poussent le thésard dans d’autres directions, souli- gnant au passage certaines li- mites de la psychologie, juste- ment, du chef d’entreprise, tenté de ne croire qu’en lui-mê- me ou de se fier à une grisante baraka : « La gestion d’une en- treprise en développement, c’est beaucoup plus ludique que la direction d’une affaire en dé- clin ou en difficulté. Le chef d’entreprise est, quelque part, un joueur. Il pense toujours qu’il va se refaire tout seul. Et ça, c’est l’erreur fondamentale ! Il y a quelques années, l’échec économique était comparable à une maladie or- pheline… » C’est moins vrai en 2012, mais le célè- bre administrateur judiciaire est con- vaincu qu’aujour- d’hui encore le chef d’entreprise en difficulté de- meure très seul : « Les gens de son entourage le vivent très mal et lui-mê- me ne peut en par- ler à personne ». Le praticien, qui a suivi pas à pas la rédaction de la thè- se, prend Jean-De- nis Budin au mot, le met quelque peu au défi : « Si on connaissait le point R dont vous parlez… Si on le connaissait, ça se saurait ! » Le point R, de quoi s’agit-il ? Le thé- sard estime qu’il existe un moment particulier, propre à chaque trajectoi- re, où il apparaît encore possible de corriger le tir. Cor- rection qui peut être forcée, à tra- vers l’ouverture d’une procédure judiciaire. Un point qui peut aus- si être identifié par la prévention. C’est ce moment précis qu’il a bapti- sé « point R », le moment où il est encore possible de sauver la situation. Or il semble qu’il existe autant de « points R » que de situations… Cela dit, Jean-Denis Budin ne néglige pas la réflexion prati- que. De ses travaux, il tire vingt- trois points clés de succès. Le premier est le suivant : « Les échecs sont des étapes norma- les de la vie ». Apparemment, tous les dirigeants ne poursui- vent pas leur belle carrière avec ce petit conseil en poche. Il est en réalité, comme le signale Bu- din, inspiré par Marcel Proust dans sa Recherche du temps perdu : « Il est peu de réussites faciles, et d’échecs défini- tifs ». R ANTOINE LATHAM ILLUSTRATIONS YANNICK LEFRANÇOIS S’appuyant sur l’analyse de quatorze entretiens très approfondis avec des dirigeants ayant connu de l’échec économique, le chef d’entreprise Jean-Denis Budin a produit une thèse originale sur un sujet rarement traité à l’échelle des acteurs. UN CHEF D’ENTREPRISE ÉLEVÉ DOCTEUR À DAUPHINE Aujourd’hui installé à son compte, depuis 2009, comme fondateur et dirigeant de la société DATP Conseil (Dirigeant À Temps Partagé), Jean-Denis Budin a derrière lui une longue carrière qui l’a conduit, après son diplôme d’études comptables à Nanterre puis son MBA de l’ESSEC, depuis 1984, des moteurs Leroy Sommer, dont il a été responsa- ble commercial à Sidney, en Australie, jusqu’au Câbles de Lyon avant de rejoindre le groupe Alca- tel où il accède à des fonctions de directeur géné- ral. Par la suite il reprend l’activité de Vinosafe en tant que PDG puis directeur génral. Aventure qui le fera plonger dans les tourments des procédures commerciale. C’est au cours de cette phase de sa carrière qu’il va toucher du doigt la détresse des dirigeants con- frontés à des difficultés économiques, sociales, financières auxquelles ils n’ont pas été préparés. Sans parler des répercussions sur leur santé, leur entourage et la vie familiale. La découverte de ce monde aux règles étranges, voire sans règles du tout, lui donne envie de raconter tout cela, mais avec un but scientifique. D’où la rédaction de cette thèse, dans le cadre de l’Executive Doctorate of Business Administration de l’université Dauphine de Paris, sous la direction du professeur Géraldine Schmidt (Panthéon Sorbonne) et avec le soutien de Claude-Maxime Weil, administrateur judiciaire à Strasbourg. Pour le président du jury, le profes- seur Pierre Romelaer, qui a exprimé vendredi dernier les félicitations de l’université au docto- rant, Jean-Denis Budin «a apporté des connaissan- ces originales, contribué au progrès scientifique sur un sujet de très grande portée humaine et sociétale». A.L. Jean-Denis Budin. PHOTO DNA - AL 61 000 DÉFAILLANCES Selon Euler Hermes, la France a enregistré l’an dernier 61 138 défaillances, en légère baisse de 3,5 % par rapport à 2010. Ce nombre devrait cependant remonter à environ 63 400 cette année. La faiblesse des marchés et l’atonie de la demande en Europe maintiendront les sinis- tres économiques à un niveau très élevé. En Alsace, la même source a dénombré 1 661 ouver- tures de procédure, en baisse de 1 %. Là encore, on peut s’atten- dre à ce que 2012 marque une reprise à la hausse des défaillan- ces.

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JEUDI14JUIN2012P ECOREVUE 2012 2

TP1 02

GESTION Une thèse soutenue par un chef d’entreprise alsacien

La faillited’unentrepreneurestunécheccollectif

Au cours d’un débat desApéros du Manage-ment qui a marqué lesmémoires l’an dernier

à Strasbourg (DNA du 18 octo-bre), Jean-Denis Budin avait dé-voilé quelques aspects du tra-vail de recherche qu’il était entrain d’achever à l’universitéDauphine… Le chef d’entrepri-se de Kaysersberg, aujourd’huiconseil auprès de dirigeants,vient de soutenir avec succès sathèse à Paris, recueillant les fé-licitations du jury qui a saluél’originalité de son approche.

Les histoiresméconnuesdes chefsd’entreprise endifficulté

L’auteur a intitulé sa recherche« Les histoires méconnues deschefs d’entreprise en difficul-té : à la recherche des facteursclés de succès dans l’échec ».En représentant exemplaire desa corporation, le thésard a nonseulement essayé de compren-dre et de produire des connais-sances nouvelles mais il a vou-lu tout autant « être positif ».Autrement dit, donner à sespairs des conseils et des pistespour, sinon réussir, du moins setromper un peu moins. Bref,tenter de prévenir, lorsque c’estpossible, l’invraisemblable gâ-chis de ressources humaines etfinancières que représente cequ’il est convenu d’appeler undépôt de bilan.Pour y parvenir, Jean-Denis Bu-din a parcouru des milliers dekilomètres afin de recueillir les« récits de vie » de témoins se-lon une méthode bien établie,en laissant ses interlocuteursfixer eux-mêmes le point de dé-part de leur histoire et son filchronologique.Il a également, grâce au soutiende Me Claude-Maxime Weil, ad-ministrateur judiciaire de pre-mier plan à Schiltigheim, puéplucher 140 dossiers de procé-dures réelles. Ni les témoins niles dossiers ne sont, bien enten-du, identifiables. Mais l’auteur

en a tiré une som-me de réflexionsimpressionnante.L’une des plus cho-quantes, morale-ment parlant, estla véritable miseen danger vital ousocial des intéres-sés.Le système, encoreaujourd’hui, eststigmatisant aupoint de détruireles individus con-sidérés comme res-ponsables. Autred é c o uv e r t e , l estress provoquépar ces affaires esttel que le dirigeantd’entreprise, épui-sé, assailli par ledoute, dépossédéde ses moyens psy-chologiques et in-tellectuels, sa com-pétence mise endoute, en vient àprendre les piresoptions possibles.Pour lui-même,mais aussi pour lessalariés concernéset les partenairesde l’entreprise,fournisseurs, fi-n a n c e u r s ,clients…Le regard du chefd’entreprise, dansces situations qu’iln’imaginait pas,est ainsi altéré.Une dérive déjà dé-crite par la littéra-ture scientifiquesous le nom de« rationalité limi-tée ».C’est si vrai que Me

Claude -MaximeWeil, en écho au ti-tre de la thèse, n’hésite pas àévoquer « les salariés en diffi-culté ». À ses yeux, parler del’échec du chef d’entreprise,c’est aussi souligner l’échec del’entreprise en général. Et fina-lement, l’échec de toute unecommunauté. Qui n’a pas dé-tourné lâchement le regard faceà un homme à terre ?C’est en ce sens que la décisionpar un tribunal de confier lepilotage à un administrateur ju-

diciaire peut s’avérer la plussalutaire… À condition que lemandataire en question soit dequalité et doté d’un minium desens psychologique. Et, sur cesujet comme à l’endroit des tri-bunaux de commerce de vieilleFrance qu’il voit surtout peupléd’amateurs, Jean-Denis Budin,au-delà de sa soutenance, a desmots très durs. « Le combat,dit-il, pour avoir de bons admi-nistrateurs judiciaires va être

mené. Il y a des choses écritesdans cette thèse qui ne vont pasleur plaire ».Le chef d’entreprise n’hésitepas à laisser libre cours à sesindignations – pour prendre unterme à la mode : « Le régimedes auto-entrepreneurs est uneânerie phénoménale, on nes’improvise pas chef d’entrepri-se et on va mettre des gens dansdes trajectoires de souffrance ».Il n’est guère plus tendre pourle sort fait par la société à ceuxqui assument leurs dettes, àtravers un plan de continua-tion : « La législation françaiseest honteuse… C’est un vérita-ble chemin de croix ! »Le laisser-aller, inspiré par unlibéralisme mal compris, enmatière d’obligation déclarati-ve et comptable en prend à sontour pour son grade : « Arrêtonsde démonter les obligationscomptables ! En faisant ainsi,on laisse les chefs d’entreprises’enfoncer dans leurs difficul-tés, faute d’information fiablesur leur propre situation… »Autre trait décoché à l’ensei-gnement de gestion : « Il fautprendre la question de l’échec àbras-le-corps et revoir la forma-tion des étudiants. Nous devonsréformer l’accompagnement,peuplé de gens qui n’ont aucu-ne formation psychologique ».La psychologie du dirigeant estévidemment un fil rouge essen-tiel de cette recherche, du faitmême de la méthode par entre-tiens. Les profs qui ont corna-qué le thésard font mine de s’eninquiéter, demandant au cher-cheur d’aller plus loin, de dé-tecter des lignes, des tableaux,des régularités, des typolo-gies… « Les récits de vie sontune méthode éprouvée. Mais neconduisent-ils pas à magnifierla dimension psychologi-que ? », s’interroge le profes-seur Géraldine Schmidt.

Le chef d’entrepriseest, quelque part, unjoueur ;il pense toujoursqu’il va se refaire

Jean-Denis Budin a tendance àrenvoyer au verbatim, dans le-quel il détecte la vérité du diri-geant.Deux exemples de ces témoi-gnages : « Quand vous êtes pa-tron du CAC [d’une entreprisecotée en bourse], vous plantezvotre boîte, vous avez un para-chute doré. Quand vous êtespatron de PME, vous vous faitesavoir par un client qui ne vouspaie pas. Vous essayez de sau-ver votre toit, votre résidenceprincipale. Je suis désolé, cen’est pas normal, il y a quelquechose qui ne va pas ». Ou enco-re : « Pour moi, je pense que,franchement, cela a été la hon-te… Je crois la honte de medire : mais je suis diplômé dunegrande école, je sais gérer uneentreprise. Je sais, je suis sain,mais je n’ai pas su gérer toutecette vague de pépins qui m’estarrivée ».L’apprenti chercheur souligneen outre que le déclenchementdes difficultés n’est pas néces-sairement lié à un retourne-

ment conjoncturel ou au défautd’un client. Cela peut être unaléa de la vie privée, un simpledivorce par exemple. La symé-trique existe tout autant, lesdéboires d’un dirigeant ayantsouvent des conséquences surson couple ou sa famille.

À la recherche del’introuvablepoint R, le momentoù tout peut seretourner

Les réflexions de Me Claude-Maxime Weil, d’un niveau deliberté inspiré par une profondeexpérience, poussent le thésarddans d’autres directions, souli-gnant au passage certaines li-mites de la psychologie, juste-ment, du chef d’entreprise,tenté de ne croire qu’en lui-mê-me ou de se fier à une grisantebaraka : « La gestion d’une en-treprise en développement,c’est beaucoup plus ludique quela direction d’une affaire en dé-clin ou en difficulté. Le chefd’entreprise est, quelque part,un joueur. Il pense toujoursqu’il va se refaire tout seul. Etça, c’est l’erreur fondamentale !Il y a quelques années, l’échecéconomique était comparable àune maladie or-pheline… »C’est moins vrai en2012, mais le célè-bre administrateurjudiciaire est con-vaincu qu’aujour-d’hui encore lechef d’entrepriseen difficulté de-meure très seul :« Les gens de sonentourage le viventtrès mal et lui-mê-me ne peut en par-ler à personne ».Le praticien, qui asuivi pas à pas larédaction de la thè-se, prend Jean-De-nis Budin au mot,le met quelque peuau défi : « Si onc o n n a i s s a i t l epoint R dont vousparlez… Si on leconnaissait, ça sesaurait ! »Le point R, de quois’agit-il ? Le thé-sard estime qu’ilexiste un momentparticulier, propreà chaque trajectoi-re, où il apparaîtencore possible decorriger le tir. Cor-rection qui peutêtre forcée, à tra-vers l’ouvertured’une procédurej u d i c i a i r e . U npoint qui peut aus-si être identifié parl a p r é v e n t i o n .C’est ce momentprécis qu’il a bapti-sé « point R », lemoment où il estencore possible desauver la situation.Or il semble qu’ilexiste autant de« points R » que desituations…

Cela dit, Jean-Denis Budin nenéglige pas la réflexion prati-que. De ses travaux, il tire vingt-trois points clés de succès.Le premier est le suivant : « Leséchecs sont des étapes norma-les de la vie ». Apparemment,tous les dirigeants ne poursui-vent pas leur belle carrière avecce petit conseil en poche. Il esten réalité, comme le signale Bu-din, inspiré par Marcel Proustdans sa Recherche du tempsperdu : « Il est peu de réussitesfaciles, et d’échecs défini-tifs ». R

ANTOINE LATHAM

ILLUSTRATIONS YANNICK LEFRANÇOIS

S’appuyant sur l’analysedequatorzeentretiens trèsapprofondisavecdesdirigeantsayant connude l’échecéconomique, lechefd’entreprise Jean-DenisBudinaproduitune thèseoriginale surunsujet rarement traitéà l’échelledesacteurs.

UN CHEF D’ENTREPRISE ÉLEVÉ DOCTEUR À DAUPHINE

Aujourd’hui installé à son compte, depuis 2009,comme fondateur et dirigeant de la société DATPConseil (Dirigeant À Temps Partagé), Jean-DenisBudin a derrière lui une longue carrière qui l’aconduit, après son diplôme d’études comptables àNanterre puis sonMBA de l’ESSEC, depuis 1984,desmoteurs Leroy Sommer, dont il a été responsa-ble commercial à Sidney, en Australie, jusqu’auCâbles de Lyon avant de rejoindre le groupe Alca-tel où il accède à des fonctions de directeur géné-ral. Par la suite il reprend l’activité de Vinosafe entant que PDG puis directeur génral. Aventure qui lefera plonger dans les tourments des procédurescommerciale.C’est au cours de cette phase de sa carrière qu’il vatoucher du doigt la détresse des dirigeants con-frontés à des difficultés économiques, sociales,financières auxquelles ils n’ont pas été préparés.Sans parler des répercussions sur leur santé, leurentourage et la vie familiale. La découverte de cemonde aux règles étranges, voire sans règles dutout, lui donne envie de raconter tout cela, maisavec un but scientifique. D’où la rédaction de cettethèse, dans le cadre de l’Executive Doctorate ofBusiness Administration de l’université Dauphine

de Paris, sous la direction du professeur GéraldineSchmidt (Panthéon Sorbonne) et avec le soutiende Claude-MaximeWeil, administrateur judiciaireà Strasbourg. Pour le président du jury, le profes-seur Pierre Romelaer, qui a exprimé vendredidernier les félicitations de l’université au docto-rant, Jean-Denis Budin «a apporté des connaissan-ces originales, contribué au progrès scientifiquesur un sujet de très grande portée humaine etsociétale».

A.L.

Jean-Denis Budin. PHOTO DNA - AL

61000DÉFAILLANCES

Selon Euler Hermes, la France aenregistré l’an dernier 61138défaillances, en légère baisse de3,5% par rapport à 2010. Cenombre devrait cependantremonter à environ 63400 cetteannée. La faiblesse desmarchéset l’atonie de la demande enEuropemaintiendront les sinis-tres économiques à un niveautrès élevé. En Alsace, lamêmesource a dénombré 1661 ouver-tures de procédure, en baisse de1%. Là encore, on peut s’atten-dre à ce que 2012marque unereprise à la hausse des défaillan-ces.