divers poèmes

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LA JOLIE ROUSSE Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l'Artillerie et l'Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutte Je sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m'inquiéter aujourd'hui de cette guerre Entre nous et pour nous mes amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l'invention De l'Ordre de l'Aventure Vous dont la bouche est faite à l'image de celle de Dieu Bouche qui est l'ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez A ceux qui furent la perfection de l'ordre Nous qui quêtons partout l'aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons nous donner de vastes et d'étranges domaines Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l'illimité et de l'avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l'été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps O Soleil c'est le temps de la raison ardente Et j'attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu'elle prend afin que je l'aime seulement Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant Elle a l'aspect charmant D'une adorable rousse Ses cheveux sont d'or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez de moi Hommes de partout surtout gens d'ici Car il y a tant de choses que je n'ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Guillaume Apollinaire, Poèmes retrouvés, Poésie-Gallimard

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Page 1: Divers Poèmes

LA JOLIE ROUSSE Me voici devant tous un homme plein de sensConnaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaîtreAyant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour Ayant su quelquefois imposer ses idéesConnaissant plusieurs langagesAyant pas mal voyagéAyant vu la guerre dans l'Artillerie et l'InfanterieBlessé à la tête trépané sous le chloroformeAyant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutteJe sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seulpourrait des deux savoirEt sans m'inquiéter aujourd'hui de cette guerreEntre nous et pour nous mes amisJe juge cette longue querelle de la tradition et de l'inventionDe l'Ordre de l'AventureVous dont la bouche est faite à l'image de celle de DieuBouche qui est l'ordre mêmeSoyez indulgents quand vous nous comparezA ceux qui furent la perfection de l'ordreNous qui quêtons partout l'aventureNous ne sommes pas vos ennemisNous voulons nous donner de vastes et d'étranges domainesOù le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillirIl y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vuesMille phantasmes impondérablesAuxquels il faut donner de la réalitéNous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se taitIl y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenirPitié pour nous qui combattons toujours aux frontièresDe l'illimité et de l'avenirPitié pour nos erreurs pitié pour nos péchésVoici que vient l'été la saison violenteEt ma jeunesse est morte ainsi que le printempsO Soleil c'est le temps de la raison ardenteEt j'attendsPour la suivre toujours la forme noble et douceQu'elle prend afin que je l'aime seulementElle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimantElle a l'aspect charmantD'une adorable rousseSes cheveux sont d'or on diraitUn bel éclair qui dureraitOu ces flammes qui se pavanentDans les roses-thé qui se fanentMais riez de moiHommes de partout surtout gens d'iciCar il y a tant de choses que je n'ose vous direTant de choses que vous ne me laisseriez pas direAyez pitié de moi

Guillaume Apollinaire, Poèmes retrouvés, Poésie-Gallimard

Page 2: Divers Poèmes

ENIVREZ-VOUSIl faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.

Charles Baudelaire, Les petits poèmes en prose

A la MystérieuseJ'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant

et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère? J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante

et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.

Je dors debout, le corps exposé à toutesles apparences de la vie et de l'amour

et toi, la seule qui compte aujourd' hui pour moi,

je pourrais moins toucher ton front et tes

lèvres que les premières lèvres et le premier front venu. J'ai tant

rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec

ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et

pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus

ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se

promèneraallégrement

sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos

Page 3: Divers Poèmes

Partir.Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juifun homme-cafreun homme-hindou-de-Calcuttaun homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-tortureon pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouerde coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoirde compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personneun homme-juifun homme-pogromun chiotun mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme laface de stupeur d'une dame anglaise qui trouveraitdans sa soupière un crâne de Hottentot?

Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Jedirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies,humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l'oeil des motsen chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.Et vous fantômes montez bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées de machines tordues d'un jujubier de chairs pourries d'un panier d'huîtres d'yeux d'un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d'une peau d'homme j'aurais des mots assez vastes pour vous contenir

et toi terre tendue terre saouleterre grand sexe levé vers le soleil

terre grand délire de la mentule de Dieuterre sauvage montée des resserres de la mer avec

dans la bouche une touffe de cécropiesterre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'àla forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir enguise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des

hommes

Il me suffirait d'une gorgée de ton lait jiculi pour qu'en toi je découvre toujours à même distance

de mirage - mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout

est libre et fraternel, ma terre.

Partir. Mon coeur bruissait de générositésemphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair :

« J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais: Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai».

Et je lui dirais encore :« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de

celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :« Et surtout mon corps aussi bien que mon

âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est

pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est

pas un ours qui danse... » AIMÉ CÉSAIRE

Page 4: Divers Poèmes

Les mains d'Elsa

Donne-moi tes mains pour l'inquiétudeDonne-moi tes mains dont j'ai tant rêvéDont j'ai tant rêvé dans ma solitudeDonne-moi te mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon pauvre piègeDe paume et de peur de hâte et d'émoiLorsque je les prends comme une eau de neigeQui fond de partout dans mes main à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverseCe qui me bouleverse et qui m'envahitSauras-tu jamais ce qui me transperceCe que j'ai trahi quand j'ai tresailli

Ce que dit ainsi le profond langageCe parler muet de sens animauxSans bouche et sans yeux miroir sans imageCe frémir d'aimer qui n'a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensentD'une proie entre eux un instant tenueSauras-tu jamais ce que leur silenceUn éclair aura connu d'inconnu

Donne-moi tes mains que mon coeur s'y formeS'y taise le monde au moins un momentDonne-moi tes mains que mon âme y dormeQue mon âme y dorme éternellement.

Louis Aragon, Extrait du "Fou d'Elsa", Édition Gallimard (collection Blanche)

Sachez qu'hier, de ma lucarne,J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux,

Une fille qui dans la MarneLavait des torchons radieux

Je pris un air incendiaireJe m'adossais contre un pilierPuis je lui dis "O Lavandière"Blanchisseuse étant familier

La blanchisseuse gaie et tendreSourit et, dans la hameau noir

Au loin, sa mère cessa d'entendreLe bruit vertueux du battoir.

Je m'arrête. L'idylle est douceMais ne veux pas, je vous le dis,Qu'au delà du baiser on pousse

La peinture du paradis.

Victor Hugo

Page 5: Divers Poèmes

Ce soir,Si j'écrivais un poème

pour la postérité?fichtre

la belle idée

je me sens sûr de moij'y vas

et à la postéritéj'y dis merde et remerde

et reremerdedrôlement feintée

la postéritéqui attendait son poème

ah mais

Raymond Quenaeau, Extrait de "L'Art Poétique", Poésie/Gallimard

A L C H I M I E   D U    V E R B E

À moi. L'histoire d'une de mes folies.

Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs.

Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents: je croyais à tous les enchantements.

J'inventai la couleur des voyelles! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. -Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rhythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.

RIMBAUD, UNE SAISON EN ENFER

Page 6: Divers Poèmes

Monsieur Prud'hommeIl est grave, il est maire et père de famille,Son faux-col engloutit son oreille, ses yeux Dans un rêve sans fin flottent insoucieuxEt le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille

Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmilleOù l'oiseau chante à l'ombre et que lui font les cieuxEt les prés verts et les gazons silencieux. Monsieur Prud'Homme songe à marier sa fille,

Avec Monsieur Machin, un jeune homme cossu,Il est juste milieu, botaniste et pansu Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,

Ces fainéants barbus mal peignés, il les a Plus en horreur que son éternel coryzaEt le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.

Paul VERLAINE

Les pas

Tes pas, enfants de mon silence,Saintement, lentement placés,Vers le lit de ma vigilanceProcèdent muets et glacés.

Personne pure, ombre divine,Qu'ils sont doux, tes pas retenus !Dieux !... tous les dons que je devineViennent à moi sur ces pieds nus !

Si, de tes lèvres avancées,Tu prépares pour l'apaiser,A l'habitant de mes penséesLa nourriture d'un baiser,

Ne hâte pas cet acte tendre,Douceur d'être et de n'être pas,Car j'ai vécu de vous attendre,Et mon coeur n'était que vos pas.

Paul Valéry, Extrait de Poésies - Charmes, éd. Poésie/Gallimard

Page 7: Divers Poèmes

UNE BONNE PAIRE DE CLAQUES DANS LA GUEULE

Quand on est tout blasé, Quand on a tout usé

Le vin, l'amour, les cartesQuand on a perdu l'viceDes bisques d'écrevisse

Des rillettes de la SartheQuand la vue d'un strip-teaseVous fait dire: "Qué Bêtise !Vont-y trouver aut' chose"

Il reste encore un trucQui n'est jamais caduquePour voir la vie en rose

Une bonne paire de claques dans la gueuleUn bon coup d'savate dans les fesses

Un marron sur les mandibulesça vous r'f'ra une deuxième jeunesse

Une bonne paire de claques dans la gueuleUn direct au creux d'l'estomac

Les orteils coincés sous une meulesUn coup d'pompe en plein tagada

ça enterre tout, la drogue et l'aspirineLes épinards, la Schnouff et la Badoit

C'est bien plus bath que l'foie gras en terrineCar c'est moins cher et ça n'alourdit pas

Une bonne paire de claques dans la gueuleEt la vie reprend tout son prix

Chaque matin, quand on se sent seulClaquons nous la gueule entre amis!

Quand elle a foutu l'campEn emportant l'argentEt la machine à coudreEn vous laissant l'évier

Plein de vaisselle pas lavéeEt l'sel dans l'sucre en poudre

Quand vot'meilleur copainTéléphone le lend'main

En disant : "Viens la r'prendre!"On ricane et on pense

"Attends un peu HortenseQu'est-ce que tu vas prendre!"

Une bonne paire de claques dans la gueuleUn bon coup d'savate dans les fesses

Un marron sur les mandibulesça te r'f'ra une deuxième jeunesse

Une bonne paire de claque dans la gueuleUn direct au creux d'lestomac

Les orteils coincés sous une meulesUn coup d'pompe en plein tagada

Tu t'ennuyais dans ma p'tite chambreTu voulais voir du nouveau

Chaque matin de janvier à décembreTu pourras t'offrir a gogo

Une bonne paire de claques dans la gueuleEt çà me consolera ma chérieDes soirées où tu manoeuvrais

Le rouleau à patisserie

Tiens! Salope!

Boris Vian

Page 8: Divers Poèmes

L'épitaphe

Frères humains qui après nous vivez,N'ayez les coeurs contre nous endurcis,

Car, si pitié de nous pauvres avez,Dieu en aura plus tôt de vous mercis.Vous nous voyez ci attachés cinq, six :

Quant à la chair, que trop avons nourrie,Elle est piéça dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.De notre mal personne ne s'en rie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Si frères vous clamons, pas n'en devezAvoir dédain, quoique fûmes occisPar justice. Toutefois vous savez

Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis ;Excusez-nous, puisque sommes transis,

Envers le fils de la Vierge Marie,Que sa grâce ne soit pour nous tarie,Nous préservant de l'infernale foudre.Nous sommes morts, âme ne nous harie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,Et le soleil desséchés et noircis ;

Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,Et arraché la barbe et les sourcils.

Jamais nul temps nous ne sommes assis ;Puis çà, puis là, comme le vent varie,À son plaisir sans cesser nous charrie,

Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.Ne soyez donc de notre confrérie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :

À lui n'ayons que faire ni que soudre.Hommes, ici n'a point de moquerie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

François Villon

Page 9: Divers Poèmes

Parce que de la viande était à point rôtieParce que le journal détaillait un viol

Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtieLa servante oublia de boutonner son col

Parce que, d'un lit grand comme une sacristie,Il voit sur la pendule un couple antique et folEt qu'il n'a pas sommeil et que sans modestieSa jambe sous le drap frôle une jambe au vol

Un niais met sous lui sa femme froide et sècheContre son bonnet blanc frotte son casque à mèches

Et travaille en soufflant inexorablement

Et de ce qu'une nuit sans rage et sans tempêteCes deux êtres se sont accouplés en dormant

O Shakespeare, et toi Dante ! il peut naître un poète Stéphane Mallarmé

DESSEIN DE QUITTER UNE FEMME Qui ne le contentait que de promesses

Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine     A comme l'Océan son flux et son reflux :     Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,     Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus.

Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise,     Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté :     Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise,     Il leur faut de l'amour autant que de beauté.

Madame, songez-y, vous perdez votre gloire       De me l'avoir promis et vous rire de moi,       S'il ne vous en souvient vous manquez de mémoire,       Et s'il vous en souvient vous n'avez point de foi.

Quand je pense être au point que cela s'accomplisse,     Quelque excuse toujours en empêche l'effet :     C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse,     Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.

J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute,     De ne m'en séparer qu'avecque le trépas,     S'il arrive autrement ce sera votre faute    De faire des serments et ne les tenir pas. François de Malherbe

Page 10: Divers Poèmes

Chanson de Barberine

Beau chevalier qui partez pour la guerre,Qu'allez-vous faire si loin d'ici?

Voyez-vous pas que la nuit est profonde,Et que le monde n'est que souci?

Vous qui croyez qu'une amour délaisséeDe la pensée s'enfuit ainsi,

Hélas! hélas! chercheurs de renommée,Votre fumée s'envole aussi.

Beau chevalier qui partez pour la guerre,Qu'allez-vous faire si loin de nous?

J'en vais pleurer, moi qui me laissais direQue mon sourire était si doux.

Alfred de Musset

L'Amour et la FolieTout est mystère dans l'Amour,

Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance:Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.Je ne prétends donc point tout expliquer ici:

Mon but est seulement de dire, à ma manière,Comment l'aveugle que voici

(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière; Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien

J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble:Celui-ci n'était pas encor privé des yeux.

Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble Là-dessus le conseil des Dieux; L'autre n'eut pas la patience;

Elle lui donne un coup si furieux,Qu'il en perd la clarté des cieux.

Vénus en demande vengeance.Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:

Les Dieux en furent étourdis, Et Jupiter, et Némésis,

Et les Juges d'Enfer, enfin toute la bande.Elle représenta l'énormité du cas;

Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas:Nulle peine n'était pour ce crime assez grande:

Le dommage devait être aussi réparé.Quand on eut bien considéré

L'intérêt du public, celui de la partie, Le résultat enfin de la suprême cour

Fut de condamner la Folie A servir de guide à l'Amour.

Jean de La Fontaine

Page 11: Divers Poèmes

GENRE BIOGRAPHIQUEDéjà, à l'âge de trois ans, l'auteur de ces lignes étaitremarquable : il avait fait le portrait de sa concierge enpasse-boule, couleur terre-cuite, au moment où celle-ci,les yeux pleins de larmes, plumait un poulet. Le pouletprojetait un cou platonique. Or, ce n'était ce passe-boule,qu'un passe-temps. En somme, il est remarquable qu'iln'eut pas été remarqué: remarquable, mais non regret-table, car s'il avait été remarqué, il ne serait pas devenuremarquable; il aurait été arrêté dans sa carrière, ce quieût été regrettable. Il est remarquable qu'il eût étéregretté et regrettable qu'il eût été remarqué. Le pouletdu passe-boule était une oie.

Max Jacob, Le Cornet à dés, Poésie/Gallimard.

L'AMOUREUSE

Elle est debout sur mes paupièresEt ses cheveux sont dans les miens,Elle a la forme de mes mains,Elle a la couleur de mes yeux,Elle s'engloutit dans mon ombreComme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouvertsEt ne me laisse pas dormir.Ses rêves en pleine lumièreFont s'évaporer les soleilsMe font rire, pleurer et rire,Parler sans avoir rien à dire.

Paul Eluard, Extrait de "Capital de la Douleur", Poésie/Gallimard

Tu m'as dit si tu m'écrisNe tape pas tout à la machineAjoute une ligne de ta mainUn mot un rien oh pas grand choseOui oui oui oui oui oui oui oui Ma Remington est belle pourtantJe l'aime beaucoup et travaille bienMon écriture est nette est claireOn voit très bien que c'est moi qui l'ai tapée Il y a des blancs que je suis seul à savoir faireVois donc l'oeil qu'à ma pagePourtant, pour te faire plaisir j'ajoute à l'encreDeux trois motsEt une grosse tache d'encrePour que tu ne puisses pas les lire.

Blaise Cendrars, Extrait "Du Monde entier, Au Coeur du Monde", Poésie/Gallimard

Page 12: Divers Poèmes

LES DOIGTS DE LA MAIN.

Le pouce est ce gras cabaretier flamand, d'humeur goguenarde et grivoise, qui fume sur sa porte, à l'enseigne de la double bière de mars.

L'index est sa femme, virago sèche comme une merluche, qui dès le matin soufflette sa servante dont elle est jalouse, et caresse la bouteille dont elle est amoureuse.

Le doigt du milieu est leur fils, compagnon dégrossi à la hache, qui serait soldat s'il n'était brasseur, et qui serait cheval s'il n'était homme.

Le doigt de l'anneau est leur fille, leste et agaçante Zerbine qui vend des dentelles aux dames et ne vend pas ses sourires aux cavaliers.

Et le doigt de l'oreille est le Benjamin de la famille, marmot pleureur, qui toujours se trimballa à la ceinture de sa mère comme un petit enfant pendu au croc d'une ogresse.

Les cinq doigts de la main sont la plus mirobolante giroflée à cinq feuilles qui ait jamais brodé les parterres de la noble cité de Harlem.

ALOYSIUS BERTRAND

Pudeur

Elle rougit si l'on parle de chaise, pour ce que l'on y pose.

Je prends mille précautions pour ne pas choquer ma femme. Dès le matin, une lettre la prévient de ma visitepossible pour le lendemain soir.

J'entre, comme quelqu'un qui se tromperait, m'excusant, revêtu d'un lourd par-dessus beige. Ensuite, je dois imaginer mille raisons pour le quitter : la chaleur ou qu'il est trempé.

En veston, je ne puis éviter que sa rougeur nesoit extrême. Il me faut revenir en arrière, m'entourer de rideau, ou me cacher dans la pièce voisine. Je reviens. Elle, enfouie sous les draps,

en manteau de fourrure, a repris sa contenance.

Je me glisse.Non, ce n'est pas commode.Après, je dois partir en voyage.

Mais la gêne persiste pendant des mois entre nous deux.

André Frédérique

Page 13: Divers Poèmes

Le Verbe ÊtreJe connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le

désespoir n'a pas d'ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la

mer. C'est le désespoir et ce n'est pas le retour d'une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la

nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n'est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire. C'est un bateau

criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n'a pas la moindre épaisseur. Je

connais le désespoir dans ses grandes lignes. Une forme très petite, délimitée par un bijou de cheveux. C'est le

désespoir. Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l'existence ne tient pas même à

un fil, voilà le désespoir. Le reste, nous n'en parlons pas.Nous n'avons pas fini de deséspérer, si nous commençons.

Moi je désespère de l'abat-jour vers quatre heures, je désespère de l'éventail vers minuit, je désespère de la

cigarette des condamnés. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas de coeur, la main reste toujours au désespoir hors d'haleine, au désespoir dont les

glaces ne nous disent jamais s'il est mort. Je vis de ce désespoir qui m'enchante. J'aime cette mouche bleue qui v

ole dans le ciel à l'heure où les étoiles chantonnent. Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs

étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le désespoir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde

et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien, et c'est toujours avec désespoir que je

découvre les beaux arbres déracinés de la nuit. L'air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour. Il fait

un temps de temps. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. C'est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d'un désespoir pareil! Au feu! Ah! ils

vont encore venir... Et les annonces de journal, et les réclames lumineuses le long du canal. Tas de sable, espèce

de tas de sable! Dans ses grandes lignes le désespoir n'a pas d'importance. C'est une corvée d'arbres qui va encore

faire une forêt, c'est une corvée d'étoiles qui va encore faire un jour de moins, c'est une corvée de jours de moins qui va

encore faire ma vie.

André BretonExtrait de

"Le révolver à cheveux blanc"Poésie/Gallimard.

Page 14: Divers Poèmes

A la poursuite du cheval

Quand il était adolescentil vivait dans une villequi était une légende

au bord de la mer caraïbe.Si on voulait on pouvait

se changer en n'importe quoi,on pouvait être un arbre

qui marche et boit du rhum,un boeuf qui joue de l'orgue

le dimanche à l'église, un lion qui rend cocus

tous les notaires de la ville.Lui, un soir de son adolescence

il était devenu un cheval de course, il traversait au galop Jacmel

il hennissait et invitait les gens à venir gambader avec lui dans la rue.

Mais portes et fenêtres restaient fermées.

Soudain une jeune fille est sortied'une maison de la place d'Armes :c'était l'un des trésors de la ville,

elle était en chemise de nuitet souriait à l'adolescent-cheval.

Quand il arriva auprès d'ellela jeune fille quitta sa chemiseet sauta sur son dos : il galopa

galopa sans fin dans la nuiten faisant plusieurs fois le tour de Jacmel.Il sentait Hadriana toute nue sur son doscomme le ciel nocturne sent les étoffesou comme la terre sent l'herbe au matin

il sentait sa saveur de jeune fille.Il galopa galopa dans la nuit

avec l'étoile de Jacmel sur son dos,avec la joie de la ville et toute la douleur

de la ville sur son dos

 Avec ses peurs et ses haines sur son dos,

il galopa galopa dans la nuitavec les baisers

et tous les rêves de Jacmel sur son dos.

Au petit matin ils allèrent à la meroù ils se rafraîchirent longuement,

ensuite ils allèrent à la rivièrepour se quitter le sel du corps.Plus tard il la déposa chez elle

sous les arbres éberlués de la place.Quand il reprit sa forme de garçon

il avait les flancs ensanglantés,il avait d'atroces douleurs aux épaules,

il avait très mal au cuir chevelu,il resta deux semaines au lit

à regarder s'éloigner son adolescenceavec la plus belle fille de sa vie !

 René Depestre

Page 15: Divers Poèmes

PLAIN-CHANT

Je n'aime pas dormir quand ta figure habite,La nuit, contre mon cou ;

Car je pense à la mort laquelle vient trop vite,Nous endormir beaucoup.

Je mourrai, tu vivras et c'est ce qui m'éveille!Est-il une autre peur?

Un jour ne plus entendre auprès de mon oreilleTon haleine et ton coeur.

Quoi, ce timide oiseau replié par le songeDéserterait son nid !

Son nid d'où notre corps à deux têtes s'allongePar quatre pieds fini.

Puisse durer toujours une si grande joieQui cesse le matin,

Et dont l'ange chargé de construire ma voieAllège mon destin.

Léger, je suis léger sous cette tête lourdeQui semble de mon bloc,

Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,Malgré le chant du coq.

Cette tête coupée, allée en d'autres mondes,Où règne une autre loi,

Plongeant dans le sommeil des racines profondes,Loin de moi, près de moi.

Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,Par ta bouche qui dort

Entendre de tes seins la délicate forgeSouffler jusqu'à ma mort.

Jean Cocteau, Extrait de "Plain-Chant", Poésie/Gallimard

 Les hommes doués d'une sensibilité excessive, jouissent plus et souffrent plus que les natures moyennes et modérées. J'ai participé à ces excès d'impressions, dans la mesure de mon organisation.Ceux qui sentent plus, expriment plus aussi. Ils sont éloquents, ou poètes. Leurs organes paraissent faits d'une matière plus fragile mais plus sonore que le reste de l'argile humaine.Les coups que la douleur y frappe y résonnent et propagent leurs vibrations dans l'âme des autres. La vie du vulgaire est un vague et sourd murmure du coeur.La vie des hommes sensibles est un cri. La vie du poète est un chant.

Alphone de Lamartine

Page 16: Divers Poèmes

La Brouette

Tel un prince héritier qui se déguise et rôdeAfin de démasquer l'injustice et la fraudeDans les états du Roi, son père, Tel, Jésus, reprend parfois son jeune front mortel,Quitte en secret le firmament du Dieu, Son PèreEt blond, s'en vient un peu voyager sur la TerreTélémaque divin, que comme un vieux Mentor, Le Bon saint Pierre, ôtant son auréole d'orPour n'être pas trahi par ses feux, accompagne.

Un jour, ayant battu longuement la campagne, Le Seigneur et le Saint (on était en hiver)Firent halte en un bois, dont le feuillage verreN'était plus sur le sol que de l'humus rougeâtre.

Saint Pierre eût bien voulu s'asseoir au coin d'un âtreEt chauffer ses vieux doigts, mais la seule maison Qui leva le chapeau de chaume à l'horizonNe penchait pas au vent la plume de fuméeQui fait rêver bon gîte et soupe parfumée. Donc, ce bois valait mieux. D'autant que le Soleily donnait.Un soleil, pas bien chaud, c'est vrai, Timidement vermeil. Mais tout de même, Point trop à dédaigner dans ce matin si blême,Et Pierre, tout fourbu d'aller par les chemins, S'étant assis, tendait vers ce Soleil, ses mainsEt les dégourdissait dans sa lumière rose,Cependant que Jésus, rêvait, à quelque chose, Debout, et ne sentant ni fatigue, ni froid.

Pierre cria soudain :" Maître, fils de mon Roi, Regardez ! Regardez cette femme ! N'est-elle pas stupide ou folle ? Sur mon âme, Elle veut ramasser du Soleil. Voyez-là !"

Edmond Rostand

Moi, je vis la vie à côté,Pleurant alors que c'est la fête.Les gens disent : Comme il est bête! En somme, je suis mal coté.

J'allume du feu dans l'été,Dans l'usine je suis poète ;Pour les pitres je fais la quête.Qu'importe ! J'aime la beauté.

Beauté des pays et des femmes,Beauté des vers, beauté des flammes,Beauté du bien, beauté du mal.

J'ai trop étudié les choses ;Le temps marche d'un pas normal; Des roses, des roses, des roses !

Charles Cros

A ma femme endormie.

Tu dors en croyant que mes versVont encombrer tout l'Univers De désastres et d'incendies ;Elles sont si rares pourtant

Mes chansons au soleil couchantEt mes lointaines mélodies.Mais si je dérange parfois

La sérénité des cieux froids,Si des sons d'acier et de cuivre

Ou d'or, vibrent dans mes chansons,Pardonne ces hautes façons,C'est que je me hâte de vivre.

Et puis tu m'aimeras toujours.Éternelles sont les amours

Dont ma mémoire est le repaire Nos enfants seront de fiers gas

Qui répareront les dégats,Que dans ta vie a fait leur père.

Ils dorment sans rêver à rien,Dans le nuage aérien

Des cheveux sur leurs fines têtes ;Et toi, près d'eux, tu dors aussi,

Ayant oublié le souciDe tout travail, de toutes dettes.

Moi je veille et je fais ces versQui laisseront tout l'univers

Sans désastre et sans incendie ;Et demain, au soleil montant

Tu souriras en écoutantCette tranquille mélodie.

Charles Cros

Page 17: Divers Poèmes

LÉGENDE

Va dire à ma chère Ile, là-bas, tout là-bas,Près de cet obscur marais de Foulc, dans la lande,Que je viendrai vers elle ce soir, qu'elle attende,Qu'au lever de la lune elle entendra mon pas.

Tu la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,Les cheveux dénoués, les yeux clos à demi,Et naïve, tenant une main sur la bouche,Pour ne pas réveiller les oiseaux endormis.

Car les marais sont tout embués de légende,Comme le ciel que l'on découvre dans ses yeux,Quand ils boivent la bonne lune sur la landeOu les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.

Dis-lui que j'ai passé des aubes merveilleusesA guetter les oiseaux qui revenaient du nord,Si près d'elle, étendue à mes pieds et frileuseComme une petite sauvagine qui dort.

Dis-lui que nous voici vers la fin de septembre,Que les hivers sont durs dans ces pays perdus,Que devant la croisée ouverte de ma chambre,De grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.

Annonce-moi comme un prophète, comme un prince,Comme le fils d'un roi d'au-delà de la mer;Dis-lui que les parfums inondent mes provincesEt que les Hauts-Pays ne souffrent pas l'hiver.

Dis-lui que les balcons ici seront fleuris,Qu'elle se baignera dans les étangs sans fièvre,Mais que je voudrais voir dans ses yeux assombrisLe sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,

L'énigme d'un regard de pure transparenceEt qui brille parfois du fascinant éclairDes grands initiés aux jeux de connaissanceEt des couleurs du large, sous les cieux déserts...

Patrice de La Tour du Pin

Page 18: Divers Poèmes

France, mère des arts...

France, mère des arts, des armes et des lois,Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle:Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?France, France, réponds à ma triste querelle :Mais nul, sinon écho, ne réponds à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleineD'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las ! tes autres agneaux n'ont faute de pâture ;Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

(Les Regrets) Joachim du Bellay ( 1525-1560)

Le ramoneur

Une petite chose noire sur la neigeCriant" amoneur, amoneur..." avec des accents plaintifs !"Où sont ton père et ta mère, dis?...- Ils sont tous deux partis jusqu'à l'église pour prier.

Parce que j'étais joyeux sur la landeEt que je souriais dans la neige de l'hiver,Ils m'ont vêtu d'habits de deuil,Ils m'ont appris à chanter en me plaignant.

Et parce que je suis heureux et que je danse et que je chante.Ils pensent qu'ils ne m'ont fait aucun tortEt ils sont partis louer le Seigneur, et son prêtre et son roiQui édifient un paradis de notre misère."

(Chants d'innocence et d'expérience)Traduit de l'anglais par M.-L. et Philippe Soupault, William Blake (1757-1827)

Page 19: Divers Poèmes

IL faut que j'écrive...

Il faut que j'écrive mon dernier voyageJ'avais le pied enfléLa barbe toute brûlée de cheveux gris

Le soleil pâlissait devant mes yeuxAssommés par l'ivressemon cœur était près d'éclater

Tous ceux que j'avais laissé souillonsÉtaient maintenant pleins d'arroganceIls avaient appris à commander.

(Isefra) Traduit du kabyle par Mouloud Mamerri, Si Mohand (1845-1906)

Amour du prochain

Qui a vu le crapaud traverser une rue? c'est un toutpetit homme : une poupée n'est pas plus minuscule. Il setraîne sur les genoux : il a honte, on dirait...? Non ! il estrhumatisant, une jambe reste en arrière, il la ramène ! oùva-t-il ainsi ? il sort de l'égout, pauvre clown. Personnen'a remarqué ce crapaud dans la rue. Jadis, personne neme remarquait dans la rue, maintenant les enfants semoquent de mon étoile jaune. Heureux crapaud ! tu n'aspas d'étoile jaune.

(Derniers Poèmes en vers et en prose) Max Jacob (1876-1944)

-Eh ben, t'as été en prison-Ben oui, Seigneur!-Eh ben, i' t'ont donné trente jours?-Ben oui, Seigneur!-Eh ben, t'as purgé ta peine?-Ben oui, Seigneur!-Eh ben, tu veux bien r'commencer?-Ben oui, Seigneur!-Eh ben, tu t'battras pour la cause?-Ben oui, Seigneur!-Eh ben, tu tiendras tête au juge?-Ben oui, Seigneur...

(Fleuve profond, sombre rivière- Les negro spirituals)Traduit de l'américain par M. Yourcenar.Anonyme écrit entre 1961-1964

Page 20: Divers Poèmes

Le miel sauvage sent la liberté...

Le miel sauvage sent la liberté,La poussière sent le rayon de soleil,La bouche d'une fille - la violette,Et l'or ne sent rien.

Le réséda sent l'eau,L'amour sent la pomme,Mais nous savons maintenantQue seul le sang a l'odeur du sang.

Et c'est en vain que le gouverneur romainSe lavait les mains devant la fouleSous les cris lugubres de la plèbe.Et vain aussi la reine d'Écosse

Frottait ses paumes étroitesPour effacer les gouttes rougesDans la pénombre étouffanteDe la maison royale.

1943 (L'Ombre) Traduit du russe par Jeanne Rude, Anna Akhmatova (1889-1996)

Couplets de la rue Saint-Martin

Je n'aime plus la rue Saint-MartinDepuis qu'André Platard l'a quittée.Je n'aime plus la rue Saint-Martin,Je n'aime plus rien, pas même le vin.

Je n'aime plus la rue Saint-MartinDepuis qu'André Platard l'a quittée.C'est mon ami, c'est mon copain.Nous partagions la chambre et le pain.Je n'aime plus la rue Saint-Martin.

C'est mon ami, c'est mon copain.Il a disparu un matin,Ils l'ont emmené, on ne sait plus rien.On ne l'a plus revu dans la rue Saint-Martin.

Pas la peine d'implorer les saints.Saints Merri, Jacques, Gervais et Martin,Pas même Valérien qui se cache sur la colline.Le temps passe, on ne sait rien.André Platard a quitté la rue Saint-Martin.

1942 ( État de veille) Robert Desnos (1900-1945)

Page 21: Divers Poèmes

Exécution

Creusant ma fosse comme il faut, comme on l'ordonne,Je cherche dans la terre un peu de réconfort.

Je creuse encore, un coup, un vermisseau qui sortD'en dessous, palpitant - le cœur tremble plus fort.

Et ma pelle le coupe -et, merveille, je voisChaque morceau coupé qui devient deux, puis trois,

Encore un coup, en trois, en quatre il se divise.Ai-je vraiment créé de mes mains tant de vies?

Et le soleil revient au plus noir de mon âme,Un espoir raffermit mon bras, trempe ma chair.

Si même un ver refuse de céder à la lameEs-tu donc, homme, moins qu'un ver?

Ghetto de Vilno, 1942(Où gîtent les étoiles)Traduit du yiddish par Charles Dozynski. Avrom Sutzkever (né en 1913)

"Je serais fleuve et rive..."

O fleuve heureux, qui as sur ton rivageDe mon amer la tant douce racine,De ma douleur la seule médecine,Et de ma soif le désiré breuvage!

O roc feutré d'un vert tapis sauvage!O de mes vers la source caballine!O belles fleurs! O liqueur cristalline!Plaisirs de l'oeil qui me tient en servage.

Je ne suis pas sur votre aise envieux,Mais si j'avais pitoyables les Dieux,Puisque le ciel de mon bien vous honore,

Vous sentiriez aussi ma flamme vive,Ou comme vous, je serais fleuve et rive,Roc, source, fleur et ruisselet encore.

Sonnet 77 de "L'Olive" - 1550, Joachim Du Bellay

Page 22: Divers Poèmes

A propos de l'homme

L'homme sait commententre les deux jambesallongées droites de la femmeprintempsétéautomnehiver- la fleur -comment la faire épanouir en chaque saisonl'homme à la façon d'un voyou/voyeurle proclame crûmentà grosse voixpour faire rougir la femme jusqu'au crâne

L'homme souhaitevoir mourir tôt la femme aimée etpour se persuaderque la femme est sa chose à luiun jour d'hiver au beau ciel dégagéarrivant par derrièreil ordonne:"Trépasse en vitesse, hein!"Parce que c'est moi qui vais porter le cercueil sur l'épaule."

L'homme est pressél'abricot vert: "Faisons-le rougir!"le bouton de rose: " Ouvrons-le de force!"quand sa propre paume s'agitela femme mûrie tombe etsûr de soi comme le dieu Jéhovahl'homme a toujours la paumemoite de pommade

Traduit du japonais par Jeanne Sigée.Masako Takiguchi (né en 1918)

Page 23: Divers Poèmes

Dans la salle des interrogatoires

-Ton nom?-Lequel veux-tule premier, le troisième, ou celui qui figuresur mon nouveau passeport?-Ton âge?-Deux morts printanièresune nuit me cachant une autreou bien le jour-Ta première profession?-Jeune chanteur, seltombant sur une blessure-Ta profession actuelle?-Tué en colère, astrologue tuéfeu épuisé du chanteurcharmant assassin-Ton passe-temps?-Mourir entre rire et larmes-Ta dernière volonté?-Que vous sachiez mon nom intégralunique et sans équivoquepeut-être aussique vous me rendiez ma liberté!

(Je t'aime au gré de la mort)Traduit de l'arabe par A. Laabi.Samih Al Qassim (né en 1939)

Ode à Cassandre

Mignonne, allons voir si la roseQui ce matin avait décloseSa robe de pourpre au Soleil,A point perdu cette vespréeLes plis de sa robe pourpréeEt son teint au vôtre pareil.

Las! Voyez comme en peu d'espace,Mignonne, elle a dessus la placeLas! Las! Ses beautés laissé choir!Ô vraiment marâtre Nature,Puisqu'une telle fleur ne dureQue du matin jusques au soir!

Donc, si vous me croyez, mignonne,Tandis que votre âge fleuronneEn sa plus verte nouveauté,Cueillez, cueillez votre jeunesse;Comme à cette fleur la vieillesseFera ternir votre beauté.

"Les Amours" - 1552, Pierre De RonsardNB: ceci, bien sûr, n'est pas un sonnet.

Page 24: Divers Poèmes

"J'écris à l'aventure"

Je ne veux point fouiller au sein de la nature,Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers,Je ne veux point sonder les abîmes couverts,Ni desseigner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,Et si hauts arguments ne recherche à mes vers:Mais suivant de ce lieu les accidents divers,Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure.

Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret:Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,Comme étant de mon coeur les plus surs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les pigner et friser,Et de plus braves noms ne les veux déguiserQue de papiers journaux ou bien de commentaires.

Sonnet 1 - "Les Regrets" - 1558, Joachim Du Bellay

Le poète sans les muses

Las, où est maintenant ce mépris de Fortune?Où est ce coeur vainqueur de toute adversité,Cet honnête désir de l'immortalité,Et cette honnête flamme au peuple non commune?

Où sont ces doux plaisirs, qu'au soir sous la nuit bruneLes Muses me donnaient, alors qu'en libertéDessus le vert tapis d'un rivage écartéJe les menais danser aux rayons de la Lune?

Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,Et mon coeur, qui soulait être maître de soi,Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient.

De la postérité je n'ai plus de souci,Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi,Et les Muses de moi, comme étranges, s'enfuient.

Sonnet 6 - "Les Regrets" - 1558, Joachim Du Bellay

Page 25: Divers Poèmes

"Je me blessai le pied..."

Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point,Et malheureuse soit la flatteuse espérance,Quand pour venir ici j'abandonnai la France:La France, et mon Anjou, dont le désir me point.

Vraiment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,Et mon coeur me donnait assez de signifianceQue le ciel était plein de mauvaise influence,Et que Mars était lors à Saturne conjoint.

Cent fois le bon avis lors m'en voulut distraire,Mais toujours le destin me tirait au contraire:Et si mon désir n'eût aveuglé ma raison,

N'était-ce pas assez pour rompre mon voyage,Quand sur le seuil de l'huis, d'un sinistre présage,Je me blessai le pied sortant de ma maison?

Sonnet 25 - "Les Regrets" - 1558, Joachim Du Bellay

"Heureux qui, comme Ulysse..."

Heureux qui, comme Ulysse, a fait beau voyage,Ou comme cestuy-là qui conduit la toison,Et puis est retourné, plein d'usage et raison,Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit villageFumer la cheminée, et en quelle saisonReverrai-je le clos de ma pauvre maison,Qui m'est une province, et beaucoup davantage?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,Que des palais Romains le front audacieux,Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine:

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

Sonnet 31 - "Les Regrets" - 1558, Joachim Du Bellay

Page 26: Divers Poèmes

"Je n'escris point d'amour..."

Je n'escris point d'amour, n'estant point amoureux,Je n'escris de beauté, n'ayant belle maîtresse,Je n'escris de douceur, n'esprouvant que rudesse,Je n'escris de plaisir, me trouvant douloureux:

Je n'escris de bon heur, me trouvant malheureux,Je n'escris de faveur, ne voyant ma Princesse,Je n'escris de tresors, n'ayant point de richesse,Je n'escris de santé, me sentant langoureux:

Je n'escris de la Court, estant loing de mon Prince,Je n'escris de la France, en estrange province,Je n'escris de l'honneur, n'en voyant point icy:

Je n'escris d'amitié, ne trouvant que feintise,Je n'escris de vertu, n'en trouvant point aussi,Je n'escris de sçavoir, entre les gens d'Eglise.

Sonnet 79 - "Les Regrets" - 1558, Joachim Du Bellay

"Comme on voit sur la branche..."

Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,En sa belle jeunesse, en sa première fleur,Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,Quand l'aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose;

La grace dans sa fueille, et l'amour se repose,Embasmant les jardins et les arbres d'odeur;Mais battue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,Languissante elle meurt, fueille à fueille declose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,Afin que vif ou mort ton corps ne soit que roses.

"Second Livre des Amours" - Sur la mort de Marie, 4 - 1578, Pierre De RonsardOrthographe non modernisée - fueille=pétale

Page 27: Divers Poèmes

"Quand vous serez bien vieille..."

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,Assise auprès du feu, dévidant et filant,Direz chantant mes vers, en vous émerveillant:"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,Déjà sous le labeur à demi sommeillant,Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans osPar les ombres myrteux je prendrai mon repos;Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain:Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

"Sonnets pour Hélène" - II, 24 - 1578, Pierre De Ronsard

"Je n'ay plus que les os..."

Je n'ay plus que les os, un Schelette je semble,Decharné, denervé, demusclé, depoulpé,Que le trait de la mort sans pardon a frappé,Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Apollon et son filz, deux grans maistres ensemble,Ne me sçauroient guérir, leur mestier m'a trompé,Adieu plaisant soleil, mon oeil est estoupé,Mon corps s'en va descendre où tout se desassemble.

Quel amy me voyant en ce point despouilléNe remporte au logis un oeil triste et mouillé,Me consolant au lict et me baisant la face,

En essuiant mes yeux par la mort endormis?Adieu chers compaignons, adieu mes chers amis,Je m'en vay le premier pour preparer la place.

"Derniers Vers" - Sonnet I - 1586 (édition posthume), Pierre De RonsardOrthographe non modernisée

Page 28: Divers Poèmes

Voici une des "Stances à Marquise" - 1658 :

"Marquise, si mon visage..."

Marquise, si mon visageA quelques traits un peu vieux,Souvenez-vous qu'à mon âgeVous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles chosesSe plaît à faire un affront:Il saura faner vos rosesComme il a ridé mon front.

Le même cours des planètesRègle nos jours et nos nuits:On m'a vu ce que vous êtes;Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmesQui sont assez éclatantsPour n'avoir pas trop d'alarmesDe ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore;Mais ceux que vous méprisezPourraient bien durer encoreQuand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloireDes yeux qui me semblent doux,Et dans mille ans faire croireCe qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle,Où j'aurai quelque crédit,Vous ne passerez pour belleQu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle Marquise;Quoiqu'un grison fasse effroi,Il vaut bien qu'on le courtiseQuand il est fait comme moi.

Pierre Corneille

Une gaieté triste

J'ai dit à mon coeur, à mon faible coeur:N'est-ce point assez d'aimer sa maîtresse?Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,C'est perdre en désirs le temps du bonheur?

Il m'a répondu: Ce n'est point assez,Ce n'est point assez d'aimer sa maîtresse;Et ne vois-tu pas que changer sans cesseNous rend doux et chers les plaisirs passés?

J'ai dit à mon coeur, à mon faible coeur:N'est-ce point assez de tant de tristesse?Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,C'est à chaque pas trouver la douleur?

Il m'a répondu: Ce n'est point assez,Ce n'est point assez de tant de tristesse;Et ne vois-tu pas que changer sans cesseNous rend doux et chers les chagrins passés?

"Poésies" - 1830-1840, Alfred De Musset

A Mademoiselle

Oui, femmes, quoi qu'on puisse dire,Vous avez le fatal pouvoirDe nous jeter par un sourireDans l'ivresse ou le désespoir.

Oui, deux mots, le silence même,Un regard distrait ou moqueur,Peuvent donner à qui vous aimeUn coup de poignard dans le coeur.

Oui, votre orgueil doit être immense,Car, grâce à notre lâcheté,Rien n'égale votre puissance,Sinon votre fragilité.

Mais toute puissance sur terreMeurt quand l'abus en est trop grand,Et qui sait souffrir et se taireS'éloigne de vous en pleurant.

Quel que soit le mal qu'il endure,Son triste rôle est le plus beau.J'aime encor mieux notre tortureQue votre métier de bourreau.

"Poésies" - 1830-1840, Alfred De Musset

Page 29: Divers Poèmes

"Beauté, mon beau souci..."

Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaineA, comme l'Océan, son flux et son reflux,Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,Ou je me vais résoudre à ne le souffrir plus.

Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise,Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté;Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise,Il leur faut de l'amour autant que de beauté.

Quand je pense être au point que cela s'accomplisseQuelque excuse toujours en empêche l'effet;C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse,Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.

Madame, avisez-y, vous perdez votre gloireDe me l'avoir promis, et vous rire de moi;S'il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire,Et s'il vous en souvient, vous n'avez point de foi.

J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute,De ne m'en séparer qu'avecque le trépas;S'il arrive autrement, ce sera votre fauteDe faire des serments et ne les tenir pas.

"Oeuvres" - 1630(éd. posthume), François De Malherbe

Page 30: Divers Poèmes

Paraphrase du Psaume CXLV

N'espérons plus , mon âme, aux promesses du monde:Sa lumière est un verre, et sa faveur une ondeQue toujours quelque vent empêche de calmer.Quittons ses vanités, lassons-nous de les suivre; C'est Dieu qui nous fait vivre, C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,Nous passons près des rois tout le temps de nos viesA souffrir des mépris et ployer les genoux:Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes, Véritablement hommes, Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussièreQue cette majesté si pompeuse et si fièreDont l'éclat orgueilleux étonne l'univers;Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines Font encore les vaines, Ils ont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs,Et tombent avec eux d'une chute commune Tous ceux que leur fortune Faisait leurs serviteurs.

"Oeuvres" - 1630(éd. posthume), François De Malherbe

Page 31: Divers Poèmes

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,Je vois se dérouler des rivages heureuxQu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donneDes arbres singuliers et des fruits savoureux ;Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,Je vois un port rempli de voiles et de mâtsEncor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

"Les Fleurs du mal" - 1857, Charles Baudelaire

Tristesses de la lune

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,Qui d'une main distraite et légère caresseAvant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,Et promène ses yeux sur les visions blanchesQui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,Elle laisse filer une larme furtive,Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.

"Les Fleurs du mal" - 1857, Charles Baudelaire

Page 32: Divers Poèmes

La Mort des amants

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,Des divans profonds comme des tombeaux,Et d'étranges fleurs sur des étagères,Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,Qui réfléchiront leurs doubles lumièresDans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,Nous échangerons un éclair unique,Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,Viendra ranimer, fidèle et joyeux,Les miroirs ternis et les flammes mortes.

"Les Fleurs du mal" - 1857, Charles Baudelaire

L'albatros

Souvent pour s'amuser, les hommes d'équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !L'un agace son bec avec un brûle-gueule,L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le poète est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l'archer ;Exilé sur le sol au milieu des huées,Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

"Les Fleurs du mal" - 1857, Charles Baudelaire

Page 33: Divers Poèmes

"Mon âme a plus de feu..."

Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine;Puisque j'ai dans tes mains posé mon front pâli;Puisque j'ai respiré parfois la douce haleineDe ton âme, parfum dans l'ombre enseveli;

Puisqu'il me fut donné de t'entendre me direLes mots où se répand le coeur mystérieux;Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourireTa bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux;

Puisque j'ai vu briller sur ma tête ravieUn rayon de ton astre, hélas! voilé toujours;Puisque j'ai vu tomber dans l'onde de ma vieUne feuille de rose arrachée à tes jours;

Je puis maintenant dire aux rapides années:-Passez! passez toujours! je n'ai plus à vieillir;Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées;J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir!

Votre aile en le heurtant ne fera rien répandreDu vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli.Mon âme a plus de feu que vous n'avez de cendre!Mon coeur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli!

"Les Chants du crépuscule" - 1835, Victor Hugo

"Demain, dès l'aube..."

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombeUn bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

"Les Comtemplations" - 1856, Victor Hugo

Page 34: Divers Poèmes

"Eteindre la beauté..."

Eve offrait au ciel bleu la sainte nudité;Eve blonde admirait l'aube, sa soeur vermeille.

Chair de la femme! argile idéale! ô merveille!Ô pénétration sublime de l'espritDans le limon que l'Etre ineffable pétrit!Matière où l'âme brille à travers son suaire!Boue où l'on voit les doigts du divin statuaire!Fange auguste appelant le baiser et le coeur,Si sainte qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur,Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée,Si cette volupté n'est pas une pensée,Et qu'on ne peut, à l'heure où les sens sont en feu,Eteindre la beauté sans croire embrasser Dieu!

Eve laissait errer ses yeux sur la nature.

Et, sous les verts palmiers à la haute stature,Autour d'Eve, au-dessus de sa tête, l'oeilletSemblait songer, le bleu lotus se recueillait,Le frais myosotis se souvenait; les rosesCherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes;Un souffle fraternel sortait du lys vermeil;Comme si ce doux être eût été leur pareil,Comme si ces fleurs, ayant toutes une âme,La plus belle s'était épanouie en femme.

"La Légende des Siècles" - 1859, Victor Hugo

Page 35: Divers Poèmes

Le Lac

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terreDu rivage charmé frappèrent les échos;Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère Laissa tomber ces mots:

"O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices, Suspendez votre cours!Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours!

"Assez de malheureux ici-bas vous implorent: Coulez, coulez pour eux;Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent; Oubliez les heureux.

"Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit;Je dis à cette nuit: "Sois plus lente"; et l'aurore Va dissiper la nuit.

"Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons!L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons!"

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,S'envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur?

Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus?Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus?

Eternité, néant, passé, sombres abîmes,Que faites-vous des jours que vous engloutissez?Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez?

O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure!Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,Que les parfums légers de ton air embaumé,Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire, Tout dise: "Ils ont aimé!"

"Médiations poétiques" - 1820, Alphonse De Lamartine

Page 36: Divers Poèmes

"Le vierge, le vivace..."

Le vierge, le vivace et le bel aujourd'huiVa-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivreCe lac dur oublié que hante sous le givreLe transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est luiMagnifique mais qui sans espoir se délivrePour n'avoir pas chanté la région où vivreQuand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agoniePar l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,Il s'immobilise au songe froid de méprisQue vêt parmi l'exil inutile le Cygne.

"Poésies" - 1870-1898, Stéphane Mallarmé

"Ses purs ongles très haut..."

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,Maint rêve vespéral brûlé par le PhoénixQue ne recueille pas de cinéraire amphore.

Sur les crédences, au salon vide: nul ptyx,Aboli bibelot d'inanité sonore,(Car le Maître est allé puiser des pleurs au StyxAvec ce seul objet dont le Néant s'honore).

Mais proche la croisée au nord vacante, un orAgonise selon peut-être le décorDes licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encorQue, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixeDe scintillations sitôt le septuor.

"Poésies" - 1870-1898, Stéphane Mallarméonyx = variété d'agate; lampadophore = qui porte des flambeaux; ptyx = tablette ou feuillet pour écrire; nixe = génie ou nymphe des eaux

Page 37: Divers Poèmes

A M.V.H.

Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses,Pour savoir, après tout, ce qu'on aime le mieux,Les bonbons, l'Océan, le jeu, l'azur des cieux,Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses.

Il faut rouler aux pieds des fleurs à peine écloses;Il faut beaucoup pleurer, dire beaucoup d'adieux.Puis le coeur s'aperçoit qu'il est devenu vieux,Et l'effet qui s'en va nous découvre les causes.

De ces biens passagers que l'on goûte à demi,Le meilleur qui nous reste est un ancien ami.On se brouille, on se fuit. Qu'un hasard nous rassemble,

On s'approche, on sourit, la main touche la main,Et nous nous souvenons que nous marchions ensemble,Que l'âme est immortelle, et qu'hier c'est demain.

"Poésies" - 1830-1840, Alfred De Musset

"L'Etoile a pleuré rose..."

L'Etoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles,L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins;La mer a perlé rousse à tes mammes vermeillesEt l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

"Poésies" - 1871, Arthur Rimbaud

Page 38: Divers Poèmes

Le Bateau Ivre

On n'est pas sérieux, quand on dix-sept ans.- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,Des cafés tapageurs aux lustres éclatants!- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière;Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -A des parfums de vigne et des parfums de bière...

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffonD'azur sombre, encadré d'une petite branche,Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fondAvec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin! Dix-sept ans! - On se laisse griser.La sève est du champagne et vous monte à la tête...On divague; on se sent aux lèvres un baiserQui palpite là, comme une petite bête...

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,Passe une demoiselle aux petits airs charmants,Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïfTout en faisant trotter ses petites bottines,Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire!...

- Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants,Vous demandez des bocks ou de la limonade...- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ansEt qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

"Poésies" - 1871, Arthur Rimbaud

Page 39: Divers Poèmes

Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitrailleSifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,Croulent les bataillons en masse dans le feu;

Tandis qu'une folie épouvantable broieEt fait de cent milliers d'hommes un tas fumant;- Pauvres morts! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,Nature! ô toi qui fis ces hommes saintement!... -

- Il est un Dieu, qui rit aux nappes damasséesDes autels, à l'encens, aux grands calices d'or;Qui dans le bercement des hosannah s'endort,

Et se réveille, quand des mères, ramasséesDans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,Lui donne un gros sou lié dans leur mouchoir!

"Poésies" - 1871, Arthur Rimbaud

Le Dormeur du Val

C'est un trou de verdure où chante une rivièreAccrochant follement aux herbes des haillonsD'argent; où le soleil, de la montagne fière,Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme:Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrineTranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

"Poésies" - 1871, Arthur Rimbaud

Page 40: Divers Poèmes

Ma Bohème

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;Mon paletot aussi devenait idéal;J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal;Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma courseDes rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttesDe rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,Comme des lyres, je tirais les élastiquesDe mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

"Poésies" - 1871, Arthur Rimbaud

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes:A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lances des glaciers fiers, rois blancs, frisson d'ombelles;I, pourpres, sang craché, rire des lèvres bellesDans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,Paix des pâtis semés d'animaux, paix des ridesQue l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon pleine des strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges:- O l'Oméga, rayon violet de ses Yeux!

"Poésies" - 1871, Arthur Rimbaud

Page 41: Divers Poèmes

Le Bateau Ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,Je ne me sentis plus guidé par les haleurs:Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour ciblesLes ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.Quand avec mes haleurs ont fini ces tapagesLes Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,Moi, l'autre hiver, plus sourd que des cerveaux d'enfants,Je courus! Et les Péninsules démarréesN'ont subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flotsQu'on appelle rouleurs éternels de victimes,Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots!

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,L'eau verte pénétra ma coque de sapinEt des taches de vins bleus et des vomissuresMe lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le PoèmeDe la Mer, infusé d'astres, et lactescent,Dévorant les azurs verts; où, flottaison blèmeEt ravie, un noyé pensif parfois descend;

Où, teignant tout à coup les bleuités, déliresEt rythmes lents sous les rutilements du jour,Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres.Fermentent les rousseurs amères de l'amour!

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombesEt les ressacs et les courants: je sais le soir,L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir!

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,Illuminant de longs figements violets,Pareils à des acteurs de drames très antiquesLes flots roulant au loin leurs frissons de volets!

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,La circulation des sèves inouïes,Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheriesHystériques, la houle à l'assaut des récifs,Sans songer que les pieds lumineux des MariesPussent forcer le mufle aux Océans poussifs!

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables FloridesMêlant aux fleurs des yeux de panthères à peauxD'hommes! Des arcs-en-ciel tendus comme des bridesSous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux!

J'ai vu fermenter les marais énormes, nassesOù pourrit dans les joncs tout un Léviathan!

Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,Et les lointains vers les gouffres cataractant!

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!Echouages hideux au fond des golfes brunsOù les serpents géants dévorés des punaisesChoient, des arbres tordus, avec de noirs parfums!

J'aurais voulu montrer aux enfants ces doradesDu flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.- Des écumes de fleurs ont bercé mes déradesEt d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,La mer dont le sanglot faisait mon roulis douxMontait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunesEt je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballotant sur mes bords les querellesEt les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.Et je voguais, losqu'à travers mes liens frêlesDes noyés descendaient dormir, à reculons!

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,Moi dont les Monitors et les voiliers des HansesN'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un murQui porte, confiture exquise aux bons poètes,Des lichens de soleil et des morves d'azur,

Qui courais, taché de lunules électriques,PLanche folle, escorté des hippocampes noirs,Quand les juillets faisaient crouler à coups de triquesLes cieux ultramarins aux ardents entonnoirs;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieuesLe rut des Béhémots et les Maelstroms épais,Fileur éternel des immobilités bleues,Je regrette l'Europe aux anciens parapets!

J'ai vu des archipels sidéraux! et des îlesDont les cieux délirants sont ouverts au vogueur:- Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur? -

Mais, vrai, j'ai trop pleuré! Les Aubes sont navrantes.Toute lune est atroce et tout soleil amer:L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.O que ma quille éclate! O que j'aille à la mer!

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flacheNoire et froide où vers le crépuscule embauméUn enfant accroupi plein de tristesses, lâcheUn bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Arthur Rimbaud

Page 42: Divers Poèmes

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrantD'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la mêmeNi tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparentPour elle seule, hélas! cesse d'être un problèmePour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? - Je l'ignore.Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonoreComme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle aL'inflexion des voix chères qui se sont tues.

"Poèmes saturniens" - 1866, Paul Verlaine

Chanson d'automne

Les sanglots longsDes violonsDe l'automneBlessent mon coeurD'une langueurMonotone.

Tout suffocantEt blême, quandSonne l'heure,Je me souviensDes jours anciensEt je pleure;

Et je m'en vaisAu vent mauvaisQui m'emporteDeçà, delà,Pareil à laFeuille morte.

"Poèmes saturniens" - 1866, Paul Verlaine

Le dormeur du valC'est un trou de verdure où chante une rivière,Accrochant follement aux herbes des haillonsD'argent ; où le soleil, de la montagne fière,Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme :Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD   (1854-1891)

Page 43: Divers Poèmes

Clair de lune

Votre âme est un paysage choisiQue vont charmant masques et bergamasques,Jouant du luth, et dansant, et quasiTristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineurL'amour vainqueur et la vie opportune,Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheurEt leur chanson se mêle au clair de lune.

Au calme clair de lune triste et beau,Qui fait rêver les oiseaux dans les arbresEt sangloter d'extase les jets d'eau,Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

"Fêtes galantes" - 1869, Paul Verlaine

Green

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branchesEt puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanchesEt qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.

J'arrive tout couvert encore de roséeQue le vent du matin vient glacer à mon front.Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposéeRêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma têteToute sonore encor de vos derniers baisers;Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête,Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

"Romances sans paroles" - 1874, Paul Verlaine

Page 44: Divers Poèmes

La Chanson Du Mal-Aimé

Le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienneLa joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passeDes éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau couranteL'amour s'en va Comme la vie est lenteEt comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennentSous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

"Alcools" - 1913, Guillaume Apollinaire

Page 45: Divers Poèmes

Marie

Vous y dansiez petite fille Y danserez-vous mère-grandC'est la maclotte qui sautilleToute les cloches sonnerontQuand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieuxEt la musique est si lointaineQu'elle semble venir des cieuxOui je veux vous aimer mais vous aimer à peineEt mon mal est délicieux

Les brebis s'en vont dans la neigeFlocons de laine et ceux d'argentDes soldats passent et que n'ai-jeUn coeur à moi ce coeur changeantChangeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s'en iront tes cheveuxCrépus comme mer qui moutonneSais-je où s'en iront tes cheveuxEt tes mains feuilles de l'automneQue jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la SeineUn livre ancien sous le brasLe fleuve est pareil à ma peineIl s'écoule et ne tarit pasQuand donc finira la semaine

"Alcools" - 1913, Guillaume Apollinaire

Page 46: Divers Poèmes

Nuit rhénane

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flammeÉcoutez la chanson lente d'un batelierQui raconte avoir vu sous la lune sept femmesTordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une rondeQue je n'entende plus le chant du batelierEt mettez près de moi toutes les filles blondesAu regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirentTout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléterLa voix chante toujours à en râle-mourirCes fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

"Alcools" - 1913, Guillaume Apollinaire

Mai

Le mai le joli mai en barque sur le RhinDes dames regardaient du haut de la montagneVous êtes si jolies mais la barque s'éloigneQui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrièreLes pétales tombés des cerisiers de maiSont les ongles de celle que j'ai tant aiméeLes pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentementUn ours un singe un chien menés par des tziganesSuivaient une roulotte traînée par un âneTandis que s'éloignait dans les vignes rhénanesSur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruinesDe lierre de vigne vierge et de rosiersLe vent du Rhin secoue sur le bord les osiersEt les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

"Alcools" - 1913, Guillaume Apollinaire

Page 47: Divers Poèmes

LES PARFUMS DE SA VIE

C'est vrai que dans ses draps fourbusJusqu'aux aurores, à l'inconnuElle a roulé à demi-nueSon corps de bras en bras tendusC'est vrai qu'au vent de ses cheveuxA ses parfums de safran bleuElle a brûlé à petit feuSa liberté, manière de jeuElle a dans son regardUn reste d'étendardL'ombre d'un corbillardQue poussent des pillards

Moi je l'ai tant aiméeTant aimée, tant aiméeQue mon corps est pétriDes parfums de sa vieMoi je l'ai adoréeAdoréeQue mon corps est pétriDes parfums de sa vie

C'est vrai qu'au bord de ses écartsSes yeux froissés sont en retardQuand sonne l'heure de leur départOu d'un sourire ou d'un regardElle a le corps ouvert aux rives des adultèresA la caresse amère des amours passagères

Moi je l'ai tant aiméeTant aimée, tant aiméeQue mon corps est pétriDes parfums de sa vieMoi je l'ai adoréeAdoréeQue mon corps est pétriDes parfums de sa vie

C'est vrai qu'elle a donné souventDes nuits, des rêves éblouissants...

Moi je l'ai tant aiméeTant aimée, tant aimée...

Patrice Guirao

L'ANGE DECHU

Je jette une orangeVers l'astre mortQuand s'éveille l'angeDans mon pauvre corpsJ'arrache les pierresAux murs épaisDu tombeau de terreOù tu m'as jeté

Je monte à grand peinePar les cheminsQue prennent les reinesLes assassinsDans cet univers de cendresOù aimer n'existe pasParfois je prie mon angeEh ne m'oublie pas

Chaque jour les nostalgiesNous rongentSans amour nous dérivonsPrivés de tout retour

Je crains tant le souffleDu temps sur moiJ'ai connu sa boucheDans l'au-delàFais de mon âme une brancheDe mon corps un talusMais Dieu apaise l'angeL'ange déchu.

Jean-Louis Murat

Page 48: Divers Poèmes

Le visage entre les visages

Je n'ai de toi que ton visageQui jamais ne fut tout à moi.Ton sourire qui se Partage,L'accent trop égal de ta voix.

Je n'ai de toi que ta figureDont tu donnes à tous les regards,Et ces mots dont je suis bien sûreDe n'avoir qu'à moitié ma part.

Mais ce visage dont j'ignoreLes plus troublantes expressions,Malgré toi j'en possède encoreD'insaisissables abandons.

Maria Bugenia Celso ( brésil )

Nous tisserons la fleur ombilicale

Nous tisserons la fleur ombilicaleContre les jours de sangNous tisserons le soleil nuFace à la terre nueEt nous ferons l'amourAvec l'écriture du ventSur nos corps plurielsEt nous ferons l'amourAvec l'écriture du feuSur nos lèvres gercéesAvec les cicatrices du tempsL'eau les phrases immortellesLa parole seule gravée de soleil

Poeme de Paul Dakeyo (Cameroun )

Page 49: Divers Poèmes

J'aurais voulu être avec toi

J'aurais voulu être avec toi quand tu étais dans la penséede Dieu,Quand ta mère t'a conçu et nourri de sa vie,J'aurais voulu être avec toi la première fois que tu as diviséles formes, les couleurs et les sons,A ta première larme, à ta première joie, j'aurais vouluêtre avec toi,Avec toi dans ton enfance, dans ton adolescence, suivantde près les changements de ton physique.Dans ta première pudeur, comme dans ta première caresse,Je voudrais être avec toi à l'instant du départ de ton âme,De la décomposition de ta chaire de ton cerveau, de tabouche et de ton sexe,Afin que je puisse continuer avec toi dans le Monde sansEspace et sans Temps.

poeme d'adalgisa nery (brésil)

La mer tranquille

La mer tranquille la mer houleuse au vent calés'en va lointaine comme un immense tapis de nacrebordant le ciel à I'horizon là-bas tout là-bas

Un jour le jour naîtraqui verra le jour dans I'aurore enchanteresse de sescuisses

Je suis l'arme avant qui fend le brouillard matinalafin que perce le soleil

La nuit a été longueElle me colle encore à la paupièrebrûlante comme les mille feux de I'amourLa nuit a été habileElle me reste accrochée au sein droit

poeme de pierre makombo bambote ( Republique centre africaine )

Page 50: Divers Poèmes

Guerre

Il y a tant de sang que les fleuvesse détournent de leur rythme,l'océan délireet repousse son écume rouge.

Il y a tant de sangque la lune elle-même se lève, effroyable,errant en des endroits tranquilles,somnambule aux halos rouges,le feu de l'enfer dans ses cheveux.

ll y a tant de mortsque les visages eux-mêmes, côte à côte, ne se reconnaissent paset les morceaux des corps sont là comme des épaves sansemploi.

II y a tant de mortsque les âmes seules formeraient des colonnes,les dégagées... et atteindraient les étoiles.

poeme de cecilia meireles

POURQUOI?

Pourquoi m'avez-vous fait une telle cervelleOuverte à tous les vents qui tourmentent l'esprit?Où la science et l'art sont une citadelleQu'une étoile illumine et qu'une ombre envahit ?Pourquoi m'est-elle un monde, une obscure planèteOù se cache la Muse au démon créateur ?Alors que, dans mon crâne, un cerveau de fauvetteEût été plus léger et plus apte au bonheur. Et pour quelle raison m'avoir donné cette âmeDont je ne puis sonder l'étrange profondeur?Où je sens un enfer de désir et de flammeCôtoyer tout un ciel de paix et de candeur?Une âme que torture un rêve d'épopée,Au chant mystérieux, au souffle d'idéal ?Alors, qu'en ma poitrine une âme de poupéeEût été moins complexe et m'eût fait moins mal. Cécile Chabot

Page 51: Divers Poèmes

Elévations

Au-dessus- des étangs, au-dessus des vallées,Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,Par-delà le soleil, par-delà les éthers,Par-delà les confins des sphères étoilées,Mon esprit, tu te meus avec agilité,Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,Tu sillonnes gaiement l'immensité profondeAvec une indicible et mâle volupté.Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides :Va te purifier dans l'air supérieur,Et bois, comme une pure et divine liqueur,Le feu clair qui remplit les espaces limpides.Derrière les ennuis et les vastes chagrinsQui chargent de leur poids l'existence brumeuse,Heureux celui peut d'une aile vigoureuseS'élancer vers les champs lumineux et sereins;Celui dont les pensers, comme des alouettes,Vers les cieux le matin prennent un libre essor,Qui plane sur la vie, et comprend sans effortLe langage des fleurs et des choses muettes !

Charles Baudelaire

Ne me quitte pas

Il faut oublierTout peut s'oublierQui s'enfuit déjàOublier le tempsDes malentendusEt le temps perduA savoir commentOublier ces heuresQui tuaient parfoisA coups de pourquoiLe cœur du bonheurRefrainNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Moi je t'offriraiDes perles de pluie

Page 52: Divers Poèmes

Venues de paysOù il ne pleut pasJe creuserai la terreJusqu'après ma mortPour couvrir ton corpsD'or et de lumièreJe ferai un domaineOù l'amour sera roiOù l'amour sera loiOù tu seras reine

RefrainNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Ne me quitte pasJe t'inventeraiDes mots insensésQue tu comprendrasJe te parleraiDe ces amants-làQui ont vu deux foisLeurs cœurs s'embraserJe te raconteraiL'histoire de ce roiMort de n'avoir pasPu te rencontrerRefrainNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

On a vu souventRejaillir le feuDe l'ancien volcanQu'on croyait trop vieuxIl est paraît-ilDes terres brûléesDonnant plus de bléQu'un meilleur avrilEt quand vient le soirPour qu'un ciel flamboie

Page 53: Divers Poèmes

Le rouge et le noirNe s'épousent-ils pas

RefrainNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Ne me quitte pasJe ne vais plus pleurerJe ne vais plus parlerJe me cacherai làA te regarderDanser et sourireEt à t'écouterChanter et puis rireLaisse-moi devenirL'ombre de ton ombreL'ombre de ta mainL'ombre de ton chien

RefrainNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pasNe me quitte pas

Jacques Brel

Quand on a que l'amour Quand on a que l'amourA s'offrir en partageAu jour du grand voyageQu'est notre grand amour

Quand on a que l'amourMon amour toi et moiPour qu'éclatent de joieChaque heure et chaque jour

Quand on a que l'amourPour vivre nos promessesSans nulle autre richesseQue d'y croire toujours

Page 54: Divers Poèmes

Quand on a que l'amourPour meubler de merveillesEt couvrir de soleilLa laideur des faubourgs

Quand on a que l'amourPour unique raisonPour unique chansonEt unique secours

Quand on a que l'amourPour habiller matinPauvres et malandrinsDe manteaux de velours

Quand on a que l'amourA offrir en prièrePour les maux de la terreEn simple troubadour

Quand on n'a que l'amourA offrir à ceux-làDont l'unique combatEst de chercher le jour

Quand on a que l'amourPour tracer un cheminEt forcer le destinA chaque carrefour

Quand on a que l'amourPour parler aux canonsEt rien qu'une chansonPour convaincre un tambour

Alors sans avoir rienQue la force d'aimerNous aurons dans nos mains,Amis le monde entier

Jacques Brel

L'oiseau et L'enfant

Page 55: Divers Poèmes

RefrainComme un enfant aux yeux de lumièreQui voit passer au loin les oiseauxComme l'oiseau bleu survolant la terreVois comme le monde, le monde est beau

Beau le bateau, dansant sur les vaguesIvre de vie, d'amour et de ventBelle la chanson naissante des vaguesAbandonnée au sable blanc

Blanc l'innocent, le sang du poèteQui en chantant, invente l'amourPour que la vie s'habille de fêteEt que la nuit se change en jour

Jour d'une vie où l'aube se lèvePour réveiller la ville aux yeux lourdsOù les matins effeuillent les rêvesPour nous donner un monde d'amour

L'amour c'est toi, l'amour c'est moiL'oiseau c'est toi, l'enfant c'est moi

Moi je ne suis qu'une fille de l'ombreQui voit briller l'étoile du soirToi mon étoile qui tisse ma rondeViens allumer mon soleil noir

Noire la misère, les hommes et la guerreQui croient tenir les rênes du tempsPays d'amour n'a pas de frontièrePour ceux qui ont un cœur d'enfant

RefrainComme un enfant aux yeux de lumièreQui voit passer au loin les oiseauxComme l'oiseau bleu survolant la terreNous trouverons ce monde d'amourL'amour c'est toi,l'amour c'est moi L'oiseau c'est toi, l'enfant c'est moiL'oiseau c'est toi, l'enfant c'est moi

Marie Myriam

Page 56: Divers Poèmes

Je suis venu te dire que je m'en vais

Je suis venu te dir'que je m'en vaiset tes larmes n'y pourront rien changercomm'dit si bien Verlaine "au vent mauvais"je suis venu te dir'que je m'en vaistu t'souviens des jours anciens et tu pleurestu suffoques, tu blémis à présent qu'a sonné l'heuredes adieux à jamaisoui je suis au regretd'te dir'que je m'en vaisoui je t'aimais, oui, mais- je suis venu te dir'que je m'en vaistes sanglots longs n'y pourront rien changercomm'dit si bien Verlaine "au vent mauvais"je suis venu d'te dir'que je m'en vaistu t'souviens des jours heureux et tu pleurestu sanglotes, tu gémis à présent qu'a sonné l'heuredes adieux à jamaisoui je suis au regretd'te dir'que je m'en vaiscar tu m'en as trop fait- je suis venu te dir'que je m'en vaiset tes larmes n'y pourront rien changercomm'dit si bien Verlaine "au vent mauvais"tu t'souviens des jours anciens et tu pleurestu suffoques, tu blémis à présent qu'a sonné l'heuredes adieux à jamaisoui je suis au regretd'te dir'que je m'en vaisoui je t'aimais, oui, mais- je suis venu te dir'que je m'en vaistes sanglots longs n'y pourront rien changercomm'dit si bien Verlaine "au vent mauvais"je suis venu d'te dir'que je m'en vaistu t'souviens des jours heureux et tu pleurestu sanglotes, tu gémis à présent qu'a sonné l'heuredes adieux à jamaisoui je suis au regretd'te dir'que je m'en vaiscar tu m'en as trop fait

Serge Gainsbourg

Aux armes et caetera

Allons enfants de la patrieLe jour de gloire est arrivé

Page 57: Divers Poèmes

Contre nous de la tyrannieL'étendard sanglant est levé

Aux armes et caetera

Entendez-vous dans les campagnesMugir ces féroces soldats ?Ils viennent jusque dans nos brasEgorger nos fils, nos compagnes

Aux armes et caetera

Amour sacré de la patrieConduis, soutiens nos bras vengeursLiberté liberté chérieCombats avec tes défenseurs

Aux armes et caetera

Nous entrerons dans la carrièreQuand nos aînés n'y seront plusNous y trouverons leur poussièreEt la trace de leurs vertus

Aux armes et caetera

Serge Gainsbourg

La chanson de Prévert

Oh je voudrais tant que tu te souviennesCette chanson était la tienneC'était ta préféréeJe croisQu'elle est de Prévert et Kosma

Et chaque fois les feuilles mortesTe rappellent à mon souvenirJour après jourLes amours mortesN'en finissent pas de mourir

Avec d'autres bien sûr je m'abandonneMais leur chanson est monotoneEt peu à peu je m' indiffèreA cela il n'est rien

Page 58: Divers Poèmes

A faire

Car chaque fois les feuilles mortesTe rappellent à mon souvenirJour après jourLes amours mortesN'en finissent pas de mourir

Peut-on jamais savoir par où commenceEt quand finit l'indifférencePasse l'automne vienneL'hiverEt que la chanson de Prévert

Cette chansonLes Feuilles MortesS'efface de mon souvenirEt ce jour làMes amours mortesEn auront fini de mourir

Serge Gainsbourg

Des armes

Des armes, des chouettes, des brillantesDes qu'il faut nettoyer souvent pour le plaisirEt qu'il faut caresser comme pour le plaisirL'autre, celui qui fait rêver les communiantes

Des armes bleues comme la terreDes qu'il faut se garder au chaud au fond de l'âmeDans les yeux, dans le cœur, dans les bras d'une femmeQu'on garde au fond de soi comme on garde un mystère

Des armes, au secret des joursSous l'herbe, dans le ciel et puis dans l'écritureDes qui vous font rêver très tard dans les lecturesEt qui mettent la poésie dans les discours

Des armes, des armes, des armesEt des poètes de service à la gâchettePour mettre le feu aux dernières cigarettesAu bout d'un vers français brillant comme une larme

Page 59: Divers Poèmes

Noir Désir

Petite reine

Un toréador dans l'arèneC'est ça l'amour, petite reineUn taureau dans le ventreEt le sourire aux lèvresDes paillettes et du sangJoli rêve

Un toréador dans l'arèneViens je t'emmène, petite reineSous les hourras et les crachats de la fouleLoin d'ici en des pays extrêmes

La vie, c'est bien courtQuand on court après l'amourAi-je assez serréLe bonheur contre mon cœurT'ai-je assez serrée dans mes bras ?

La mort, c'est bizarre, Vous prend par hasardL'orchestre s'est tuL'arène est déçueJe suis heureuxPerdu dans tes yeux

Arthur H

En cloque

Elle a mis sur l' murAu dessus du berceauUne photo d'ArthurRimbaudAvec ses cheveux en brosseElle trouve qu'il est beauDans la chambre du gosseBravoDéjà les p'tits angesSur le papier peintJ' trouvais ça étrange

Page 60: Divers Poèmes

J' dis rienElle me font marrerSes idées loufoquesDepuis qu'elle estEn cloque

Elle s' réveille la nuitVeut bouffer des fraisesElle a des enviesBalaisesMoi, j' suis aux p'tits soinsJ' me défonces en huitPour qu'elle manque de rienMa p'titeC'est comme si j' pissaisDans un violoncelleComme si j'existaisPlus pour elleJe m' retrouve plantéTout seul dans mon frocDepuis qu'elle estEn cloque

Le soir elle tricoteEn buvant d' la verveineMoi j' démêle ses pelotesDe laineElle use les miroirsA s' regarder dedansA s' trouver bizarreTout le tempsJ' lui dit qu'elle est belleComme un fruit trop mûrElle croit qu' je m' fous d'elleC'est sûrFaut bien dire s' qu'y estMoi aussi j' débloqueDepuis qu'elle estEn cloque

Faut qu' j' retire mes grollesQuand j' rentre dans la chambreDu p'tit rossignolQu'elle couveC'est qu' son p'tit bonhommeQu'arrive en Décembre

Page 61: Divers Poèmes

Elle le protège commeUne louveMême le chat pépèreElle en dit du malSous prétexte qu'il perdSes poilsElle veut plus l' voir traînerAutour du paddockDepuis qu'elle estEn cloque

Quand j' promène mes mainsD' l'autre côté d' son dosJ' sens comme des coups de poingsÇa bougeJ' lui dis "t'es un jardin""Une fleur, un ruisseau"Alors elle devientToute rougeParfois c' qu'y m' désoleC' qu'y fait du chagrinQuand j' regarde son ventrePuis l' mienC'est qu' même si j' devenaisPédé comme un phoqueMoi j' serai jamaisEn cloque

Renaud

Morgane de toi

Y a un mariolle, il a au moins quatre ansY veut t' piquer ta pelle et ton seauTa couche culotte avec tes bonbecs dedansLolita, défend-toi, fous-y un coup d' râteau dans l' dosAttend un peu avant de t' faire emmerderPar ces p'tits machos qui pensent qu'à une choseJouer au docteur non conventionnéJ'y ai joué aussi, je sais de quoi j' causeJ' les connais bien les play-boys des bacs à sableJ' draguais leurs mères avant d' connaître la tienneSi tu les écoutes y t' feront porter leurs cartables'Reusement qu' j' suis là, que j' te regarde et que j' t'aime

Page 62: Divers Poèmes

{Refrain:}LolaJ' suis qu'un fantôme quand tu vas où j' suis pasTu sais ma mômeQue j' suis morgane de toi

Comme j'en ai marre de m' faire tatouer des machinsQui m' font comme une bande dessinée sur la peauJ'ai écrit ton nom avec des clous dorésUn par un, plantés dans le cuir de mon blouson dans l' dosT'es la seule gonzesse que j' peux tenir dans mes brasSans m' démettre une épaule, sans plier sous ton poidsTu pèses moins lourd qu'un moineau qui mange pasDéploie jamais tes ailes, Lolita t'envole pasAvec tes miches de rat qu'on dirait des noisettesEt ta peau plus sucrée qu'un pain au chocolatTu risques de donner faim a un tas de p'tits mecsQuand t'iras à l'école, si jamais t'y vas

{Refrain}

Qu'est-ce qu' tu m' racontes tu veux un p'tit franginTu veux qu' j' t'achète un ami PierrotEh les bébés ça s' trouve pas dans les magasinsPuis j' crois pas que ta mère voudra qu' j' lui fasse un p'tit dans l' dosBen quoi Lola on est pas bien ensembleTu crois pas qu'on est déjà bien assez nombreuxT'entends pas c' bruit, c'est le monde qui trembleSous les cris des enfants qui sont malheureuxAllez viens avec moi, j' t'embarque dans ma galèreDans mon arche y a d' la place pour tous les marmotsAvant qu' ce monde devienne un grand cimetièreFaut profiter un peu du vent qu'on a dans l' dos

{Refrain}Renaud

Mistral gagnant

A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toiEt regarder les gens tant qu'y en aTe parler du bon temps qu'est mort ou qui r'viendraEn serrant dans ma main tes p'tits doigtsPis donner à bouffer à des pigeons idiots

Page 63: Divers Poèmes

Leur filer des coups d' pieds pour de fauxEt entendre ton rire qui lézarde les mursQui sait surtout guérir mes blessuresTe raconter un peu comment j'étais minoLes bonbecs fabuleux qu'on piquait chez l' marchandCar-en-sac et Minto, caramel à un francEt les mistrals gagnants

A r'marcher sous la pluie cinq minutes avec toiEt regarder la vie tant qu'y en aTe raconter la Terre en te bouffant des yeuxTe parler de ta mère un p'tit peuEt sauter dans les flaques pour la faire râlerBousiller nos godasses et s' marrerEt entendre ton rire comme on entend la merS'arrêter, r'partir en arrièreTe raconter surtout les carambars d'antan et les cocos bohèresEt les vrais roudoudous qui nous coupaient les lèvresEt nous niquaient les dentsEt les mistrals gagnants

A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toiEt regarder le soleil qui s'en vaTe parler du bon temps qu'est mort et je m'en fouTe dire que les méchants c'est pas nousQue si moi je suis barge, ce n'est que de tes yeuxCar ils ont l'avantage d'être deuxEt entendre ton rire s'envoler aussi hautQue s'envolent les cris des oiseauxTe raconter enfin qu'il faut aimer la vieEt l'aimer même si le temps est assassinEt emporte avec lui les rires des enfantsEt les mistrals gagnantsEt les mistrals gagnants

Renaud

Le déserteur

Monsieur le PrésidentJe vous fais une lettreQue vous lirez peut-êtreSi vous avez le tempsJe viens de recevoirMes papiers militairesPour partir à la guerre

Page 64: Divers Poèmes

Avant mercredi soirMonsieur le PrésidentJe ne veux pas la faireJe ne suis pas sur terrePour tuer des pauvres gensC'est pas pour vous fâcherIl faut que je vous diseMa décision est priseJe m'en vais déserter

Depuis que je suis néJ'ai vu mourir mon pèreJ'ai vu partir mes frèresEt pleurer mes enfantsMa mère a tant souffertElle est dedans sa tombeEt se moque des bombesEt se moque des versQuand j'étais prisonnierOn m'a volé ma femmeOn m'a volé mon âmeEt tout mon cher passéDemain de bon matinJe fermerai ma porteAu nez des années mortesJ'irai sur les chemins

Je mendierai ma vieSur les routes de FranceDe Bretagne en ProvenceEt je dirai aux gens:Refusez d'obéirRefusez de la faireN'allez pas à la guerreRefusez de partirS'il faut donner son sangAllez donner le vôtreVous êtes bon apôtreMonsieur le PrésidentSi vous me poursuivezPrévenez vos gendarmesQue je n'aurai pas d'armesEt qu'ils pourront tirer

Boris Vian

Page 65: Divers Poèmes

Nota: La version initiale des 2 derniers vers était: "que je tiendrai une arme , et que je sais tirer ..."Boris Vian a accepté la modification de son ami Mouloudji pour conserver le côté pacifiste de la chanson !

LES FEUILLES MORTES

Oh! je voudrais tant que tu te souviennesDes jours heureux où nous étions amisEn ce temps-là la vie était plus belle,Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'huiLes feuilles mortes se ramassent à la pelleTu vois, je n'ai pas oublié...Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,Les souvenirs et les regrets aussiEt le vent du nord les emporteDans la nuit froide de l'oubli.Tu vois, je n'ai pas oubliéLa chanson que tu me chantais.

  C'est une chanson qui nous ressemble  Toi, tu m'aimais et je t'aimais  Et nous vivions tous deux ensemble  Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais  Mais la vie sépare ceux qui s'aiment  Tout doucement, sans faire de bruit  Et la mer efface sur le sable  Les pas des amants désunis.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,Les souvenirs et les regrets aussiMais mon amour silencieux et fidèleSourit toujours et remercie la vieJe t'aimais tant, tu étais si jolie,Comment veux-tu que je t'oublie?En ce temps-là, la vie était plus belleEt le soleil plus brûlant qu'aujourd'huiTu étais ma plus douce amieMais je n'ai que faire des regretsEt la chanson que tu chantaisToujours, toujours je l'entendrai!

  C'est une chanson qui nous ressemble  Toi, tu m'aimais et je t'aimais

Page 66: Divers Poèmes

  Et nous vivions tous deux ensemble  Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais  Mais la vie sépare ceux qui s'aiment  Tout doucement, sans faire de bruit  Et la mer efface sur le sable  Les pas des amants désunis.

Jacques Prévert

Chanson pour les enfants l’hiver

Dans la nuit de l’hiver galope un grand homme blanc.C’est un bonhomme de neige avec une pipe en bois, un grand bonhomme de neige poursuivi par le froid.

Il arrive au village. Voyant de la lumière, le voilà rassuré.Dans une petite maison, il entre sans frapper et pour se réchauffer s’assoit sur le poêle rouge et d’un coup disparaît, ne laissant que sa pipe au milieu d’une flaque d’eau, ne laissant que sa pipe et puis son vieux chapeau...

Jacques Prévert

JE SUIS COMME JE SUIS

Je suis comme je suisJe suis faite comme çaQuand j'ai envie de rireOui je ris aux éclatsJ'aime celui qui m'aimeEst-ce ma faute à moiSi ce n'est pas le mêmeQue j'aime chaque foisJe suis comme je suisJe suis faite comme çaQue voulez-vous de plusQue voulez-vous de moi

Je suis faite pour plaireEt n'y puis rien changer

Page 67: Divers Poèmes

Mes talons sont trop hautsMa taille trop cambrée Mes seins beaucoup trop dursEt mes yeux trop cernésEt puis aprèsQu'est-ce que ça peut vous faireJe suis comme je suisJe plais à qui je plaisQu'est-ce que ça peut vous faireCe qui m'est arrivéOui j'ai aimé quelqu'unOui quelqu'un m'a aiméeComme les enfants qui s'aimentSimplement savent aimerAimer aimer...Pourquoi me questionnerJe suis là pour vous plaireEt n'y puis rien changer. Jacques Prévert

VIENS JE TE HAIS

Pour ta nuque endormie, pour tes pleins, tes déliésPour ce que je t'ai pris, pour ce que j'ai donnéPour des lanternes attardéesPour tes pavés que j'ai usésViens, je te hais

Pour l'ombre de tes cils, pour tes mèches alourdiesPour mes rêves inutiles, pour ta bouche étourdiePour tes embruns, pour une aurorePour tes palais de sel et d'or

Tout oublier pour s'en allerTout reconstruire ou s'enliserViens, je te hais

Tout oublier pour s'en allerTout reconstruire ou s'enliserViens, je te haisTout oublierViens, je te hais

Pour tes bas en résillePour tes talons aiguilleViens, je te hais

Page 68: Divers Poèmes

Pour tes moiteurs cachéesPour ta voix caresséeViens, je te hais

Et je parle aux caillouxDes griffures de la merLes pieds sur les falaisesUn nuage autour du couEt je parle aux noyésJe leur parle de nousMais je sais que je mensQue tout ça c'est du ventQu'il n'y a que de l'eauSous les culs des bateauxOù ricoche mon château

Patrice Guirao

OU TROUVER LES VIOLONS

A provoquer le temps, à bâtir des galèresA déchirer le vent, à retenir la merComment courir, vers le vent du grand large

A nouer son mouchoir pour penser à aimerLe dénouer le soir pour ne pas s'oublierComment courir, vers le vent du grand large

Où trouver les violons perdus le long des plagesEt l'éclat des chansons, décrocher des nuages

A briser les miroirs au galop de l'étéA jeter sur le soir des galets fatiguésComment coucher, sur le lit des rivières

Comment redevenir le flambeau des bataillesA l'horieon des désirs, des barrières de corailComment courir, vers le vent du grand large

Où trouver les violons perdus le long des plagesEt l'éclat des chansons, décrocher des nuages

Comment courir encore vers le vent du grand largeFouler le long des plages les jardins de l'auroreEt quand revient le soir renouer son mouchoir

Page 69: Divers Poèmes

Et pour ne plus se voir éclater les miroirs

Où trouver les violons perdus le long des plagesEt l'éclat des chansons, décrocher des nuages

Comment courir encore vers le vent du grand largeCouler le long des plages les jardins de l'auroreEt quand revient le soir renouer son mouchoirEt pour ne plus se voir éclater les miroirsComment...

Patrice Guirao

COTE COUR

C'est une blessure qui va mentirDu bout des lèvres qui va grandirC'est cet amant qui ne t'aime plusLe coeur serré d'un chien perdu

Un mot d'adieu comme un couteauL'ouragan d'un coeur en lambeauxC'est sur le fil du désespoirL'éclat cassé de ton miroir

Se trouver seul un jour le rideau côté courSe trouver sans amourEt crier au secoursEt crier au secours

C'est sur un banc l'enfant qui pleureC'est ce vieil homme devant sa peurC'est quand revient un soir l'envieDe cet amour qu'on a maudit

C'est sur les vagues de l'océanLe vol inquiet du goêlandDe voir partir tout loin devantUn corps blessé, un quai sanglant

Page 70: Divers Poèmes

Se trouver seul un jour le rideau côté courSe trouver sans amourEt crier au secoursEt crier au secours

Je veux enchaîner ma mémoireTout seul au mât de mon radeauJe veux enchaîner ma mémoireTout seul aux pierres de mon tombeau

Se trouver seul un jour le rideau côté courMe trouver sans amourEt crier au secours...

Patrice Guirao

LE TROUPEAU

D'avoir mené les chevauxD'avoir traversé les glacesPour me bâtir mon troupeauN'apaise pas mon angoisse

Pourtant le soleil est hautDans l'azur pas de menacesJe rêve parmi les chevauxD'horizon mauve et d'espace

Je voulais donner mon sangMa vigueur et mon audaceMais sans passion à présentDieu que cette vie me lasse

Tous les gens de DurangoDe Catane à Minor TrackTrouvent trop bon le Très-HautDe m'avoir sauvé des glaces

Va je déteste la vieDe ces bâtisseurs d'empires

Page 71: Divers Poèmes

De ces voleurs de prairieOù tu trouveras ta place

Je partirai cette nuitSous un ciel peuplé d'étoilesJe ne connais qu'une envieJe veux retrouver mon âme

D'avoir mené les chevauxD'avoir traversé les glacesPour me bâtir mon troupeauN'apaise pas mon angoisse

Jean-Louis Murat

CHEYENNE AUTUMN

Viens doux soleilQue tes rayonsAgitent autour de moiCe monde d'abeillesQui palpitentImpatient au fond des fois

Sors du long sommeilLes loutres endormiesPrès des torrentsOù luttent sans bruitDes poissons amoureuxDans le courant

Ton amour s'en vaTon amour revientTon amour...Que l'amour est loin...... nostalghia...

Jean-Louis Murat

Page 72: Divers Poèmes

TE GARDER PRES DE MOI

Nos amours se défontTout s'effacePressé par le temps qui passeQuand monte au loinDans une rumeurLe chant du très vieil indien"Fous d'aventureRespectez le destin" Je veux te garder près de moi

Corps éprisVoyageurTon espritJoue comme un derviche tourneurLes amants ébouriffés par la danseDu sacré tourmentChantent au matinPrisonniers du destin Je veux te garder près de moi

SouvenirsLourds secrets

Page 73: Divers Poèmes

Vos mumures s'insinuentDans nos armuresVeux-tu bien jeter à nouveauTes jambes autour de mes reinsJe te le jureJe me fous du destin Je veux te garder près de moi

Jean-Louis Murat

LE GARCON QUI MAUDIT LES FILLES

Je me suis assomé contre les grillesQui hautes entourent ta maisonJ'ai longtemps attendu la nuitCouché ventre nu sur la gazonDe quel chagrin pleurent les fillesQuel noeud serré étreint les garçonsBientôt pris dans les filets de la vieHumides comme deux poissons

A l'heure de céder à l'envieLe diable dessous ton juponT'a dit vois tu n'es plus de ton ami l'amieRegarde il porte un caleçonJe déteste pour toujours les famillesPlus tard je donnerai mes raisonsAujourd'hui je suis un garçonQui maudit les fillesEt n'en tire que des chansons

Goûtez de l'enfant dont elles rientQue l'on a vendu aux cochonsQui trouve dans le ventre des filles

Page 74: Divers Poèmes

Les hautes grilles d'une maisonQuel noeud serré défait la filleDe quel chagrin pleure le garçonCe temps perdu que mes chansons l'essuientMon coeur aimait plus que de raison

Jean-Louis Murat

SI JE DEVAIS MANQUER DE TOI

Si je devais manquer de toiMon vague à l'âme mon poisson-chatMa tendre espionne ma passionToi l'encolure de mes chansonsGarde-moi si tu m'aimesMais si tu doutes oublie-moi

Des profondeurs de l'océanComme un matador un tyranGuidé par l'odeur des chevauxJe viens me glisser sous ta peauGarde-moi si tu m'aimesMais si tu doutes oublie-moi

Si je devais manquer de toiAutant me priver pour toujoursDes bords de Loire au point du jourDe la douceur de ton amour

Ton plus beau nom est portugaisHongrois brésilien puis françaisPar chaque bouche passe ta voix

Page 75: Divers Poèmes

En bouche à bouche parle-moiEt garde-moi si tu m'aimesMais si tu doutes oublie-moi

Si je devais manquer de toi...

Jean-Louis Murat

LA BELLE SAISON

À jeun perdue glacéeToute seule sans un souUne fille de seize ansImmobile deboutPlace de la ConcordeÀ midi le Quinze Août   Jacques Prévert

LE CANCRE

Il dit non avec la têtemais il dit oui avec le coeuril dit oui à ce qu'il aimeil dit non au professeuril est debouton le questionneet tous les problèmes sont poséssoudain le fou rire le prendet il efface toutles chiffres et les mots

Page 76: Divers Poèmes

les dates et les nomsles phrases et les piègeset malgré les menaces du maîtresous les huées des enfants prodigesavec des craies de toutes les couleurssur le tableau noir du malheuril dessine le visage du bonheur Jacques Prévert

L'AMIRAL

L'amiral LarimaLarima quoila rime à rienl'amiral Larimal'amiral rien. Jacques Prévert

LA CÈNE

Ils sont à tableIls ne mangent pasIls ne sont pas dans leur assietteEt leur assiette se tient toute droiteVerticalement derrière leur tête. Jacques Prévert

LE DROIT CHEMIN

À chaque kilomètrechaque annéedes vieillards au front bornéindiquent aux enfants la routed'un geste de ciment armé Jacques Prévert

LE JARDIN

Page 77: Divers Poèmes

Des milliers et des milliers d'années Ne sauraient suffire Pour dire La petite seconde d'éternité Où tu m'as embrassé Où je t'ai embrassée Un matin dans la lumière de l'hiver Au parc Montsouris à Paris À Paris Sur la terre La terre qui est un astre.

Jacques Prévert

LES BELLES FAMILLES

Louis ILouis IILouis IIILouis IVLouis VLouis VILouis VIILouis VIIILouis IXLouis X (dit le Hutin)Louis XILouis XIILouis XIIILouis XIVLouis XVLouis XVILouis XVIILouis XVIII

et puis plus personne plus rien…Qu’est-ce que ces gens-làqui ne sont pas foutusde compter jusqu’à vingt ? Jacques Prévert

LA BROUETTE OU LES GRANDES INVENTIONS

Page 78: Divers Poèmes

Le paon fait la rouele hasard fait le resteDieu s'assoit dedanset l'homme le pousse.Les Paris Stupides

Un certain Blaise Pascal etc...etc... Jacques Prévert

PATER NOSTER

Notre père qui êtes aux cieuxRestez-yEt nous nous resterons sur la terreQui est quelquefois si jolieAvec ses mystères de New YorkEt puis ses mystères de ParisQui valent bien celui de la TrinitéAvec son petit canal de l'OurcqSa grande muraille de ChineSa rivière de MorlaixSes bêtises de CambraiAvec son océan PacifiqueEt ses deux bassins aux TuileriesAvec ses bons enfants et ses mauvais sujetsAvec toutes les merveilles du mondeQui sont làSimplement sur la terreOffertes à tout le mondeÉparpilléesÉmerveillées elles-mêmes d'être de telles merveillesEt qui n'osent se l'avouerComme une jolie fille nue qui n'ose se montrerAvec les épouvantables malheurs du mondeQui sont légionAvec leurs légionnairesAvec leurs tortionnairesAvec les maîtres de ce mondeLes maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leursReîtresAvec les saisonsAvec les annéesAvec les jolies filles et avec les vieux consAvec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des canons

Page 79: Divers Poèmes

Jacques Prévert

CHASSE À L' ENFANT

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l'île on voit des oiseauxTout autour de l'île il y a de l'eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu'est-ce que c'est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gensQui fait la chasse à l'enfant

Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressementEt les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dentsEt puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Maintenant il s'est sauvéEt comme une bête traquéeIl galope dans la nuitEt tous galopent après luiLes gendarmes les touristes les rentiers les artistes

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gensQui fait la chasse à l'enfant

Pourchasser l'enfant, pas besoin de permisTous le braves gens s'y sont misQu'est-ce qui nage dans la nuitQuels sont ces éclairs ces bruitsC'est un enfant qui s'enfuitOn tire sur lui à coups de fusil

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Page 80: Divers Poèmes

Tous ces messieurs sur le rivageSont bredouilles et verts de rage

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent!  

Au-dessus de l'île on voit des oiseauxTout autour de l'île il y a de l'eau. Jacques Prévert

POUR TOI MON AMOUR Je suis allé au marché aux oiseaux Et j'ai acheté des oiseaux Pour toi mon amour Je suis allé au marché aux fleurs Et j'ai acheté des fleurs Pour toi mon amour Je suis allé au marché à la ferraille Et j'ai acheté des chaînes De lourdes chaînes Pour toi mon amour Et puis je suis allé au marché aux esclaves Et je t'ai cherchée Mais je ne t'ai pas trouvée mon amour Jacques Prévert

SABLE MOUVANT

Démons et merveillesVents et maréesAu loin déjà la mer s'est retiréeEt toiComme une algue doucement caressée par le ventDans les sables du lit tu remues en rêvantDémons et merveillesVents et maréesAu loin déjà la mer s'est retirée

Page 81: Divers Poèmes

Mais dans tes yeux entr'ouvertsDeux petites vagues sont restéesDémons et merveillesVents et maréesDeux petites vagues pour me noyer. LE MIROIR BRISÉ

Le petit homme qui chantait sans cesse le petit homme qui dansait dans ma tête le petit homme de la jeunesse a cassé son lacet de soulier et toutes les baraques de la fête tout d'un coup se sont écroulées et dans le silence de cette fête j'ai entendu ta voix heureuse ta voix déchirée et fragile enfantine et désolée venant de loin et qui m'appelait et j'ai mis ma main sur mon coeur où remuaient ensanglantés les sept  éclats de glace de ton rire étoilé.

LE CHEVAL ROUGE Dans les manèges du mensonge Le cheval rouge de ton sourire Tourne Et je suis là debout planté Avec le triste fouet de la réalité Et je n'ai rien à dire Ton sourire est aussi vrai Que mes quatre vérités. L'AUTOMNE

Un cheval s'écroule au milieu d'une allée Les feuilles tombent sur lui Notre amour frissonne Et le soleil aussi. DIMANCHE

Entre les rangées d'arbres de l'avenue des Gobelins Une statue de marbre me conduit par la main Aujourd'hui c'est dimanche les cinémas sont pleins 

Page 82: Divers Poèmes

Les oiseaux dans les branches regardent les humains Et la statue m'embrasse mais personne ne nous voit Sauf un enfant aveugle qui nous montre du doigt. CHANSON DU GEÔLIER 

Où vas-tu beau geôlier Avec cette clé tachée de sang Je vais délivrer celle que j'aime S'il en est encore temps Et que j'ai enfermée Tendrement cruellement Au plus secret de mon désir Au plus profond de mon tourment Dans les mensonges de l'avenir Dans les bêtises des serments Je veux la délivrer Je veux qu'elle soit libre Et même de m'oublier Et même de s'en aller Et même de revenir Et encore de m'aimer Ou d'en aimer un autre Si un autre lui plaît Et si je reste seul Et elle en allée Je garderai seulement Je garderai toujours Dans mes deux mains en creux Jusqu'à la fin des jours La douceur de ses seins modelés par l'amour.  IMMENSE ET ROUGE

Immense et rouge Au-dessus du Grand Palais Le soleil d'hiver apparaît Et disparaît Comme lui mon coeur va disparaître Et tout mon sang va s'en aller S'en aller à ta recherche Mon amour Ma beauté Et te trouver Là où tu es.

Page 83: Divers Poèmes

PRESQUE

À Fontainebleau Devant l'hôtel de l'Aigle Noir Il y a un taureau sculpté par Rosa Bonheur Un peu plus loin tout autour Il y a la forêt Et un peu plus loin encore Joli corps Il y a encore la forêt Et le malheur Et tout à côté le bonheur Le bonheur avec les yeux cernés Le bonheur avec des aiguilles de pin dans le dos Le bonheur qui ne pense à rien Le bonheur comme le taureau Sculpté par Rosa Bonheur Et puis le malheur Le malheur avec une montre en or Avec un train à prendre Le malheur qui pense à tout ... À tout À tout ... à tout ... à tout ... Et à tout Et qui gagne "presque" à tous les coups Presque. L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS

Dans une boîte de paille tressée Le père choisit une petite boule de papier Et il la jette Dans la cuvette Devant ses enfants intrigués Surgit alors Multicolore La grande fleur japonaise Le nénuphar instantané Et les enfants se taisent Émerveillés Jamais plus tard dans leur souvenir Cette fleur ne pourra se faner Cette fleur subite Faite pour eux A la minute Devant eux.

Page 84: Divers Poèmes

  PROMENADE DE PICASSO 

Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle une pomme pose Face à face avec elle un peintre de la réalité essaie vainement de peindre la pomme telle qu'elle est mais elle ne se laisse pas faire la pomme elle a son mot à dire et plusieurs tours dans son sac de pomme la pomme et la voilà qui tourne dans une assiette réelle sournoisement sur elle-même doucement sans bouger et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz parce qu'on veut malgré lui lui tirer le portrait la pomme se déguise en beau bruit déguisé et c'est alors que le peintre de la réalité commence à réaliser que toutes les apparences de la pomme sont contre lui et comme le malheureux indigent comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n'importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité le malheureux peintre de la réalité se trouve soudain alors être la triste proie d'une innombrable foule d'associations d'idées Et la pomme en tournant évoque le pommier le Paradis terrestre et Ève et puis Adam l'arrosoir l'espalier Parmentier l'escalier le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l'Api le serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pomme et le péché originel et les origines de l'art et la Suisse avec Guillaume Tell et même Isaac Newton plusieurs fois primé à l'Exposition de la Gravitation Universelle et le peintre étourdi perd de vue son modèle et s'endort C'est alors que Picasso 

Page 85: Divers Poèmes

qui passait par là comme il passe partout chaque jour comme chez lui voit la pomme et l'assiette et le peintre endormi Quelle idée de peindre une pomme dit Picasso et Picasso mange la pomme et la pomme lui dit Merci et Picasso casse l'assiette et s'en va en souriant et le peintre arraché à ses songes comme une dent se retrouve tout seul devant sa toile inachevée avec au beau milieu de sa vaisselle brisée les terrifiants pépins de la réalité. CHANSON DE L' OISELEUR

L'oiseau qui vole si doucement L'oiseau rouge et tiède comme le sang L'oiseau si tendre l'oiseau moqueur L'oiseau qui soudain prend peur L'oiseau qui soudain se cogne L'oiseau qui voudrait s'enfuir L'oiseau seul et affolé L'oiseau qui voudrait vivre L'oiseau qui voudrait chanter L'oiseau qui voudrait crier L'oiseau rouge et tiède comme le sang L'oiseau qui vole si doucement C'est ton coeur jolie enfant Ton coeur qui bat de l'aile si tristement Contre ton sein si dur si blanc. LE CHAT ET L'OISEAU 

Un village écoute désolé Le chant d'un oiseau blessé C'est le seul oiseau du village Et c'est le seul chat du village Qui l'a à moitié dévoré Et l'oiseau cesse de chanter Le chat cesse de ronronner Et de se lécher le museau Et le village fait à l'oiseau De merveilleuses funérailles Et le chat qui est invité 

Page 86: Divers Poèmes

Marche derrière le petit cercueil de paille Où l'oiseau mort est allongé Porté par une petite fille Qui n'arrête pas de pleurer Si j'avais su que cela te fasse tant de peine Lui dit le chat Je l'aurais mangé tout entier Et puis je t'aurais raconté Que je l'avais vu s'envoler S'envoler jusqu'au bout du monde Là-bas où c'est tellement loin Que jamais on en revient Tu aurais eu moins de chagrin Simplement de la tristesse et des regrets 

Il ne faut jamais faire les choses à moitié.

Jacques Prévert

Les Lilas

Quand je vais chez la fleuriste Je n'achèt' que des lilas Si ma chanson chante triste C'est que l'amour n'est plus là

Comm' j'étais, en quelque sorte Amoureux de ces fleurs-là Je suis entré par la porte Par la porte des Lilas

Des lilas, y'en avait guère Des lilas, y'en avait pas Z'étaient tous morts à la guerre Passés de vie à trépas

J'suis tombé sur une belle Qui fleurissait un peu là J'ai voulu greffer sur elle Mon amour pour les lilas

J'ai marqué d'une croix blanche Le jour où l'on s'envola Accrochés à une branche Une branche de lilas

Page 87: Divers Poèmes

Pauvre amour, tiens bon la barre Le temps va passer par là Et le temps est un barbare Dans le genre d'Attila

Aux cœurs où son cheval passe L'amour ne repousse pas Aux quatre coins de l'espace Il fait le désert sous ses pas

Alors, nos amours sont mortes Envolées dans l'au-delà Laissant la clé sous la porte Sous la porte des Lilas

La fauvette des dimanches Cell' qui me donnait le la S'est perchée sur d'autres branches D'autres branches de lilas

Quand je vais chez la fleuriste Je n'achèt' que des lilas Si ma chanson chante triste C'est que l'amour n'est plus là

Georges Brassens

Les Copains D'abord

Non, ce n'était pas le radeau De la Méduse, ce bateau Qu'on se le dise au fond des ports Dise au fond des ports Il naviguait en pèr' peinard Sur la grand-mare des canards Et s'app'lait les Copains d'abord Les Copains d'abord

Ses fluctuat nec mergitur C'était pas d'la litterature N'en déplaise aux jeteurs de sort Aux jeteurs de sort Son capitaine et ses mat'lots N'étaient pas des enfants d'salauds

Page 88: Divers Poèmes

Mais des amis franco de port Des copains d'abord

C'étaient pas des amis de luxe Des petits Castor et Pollux Des gens de Sodome et Gomorrhe Sodome et Gomorrhe C'étaient pas des amis choisis Par Montaigne et La Boetie Sur le ventre ils se tapaient fort Les copains d'abord

C'étaient pas des anges non plus L'Évangile, ils l'avaient pas lu Mais ils s'aimaient tout's voil's dehors Tout's voil's dehors Jean, Pierre, Paul et compagnie C'était leur seule litanie Leur Credo, leur Confiteor Aux copains d'abord

Au moindre coup de Trafalgar C'est l'amitié qui prenait l'quart C'est elle qui leur montrait le nord Leur montrait le nord Et quand ils étaient en détresse Qu'leurs bras lancaient des S.O.S. On aurait dit les sémaphores Les copains d'abord

Au rendez-vous des bons copains Y avait pas souvent de lapins Quand l'un d'entre eux manquait a bord C'est qu'il était mort Oui, mais jamais, au grand jamais Son trou dans l'eau n'se refermait Cent ans après, coquin de sort Il manquait encore

Des bateaux j'en ai pris beaucoup Mais le seul qu'ait tenu le coup Qui n'ai jamais viré de bord Mais viré de bord Naviguait en père peinard Sur la grand-mare des canards Et s'app'lait les Copains d'abord

Page 89: Divers Poèmes

Les Copains d'abord

Georges Brassens

Belleville-ménilmontant

Papa, c'était un lapin Qui s'appelait J.B. Chopin Et qu'avait son domicile À Belleville.

Le soir avec sa petite famille Il s'en allait en chantant Des hauteurs de la Courtille À Ménilmontant, à Ménilmontant !

Il buvait si peu qu'un soir On l'a retrouvé sur le trottoir L'était crevé bien tranquille À Belleville !

On l'a mis dans la terre glaise Pour un prix exorbitant Tout en haut du Père-Lachaise À Ménilmontant, à Ménilmontant !

Ma soeur est avec Eloi, Dont le frère est avec moi, Le soir sur le boulevard y me refile À Belleville

C'est comme ça qu'il gagne sa braise Et son frère en gagne autant En refilant ma soeur Thérèse À Ménilmontant, à Ménilmontant !

Le dimanche au lieu de travailler Ils nous montent au poulailler Voir jouer le drame ou bien le vaudeville À Belleville

Le soir, ils font leurs épates Ils étalent leur trébuchant Minces des genoux et larges des pattes À Ménilmontant, à Ménilmontant!

Page 90: Divers Poèmes

C'est comme ça que c'est le vrai moyen De faire un bon citoyen, Ils grandissent sans se faire de bile À Belleville !

Ils crient "Vive l'Indépendance" Y z'ont le coeur bath et content Et barbotent dans l'abondance À Ménilmontant, à Ménilmontant !

Georges Brassens

La Mauvaise Réputation

Au village, sans prétention, J'ai mauvaise réputation. Qu'je m'démène ou qu'je reste coi Je pass' pour un je-ne-sais-quoi! Je ne fait pourtant de tort à personne En suivant mon chemin de petit bonhomme. Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Tout le monde médit de moi, Sauf les muets, ça va de soi.

Le jour du Quatorze Juillet Je reste dans mon lit douillet. La musique qui marche au pas, Cela ne me regarde pas. Je ne fais pourtant de tort à personne, En n'écoutant pas le clairon qui sonne. Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Tout le monde me montre du doigt Sauf les manchots, ça va de soi.

Quand j'croise un voleur malchanceux, Poursuivi par un cul-terreux; J'lance la patte et pourquoi le taire, Le cul-terreux s'retrouv' par terre

Page 91: Divers Poèmes

Je ne fait pourtant de tort à personne, En laissant courir les voleurs de pommes. Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Tout le monde se rue sur moi, Sauf les culs-de-jatte, ça va de soi.

Pas besoin d'être Jérémie, Pour d'viner l'sort qui m'est promis, S'ils trouv'nt une corde à leur goût, Ils me la passeront au cou, Je ne fait pourtant de tort à personne, En suivant les ch'mins qui n'mènent pas à Rome, Mais les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Non les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux, Tout l'mond' viendra me voir pendu, Sauf les aveugles, bien entendu.

Georges Brassens

Les amoureux des bancs publics

Les gens qui voient de traversPensent que les bancs vertsQu'on voit sur les trottoirsSont faits pour les impotents ou les ventripotentsMais c'est une absurditéCar à la véritéIls sont là c'est notoirePour accueillir quelque temps les amours débutants

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'fouttant pas mal du regard obliqueDes passants honnêtesLes amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'disant des "Je t'aime" pathétiquesOnt des p'tit's gueul' bien sympatiques

Ils se tiennent par la main

Page 92: Divers Poèmes

Parlent du lendemainDu papier bleu d'azurQue revêtiront les murs de leur chambre à coucherIls se voient déjà doucementEll' cousant, lui fumantDans un bien-être sûrEt choisissent les prénoms de leur premier bébé

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'fouttant pas mal du regard obliqueDes passants honnêtesLes amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'disant des "Je t'aime" pathétiquesOnt des p'tit's gueul' bien sympatiques

Quand la saint' famill' machinCroise sur son cheminDeux de ces malapprisEll' leur décoche hardiment des propos venimeuxN'empêch' que tout' la familleLe pèr', la mèr', la filleLe fils, le Saint EspritVoudrait bien de temps en temps pouvoir s'conduir' comme eux

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'fouttant pas mal du regard obliqueDes passants honnêtesLes amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'disant des "Je t'aime" pathétiquesOnt des p'tit's gueul' bien sympatiques

Quand les mois auront passéQuand seront apaisésLeurs beaux rêves flambantsQuand leur ciel se couvrira de gros nuages lourdsIls s'apercevront émusQu' c'est au hasard des ruesSur un d'ces fameux bancsQu'ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour

Les amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publics

Page 93: Divers Poèmes

En s'fouttant pas mal du regard obliqueDes passants honnêtesLes amoureux qui s'bécott'nt sur les bancs publicsBancs publics, bancs publicsEn s'disant des "Je t'aime" pathétiquesOnt des p'tit's gueul' bien sympatiques

Georges Brassens

Stewball

Il s'appelait Stewball.C'était un cheval blanc.Il était mon idoleEt moi, j'avais dix ans.

Notre pauvre père,Pour acheter ce pur sang,Avait mis dans l'affaireJusqu'à son dernier franc.

Il avait dans la têteD'en faire un grand championPour liquider nos dettesEt payer la maison

Et croyait à sa chance.Il engagea StewballPar un beau dimancheAu grand prix de St-Paul.

"Je sais, dit mon père,Que Stewball va gagner."Mais, après la rivière,Stewball est tombé.

Quand le vétérinaire,D'un seul coup, l'acheva,J'ai vu pleurer mon pèrePour la première fois.

Il s'appelait Stewball.C'était un cheval blanc.Il était mon idoleEt moi, j'avais dix ans.

Page 94: Divers Poèmes

Hugues Aufray

Céline

Dis moi, Céline, les années ont passé.Pourquoi n'as tu jamais pensé à te marier ?De tout' mes sœurs qui vivaient ici,Tu es la seule sans mari.

Non, non, non, ne rougis pas, non, ne rougis pas.Tu as, tu as toujours de beaux yeux.Ne rougis pas, non, ne rougis pas.Tu aurais pu rendre un homme heureux.

Dis moi, Céline, toi qui es notre aînée,Toi qui fus notre mèr', toi qui l'as remplacée,N'as tu vécu pour nous autrefoisQue sans jamais penser à toi ?

Non, non, non, ne rougis pas, non, ne rougis pas.Tu as, tu as toujours de beaux yeux.Ne rougis pas, non, ne rougis pas.Tu aurais pu rendre un homme heureux.

Dis moi, Céline, qu'est il donc devenuCe gentil fiancé qu'on n'a jamais revu ?Est c' pour ne pas nous abandonnerQue tu l'as laissée s'en aller ?

Non, non, non, ne rougis pas, non, ne rougis pas.Tu as, tu as toujours de beaux yeux.Ne rougis pas, non, ne rougis pas.Tu aurais pu rendre un homme heureux.

Mais non, Céline, ta vie n'est pas perdue.Nous sommes les enfants que tu n'as jamais eus.Il y a longtemps que je le savaisEt je ne l'oublierai jamais.

{parlé:}Ne pleure pas, non, ne pleure pas.Tu as toujours les yeux d'autrefois.Ne pleure pas, non, ne pleure pas.Nous resterons toujours près de toi,

Page 95: Divers Poèmes

Nous resterons toujours près de toi.

Hugues Aufray

Le lac Majeur

Il neige sur le lac MajeurLes oiseaux-lyre sont en pleursEt le pauvre vin italienS'est habillé de paille pour rien ...Des enfants crient de bonheurEt ils répandent la terreurEn glissades et bombardementsC'est de leur âge et de leur tempsJ'ai tout oublié du bonheurIl neige sur le lac MajeurJ'ai tout oublié du bonheurIl neige sur le lac Majeur.

Voilà de nouveaux gladiateursEt on dit que le cirque meurtEt le pauvre sang italienCoule beaucoup et pour rien...Il neige sur le lac MajeurLes oiseaux-lyre sont en pleursJ'entends comme un moteurC'est le bateau de cinq heuresJ'ai tout oublié du bonheurIl neige sur le lac MajeurJ'ai tout oublié du bonheurIl neige sur le lac Majeur.

Mort Shuman

Tout le bonheur du monde

{Refrain:}On vous souhaite tout le bonheur du mondeEt que quelqu'un vous tende la mainQue votre chemin évite les bombesQu'il mène vers de calmes jardins.

On vous souhaite tout le bonheur du mondePour aujourd'hui comme pour demainQue votre soleil éclaircisse l'ombre

Page 96: Divers Poèmes

Qu'il brille d'amour au quotidien.

Puisque l'avenir vous appartientPuisqu'on n'contrôle pas votre destinQue votre envol est pour demainComme tout c'qu'on a à vous offrirNe saurait toujours vous suffireDans cette liberté à venirPuisqu'on sera pas toujours làComme on le fut aux premiers pas.

{au Refrain}

Toute une vie s'offre devant vousTant de rêves à vivre jusqu'au boutSûrement plein de joie au rendez-vousLibres de faire vos propres choixDe choisir quelle sera votre voieEt où celle-ci vous emmèneraJ'espère juste que vous prendrez le tempsDe profiter de chaque instant.

{au Refrain}

Chais pas quel monde on vous laisseraOn fait d'notre mieux, seulement parfois,J'ose espérer que c'la suffiraPas à sauver votre insoucianceMais à apaiser notre conscienceAurais-je le droit de vous faire confiance ?

{au Refrain}

Sinsemilia

Le métèque

Avec ma gueule de métèqueDe Juif errant, de pâtre grecEt mes cheveux aux quatre ventsAvec mes yeux tout délavésQui me donnent l'air de rêverMoi qui ne rêve plus souventAvec mes mains de maraudeurDe musicien et de rôdeur

Page 97: Divers Poèmes

Qui ont pillé tant de jardinsAvec ma bouche qui a buQui a embrassé et morduSans jamais assouvir sa faim

Avec ma gueule de métèqueDe Juif errant, de pâtre grecDe voleur et de vagabondAvec ma peau qui s'est frottéeAu soleil de tous les étésEt tout ce qui portait juponAvec mon cœur qui a su faireSouffrir autant qu'il a souffertSans pour cela faire d'histoiresAvec mon âme qui n'a plusLa moindre chance de salutPour éviter le purgatoire

Avec ma gueule de métèqueDe Juif errant, de pâtre grecEt mes cheveux aux quatre ventsJe viendrai, ma douce captiveMon âme sœur, ma source viveJe viendrai boire tes vingt ansEt je serai prince de sangRêveur ou bien adolescentComme il te plaira de choisirEt nous ferons de chaque jourToute une éternité d'amourQue nous vivrons à en mourir

Et nous ferons de chaque jourToute une éternité d'amourQue nous vivrons à en mourir

Georges Moustaki

L'oiseau et l'enfant

Comme un enfant aux yeux de lumièreQui voit passer au loin les oiseauxComme l'oiseau bleu survolant la TerreVois comme le monde, le monde est beau

Beau le bateau, dansant sur les vagues

Page 98: Divers Poèmes

Ivre de vie, d'amour et de ventBelle la chanson naissante des vaguesAbandonnée au sable blanc

Blanc l'innocent, le sang du poèteQui en chantant, invente l'amourPour que la vie s'habille de fêteEt que la nuit se change en jour

Jour d'une vie où l'aube se lèvePour réveiller la ville aux yeux lourdsOù les matins effeuillent les rêvesPour nous donner un monde d'amour

L'amour c'est toi, l'amour c'est moiL'oiseau c'est toi, l'enfant c'est moi

Moi qui ne suis qu'une fille de l'ombreQui voit briller l'étoile du soirToi mon étoile qui tisse ma rondeViens allumer mon soleil noir

Noire la misère, les hommes et la guerreQui croient tenir les rênes du tempsPays d'amour n'a pas de frontièrePour ceux qui ont un cœur d'enfant

Comme un enfant aux yeux de lumièreQui voit passer au loin les oiseauxComme l'oiseau bleu survolant la TerreNous trouverons ce monde d'amourL'amour c'est toi, l'enfant c'est moiL'oiseau c'est toi, l'enfant c'est moi

Marie Myriam

L'aigle noir

Un beau jour, ou peut-être une nuit,Près d'un lac je m'étais endormie,Quand soudain, semblant crever le ciel,Et venant de nulle part,Surgit un aigle noir,

Lentement, les ailes déployées,

Page 99: Divers Poèmes

Lentement, je le vis tournoyer,Près de moi, dans un bruissement d'ailes,Comme tombé du ciel,L'oiseau vint se poser,

Il avait les yeux couleur rubis,Et des plumes couleur de la nuit,A son front brillant de mille feux,L'oiseau roi couronné,Portait un diamant bleu,

De son bec il a touché ma joue,Dans ma main il a glissé son cou,C'est alors que je l'ai reconnu,Surgissant du passé,Il m'était revenu,

Dis l'oiseau, ô dis, emmène-moi,Retournons au pays d'autrefois,Comme avant, dans mes rêves d'enfant,Pour cueillir en tremblant,Des étoiles, des étoiles,

Comme avant, dans mes rêves d'enfant,Comme avant, sur un nuage blanc,Comme avant, allumer le soleil,Etre faiseur de pluie,Et faire des merveilles,

L'aigle noir dans un bruissement d'ailes,Prit son vol pour regagner le ciel,

Quatre plumes couleur de la nuitUne larme ou peut-être un rubisJ'avais froid, il ne me restait rienL'oiseau m'avait laisséeSeule avec mon chagrin

Un beau jour, ou peut-être une nuit,Près d'un lac, je m'étais endormie,Quand soudain, semblant crever le ciel,Et venant de nulle part,Surgit un aigle noir,

Un beau jour, une nuit,Près d'un lac, endormie,

Page 100: Divers Poèmes

Quand soudain,Il venait de nulle part,Il surgit, l'aigle noir...

Barbara

La vie ne m'apprend rien

Qui ose dire qu'il peut m'apprendre les sentimentsOu me montrer ce qu'il faut faire pour être grand ?Qui peut changer ce que je porte dans mon sang ?

Qui a le droit de m'interdire d'être vivant ?De quel côté se trouvent les bons ou les méchants ?Leurs évangiles ont fait de moi un non-croyant

La vie ne m'apprend rienJe voulais juste un peu parler, choisir un trainLa vie ne m'apprend rienJ'aimerais tellement m'accrocher, prendre un cheminPrendre un chemin !

Mais je n'peux pas, je n'sais pasEt je reste planté làLes lois ne font plus les hommesMais quelques hommes font la loiEt je n'peux pas, je n'sais pasEt je reste planté là

A ceux qui croient que mon argent endort ma têteJe dis qu'il ne suffit pas d'être pauvre pour être honnêteIls croient peut-être que la liberté s'achète

Que reste-t-il des idéaux sous la mitraille ?Quand les prêcheurs sont à l'abri de la batailleLa vie des morts n'est plus sauvée par des médailles

La vie ne m'apprend rienJe voulais juste un peu parler, choisir un trainLa vie ne m'apprend rienJ'aimerais tellement m'accrocher, prendre un cheminPrendre un chemin !

Mais je n'peux pas, je n'sais pasEt je reste planté là

Page 101: Divers Poèmes

Les lois ne font plus les hommesMais quelques hommes font la loiEt je n'peux pas, je n'sais pasEt je reste planté là

Je n'peux pas, je n'sais pasEt je reste planté làLes lois ne font plus les hommesMais quelques hommes font la loiEt je n'peux pas, je n'sais pasEt je reste planté là

La vie ne m'apprend rien !

Daniel Balavoine

Toi + moi

{Refrain 1:}Toi plus moi plus eux plus tous ceux qui le veulentPlus lui plus elle et tous ceux qui sont seulsAllez, venez et entrez dans la danseAllez, venez, laissez faire l'insouciance

À deux, à mille, je sais qu'on est capablesTout est possible, tout est réalisableOn peut s'enfuir bien plus haut que nos rêvesOn peut partir bien plus loin que la grève

{Refrain 2:}Toi plus moi plus eux plus tous ceux qui le veulentPlus lui plus elle plus tous ceux qui sont seulsAllez, venez et entrez dans la danseAllez, venez, c'est notre jour de chance

Avec l'envie, la force et le courageLe froid, la peur ne sont que des miragesLaissez tomber les malheurs pour une foisAllez, venez, reprenez avec moi

{au Refrain 1}

Je sais, c'est vrai, ma chanson est naïveMême un peu bête et bien inoffensiveEt même si elle ne change pas le monde

Page 102: Divers Poèmes

Elle vous invite à entrer dans la ronde

{au Refrain 2}

L'espoir, l'ardeur pour tout ce qu'il te fautMes bras, mon coeur, mes épaules et mon dosJe veux te voir des étoiles dans les yeuxJe veux nous voir insoumis et heureux

{au Refrain 1}

{au Refrain 2}

Oh, toi plus moi plus tous ceux qui le veulentPlus lui plus elle et tous ceux qui sont seulsAllez, venez et entrez dans la danseAllez, venez et entrez dans la danse

Grégoire