dieu connaissable et aimable

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  • 8/13/2019 Dieu Connaissable Et Aimable

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    DIEU CONNAISSABLE COMME AIMABLE

    Par del foi et raison

    Jean-Yves Lacoste

    Centre Svres | Recherches de Science Religieuse

    2007/2 - Tome 95

    pages 177 197

    ISSN 0034-1258

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2007-2-page-177.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Lacoste Jean-Yves, Dieu connaissable comme aimable Par del foi et raison ,

    Recherches de Science Religieuse , 2007/2 Tome 95, p. 177-197.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour Centre Svres.

    Centre Svres. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

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    Cet article est disponible en ligne ladresse :http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RSR&ID_NUMPUBLIE=RSR_072&ID_ARTICLE=RSR_072_0177

    Dieu connaissable comme aimable. Par del foi et raison

    par Jean-Yves LACOSTE

    | Centre Svres | Recherches de science r eli gieuse

    2007/2 - Tome 95ISSN 0034-1258 | ISBN 2-913133-35-8 | pages 177 197

    Pour citer cet article : Lacoste J.-Y., Dieu connaissable comme aimable. Par del foi et raison , Recherches de science religieuse 2007/2, Tome 95, p. 177-197.

    Distribution lectronique Cairn pour Centre Svres. Centre Svres. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manireque ce soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueuren France. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

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    Notre vocabulaire dispose de deux mots : foi et raison . Et commele pas est vite fait de lexistence des mots lexistence des choses, lathorie commune nous dit, dune part, que nous sommes dous de raisonet, dautre part, que la foi peut tre veille en nous, et quil sagit l dedeux modes de connaissance distincts (mais complmentaires). Prcisons.La thorie commune (qui, comme les thories communes, est une tho-rie rcente) fait dabord fonds sur une affirmation aussi vieille que laphilosophie, et qui est une affirmation philosophique : lhomme se dfinitspcifiquement par lelogos, lequel se ditratio en latin ; do raison et rationalit . En ses origines grecques et une fois devenue romaine, dautrepart, la rationalit est illimite. Tout ce qui est donne prise aulogos 1. Ce quinous apparat, sous tout mode dapparition possible, donne penser et sedonne pour que nous le pensions ; lide dun rel irrationnel ne peut donctre forme, pas plus que celle dun rel suprarationnel2. La Grce connatcertes lopinion, ou croyance,doxa . Elle sait, dautre part, que lhommepeut croire en , quAchille peut croire en Patrocle. Elle a de plus un motpour dsigner lensemble du connaissable : phusis, natura en latin, ne pasidentifier trop vite avec ce que nous nommons nature . Et de la sorte,une question ne se pose jamais : celle dun acte de connaissance dans lequellhomme excde sa dfinition d animal rationnel , corollairement celledun objet de connaissance qui excde le champ de la phusis. Cette questionse posa toutefois lorsque la connaissance de Dieu et des choses divines en vint, en monde chrtien, tre considre comme excdant les prises de laraison. Que peut exactement la raison ? Un saut de prs de dix-huit sicles,

    1. Cest de fait fort tard, et sous des influences orientales, que le noplatonisme fera perdre la Grce sa confiance en la raison et la parole, et octroiera au silence le devant de la scne. Voir R. Mortley, From Word to Silence , 2 vol., Bonn, 1986.

    2. Cest toutefois un devoir de mentionner un texte classique : E.R. Dodds,The Greek and theIrrational , Berkeley, 1951.

    DIEU CONNAISSABLE COMME AIMABLEPar del foi et raison

    Jean-Yves L ACOSTE

    RSR 95/2 (2007) 177-197

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    des origines chrtiennes laReligion dans les limites de la simple raison, nous

    prouve quil est une auto-dfinition de la raison selon laquelle son accs Dieu et aux choses divines est aussi triqu que possible : une religion dela raison pure peut tout au plus postuler lexistence de Dieu et limmorta-lit de lme, et poser transcendantalement lexistence de la communautde ceux qui croient ainsi. Et si nous en venons de Kant Vatican I, ici encorela raison ne peut gure plus, riche de sa lumire naturelle , quaffirmerlexistence de Dieu et limmortalit de lme humaine. Entre-temps, certesprpare depuis longtemps, une entit sera apparue chez Scheeben, cellede surnature3 . lunit du cosmos grec se sera substitue une thorie

    des deux mondes, monde de la raison et monde de la foi, et une frontireaura t trace. la raison de savoir que Dieu existe, la foi desavoir quil est Trinit. la raison de savoir Dieu accessible, la foi de le savoir suprmement accessible en Jsus de Nazareth. Etc. loriginede la thorie aussi bien que dans ses formes les plus tardives, nul ne dira jamais que la foi est sans raison. Elle excde la raison. En cet excs, elle necesse de possder le caractre de la connaissance, de lagnsis. Ici et l tou-tefois, et de manire plus durcie au fur et mesure que foi et raison tendent sopposer plus nettement, les deux mots tendent dsigner deuxfacults distinctes : et de nous affirmer, au terme dune longue histoire, que foi et raison sont comme les deux ailes laide desquelles lesprit humainslve jusqu la contemplation de la vrit4 .

    La phrase que nous venons de citer est ambigu. Dune part, elle affirmeque lune (la foi) nest pas sans lautre (la raison). Mais dautre part, elleaffirme que lune nest pas lautre, et que lhomme est donc capable delune et de lautre. Domaine du rationnel , domaine du croyable , lesdeux se trouvent nettement dlimits. Et on se souviendra que les vquesde Rome, tout au long duXIX e sicle, nont cess de guerroyer contre lesthories qui laissaient le domaine du seulement croyable empiter sur celuidu seulement rationnel (fidisme), et contre celles qui laissaient le domainedu seulement rationnel empiter sur celui du seulement croyable (rationa-lisme). Ces polmiques ne sont pas mortes, preuve les mises au point quele rdacteur de Fides et ratio a cru de son devoir de rpter. De ce quelles nesont pas mortes, peut-on cependant conclure quelles sont plus quen sur- vie ? Permettons-nous davancer des doutes. (a) Le premier doute porterasur le destin linguistique qui fit de la phusis grecque unenatura et qui pr-

    sida la naissance du concept de connaissance naturelle . Le concept est

    3. M.J. Scheeben,Natur und Gnade , Kircheim, 1861 (trad. fr. Paris, 1957). On pardonnera un jeune homme de vingt-six ans davoir procd une rification aussi monstrueuse.

    4. Jean Paul II, Fides et ratio , Cit du Vatican, 1998, incipit.

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    la fois positif et ngatif. Il est positif, ainsi dans le texte de Vatican I, lors-

    quil sagit de dire de lhomme quil peut connatre Dieu avec les lumiresde la raison naturelle5 . Il est aussi ngatif, cependant, pour autant que leDieu ainsi connaissable est et nest que celui du thisme. Deux mondes sontainsi connaissables : le monde naturel , sur lequel rgne un Absolu cra-teur, dont le visible rvle linvisibilit ; et le monde surnaturel , auquelseule accde la foi, et auquel elle accde par un strict changement dor-dre. Or, la thorie des deux mondes est-elle essentielle la thologie ?Elle lui est incontestablement devenue essentielle. Et pour tre prcis, ellelui est devenue essentielle lorsque laristotlisme thologique, et avec lui

    lautonomisation du naturel , purent produire une thorie stricte de laconnaissance naturelle de la connaissance qui nest pas thologique etqui est philosophique. Il y a place pour une connaissance naturelle de Dieulorsquil y a place pour de la connaissance naturelle tout court, et que toutecontinuit est rompue entre pistis et gnsis, ou gnsis et pistis. (b) Il y a unepostrit de laristotlisme thologique qui ne se savait pas telle, et que nousretrouvons en tout rationalisme , exemplairement celui des Lumires.De la connaissance naturelle la raison pure , le pas est ais fran-chir. Et pour peu quon refuse de sauter le pas qui conduit de la raison la foi , alors lide dune foi strictement raisonnable apparatra vite.Lide est loin dtre folle. Connaissance naturelle , raison pure , noussommes l dans le domaine de ce qui se veut sr et certain, pour tous, tou- jours et en tout lieu, et qui na pas tre voulu pour tre su. Nature etconnaissance naturelle fascinent, parce que leur vrit nous est disponible.La confession du philosophe , telle que sous la plume de Leibniz6, neprtend pas se substituer la confession de foi du thologien. Chez Kantet ailleurs avant lui, en revanche, elle y prtend bel et bien : comme si lap-parition de lide de surnaturel7 avait pour destin de finir par annulerlexistence de ce surnaturel (c) Ce nest donc pas un hasard si les pensesles plus vigoureuses de la premire moiti duXIX e sicle empitrent sansscrupule sur la frontire de la raison et de la foi , ou tout simplementignorrent son existence prsume. Il y a certes place chez Hegel pour unconcept de la foi8, mais lintelligence de la foi cesse dtre travail thologi-que pour devenir mission philosophique. Ce qui passe pour le privilge dela thologie, apprhender Dieu en sa rvlation, est chez Schelling tche

    5. DS 3026.6. Leibniz,Confessio Philosophi , Paris, d. princeps, 1970.7. Le mot apparat en latin dans la traduction des lettres dIsidore de Pluse (431), puis

    dans le texte latin du Pseudo-Denys. On admet quil reoit son poids conceptuel classique chezThomas dAquin. Voir De veritate q.12 a.7 ;ST IaIIae qq. 109-114.

    8. Voir toujours A. Lonard,La foi chez Hegel , Paris, 1970.

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    philosophique (et ainsi mene que jamais le philosophe ne laisse paratre

    la ncessit dune thologie du Dieu rvl distincte dune philosophie dela rvlation). Et chez Kierkegaard, qui refuse assurment de se dire phi-losophe ou thologien, la distinction du philosophique et du thologiquedisparat purement et simplement au sein dune pense qui pense la foiaussi bien que la raison, et refuse de penser lune sans lautre. De la coupuretablie entre le rationnel et le croyable, ou le seulement rationnel et le seu-lement croyable, rien ne subsiste alors. Et sil est peu certain que Hegel etSchelling, et mme Kierkegaard, aient subi linfluence dAugustin, ils sontincontestablement tmoins dune rationalit qui contourne lopposition du

    naturel et du surnaturel au profit dune vision de lhomme libre vis--vis detoute thorie des deux mondes . Ce nest pas la mme chose, pour choi-sir un exemple hglien, que de bnficier dune certitude sensible et de jouir du savoir absolu. Mais entre lun et lautre, les discontinuits dialecti-ques ne reposent sur aucune csure.

    II

    Ces vrits premires dhistoire de la philosophie semblent rsoudre unproblme, elles masquent toutefois la permanence dun autre problme. Ilest incontestable que le Dieu de Hegel simpose la raison comme Dieu tri-nitaire. Il est incontestable que le projet schellingien de philosophie posi-tive signifie que tout ce qui est advenu et il est advenu que Dieu sestmanifest comme Trinit se donne penseripso facto . Et il est incontesta-ble enfin que, si Kierkegaard connat un passage proprement dramatique(un saut ) entre le royaume du non-religieux et le royaume du religieux,il est capable de donner ltiquette de philosophiques des miettes qui ne parlent que de christologie, du salut et de la foi. Or, est-il certain queDieu se donne penser, purement et simplement, dans la mesure o il ditqui il est ? Si Dieu apparat, napparat-il que pour une conscience en actedintelligence ? Nous avons le droit den douter. (a) Kierkegaard fournitici le plus sr fil dAriane qui soit. Le dieu qui apparat dans lesMiettes qui sy rend prsent lhomme sans donner plus quun indice ou deux deson identit9 ny apparat pas pour tre pens ou tre dcrit. Il napparatpas pour tre dcrit, puisquil ny a rien dcrire quun homme comme les

    autres. Et il napparat pas dabord pour tre pens, car le seul but de son

    9. Indice est le terme choisi par la traduction franaise de Tisseau, et il est retenu aussi( hint ) par la traduction amricaine de Hong et Hong. Le danois dit que le Dieu veut lais-ser connatre quelque chose de lui (SKS 4, 258).

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    apparition est dtre aim de lhomme. Apparatre pour tre aim et pour

    cela seulement, dautre part, impose au dieu dtre prsent sur un modeknotique : il veut tre aim et non pas blouir. Il y a apparition, puisquil y a prsence dans la chair. Il ny a pas apparition toutefois, et cest le pointimportant, pour la pense ni dailleurs pour la croyance. Le dieu desMiettes nest pas prsent pour que lhomme croie quil lui est prsent. Il nest pasprsent,a fortiori , pour que sa prsence devienne objet de pense philoso-phique ou thologique. Le seul logos auquel Kierkegaard fait appel est celuide lamour. (b) Apparatre par amour, apparatre pour susciter lamour,ntre enfin reconnu que par une conscience en acte damour, nous sommes

    ainsi reconduits un problme majeur de phnomnologie. Le problmeest donc celui de l aimable . Quil y ait des ralits aimables, nul nendoutera. Quil y ait surtout des ralits qui napparaissent telles quelles qucelui qui les aime, presque personne nen doutera : le prlude de Bach oula charit de Vincent de Paul ne sont perceptibles comme tels que sils sontobjets de notre amour. Nous percevons des choses, nous percevons aussi des valeurs . Lentente intersubjective a lieu sans difficult propos des cho-ses que nous voyons ou entendons (le nous se constitue aisment), elle alieu avec plus de difficult propos de ce que nous sentons. Larchitecturedun prlude de Bach peut dplaire. La charit de Vincent de Paul semblefaire lunanimit, mais rien ne garantit que tous appartiennent ncessai-rement la communaut de ceux qui la reconnaissent. Une conclusionest donc invitable : esthtique ou morale, ou autre, la valeur se proposeet ne simpose pas. Et comme, par simple dfinition, ce que nous aimonsappartient au domaine des valeurs, il faut dire que lamour se dvoile en seproposant et en ne simposant pas. (Tout le problme la christologie knoti-que de Kierkegaard est celui dun dieu qui refuse de contraindre laimer.)(c) Faut-il donc dire que seul celui qui aime connat vraiment ? La thse at dfendue par Scheler10, qui suivait sur ce point des impulsions venuesdAugustin et de Pascal, et que Heidegger cite sans rserves11. Elle exigedtre ddouble. Elle nonce dune part une logique gnrale des rap-ports entre aimer et connatre, elle nous parle dautre part dun rapport fortspcifique, entre lhomme et celui qui se propose son amour. Intressons-nous ce second point. Lamour seul, en croire Kierkegaard, perce lin-cognito du dieu prsent comme serviteur. Or, si tel est le cas, lamour nesuccde pas la foi, comme si nous reconnaissions dabord le dieu pr-

    sent dans la chair pour le trouver ensuite aimable, mais lui est purement et

    10. Voir Liebe und Erkenntnis ,GW 6, 77-98, et Ordo amoris ,Schriften aus dem Nachla 1, 345-376.

    11. Sein und Zeit , 29, note 3, 139.

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    simplement simultan. Nous ne possdons pas la connaissance immmo-

    riale de Dieu. Nous avons probablement oubli en quelles occasions nousavons entendu son nom, et lavons prononc, pour la premire fois. On nous a peut-tre parl de Dieu comme on transmet des informations sansque ces paroles aient permis que Dieu se dvoile nous. Mais commentce quon nous dit de Dieu, ou ce que des textes nous disent de lui, peut-ilpermettre que Dieu nous apparaisse tel quel, en chair et en os ? La rponse avancer est claire : cest condition de percevoir une amabilit que nouspercevrons purement et simplement. Encore faut-il articuler cette rponse.

    Le sens commun nous dit que nous percevons dabord et aimons ensuite,

    et il na pas totalement tort. Sil ny avait rien percevoir, il ny aurait rien aimer. Quy a-t-il toutefois percevoir ? Sur ce point, Kierkegaard a rai-son, et Balthasar lui empruntera plus quil ne lavouera : nest percevoirquun amour12. La thse nest pas rhtorique. Il faut avoir fait connaissanceavec Pierre pour nir par laimer, et laimant pour nir par le connatreen plnitude. Or, ce qui vaut de Pierre ne vaut pas de Dieu, et lide duneconnaissance qui prcde lamour serait ici fort trange. Pierre mrite sansdoute dtre aim, plus dun titre, mais Pierre est impuissant ne susci-ter que lamour. En Dieu en revanche, nous sommes impuissants discer-ner autre chose quun pur acte daimer, plus fondamental que tout actepur dtre. Lamour assurment peut tre mconnu (ne pas tre peru),comme nous pouvons ne pas percevoir le prlude de Bach ou le tableaude Malvitch tels quels. Nous pouvons aussi nous intresser Dieu sansnous disposer le moins du monde laimer : ainsi en est-il par exemple dudieu de lontothologie, lequel nest pas intressant pour lui-mme. Maiscest dans un mme acte que lamour divin, sil est reconnu comme tel, estreconnu et aim. Ladmettre, si on accepte de ladmettre, conduit fort loin : avouer que foi et amour sont cooriginaires, et que nous ne pouvons orga-niser une thologie de la foi qui ne soit aussi, au double sens du gnitif, unethorie de lamour de Dieu. La conceptualit est maladroite parce que lem-prunt de lAquinate Aristote est maladroit, mais on ne se trompera pasen disant de lamour quil est la forme de la foi. Non seulement nulle foidigne de ce nom ne prexiste lamour, mais encore nulle foi digne de cenom ne se contente dtre un acte de foi. La dvotion catholique connais-sait et connat encore un acte de foi notable (entre autres pchs) pourntre ni un acte damour ni un acte desprance, comme sil pouvait y avoir

    dissociation ou indpendance13

    . Or, quel prix pourrions-nous afrmer

    12. H.U. von Balthasar,Glaubhaft ist nur Liebe , Einsiedeln, 1963.13. Rappelons les formules embarrassantes de l acte de foi : Mon Dieu, je crois ferme-

    ment toutes les vrits que vous nous avez rvles et que vous nous enseignez par votre sainteEglise, car vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper.

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    que nous connaissons un Absolu qui ne se contente pas de se dvoiler par

    amour, mais qui na que de lamour dvoiler, parce quil y a en lui identitde laimer et de ltre ? La question dicte la rponse : si crdibilit il y a, cestsous la forme dune amabilit.

    III

    Une prcision phnomnologique simpose alors. Dieu apparat diverse-ment. Il est apparu(in illo tempore), il parle aujourdhui dans des critures

    qui ont valeur de Parole, et sil faut parler damabilit, il faut donc dire quilapparat en se donnant sentir. Il sera sage de ne pas imaginer la vie ducroyant comme un perptuel acte damour rpondant un perptuel actede manifestation. Aimer sentend ici comme disposition plus (souvent)que comme occurrence. De ce que lAbsolu est manifeste (de ce quil sestmanifest), nous navons pas non plus conclure quil demeure en acte demanifestation : Jean de la Croix nous rappellera toujours opportunmentque le dernier mot de Dieu a t prononc, et que nous navons pas enattendre dautres. Or, la multiplicit des apparitions ne nous interdit pas,mais exige bel et bien, que nous nous interrogions sur la phnomnalitpropre ce qui se donne aimer et croire. Nous en avons dj dit deuxmots. Les choses nous apparaissent en simposant nous je ne peux pas nepas voir le cendrier pos sur mon bureau, ce je se transformera aismenten un nous , la perception du cendrier, pour peu que je sois assis monbureau, a le caractre de linvitable, comme elle laurait pour quiconqueserait assis ma place. Il faut peu dcrire, en revanche, pour sassurer querien ne se donne croire et aimer, ensemble, sans se proposer et non sim-poser. Il est probablement des croyances qui simposent nous (cest en faitle cas de la plupart de nos croyances). Jentends sonner la porte et croisque cest Pierre, parce que jattends la visite de Pierre. Je crois quil pleut,pour avoir entendu un bruit qui ressemble celui de la pluie et navoir paspris la peine de jeter un coup dil par la fentre. Je crois quune thorieest juste parce que la communaut scientifique la soutient presque unani-mement, et sans avoir les moyens de justifier autrement ma croyance. Et cette liste, nous pourrions ajouter un cas embarrassant : je pourrais croirequil y a un Dieu parce que jappartiens une communaut qui partage

    cette croyance. Le crdible toutefois ne simpose pas toujours nous. Jene veux pas croire quil pleut, mais un coup dil la fentre me contrain-dra dy croire. Or, sitt que ce qui se donne croire nest intelligible quense donnant aimer, alors lapparition prend la forme de la sollicitation oude linvitation et nullement celle de la contrainte. Lamour a ses raisons,quil sagisse des raisons de lamour que Dieu manifeste aux hommes ou

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    des raisons qui nous mnent rpondre cet amour par notre amour.

    Lamour toutefois, lorsquil fait acte dapparition, contredirait son essenceou son propos sil faisait uvre de contrainte. Si le dieu apparaissait dans sagloire, enseigne Kierkegaard, il ne pourrait tre aim authentiquement, carlamour veut lgalit. Son incognito, certes, nest pas absolu il est propos lhomme daimer la chose inconnue14 , mais loutrance de lexpressionne peut cacher que, mme en terre luthrienne, quelque chose comme unmotif minimal de crdibilit est ncessairement maintenu15. Reste toute-fois lessentiel, que Kierkegaard nest pas seul avoir aperu : quil seraitcontraire lamour dapparatre violemment.

    Phnomnalit du croyable, phnomnalit de lamour, les deux neforment thologiquement quun. Ce qui se propose croire, nous lavonsdj dit, nest autre que lamour divin. Parce quil se propose croire enmettant des mdiations son service mdiation dcritures, mdiationdexpriences affectives , nous pouvons ne pas apercevoir la propositionqui nous est faite. Une thologie qui oubliera lidentit divine de lamouret de ltre (ou la subordination divine de ltre lamour, peu importeici), une telle thologie courra le risque de refouler cette proposition. Lo un amour humain se propose, nous pouvons nous tromper et, au choix,ne rien voir (autrui sera simplement prsent, libre nous de ressentir saprsence comme celle de quelquun qui mrite dtre aim) ou voir autrechose (autrui sera simplement prsent mais nous ne nous intresserons, enlui, qu ce qui ne nous invite pas laimer, par exemple une intelligenceque nous admirons, ou une lgance que nous envions, etc.). Et l o unamour divin se propose, de mme, nous pouvons aussi nous tromper : nouspouvons critiquer les vangiles et dissocier lamour incontestable dunhomme disparu en ne laissant que des traces, Jsus, de lamour dun dieuauquel nous ne croyons pas ; nous pouvons donc ne pas apercevoir lam-ple mouvement divin qui, de l l , nest rgi que par une logique delamour ; nous pouvons encore nous intresser aux textes et leur lettresans savoir que tout ce qui ne va point la charit est figure16 . Parce quilse propose sans contraindre, lamour court perptuellement le risque delchec.

    14.Philosophiske Smuler, op. cit., SKS 4, 244.15. Voirsupra note 9.16. Pascal,Penses , Chevalier 583.

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    IV

    Cet chec est donc solidairement celui de la foi. Croire sans aimer, queserait-ce dire ? La rduction de la foi (foi-en) une croyance, elle-mmediffracte en une srie de croyances en des propositions, permet(tait)certainement lavnement dun je crois dissociable de tout jaime .La thorie propositionnelle de la rvlation est toutefois morte ou devraitltre. Et si lacte de foi ne porte pas sur des noncs mais sur des choses,dune part 17, et si, dautre part, ces choses se ramnent une, la rvlationde lamour divin, alors lide dune foi indpendante de tout amour et de

    toute esprance perd toute licit. Or, si le destin de lamour et celui de lafoi sont lis, il faut avancer dun pas, et suggrer que si laimable se propose nous sans simposer, il est galement propre au croyable dapparatre avecune mme discrtion.

    La raison sexerce par concepts, et le travail des concepts a pour ambitiondtre celui dune contrainte. Le je ici nest prsent quaccidentellement.Si jai raison , au sens fort du terme, alors nous devons tous nous accor-der. Nous le devons, prcisons, nous navons pas ici poser le moindre actede libert. Nous devons certes penser la libert pour nous entendre surce que cest que de ne pas poser le moindre acte de libert. Nous pouvonsdautre part, faut-il le prouver, ne pas nous accorder sur ce qui est censsimposer la raison. Mais si cest toujours une image idale du travaildu concept que nous faisons appel, et une image que contredisent perp-tuellement nos dsaccords philosophiques, nous navons pas pour autant renoncer lide dun rel qui simpose nous indpendamment de touteuvre de libert ou dacquiescement. Le stylo pos sur mon bureau sim-pose la perception. La conclusion dun raisonnement logique simposegalement nous (pour peu que nous acceptions la logique laquelle onrecourt en ce cas). Et de nulle uvre de rationalit pure nous ne pouvonsdire quelle sinterdit de faire pression sur nous, et que libre nous de luidonner ou non notre assentiment. Un critre simpose : lvidence. Celle-cise dnit comme exprience de la vrit18 . Et la dnition doit tre pr-cise : exprience non libre de la vrit, exprience dune vrit qui sim-pose nous. Quen est-il alors du croyable, entendons, du thologiquementcroyable ? Quil ne simpose pas nous est trop obvie pour quon ait yinsister. Dans certaines conditions, je crois ncessairement quil pleut : des

    conditions dexprience font pression sur moi, et libert et vouloir sont misentre parenthses. Lors, en revanche, que je crois quen un homme prsent

    17. Thomas dAquin,ST IaIIae q.1 a.2 ad 2.18. Husserl,Logische Untersuchungen I, 190 ; III, 122.

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    dans lhistoire Dieu lui-mme tait prsent, nulle raison non libre ne peut

    gouverner la croyance. Lhistoire de lapologtique et de la thologie fonda-mentale est assurment celle dun surplus de raisons. Prcomprhensions,attentes, indices, etc., tout cela fait que la chose inconnue kierkegaar-dienne est bel et bien connaissable, et que cette cognoscibilit nest pasirrationnelle. Les raisons sur lesquelles elle sappuie ont toutefois en proprede solliciter sans obliger. Apparatre en tant que croyable, apparatre pourla foi et pour elle seule (nous mettons provisoirement entre parenthsesle fait quun tel apparatre est pour la foi et pour lamour, indissociable-ment), cest donc apparatre pour la libert, et en se mettant la merci de

    la libert. Un mode fondamental de phnomnalit soffre ainsi lucider.Celui qui accepte de croire fait lexprience dune vrit : il faut donc parlerdvidence. Or, lvidence nest l que pour celui qui a donn son agrment ce qui se proposait comme croyable. Cet agrment confre donc lvi-dence, et il faut dire que celle-ci tait auparavant absente. Il y avait certescrdibilit, perue intuitivement ou manifeste force de raisons. Mais lo il y a crdibilit, l la vrit, encore une fois, ne fait que se proposer nous : elle ne nous sera patente que si nous rations cette proposition.Lvidence est donc lle dune telle ratication.

    Phnomnalit de laimable, phnomnalit du croyable, les deux nefont donc quun, thologiquement au moins, mais sans exercer la moindrebrutalit lgard des raisons philosophiques. Nous en avons dj dit les rai-sons : lecredendum nest autre que lamour divin ; le lieu de la foi est lamourhumain qui rpond cet amour divin ; crdibilit et amabilit ne peuventfaire pression sur lhomme comme fait pression sur lui la splendeur duneuvre art. Il est possible, et plus que cela, certainement probable, que laphnomnologie a accord traditionnellement une position de force desphnomnes dont lapparition simpose nous, au visible, aux propositionsdoues de sens, tout ce dont la ralit ne peut passer inaperue. Or, silest bien une proprit du croyable et de laimable, cest que crdibilit etamabilit peuvent passer inaperues. Lincognito du dieu peut ntre abso-lument pas perc, et les indices de son identit ntre pas dchiffrs. Ce quenous ne pouvons reconnatre sans faire acte damour peut tre trait sur unmode quotidien , que ce soit en demeurant la surface de ce que nous voyons ou (selon lexemple de Kierkegaard19) en le traitant comme ce quilnest pas (traitement strictement philolologique des critures). Au concept

    kierkegaardien du paradoxe, il peut ainsi tre opportun de rpondre enproposant celui dune phnomnalit paradoxale , dun apparatre doncqui djoue toutes les lois communes de la phnomnalit. Phnomnalit

    19. Voir e.g.Post-Scriptum , SKS 7, 31-40.

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    paradoxale, que nous serions incapables de recevoir pour ce quelle est si

    nous lui rservions le mme accueil qu tout phnomne qui ne fait pasappel notre libert. Phnomnalit paradoxale, qui ne peut tre peruesi une dcision de voir ne prside la perception. Phnomnalit para-doxale, puisque tout ce que nous pouvons percevoir indpendamment decette dcision de voir de croire nous cache ce qui est en cause. Il ne man-que pas de raisons de croire. Nous pouvons mme former un concept de crdendit , pour indiquer le moment o la dcision de croire simpose nous comme seule dcision moralement lgitime. Au commencementtoutefois est un rel qui se propose sans simposer, et dont lexprience se

    fait dans llment de linvidence.Ce que nous venons de dire ne vaut pas exclusivement du thologal.Dautrui aussi, il serait lgitime de dire que nous ne le connaissons pas en vrit si nous ne laimons pas. Luvre dart ne nous apparat pas telle quellesi nous ne nous laissons mouvoir par elle et nous pouvons ne voir en ellequun objet parmi tous les objets. Connaissance et affection ont partie lie.Sur ce que nous ne pouvons laisser passer inaperu (exemplairement surtout ce que la sensation nous prsente), il ny a pas revenir. Les phnom-nes les plus riches, toutefois, ne seraient-ils pas ceux qui ne simposent pas nous et qui, sils se donnent pour nous affecter, ne nous affectent pas parle seul fait quils sont objets de perception ? Luvre dart peut nous sduiredans le moment o nous la percevons ; et mme si nous nous trouvons dis-traits par un souvenir, nous ne cessons pas de savoir quelle nous a mus,donc que nous lavons aime, et que ces passs autorisent la prdiction :lorsque luvre rapparatra, elle saura nous mouvoir nouveau. Le pr-sent de lapparition, toutefois, peut tre celui dune perception dpourvuedmotion. Lautre homme, au lieu que je le rencontre, peut tre celui que je me contente de croiser, et qui restera pour moi priv de visage. Ajoutonsun exemple. Une thorie scientique mathmatique, physique peut neme servir que dinstrument de calcul ou de prvision. Elle ne mapparatraque sur le mode de lutilit. Et si cest le cas, je ne percevrai ni llgance etla simplicit des quations, je ne percevrai pas lintelligence qui a prsidau choix des axiomes, bref je prendrai certainement connaissance de lathorie, mais superciellement et il est clair que la thorie, rduite soninstrumentalit, ne pourra pas mmouvoir comme luvre dart quelle estelle aussi.

    Ce dernier exemple a son importance pour prouver que lmotion( esthtique ) fait certainement uvre de connaissance, mais quun tra- vail de connaissance peut tre ncessaire la gense de lmotion. Seul lebon mathmaticien percevra llgance de la thorie, et la traitera avec lerespect quon doit une uvre dart, et les bons mathmaticiens sont rares.Rares sont ceux qumeut au premier coup dil un style pictural dont ils

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    ne sont pas familiers : celui qui ne connat pas de peinture plus rcente

    que celle des impressionnistes, il faudra apprendre voir pour percevoir labeaut (nous pourrions parler dlgance) dune toile de Malvitch oude Mondrian. La distinction du sentir et du travail de la raison bute doncici sur un obstacle. Ce quil y a de plus rationnel une formalisation russie se donne bel et bien sentir. Pour sentir telle uvre dart, il faut pralable-ment apprendre voir an dapprendre sentir, et lapprentissage du regardne peut manquer dtre aussi rationnel que possible, et donc de faire appel ce qui simpose purement et simplement tout regard. Plusieurs pointsimportent alors notre problme. (a) Le premier est quil serait erron

    de penser que la foi rompt avec les modes dtre et de connatre qui laprcdent. La tradition catholique afrme que Dieu peut tre connu cer-tainement laide de la raison naturelle20 , et un texte hyperbolique issude la mme tradition utilise mme le langage de la dmonstration21. Lestextes ont la sagesse de tenir le langage du possible et de ne faire fonds suraucun procs rpertori de connaissance ou de dmonstration. Ils doiventcependant tre pris au srieux : Dieu nappartient pas la thologie. Il y aplus. Le nom de Dieu a une histoire thologique, et nul ne peut se placer la n de cette histoire l o Dieu napparat que comme amour et pourtre aim sans savoir que cette histoire, et cette histoire seule, lui permetde reconnatre lAbsolu prsent sous la forme du serviteur. Kierkegaard,dont la thologie dincarnation se passe de toute Ancienne Alliance, estainsi contraint parler dun dieu que lhomme nattend pas et quil ne pr-comprend pas. Or, les hommes ont bel et bien parl de Dieu, et en ont parlavec exactitude sufsante, avant quil ne se soit manifest dnitivement.Et il peut tre utile de rappeler que Clment dAlexandrie, de tous les tho-logiens le plus attach signaler quil ny a pas de dernier mot sans premiermot et sans avant-dernier mot, admettait lexistence de trois testaments lancien, la philosophie et le nouveau et mettait peu prs sur un pieddgalit prparation religieuse et prparation rationnelle la reconnais-sance du Dieu prsent en Jsus-Christ 22. Ou bien la foi a prcd la foi, oubien la rationalit a prcd la foi. Mais dans les deux cas, la connaissanceadvient dans llment dune continuit aussi forte que toute discontinuit.(b) Une idole demande donc tre dtruite, en lespce lopposition pasca-lienne du Dieu dAbraham, Dieu dIsaac, Dieu de Jacob et du Dieu desPhilosophes et des savants . Il y a idole, car lopposition ne se contente

    20. Vatican I, DS 3 026 ; prcisons que cognoscere ne signifie pas connatre x , au sensexistentiel du terme, mais savoir que x existe .

    21. Serment anti-moderniste, DS 3 538 ( certo cognosci, adeoque demonstrari etiamposse )

    22. VoirStromates VI, 8, 67.

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    pas dtre danciennet vnrable mais se trouve aussi bien vnre quelle

    est canonique. Et lopposition est fausse, et son culte nuisible. On noteradabord quelle est sans objet si nous voulons interprter des textes Hegel,Schelling, Kierkegaard qui ignorent lexistence dune frontire entre rai-son philosophique et raison thologique. Il y a plus ; et quelque outrancirequelle paraisse, la position de Clment est dune rigueur parfaite. Clmentne dit pas que la philosophie comprend Dieu, mais quelle prpare lecomprendre, ou plus exactement le connatre. Il dit de mme que lAn-cien Testament fait uvre de connaissance, mais que cette connaissanceest frappe dincompltude, quelle est insparablement connaissance et

    inconnaissance. Et en posant quun mme travail de rvlation commenceadvient dans lalliance avec la philosophie et dans lalliance avec Isral, ilnous force admettre que le premier mot nappartient ni une foi prc-dant la foi, ni une raison pure prcdant la foi pure : pour croire encelui qui vient sous la forme du serviteur, il faut ou bien avoir dj cru, oubien avoir dj procd une afrmation rationnelle de Dieu. Lune etlautre en effet sont attentes et prcomprhensions. (c) Travail pralablede la raison, travail pralable de la foi, nous ne pouvons connumrer lesdeux et leur assigner une mme fonction qu une condition : interprterlafrmation rationnelle/philosophique de Dieu comme rponse unemanifestation qui elle non plus na pas le pouvoir de simposer nous. Letexte de Vatican I auquel nous avons dj renvoy23 dit Dieu accessible tou- jours, partout et tous : quiconque a affaire aux choses visibles peut prendre (une certaine) connaissance de Dieu. Cette possibilit toutefois celle donc dune connaissance et non dune dmonstration nesassortit dans le texte daucune contrainte, et revt plutt les habits dunebesogne et, qui plus est, dune besogne qui ne nous est propose explici-tement quaprs que lAbsolu sest rvl et a prononc son dernier mot.Faut-il donc dire que notre commerce avec le cr nous impose de prendreconnaissance de Dieu, ou quil nous le propose ? Le second membre delalternative est le bon. Non seulement en effet les philosophes sont peunombreux, mais peu nombreux encore sont les philosophes qui sont parve-nus connatre certainement lexistence de Dieu, et utiliser Dieu sansquil y ait erreur sur les mots. Le philosophe dautre part nest quun philo-sophe ; et si lon peut dnir les sages , avec Heidegger, comme die im Verstehen lebenden24 , le philosophe doit donc tre dni comme celui qui

    veut ou aimerait vivre en faisant acte de connaissance et qui il nest pasgaranti quil vitera la mconnaissance. Une dmonstration mathmatique

    23. Voirsupra note 20.24.GA 62, 32 (traduisanthoi sophoi ).

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    simpose tous pour peu que certains pralables (accord sur les

    axiomes, etc.) soient remplis, une prsentation sensorielle simpose touspour peu galement quun pralable soit rempli (que nous disposions delappareil sensoriel requis), la philosophie en revanche nous propose plusde raisons quelle nen impose. Or, si proposition il y a, il faut en conclureque le Dieu des philosophes, ou des philosophies, soffre lui aussi nouscomme un Dieu croyable. La principale tche du philosophe nest pas deparler de Dieu. Il lui arrive toutefois aussi den parler. Il lui arrive aussi denparler de telle sorte que ses paroles se veulent contraignantes : les cinq voiesthomasiennes, petit prambule philosophique une somme de thologie,

    se veulent contraignantes par concepts. Il reste que nous ne pouvons refu-ser notre assentiment une preuve logique et que nous pouvons le refuser une preuve philosophique de lexistence de Dieu. Et cela veut dire quele Dieu des Philosophes et des savants est propos un assentiment toutautant que le Dieu dAbraham, Isaac et Jacob .

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    Il nest pas utile de cacher ce qui tait le but des prcdents dvelop-pements : effacer la frontire qui spare classiquement la foi de la rai-son, et leffacer parce quelle na jamais exist que de manire arbitraire.Reprenons la thse provocante et fructueuse de Clment dAlexandriesur le caractre testamentaire de la philosophie. Croire en le DieudAbraham, se prparer philosophiquement la manifestation du Dieude Jsus-Christ, les deux selon Clment sont partie prenante dune mmelogique. Peu importe ds lors quici soit une logique de foi et l unelogique de raison , et peu importent les chemins que suivent lune etlautre attente du Dieu manifest en Jsus-Christ. Limportant est dabordque la premire dcision majeure prise par le christianisme le refus delantismitisme gnostique et ltablissement dune identit stricte entre leDieu dIsral et le Dieu de Jsus-Christ saccompagne ici dune dcisionaussi importante le refus donc de ce qui sera ultrieurement loppo-sition pascalienne. Et limportant est ensuite qu propos du Dieu desPhilosophes , nous ne puissions pas vraiment dire que nous le savons exister, ou que ce savoir saccompagne dun assentiment libre. Nous avons

    voqu le cas du Dieu de Hegel, Schelling et Kierkegaard, et il nest pasinutile dy revenir. La foi, chez Hegel, a pour destin dtre absorbe dansun savoir, mais il ne suffit pas de lire laPhnomnologie de lesprit partir desa dernire section, et encore faut-il observer que nul ne parvient au savoirabsolu sans tre pass par la foi. La philosophie schellingienne de la rv-lation sassigne pour but trop modeste de seulement penser ce qui a eu

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    lieu, mais les phnomnes qui la proccupent (la manifestation de lAb-

    solu dans lhistoire) ne sont pas des faits connumrables tous les autresfaits, et ne nous intressent que parce que lAbsolu sy dvoile25. Et alorsquil propose un schma conceptuel o christologie, sotriologie, etc.,ne prtendent avoir dautre cohrence que logique, Kierkegaard dansles Miettes ne fait dautre uvre que celle quil convient enfin dappelerpar son nom : lintelligence de la foi. Pas de foi sans rationalit, nul ne lecontestera : le croyant est un animal qui parle et qui raisonne, et les cre-dita sont autant d intelligibilia . Pas de rationalit sans foi, ou en toutcas sans croyance, voil sur quoi il faut insister ici. Quil y ait place pour

    de la raison pure , nul nen doutera. Le plus important est toutefoisailleurs, dans des figures de la rationalit o le vrai nemporte pas ladh-sion du seul fait quil est dit, et o la foi prexiste elle-mme en de mul-tiples liens de la raison et de la croyance. Le Dieu des Philosophes et dessavants est-il un Dieu de la raison pure, donc de la raison franche de foi ?Nous avons dj rpondu ngativement. Tous concderons que Dieu est toujours plus grand , et que les derniers mots de Dieu critiquent autantquils le confirment ce que nous avons pris linitiative de dire de Dieu.Mais pour peu que la thse de Clment soit juste, alors il faut admettre quece que nous avons pris linitiative de dire philosophiquement de Dieu estpris dans une conomie de rvlation et bnficie donc dune cautiondivine. La classique (?) distinction du naturel et du surnaturel , de la connaissance naturelle de Dieu et de sa connaissance surnaturelle ,apparat alors comme fort problmatique. Le Dieu des Philosophes etdes savants passe pour tre notre disposition, et pour tre connaissablepar quiconque a une raison et accepte de sen servir. Mais quentendons-nous exactement par connatre ?

    Une distinction exige dtre faite toutes affaires cessantes, celle ducalcul et celle de la pense. Le calcul exige ladhsion ; et lexemple deLeibniz (et de sa postrit) est l pour nous montrer que la raison philo-sophique peut toujours rver de prendre la forme dune raison calculante.La pense en revanche, dont le propre est de ne pas se prendre pour untravail gomtrique, et qui seffondre lorsquelle se prend pour telle, est

    25. quoi nous pourrions ajouter la thorie de la rvlation dveloppe par W. Pannenberg(in Pannenberg et al.,Offenbarung als Geschichte , Gttingen, 1961, 91-114), pour qui la rvla-tion divine consiste en vnements historiques visibles par quiconque a des yeux pour voir .Toute foi semble donc vacue au profit de laccs immdiat au savoir. Mais il y a faux sem-blant. Les yeux qui servent voir sont, chez Pannenberg, des yeux qui servent voir ce qui sestpass en un certain monde dans le monde du judasme tardif. Celui qui voit doit donc avoirt prpar voir. Il ny a pas de Nouveau Testament sans Ancien Testament. Le voir est donc inclus dans un croire .

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    travail personnel avant dtre travail rationnel26 , et nous ne pou-

    vons dcrire son travail sans apercevoir quil fait fonds sur des croyances,quitte les rvoquer en doute27, et surtout sans apercevoir quil conduit des dcisions. Les phnomnes qui se proposent nous sont peut-tre plusnombreux que ceux qui simposent nous. Et si penser revient toujoursquelque peu dcrire (ou en tout cas lier entre elles des descriptions),alors nous ne pouvons le faire sans apprhender les phnomnes dans le comment de leur apparition et des phnomnes donc peuvent nousapparatre comme offerts une libre adhsion. La pense nest jamaisfranche de toute dcision. Et lorsque les ralits cres (mais que nous

    ne savons pas encore cres !) font pour nous allusion un crateur ,cest nous-mmes en intgralit, rationalit, affection, dcision, quilrevient daccepter cette allusion. Lide de raison pure est ainsi voue seffondrer, ou du moins tre enferme dans le ghetto troit du stric-tement dmontrable. Il y a du rel dont la ralit simpose nous etla phnomnologie husserlienne naquit pour nous dire que lapparatreest de ltre, et de ltre dont nous ne pouvons refuser quil se donne nous en chair et en os. La phnomnologie husserlienne a toutefois lesmoyens dtre excde de lintrieur delle-mme, et ce qui nous appa-rat en se proposant nous y est parfaitement pensable. Lhumanit delautre homme peut passer inaperue, et la situation dcrite par Levinasest une situation idale (et rare) dans laquelle autrui nous apparat ennous contraignant de le reconnatre comme autre moi-mme, et peut-tre plus. Luvre dart peut ne pas nous apparatre comme telle. Il fautdj avoir vu des fauteuils pour percevoir un fauteuil. Les exemples sontinnombrables autant que varis. Un point en tout cas importe par-dessustout : une raison prive de libert un acte de raison qui mette hors jeutout acte de libert est une raison possible (raison calculante), mais laraison qui sessaie au travail de la pense est une raison qui intgre unelibert. Le calcul ne connat pas la logique de lassentiment, sinon sousla forme de la contrainte. La pense connat en revanche cette logique :nous ne pensons jamais vraiment sans dcider et prendre parti28. Rien ne

    26. Voir M. Polanyi,Personal Knowledge , Chicago, 1958. Sur lintrt du travail de Polanyipour toute thorie du rapport entre foi et raison , voir T.F. Torrance (sous la dir. de),Belief in Science and in Christian Life. The Relevance of Michael Polanyis Thought for Christian Faithand Life , Edimbourg, 1980.

    27. Ainsi le monde de la vie , dans les textes de Husserl, est-il un monde cru (cru dun fond de croyance originaire ), de mme que le monde de la posture naturelle , lorsquele concept de rduction fait son apparition, est aussi objet de croyance. Voir e.g.Ideen I, HuaIII/1, 27-30.

    28. Largument de E.T. Ramsey, dansReligious Language. An Empirical Placing of ReligiousSentences , Londres, 1957, vaut sur ce point parfaitement : la logique du langage religieux (mais

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    y a apparition et que si nous laissions le spectateur impartial occuper le

    terrain, toute crdibilit lui chapperait ncessairement. Les phnomnesqui nous proccupent ici, en effet, ne peuvent tre reconnus comme telspar un regard impartial. Ils apparaissent sans nous, mais ils requirentnotre acquiescement pour que nous en gagnions lintelligence. La raisonnest pure , elle ne travaille en tout cas sur son mode le plus riche, quenpassant alliance avec la libert dacquiescer ; et cest dune telle raison, etnon de celle qui sappuierait exclusivement sur un calcul des concepts,quon parle lorsquon dbat de la connaissance naturelle de lAbsolu. Ilen va donc de mme lorsque la foi entre en jeu. LAbsolu rvl se donne

    tre connu. Et si ce quil donne des textes et autres traces diffre dece qui est donn la connaissance dite naturelle , il le donne galementau couple de la raison et de lassentiment libre. Pas de foi donc sans raison , et rare est la raison laquelle ne collabore pas la libert.

    Self-involvement, commitment, le lieu dlection de tels actes est lexp-rience dite religieuse et non lacte de foi surnaturel . Nous avons ditplus toutefois que nen dit Ramsey en tendant le champ de lexprience religieuse celui de laffirmation rationnelle de Dieu. Ce ntait paspour priver celle-ci de sa rationalit et la soumettre larbitraire de nosdcisions. Ctait pour circonscrire un champ phnomnal dans lequella rationalit appelle la libert. Pour reprendre un exemple dj apparu,tout un travail de raison (tout un apprentissage de la perception) estncessaire pour laisser un tableau abstrait nous apparatre tel quel alorsque nous tions exclusivement familiers de la peinture figurative. Cetapprentissage ne se prvaut daucun succs certain. Peut-tre ne perce- vrons-nous jamais le tableau de Malvitch tel quil est. Peut-tre, de mme,la causa sui ou la cause premire , ou l ide absolue , nous appa-ratront-elles comme autant dentits pensables mais non point commeautant dentits croyables. Percevoir ou comprendre sans prendre parti,rien de plus commun : la perception du cendrier sur mon bureau nexigepas une prise de parti, la conclusion dun argument logique ne lexige pasplus (sous la rserve dj faite que nous admettons la logique lintrieurde laquelle se droule cet argument). Mais lorsque lAbsolu intervient, laprise de parti est ncessaire. Dieu ne nous apparat pas comme les Alpesnous apparaissent, comme un trs grand objet dont lexistence simpo-serait nous. Il ne nous apparat pas plus au terme dun raisonnement

    contraignant, comme nous sommes contraints dadmettre que Socrate estmortel si Socrate est un homme et que tous les hommes sont mortels. Dieunous apparat, au contraire, comme celui en faveur de qui nous pouvonsprendre parti ou non.

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    Toute une rgion dexprience souvre ainsi nous dans laquelle la per-ception, au sens le plus large du terme, est insuffisante susciter lassenti-ment, et ne fait que le rendre possible. Et dans cette rgion dexprience,il nest pas certain que nous devions distinguer brutalement (de la bruta-lit qui distingue le naturel du surnaturel ) lassentiment que nousdonnons lexistence dune cause premire, et celui que nous donnons lidentit, en Dieu, de ltre et de lamour. Mme le Dieu dAristote meuten tant lobjet dun dsir en lequel on peut voir une modalit de lamour30.

    (Ce dsir toutefois, la prcision nest pas mince, est provoquncessairement par le dsirable) Et garder en mmoire que le Dieu des philosophes estDieu des philo sophes, alors on ne pourra perdre de vue le lien qui unit iciconnatre et aimer, donc connatre et prendre parti. Lorsquil sagit daffir-mer lexistence de Dieu, il sagit invitablement de laffirmer librement. Lalibert ne contredit certes pas la rationalit : les raisons ne manquent pas(mais nous ne nous entendons pas sur elles et nous contentons daffirmerquelles ne sont pas interdites daccs) de dire que Dieu possde lafois un sens et une rfrence. Ces raisons toutefois font appel plus quela raison pure . Nous pouvons imaginer un tre dou de raison qui nesoit pas dou de libert (pourquoi pas ?). Nous nhabitons pourtant pas cemonde possible o rgnerait la raison, mais dans le monde rel o rationa-lit et libert sont parfois dissociables, mais souvent indissociables. Nous neferons donc jamais assez lloge de la possibilit. Tout soppose ce quunraisonnement ou un autre nous rendencessairelaffirmation de Dieu. Quece soit dans lordre dit naturel ou dans lordre dit surnaturel , Dieuse donne connatre en se donnant aimer, et nous ne rpondrons jamaisncessairement lamour par lamour. Pour pouvoir donner notre agrment lexistence de Dieu, il nous faut dcider librement et prendre parti.

    Faisons-nous fonds sur notre raison ou sur notre foi ?Lacquiescement que nous offrons Dieu est-il uvre de raison ouuvre de foi ? Du parcours que nous venons de suivre, il devrait dcou-ler que la rponse ne nous appartient pas. Nous percevons intuitivementquune dmonstration de lexistence de Dieu, ou une argumentationapologtique en faveur de la vrit du christianisme, ne nous contraint pascomme nous contraint une dmonstration mathmatique. Nous pouvons

    tout aussi bien percevoir quil nest pas de travail de raison possible qui

    30. Aristote,Met. , 1172b ne pas oublier, toutefois, que le Dieu dAristote est peut-tre aim , mais quil naime rien sinon lui-mme (et encore la pense de la pense est-elle vivante, bienheureuse et jouit-elle delle-mme sans quil soit explicitement dit quelle saimeelle-mme.)

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    ne saccompagne dun intrt et dune auto-implication ce qui est une

    manire prudente de dire que nous ne faisons pas uvre de raison sansaimer le faire. Percevoir dans le comment de son apparatre un phnomnequi sollicite foi et amour, le problme nest pas thologique, et embrasseproblmes proprement philosophiques et problmes proprement tho-logiques. Il y a exprience de la vrit ( vidence ) en dehors de toutesollicitation adresse nos liberts. Nous pouvons sentir que ceci est vrai, dans le mme temps que nous voyons que cest vrai, sans que notrelibert entre en jeu : il suft que nous acceptions que ce qui est tel soit tel.Il en va autrement lorsque nous occupons lentre-deux de la raison et de

    la foi. Le disme a alors partiellement raison : aucune contrainte concep-tuelle ne suft ici. Le rationalisme a aussi partiellement raison : entre lesraisons que nous invoquons en faveur dune Cause premire et les raisonsque nous invoquons en faveur dun Absolu qui est jeu de lamour aveclui-mme31 , il ny a pas de frontire nette. raisonner thologiquement,et rien ne linterdit, nous pourrons dire que le Dieu des philosophes nestpas un Dieu disponible mais un Dieu qui se donne connatre, qui ne sedonne certes pas connatre comme le Dieu dAbraham se donne conna-tre, mais qui se propose ici et l au sein dune unique et globale conomiede dvoilement. Et raisonner philosophiquement, ce que rien ninterditnon plus, nous pourrons dire quune manifestation divine advenue danslhistoire nappelle pas plus dassentiment (mme si la logique de cet assen-timent est diffrente) quune manifestation donne toujours, partout et tous. Le Dieu des Philosophes et des savants exige paradoxalementdtre cru, et mme dtre aim. Lafrmation rationnelle de son existenceinclut un acte de foi et un acte damour.

    Pour servir de conclusion, signalons les limites dun texte rcent dj citet de la tradition dans laquelle il sinscrit. La lettre encyclique Foi et raison ,rdige par G. Cottier et portant la signature du pape Jean-Paul II32, est un vigoureux plaidoyer en faveur de la vrit, entendue en un double sens,Dieu comme vrit suprme, et vrit comme milieu dans lequel se meut laraison. Le texte honore dautre part son titre, avec lincipit signicatif quenous avons dj cit : La foi et la raison sont comme les deux ailes quipermettent lesprit humain de slever vers la contemplation de la vrit. Dun texte qui souvre ainsi, on nattendra donc pas quil nourrisse quelquesoupon que ce soit lgard de sa problmatique. Ici est des , l estratio ,

    les deux sont deux, lune et lautre sont indispensables, et le rdacteur faitappel Thomas dAquin pour prciser leur rapport : selon lAquinate, la

    31. Hegel,Phnomenologie des Geistes , Hoffmeister, 20.32.Op. cit. note 4.

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    foi suppose et perfectionne la raison33 , et le rdacteur met la thse en

    parallle avec lafrmation classique selon laquelle la grce suppose lanature et la porte son accomplissement 34 . Rien que nous ne sachions.Et si lon sinterroge ensuite sur une hypothtique co-prsence dun actedamour lacte de foi, ou dun lien essentiel entre crdibilit et amabilit,nous nous retrouvons galement en pays de connaissance. Lamour de Dieu(gnitif subjectif) est videmment l35. Lamour de lhomme pour la vritet la sagesse est videmment l aussi36. Lamour de lhomme pour Dieu,comment pourrait-il en tre autrement, est galement de la partie37. Or,cela tant bien not, reste que le lien de la connaissance et de lamour est

    bien peu prsent dans le texte38, et prsent de manire plutt ornementale.Peut-on donc traiter des rapports entre foi et raison en omettant de direque Dieu se prsente indissociablement laratio et la caritas ? Qui ditamour de la vrit dit certes amour implicite de Dieu. Lors toutefois queDieu se donne connatre, cet implicite, dans le texte, ne pse plus daucunpoids. Et force est de reconnatre que Dieu, dans la lettre encyclique, sedonne connatre sans se donner indissociablement aimer. Il y a proba-blement une raison cela : la dnition de Dieu comme vrit premire, etcomme vrit premire qui nest pas lautre face dun amour premier. Letexte, du coup, ne manque pas dapparatre comme insatisfaisant. Et nousnavons rien fait dautre en ces pages que de proposer une redistributiondes rles et une rednition des frontires qui pourrait viter de retomberdans des ornires dont la seule vertu est dtre classiques.n

    33. Ibid. 43.34. Thomas dAquin,ST Ia q.1 a.8 ad 2.35. Voirincipit 7 ; 10 ; 13 ; 15 ; 18 ; 23 ; 93 ; 107.36. 2 note 1 ; 3 ; 6 ; 16 ; 38 ; 44.37. 32 , propos de lamour de Dieu manifest dans le martyre.38. Voir incipit afin que le connaissant et laimant ; 42, paraphrasant Anselme,

    lintellect doit se mettre la recherche de ce quil aime : plus il aime, plus il dsire conna-tre. Celui qui vit pour la vrit est tendu vers une forme de connaissance qui senflammetoujours davantage damour pour ce quil connat ; 107 vocation lamour et laconnaissance de Dieu Point noter avant tout : que connatre et aimer apparaissentici comme deux oprations distinctes dont rien ne garantit quelles soient indissociables. Etque le texte, de facto, les traite comme dissociables.

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