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Diagonale des Fous 2013 : Nous la fé *! *mention trouvée sur un paquet de riz produit à la Réunion et qui nous a bien fait marrer !

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Diagonale des Fous 2013 : Nous la fé *! *mention trouvée sur un paquet de riz produit à la Réunion et qui nous a bien fait marrer !

Jeudi 17 octobre 2013, St Pierre, Ile de la Réunion.

Il est environ 20h30 et Nico vient de nous déposer, Nicolas et moi, à proximité de Ravine Blanche, un

parc urbain à l’ouest de St Pierre où a lieu chaque année un grand festival de musique (Sakifo). Mais

ce soir, c’est le lieu de départ du Grand Raid de la Réunion ou Diagonale des Fous, une traversée de

l’Ile du sud au nord, une diagonale de 165 kilomètres cumulant 10000 mètres d’ascension.

Il fait nuit noire depuis longtemps, les journées réunionnaises commencent invariablement à 5h30

pour s’achever à 17h30. L’air est doux mais le ciel couvert.

Nous nous faufilons dans la foule pour accéder à l’espace réservé aux coureurs, puis, sous une

grande tente, des contrôleurs nous attendent derrière de longues tables sur lesquelles nous

déballons notre matériel obligatoire (couverture de survie, sifflet, boisson, nourriture etc...)

Après avoir réglé un petit détail d’élasto et signé la check-list, nous passons au pointage des puces

puis nous remettons aux bénévoles nos 2 sacs de rechange pour Cilaos (km 65) et Halte-là (km135).

Nous voilà fin prêts, le départ est dans moins de 2 heures, le parc commence à bien se remplir, de

petits groupes discutent, d’autres mangent, certains dorment. Nous allons nous asseoir près de la

scène où se succèdent des spécialistes du trail, chacun y va de son petit conseil ou de son pronostic.

Des groupes locaux assurent l’ambiance musicale très « créole » qui tranche avec la solennité du

départ de l’UTMB.

Dans le parc, 2 équipes, caméra et micro à la main, interviewent tour à tour des inconnus et des

favoris pour recueillir les dernières impressions.

Tout le monde semble à la fois heureux d’être là et un peu inquiet devant la tâche à accomplir, tout

comme nous deux d’ailleurs, on parle peu, on regarde cette grande foire en spectateur sans avoir le

sentiment d’en faire partie, nous sommes si loin de chez nous , nous partons sans repères, tout cela

semble irréel.

Une fois de plus, je suis en plein stress, vivement le départ, je déteste cette attente…

Une bruine fine commence à tomber.

Nicolas repère Sébastien, le frère d’un collègue de travail qui habite ici, il nous a transmis des infos

par mail ces dernières semaines car il a reconnu l’intégralité du parcours, nous discutons un peu

ensemble, il semble très affuté et très confiant, il déclare viser 35h, je trouve cela ambitieux pour un

premier « ultra », je lui fais remarquer que cela signifie être dans le top 100, il acquiesce en souriant !

(malheureusement pour lui, il finira en 46h à cause d’une douleur au genou).

Je passe un dernier coup de fil à la p’tite famille, j’imagine leur inquiétude et leur frustration de vivre

cela de la maison et je me sens un peu coupable, mais Anne-so a la gentillesse de me soutenir malgré

tout.

Je ne suis pas sûr de pouvoir les joindre facilement par la suite et j’espère que le suivi par SMS va

fonctionner…

L’heure approche, les barrières s’écartent .Tout le monde s’engouffre sur l’avenue du front de mer

dans une gigantesque bousculade jusqu’à s’agglutiner derrière une grande arche gonflable

matérialisant la ligne de départ. Ça promet pour le départ, nous sommes plus de 2000, mieux vaut ne

pas trébucher dans les premiers mètres !!

Une foule de spectateurs dense et bruyante s’agite de chaque côté de l’avenue, nous voilà serrés

comme des anchois, dans quelques minutes nous serons libérés, quelques favoris retardataires,

épaulés par des bénévoles, se frayent un passage parmi nous pour accéder aux avant-postes.

Les créoles sont vivement encouragés, on sent la passion des réunionnais pour cette course, j’ai

entendu à la télé la veille qu’un réunionnais qui remporterait l’épreuve verrait sa vie

changer (d’autant que ce n’est pas arrivé depuis quelques années)!

Nicolas et moi en avons parlé 100 fois mais cette fois nous y sommes, le stress va enfin laisser place à

l’adrénaline des premières foulées, le speaker égrène le compte à rebours, nous nous souhaitons une

bonne course, et, dans la ferveur et l’excitation ambiante la masse de coureurs se met en marche.

J’entrevois le panache rouge d’un feu d’artifice sur ma droite mais je fige mon regard sur mon

environnement proche, les bras prêts à récupérer un déséquilibre ou amortir une bousculade, peu à

peu, les foulées commencent à se dérouler et des espaces apparaissent.

J’entends la foule de part et d’autre sans lever le regard, puis, peu à peu je prends mon rythme et

commence un slalom géant pour me placer dès que possible sur l’avant du peloton.

Je profite enfin de la magie de ce grand départ, une haie humaine ininterrompue borde l’avenue,

l’océan indien est là dans le noir, trahi par ces rouleaux d’écumes, nous passons devant le petit

troquet où nous avions retrouvé Nico deux jours auparavant pour vider quelques Dodo (bière locale),

il doit être en train de m’attendre quelques kilomètres plus haut, je ne sais pas si nous réussirons à

nous voir...

Nous quittons peu à peu la ville pour monter dans les champs de cannes à sucre, je profite des

dernières portions de goudron pour continuer à doubler un maximum de concurrents, la bruine

continue de tomber mais je n’ai pas froid.

Je ne m’arrête pas au premier ravitaillement.

Nous montons progressivement dans des chemins agricoles recouverts de terre sans cailloux, c’est

un peu glissant, il faut rester vigilant car les ornières et les mottes sont nombreuses. De toute façon,

impossible de profiter du paysage, les cannes à sucre sont hautes et impénétrables.

Retour sur le goudron, je traine mes pieds pour décrotter mes baskets alourdies par la boue.

Nous traversons le hameau de Mont Vers les Hauts où les habitants, parfois en robe de chambre ou

pyjama en dépit de la bruine, nous applaudissent sur le seuil de leur maison.

Je commence à percevoir un brouhaha lointain, le ravitaillement du « Domaine Vidot » approche, il

est presque minuit trente.

Nico m’interpelle tout de suite, il est là dans la foule avec sa petite caméra à bout de bras, je lui fais

signe de m’attendre à la sortie.

Je profite de cet arrêt pour changer le t-shirt officiel que nous devons garder sur nous jusqu’ici (c’est

dans le règlement, visibilité des sponsors oblige !) contre un haut un peu plus chaud.

Je remplis mes bouteilles, saisis quelques biscuits à la volée et ressort voir Nico, à qui je confie mon

maillot trempé (super cadeau), il me souhaite bonne course et je repars rapidement car la suite ne

permet plus de doubler.

Le chemin devient un monotrace étroit, puis, plus haut, nous entrons dans une forêt pour un passage

surprenant accentué par le faisceau des frontales : J’ai l’image d’une montée dans un couloir

tortueux fait de branchages entremêlés, on se sert autant des bras que des jambes pour progresser,

nous sommes à la queue-leu-leu, cherchant les meilleurs prises pour grimper dans ce tunnel

végétal !

Je trouve cette partie amusante, mais j’entends un coureur râler et s’inquiéter pour sa moyenne ! Il

s’attendait peut-être à courir tout le long du parcours, il va être déçu !

Nous sortons de la forêt pour rejoindre une piste forestière, nous courrons à bonne allure en petit

groupe, ceux de devant signalant à voix haute de gros trous sur la piste à distance régulière, servant

peut-être à évacuer l’eau des pluies ?

J’effectue un arrêt express au ravito de Notre Dame de la Paix et repart seul sur une piste assez

large, presque plate, bordée à droite par de grands sapins, le ciel commence à se découvrir et la

pleine lune apparait, c’est magique !

Je suis complètement seul pour la première fois, tout est calme et silencieux, je déroule ma foulée

sur ce replat facile en m’imprégnant de tout : ce chemin qui serpente dans la faible clarté de la nuit,

bordé d’une forêt sombre, le ciel qui dévoile une lune ronde et des constellations inconnues.

Un lieu improbable, une ambiance singulière au cœur de la nuit, un des instants précieux que l’on

garde à jamais comme des trésors et qui font la magie de ces grandes courses.

Alors que je savoure ce moment de plaisir égoïste, je pense très fort à ma famille qui dort sous

d’autres cieux à 10 000 kilomètres de là, comme si je pouvais le partager avec eux.

Je me rends soudain compte que je n’ai pas vu de signalisation depuis longtemps et que je cours

toujours seul au milieu de nulle part ! Aïe ! J’espère que je ne me pas suis trompé d’itinéraire, j’essaie

de me remémorer les derniers passages mais je ne me souviens pas d’avoir vu d’autres chemins

possibles… Je décide de poursuivre encore un peu avant de revenir sur mes pas, les minutes passent

comme des heures et c’est avec un grand soulagement que j’aperçois enfin loin devant un petit

groupe de lueurs…

Je rejoins une large route qui me semble être celle que nous avons empruntée mardi pour monter au

volcan. Nous nous engageons ensuite sur une crête, la Rivière des Remparts, pour une succession

assez longue de montées-descentes, la pleine lune nous permet de profiter de la vue qui s’offre à

nous, à gauche nous longeons des pâturages, et, à droite c’est un précipice dont on ne distingue que

les premiers mètres le reste étant couvert d’une épaisse couche de nuage blancs, c’est magnifique !

Une photo prise de jour :

Nous arrivons sur une aire de pique-nique, où se trouve le ravitaillement de Piton Sec. Une fois de

plus, j’optimise le plus possible l’arrêt en allant à l’essentiel : Refaire les niveaux de boisson, attraper

2 ou 3 trucs à manger et repartir.

Après avoir remonté une piste forestière, j’arrive sur un vaste plateau, le sol est un peu sablonneux,

un sentier souple zigzag entre de petits buissons, la lumière devient de plus en plus présente, je me

sens en pleine forme, c’est un vrai plaisir d’évoluer dans cet environnement.

Le Piton Textor approche, je rejoins une route qui doit conduire aux antennes qui hérissent sa cime,

une dernière montée contourne le sommet par la gauche et j’aperçois enfin un parking, des tentes

avec pas mal d’agitation et, en même temps, les premières lueurs du jour il est presque 5h00!

Ce ravitaillement marque le 40éme kilomètre et la fin d’une grande ascension (2600 m cumulés).

J’ignore quelle est ma place mais la faible densité de coureur est plutôt bon signe, je ne cherche pas à

en savoir davantage pour l’instant, la course ne fait que commencer…

Le sol est complétement givré et les rochers brillent mais je n’ai pas froid, la descente commence

dans une espèce de grande ornière avec beaucoup de cailloux, il faut être concentré pour ne pas

chuter. Peu à peu le sentier devient plus facile, plus terreux, j’en profite pour accélérer et de me

laisser griser par les sensations de vitesse, c’était rare jusque-là !

Je double quelques coureurs dont un que je remarque avec son grand short en coton bleu, je l’avais

aperçu dans le sas « VIP » du départ, il semble un peu à la peine!

Nous retrouvons les pâturages, quelques vaches, puis nous passons à proximité d’une ferme, cela

ressemble plus au Vercors qu’à l’image que j’avais de la Réunion mais cette île est décidemment

pleines de surprises !

Après une petite heure de descente, l’atmosphère commence à se réchauffer, j’arrive dans une

grande plaine (plaine des Cafres je crois) d’abord sur un chemin puis sur une espèce de piste

bétonnée et plate, je presse le pas et rejoins un coureur local.

De chaque côté de la piste, des tentes, des campings cars, des voitures et plein de Réunionnais qui

attendent leurs coureurs, les passages accessibles aux véhicules ne sont pas nombreux, des

marmites sont sur le feu, les tables se déplient, des gens sortent des tentes encore enroulés dans des

couvertures, c’est amusant ! D’ailleurs deux gars en doudoune se précipitent à notre rencontre et

commencent à encourager mon voisin du moment ! Sans doute sa famille, visiblement très excités,

ils discutent entre eux en créole, je tends l’oreille car j’aime bien cette langue, ses intonations, cette

façon de prononcer les « r » comme si c’était des « w », je ne comprends rien de ce qu’ils se

racontent ! Ils s’arrêtent vers une voiture au coffre ouvert, je continue seul jusqu’au ravito que

j’aperçois au bout de la plaine, me voici à Mare à Boue.

C’est un gros ravitaillement en pleine campagne, un gars est en train de faire griller des quantités

impressionnantes de poulet, je refais le plein eau/coca, j’attrape quelques biscuits et bouts de

bananes et repars sans tarder.

On s’approche du « Coteau Kerveguen » le dernier rempart avant le début des cirques, j’ai hâte ! Le

chemin est d’abord facile, puis peu à peu, la pente devient plus raide, le sentier, assez technique,

serpente dans une forêt d’arbustes aux multiples nuances de vert.

Lorsque la vue se dégage, le Piton des Neiges apparait dans toute sa splendeur avec ses grandes

parois rougeâtres, telle une forteresse imprenable ! C’est vraiment beau.

Il fait chaud, je m’arrête pour quitter ma veste, prendre un t-shirt à manche courte et troquer mon

buff contre la casquette saharienne fournie par l’organisation. Deux coureurs me dépassent et je

repars juste derrière eux.

Ils sont rapides et je m’astreins à rester suffisamment proche pour entendre leur conversation mais

assez loin pour ne pas y prendre part, ce n’est pas de la misanthropie mais je n’ai pas envie de

discuter, pas encore, j’ai tous les sens aiguisés comme des rasoirs et je profite, je veux que rien ne

m’échappe…

La pente s’adoucie enfin, le sentier traverse un plateau, l’horizon se dégage, le piton des neiges est à

droite, tout proche, et devant plus rien, juste des crêtes rocheuses au loin, entre les deux, on devine

sans la voir l’immense dépression du cirque de Cilaos et d’un coup c’est la bascule, violente !

Waouh ! Ça c’est de la descente ! Abrupte, vertigineuse, de l’humidité, des cailloux, on voudrait se

casser la figure on ne passerait pas ailleurs !

Je n’ose pas courir, trop dangereux à mon goût, une chute ici serait fatale ! Les organisateurs sont

gonflés de nous faire passer par là….Quelques coureurs me dépassent en courant, je n’en reviens

pas, moi qui me croyait plutôt à l’aise en descente… je me serre côté paroi pour les laisser passer,

chapeau les gars !

Lorsque la végétation le permet, on aperçoit le village de Cilaos mille mètres plus bas, littéralement

encerclé de grandes parois rocheuses. Une citadelle naturellement fortifiée !

Forcément, la descente me parait interminable, et je suis soulagé de retrouver un peu d’horizontalité

sur un chemin forestier vers Mare à Joseph, petit hameau non loin de Cilaos mais séparé par ce que

les locaux appellent une « ravine », entendons par là un canyon, donc une descente assez sèche, un

passage de pont ou un gué puis une remontée sur la rive d’en face.

Une fois la ravine franchie, j’arrive dans les premiers quartiers de Cilaos et je suis surpris par les

odeurs subtiles qui emplissent l’atmosphère, toutes les maisons sont abondamment fleuries, les

bougainvilliers sont énormes, les couleurs chatoyantes tranchent avec la blancheur des maisons.

Mais je ne vois pas un seul coureur !

J’arrive d’une bonne foulée dans le stade de Cilaos vers 9h00 où quelques spectateurs applaudissent.

Je récupère mon premier sac de rechange et je file vers une grande salle dédiée à la restauration,

quelques bénévoles surveillent de grandes marmites et quatre grandes longueurs de tables

attendent les concurrents, au nombre de deux pour le moment.

Je file au fond de la salle vers les sanitaires pour faire une toilette rapide et changer l’intégralité de

mes vêtements, je me sens frais et plein d’allant pour poursuivre l’aventure.

Je prends le temps de manger quelques pâtes (froides) et un morceau de poulet (sec) et j’appelle

Anne-Sophie, il est 7h00 en métropole et elle part au boulot ! Elle m’apprend alors que je suis 85

ème et s’inquiète de mon départ rapide. Je suis agréablement surpris et lui dis que la suite semble

plus technique et sans doute moins favorable pour moi, je la rassure sur mon état de forme. Je ne le

saurais qu’en rentrant mais elle a placardé la carte et le profil de la course sur le mur du salon pour

montrer ma progression aux enfants !

Dorénavant, la course n’est plus la même, j’ai beau repousser cette idée, je repars avec un

compteur dans la tête affichant 85 et chaque coureur dépassé ou « dépasseur » vient modifier

l’affichage !

Le 84 est une célébrité ! Widi Greco, quand on le voit une fois, on ne l’oublie pas : c’est Bob Marley

avec des baskets ! Je l’ai vu plusieurs fois sur des magazines, c’est un Guadeloupéen qui fait toujours

bonne figure sur les trails longs. Nous repartons ensemble du ravitaillement.

La vue depuis Cilaos est étonnante, le mot « cirque » prend tout son sens, nous sommes dans une

arène et nos gradins sont des montagnes sur 360 degrés !

Je demande à un bénévole par où nous allons passer et il me désigne en levant le bras plein nord une

crête rocheuse très découpée : « le Taïbit ! », vu d’ici ça promet une belle ascension, d’autant que

pour l’instant nous descendons tout droit au fond d’un canyon !

C’est par là-haut :

Mon compagnon rasta est sympathique, on descend tranquillement jusqu’au passage à gué du

torrent, la végétation est luxuriante, baignée de soleil et d’humidité… on s’économise un peu avant la

longue montée du Taïbit qui marque le passage entre les cirques de Cilaos et Mafate.

Au passage du torrent, une pierre roule sous mon pied et je me retrouve dans l’eau jusqu’au genou,

je peste contre cette maladresse, je venais de changer de chaussettes et de chaussures et me voilà à

nouveau les pieds trempés.

Malgré cela, je ne me lasse pas d’observer cet environnement, ici une cascade, là une grosse

araignée (une babouk !) plus loin un point de vue sur un défilé ou une falaise abrupte… Bref le début

de la remontée m’est très agréable, c’est beaucoup moins vrai pour Widi Greco qui commence à

s’impatienter d’arrivée au ravito du « pied du Taïbit », il peste car un randonneur croisé plus bas

nous annonçait le ravito tout proche et depuis nous sommes pas mal montés ….

Nous voici à peine plus haut que Cilaos, visible de l’autre côté du canyon, lorsque nous arrivons au

ravitaillement. Un coureur est allongé sur une civière avec deux pompiers à ses côtés, sans doute un

coup de chaud, il est 11h00 et le soleil tape fort.

Je veille à m’hydrater correctement, j’avale un gel de glucose et repars rapidement laissant là un

Widi un peu entamé.

Non loin du ravito, un joyeux petit groupe propose la « tisane ascenseur » sensée nous aider à

monter le Taïbit… je ne préfère pas m’essayer tout de suite à une production locale, on ne sait

jamais, un problème de plomberie est si vite arrivé…

Le début de la montée est très raide avec des escaliers de toutes tailles, peu à peu, le sol devient plus

rocailleux, la végétation se limite maintenant à de grandes agaves aux hampes florales desséchées.

Vers le haut du col, quelques niches naturelles abritent de petites Vierges comme autant de petites

chapelles parfois ornées de fleurs séchées.

Il fait très chaud mais je sens mes pieds humides et fripés qui commencent à cuire au court bouillon,

j’espère pouvoir arranger cela au prochain ravitaillement.

Voici le haut du Col, je suis satisfait de ma montée, près de mille mètres depuis le torrent, j’ai doublé

quelques coureurs et je me sens d’attaque pour traverser Mafate, il vaut mieux s’engager dans ce

cirque en bonne forme car pendant les cinquante prochains kilomètres, tout rapatriement par voie

terrestre est impossible…

Vue sur Mafate :

Le début de la descente est raide et compliquée, peu à peu je descends dans une brume légère qui

cache un peu du soleil mais la moiteur est tout de même pesante, la visibilité est réduite et

m’empêche de découvrir Mafate dans son ensemble.

Le sentier devient plus facile, j’allonge la foulée pour rejoindre Marla, premier ravitaillement du

cirque, j’évolue à nouveau dans un océan de verdure, de liane, de fleur, je m’imprègne le plus

possible de ces images de nature intacte.

Je sors de la forêt pour arriver dans un petite plaine herbeuse traversée par un sentier en terre

battue quand mon pied bute sur quelque chose, j’atterris à plat-ventre dans un nuage de poussière,

rien de grave à première vue, un genou écorché et une douleur intercostale mais rien de méchant, je

continu en trottinant doucement jusqu’à Marla où je trouve un robinet pour rincer la poussière qui

me recouvre les mains et le visage, je nettoie également mon genou endolori.

Par chance, je chute sur un des rares sentiers dépourvu de cailloux.

Ravito de Marla :

Les bénévoles de Marla sont fantastiques, souriants, bienveillants, ils remplissent mes bidons et me

proposent des fruits, des biscuits. L’un d’eux me dit qu’il va sans doute pleuvoir en fin de journée sur

le Maïdo. Aucune importance, je me sens l’âme d’un guerrier et j’ai une pêche d’enfer (j’oublie juste

qu’il reste presque 90 km !)

Je repars en mangeant un mini sandwich au jambon arrosé de coca (j’ai dû boire assez de caféine

pendant la course pour tuer un cheval !)

Le sentier descend à nouveau jusqu’à un passage à gué, je m’applique cette fois à viser les bons

cailloux, puis nous remontons longuement jusqu’au col des Bœufs, toujours beaucoup d’escaliers sur

ce tronçon.

Le haut du Col semble être un endroit prisé pour pique-niquer, quelques familles et des groupes de

jeunes sont installés et nous encouragent, ici les marches sont faites de rondins que l’humidité

ambiante a rendu glissants. Il faut être vigilant à chaque pas.

La redescente s’effectue sur une large piste où je peux courir plus rapidement mais mes pieds

commencent à s’échauffer, ma chute m’avait fait oublier ce problème mais cette fois il faut vraiment

que je regarde mes pieds de plus près.

J’arrive à la Plaine des Merles où se trouve un petit ravitaillement avec une tente pour les soins.

Je vais directement sur un lit de camp pour enlever mes chaussures et mes chaussettes, ce n’est pas

joli à voir (et à sentir), mes pieds ont macérés dans l’eau la sueur et la poussière pendant des heures,

je demande une bassine d’eau pour me laver les pieds et inspecter la plante et ses échauffements.

A gauche ça va encore mais à droite j’ai une grosse ampoule en formation sous une peau gonflée par

l’humidité. Il n’y a pas de podologue ici, mais une infirmière me trouve un gros pot de vaseline,

j’enduis généreusement mes pieds avant de remettre mes chaussettes dégoutante et mes

chaussures mouillées, ce n’est pas géniale mais pour l’instant, je n’ai pas mieux !

Je repars avec l’impression désagréable d’avoir les pieds au bain marie, je m’efforce de penser à

autre chose, j’ai compris depuis longtemps qu’en ultra il ne faut surtout pas focaliser son attention

sur une gêne, une irritation ou une petite douleur sinon ça finit par occuper tellement d’espace dans

l’esprit que l’abandon devient la seule issue. Un ancien recordman de 100 km, dont le nom m’a

échappé, disait ceci : « Un athlète de grand fond doit avoir une grande tolérance à l’inconfort

prolongé », je trouve cette formule très juste.

Me voici au début du « sentier scout », un nouveau passage à gué suivi d’une montée

impressionnante à flanc de falaise sur un escalier étroit taillé dans la roche ! Je monte

tranquillement en regardant le vide qui grandit sous mes pieds et en me tenant à la main courante

fixée à la paroi, la bruine qui m’entoure masque en partie le fond du canyon et rend l’ascension

encore plus vertigineuse.

Le sentier finit en apothéose sur une crête très étroite avec le vide de part et d’autre, c’est

incroyable ! S’en suit une belle descente bien raide dans les rochers puis nous revoilà sur un sentier

forestier plus cool ! Nous redescendons une ravine profonde en voyant déjà le chemin qui remonte

en face vers Ilet à Bourse, tant de distance et de dénivelé pour atteindre ce hameau pourtant si

proche !

Cette fois le franchissement du torrent se fait sur une passerelle. A proximité du ravitaillement, je

reste bouche bée devant plusieurs massifs de bambou aux dimensions hallucinante, au moins 30

centimètres de diamètre et plusieurs dizaine de mètres de haut !!

En pleine forêt, je trouve des fruits déposés par une bonne âme sur des souches au bord du sentier,

je prends le temps de déguster une petite banane et un fruit rond que je n’identifie pas tout de suite

(un fruit de la passion), et là, c’est un pur moment de bonheur, ces fruits ont une saveur incroyable !

Le contexte y contribue sans doute, mais je n’oublierai pas le plaisir que j’ai eu à les manger…

J’arrive au ravitaillement en 56éme position, je n’en crois pas mes oreilles ! Je pense que mes arrêts

express commencent à payer et que les abandons jouent en ma faveur !

Galvanisé par le classement je repars de plus belle après avoir fait le plein de boisson, je continue à

prendre un gel de glucose toutes les 2 heures et, en alternance, un peu d’homéopathie contre les

crampes, la recette a bien fonctionné sur les courses cette année et jusque-là je me sens bien.

Le sentier descend à nouveau dans le canyon, nouveau passage de gué, puis nous remontons cette

fois plus haut, les alentours sont très escarpés, de grandes parois rocheuses nous toisent, le chemin

est très caillouteux, parfois très raide avec de grands escaliers. Le ciel s’est dégagé mais il est 16h00

passé et dans deux heures il fera nuit noire.

Je redescends ensuite sur un petit plateau où se trouve l’îlet (prononcer ilette) de Grand Place, il y a

un ravitaillement dans une petite école. Les habitants sont tout sourire, la vie ici ne peut être que

solidarité et dénuement, une vie préservée des voitures, des routes, du bruit. Les communautés sont

minuscules, le hameau voisin semble proche mais nécessite des heures de marche, alors imaginez

pour aller sur le littoral ! Ce sont des îles dans l’île !

Je repars de Grand Place en longeant de petits champs maraichers, un homme met en place des

tuyaux d’irrigation reliés à un petit bassin, je n’ai pas vu d’animaux à part quelques poulets.

Voici déjà le bout du plateau, à nouveau, une descente très raide plonge vers la « rivière des galets »

via une multitude de lacets serrés. La pente est telle que je glisse à plusieurs reprises, c’est très

éprouvant, la végétation plutôt frêle ne permet pas vraiment de se retenir et je trouve le temps long

avant d’arriver près du lit du torrent.

Un hélico décolle de la gorge dans un vacarme assourdissant, en approchant, je me rends compte

qu’il vient déposer une équipe de la croix rouge qui s’affaire déjà à monter un bivouac sur de grosses

dalles de pierre au bord du torrent. Vu la nature du sentier que je viens de descendre, ils risquent

d’avoir du travail cette nuit !

C’est reparti pour une montée tout aussi raide ! Je rejoins peu à peu un coureur et décide de rester

sur ses pas car la fatigue commence à se faire sentir, la deuxième nuit commence à tomber et ces

successions de montée/descente me mettent à l’épreuve.

Nous « grimpons » quasiment vers un pic rocheux pour mieux redescendre vers la rivière, quelques

frontales commencent à s’allumer, nous laissant entrevoir de-ci de-là notre future trajectoire. Je me

pose sur un rocher le temps de prendre dans mon sac un t-shirt à manche longue et ma lampe.

Je me sens tout à coup lourd et pesant. Je repars pour ce que je crois être la dernière montée avant

Roche Plate, mais au sommet, au détour d’un gros rocher, je m’aperçois que nous redescendons tout

en bas à la rivière pour remonter encore plus haut en face !! Je contiens une envie de hurler !!

Ma motivation en prend un grand coup et je ne me sens plus le courage de parcourir toute cette

distance. Je m’efforce tout de même à garder le contact avec le gars de devant, j’ai l’impression que

l’on se traine mais nous doublons quand même quelques coureurs ! Il y en a même un qui dort au

bord du sentier emballé dans sa couverture de survie !

Je n’ose plus lever les yeux pour ne pas voir les frontales au loin.

Après une éternité à batailler pour mettre un pied devant l’autre, le sentier s’aplanit et je vois les

lumières d’un village à quelques centaines de mètres, je me mets à trottiner pour atteindre enfin cet

oasis.

Aujourd’hui , la vie est tellement confortable, sécurisée et sans surprise que l’on a l’impression de se

mettre un peu en danger dans ce genre de situation, on s’expose au sommeil, à la fatigue, parfois à

la douleur, on explore ses propres limites et, course après course , on les bouscule un peu plus et

finalement on se découvre des ressources insoupçonnées !

Me voici à Roche plate, dernier ravito de Mafate, une tente dressée sur une minuscule place devant

le parvis de l’église, une dame déplace une chaise à l’abri de la bâche à mon intention et me sers une

soupe de pâte. Cette fois je prends le temps de me poser et de manger, je pense que ce passage

difficile est dû à une petite hypoglycémie.

Je mange mon deuxième bol de soupe lorsqu’un gars arrive en braillant, pestant contre l’organisation

et la difficulté de la course. Voyant cela, un type avec une caméra vient interroger le râleur mais il se

fait lui aussi remballer ! La scène m’amuse et me rassure, décidément c’est dur pour tout le monde !

Je repars revigorer pour affronter le Maïdo, dernière grosse difficulté et sortie du cirque de Mafate,

1000 mètres de d+ sur 5 kilomètres.

Dès la sortie du village ça grimpe fort ! J’ai perdu quelques places mais j’ai repris des forces, je décide

de découper la montée en quatre tronçons : Cinq minutes de récupération tous les 250 m de

dénivelée pour boire et manger, par contre comme disent les d’jeun’s, je ne lâche rien entre les

pauses.

Et ça marche plutôt bien, je reprends plein de places pendant l’ascension même si les pauses me

paraissent de plus en plus éloignées.

Une belle surprise m’attend pendant la montée, par miracle, mon portable capte un appel de Céline

qui me transmet son enthousiasme et m’encourage, cela me donne encore plus d’énergie !

C’est bizarre, j’aperçois des petites grenouilles de partout, c’est furtif et je ne prends pas trop le

temps de regarder de plus près mais je vois des grenouilles !

J’aperçois la sortie du cirque, au sommet, les lacets ont laissé place à un chemin en balcon qui me

laisse le loisir de regarder Mafate une dernière fois avant d’en sortir, le clair de lune et quelques

brumes poussées par le vent, donne un aspect mystérieux au cirque, presque mystique ! On devine

les reliefs, les ravines, des amas lumineux trahissent les ilets, et, dans la pente quelques frontales

dansent comme des lucioles…

Quelques spectateurs courageux nous attendent et applaudissent mon arrivée au sommet, je

pensais y trouver un ravito mais il faut encore faire quelques centaines de mètres sur la crête ventée

pour prétendre à un peu de répit.

Je pousse enfin la toile épaisse d’une tente battue par les vents. De chaque côté, des tables avec

boissons et nourritures, il est 21h30 et j’ai passé les 110 km, je sors le coupe-vent de mon sac en

prévision de la grande descente qui suit lorsqu’une jolie jeune femme munie d’un micro et

accompagnée d’un caméraman vient me demander mes impressions ! Me voilà bon pour quelques

secondes de célébrité à la télé réunionnaise…

Je repars en me disant que maintenant, les difficultés majeures sont derrière et que, sauf grosse

blessure, je devrais boucler cette Diagonale… cette pensée me donne des ailes dans cette descente

interminable (1700m d- en 12 km !!). Mais je ne suis pas serein sur la première moitié, en effet le

balisage est insuffisant à mon goût et je crains à plusieurs reprises de ne plus être sur le bon chemin !

Heureusement je quitte enfin la forêt pour trouver une large piste qui ne laisse plus de place au

doute. La descente est douce, le large chemin de terre rouge est régulièrement barré de rondins qui

forment comme de grands paliers où je me laisse débarouler sans résistance et en me décontractant

au maximum. J’aperçois au loin des lumières rouges qui pourraient être les balises d’un port, l’océan

n’est plus très loin…

Je suis seul depuis Roche plate, rien devant, rien derrière… Le clair de lune me permet d’apprécier la

campagne environnante sans avoir à chercher mon chemin. Seul le martèlement régulier de mes pas

vient troubler le silence, et, comme souvent, je me surprends à fredonner un air parfaitement en

rythme avec ma foulée, à moins que ce ne soit le contraire.

Plus bas, une rubalise m’indique de quitter le chemin pour un monotrace plus pentu et plus

accidenté au milieu de grandes herbes sèches, je rejoins rapidement un coureur qui semble un peu

emprunté. Je lui demande si ça va et j’apprends qu’il a des problèmes d’éclairage, en fait il a acheté

ses piles dans une échoppe locale et elles devaient y être depuis des années… Bref il a du mal à voir

les pièges du terrain. Je lui propose de l’accompagner jusqu’au ravitaillement suivant.

Il s’appelle Christophe et vient de Vannes (Bretagne, Morbihan pour situer…) , on discute un peu

jusqu’à Sans Soucis, ou, une fois n’est pas coutume, le ravitaillement est dans l’école du village. Ses

amis qui l’attendent lui fournissent un jeu de piles neuves et nous repartons ensemble après avoir

avalé une crêpe au sucre et un thé brulant.

Nous dépassons deux jeunes réunionnais avec qui nous allons faire le yoyo un long moment. Nous

avons couru seuls très longtemps et du coup ce moment d’échange nous est agréable à tous les

deux, c’est aussi son premier Grand Raid et il m’avoue être parti trop vite, il commence à être fatigué

(nous sommes à plus de 25 heures de course). Du coup je l’attends un peu et j’en profite pour

récupérer.

Nous traversons à nouveau la Rivière des galets qui, à cet endroit, est un large fleuve de gros blocs de

pierre avec quasiment pas d’eau puis nous remontons la berge d’en face avant d’emprunter un

sentier à flanc de colline duquel on aperçoit les projecteurs du stade de Halte-là.

Halte-là est, après Cilaos, la deuxième « base-vie » de la course, c’est-à-dire un gros ravitaillement

avec Kiné, podologue, repas chaud et possibilité de se changer grâce au sac d’allégement.

Nous entrons ensemble dans le stade à 1h00 du matin, il reste 30 km, nous sommes dans les

quarante premiers !

Nous nous dirigeons vers la tente où sont stockés les sacs par numéro, Christophe récupère le sien

et commence à se changer et le mien est introuvable …

Les recherches avec 2 bénévoles parmi les 2000 sacs prennent de longues minutes et je commence à

faire une croix sur mes habits secs quand je trouve enfin, à l’extérieur, mon sac qui était passé sous la

tente…

Je me change à la hâte et nous repartons ensemble en ayant perdu quelques places, d’ailleurs nous

dépassons à nouveau les deux réunionnais dont l’un boite un peu.

Les 10 km suivants sont pour moi les moins sympas de la course, nous commençons par perdre

beaucoup de temps sur un chemin mal balisé et qui plus est monte bien plus haut que sur le profil

officiel (à 800 mètres au lieu de 400) ! Bref, on est à deux doigts de revenir en arrière lorsqu’un des

deux réunionnais nous rejoins et nous confirme qu’on est au bon endroit (son copain boiteux a dû

s’arrêter…) nous quittons les cannes à sucre pour une succession de montées- descentes assez raides

dans de gros blocs rocheux qu’il faut parfois escalader , c’est assez usant, Christophe commence à

accuser le coup et me dit de continuer à mon rythme mais je préfère l’attendre jusqu’au prochain

ravito car cette partie me déplait beaucoup et je préfère avoir un peu de compagnie, d’ailleurs le

balisage insuffisant nous embrouille à nouveau à la sortie d’un village et nous sommes contraints de

revenir sur nos pas pour demander notre chemin à un bénévole posté non loin ! Que de temps perdu

sur cette section….

Nous arrivons enfin à la Possession où le ravitaillement est encore dans une école, Christophe me dit

qu’il va dormir un peu, on se souhaite bonne chance et je repars sans tarder car un autre coureur

arrive déjà.

Ses quelques kilomètres effectués au ralenti m’ont permis de récupérer et me permettent

maintenant d’aller vite ! Je longe le route côtière sur un bon kilomètre il est 4h30 et les rues sont

désertes, je fixe mon attention sur tout ce qui pourrait m’indiquer le bon chemin, mais une fois de

plus le balisage est vraiment léger…

Loin devant, 4 jeunes descendent d’une voiture, en arrivant à leur hauteur je vois qu’ils sont

complètements bourrés ! Ils se plantent au milieu de la route mais ne semble pas agressifs, l’un d’un

me propose de boire un rhum arrangé, je leur réponds que c’est sympa mais pas tout de suite, et ils

se mettent à courir à mes côtés ! Je leur dis que je ne sais pas trop où je vais, du coup ils décident de

m’emmener au pied du chemin des Anglais. Et me voilà escorté par 4 jeunes qui s’essoufflent et se

marrent aussi amusés que moi par cette rencontre inattendue.

Nous arrivons assez vite devant une barrière en bois interdisant le fameux chemin des Anglais aux

voitures, ils me disent que je n’ai plus qu’à suivre le chemin et m’encouragent pour la fin de course.

Me voici sur une espèce de « voie romaine » pavée de blocs de basalte noir. Le début monte très

raide puis la voie s’aplanit et me permet de voir au loin la lumière d’un coureur. Je me concentre sur

mes appuis car certain pavés sont instables et d’autres sont carrément absents laissant un trou à leur

place ! Je suis complétement euphorique, mes jambes répondent bien, je vois la lumière de devant

qui se rapproche, le jour commence à poindre, je double le coureur et accélère encore.

Une nouvelle ligne droite, un nouveau coureur en ligne de mire, un nouvel objectif, je reste

concentré sur le chemin, certaines portions sont en très mauvais état, j’essaie de rester bien au

milieu où les pavés sont plus gros. Je continue sur ma lancée et double à nouveau, c’est curieux mais

j’ai souvent un regain de forme au lever du jour, c’est sans doute l’horloge interne qui réveille le

métabolisme ou c’est juste dans ma tête…

La dernière descente du chemin des Anglais est très chaotique, un vrai danger pour les chevilles, les

pavés sont sans dessus- dessous et il me tarde de quitter ce champ de bataille.

Il fait bien jour lorsque j’arrive à Grande Chaloupe, on m’annonce 38éme ! C’est incroyable, il reste

une dizaine de kilomètres avec une bonne montée, les places ne devraient plus trop bouger.

Je refais le plein de boisson et repars en mangeant un mini sandwich au jambon, j’aperçois un

coureur qui boite un peu plus loin et en le doublant, je me rends compte que c’est le réunionnais que

nous avions largué à Halte là !!! Manifestement ce tricheur connait des raccourcis car depuis

personne ne m’a doublé… Je le dépasse en le regardant dans les yeux et je vois bien qu’il me

reconnait et qu’il est mal à l’aise, pauvre type, je ne vois pas l’intérêt de se mentir à soi-même pour

gagner quelques places…

Je rejoins ensuite un gars avec qui j’engage la conversation, il s’appelle Marco et c’est aussi sa

première Diagonale, on sympathise en montant tranquillement, j’ai besoin de récupérer un peu

après ma cavalcade dans les pavés et j’ai aussi envie de savourer ces derniers moments.

Le soleil est déjà haut et par endroit on voit l’océan qui scintille. On peut également apercevoir plus

haut une grosse sphère blanche, c’est la station météo de Colorado, c’est aussi le dernier sommet de

la course, mais alors qu’elle paraissait proche nous redescendons pour traverser une rivière par une

passerelle puis nous remontons.

Il commence à faire chaud, le chemin est en terre fine et rougeâtre, mon compagnon semble un peu

à la peine alors je l’attends un peu, nous discutons de nos impressions de la course et de nos belles

découvertes, le temps passe ainsi plus vite.

Nous basculons dans une espèce de parc, nous traversons une vaste pelouse jusqu’au dernier

ravitaillement, il reste une descente de 4 kilomètres !!

Nous plaisantons avec les bénévoles qui nous demandent si on abandonne et prenons le temps de

nous rafraichir, je guette un peu le haut du parc mais toujours aucun coureur en vue.

Dès les premiers lacets de descente, St Denis est en vue, le but est proche mais Marco a beaucoup de

mal à descendre, je l’attends à chaque virage, la chaleur augmente nous sommes en plein soleil dans

des blocs rocheux et une végétation complètement desséchée qui ne procure aucune ombre.

Après une longue traversée en balcon, nous apercevons le stade de la redoute, il ne reste que

quelques lacets et nous voilà sur la dernière ligne droite avant de rentrer dans le stade !

Tout à coup je vois un coureur au-dessus qui arrive à toute vitesse, je reconnais le gars au bermuda

bleu que j’avais doublé sous Piton Textor !

Je trottine un peu plus vite mais le voilà qu’il nous double, je sens que j’ai les jambes pour le suivre et

j’accélère instantanément, mais en me retournant je vois Marco qui a déjà baissé les bras…

J’hésite un instant entre finir au sprint et me bagarrer pour la place ou attendre Marco et finir tout

doux.

Je stoppe ma course et regarde le gars enfiler à la hâte le maillot officiel que lui tend quelqu’un juste

à l’entrée du stade puis il disparait dans l’enceinte.

Marco me rejoint et nous finissons ensemble le demi-tour de piste jusqu’à la ligne d’arrivée sous les

ovations de la foule en délire … (en fait une douzaine de personnes – Merci à Eric et Nico d’être

venu !)

Je franchis la ligne d’arrivée et une digue intérieure se rompt laissant se déverser des flots

d’émotions. Toutes les tensions mentales et musculaires se relâchent je plane, je savoure, je revois

déjà les belles images du livre qui vient de se refermer.

Les pensées se bousculent dans ma tête, c’est puissant ! J’aimerais que ma famille soit là pour les

serrer très fort, je pense à Martin mon « mentor » qui m’a ouvert les portes de l’ultra-endurance, à

Alex bouclant à mes côtés un UTMB d’anthologie 6 semaines plus tôt, je sais qu’il aurait adoré faire

cette course, et à Nicolas qui doit encore un peu patienter pour passer la ligne à son tour…

Il est 8h36, je suis 37ème en 33h36 et je suis sur un nuage, une jeune fille me tend un t-shirt floqué

« j’ai survécu » avec une médaille, me voilà officiellement parmi les fous de cette diagonale et fier de

l’être.

J’ai ensuite droit à mon premier contrôle anti-dopage, expérience intéressante car le protocole est

très précis et l’officiel de la fédération très appliqué, insistant notamment pour « assister à la

miction » (il n’y a pas de sot métier !).

Il me faudra près d’une heure et plusieurs bouteilles d’eau pour enfin réussir à pisser la quantité

requise… !

A priori, le test est négatif car je n’ai pas eu de nouvelles depuis …

J’ai reçu un grand nombre d’appels, sms et mails avant, pendant et après la course, beaucoup de

gens m’ont dit qu’ils suivaient attentivement ma progression sur internet, c’est un réel soutien et

une source de motivation supplémentaire et je remercie toute ma famille, mes amis, les copains du

club et mes collègues pour toutes ces pensées positives…

Le lendemain, plage de l’Hermitage avec de gauche à droite Eric, Nicolas, moi et Nico !

Nous allons enfin pouvoir goûter les spécialités locales (rougaille saucisse, cari poulet et rhum

coco….)