djamel djebbari et valérie pieprzownik

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1 Entretien avec Djamel Djebbari et Valérie Pieprzownik Respectivement Chef du Bureau des viandes et des productions animales spécialisées, et Chef du Bureau de la gestion des signes de qualité et de l’agriculture biologique, au sein de la DGPAAT, Ministère de l’Agriculture. Entretien mené par Camille Bordet-Sturla et Magali Guaino Le 29 avril 2014 à Paris.

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Entretien avec Djamel

Djebbari et Valérie Pieprzownik

Respectivement Chef du Bureau des viandes et des

productions animales spécialisées, et Chef du Bureau de la gestion des signes de qualité et de l’agriculture

biologique, au sein de la DGPAAT, Ministère de l’Agriculture.

Entretien mené par Camille Bordet-Sturla et Magali Guaino

Le 29 avril 2014 à Paris.

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Sur les missions effectuées au sein de la DGPAAT

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre rôle au sein du ministère ? Djamel Djebbari : Au sein du Ministère de l’Agriculture, vous êtes ici au sein de la Direction de la Politique Agricole, Agroalimentaire et des Territoires, qui exerce entre autres les compétences du ministère relatives à l'orientation des productions agricoles, à la gestion des marchés et des industries agroalimentaires. Elle est chargée, avec ses principaux partenaires, de la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune, qu’il s’agisse des mesures du premier ou deuxième

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pilier de la PAC. Outre les aspects économiques des productions agricoles, nous coordonnons également l’action des directions et services du ministère en matière de relations communautaires et sur le volet international. Pour ma part, je suis Chef du Bureau des Viandes et productions animales spécialisées, en charge du suivi des productions bovine, ovine, porc, volailles, cheval, lapin, foie gras ou les escargots, et le miel. Par rapport à votre problématique élevage, La production laitière est suivie par un autre Bureau ainsi que les signes de qualité. Valérie Pierprzownik : Je suis chef du Bureau des signes de qualité et de l’agriculture biologique, qui a en charge les politiques inhérentes aux signes officiels de qualité

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(AOP, IGP, STG , Label rouge ; agriculture biologique ), aux mentions valorisantes ( montagne, fermier , produit pays ) et à la CCP ( Certification Conformité Produit). Votre métier exactement consiste en quoi ? D.D. : A notre niveau, nous représentons le ministère en charge de l’agriculture auprès des organisations professionnelles et interprofessionnelles du secteur des productions animales viandes. Nous participons à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques nationales et communautaires de gestion des marchés et d’orientation du secteur des viandes, du point de vue économique principalement. Vous avez

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l’organisation commune des marchés agricoles qui régit les interventions publiques sur les marchés, les régimes de quotas et d’aides, les normes de commercialisation et de production ainsi que les échanges avec les pays tiers. Pour ma part, pour le secteur viande, j’assure l’interface entre les professionnels et le niveau politique. Et donc concrètement, quel est votre objectif ? C’est d’optimiser l’économie du secteur viande? Quand vous dites que vous faites l’interface, cela consiste en quoi exactement ? D.D. : Notre rôle, qui a évolué au fil de l’évolution de la PAC, c’est de faire en sorte

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que tous les outils d’intervention de la PAC (intervention publique, stockage privé et public, restitution à l’exportation...), puissent être mobilisés en fonction de l’évolution des marchés et ce, dans un contexte de marchés ouverts. Notre rôle en particulier, c’est d’accompagner l’amont et l’aval dans cette évolution. En effet, nous sommes passés d’une période durant laquelle il y avait beaucoup d’interventions publiques et donc des crédits, dès lors qu’il y avait une crise de marché. Désormais, pour accompagner les éleveurs notamment, sur un marché complètement libéralisé, il faut faire preuve de pédagogie autour de cette évolution des marchés, en particulier sur l’ouverture à l’export…

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V.P. : Nous avons aussi un rôle de proposition, un rôle de négociation, dans le sens où la sous-direction de Djamel ou mon Bureau participent aux réunions des instances communautaires de prise de décision sur les modifications de réglementations. Là, par exemple, on va commencer la refonte de la réglementation du bio. C’est nous qui participons aux réunions à Bruxelles et qui menons les négociations techniques avec l’arbitrage du cabinet du ministre (les négociations politiques étant bien entendu menées par le cabinet). On est aussi force de proposition nationale, avec à titre d’exemple en ce moment la loi d’avenir. Donc vous êtes principalement exécutants de ce que décide le Ministère, mais en même

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temps vous avez une force de proposition au niveau des lois ? V.P. : nous sommes force de proposition, de concertation (avec les professionnels notamment) et de mise en œuvre. La force de décision étant, quant à elle, politique. D.D. : Effectivement, nous avons ce rôle de relais entre les professionnels et les membres du cabinet. A cela s’ajoute le volet de la gestion de crise. Dès lors qu’il y a une crise dans une filière, il faut pouvoir le cas échéant proposer des systèmes d’aides nationaux ou communautaires, définir des orientations nouvelles ou des plans d’action, réunir les professionnels, et conseiller les membres du cabinet pour sortir de la crise par exemple.

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Vous gérez toutes les crises, y compris sanitaires? D.D. : Non, les crises sanitaires sont gérées par la DGAL. Néanmoins, sachant que dès lors que vous avez une crise sanitaire, vous avez généralement une crise économique dans le secteur, la DGPAAT est donc également concernée. Si l’on prend l’exemple de la crise Findus, quel rôle y avez-vous joué ? Comment cela a impacté votre travail ? D.D. : Sur l’affaire dite du « horsegate », de la viande de cheval, en première ligne vous aviez

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la DGAL et la DGCCRF. Au départ, le volet économique n’est pas directement impacté, c’est vraiment l’aspect contrôle régalien qui est mis en avant. Les pouvoirs publics mettent en place des contrôles, car la première chose à faire c’est de restaurer la confiance du consommateur : en l’espèce la fraude était localisée via la traçabilité des produits, et il n’y avait pas d’impact sanitaire pour le consommateur. Par la suite, au niveau économique, cela a une répercussion sur la consommation de viande. Dans ce cadre, les produits préparés surgelés ont effectivement pâti de cette crise de confiance, mais de manière différée. Nous n’avons pas observé de crise au niveau de l’amont, c’est à dire des éleveurs. En effet, il n’y a pas eu, du jour au

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lendemain, une chute de la consommation de viande bovine en particulier, ce que l’on aurait pu craindre si le consommateur avait remis en cause la traçabilité et la sécurité sanitaire du marché de la viande fraîche. V.P. : J’étais au Bureau des Viandes, eu moment de la crise sanitaire de l’ESB de 2000. Là, notre rôle, c’est d’aller négocier dans les instances techniques (Bruxelles, comités de gestion) et de préparer les demandes qui seront discutées au niveau politique au Conseil. Les mesures utilisées étaient notamment le stockage public. Un autre type de crise, économique, celle là, peut avoir lieu parce qu’il y a trop peu de demande et donc de matière première sur le marché. Il faut la

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retirer pour que les prix se rétablissent, puis on la déstocke quand le marché va mieux. Et ça, au niveau des éleveurs lambdas, ça se répercute comment ? V.P. : comme il y a moins de demande, les prix d’achat par l’entreprise baissent, et par voie de conséquence, l’éleveur pour avoir le même revenu alors qu’il produit plus, du coup c’est encore pire. Mais comment s’en sort-on ? D.D. : L’Etat intervient sur les marchés, enfin l’Europe, puisque la matière est communautaire. L’objectif est d’arriver à

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réguler la production pour qu’offre et demande soient à peu près à l’équilibre pour retrouver des niveaux de prix satisfaisant pour les producteurs. C’est toute la difficulté du recours aux mesures d’intervention sur les marchés. V.P. : Tout en n’étant pas trop élevé pour le consommateur ! D.D. : En matière de prix pour les viandes, c’est un peu plus compliqué. Historiquement, les éleveurs ont bénéficié d’importantes aides directes couplées, telles que la prime à la vache allaitante, la prime à l’abattage, la prime au bovin mâle… Aujourd’hui encore, vous avez à peu près 700 millions d’euros de soutiens couplés qui vont directement au secteur de la viande bovine par exemple. Le prix que l’on

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paye en tant que consommateur n’est donc pas directement lié au prix à la production mais à un ensemble de facteurs intermédiaires dont l’impact des soutiens aux éleveurs, en particulier dans le secteur de la viande bovine. Est-ce que les subventions données aux éleveurs fluctuent en fonction des prix du marché ? Est-ce que vous faites en sorte que l’éleveur obtienne toujours le même salaire ? D.D. : La PAC, comme vous le savez, a évolué. Nous sommes passés d’un système de soutien par les prix à un système de soutien au revenu puis au découplage des aides, qui, pour faire simple, est basé sur les références historique

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d’un éleveur qui avait des hectares de terre et des animaux pour déterminer des droits à paiement unique. C’est lié à l’OMC, on ne veut plus de soutien direct à la production ou au prix pour éviter les distorsions sur l’équilibre entre l’offre et la demande. Avec les soutiens directs découplés, l’éleveur perçoit toujours la même aide et détermine sa production uniquement en fonction des facteurs de compétitivité et des signaux du marché. Ce qui est différent sur les filières viande, c’est que la France et d’autres États membres comme l’Irlande particulièrement concernés par leurs filières d’élevage ont souhaité, contre l’avis de la Commission, conserver une part significative d’aides couplées. C’est ce que l’on a maintenu pour la production de vache à viande, avec le

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maintien d’une aide à la vache allaitante de manière à maintenir ce lien important à la production. Quel était l’intérêt premier de découpler les aides ? D.D. : Pour la Commission, il y a l’intérêt politique et l’obligation dans la négociation OMC, de mettre en avant qu’on ne fait pas de soutien à la production : il n’y a donc pas d’effet distorsif vis-à-vis notamment des autres pays émergents. Il y a aussi une emprunte libérale dans la construction communautaire, le soutien de la PAC n’est pas partagé par tous les États membres, certains considèrent que c’est un marché libre et

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concurrentiel, et qu’on ne peut pas créer des effets distorsifs entre les différents États exportateurs. Néanmoins, la PAC est préservée ainsi que son budget. Bien que les aides directes découplées constituent le sens de l’Histoire, la France a fait le choix de plus de soutien à la production et de préserver le revenu des éleveurs qui par exemple rendent des services territoriaux. Avec ces aides, quelque part, on maintient une activité et de l’emploi sur l’ensemble du territoire national. Pour revenir aux crises dont vous parliez, en ce moment on parle beaucoup de la crise de la filière porcine due à l’augmentation des prix des matières premières, est-ce que vous êtes concernés par cela ?

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D.D. : Oui, directement. La précédente, c’était fin 2007-2008, puis cela s’est répété à la fin de l’année dernière : nous avons eu une hausse massive du coût des matières premières agricoles qui s’est répercutées sur les prix de l’alimentation animale. De facto, cela s’est répercuté sur les coûts de production de nos éleveurs. La difficulté que rencontre nos éleveurs, c’est que depuis la crise économique de 2010, nous sommes dans une problématique de pouvoir d’achat du consommateur. D’une certaine manière, la grande distribution dit qu’elle ne peut plus répercuter l’augmentation des coûts de production sur les prix de ses produits parce qu’elle considère que le consommateur va

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arrêter d’acheter de la viande. Il est vrai que l’on observe un problème d’élasticité prix de la demande sur la viande bovine en particulier : dès lors que vous augmentez le prix, le consommateur achète moins de viande et achètent des produits de substitution. Il aura ainsi tendance à aller sur de la viande de porc, moins chère, ou de la volaille, voir des oeufs qui sont une source de protéines animales moins chère. La difficulté, c’est que l’on est face à un éleveur qui voit ses coûts de production augmenter, du fait de l’augmentation du prix des céréales et donc de l’alimentation des animaux. L’abatteur, lui se situe entre les deux, d’un côté il doit payer l’animal à abattre, au juste prix à son éleveur, et d’un autre côté, le distributeur ne veut pas

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ou ne pas payer plus cher parce qu’il ne veut pas ne peut pas vendre la viande plus cher au consommateur. Vous avez donc des éleveurs qui produisent à perte et interpellent les pouvoirs publics pour signifier qu’ils ne peuvent plus continuer à produire et perdre de l’argent ainsi. Effectivement, quand vous relevez le niveau de revenu des éleveurs, parmi les plus bas, sans les aides PAC, cela devient difficile voire impossible. Les changements de ministres sont-ils gênants pour la continuité de votre travail ? D.D. : En principe, seul le cabinet du Ministre est politisé. Pour notre part, nous faisons partie de la fonction publique d’Etat, que nous

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soyons de gauche, de droite, ou sans opinion politique, peu importe. Un fonctionnaire est neutre politiquement par définition, et applique la politique du Ministre nommé. Les changements de ministres peuvent changer le sens de la politique que l’on doit mettre en œuvre, mais cela ne change en rien la manière avec laquelle je dois appliquer la politique du Ministre.

A propos des les labels et signes de qualité A propos des labels... V.P. : plutôt que de labels, on parle de signes officiels de la qualité et de l’origine.

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Par rapport au Label Rouge, on se demandait, après avoir rencontré un éleveur de porcs label rouge et un éleveur de volailles, Loué, pourquoi il y avait une différence si grande entre les deux types d’élevage en termes de cahier des charges. Comment l’expliquer ? V.P. : Chaque filière par définition est différente et ne part donc pas du même point. De manière générale, chaque filière en label rouge établit une notice technique, qui est je dirais le socle des cahiers des charges. Ce corpus est validé par les pouvoirs publics. Ces notices techniques sont proposées par les professionnels et sont discutées et validées au sein de l’INAO (composée de membres

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représentants de l’Etat, aux trois quarts de professionnels de la production et transformation, organismes certificateur et consommateurs, personnels administratifs de l’INAO). Le principe du Label Rouge, c’est qu’il est garant d’une qualité supérieure, c’est à dire qu’il doit être jugé supérieur en dégustation par un jury professionnel à un produit lambda de comparaison. Qu’est-ce que vous appelez “qualité”? V.P. : elle est multiple ! Sensorielle, gustative, olfactive etc. Les porteurs d’un cahier des charges label rouge déterminent les caractéristiques spécifiques de leur produit et ce sur quoi ce produit va être supérieur. Un

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porteur, c’est un collectif, constitué en ODG, organisme de défense et de gestion, composé généralement d’un ensemble de producteurs, transformateurs, abatteurs, affineurs etc. qui vont élaborer, sur la base de cette notice technique et en l’enrichissant de leurs caractéristiques spécifiques à eux, un cahier des charges. Le cahier des charges doit être validé au sein des instances de l’INAO. L’avantage, comme c’est paritaire, c’est qu’il y a la meilleure représentativité possible des professionnels dans ces instances. Ça permet d’établir une certaine harmonisation en termes d’instruction et d’exigences Hors la question des label rouge et leur qualité supérieure, il y a également d’autres attentes en termes de qualité, cela peut être par

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exemple pour les appellations d’origine que le produit a une qualité donnée par ce qu’il vient d’une zone précise qui lui confère ses caractéristiques (savoir faire, composition floristique des prairies etc.). Est-ce qu’il y a une exigence d’homogénéité dans le temps? Par exemple, est-ce que tel morceau de viande labellisé Label Rouge aura exactement la même apparence et le même goût sur plusieurs années ? Je vous explique pourquoi je vous pose cette question. J’ai rencontré un vétérinaire nutritionniste il y a deux jours, qui m’expliquait que lui, son boulot principal, c’était de faire en sorte que la viande vendue en boucherie, donc plutôt

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supérieure, soit homogène dans le temps, que ce soit toujours la même viande. Il m’expliquait que le consommateur, quand il va dans une grande surface, il s’en fiche d’acheter des morceaux de viande lambda. A partir du moment où il met un certain prix dans la viande… Enfin, ce que je veux dire, c’est qu’il est moins regardant sur la qualité quand il achète à un prix bas. V.P. : Mais qu’est-ce que vous appelez qualité ? Si vous entendez que la qualité, c’est l’homogénéité, c’est un peu antagoniste avec le concept de signe de qualité. Pourquoi ? Parce que ce qu’on attend, surtout, c’est que le produit ne soit pas standard. Que le fromage n’ait pas le même goût toute l’année parce que

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c’est pas possible sauf à vouloir un produit standardisé. C’était ma question. Donc vous ne cherchez pas du tout une homogénéité dans le temps ? V.P. : Non ! Et en plus, les cahiers des charges ne sont pas figés, ils évoluent. Le consommateur change, il rajeunit ou au contraire il vieillit, il n’a plus les mêmes attentes, les mêmes goûts non plus. Les technologies ou réglementations évoluent aussi ce qui fait que les cahiers des charges peuvent changer également. Les professionnels des SIQO ne recherchent pas une standardisation du goût, au contraire.

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D.D. : Il faut savoir également que le goût de la viande est très lié aux conditions d’abattage, au stress de l’animal, au processus ressuyage et à la durée de maturation de la viande. La maturation de la viande c’est ce qui va permettre d’améliorer la saveur et la tendreté. Les choix et les pratiques de l’éleveur sont donc essentiels mais il ne faut oublier les modalités d’abattage de l’animal. V.P. : Et puis le goût, c’est très subjectif aussi. En viande notamment c’est très difficile de caractériser le goût. Par exemple, pour le comté, chaque fruitière a son lait, ses pâturages, son savoir-faire, et c’est ce que le consommateur recherche et c’est d’ailleurs ce pourquoi il est prêt à payer.

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Dans le Label Rouge chez Loué, toute une caractéristique est liée au Bien-être animal. Comment vous expliquez que ce ne soit pas le cas aussi pour les élevages Label Rouge porcins ? Dans la mesure où les conditions d’élevage peuvent aussi contribuer à la qualité supérieure de la viande. V.P. : Alors, c’est forcément supérieur aux règles générales, les règles générales elles ont quand même été établies, je pense, je ne suis pas une spécialiste, a minima pour que ce soit le reflet d’un bien-être. Et puis, on ne parle pas de la même filière. D.D. : Sur la filière volaille, vous citez le Label Rouge Loué, il y a derrière cela un historique de 50 ans. S’agissant de la filière porcine qui

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comme vous le savez, est concentrée dans le Grand Ouest, Bretagne et Pays de la Loire, vous êtes sur un produit standard. En effet, près 70% de la production porcine commercialisée est destinée aux produits de charcuterie. Sur la volaille de qualité, il y a un véritable historique derrière. Sur le porc, nous avons sans doute atteint les limites du cycle dynamique de la production standard, et il convient désormais de valoriser l’ensemble des signes de qualité sur la charcuterie. Finalement, les éleveurs français ont réussi à mettre en œuvre les normes bien-être même si cela a mis un certain temps. Les contraintes communautaires nous ont aidé à mettre en place ces normes bien-être et les pouvoirs publics on a mis en œuvre des aides, plus de

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50 millions pour la filière porcine entre 2008 et 2013. Le symbole, c’est la mise en groupe des truies gestantes face à l’image de ces truies qui étaient bloquées par des bardages. Ces évolutions sont liées à la montée en puissance des attentes en matière de bien-être animal. Sur la volaille, il a eu la même chose sur les œufs en cage. Il a donc fallu agrandir les espaces. Tout cela est très récent au final. Du coup vous, vous intervenez directement sur ces problèmes-ci, liés au bien-être animal ? D.D. : Oui, nous avons mis en place tout un dispositif d’aides : depuis 2008 pour le porc, en

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2011 pour les poules pondeuses, et jusqu’à fin 2013 pour les canards gras destiné à la production de foie gras, pour répondre aux échéances communautaires obligatoires pour nos éleveurs. Un éleveur qui ne respecte pas ces normes de bien-être est en infraction et n’a plus le droit de produire. En cas de non respect des obligations, l’Etat membre peut être poursuivi par la Commission européenne. Vous semblez vous occuper des préoccupations qui émergent dans l’opinion. Par exemple, vous parlez du foie gras, c’est vrai que c’est assez actuel, les médias en ont beaucoup parlé cette année. Chaque fois que vous traitez un problème, c’est parce

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qu’il y a quelque chose qui éclate dans la sphère publique ? D.D. : Au niveau du Ministère, comme le disait Valérie, nous participons aux différentes instances communautaires. Nous sommes donc en amont de tout le débat sur les attentes sociétales. La difficulté de notre rôle, c’est la perception des attentes dans la société, que l’on essaye de mettre en débat avec les professionnels. Eux-mêmes perçoivent les évolutions de la société, ils se rendent compte que les attentes sociétales sont fortes sur les aspects de bien-être, et ils évoluent avec la société. Après, l’évolution se fait plus ou moins vite selon les secteurs. Et c’est là où les pouvoirs publics ont un rôle d’orientation. Cela

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peut passer par l’incitation par les aides, car cela fait venir les banques et permet ainsi d’accélérer la mise aux normes des élevages. Cela passe également par les orientations que donne le Ministre à travers des plans d’action où il incite les éleveurs par exemple à développer la valeur ajoutée par les signes de qualité et donc le revenu des éleveurs pour leur permettre d’investir et d’essayer d’éviter les crises. Pour revenir aux labels et signes de qualité, comment cela s’organise entre les labels nationaux et les labels européens ? Je pense notamment au label Agriculture biologique. Est-ce que le cahier des charges est le même ?

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V.P. : Il y a une réglementation communautaire pour la plupart des productions et filières. Pour un certain nombre de productions, il n’y a pas de réglementation communautaire et donc il existe un cahier des charges national, comme par exemple l’escargot ou le lapin, mais il n’y a pas un cahier des charges national et un cahier des charges communautaire pour un même produit. Pour ce qui est du logo, Il y a obligation d’apposer le logo communautaire pour les produits relevant de la réglementation communautaire et possibilité d’apposer le logo français. Pour les produits n’entrant pas dans le champ de la réglementation UE, il y a apposition du logo français. Il peu également y

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avoir apposition en complément d’une marque privée de certification. Est-ce qu’on tend à aller vers une “labellisation” de plus en plus communautaire, ou ce n‘est pas du tout l’objectif ? V.P. : la réglementation communautaire va s’élargir à certaines productions comme la cire d’abeille, la bière, les huiles essentielles etc. Il y avait eu des discussions sur le fait d’intégrer la cosmétique mais la décision communautaire a été de ne pas le faire car il y a d’autres priorités. Donc voilà. On va embarquer plus de produits, mais la palette communautaire est

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déjà extrêmement large, à part quelques productions très spécifiques. La personne que j’ai rencontrée il y a deux jours travaille en Belgique. Il m’a expliqué qu’en Belgique, les labels, ça ne marche absolument pas au niveau du consommateur. Comment vous expliquez qu’il y ait certains pays dans lesquels cela fonctionne beaucoup, et d’autres non ? V.P. : On dit souvent, en caricaturant, mais ce n’est pas faux, que les consommateurs sont plus sensibles aux SIQO dans les pays qui ont une forte et ancienne tradition culinaire et gastronomique, comme dans les pays dits du “Club Med” (Espagne, France, Portugal, Grèce

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etc.). Cela relève de l’histoire et des traditions certes mais aussi de choix politiques en termes d’aménagement du territoire. L’Etat a eu une politique forte en la matière qui a fortement contribué à maintenir des productions sur tout le territoire, même au sein des territoires les plus rudes. Si elles avaient été confrontées sans labellisation et sans d’autres choses à des produits standardisés, ça n’aurait pas fonctionné. D.D. : Et puis vous êtes sur des pays qui sont surtout sur des logiques libérales, pour lesquels les signes de qualité sont perçus comme des formes d’entraves permettant de relocaliser une production. Ils sont toujours réticents, dès lors que vous introduisez des

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outils qui permettent de différencier des produits au sein du marché communautaire. Est-ce que vous travaillez sur le label Viande de France ? V.P. : Non, moi je ne travaille que sur des signes de qualité “officiels” au sens du Code Rural, Viande de France c’est une démarche professionnelle. D.D. : Viande de France, c’est une démarche privée. Il faut savoir qu’au niveau communautaire, pour des raisons de libre circulation des marchandises, un État n’a pas le droit de promouvoir l’identité nationale d’un produit, hors signes de qualité qui sont régis par une réglementation communautaire

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précise. En effet, si on autorisait un État membre à intervenir sur par exemple la démarche du “made in France”, un État voisin va demander “moi je veux vendre mon jambon en France, pourquoi vous, État français, vous soutenez le jambon français et empêchez donc le jambon italien par exemple d’être mis en avant?” Cette démarche est complètement prohibée. En revanche, des initiatives privées des opérateurs mettant en avant tel produit d’origine France, c’est parfaitement autorisé par la réglementation communautaire. Les États n’ont pas à intervenir dans ce type de démarche. Viande de France, c’est une démarche strictement privée mise en place par les interprofessions essentiellement bovines et porcines. Bien entendu, comme

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vous le savez, l’orientation du Gouvernement est de promouvoir le « made in France » mais toujours dans le cadre réglementaire communautaire. Le ministre est sensible à toutes les initiatives qui permettent de mettre en avant la production française et l’excellence des produits français sous signes de qualité, ces démarches sont donc les bienvenues. Puisque cela vient d’initiatives privées, comment s’effectue le contrôle ? D.D. : Par exemple, chez INTERBEV, vous avez un cahier des charges qui dit que pour pouvoir utiliser l’étiquette VBF, donc viande bovine française, sur votre emballage, l’animal doit être né, élevé, abattu en France. A partir du

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moment où vous respecter ces trois critères, vous vous déclarez au niveau d’INTERBEV qui vous autorise à utiliser le logo VBF. Vous avez un organisme de contrôle tiers privé, qui va venir chaque année contrôler la traçabilité du produit et vérifier qu’effectivement, tous les animaux sont bien nés, élevés, abattus en France et transformés pour les plats préparés. Donc l’organisme de contrôle est indépendant de la filière ? D.D. : En principe, oui. V.P. : C’est le principe, ce sont des organismes certificateurs type Veritas, Ecocert, ou autre. D.D. : Cela repose sur un système de confiance. C’est-à-dire que si vous utilisez le logo VBF et

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que demain, vous avez une affaire de viande de cheval, et que la confiance dans la démarche est dénaturée de la sorte, vous allez détruire tout le capital confiance que vous avez construit autour de votre logo. Donc la filière a tout intérêt à ce que des contrôles soient réalisés et bien faits, de manière à ce que cela soit assez dissuasif pour éviter toute fraude. Il faut rappeler que VBF est né en pleine crise de la vache folle, il a fallu restaurer la confiance du consommateur, et donc les professionnels ont créé ce logo “Viande Bovine Française” pour mettre en avant toutes les mesures sanitaires qui ont été mises en place en France.

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Il y a une chose qui n’est pas claire pour moi. Il m’avait semblé qu’il y avait eu une initiative de l’Etat d’un label Viande de France, qui était extrêmement récente, au début de l’année. D.D. : Effectivement la démarche viande de France a été présentée au dernier salon de l’agriculture mais ce n’est pas à l’initiative de l’Etat. Mais le Ministre soutien cette démarche privée. Le Commissaire Européen a été interrogé sur cette initiative, car certains États membres ont posé des questions, et a rappelé qu’il ne pouvait s’agir que d’une initiative privée.

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Est-ce qu’il y a eu beaucoup d’initiatives privées de ce type là durant les précédentes décennies, ou c’est quelque chose d’assez récent ? D.D. : Non, ces démarches existaient en fait préalablement. VBF est né en 1996, pendant la crise de la vache folle. C’est le logo le plus ancien qui a été mise en place. Le logo VPF, Viande de Porc Française, doit être née il y a quelques années, tout comme Volailles de France. Viande Ovine Française et les autres sont plus récentes. Mais il est vrai qu’avec l’initiative du Gouvernement de promouvoir le made in France, il y a eu une résurgence de ces logos, et la signature Viande de France est une bannière qui a été créée pour chapeauter

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ces initiatives historiques. Cette démarche “viande de France” était aussi une demande de la grande distribution. Il existe des points communs entre les filières en termes d’exigences sanitaires notamment, c’est pour cela que les professionnels ont créés une signature commune.

Sur les associations et attentes sociétales Je m’écarte un peu des signes de qualité, mais y a-t-il des associations de défense de la cause animale qui entrent en contact avec vous, pour des revendications diverses ? D.D. : Oui, si vous prenez L214, ils interpellent régulièrement les pouvoirs publics.

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L’association Brigitte Bardot nous interpelle également. Toutes ces associations et ONG sont parties prenantes au niveau de certaines instances communautaires. Elles sont consultées et participent également au processus normatif notamment sur le bien-être animal. Elles nous interpellent et nous les rencontrons. Elles sensibilisent les pouvoirs publics aux attentes de la société et sur le bien-être animal en particulier. Et, de plus en plus, alors je ne vous cache pas que c’est difficile, nous essayons de les faire entrer dans nos instances de concertation avec les professionnels. A titre d’exemple, à l’initiative des professionnels, un représentant de la FNE est intervenu lors d’une réunion avec la filière volaille pour expliciter les attentes sociétales

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en matière d’environnement et de bien-être animal. La volonté des pouvoirs publics est d’aboutir à des dialogues apaisés pour que chacun exprime ses points de vue et que l’on puisse débattre de toutes ces questions, parce que la réponse aux attentes sociétales est incontournable. La préoccupation en matière de bien-être animal est là et s’impose à nous, et continuera de s’imposer, et il faut y répondre. Même les professionnels en sont complètement conscients et sont à l’écoute de cette attente sociétale. Je trouve qu’il y a quand même une grande différence entre ce qu’on dit - à savoir qu’il y a une très forte attente sociétale en matière de bien-être animal, et ce qui se passe dans

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la réalité. Nous, on est quand même allés dans pas mal d’élevages différents, notamment de porcs, et c’est pas facile à regarder, donc la question du bien-être animal… D.D. : On touche au cœur de l’évolution des attentes sociétales. La première étape, ça a été quoi ? L’attente sociétale consistait à remettre en cause la mise à mort de l’animal. Or, il y a quelques années de cela, tout le monde a vu un animal tué à la ferme. Donc le fait que l’animal soit tué pour être mangé, c’était quelque chose de normal. Ensuite, on a occulté la mise à mort de l’animal. Aujourd’hui, hormis sur YouTube ou Daily Motion où vous pouvez voir des images de l’abattage d’un animal,

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aucun abattoir ne veut plus montrer cette étape pourtant indispensable. Parce que la société refuse d’être confrontée au fait que pour être mangé, un animal doit d’abord être abattu. Donc ça, c’est la première évolution. Maintenant l’attente exprimée va plus loin. Le consommateur de viande dit “ces images de truies gestantes entravées ou de poules pondeuses dans des cages, cela m’interpelle.” C’est aussi l’action des ONG qui interpellent la société qui conduit à cette évolution. C’est plus prégnant en Allemagne notamment, où les attentes sociétales sont très fortes sur cet aspect bien-être animal, c’est moins le cas en France. Pour autant, en terme de pouvoir d’achat, in fine, l’acheteur contraint a tendance à rechercher le produit le moins cher. Si vous

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prenez le produit le moins cher, ça renvoie généralement à des pratiques d’élevage intensif et donc à des conditions de bien-être animal qui ne sont pas forcément les plus vertueuses. V.P. : Ça a avancé plus vite sur les œufs. La pression sociétale était forte, les grands distributeurs ont aussi accompagné les professionnels. Il y a des grands distributeurs qui ne commercialisent plus d’œufs de batterie. D.D. : Sauf erreur de ma part, l’Autriche a interdit la commercialisation des œufs des poules en cage. En France, ce n’est pas le cas, et il existe une codification qui permet au consommateur de connaître le mode d’élevage. Ce que l’on observe de plus en plus,

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c’est l’intervention des ONG directement dans des grands magasins pour interpeller les consommateurs sur les conditions des élevages standards. Devant ces actions récurrentes, certaines enseignes de grande distribution commencent à renoncer à commercialiser ce mode de production. Donc quelque part, ces ONG vont influer sur le comportement d’achat. Sur l’œuf, c’est de plus en plus prégnant. En tant que pouvoirs publics, notre rôle c’est d’alerter les professionnels sur l’orientation des investissements à venir, en faveur notamment des productions alternatives. D’un autre côté, vous avez aussi des secteurs économiques à préserver, des emplois, c’est donc un équilibre compliqué à trouver.

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Nous avons rencontré la porte-parole et co-fondatrice de L214. Elle nous a expliqué que le problème venait surtout de la traçabilité, qu’en fait le consommateur n’avait aucune information sur les méthodes d’élevage quand il achète un produit. Du coup, L214 plaide en ce moment pour la création d’un label “bien-être animal”, qu’en pensez-vous ? V.P. : Il y en a déjà un : l’agriculture biologique ! C’est différent qu’il n’y ait pas d’informations sur les modes d’élevages et que le consommateur n’en ait pas connaissance. Il y a un défaut de connaissance du consommateur,

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alors que les modes d’élevage sont indiqués partout, globalement. D.D. : Et puis sur l’œuf, vous avez le code d’origine. Sur la volaille, vous avez toutes les mentions sur les modes d’élevage et plein air en particulier. D.D. : Pour la vache à viande le problème se pose moins, car on est quand pour l’essentiel sur de l’élevage extensif. V.P. : Le consommateur, il faut qu’il se prenne en charge aussi. D.D. : Sur la filière porcine, vous êtes sur une production standardisée, plutôt intensive, et qui alimente pour l’essentiel le marché de la charcuterie, qui constitue un marché où le consommateur a tendance à rechercher les prix bas. Il n’y a qu’à observer le rayon

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charcuterie dans une enseigne de la grande distribution. Pour autant il existe également une offre en signes de qualité.

Sur les éleveurs de porc Label Rouge

Ce que m’expliquait l’éleveur de porc que j’ai rencontré, qui était Label Rouge, c’est qu’ils avaient un gros problème au niveau des salaisonniers, qui eux refusent de se mettre dans une logique de qualité et refusent de les payer plus cher pour avoir le label. Ce qui veut dire que les éleveurs Label Rouge sont obligés, s’ils veulent trouver des salaisonniers pour acheter leur viande, de retirer le label pour pouvoir leur vendre.

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V.P. : C’est une confrontation de l’offre et de la demande qui fait notamment qu’une partie de la production i va partir en circuit conventionnel. D.D. : Oui, c’est une logique économique. L’’idéal serait d’avoir de la valeur ajoutée sur tous les produits, pour autant, l’écoulement de l’ensemble de la production ne peut pas se faire uniquement sous signe de qualité. V.P. : Après, c’est « le jeu » de la négociation aussi. D.D. : Quand il vend ses produits avec une forte valeur ajoutée, il doit prendre en compte qu’une partie va être déclassée et qu’il aura une perte économique sur cette partie là. V.P. : Et puis, parfois, ça peut arriver que la partie qui est vendu en conventionnel ne soit

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pas payée moins chère quand la tension sur un marché donnée soit importante du fait d’une pénurie d’offre. D.D. : Nous avons observé ce problème avec la viande bovine en 2013. Les cours étaient hauts en raison d’une pénurie d’offre, et les abatteurs se concurrençaient pour aller chercher des animaux. Ils allaient jusqu’à démarcher des éleveurs sous signe de qualité pour trouver des animaux. L’éleveur était donc prêt à déclasser ses animaux pour les vendre à l’abatteur le plus offrant y compris pour le débouché conventionnel. C’est une confrontation offre-demande assez classique. Mais certains éleveurs ne croient pas en les signes de qualité. En Bourgogne, j’ai

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rencontré un éleveur bovin en circuit court, qui lui avait vraiment une préoccupation au niveau de la qualité de sa viande. Pour lui, les labels n’étaient pas importants, parce que les gens labellisés le font pour les primes. Pour lui la qualité d’une viande ne vient pas du label mais vient de l’éleveur et de la manière dont il traite ses bêtes. D’après lui, on peut avoir une viande très bonne non labellisée et de la viande bio qui ne soit pas très bonne. V.P. : Alors attention, parce que là, tout est vrai, et tout est faux ! Oui, on peut ne pas vouloir être dans les circuits professionnels, qualité, et faire de la bonne viande, si on la valorise, si on est dans une région touristique, qu’on peut

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valoriser sans faire d’efforts commerciaux ni rien et qu’on n’a pas de problème oui, c’est tout à fait vrai. La bio, enfin on n’attend pas d’un produit bio en première approche qu’il soit meilleur au goût. Ce n’est pas l’objectif. L’objectif, c’est le bien-être, l’environnement. Après, pour beaucoup, ils ont des qualités nutritives supérieure. Mais ce n’est pas l’objectif premier. C’est tout le problème du produit local, du circuit court, de la vente directe, de la commercialisation plus classique, le bio, le pas bio, les labels : tout le monde mélange tout, tout le monde parle de tout, et je dirai rien n’est vrai et tout est vrai. Mais il faut vraiment se méfier des caricatures en la matière. Oui, bien sûr, on peut être un éleveur hors structure et faire bien son boulot ! Mais on

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peut être aussi un gros gougnafier ! C’est vrai que quand on vient à la ferme généralement on voit un peu plus ce qui se passe, les gens qui font de la vente à la ferme ont une volonté d’être transparent pour le consommateur. Mais on n’est pas à l’abri d’un gros gougnafier qui a caché les bidons prohibés dans un coin et qui vend ! D.D. : C’est un peu le discours des éleveurs qui pensent que les signes de qualité ont vocation à remplacer tout. Ce qui n’est pas du tout le cas ! Le signe de qualité n’a pas vocation à prendre tout le spectre du marché. C’est une offre par rapport à une demande. Pour certain c’est une attente de transparence sur le mode de production. Pour d’autres, c’est la volonté que l’éleveur tire une juste rémunération de

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son travail. Pour d’autres encore, c’est la perception peut-être d’un goût meilleur. Mais ça n’a pas vocation à remplacer toute la production ! Il y aura forcément une production conventionnelle car il faut servir l’ensemble des consommateurs. V.P. : Et puis sur les signes de qualité il y a un cahier des charges, un contrôle, le consommateur en a pour son argent, il paye une confiance, une origine, pas forcément que pour le goût. Le consommateur est multiple et souvent un peu schizophrène, la semaine il achète des produits plus standardisés car il faut faire vite, puis le weekend plus des produits signes de qualité. Il n’y a pas un consommateur à profil unique et constant, à part malheureusement les gens qui ont un très

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faible pouvoir d’achat, car ils sont confrontés à une réalité économique qui fait que leur arbitrage est vite vu.

Sur la responsabilité dans la production de viande

Nous travaillons sur la problématique de la responsabilité dans la production de viande, car nous avons pu voir qu’en fonction des parties prenantes, la responsabilité ne se déterminait pas par rapport aux mêmes objectifs ni n’avait le même sens. Vous, comment vous imaginez une production de viande responsable ?

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D.D. : C’est une question difficile parce qu’il y a plusieurs aspects. Vous avez l’aspect sanitaire. Par exemple, avec la crise de la vache folle en 1996, le consommateur prend conscience qu’effectivement, ce produit, la viande bovine qui est proposé en abondance après la Seconde Guerre Mondiale, est produite avec des farines animales. C’était donc devenu une production intensive. C’est la première prise de conscience. Ensuite, il y a eu la fièvre aphteuse, la grippe aviaire.... Le consommateur s’interroge sur l’aspect sanitaire de la production de viande.. Par la suite, vous avez l’aspect environnemental qui intervient. En 2006, le rapport de la FAO « livestock's long shadow » met en avant que les émissions de gaz à effet de serre des ruminants sont

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supérieures à celles qu’émettent les transports. Ce point a été rectifié depuis. Oui, 18% et 13 % ! D.D. : Un nouveau rapport est sorti en 2012/2013 et nuance donc l’analyse. Toujours est-il que ce chiffre a été martelé dans l’opinion publique. Si vous consultez un moteur de recherche, vous allez voir partout que les émissions de gaz à effet de serre liées à la viande bovine, c’est une catastrophe, précisément depuis cette publication de 2006. Alors c’est drôle ce que vous dites, parce que j’avais lu que dans le deuxième rapport ils avaient effectivement baissés leurs chiffres.

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A savoir qu’au début ils disaient que les gazs à effet de serre émis par la production animale était de 18% contre 13% pour les transports. Et dans leur deuxième rapport, ils ont simplement mis que c’était 15% et non 18. Mais ça reste quand même supérieur… D.D. : Oui mais ce que les rapporteurs écrivent dans le deuxième rapport, qui n’était pas dans la première analyse, c’est que vous ne pouvez pas prendre en compte uniquement les aspects négatifs de l’élevage. Le bilan résultant de la différence entre la contribution aux émissions d’une part et le stockage de carbone d’autre part doit être mieux pris en compte. Or en 2006, l’élevage a en quelque sorte fait

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l’objet d’un procès à charge. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’impact des ruminants sur les gaz à effet de serre, je dis simplement qu’entre le rapport de 2006 et aujourd’hui, cela a été dévastateur pour la filière ruminant. Mais toujours est-il que cette affirmation a agi comme un détonateur dans la mesure où elle a alerté l’opinion publique sur le fait que l’élevage avait un impact sur l’environnement. Ensuite, pour en revenir à la question de la responsabilité, vous avez également l’aspect nutritionnel, avec l’augmentation de toutes les maladies dégénératives. Vous avez l’approche de nombreux nutritionnistes consistant à manger moins ou pas de viande pour protéger la santé. Cette dimension agit également sur le consommateur. Donc vous avez tous ces

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facteurs, sanitaires, environnement et santé, qui font que la société tend à consommer moins de viande, et de la viande rouge en particulier. En pratique, nous observons que les pays développés, avec l’évolution du pouvoir d’achat, vous avez d’abord une augmentation de la consommation de viande, puis une stagnation de la consommation de viande, et enfin une érosion de cette consommation. C’est ce que l’on constate aujourd’hui en France. Cette érosion est liée aux attentes sociétales, mais également au faut que l’on ne consomme plus la viande de la même manière. On achète des plats cuisinés dans lesquels la portion de viande est très réduite. C’est un cycle, et c’est bien là toute l’inquiétude de la production : quels sont les

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relais de croissance ? L’export, car dans le même temps, on voit bien que dans certains pays émergents, la demande de viande est exponentielle. Il faudra satisfaire cette demande. Ce qui m’interpelle dans votre discours, c’est que tout ce que vous mettez en place, c’est en réponse à une demande de la société. Ce que vous dites, c’est que dans les pays émergents il y a une forte demande en viande, donc il faut absolument qu’on arrive à satisfaire cette demande. Vous dites qu’en France et surtout en Allemagne il y a une forte préoccupation sur le bien-être animal, donc il faut y répondre en améliorant le bien-être animal. Où placez-vous la notion

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éthique là-dedans ? Vous êtes vraiment sur “la société veut ça, on répond aux demandes de la société”, sans aucune préoccupation éthique, ou l’éthique rentre quand même dedans ? D.D. : Qu’est-ce que vous appelez l’éthique ? Je ne sais pas, pour moi, disons qu’il y a un certain idéal quand on dirige un pays et la production agricole d’un pays. Je suis peut-être complètement naïve ! Mais j’imagine qu’on a d’autres préoccupations que de simplement répondre à la demande du consommateur, peut-être aussi une dimension éducative ?

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V.P. : Oui, mais la demande sociétale inclut ça ! Elle est plus large que la seule demande du consommateur La demande sociétale est déjà emprunte d’éthique. D.D. : Enfin, je ne sais pas si on peut parler d’éthique, mais par exemple, vous avez la volonté du Ministre qui veut développer l’agroécologie. Le Gouvernement actuel défend deux axes, à savoir le développement économique, ce qui signifie que nos éleveurs doivent tirer un revenu décent de leur travail, et un développement respectueux de l’environnement. Ils ne faut pas oublier que les éleveurs rendent des services sur nos territoires ruraux. Cet aspect, il ne faut pas l’oublier ! Vous avez des zones comme le Massif Central, où si vous n’avez plus d’éleveur

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pour occuper et entretenir le territoire cela devient un véritable problème. Il faut donc avoir en tête le volet économique, car c’est important pour l’emploi, mais pour autant, il faut promouvoir d’autres manières, alternatives, de produire de la viande. On promeut également les signes de qualité. Beaucoup d’argent est mis sur le plan avenir bio. Dans une société, il existe différents points de vue. Pour reprendre l’exemple que vous citiez de L214, ses membres sont résolument contre la consommation de viande. Je ne conteste pas leur apport, ils constituent des lanceurs d’alerte dans l’opinion mais ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble des opinions. Leurs actions ont une résonance, un impact mais il faut entendre toutes les voix. Les

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Ministères chargés de l’environnement, de la Santé, de l’Education nationale, tous sont également concernés par ces questions de société. V.P. : Pour le bio, on a travaillé avec l’Education Nationale pour faire évoluer des référentiels. C’est un travail de longue haleine qui a démarré dans le cadre du « Programme ambition bio 2017 ». D.D. : Vous avez également le plan « anti-gaspi » qui a été lancé l’année dernière par le ministère pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Le Ministère de l’Agriculture mène différentes actions agricoles, agroalimentaires, de territoire, d’enseignement, de contrôles sanitaire.

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Si on s’attarde sur L214, ils sont vraiment persuadés qu’on finira par abandonner la consommation de viande, c’est leur croyance profonde. La porte-parole nous a dit que c’était les mêmes arguments que pour l’esclavage, que la société prendrait un autre tournant et que l’on finirait par abandonner tout système d’élevage et production animale. D.D. : Vous avez tout le débat sur les alternatives aux protéines animales, notamment les insectes.... Pourquoi pas ? Dans l’innovation, vous avez eu tout le débat sur le clonage, la viande in vitro. Je n’ai pas la prétention de dire ce que sera l’évolution de la société. Ce que l’on perçoit c’est

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qu’effectivement, dans les pays développés, la demande diminue et qu’elle est forte dans les pays émergents. En Chine par exemple, avec l’augmentation du PIB, vous observez une demande exponentielle en viande. Mais progressivement les aspects de bien-être, d’environnement et sanitaires, vont prendre le pas. L’Afrique est en pleine croissance, vous allez avoir également un développement de la consommation de viande. Comment on y répond ? La viande, vous me direz, on pourrait peut-être s’en passer, mais vous avez eu la crise alimentaire mondiale de 2007-2008 qui avait pour origine une forte hausse du prix des denrées alimentaires de base, impactant les régions les plus pauvres du monde et responsable d’une instabilité politique. Si dans

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les années à venir vous ne pouvez pas faire face à une demande croissante de protéines animales dans ces pays, vous pouvez également attiser des tensions. V.P. : Il y a des peuples de tout temps qui n’ont mangé que de la viande, il y en a d’autres qui n’en ont jamais mangé. C’est le monde dans sa diversité !