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DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICIEN; SPÉCIALISTE, EXPERT, CLINICIEN EN SOINS INFIRMIERS Les manifestations de la complexité des soins infirmiers sont nombreuses et nous n’assistons probablement qu’à l’amorce de la systématisation des essais de clari- fication, tant des éléments pratiques que théoriques qui constituent ce champ d’exercice. Nous examinerons les définitions générales et appli- quées aux soins infirmiers des termes : praticien, spé- cialiste, expert et clinicien ; l’autonomie et I’indépen- dance de ces concepts, enfin les relations de la clinique avec les autres domaines d’exercice. DÉFINITIONS GÉNÉRALES ET APPLIQUEES AUX SOINS INFIRMIERS Définition générale Personne qui connaît la pratique d’un art, d’une tech- nique. L’activité pratique s’oppose à celle du chercheur, du théoricien. La pratique et la théorie peuvent exister indépendam- ment l’une de l’autre. Toutefois la pratique, en dehors de toute théorie, n’est que l’exécution de techniques ; dans ce cas, elle trouve rapidement ses limites car sans la théorie elle ne trouve pas les conditions de son progrès. Par ailleurs, il peut exister une théorie pure, désintéres- sée en ce qui concerne les résultats pratiques ; elle prend alors la forme d’une science fondamentale, base de toute science particulière. Mais au-delà de ces voies qui, comme des lignes paral- lèles, peuvent ne jamais se rencontrer, la pratique ou la mise en ceuvre de techniques jouent un rôle de premier plan dans la constitution de la connaissance théorique. Cela, notamment, par l’observation de la nature. D.$n> de nombreux exemples, la pratique a précédé la théorie, cependant cette dernière ne fait pas que suivre, car sans ,la compréhension scientifique des résultats atteints il n’aurait pas été possible d’effectuer des pro- grès avec la seule pratique empirique. Dans l’exercice d’un métier, la pratique et la théorie sont deux aspects complémentaires qui se potentiali- sent l’un l’autre. Praticien en soins infirmiers Le praticien en soins infirmiers est l’infirmière qui pro- digue dés soins. Généralement la pratique repose sur les acquis de la formation initiale, la tradition, I’expé- rience personnelle. Dans ce que nous savons actuellement des soins infir- miers; nous pouvons repérer : l une large majorité de praticiennes qui appliquent des techniques, respectent des protocoles, prodiguent des soins, sans utiliser la théorie sous-jacente et sans alimenter un corpus de connaissances ; l une minorité de praticiennes qui mettent en ceuvre des soins dont elles ont compris et intégré les méca- nismes qui les constituent et les fondent. L’exercice d’une pratique sans la théorie, et c’est ce que l’on rencontre le plus fréquemment dans les soins infirmiers, présente une certaine rigidité quant aux possibilités d’évolution, d’adaptabilité et d’anticipation. Traits caractéristiques du praticien en soins infirmiers . formation initiale en soins infirmiers, l connaissances générales, . prodigue des soins, exécute les prescriptions médicales, l a ung expérience riche d’observations et de savoir faire, . son activité se base davantage sur la bonne volonté, le bon sens que sur des connaissances théoriques, . son comportement manque de flexibilité, elle utilise difficiletnent son jugement critique, . adaptation difficile à des situations nouvelles, . n’est pas agent de changement.

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Page 1: DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICIEN; …fulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/34/14.pdf · cheminement vers l’expertise (Version tirée de DREYFUS et BENNER). Traits caractéristiques de l’expert

DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICIEN; SPÉCIALISTE, EXPERT,CLINICIEN EN SOINS INFIRMIERS

Les manifestations de la complexité des soins infirmierssont nombreuses et nous n’assistons probablementqu’à l’amorce de la systématisation des essais de clari-fication, tant des éléments pratiques que théoriques quiconstituent ce champ d’exercice.

Nous examinerons les définitions générales et appli-quées aux soins infirmiers des termes : praticien, spé-cialiste, expert et clinicien ; l’autonomie et I’indépen-dance de ces concepts, enfin les relations de la cliniqueavec les autres domaines d’exercice.

DÉFINITIONS GÉNÉRALESET APPLIQUEES AUX SOINS INFIRMIERS

Définition générale

Personne qui connaît la pratique d’un art, d’une tech-nique.

L’activité pratique s’oppose à celle du chercheur, duthéoricien.

La pratique et la théorie peuvent exister indépendam-ment l’une de l’autre. Toutefois la pratique, en dehorsde toute théorie, n’est que l’exécution de techniques ;dans ce cas, elle trouve rapidement ses limites car sansla théorie elle ne trouve pas les conditions de sonprogrès.

Par ailleurs, il peut exister une théorie pure, désintéres-sée en ce qui concerne les résultats pratiques ; elleprend alors la forme d’une science fondamentale, basede toute science particulière.

Mais au-delà de ces voies qui, comme des lignes paral-lèles, peuvent ne jamais se rencontrer, la pratique ou lamise en ceuvre de techniques jouent un rôle de premierplan dans la constitution de la connaissance théorique.Cela, notamment, par l’observation de la nature.

D.$n> de nombreux exemples, la pratique a précédé lathéorie, cependant cette dernière ne fait pas que suivre,

car sans ,la compréhension scientifique des résultatsatteints il n’aurait pas été possible d’effectuer des pro-grès avec la seule pratique empirique.

Dans l’exercice d’un métier, la pratique et la théoriesont deux aspects complémentaires qui se potentiali-sent l’un l’autre.

Praticien en soins infirmiers

Le praticien en soins infirmiers est l’infirmière qui pro-digue dés soins. Généralement la pratique repose surles acquis de la formation initiale, la tradition, I’expé-rience personnelle.

Dans ce que nous savons actuellement des soins infir-miers; nous pouvons repérer :

l une large majorité de praticiennes qui appliquentdes techniques, respectent des protocoles, prodiguentdes soins, sans utiliser la théorie sous-jacente et sansalimenter un corpus de connaissances ;

l une minorité de praticiennes qui mettent en ceuvredes soins dont elles ont compris et intégré les méca-nismes qui les constituent et les fondent.

L’exercice d’une pratique sans la théorie, et c’est ceque l’on rencontre le plus fréquemment dans les soinsinfirmiers, présente une certaine rigidité quant auxpossibilités d’évolution, d’adaptabilité et d’anticipation.

Traits caractéristiques du praticien en soins infirmiers

. formation initiale en soins infirmiers,

l connaissances générales,

. prodigue des soins, exécute les prescriptions médicales,

l a ung expérience riche d’observations et de savoir faire,

. son activité se base davantage sur la bonne volonté,le bon sens que sur des connaissances théoriques,

. son comportement manque de flexibilité, elle utilisedifficiletnent son jugement critique,

. adaptation difficile à des situations nouvelles,

. n’est pas agent de changement.

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DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICIEN, SPÉCIALISTE, EXPERT,CLINICIEN EN SOINS INFIRMIERS

::; Spécialiste

Définition générale

Personne qui a acquis des connaissances approfondiesthéoriques et/ou pratiques dans un domaine déterminéet restreint (une science, branche d’une science, unsujet, un métier).

La spécialisation dans un domaine est liée à I’accrois-sement constant des connaissances. Les théoriciens etles techniciens sont obligés de se limiter dans unebranche restreinte pour la maîtriser à fond et la faireprogresser.

Ainsi, laspécialisation n’est pas fondamentalement liéeà une pratique, il est possible de se spécialiser dans undomaine dont on ne possède qu’une connaissancethéorique. De ce fait, elle est restrictive tant par lechampétroitet pointu où elles’exerce, qu’en cequ’ellene fait pas nécessairement appel à la complémentaritéthéorie-pratique.

Cependant, la spécialisation peut être également ana-lysée comme une nécessité de cerner des domaines deplus en plus complexes et pointus, de faire progresserles connaissances.

Spécialistes en soins infirmiers

Comme le montre la définition générale, il est possibled’être spécial iste soit par ses connaissances théoriques,soit par sa pratique, soit par la maîtrise d’une techniqueparticulière.

Seules les praticiennes en soins infirmiers peuvent êtrespécial istes dans les deux derniers domaines.

Traits caractéristiques de la spécialiste en soins infirmiers

l Formation initiale en soins infirmiers,

l connaissances théoriques et/ou pratiques dans undomaine restreint,

l prodigue des soins,

l expérience dans le domaine considéré,

l vue restrictive, plus la spécialisation est avancéemoins il y a de maîtrise au niveau des interfaces et devision de l’ensemble des problèmes,

l activité peut-être basée exclusivement sur une acti-vité technique, ce qui limite la capacité de progression.

:: E x p e r t

Définition générale

Personne qui a acquis par la pratique une grande habi-leté.

Personne choisie pour ses connaissances techniques etchargée de faire, en vue de la solution d’un procès, desexamens, constatations ou appréciations de faits. L’ex-pert a la capacité de discriminer l’information selon sondegré de pertinence, de rassembler de façon rapide dessouvenirs utiles. Sa réflexion se réfère sans cesse auximages intériorisées par l’expérience.

II existe 2 types d’experts :

l celui qui possède des connaissances spécifiquesdans un domaine. Par exemple : médecin psychiatre,expert comptable, expert en mécanique automobile...

l celui qui possède des connaissances plus générales,qui lui confèrent la capacité d’interpréter les faits etd’être efficace. II n’a pas de maîtrise technique précise,mais celle de méthodologies lui permettant de faire desanalyses pertinentes dans de larges secteurs d’activité.

Pour exemple, un expert en outils de gestion ne connaîtpas particulièrement celle d’une pharmacie, de la dis-tribution des repas ou du linge, mais il peut intervenirdans tous ces domaines.

L’activité de l’expert n’est pas basée sur des connais-sances techniques universelles, elle supposedavantageune méthode générique de compréhension des pro-blèmes techniques et la capacité de les traduire entermes clairs, intelligibles parceux qui font appel à eux.

La plus grande part de la connaissance de l’expert esttacite, basée sur la pratique de l’expérience. D’où ladifficulté de déterminer le processus de progrès.

L’activité d’expertise peut être exercée de façon exclu-sive ou non :

l activité exclusive, pour certains il s’agit de profes-sion constituée, avec contrôle et garantie de la presta-tion, tels les experts comptables,

l activité non exclusive, l’expertise est un des aspectsde l’exercice professionnel, c’est le cas par exempledes médecins psychiatres experts auprès des tribunaux.

Catherine PARADEISE précise qu’une professionconstituée comporte trois éléments indissociables : unsavoir expert, des professionnels comme interprètes dece savoir et un code qui régit les conditions d’usage del’expertise.

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DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICiEN SPÉCIALISTE, EXPERT, CLINICIEN EN SOINS INFIRMIERS,

Mais si tous les experts ne sont pas des professionnels,l’expertise est une image accomplie des traits de laprofessi&nalité.

L’expertise est le produit d’un processus qui trouve sonaboutissement après plusieurs années continues d’ex-périence dans un domaine. L’expérience demande dutemps, celui nécessaire à l’assimilation des routines.

D’une manière générale les devoirs de l’expert sont :

l l’indépendance,

l la neutralité (code de déontologie),

l l’impersonnalité (compétence universelle, il est inter-changeable).

Expert en soins infirmiers

Comme il a été montré plus haut, l’expertise ne s’ac-quiert qu’après plusieurs années d’exercice dans undomaine ; après une intériorisation et une integrationparfaite des activités qui composent le domaine d’ex-pertise.

L’infirmière saisit les situations de façon globale etintuitive, reconnaît ou pressent des changements sub-tils, formule des solutions appropriées, prend des,déci-siens quasi automatiques, sans pour autant être capabled’expliquer de façon formelle quel schéma analytiquel’a conduite à cette solution ou cette décision..Rosette POLETTI résume par « elle sent et elle’sait ».

Si l’expert change de domaine d’expertise, il n’est plusexpert, son niveau de compétence revient à un stadeantérieur. Toutefois, son expérience doit lui permettred’évoluer rapidement vers l’expertise.

De nombreux travaux traitent des différentes étapes quicaractérisent le passage à l’expertise. Cependant, ellesne font pas l’unanimité. Deux tendances s’affrontent :

1. La démarche basée sur la théorie de traitement del’information, dans ce cas la démarche intellectuelleserait comparable à celle des étapes qu’effectue unordinateur.

2. La démarche d’abord analytique, puis beaucoupplus globale, où l’intuition joue un rôle important austade expert et qui se modifie à mesure que l’individufranchit les étapes de son apprentissage vers l’expertise.

DREYFUS et BENNER proposent en référence à cetteseconde démarche un modèle de différenciation desétapes du cheminement vers l’expertise, caractérisé parcinq étapes : novice, débutante, compétente, perfor-mante, experte (cf. figure 1).

Novice

‘monne qui, n’ayant aucune expérience de situations réelles,@pend entièrement des r&gles qui lui ont été enseignées paraccomplir la tâche. Suivre des règles a cependant des limites :aucune r$le ne peut indiquer à la personne novice ce qui est leIIUS impor tan t dans une s i tua t ion rée l l e , n i dans que ls cas i l f au ta i re except ion aux règ les .Me é tape es t carac tér isée par une grande insécur i té .

Débutante

‘ersonne qu i a rencon t ré su f f i samment de s i tua t ions rée l les pourwoir noté (ou s’être fait démontrer) la signification de certainsa aspects u isok, caractéristiques de la situation..a personne débutan te a beso in d ’a ide pour é tab l i r des pr io r i tés ,uisqu’elle agit selon les règles apprises et qu’elle cormnencewlement a pe rcevo i r l a s ign i f i ca t i on des aspec ts ca rac té r i s t i quesies situations qu’elle rencontre..es difficultés sont d’autant plus importantes que la situation est:omplexe et “o”“elle.

Compéten te

‘ersanne qui a typiquement deux ou trois année: d’expérienceians un domaine par t i cu l ie r .ille peut ten i r compte des bu ts à long te rme e t de la p lan i f i ca t ionqu ’e l l e a fa i te pour dé te rm iner que ls aspec ts d ’une s i tua t ion son t,mpartants e t l esque ls e l l e peu t i gnore r .;a personne comp&ente n ’a pas encore la rapidit6 e t l a f l ex i b i l i t é~$elle a t te indra au s tade su ivan t , ma is e l le sent qu ’e l l e ma î t r i sela s i t ua t i on e t qu ’e l l e es t e f f i cace dans l a p lupa r t des cas .

P e r f o r m a n t e

Personne qu i pe rço i t l es s i tua t ions de façon g loba le plut& qu ’enLerme « d’aspects ». Elle reconnaît des exemples de situationsrée l les . I I s ’ag i t d ’un changement qua l i t a t i f dans la pe rcep t ion .La comprehension globale facilite la prise de decision, puisque lapersonne sa is i t pa rm i l es d i f fé ren ts aspec ts ceux qu i sont impor-tan ts .La personne u performante B 6met un nombre limité d’hypo-thèses de so lu t ion e t se cen t re su r l’aspect impor tan t de la s i tua-t ion . E l le e f fec tue un ra isonnement consc ien t pour en ar r i ver à l ap r i se de déc i s ion .

Personne qui ne dépend plus du raisonnement conscient ~OUIpasser de la compréhens ion d ’une s i tua t ion à l a p r i se de déc i s i onL’experte qui a un bagage imposant d’exemples de situationsréelles a une « reconnaissance >a intuitive de la situation et secentre imm6diatement sur les aspects importants sans formukd’hypothèses non productives.Elle voit spontan&~ent ce qu’elle doit faire, sans avoir à lera isonner de fago” consc ien te .

(Extrait de DU mode novice au mode expert : Rep&s pour lzfo rmat ion p ro fess ionne l le des infirmi&res p ra t i c iennes , parClaire,Andrée FRENETXLECLERC, Mbnoire de maîtrise, février 1989Document non publi6).

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Figure 1. - Modèle de différenciation des étapes decheminement vers l’expertise (Version tirée de

DREYFUS et BENNER).

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Traits caractéristiques de l’expert en soins infirmiers

l Formation initiale en soins infirmiers,

. exercice de plusieurs années dans un domaine,

. grande expérience,

. maîtrise parfaite des différentes techniques, ou aspectsqui constituent le domaine d’exercice,

l n’analyse pas nécessairement les processus, et en cesens n’est pas initiateur de progrès.

.._iiii Clinicien

Définition générale

La clinique, clinicus en latin, du grec klinikos, deklinein « être couché ». Son sens actuel correspond àce qui se fait près du lit du malade, au diagnostic quis’établit d’après l’observation directe et non d’après lathéorie.

La clinique commence par l’examen de chaque patientet s’efforce d’aller de ce point d’origine, particulier etempirique, vers un stade qui permettra la confrontationdes singularités du patient avec le discours universel dela pathologie.

II est évident que sans la démarche clinique, nul nepeut savoir d’avance quel trouble habite le patient, ilfaut l’apprendre peu à peu, c’est-à-dire le découvrir. Ladémarche clinique n’est jamais naïve, elle présupposetoujours le savoir et le savoir faire clinique. Donc desconnaissances et des apprentissages préalables. C’estde l’examen du patient qu’elle tire ce qu’elle peut enconnaître. Nul, a priori, n’y suffit jamais...

La clinique est constituée de l’ensemble des moyensnécessaires à l’examen d’un patient, elle tire des résul-tats de cette investigation, un diagnostic, afin de propo-ser ensuite un traitement.

Les signes

Ce sont les éléments recueillis par l’examen clinique etsusceptibles de contribuer au diagnostic. Les élémentssémiotiques sont caractérisés par trois indices :

. Ils résultent d’une recherche active du clinicien. « Lesigne clinique ce n’est pas la constatation de quelquechose, mais la constatation d’une certaine chose aulieu d’une autre chose » (Georges LANTERI-LAURA).

Cela présuppose que pour donner un sens à un signe àpartir d’une observation, il faut avoir intégré la normalité.

Un examen clinique nécessite donc :

- un savoir sémiotique, c’est-àdire connaître la réponsenormale sans laquelle on ne peut repérer la différenceet le plus petit écart à partir duquel le signe existe.

Ex. : la dépression post-partum est un phénomène nor-mal, à partir de quand devient-elle pathologique chezcertaines femmes ?

- un savoir faire : palper, examiner, regarder, écou-ter, sentir.

l La plupart des signes sont polysémiques, ils possè-dent plusieurs sens. Les signes monosémiques sontrares, c’est le cas des signes pathognomoniques, tel lesigne de Koplik dans la rougeole.

. Ils sont toujours différentiels.

Ex. : une douleur thoracique gauche peut être d’origineneuro-musculaire, pulmonaire ou cardiaque.

Les examens complémentaires (biologique, tomodensi-tométrique, endoscopique...) suivent la même mé-thode que la clinique et constituent un tout avec elle.Ils permettent d’affiner ce qui est possible de saisirau-delà de la clinique pure, au-delà de la perceptiondes sens.

Le diagnostic

LITTRÉ le définit comme l’art de reconnaître les mala-dies par leurs symptômes et de les distinguer les unesdes autres. C’est aussi la reconnaissance ou le discer-nement.

En médecine, la démarche diagnostique comporte qua-tre étapes :

De l’indice au symptôme

II s’agit de rassembler les indices et d’isoler ceux ayantvaleur propre de symptôme à partir du discours et del’examen physique du patient.

Du symptôme au syndrome

C’est la mise en corrélation de l’ensemble des symp-tômes en un « syndrome », faisant référence à uneorganisation originale et spécifique, répétable et repro-ductible expérimentalement.

Du syndrome au diagnostic de la cause

Ici deux notions sont distinguées :

. le mécanisme de formation des symptômes.

Ex. : processus inflammatoire,

l la détermination de la cause.

Ex. : méningite à méningocoque.

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DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICIEN, SPÉCIALISTE, EXPERT, CLINICIEN EN SOINS INFIRMIERS

De la connaissance de la cause à son traitement

L’étape précédente indique quel traitement entrepren-dre. Celui de la cause lorsqu’on la connaît, ou biensymptomatique.

Daniel LAGACHE indique : << Le diagnostic apparaîtcomme le compromis entre deux exigences de la pen-sée : assimilation de la réalité à des schémas préexis-tants et l’accommodation des schémas préexistants à laréalité. »

La démarche clinique suit deux méthodes de raisonne-ment (cf. figure 2).

In ter rogat ion Minut ieuxExamen Complet , Méthodique

! Somme des s igner ,sympames,antécédents

lImag ina t ionde toutes lesexp l i ca t i ons

pos?b’escho ix après

exalnenpO”dCOlltW

Figure 2. -Méthodes de raisonnement

Dans la pratique, souvent, les deux méthodes secombinent. Devant un cas embarrassant, l’hypothèsepeut être vérifiée par l’essai thérapeutique.

Le traitement

C’est l’aboutissement de la démarche clinique. IIconsiste en la mise en ceuvre de l’ensemble desmoyens employés pour guérir ou atténuer une maladieou une manifestation morbide.

La démarche clinique se fonde sur une complémenta-rité entre la pratique et la théorie. Et comme le souligneVictor COUSIN : « C’est au fond du singulier qu’ontrouve la généralité. Et en ce qui concerne l’homme, lepassage par la singularité est obligé. B

Clinitiien en soins infirmiers

C’est dans le domaine médical que la démarche clini-que est la plus accomplie. Cependant, toute discipline,tout savoir peut avoir une orientation clinique.

Pour ce qui concerne les soins infirmiers, la référencedu champ d’exercice est le soin au patient et non lamaladie, mais elle obéit aux mêmes règles. « Où soi-gner c’est tâcher de dénoncer les conflits par quoi unepersonne dans son explication avec le monde se sentmal à l’aise » (D. LACACHE). L’acception est large etpose la question de savoir où commencent et où seterminent les soins infirmiers !

La démarche clinique impose de se référer à un champrelativement précis dont on connaît le pourtour. Elleimpose des savoirs spécifiques. Elle demande avant dese développer un travail épistémologique important.

Les fonctions des cliniciens en soins infirmiers sont aunombre de cinq :

,l. Pratique des soins et/ou participe à ceux donnésaux patients, aux familles, aux communautés. Elle peutêtre considérée comme personne ressource, commemodèle. Elle est responsable de la conduite et de lacoordination de soins complexes et spécialisés requé-rant une participation multidisciplinaire ;

2. Consultant, son intervention se situe à plusieursniveaux :

- elle aide les praticiennes en soins infirmiers à résou-dre les problèmes posés par les patients, les familles, lacommunauté,

- elle participe aux réunions et travaux où sont discu-tées, élaborées et évaluées les activités cliniques ;

3. Fymateur, elle détermine les problèmes de soinsprioritaires, identifie les besoins en formation, participeà l’élaboration des programmes et transmet desconnaissances aux praticiennes en soins infirmiers, àses collègues, aux étudiants... ;

4. Chercheur, elle effectue des recherches et est vul-garisateur en introduisant et en adaptant aux soinsinfirmiers des connaissances produites par d’autreséquipes ou dans d’autres disciplines ;

5. Gestionnaire de projets spécifiques avec leséquipes uni ou multidisciplinaires. Met en ceuvre desprojets pour instaurer des changements cliniques etscientifiques.

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Traits caractéristiques de la clinicienne

l Formation initiale en soins infirmiers,

l formation supérieure (méthodologie, recherche, pé-dagogie...) de niveau Maîtrise, car c’est le stade à partirduquel on acquiert la capacité de transposer lesconcepts,

. pratique des soins, conseil, enseignement, gestion,recherche,

. connaissances théoriques approfondies : anatomie,physiologie, épidémiologie...,

i position fonctionnelle plutôt que hiérarchique. Laposition hiérarchique pourrait se concevoir s’il y a ungroupe de cliniciens dans un même établissement,

. éventuellement spécialisation dans un domaine,

. agent de changement.

AUTONOMIE ET INDÉPENDANCEDES CONCEPTS

Les définitions et les analyses des concepts mettent enévidence qu’il y a une certaine hiérarchisation qui engen-dre des interdépendances, obéissant à une logique.

Dans les soins infirmiers, le dénominateur commun detoutes les évolutions est la praticienne. L’expertise esttoujours l’aboutissement mais avec des niveaux diffé-rents, en fonction du cursus. On ne parlera pas de lamême expertise s’il s’agit d’une praticienne, d’une spé-cialiste ou d’une clinicienne.

La clinique basée sur une formatitin supérieure engen-dre une expertise d’envergure qui permet le dévelop-pement scientifique de la discipline et la potentialisa-tion théorie-pratique (cf. schéma 1 et tableau 1).

Exerc icegén&aliste

P : praticien E : expert S : spécialiste C : clinicien F : formation

Schéma 1 : Autonomie et indépendance desconcepts.

Le schéma et le tableau montrent également quellessont les conditions nécessaires pour accéder et semaintenir dans chacun des cas.

CLINIQUE ET AUTRES DOMAINESD’EXERCICE

Dans cette partie, nous examinerons à partir de I’exis-tant deux scénari qui positionnent la clinique dansl’exercice des soins infirmiers.

lerCAS. SCÉNARIO EXISTANT (cf. schéma 2)

A l’issue d’une formation initiale, chaque personnepratique pendant une période les soins infirmiers, puiss’oriente vers un domaine plus particulier.

l pratique des soins : l’infirmière continue d’exécuterdes techniques... sans nécessairement développer laclinique,

. enseignement : il est difficile d’enseigner la cliniquealors qu’elle n’est pas encore développée. II s’agit, ici,davantage de gestion de la formation plutôt que d’en-seignement,

Les concepts considérés le sont en référence aux soins infirmiers cliniques.Le signe négatif indique que le caractère considéré n’est pas obligatoire pour l’exercice auquel il se réfère.

Tableau 1. - Caractères de chaque concept.

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l gestion : elle repose essentiellement sur les res-sources (personnel, matériel) plutôt que sur la qualitédes soins en l’absence de bases cliniques,

l recherche : bien qu’elle n’existe pas aujourd’hui,telle qu’elle est présentée ici comme une activité, ellepeut porter sur des techniques de soins, mais son émer-gence reste difficile, limitée. Dans la recherche, le rôlede la praticienne est davantage celui de « petite main Bqui collecte les données, que celui de concepteur et demaître d’oeuvre.

u u \I-----;, Recherche ,

Schéma 2. -Premier cas.

2e CAS (cf. schéma 3)

La formation initiale est suivie d’un véritable apprentis-sage et exercice clinique qui permet d’intégrer la théo-rie et la pratique. Puis l’évolution se fait dans un do-maine particulier :

l clinique permet de parvenir à l’expertise,

l enseignement, qui est basé sur la clinique ne peutrester performant que s’il est en lien avec une pratique,sinon comme dans le schéma précédent il s’oriente rapi-dement vers la gestion des programmes et des études,

l gestion, comme l’enseignement, si elle n’est pasalimentée par la pratique, se détache progressivementde la clinique,

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Schéma 3. - Deuxième cas.

l recherche n’est pas un domaine en soi, ellecomplète chacun des trois domaines considérés :recherche dans le domaine clinique, recherche en pé-dagogie, recherche en gestion.

Cependant, l’enseignant et le gestionnaire, qui ont eu lamaîtrise de la clinique, peuvent avoir une gestion deI’enseignementetdes soins plus spécifique et adaptée auxexigences professionnelles. Mais cela reste limité enraison de la rupture un moment donné avec la pratique.Ce type de scénario est concevable, des associationssont possibles, par exemple clinique-gestion... Deuxremarques sont à faire :

l les fonctions de clinique et de gestion seront occu-pées par deux personnes différentes,l à partir du moment où une personne abandonne laclinique pour accéder à une fonction d’enseignant oude gestionnaire, elle entre dans une autre logique, quirépond à d’autres savoirs.La clinique s’inscrit dans une dynamique qui ne peutfonctionner que si le processus est en interaction avecla pratique.

3e CAS (cf. schéma 4)

Ce schéma est probablement celui qui est le plusproche et le plus complet de l’activité clinique danstoutes ses dimensions. Car il met en permanence eninter-relation : la pratique, l’enseignement, la gestion(du soin) et la recherche.

C’est ici que se trouvent les véritables facteurs deprogression, d’évolution et d’expertise, voire le fonde-ment des soins infirmiers.

Recherche RechercheClinique dans la

G&O”Clinique

Schéma 4. -Troisième cas.

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CONCLUSION

Au regard de ce qui vient d’être développé et enconfrontant avec la pratique actuelle, les soins infir-miers n’ont pas donné une place centrale à la clinique,même si les approches (démarche de soins) ou desoutils (diagnostic infirmier) sont prônés.

On peut s’interroger sur la logique de constructionactuelle des soins infirmiers. Peut-on mettre en relationcette situation et :

l le manque de cohésion autour de l’essentiel,

. la difficulté de construire une science infirmière,

. l’éclatement de la profession en de multiples petitesassociations,

. la très grande et très présente primauté ,d’iden-tification à la clinique médicale !

La clinique oblige à :

. définir le champ de compétence, ce qui demande àne plus parler seulement en terme de connaissances etde savoir mais en terme de compétences,

. constituer un savoir spécifique, le corpus actuel estrestreint, il manque des travaux et leur publication,

. réorganiser la « profession », si elle est basée sur laclinique, élle permet de repositionner l’enseignement,la gestion et la recherche.

La clinique devrait-elle être le fédérateur professionnel !

BIBLIOGRAPHIE

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CLINIQUE ET CLINICIENS DES CONCEPTS AUX PRATIQUES

PRÉSENTATION DE LA TABLE RONDE meilleure perception de ce qu’il est considéré dans sasouffrance par celui qui le soigne. Cet acte, qui estdonc souvent le premier, permet d’entrer en communi-cation vraie, en situation de professionnel de santéavec le malade. C’est souvent la clinique qui permet ausoignant de s’approprier réellement la situation qu’il vaconwibuer à gérer. Cette appropriation est nécessairepour faciliter la prise en charge personnelle et adaptéeà la situation.

Nous avons beaucoup parlé de clinique, nous avons vuque c’était à la fois un art et une exigence. Nous noussommes demandés comment les personnes qui prati-quent la clinique concilient ces deux aspects, nousavons sollicité les intervenants, tous cliniciens dans desdomaines différents, pour qu’ils partagent avec nousleurs expériences et leurs réflexions sur leur métier decliniciens.

A la suite de leurs exposés, nous ouvrirons un débatavec la salle.

INTERVENTION DE E. DUSEHU*

La clinique est l’observation des signes d’une maladiechez celui qui en est atteint.

Le dictionnaire ROBERT de la langue française la défi-nit ainsi :

- qui concerne le malade au lit, qui observe directe-ment au lit du malade les manifestations de /a maladie;

- méthode qui consiste à faire un diagnostic par l’ob-servation directe ;

- enseignement médical qu’un patron donne à sesélèves au chevet des malades et ensemble des connais-sances acquises de cette manière.

L’appréciation des signes cliniques passe donc par lesorganes des sens que sont notamment la vue, l’ouïe,l’odorat et le toucher.

Le premier contact du soignant avec l’homme maladepasse presque toujours par cette perception directe desconséquences de ce qui l’atteint. C’est l’acte qui initiesouvent le mieux la communication entre le soignantet le soigné, celui entre tous qui donne au malade la

* Médecin des Hôpitaux, Service de l’Information Médicale, CentreHospitalier de Compi&ne

La clinique a été prépondérante dans le développe-ment scientifique de la médecine. Elle devrait demeu-rer l’acte premier de toute démarche médicale ou desoins et initiatrice de la démarche intellectuelle, mêmesi la mode, la facilité, le succès aidant et parfois lemirage de la technologie, lui ont ravi la vedette aucours de ce5 dernières décennies.

Son importance est de trois ordres :

Historique

C’est la voie qui a conduit à l’émergence de la méde-cine moderne, celle qui repose sur son assise scientifi-que tandis qu’elle n’était jusqu’alors qu’un art sans effetsignificatif sur le cours des maladies, résumant sonefficacité au soutien moral qu’elle apportait.

Elle a permis la description nosographique et le classe-ment des maladies. C’était le préalable nécessaire quipermettra ensuite les grandes découvertes thérapeuti-ques qui ont suivi.

La France en ce domaine a été le creuset de ces grandscliniciens qui ont jalonné l’ensemble du XIXesiècle.

lié à sa nature

Au travers de la « pratique clinique », se trouvent misen oeuvre les fondements hippocratiques de l’exercicemédical. On pourrait même dire que la pratique clini-que a illustré de façon la plus éclatante qui soit le lienqui existe dans ce domaine entre l’antiquité et la mo-dernité : les règles morales posées hier sont toujoursapplicables à l’identique sans changement aujour-d ’ h u i .

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‘Ii%i CLINIQUE ET CLINICIENS DES CONCEPTS AUX PRATIQUES

Cette pratique clinique permet et rend nécessaire la« rencontre d’une confiance et d’une conscience »comme l’a si bien exprimé le Professeur PORTES, pre-mier Président du Conseil National de l’OrdredesMédecins.

C’est un corps qui se confie et s’abandonne dans touteson intimité et dans toute la symbolique que cettesituation représente.

C’est enfin le « colloque singulier » entre deux êtreshumains pour prendre en charge ce qu’il y a de plusprécieux pour celui qui est malade : sa santé dans le butde retrouver la g( bonne santé >) ou une santé compati-ble avec les aspirations personnelles propres à un indi-vidu donné.ScientifiqueLa clinique est la base objective scientifique préalableet nécessaire à toute démarche d’analyse diagnostique.Elle a un signifiant physio-pathologique dont elle té-moigne même si l’appréciation des signes passe autravers de la subjectivité de l’observateur et des carac-tères particuliers spécifiques au patient considéré.

Le signifiant décrit pour la démarche diagnostique l’estaussi pour le suivi évolutif et le traitement mis enceuvrt?.

Antérieurement à 1978, l’infirmière avait seulement unrôle d’exécution.

La clinique, comme discipline d’exercice, n’avait d’in-térêt que pour la démarche diagnostique tant son pro-longement thérapeutique était limité. II était donc logi-que qu’elle soit l’apanage des médecins dans la mesureoù les possibilités thérapeutiques restreintes n’engen-draientqu’un nombre d’actes limité et de surcroît d’uneefficacité thérapeutique bien souvent modeste.

II n’y avait alors pas de contribution spécifique quipuisse être dévolue au corps soignant non médecindont la charge de travail était essentiellement canton-née au soutien moral et à la préservation de l’hygiènecorporelle.

La situation a bien changé depuis.

L’infirmière a maintenant un rôle propre que le Iégisla-teur lui a reconnu et dont il a défini le champ, suivanten cela l’évolution vertigineuse des possibilités de lascience et la multiplicité des compétences, techniquesnotamment, nécessaires pour assumer la prise encharge de la situation pathologique d’un patient donné.

L’évolution de la société et de la culture d’entrepriseont aussi contribué à ce qu’elle passe du rôle de vassal,

d’agent d’exécution, à celui de collaborateur ou colla-boratrice dans sa sphère de compétence. Le médecin,quant à lui, passe du rôle de chef pyramidal et hiérar-chique à un rôle de coordinateur et d’animateur d’équipedont l’autorité n’est plus « de fait » mais liée à sacapacité d’organisation, de synthèse et d’animation.

Dès lors il est naturel que l’observation clinique, acteprinceps de la démarche professionnelle de santé, soitpartagée avec l’infirmière pour la part concernée parson activité de responsabilité dès lors que, par le niveauacquis désormais par sa formation, l’infirmière disposedes connaissances nécessaires pour comprendre lesens de ce qu’elle observe.

L’essentiel de l’observation ne requiert pas d’autorisa-tion particulière nécessaire, sauf en ce qui concerne letoucher qui n’est pas forcément l’essentiel de l’acteclinique. La cyanose, la polypnée, les modifications deprésentation de conscience sont des faits qui peuventêtre spontanément relevés par un observateur quelleque soit sa fonction, sans qu’il soit besoin pour ce faired’une habilitation quelconque. L’apport de ces don-nées au dossier du patient a du sens dès lors qu’elless’intègrentdans un processus intellectuel d’élaborationde la, prise en charge du malade et que le soignantapporte l’information non pour elle-même, comme leferait n’importe quel colporteur de ragot, mais dans lecadre réfléchi de cette démarche en cours auquel lesoignant contribue.

Intrinsèquement, l’observation d’un malade n’a pas àêtre confisquée par un corps professionnel quel qu’ilsoit. Ce n’est pas un outil du pouvoir corporatiste,l’information clinique doit servir les objectifs profes-sionnels avec pour finalité exclusive la qualité dessoins délivrés aux malades.

La clinique impose de prendre en compte le patientdans sa globalité et sa spécificité d’Etre Humain Elleest donc le ciment entre les activités spécifiques dechacun des intervenants de santé sur un malade donné.L’observation clinique est aussi la résultante des effetsdetoutes,lesactionsdesanté, efficacesquand ellessontcoordonnées, moins efficaces quand elles ne le sontpas. C’est aussi l’indicateur des accidents de parcoursaprès qu’elle aitétécelui de « l’état des lieux » au stadeinitial de la prise ‘en charge, La clinique doit doncdemeurer au centre des préoccupations de notre acti-vité et du comportement que nous devons avoir dans larelation avec les autres disciplines et les autres profes-sionnels de santé. C’est l’acte essentiel de notre activitéprofessionnelle, celui dont chaque individu qui le pra-tique est « responsable », c’est-à-dire dont il doit pou-voir « répondre ».

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CLINIQUE ET CLINICIENS DES CONCEPTS AUX PRATIQUES

INTERVENTION DE NICOLE ZLATIEV*

Je suis infirmière depuis 15 an5 et je travaille depuis5 ans dans un centre de soins continus à visée soinspalliatifs à Coulonges-Bellerive, en Suisse, à côté deGenève.

Cette institution dépend des institutions universitairesde gériatrie qui emploient depuis 1987 4 infirmièrescliniciennes.

Elles sont sous la responsabilité administrative des infir-mières chefs dans les différents secteurs de l’institution.

Leur position n’est pas hiérarchique, elle est fonction-nelle et c’est très important.

Les infirmières cliniciennes travaillent uniquement surmandats qui leur sont demandés soit par une infirmière,uneéquipe de soins, soit par lescadres infirmiers, voirela directrice des soins.

Le centre où je travaille reçoit 104 malades pris encharge par 140 personnes (118 postes budgetés) ; il y abeaucoup de temps partiel.

Avant de vous décrire en quoi consiste le travail d’in-firmière clinicienne, j’aimerais parler de mon cursuspersonnel. Je suis infirmière depuis 15 ans et j’ai effec-tué l’école des cadres en France à Rennes. Cette annéede formation a été une année d’ouverture et de chemi-nement personnel et m’a incitée à faire quelquesannées plus tard mes études pour devenir clinicienne.

J’ai entrepris 2 années d’études en discontinu à l’Écolesupérieure d’enseignement infirmier à Lausanne, c’estun investissement très lourd tant sur le plan financierque sur le plan familial.

J’ai occupé le poste d’infirmière clinicienne pendant15 mois et depuis quelques temps, je suis surveillante chef.

La formation des infirmières cliniciennes qui s’inscritdans le cursus de formation cadre des infirmières Suissefrancophone, comprend 3 niveaux :

- le niveau 1 forme les surveillantes, les assistantesenseignantes et les cliniciennes.

- le niveau 2 forme les surveillantes chefs, les ensei-gnants et les spécialistes cliniques.

- le niveau 3 qui est une maîtrise forme les directeursd’école, les directeurs de soins infirmiers et les consul-tants. Nous pouvons voir que toutes les formations ont3 volets : gestion, enseignement, clinique.

* Infirmibe clinicienne, Cenéve.

Le contenu de la formation met l’accent sur I’impor-tance.des modèles conceptuels et théorie de soins, ysont développées aussi des notions sur :

- le processus de changement,

- la pédagogie des adultes,

- l’approche systémique,

- la recherche clinique l’étudiant devant réaliser unerecherche.

Mon hxpérience d’infirmière clinicienne

Mon travail s’est organisé autour de plusieurs pôles :

Pôle de formation avec activités mukiples

l Création d’un groupe d’enseignement pour les infir-mières (2 heures tous les mois) ou sont développés àleur demande des sujets tels que la gestion du stress, larelation d’aide etc...

l Aide à l’élaboration d’un programme 2e niveau ensoins palliatifs.

l Participation à des cours dans le cycle soins palliatifssur le deuil, l’accompagnement des familles etc...

l Formation des médecins sur des sujets tels que pro-cessus de soins.

l Accueil des élèves stagiaires et mise en place deformation.

l Supervisions des travaux individuels ou de groupe.

l Supervision des équipes qui vivent des situationsdifficiles avec un malade ou la famille.

Ma situation externe me permet un autre regard, uneautre approche des problèmes.

Ce domaine est important car il doit permettre à I’infir-mière clinicienne d’accroître son savoir par la lecturede revues professionnelles et autres, et aussi de trans-mettre des connaissances aux infirmières.

l Avec elles nous avons travaillé sur des techniques desoins, un protocole de chimiothérapie, l’utilisation dela morphine, etc...

l Mise en place de nouveau matériel que les infir-mières cliniciennes sont chargées de tester.

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Pôle communication

Communiquer signifie « être avec n, « communier avec ».

Dans ce domaine, ma mission cons& à écouter lepersonnel, avoir un rôle de soutien individuel, être surles lieux de vie de l’institution, les services, la cafétéria.Etre là aussi pendant les services commémoratifs quisont organisés par le centre, tous les trois mois, pourl’ensemble des personnes décédées dans l’institution.Après le service, il y a un temps d’échanges avec lessoignants.

Pôle qui concerne /a vie institutionnelle

. Participation à divers colloques.

. Animer des réunions et réflexions sur l’éthique.

Pôle recherche

]e n’ai pas entrepris d’autre recherche que celle termi-née l’année dernière et publiée dans le numéro 31 deRSI, mais j’aide et encadre des recherches entreprisespar des étudiants, des équipes ou des infirmières. II y aaussi un gros travail à faire sur la communication destravaux.

Un groupe de recherche a réalisé une feuille de plani-fication de soins individualisés, utilisée actuellementpar l’ensemble des services. J’ai été mandatée par I’ins-titution pour travailler avec un groupe et étudier leprocessus de soins informatisé. Cette année, nousavons eu une phase de test du prototype.

En plus de ces différentes activités, il m’est arrivé deréaliser des soins directs en remplacement d’une infir-mière pendant l’été. Cette situation m’a permis d’avoirun autre contact avec le personnel et d’être au pied dulit du malade avec sa famille.

En conclusion, il me semble que le rôle essentiel del’infirmière clinicienne est de permettre le développe-ment du rôle autonome de l’infirmière.

On a souvent et depuis longtemps pensé qu’une infir-mière c’était des mains puis on a pensé que c’était unetête, c’est également un grand coeur.

Si nous voulons que l’infirmière respecte un maladecomme un être bio psycho social et spirituel, ilconvient aussi de voir l’infirmière comme cet être-là.

Dans ma fonction, je suis vigilante pour me demander<c comment va l’autre », pour être à son écoute et dispo-nible quelle que soit la charge de travail ; l’essentielpour l’infirmière, comme pour l’infirmière clinicienne,c’est d’être authentique.

INTERVENTIONDE CLAUDINE HELOUIN*

Comment puis-je développer le meilleur de moi-mêmeet réinvestir dans des actions. Cette opération nécessiteun véritable changement.

Changer, c’est accepter de transformer son regard sur soi,sur l’autre et concrètement de le vivre dans le quotidien.

Pour certains, il va s’agir de passer d’une attitude rigideà une attitude faite d’écoute, de compréhension et derespect de l’autre.

Pour d’autres, de se faire confiance et de faireconfiance ; ou encore de prendre sa part de respon-sabilité dans une difficulté, d’exprimer son ressenti sansagressivité, de négocier plutôt qu’imposer, d’être actifdans la résolution d’un conflit, dedévelopper un regardpositif sur soi et sur l’autre, etc.

Tout changement implique un renoncement et un certainlâcher-prise psychologique. Changer, c’est accepter dedire au revoir à ce qui nous retient ou nous limite pourdire bonjour à ce qui nous anime. C’est donc de faireen quelque sorte un deuil de comportements qui ont euleur raison d’être un jour mais qui ne sont plus adéquatsaujourd’hui.

II apparaît dès lors évident qu’une telle démarche nepeut se faire que par un accompagnement régulier etprogressif dans lequel la personne ou l’équipe va êtresoutenue dans la mise en place de contrats de changementavec définition d’objectifs précis-concrets - mise enplace de moyens accessibles-critères de vérificationet mesure des résultats

Tout changement s’inscrit dans le temps. Or le risqueaujourd’hui, c’est de vouloir parer au plus pressé, sedoter d’un arsenal de techniques sécurisantes dans unpremier temps mais qui ne résiste pas quand survientune difficulté.

Par contre, quand le personnel hospitalier s’impliquedans une démarche active de changement, on constatequ’une synergie positive se crée entre tous les acteursde l’hôpital et que la pratique soignante se transformeprofondément : l’établissement hospitalier n’est plusuniquement un lieu de diagnostic et de traitement maisdevient un lieu d’écoute des malades, ce qui signifienotamment :- voir dans chaque patient un être humain unique ;

- comprendre qu’au-delà de la souffrance physique,il y a une souffrance psychique et que la plupart des

* Psycho-clinicienne.

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CLINIQUE ET CLINICIENS DES CONCEPTS AUX PRATIQUES

états pathologiques sont des expressions d’un mal-être,voire d’un conflit interne non résolu (manque d’amourabandon perte du sens etc...). La maladie a doncparfois valeur de signal ou de message qu’il imported’entendre et de comprendre ;

- intégrer que la santé passe par une prise deconscience, une lucidité accrue et une meilleure har-monie avec soi-même et les autres.

Plus l’être humain prend conscience de ses besoinsfondamentaux, plus il voit un sens à son existence etplus il est en santé.

Dans cette vision, l’acte de soin s’élargit en devenantun processus formatif et d’accompagnement dans le-quel la qualité d’être et la dimension personnelle desoignant prend tout son sens. Cette démarche passe parune interrogation et une réflexion sur ce que l’on est etce que l’on fait, un minimum de remise en cause etd’ouverture de soi pour accepter de se voir avec sespoints faibles, ses limites et ses résistances.

La deuxième étape consiste à changer, c’est-à-direaccepter de passer d’un état jugé insatisfaisant à un étatjugé meilleur pour soi et pour l’autre.

INTERVENTION DE LISE LAMONTACNE*

Je suis Québécoise, infirmière clinicienne depuis plusde 30 ans, depuis 8 ans en France, où j’exerce en tantque formateur. Je ne fais pas de distinction entre cesdeux fonctions car être infirmière clinicienne me faitapprocher comme une clinicienne les personnes que jerencontre à l’occasion des formations.

Je suis devenue infirmière clinicienne en me laissantquestionner par mes clients (patients), ce sont eux quim’ont incitée à le devenir et pour le comprendre, ilserait utile que je vous décrive ma trajectoire.

J’ai fait mes études en 3 ans au Québec, dans une écoleaffiliée à un grand hôpital pédiatrique de Montréal. J’aicommencé ma carrière d’infirmière dans un service demédecine pédiatrique (6 à 18 ans) qui avait la particu-larité de recevoir des enfants atteints de maladies chro-niques et graves (leucémie, syndrome néphrotique...).Les enfants étaient souvent réhospitalisés.

Après 2 années de pratique, je me suis sentie essouflée.J’avais l’impression d’avoir réinvesti tout ce qu’avait pu

* Infirmike clinicienne, Lyon.

m’apporter la formation initiale et j’ai souhaité aller àl’université, me former à nouveau pour être plus perfor-mante pour mieux aider les enfants et leur famille, etsurtout, pour essayer de me découvrir d’autres res-sources pour faire face à cet accompagnement.

J’ai donc fait un premier certificat universitaire de nur-sing clinique en soins infirmiers de pédopsychiatrie.Cette formation, en réalité, utilisait très peu le cadrepsychiatrique, mais plutôt le cadre psychologique dudéveloppement et de la communication de l’enfant.Cette année très enrichissante, je l’ai poursuivie parune deuxième année universitaire, centrée sur le ques-tionnement de la relation d’aide aux adultes.

Quand on approche les soins aux enfants, nous travail-lons autant avec les parents qu’avec les enfants.

Après ces 2 années, j’ai pris un poste en consultationde santé mentale qui avait comme clientèle les enfantsde l’hôpital pédiatrique, énorme structure de 900 lits et200 berceaux. J’ai fait dans ce service un travail d’infir-mière clinicienne bien que le nom n’existait pas àl’époque. Pendant unedouzaine d’années, j’ai travailléauprès des enfants atteints de maladies chroniques etgraves et qui développaient des réactions à leur mala-die, envers leurs parents, ou à leur traitement. Pendantcette période, j’ai été chargée d’enseignement. Puis j’aichoisi de ne travailler qu’avec des adultes atteints demaladies graves. En fait, à ce moment-là au Québec, ily avait beaucoup d’infirmières cliniciennes près desenfants et peu près des adultes.

Puis, petit à petit, de nouveau, je me suis sentie insatis-faite de l’aide que je pouvais apporter aux familles, mesconnaissances me semblaient insuffisantes pour consi-dérer la famille, non pas comme des individus isolés,mais comme un tout avec beaucoup d’interactionsentre eux.

Je suis retournée 2 ans à l’université, avec commepréoccupation une question centrale que je peux résu-mer ainsi : Comment aider la famille en crise à I’occa-sion de la maladie chronique ou grave d’un de sesmembres ? Depuis 8 ans, je suis en France et j’ai chan-gé de population de référence, je ne soigne plus desmalades et des familles, j’accompagne des soignantscomme infirmière clinicienne et formateur.

Mon expérience m’a appris que la stratégie de soins laplus efficace est celle qui aide la personne à mobiliserses ressources pour faire face à la difficulté qui est lasienne. II en est de même avec les soignants que j’aidevant moi et qui ont souvent du mal à mobiliser leurspropres ressources. Pour vous faire comprendre le sensde ma démarche, je vous parlerai de I’accompagne-

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ment de 4 unités de cardiologie que j’ai réalisé sur4 ans, dans un C.H.U. en France.

La demande émanait des cadres infirmiers de I’établis-sement, après une tentative infructueuse d’éducationdes patients cardiaques à leur régime.

11s avaient constaté que leur activité d’éducation nedonnait pas les résultats escomptés : soit les maladess’opposaient aux activités proposées, soit ils adoptaientdes situations de fuite, mais dans tous les cas, nerespectaient pas les consignes concernant leur régime.

La demande des infirmières était d’ordre pédagogique :Comment enseigner au malade pour qu’il comprennel’intérêt de son régime et le respecte !

Les infirmières mettaient en cause leurs proprescompétences, mais rapidement j’ai compris que le pro-blème était mal posé. A la première réunion qui réunis-sait les cadres, nous avons analysé la situation et ils ontpris conscience qu’un refus aussi massif des patients,une non adhésion aussi importante à ce qui était pro-posé, ne relevait pas seulement de leurs difficultés àéduquer les patients, mais qu’il y avait d’autres pro-blèmes plus graves.

Je leur ai proposé l’hypothèse que d’autres problèmes,d’autres vécus, monopolisaient l’énergie des patients etles rendaient indisponibles pour apprendre à se proté-ger par leurs choix alimentaires.

Nous avons entrepris un travail qui dure depuis 4 ans.L’essentiel et le plus difficile de ce travail consiste pourles infirmières à identifier quels sont les autres vécusqui empêchent le client d’être réceptif et dese prendreen charge.

L’accompagnement que j’ai proposé a nécessité plu-sieurs stratégies :

- l’encouragement à utiliser les formations offertespar l’établissement,

- la consultation,

- la supervision.

h tout premier lieu, j’ai travaillé avec le groupe descadres pour qu’ils puissent eux-mêmes gérer le projet.Je ne voulais surtout pas prendre leur place. Pendant lapremière année, l’essentiel du travail a été réalisé avecles cadres. Ils ont découvert leurs propres ressources etont été chercher des connaissances pour se sentir plusà l’aise dans le projet. Dans le même temps, des agentsde leur service sont partis en formation pour acquériraussi des connaissances ciblées.

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Dans un deuxième temps, j’ai entrepris une enquêteavec les infirmières qui les a conduites à recueillir desinformations auprès des malades. L’objectif était d’es-sayer de comprendre ce qui captivait l’énergie du pa-tient. Nous avons fait une étude très précise de leursdifficultés, leurs besoins, leurs ressources, leur auto-nomie.

Les outils de recueil de données ont été réalisés par leséquipes, dans une unité de soins où les patients restentpeu de temps, mais sont plus autonomes. Les infir-mières ont bâti un outil que le patient remplit lui-même.

A notre grande surprise, nous avons remarqué que denombreux malades sont capables de faire leurs propresdiagnostics infirmiers (même si ils n’ont pas appris ceque c’était). A la question qu’attendez-vous des soi-gnants, une patiente a répondu que son principal pro-blème n’était pas cardiaque, c’était l’angoisse liée à sasituation familiale. Son plus jeune fils se mariant, elleavait peur de se retrouver seule dans une maison isolée« sans trop quoi faire de mon corps ». Le mari de cettepatiente partait toute la semaine pour son travail.

Cette étape d’enquête et de construction des outils a étéimportante, car les infirmières ont senti que sans cettedémarche, elles ne pouvaient pas comprendre les pa-tients et donner un sens à leur comportement.

A l’heure actuelle, nous avons exploité plus de2 000 recueils de données.

L’étape suivante consistait à analyser ce matériel pouridentifier les problèmes qui captent l’énergie des pa-tients.

En premier lieu, venait l’anxiété modérée ou grave, lamesure en était faite avec l’échelle de HAMILTON. Lespatients étaient pratiquement tous envahis par leuranxiété qui mobilisait une grande part de leur énergie.

Après l’anxiété, nous avons trouvé 8 fois sur 10 desdeuils non résolus.

Les deuils apparaissaient de façon significative dansdeux questions :

La première, nous demandions au malade : avez-vousrécemment vécu un deuil, une perte dans votre familleou votre entourage ?

Les patients répondaient : oui j’ai perdu un proche, il ya 10 ans, 15 ans. La réponse signifie que malgré lesannées passées, la perte est toujours récente.

La deuxième question concernait le sommeil : dormez-vous bien ?

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CLINIQUE ET CLINICIENS DES CONCEPTS AUX PRATIQUES

Les patients répondaient presque toujours, je bren,ds unsomnifère.

Si l’on s’en tient là, cette réponse ne signifie rien, maissi l’on va plus loin : depuisquand ? le patient répondaitdepuis 8 ans,’ 10 ans, 15 ans ? Si on insiste en+z etque l’on interroge le patient sur ce qui s’est passé àcette époque-là, 8 fois sur 10 la réponse est en rapportavec un deuil, une perte, le conjoint, un enfant.

Cette question de deuil est apparue de façon massivedans l’enquête, 8 femmes sur 10 avaient un deuil etpour 1 femme sur 2, le deuil était un enfant.

Après l’anxiété et le deuil, nous avons identifié dans lesréponses un sentiment d’impuissance.

Nous savons que les malades qui développent despathologies cardiaques ont un profil de personne activequi les aide à faire face à leur anxiété. Privés de cettestratégie, ils se sentent impuissants à faire face à leurstress, car ils n’ont pas développé de stratégie,de subs-titution.

Je me suis demandée, sans l’avoir analysé, si tout celane signifiait pas une très grande ambivalence entrel’envie de vivre et celle de mourir.

En effet, les réponses des malades mettaient en évi-dence le fait qu’ils~avaie$ un deuil supplémentaire àfaire, celui de leur propre image et le sentiment d’êtretotalement démuni. II faut remarquer que les soins quenous donnons, l’éducation que nous leur infligeons« vous devez, vous n’avez pas le droit... » favorisentces comportements chez les patients.

Après l’analyse de l’enquête et les résultats interprétés,/‘étape suivante a été de former les soignants aux soinsrelationnels.

Les stratégies utilisées ont été :

- l’écoute active

- le reflet d’émotion

- le soutien.

Ces éléments constituent l’essentiel de la relationd’aide infirmière dans le ici et maintenant.

Les infirmières ont mis en action ces stratégies pouraider les malades à se libérer de leur anxiété, àcomprendre sa relation avec la maladie et le sensqu’eux-mêmes donnent à cette manifestation.

La maladie cardiaque tient une grande place symboli-que dans l’imaginaire et ébranle la sécurité fondamen-tale de l’être humain. Chaque malade prête un senspersonnel à sa maladie. La complexité de cette aide est

aggravée par la rapidité de l’hospitalisation. Les pa-tients atteints d’un infarctus restent 10 jours. Ce laps detemps est court pour connaître, comprendre et aider lemalade à redevenir disponible. Le travail de fond estjuste amorcé lorsque le malade quitte le service. Leproblème qui se pose maintenant est celui de la conti-nuité dessoins après la sortie.

Si je fais le bilan de cette équipe, il est très positif. Enles voyant travailler, je fais l’hypothèse que petit à petit,le patient retrouvera une perception positive de Iui-même, car il aura été aidé et qu’il pourra prendre soinde lui, suivre son régime et vivre dans de meilleuresconditions. II ne faut pas occulter le rôle des médecinsqui est-essentiel, le rôle propre infirmier est un rôlecomplémentaire de celui du médecin et des autresacteur! qui sont autour du malade, kiné, psychologueetc...

Dans ce,rtains, cas, les conflits des patients sont telle-ment profonds, qu’ils dépassent les compétences del’infirmière et relèvent de celles du psychologue, si lemalade le souhaite bien sûr.

Nous voyons que la préoccupation de départ des infir-mières est largement dépassée. Je pense que si tous lesmalades écoutaient scrupuleusement les « il faut, vousdevez etc. », ils mourraient d’absence de plaisir, dusentiment de ne plus être comme les autres.

Tout le travail des infirmières consiste à aider les pa-tients à négocier avec eux-mêmes, leurs limites et leursressources, pour ne plus être dans le tout ou rien. Avecl’équipe médicale, l’équipe infirmièretravaille mainte-nant sur la continuité des soins.

ConclusionConclusion

En synthèse, je voudrais dire que pour développer desEn synthèse, je voudrais dire que pour développer descompétences de clinicienne, il faut continuellementcompétences de clinicienne, il faut continuellementtravailler sur 6 axes, tous en interaction les uns avec lestravailler sur 6 axes, tous en interaction les uns avec lesautres.

1) II faut utiliser comme trame de raisonnement unmodèle conceptuel infirmier.

Beaucoup de problèmes viennent du fait que le modèleconceptuel est enseigné comme une connaissance, etnon comme une trame, qui permet de comprendre etde donner un sens qui permet aussi de savoir quellesconnaissances il faut aller chercher. Elles se trouventdans les sciences fondamentales. Les soins sont uneapproche bio psycho sociale et spirituelle de l’êtrehumain.

2) Apprendre à utiliser la méthode scientifique. L’éva-luation de la réalité existante, l’identification des pro-blèmes, l’élaboration du diagnostic, l’évaluation des

Page 16: DIFFÉRENCIATION ENTRE : PRATICIEN; …fulltext.bdsp.ehesp.fr/Rsi/34/14.pdf · cheminement vers l’expertise (Version tirée de DREYFUS et BENNER). Traits caractéristiques de l’expert

résultats nécessitent un esprit scientifique qui se mar-que par l’absence absolue de certitude. Trop souvent,on sent chez les soignants ce besoin de certrtude. Lecadre de raisonnement des soignants est à requestion-ner dans ce domaine-là.

3) Augmenter son confort et son efficacité dans leprocessus relationnel, cela est important car il engen-dre le quatrième axe.

4) II est nécessaire d’accroître la connaissance de soi,et d’élargir le regard qu’on pose sur soi-même. Tropsouvent, nous sommes tentées de ne voir que noslimites et nos difficultés, et d’ignorer nos ressources etnos potentiels.

5) Apprendre a utiliser la pensée systémique, et nonplus seulement la pensée linéaire. La pensée systémi-que permet de comprendre ce qui est vivant, ce qui esten interaction, ce qui a des liens. Cette démarche estdifficile mais fondamentale pour aider le malade ànégocier ses besoins. Ce sont les malades qui, au fil desans, m’ont enseigné cela, ils ont été mes plus grandsenseignants.

6) Actualiser le champ de compétences qui permet demieux utiliser les autres axes, apprendre a aller cher-cher les compétences nécessaires.

Ces 6 axes sont aussi importants les uns que les autres.Ils sont tous indispensables a l’approche clinique.

Recherche en soins infirmiers N’ 34 - Septembre 1993