développer le langage d’élèves...
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CLERC Aurélie CAPA-SH option D
Développer le langage d’élèves
d’IME
à travers la pédagogie de projet
Année scolaire 2009-2010
SOMMAIRE
Introduction………………………………………………………………………………...page 4
Partie 1 : ASPECTS THEORIQUES
1. La déficience intellectuelle……………………………………………………….……..page 5
a. Définition.
b. Origines de la déficience.
c. Les troubles associés à la déficience intellectuelle.
2. Langage et pensée……………………………………………………………………….page 9
a. Jean Piaget.
b. Lev Vygotsky.
3. Le développement du langage oral……………………………………………………page 11
a. Le développement sémantique : l’apprentissage de la signification des mots.
b. Le développement morphologique et syntaxique : apprendre à mettre les mots
ensemble pour former des phrases.
4. Langage et déficience…………………………………………………………………..page 13
5. La pédagogie de projet………………………………………………………………...page 15
a. Présentation générale.
b. Réconcilier l’individuel et le collectif et favoriser les conflits sociocognitifs.
Partie 2 : PRATIQUE DE CLASSE
1. Présentation du cadre………………………………………………………………….page 17
a. L’IME Pierre Sarraut.
b. La classe.
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c. Les élèves.
2. Le projet………………………………………………………………………………...page 21
a. Premiers constats.
b. Choix du projet.
c. Tableau des compétences travaillées.
3. Analyse du projet……………………………………………………………………....page 26
a. Le pôle affectif du projet.
b. Le pôle social.
c. Le pôle rationnel.
Conclusion………………………………………………………………………………...page 33
Bibliographie……………………………………………………………………………..page 35
Annexes …………………………………………………………………………………...page 36
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Introduction
Depuis trois ans, je travaille avec des élèves déficients dans une classe délocalisée d’un
Institut Médico-Educatif. Dés mon arrivée sur l’IME, j’ai été surprise par les importants troubles
du langage des élèves qui m’étaient confiés. En effet, ces élèves déficients avaient des difficultés
d’articulation, peu de vocabulaire, ils s’exprimaient par des gestes, des mots isolés ou des
phrases à la syntaxe plus ou moins correcte et peu avaient accès au langage d’évocation.
Pendant ces trois années, j’ai remarqué que ces troubles les freinaient dans leurs apprentissages
et dans la construction de leur pensée, et qu’ils rendaient difficile la communication avec leur
entourage et l’acquisition d’une certaine autonomie. C’est pourquoi j’ai décidé pendant cette
année de formation d’approfondir ce sujet et d’essayer de répondre à cette question qui me
semblait primordiale : comment améliorer les capacités langagières d’élèves d’IME ? Le
domaine du langage étant très vaste, j’ai choisi de me focaliser principalement sur la sémantique
et la syntaxe.
Au début de l’année scolaire, nous avons travaillé sur un long projet autour d’un élevage
de chenilles et de la réalisation d’un album sur ce thème. J’ai remarqué que ce projet motivant a
suscité leur envie de parler, a provoqué de nombreuses et diverses situations de langage qui ont
permis quelques progrès. J’ai alors décidé d’analyser cette pratique de classe pour comprendre
en quoi une démarche de projet permettait aux élèves déficients d’acquérir des compétences
langagières.
J’ai fait l’hypothèse que des progrès en langage étaient possibles grâce aux trois aspects
d’une démarche de projet : tout d’abord, les liens affectifs créés qui susciteraient peut-être la
motivation, puis les échanges avec leurs pairs et l’extérieur, et enfin les nombreuses situations
d’apprentissage engendrées par le projet.
Dans la première partie de ce mémoire, je m’appuierai sur des références théoriques pour
présenter la notion de déficience intellectuelle, puis j’aborderai les liens étroits entre pensée et
langage, ainsi que la structuration du langage et les conséquences de la déficience sur celle-ci.
Enfin, je présenterai la pédagogie de projet.
Dans une deuxième partie, j’exposerai la pratique menée en classe, en commençant par
situer le cadre de travail. Puis je présenterai le projet avec ses objectifs et activités. Enfin,
j’analyserai cette pratique et les effets de ce travail sur le langage des élèves.
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Partie 1 : Aspects théoriques
1. La déficience intellectuelle
Les élèves de l’IME dans lequel j’exerce sont orientés suite à un diagnostic de déficience
intellectuelle.
a. Définition
La nomenclature de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) définit la déficience
intellectuelle comme un arrêt du développement mental ou un développement mental incomplet
caractérisé par une insuffisance des facultés et du niveau global d’intelligence, notamment au
niveau des fonctions cognitives, du langage, de la motricité et des performances sociales. C’est
une limitation significative, persistante et durable des fonctions intellectuelles d’un sujet par
rapport aux sujets normaux du même âge.
L’intelligence semble définie implicitement par référence à l’apprentissage, depuis celui
qui concerne les gestes conditionnant la satisfaction des besoins élémentaires jusqu’à ceux qui
sont impliqués dans la scolarité (lecture et arithmétique notamment) en passant par ceux qui
permettent l’adaptation aux nécessités de la vie quotidienne. La pensée, quant à elle, est atteinte
dans sa rapidité, son organisation, et l’aptitude à former des séquences logiques.
Sur l’axe des incapacités, la déficience intellectuelle peut porter sur celles qui concernent le
comportement, l’orientation spatio-temporelle, la compréhension d’une situation afin d’y faire
face, l’acquisition de connaissances scolaires ou professionnelles, l’organisation de sa vie et de
ses occupations (autonomie sociale) et la compréhension du langage.
L’intelligence peut être en partie mesurée grâce à des tests psychométriques qui
définissent le Quotient Intellectuel. Ce dernier, lorsqu'il est corrélé avec les autres éléments d'un
examen psychologique, entend fournir une indication quantitative standardisée liée à
l'intelligence abstraite.
Dans l’établissement où j’enseigne, la psychologue fait passer à chaque élève le WISC 4 qui est
l’échelle d’intelligence de Weschler pour enfant. Ce test mesure la compréhension verbale, le
raisonnement perceptif, la mémoire de travail et la vitesse de traitement et défini un QI Total.
Les élèves de l’IME ont différents degrés de déficience qui vont du retard mental léger à
profond.
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La déficience intellectuelle profonde
Ce sont des personnes qui peuvent accéder à des apprentissages simples en ce qui concerne les
membres inférieurs, supérieurs et la mastication. L'autonomie sociale n'est pas concevable. Le
langage est quasi-inexistant, réduit à quelques phonèmes et mots. Le comportement est dominé
par l'immaturité affective, l'insécurité, l'insuffisance du contrôle émotionnel. Leur QI est
inférieur à 20.
La déficience intellectuelle grave ou sévère
Ces personnes peuvent acquérir un apprentissage systématique des gestes simples. Le langage
rudimentaire et restreint est utilisé pour l'expression simple des besoins et des échanges concrets.
Leur QI se situe entre 20 et 35.
La déficience intellectuelle moyenne
Ce retard est compatible avec une certaine autonomie qui, cependant, ne permet guère la pleine
responsabilité des conduites. Ces personnes peuvent acquérir des notions simples de
communication, des habitudes d'hygiène et de sécurité élémentaire. Ils peuvent accéder à une
habilité manuelle simple. Ils ne semblent pas pouvoir acquérir des notions de lecture et
d'arithmétique. Leur quotient intellectuel se situe entre 35 et 49.
La déficience intellectuelle légère
Ce retard entraîne surtout une inadaptation à la scolarité en milieu ordinaire. Ces enfants peuvent
acquérir des aptitudes pratiques, la lecture et des notions d'arithmétique mais ceci grâce à une
éducation spécialisée. Le langage ne présente pas d'anomalie massive.
Leur QI se situe entre 50 et 70.
Il est cependant nécessaire de ne pas se limiter à l'évaluation du niveau mental pour
appréhender la population déficiente intellectuelle. Le QI est une vision réductrice de
l'intelligence puisque selon les conditions de réalisation des tests, la personne, l'attitude de
l'enfant au moment donné, le résultat peut différer. On ne mesure pas vraiment l'intelligence mais
le retard ou l'avance d'un enfant sur un autre, l’âge mental par rapport à l’âge réel. De même, il
est évident que les catégories et leurs définitions exprimées ci-dessus sont des indicateurs pour
spécifier des difficultés d'ordre intellectuel mais ne doivent pas, à mon sens, être prises de
manière stricte.
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b. Origines de la déficience
Au niveau étiologique, on reconnaît 3 « causes » à la déficience intellectuelle :
•Les facteurs organiques
Ils correspondent à une approche biologique qui repère dans le soma du sujet une anomalie. Il
peut s’agir de lésions cérébrales congénitales ou acquises par maladie ou traumatisme, de
perturbations du programme génétique, comme dans la trisomie 21.
•Les facteurs psychologiques
C’est Sigmund Freud qui a le premier souligné que les performances intellectuelles et
scolaires de l’ensemble de la personnalité peuvent dépendre de facteurs psychologiques. Il
décrit des inhibitions ou des surinvestissements intellectuels à comprendre comme
l’expression des mécanismes de défense mis en place par le sujet.
•Les facteurs environnementaux
La déficience est parfois due à la présence de troubles mentaux dans la famille, de carences
affectives ou sociales, à un contexte particulier comme l’adoption ou le placement en famille
d’accueil. On parle alors d’une déficience acquise. On retrouve ces profils d’enfants
déficients légers majoritairement chez des élèves dont le milieu de vie est économiquement et
culturellement faible.
Les élèves de ma classe sont tous déficients à différents niveaux. Pour certains, la cause
en est génétique : quatre d’entre eux sont porteurs d’une trisomie 21, un autre du syndrome de
Pader Willy et un dernier du syndrome de Sturge-Weber. En voici une présentation générale.
La trisomie 21
Le médecin britannique John Langdon Down (1828-1896) publie en 1866 un article
intitulé Observations sur une classification ethnique des idiots dans lequel il classe les idiots
selon des caractéristiques physiques et ethniques et dans lequel il donne une description clinique
détaillée de la maladie qu’il appelle « idiotie mongoloïde ». Les médecins français Marthe
Gautier, Raymond Turpin et Jérôme Lejeune publient en 1959 un article dans lequel ils précisent
que la maladie est causée par la présence d'un 3ème chromosome 21. C'est la première anomalie
génétique décrite chez l'homme. Elle est renommée par Lejeune, « trisomie 21 ».
Le syndrome de Down, aussi appelé trisomie 21, est donc une maladie chromosomique
congénitale provoquée par la présence d'un chromosome surnuméraire sur la 21e paire.
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Les signes cliniques sont très nets. On observe un retard cognitif, associé à des
modifications morphologiques particulières comme une hypotonie musculaire et une langue
proéminente, ce qui entraîne des difficultés langagières que j’évoquerai par la suite.
Le retard mental est hétérogène : le QI est généralement situé entre 20 et 60. Il peut être
supérieur, notamment par acquisition grâce à des stimulations adaptées. Les acquisitions sont
retardées (marche vers 2 ans, retard de langage). Le développement des aptitudes sociales et
affectives est normal, dans la grande majorité des cas.
Le syndrome de Pader Willy
Ce syndrome, dont est porteur Antoine1, est une maladie génétique qui touche le
chromosome 15, entraînant un retard mental, des troubles obsessionnels compulsifs, tendance
pulsionnelle face à la nourriture par exemple avec une impression de n’être jamais rassasié. Ils
peuvent être agressifs.
Le syndrome de Sturge-Weber
Ce syndrome engendre chez Paul un angiome facial et cérébral gauche responsable d’une
hémiparésie du côté droit. Il utilise donc uniquement ses membres gauches. Cela provoque
également un retard mental et une épilepsie partielle qui est traitée.
c. Les troubles associés à la déficience intellectuelle
Les enfants déficients intellectuels avec lesquels je travaille présentent pour certains des
troubles associés à la déficience. On peut citer les troubles relationnels, les troubles du langage,
les troubles de l'attention ou les troubles du comportement.
Ces troubles ne peuvent s'exprimer de manière exhaustive puisque suivant les enfants, leur
éducation, leur environnement, des troubles résultant de la présence d'une déficience, vont ou
non apparaître. Ces troubles sont souvent une réponse à un processus de déstabilisation de
l'enfant. De ce fait, ils induisent des comportements particuliers qui se répercutent notamment
sur leur interaction langagière et leurs apprentissages.
Suite à cette présentation générale de la déficience intellectuelle, je m’attarderai sur ce
qui me semble être l’élément essentiel pour permettre à ces élèves de rentrer dans les
apprentissages, de s’épanouir et de devenir autonomes : le langage.
1 Les prénoms des élèves ont été modifiés pour assurer la confidentialité.8
2. Langage et pensée
Plusieurs théories existent quand au lien entre pensée et langage. Je développerai celles
qui me paraissent les plus pertinentes : celle de Jean Piaget et celle de Lev Vygotsky.
a. Jean Piaget
Pour Jean Piaget, le langage est une aptitude humaine parmi d’autres qui se construit au
cours du développement de l’enfant. L’acquisition du langage est dépendante du développement
de la cognition qui est réalisée de façon progressive et interactive avec le monde. L’enfant passe
par différents stades de développement qui déterminent l’émergence des aptitudes cognitives et
des compétences langagières.
Le premier stade, qui s’étend de la naissance à environ 2 ans, est le stade sensorimoteur.
Durant cette période, le contact qu’entretient l’enfant avec le monde qui l’entoure dépend
entièrement des mouvements qu’il fait et des sensations qu’il éprouve. Chaque nouvel objet est
brassé, lancé, mis dans la bouche pour en comprendre progressivement les caractéristiques par
essais et erreurs. C’est au milieu de ce stade, vers la fin de sa première année, que l’enfant saisit
la notion de permanence de l’objet, c’est-à-dire le fait que les objets continuent d’exister quand
ils sortent de son champ de vision. C’est une période pré-linguistique car l’enfant n’a pas encore
acquis les représentations mentales nécessaires à l’usage symbolique des mots. Grâce à
l’acquisition de la permanence de l’objet, l’enfant utilise un symbole, l’image mentale, pour
représenter l’objet absent qui est le précurseur de la fonction symbolique du langage. Pour
Piaget, l’acquisition des premiers mots est liée à l’acquisition de la permanence de l’objet.
Le deuxième stade est celui de la période préopératoire qui débute vers 2 ans et se
termine vers 6 - 7 ans. Durant cette période qui se caractérise entre autres par l’avènement du
langage, l’enfant devient capable de penser en terme symbolique, de se représenter des choses à
partir de mots ou de symboles. L’enfant saisit aussi des notions de quantité, d'espace ainsi que la
distinction entre passé et futur. Mais il demeure très orienté vers le présent et les situations
physiques concrètes, ayant de la difficulté à manipuler des concepts abstraits. Sa pensée est aussi
très égocentrique en ce sens qu’il voudrait souvent que les autres voient les situations de son
point de vue à lui.
Entre 6 - 7 ans et 11-12 ans, c’est le stade des opérations concrètes. Avec son
expérience du monde qui s’accroît, l’enfant devient capable d’envisager des événements qui
surviennent en dehors de sa propre vie. Il commence aussi à conceptualiser et à créer des 9
raisonnements logiques qui nécessitent cependant encore un rapport direct au concret. Un certain
degré d’abstraction permet aussi d’aborder des disciplines comme les mathématiques où il
devient possible pour l’enfant de résoudre des problèmes avec des nombres, de coordonner des
opérations dans le sens de la réversibilité, mais toujours au sujet de phénomènes observables.
Finalement, à partir de 11-12 ans se développe ce que Piaget a appelé les opérations
formelles. Les nouvelles capacités de ce stade, comme celle de faire des raisonnements
hypothético-déductifs et d’établir des relations abstraites, sont généralement maîtrisées autour de
l’âge de 15 ans. À la fin de ce stade, l’adolescent peut donc, comme l’adulte, utiliser une logique
formelle et abstraite. Il peut aussi se mettre à réfléchir sur des probabilités et sur des questions
morales comme la justice. Le langage est socialisé et très élaboré qualitativement et
quantitativement.
Le concept de stades de développement fixes et séquentiels à travers lesquels tous les
enfants progressent tel que proposé par Piaget a été l’objet de plusieurs critiques, comme celles
de Lev Vygotsky.
b. Lev Vygotsky
Pour le psychologue russe, le développement d’un être humain est trop complexe pour
être défini par des stades. Vygotsky, et d’autres après lui, ont accordé une importance beaucoup
plus grande que Piaget aux influences sociales et environnementales sur le développement
cognitif.
Le développement cognitif de l’être humain était pour Piaget un processus dont la
motivation première provenait de l’intérieur de l’individu. Sa métaphore la plus célèbre pour
décrire cette idée est celle de voir l’enfant comme un «petit scientifique» qui expérimente et
explore le monde. Par opposition, la métaphore qui décrit le mieux la source première du
développement pour Vygotsky est celle de voir l’enfant comme un «petit apprenti» qui reçoit de
ses professeurs l’aide et le soutien nécessaires dans les situations d’apprentissage. Le
développement de la cognition provient donc plutôt de l’extérieur de l’individu pour Vygotsky.
Il est certain, en effet, que le développement de l’enfant humain est affecté par la culture dans
laquelle il grandit, et à plus forte raison par son environnement familial particulier. Ces
influences sociales vont être intériorisées par l’enfant à travers ses interactions avec les adultes
qui le guident dans ses résolutions de problèmes.
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Il existe pour les tenants de l’école de Vygotsky une différence entre ce que l’enfant peut
réaliser seul et ce qu’il est capable de faire avec l’aide d’un adulte. Ce phénomène a reçu le nom
de « zone de développement proximal » et traduit la distance qui existe à tout moment entre les
connaissances effectives de l’enfant, et celles qu’il peut acquérir sous la supervision d’un adulte
ou en côtoyant d’autres enfants. Le langage constitue le moyen par excellence à la disposition
des adultes pour transmettre des connaissances à l’enfant. À mesure que l’apprentissage
progresse, le langage de l’enfant devient lui-même un outil de connaissance qu’il intériorise et
utilise « dans sa tête » pour réfléchir sur le monde.
En tenant compte de ces deux théories, il me semble que l’acquisition du langage est
quelque chose de complexe mais on peut affirmer qu’elle est liée au développement cognitif de
l’enfant et aux interactions avec son environnement. Voyons maintenant comment se développe
le langage.
3. Le développement du langage oral
Celui-ci est composé de plusieurs niveaux.
Tout d’abord, l’articulation est la capacité d’un individu à émettre des sons, les phonèmes,
grâce aux mouvements bucco-phonatoires de façon permanente et systématique. Pour les enfants
ayant des problèmes de motricité fine ou d’hypotonie musculaire comme c’est le cas de plusieurs
élèves de ma classe, on comprend leur difficulté à articuler et à prononcer correctement.
Le deuxième niveau est la parole. C’est l’assemblage et l’arrangement des phonèmes entre eux
dans la chaîne parlée. Elle est fonction des règles d’organisation des phonèmes dans les syllabes
et dans les mots définies par la langue maternelle. Mais prononcer un mot ne suffit pas, il faut en
comprendre le sens.
Enfin, le langage est la capacité à choisir et ordonner des mots selon des règles définies. Il
comprend le lexique, la morphosyntaxe, la pragmatique (compétence de communication), la
conversation et le discours.
Je présenterai les deux premiers axes du langage.
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a. Le développement sémantique : l’apprentissage de la signification des mots
Dans l’ouvrage « L’acquisition du langage par l’enfant », Josie Bernicot et Alain Bert-
Erboul expliquent que la signification des mots n’est pas donnée d’emblée à l’enfant. Pour la
maîtriser, l’enfant doit apprendre la correspondance entre signifiant et signifié : le signifiant est
l’image acoustique correspondant à la production d’un mot, et le signifié est le concept qui est
associé au mot. Entre les deux, le lien est arbitraire et univoque. C’est une convention sociale
qu’il est nécessaire de maîtriser si l’on veut se comprendre.
L’enfant acquiert des mots qui correspondent à des référents dans le monde. L’un des
premiers apprentissages de l’enfant est celui des concepts catégoriels, c'est-à-dire des mots qui
définissent une classe d’objets, de personnes ou d’animaux.
Dans la théorie des traits sémantiques de Clark, évoquée dans l’ouvrage cité ci-dessus, la
définition d’un mot est composée d’unités minimales de sens, des traits sémantiques que les
enfants apprendraient pour chaque concept catégoriel. Par exemple, le mot « papillon » peut être
compris comme l’animal orange qui est dans l’élevage de la classe, mais c’est aussi le mot qui
désigne tous les animaux qui possèdent un certain nombre de caractéristiques communes : des
ailes, une petite taille, il sort d’un cocon…
Deux hypothèses découlent de cette théorie : la sur-extension et la sous-extension. Selon la sur
-extension, l’enfant va nommer « papillon » d’autres animaux qu’il va rencontrer (par exemple
une mouche) sur la base de similarités, comme des traits perceptifs communs ou des traits
fonctionnels. Mais l’enfant peut aussi restreindre le sens d’un mot à une situation unique, c’est la
sous-extension. C’est l’expérience et le développement du vocabulaire qui permettront à l’enfant
d’utiliser un mot à bon escient. Une approche considère que l’on acquiert d’abord les éléments
prototypiques d’une catégorie avant les membres moins typiques (ex : « carotte » avant
« aubergine » pour la catégorie des légumes).
D’autre part, pour permettre une bonne mémorisation du lexique à un enfant déficient
chez qui les apprentissages sont très lents, la répétition semble primordiale mais l’utilisation d’un
mot ne doit pas être contextualisée car cela empêcherait le transfert de ce nouveau savoir.
De plus, comme pour les petits enfants, le travail au niveau sensoriel est indispensable, il est
important d’utiliser le plus de sens possibles pour que l’enfant déficient comprenne la
signification d’un mot. Par exemple, avant de comprendre et mémoriser le mot et concept
« pomme », l’enfant a besoin de la voir, la goûter, la toucher, la sentir, la croquer.
C’est donc sur ces bases que j’ai construit le projet que je présenterai dans la deuxième partie de
ce mémoire.
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b. Le développement morphologique et syntaxique : apprendre à mettre les mots ensemble
pour former des phrases
La morphosyntaxe est l’agencement des mots dans la phrase pour qu’elle ait un sens et
soit grammaticalement correcte. Cet agencement est soumis à des règles propres à chaque
langue : choix et ordre des mots, utilisation des mots outils comme les articles, les pronoms,
conjugaison des verbes, marques du genre et du nombre, préfixes, suffixes…
Avant d’accéder à la production de phrases morphologiquement et syntaxiquement
correctes, les enfants, comme les élèves de l’IME, passent par différents stades : ils commencent
par des enchaînements de syllabes qui intègrent des caractéristiques mélodiques et temporelles
pour exprimer des questions ou des ordres.
Ensuite, ils s’expriment par des mots-phrases pour nommer, localiser un objet, faire
référence à l’action, ou au propriétaire de l’action. Dans la classe, c’est ainsi que s’exprime
Antoine, avec également de grosses difficultés d’articulation.
Puis viennent les premières phrases à deux mots qui regroupent des verbes, prépositions,
négations et noms, ainsi que différents schémas mélodiques. C’est du langage combiné comme
« papa parti ». Rémi s’exprime ainsi en classe.
Petit à petit, les phrases se rallongent et se complexifient avec l’ajout d’expansions avec
ou sans mots grammaticaux. Ce sont des ébauches de phrases ou phrases agrammaticales. C’est
le cas de Nathan.
Enfin, les enfants coordonnent des phrases, utilisent plusieurs temps de verbe, ainsi que
des propositions circonstancielles. Tous les éléments de base d’une phrase structurée sont
présents et ordonnés : articles, noms, verbes conjugués, compléments, prépositions…
Voilà donc comment se structure le langage chez les enfants ordinaires, mais la majorité
des élèves de l’IME ont des troubles de la parole et/ou du langage. Quel lien y a-t-il alors entre
langage et déficience ?
4. Langage et déficience
Selon Bärbel Inhelder2, collaboratrice de Piaget, les enfants déficients intellectuels ont
accès à des stades piagétiens différents selon la gravité du déficit. Leur évolution intellectuelle
est comparable à celle des enfants standards mais elle est plus lente et s’arrête plus tôt. Ainsi elle
précise que l'enfant présentant une déficience intellectuelle profonde ne dépassera pas le stade
sensori-moteur, celui présentant une déficience intellectuelle moyenne s’arrêtera au stade 2 « Handicap et développement psychologique de l’enfant », Michèle Guidetti et Catherine Tournette, 2007
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préopératoire et l'enfant déficient léger se situera au niveau des opérations concrètes. Dans tous
les cas, ces enfants se trouvent dans l'impossibilité d'accéder aux structures de la pensée formelle
et le déficit touche toutes les fonctions d'abstraction. Nous avons vu précédemment que selon
Jean Piaget, le développement du langage dépend du développement cognitif. On imagine donc
aisément les difficultés langagières que rencontrent les élèves de ma classe qui se situent entre le
stade sensorimoteur et le stade préopératoire et dont le QI varie entre 30 et 60.
Pierre Oléron a montré dans ses recherches sur "le langage et le développement mental"
que l'acquisition du langage verbal est plus rapide chez les sujets dont le quotient intellectuel est
élevé; elle est retardée chez ceux qui présentent le QI le plus faible. Dans les cas d'enfants
présentant des déficits graves, la déficience s'accompagne d'une absence de langage verbal. Cela
montre que son acquisition et son emploi dépendent d'un niveau suffisant de développement
intellectuel.
Cependant, A.Rondal3 a démontré que le langage fonctionne parfois de façon autonome
par rapport aux facultés cognitives. Certains enfants déficients ont des compétences langagières
supérieures ou inférieures à leur développement cognitif. Il a également montré que dans les
déficiences intellectuelles légères, le langage contribue à jouer un rôle essentiel dans le niveau
des acquisitions cognitives. En effet, les déficients mentaux améliorent leurs performances s’ils
sont entraînés à utiliser un codage verbal.
On peut donc dire que le développement mental et langagier sont complémentaires
puisque les capacités cognitives, suffisamment structurées, rendent possible l'utilisation et la
construction des phrases. Mais c'est aussi la reformulation des idées et des phrases qui permet de
mieux les intégrer et d'accéder à un stade cognitif supérieur. De cette continuité et dépendance
entre développement mental et langage, on imagine aisément les difficultés que rencontre
l'enfant déficient mental. En raison de son handicap intellectuel, i1 rencontre des obstacles pour
s'exprimer verbalement et, conjointement, il lui est pénible d'expliciter avec des mots, sa pensée
et son raisonnement d'action, puisqu'il a des carences langagières.
Selon A.Rondal, le retard langagier des enfants déficients concerne tous les domaines du
développement du langage et les causes en sont multiples. Les difficultés phonologiques ou
articulatoires sont dues à des troubles moteurs. Pour les difficultés lexicales, il peut s’agir soit
d’un déficit dans la saisie et la rétention des relations entre les mots et leurs référents, soit d’un
retard dans le développement de la représentation. Chez les enfants trisomiques, leur hypotonie
et leurs faibles capacités auditives engendrent souvent des difficultés d’articulation, de
3 « Handicap et développement psychologique de l’enfant », Michèle Guidetti et Catherine Tourrette, 2007, édition Armand Colin
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phonologie, et du bégaiement. Les enfants qui n’ont pas encore acquis la permanence de l’objet,
comme certains des élèves de l’IME, ne maîtrisent donc pas le langage d’évocation et ont du mal
à assimiler de nouveaux mots, noms ou mots-outils, leurs phrases ne sont donc pas correctement
structurées. Leur difficulté à mémoriser cause également ces troubles du langage.
Après avoir démontré que la déficience a un impact important sur le langage, je
présenterai une démarche qui me semble adaptée à ces élèves et à l’acquisition du langage et que
j’ai mis en pratique en classe : la pédagogie de projet.
5. La pédagogie de projet
C’est dans cette démarche que se situe le projet autour des chenilles que je présenterai plus loin.
a. Présentation générale
La pédagogie de projet part du principe suivant : c’est en agissant que l’enfant se
construit. Les contenus d’enseignement ne sont plus atomisés, hiérarchisés, mais reliés entre eux
par le problème à résoudre. C’est bien ce que je montrerai lors de la présentation du projet mené
en classe dans lequel les élèves visaient la présentation de leur élevage ainsi que la réalisation de
leur album, et où plusieurs disciplines étaient nécessaires. Les élèves perçoivent alors la
signification et l’utilité immédiate de leurs apprentissages en les employant dans l’action. C’est
une façon d’enseigner plus motivante, plus variée et plus concrète, qui donne du sens aux
apprentissages.
Le projet relève de trois pôles :
- affectif : il suscite le désir, le plaisir, la motivation en se basant sur les centres d’intérêts
des élèves.
- social : il est ouvert sur les autres avec un travail de collaboration au sein de la classe, il
est aussi ouvert sur l’extérieur de la classe, et il prend en compte la réalité.
- rationnel : il permet d’acquérir des connaissances et capacités selon les objectifs visés par
l’enseignant et définis suite à l’analyse des besoins des élèves et les exigences
institutionnelles (programmes et socle commun).
Ces trois pôles doivent être en interaction permanente. Le piège est d’en privilégier un au
détriment des autres.
15
Un projet permet ensuite d’articuler pratique et théorie. Les activités de type convergent
(on s’attaque à un problème à la fois) alternent avec les activités de type divergent (la situation
est complexe, tous les problèmes sont à gérer en même temps). Cette pédagogie répond au
décalage entre savoirs pratiques et savoirs théoriques, savoirs sociaux et savoirs scolaires.
Elle lie également les contenus de différentes disciplines dans une thématique commune,
occasionnant le transfert, c'est-à-dire l’utilisation et l’acquisition d’une connaissance ou
compétence donnée dans un contexte différent de celui de l’apprentissage initial.
Suite à cette présentation générale de la démarche de projet, je m’attarderai sur son pôle social.
b. Réconcilier l’individuel et le collectif et favoriser les conflits sociocognitifs
Selon Isabelle Bordalo et Jean-Paul Ginestet4, « la démarche de projet conjugue des
compétences individuelles et une réalisation collective, permettant le traitement et
l’appropriation individuelle des savoirs et savoir-faire ».
Pour l’élève, il s’agit, à travers une alternance de travaux collectifs et d’activités personnelles,
d’aboutir à une réalisation motivante dont les différentes étapes auront provoqué des
perturbations, des remises en cause, des réflexions et des confrontations, sources de conflits
sociocognitifs et de progrès individuels.
Avant de se confronter aux autres, chaque élève doit pouvoir exprimer ses
représentations, les idées sans lesquelles il ne peut y avoir construction d’un savoir. Selon A. de
Peretti5 « les représentations constituent une interface entre l’individu et le monde, parce qu’elles
aident le sujet à comprendre comment il pense. Leur expression et leur discussion en classe,
fondatrices du conflit sociocognitif, donc à terme de la décentration du sujet, sont émancipatrices
dans la mesure où elles amènent l’apprenant à se dire, à écouter autrui, à l’entendre, à le discuter
et chemin faisant à se discuter donc à se relativiser. »
Pour structurer ses connaissances, l’élève doit donc exprimer ses représentations, puis les
dépasser grâce à un médiateur qui l’aide à prendre de la distance, car comme le dit Jean Piaget,
le progrès intellectuel ou cognitif est un processus de décentration du sujet par rapport à son
propre point de vue.
Le médiateur qui aide à cette décentration peut être l’enseignant ou, dans le cas de la
démarche de projet, un groupe de pairs. D’habitude c’est l’enseignant qui corrige, apporte la
4 « Pour une pédagogie de projet », Isabelle Bordalo et Jean-Paul Ginestet, Hachette éducation, 19955 « Pour une pédagogie de projet », Isabelle Bordalo et Jean-Paul Ginestet, Hachette éducation, 1995
16
bonne solution à l’élève. Mais la démarche de projet, elle, induit des travaux de groupe où les
élèves discutent, se confrontent et trouvent une solution ensemble. Les conflits sociocognitifs
permettent donc aux élèves de structurer leurs connaissances et donc de progresser.
Suite à cette présentation théorique du langage et de la pédagogie de projet, je montrerai,
grâce à la pratique menée en classe, en quoi ce projet a permis aux élèves déficients de ma classe
de travailler et d’améliorer leurs capacités langagières, principalement sémantiques et
syntaxiques.
Partie 2 : Pratique de classe
1. Présentation du cadre
J’exerce depuis 4 ans à l’IME X.... Il me semble important de rappeler l’historique de cet
établissement puis sa constitution, éléments qui permettront d’y situer ma classe et les
partenaires auxquels je ferai référence par la suite.
a. L’IME X...
Dans les années 60, des parents se mobilisent pour favoriser l’accès à une scolarisation
adaptée et spécialisée pour leurs enfants déficients intellectuels. Ils se regroupent au sein d’une
association de parents et décident de créer des établissements pour leurs enfants « différents ».
C’est ainsi que voit le jour en 1963 l’Association Départementale d'Amis et Parents
d'Enfants Inadaptés, ou ADAPEI. C’est une association départementale (loi 1901), de type
parental (parents et amis), missionnée par l'Etat et le département pour des actions médico-
sociales, d'accueil, d'éducation, de mise au travail protégé et de soins. Elle est adhérente à
l'UNAPEI (à ses débuts : Union Nationale des Associations de Parents d'Enfants Inadaptés,
aujourd’hui c’est l’union nationale des associations de parents de personnes handicapées
mentales et de leurs amis.), elle-même fondée en 1960.
En 1969, l’ADAPEI départemental ouvre son premier établissement : l’IME X....
.
17
L’agrément le plus récent de l’IME date d’Octobre 2008, il est de :
• section pour enfants et adolescents déficients intellectuels moyens ou profonds de 6 à 20
ans, en semi-internat, internat ou placement familial. Mes élèves relèvent de cette section.
• section TED (Troubles Envahissements du Développement) et autisme de 4 à 20 ans, en
semi-internat et internat.
L’IME est organisé en plusieurs groupes :
- le groupe-classe délocalisé à l’école Z...., dont je suis l’enseignante, accueillant des
enfants de 6 à 13 ans.
- le groupe-classe délocalisé sur une école de Montauban, avec des enfants entre 6 et 13
ans.
- le groupe-classe situé sur le site de l’IME accueillant des jeunes déficients entre 13 et 16
ans, ainsi que quelques enfants autistes.
- un groupe éducatif pour les petits.
- un groupe éducatif pour les ados.
- la section éducative pour les enfants et jeunes relevant de la section TED et autisme.
L’IME est doté de 3 postes d’enseignants spécialisés titulaires du CAPA-SH option D.
Sur l’ensemble des enfants et jeunes accueillis à l’IME, certains sont scolarisés à temps partiel
(de 10 à 75 %), tandis que d'autres ne sont pas scolarisés parce qu’ils ont plus de 16 ans ou parce
que leur pathologie ne le leur permet pas.
b. La classe
Je suis enseignante sur le groupe délocalisé à l’école Z..., à 25 km de l’IME. Suite à la
convention établie entre l’Education Nationale représentée par l’inspecteur ASH et l’IME, ce
groupe peut accueillir jusqu’à X équivalents temps pleins.
La psychologue, la psychomotricienne et l’orthophoniste de l’IME interviennent dans l’école une
ou deux demi-journées par semaine pour les prises en charges thérapeutiques de chacun.
Une éducatrice spécialisée est à plein temps sur l’école avec les enfants de l’IME et nous
travaillons en étroit partenariat. Nous alternons les séances par demi-groupe (majoritairement le
matin) où je suis seule avec des élèves de niveau similaire, et les séances collectives sur des
projets communs (majoritairement l’après-midi) où l’éducatrice est présente à mes côtés pour
contenir et soutenir les élèves dans leurs apprentissages scolaires. C’est cette grande
collaboration qui a permis la réalisation du projet que je présenterai par la suite.
18
Cette classe n’a pas toujours été dans une école. Ce groupe se trouvait dans une maison
individuelle pendant une quinzaine d’années. Ce n’est qu’il y a 4 ans qu’il a été intégré dans
cette école pour favoriser les inclusions et la socialisation. Je suis donc arrivée au début de ce
nouveau projet où tout était à construire !
Ma première action, avec la collaboration de l’éducatrice, a été de choisir un nom à cette classe
d’enfants différents. Pour éviter les termes comme « classe des handicapés » et pour que ces
enfants soient reconnus comme des élèves à part entière, nous avons décidé de donner un nom en
sigle pour ressembler aux autres classes. Nous avons finalement choisi « CPI » qui signifie
Classe Pédagogique de l’Ime.
C’est la bonne intégration de notre classe et des élèves dans l’école qui a permis le travail
avec la classe de CP pendant notre projet.
c. Les élèves
Cette classe accueille des élèves présentant une déficience légère à sévère avec ou sans
troubles associés. Voici un tableau présentant les élèves, leurs attitudes et leurs connaissances et
capacités en langage.
Noms des élèves modifiés
Elève Age et
Type de
handicap
Connaissances et capacités en
langage
Attitudes
RoseNoms
d'élèves
modifiés
8 ans
Déficience
légère
•Bonne compréhension et expression
orale
•Peu de vocabulaire et difficulté à
mémoriser de nouveaux mots
•Manque de confiance en elle.
•Difficulté à éprouver un désir
propre, à émettre un avis
personnel.
Loïs
8 ans
Déficience
moyenne
•S’exprime par phrases simples mais
avec une syntaxe très pauvre et
souvent incorrecte
•Bonne compréhension
•Peu d’intérêt pour les
apprentissages et beaucoup pour
le jeu
•Capacité d’attention très faible
•Très curieux, intérêt pour la
nouveauté
19
Nathan
Noms
d'élèves
modifiés
11 ans
Trisomie
21
•S’exprime par des ébauches de
phrases de type Sujet + Verbe +
Complément. Absence de
grammaire : articles, pronoms, mots
outils…
•Bégaiement
•Bonne compréhension orale
•Aime montrer ce qu’il sait faire
•Aime la nouveauté
•Désir d’apprendre
Rémi
12 ans
Trisomie
21
•S’exprime par des mots isolés
•Compréhension très faible
•Capacité d’abstraction très faible
•Intérêt pour les animaux et les
situations concrètes
•Très passif en classe
Cédric
8 ans
Trisomie
21
•S’exprime par des phrases simples à
la syntaxe plus ou moins correcte
•Bégaiement
•Bonne compréhension
•Peu d’intérêt pour les
apprentissages
•Attention faible
•Aime le lien école-maison
Sara
9 ans
Trisomie
21
Plusieurs
AVC
•Très peu de langage oral, s’exprime
par quelques sons et des gestes de la
méthode Makaton
•Compréhension très faible
•Difficultés en motricité fine
•N’est pas rentrée dans les
apprentissages : peu d’intérêt
•Aime jouer à l’adulte
Antoine
11 ans
Syndrôme
de Pader
Willy
•Très peu de langage oral, s’exprime
grâce à une trentaine de mots, plus ou
moins compréhensibles
•Bonne compréhension orale
•Grosses difficultés en motricité fine
et articulation
•A du mal à supporter le groupe :
parfois violent envers les autres
ou lui
•Aime le travail individuel
Paul
10 ans
Syndrome
de Sturge-
Weber
•Très peu de langage oral, s’exprime
grâce à 7 ou 8 mots et à quelques
gestes et images de la méthode
Makaton
•Bonne compréhension orale
•Grosses difficultés en motricité fine
•Aime le lien école-maison
•Difficultés à écouter en grand
groupe
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Après la présentation du cadre de travail et des élèves, j’exposerai le projet mené en classe.
2. Le projet
a. Premiers constats
En arrivant sur cette classe, j’ai vite constaté que d’un point de vue pédagogique, les difficultés
de mes élèves étaient:
•L’accès difficile à la symbolisation et à l’abstraction et donc le manque de compréhension
dans un grand nombre de situations abstraites.
•La mémorisation, à court terme pour certains et à long terme pour la plupart.
•L’attention et la concentration, la difficulté à rester assis en classe.
•Le manque de confiance en eux pour certains.
•La difficulté à communiquer entre eux et avec l’extérieur.
•Leurs troubles de l’articulation, de la parole et/ou du langage.
•Le manque de sens donné aux apprentissages, de lien et donc le réinvestissement.
•Le manque de motivation pour certains.
Certaines de leurs compétences me semblent être de bons points d’appuis :
•Un intérêt pour les histoires.
•Une vivacité et un enthousiasme certains dès qu’il s’agit de situations concrètes, comme des
sorties ou le contact avec des animaux. Par exemple, Rémi, qui est en général très passif et
quasi muet en classe, se révèle très vif et bavard dès que l’on sort de l’école ou que l’activité
est concrète ou ludique.
•Une certaine curiosité.
•Un intérêt à montrer leur travail aux autres.
C’est à partir de ces observations que j’ai orienté le travail.
b. Choix du projet
Pour répondre aux besoins des élèves, j’ai donc choisi de travailler sur un projet où les
situations concrètes sont nombreuses et où l’on utilise le langage dans beaucoup de situations
variées.
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Mon choix s’est porté sur deux axes principaux :
•L’élevage de chenilles : soins et observation de leur métamorphose en papillons,
présentation orale aux élèves de CP de l’école et présentation écrite (en dictée à l’adulte) aux
parents à travers le compte rendu hebdomadaire et le cahier de vie de la classe, ainsi que des
panneaux dans l’école (voir annexe 2).
•Réalisation individuelle d’un album « La chenille qui fait des trous » : Lecture,
compréhension et langage autour de l’album d’Eric Carle puis productions en arts visuels des
pages de l’album en partenariat avec l’éducatrice spécialisée, et enfin réécriture du texte (en
dictée à l’adulte). Présentation aux CP et retour du livre personnel à la maison (voir annexe
1).
J’ai fait ce choix pour répondre aux besoins des élèves mais également, comme tout
enseignant, pour des raisons institutionnelles. En l’occurrence, ce projet s’inscrivait dans le
projet de l’unité d’enseignement de l’IME qui porte sur le langage et les sciences.
Chaque année, les deux enseignantes de l’IME et moi-même choisissons un thème commun sur
lequel nous travaillons dans nos classes. Nous organisons également trois rencontres de nos trois
groupes, une à chaque trimestre, pour permettre à nos élèves de partager leurs connaissances, de
se connaître mieux, de se sentir appartenant à un groupe de l’IME, et pour vivre des moments à
l’extérieur adaptés à leur rythme et à leurs difficultés (ce qui n’est pas toujours le cas avec les
sorties avec l’école). Cette année, nous avions donc choisi de travailler sur le monde du vivant et
plus particulièrement sur les animaux. Une sortie au parc à thème « Micropolis, la cité des
insectes » est prévue pour le mois de juin (pour des raisons d’ouverture du parc et d’emploi du
temps, nous n’avons pu faire cette sortie au moment du projet « chenilles », mais un travail sur
les insectes sera proposé à ce moment-là).
c. Tableau des compétences travaillées
Voici un tableau présentant les compétences et les activités du projet. Ces compétences, relevant
des programmes du cycle 1 de 2008, sont travaillées par l’ensemble des élèves, chacun selon sa
zone proximale de développement.
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S’APPROPRIER LE LANGAGE
Echanger, s’exprimer •Raconter en se faisant comprendre un événement vécu inconnu de son interlocuteur.•Formuler, en se faisant comprendre, une description, une question, une explication.•Participer à un échange collectif en écoutant autrui et en attendant son tour de parole.•Dire des comptines (verbalement ou par gestes)
•Observation et discussions sur l’élevage.•Présentation de l’élevage aux CP, ainsi qu’aux parents à travers le bilan hebdomadaire écrit.•Présentation dans le cahier de vie et par des affiches dans l’école.•Apprentissage d’une comptine gestuelle « La chenille »
Comprendre •Comprendre une histoire racontée ou lue par l’enseignant ; la raconter comme une succession logique et chronologique de scènes associées à des images ou répondre à des questions simples (verbalement, par gestes ou en montrant des images), anticiper sur la suite
•Travail sur l’album « La chenille qui fait des trous », questions de compréhension et réécriture de l’histoire pour le livre personnel
Progresser vers la maitrise de la langue française :
•Produire des phrases de plus en plus longues et correctement construites•Comprendre et acquérir un vocabulaire pertinent
Toutes les situations Vocabulaire autour des chenilles : cocon, papillon, se transformer…
DECOUVRIR L’ECRIT
Supports du texte écrit •Se repérer dans un livre (couverture, page, images, texte)
•Fabrication d’un livre par enfant : couverture personnalisée, assemblage des illustrations, texte, numérotation des pages
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Contribuer à l’écriture d’un texte
•Produire un énoncé oral pour qu’il puisse être écrit par l’enseignant (vocabulaire précis, syntaxe adaptée, enchaînements clairs, cohérence d’ensemble)•Produire des phrases inventées
•Dictée à l’adulte dans diverses situations : bilan hebdomadaire aux parents, réalisation d’affiches sur l’élevage, réécriture de l’histoire « La chenille qui fait des trous »•Production d’écrit grâce à un dictionnaire mural et à des mots illustrés, du type « Rose croque dans une pomme »
Distinguer les sons de la parole
•Dans un énoncé oral simple, distinguer des mots (des noms d’objets, etc.), pour intégrer l’idée que le mot oral représente une unité de sens•Faire correspondre les mots d’un énoncé court à l’oral et à l’écrit•Mettre en relation des sons et des lettres
•Auto-correction lors des phases de dictée à l’adulte (mot manquant, en trop…)•Lecture du titre, de mots ou de phrases répétitives de l’album par déchiffrage ou grâce au dictionnaire mural
Pour s’acheminer vers l’écriture : les réalisations graphiques
•Réaliser en grand les tracés de base de l’écriture : cercle, verticale, horizontale, enchaînement de boucles, d’ondulations
•Réalisation des illustrations de l’album en utilisant différents graphismes
DECOUVRIR LE MONDE
Découvrir le vivant •Connaître des manifestations de la vie animale et végétale, les relier à de grandes fonctions : croissance, nutrition, locomotion, reproduction
•Elevage de chenilles (cocons, papillons), nourrissage, description…
Se repérer dans le temps •Situer des événements les uns par rapport aux autres•Utiliser le vocabulaire temporel
•Observer puis ordonner les étapes du cycle de vie du papillon, les étapes de l’album
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Nombres et quantités •Dénombrer des collections en utilisant la suite orale des nombres
•Compter le nombre de fruits mangés dans l’album par la chenille pour les coller
Formes et grandeurs •Aborder la notion de symétrie•Ranger des objets selon leur taille, forme, couleur
•Réalisation de papillons en symétrie•Ordonner des chenilles de tailles différentes•Classer des papillons différents
PERCEVOIR, SENTIR, IMAGINER, CREER
Le dessin et les compositions plastiques
•adapter son geste aux contraintes matérielles (instruments, supports, matériels) •utiliser le dessin comme moyen d’expression et de représentation •réaliser une composition en plan ou en volume selon un désir exprimé
•Observation, description puis réalisation des illustrations de l’album en utilisant diverses techniques (collage, graphismes, dessin…) et matériaux ( encre, peinture, feutres, vernis colle…)
DEVENIR ELEVE
Vivre ensemble •Ecouter, coopérer, demander de l’aide•Prendre confiance en soi
Nombreuses situationsPrésentations orales aux CP
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Suite à cette présentation du projet « chenilles », je l’analyserai en m’appuyant sur les
trois pôles de la pédagogie de projet (affectif, social et rationnel) et tenterai de montrer les effets
de cette pratique sur les compétences langagières des élèves.
3. Analyse du projet
a. Le pôle a ffectif du projet
Avant de commencer le projet, je me demandais si un animal si petit et visqueux comme la
chenille plairait vraiment aux élèves. C’est en en trouvant une lorsque nous désherbions le
potager de l’école que j’ai su qu’ils adhéreraient au projet. Cet animal qui se trouvait dans la
nature les a tout de suite intrigués, ils voulaient la voir, la toucher et surtout la garder, alors nous
l’avons mise dans une petite boîte et les élèves se sont demandés de quoi elle avait besoin.
Malheureusement, elle n’a pas survécu mais nous avons rapidement reçu les dix chenilles que
j’avais commandées.
J’ai vite constaté que ce type de situation concrète éveille leur curiosité, et alors les langues se
délient, comme ce fut le cas de Rémi.
Rémi : Noms d'élèves modifiés
Rémi est un enfant trisomique qui s’exprime par des mots isolés. Il est assez passif dans les
situations ordinaires de la classe, il répond quand on l’interroge mais ne prend jamais la parole et
ne semble pas beaucoup écouter dans les temps de regroupements. Il reste assis sur le banc
appuyé contre le mur et peu de choses le mobilisent physiquement. Mais j’ai constaté un grand
changement lorsque nous regardions les chenilles. Alors, son regard devenait vif, il se redressait
souvent, se levait pour s’approcher et ne cessait de parler répétant ce qu’il voyait « chenille,
feuille, manger ».
Chaque vendredi, nous faisions le bilan de la semaine aux parents. En général, Rémi avait du
mal à se remémorer des moments passés sans l’aide de l’adulte et à parler de quelque chose
d’absent, à part sa famille, c'est-à-dire des personnes très liées à lui affectivement. Le langage
d’évocation est très compliqué pour lui, il ne pouvait que compléter ou répéter les dire des autres
élèves. Partant du postulat qu’il est plus facile de se souvenir de quelqu’un ou quelque chose que
l’on aime, je prenais soin de l’interroger le premier avec une question très ouverte « Qu’est-ce
qu’on a vu cette semaine que tu veux raconter à maman ? ». A plusieurs reprises, au lieu de
rester muet, il dit « chenilles », « cocon » ou « papillon », me prouvant que le lien affectif qui
l’unissait à ces petites bêtes l’aidait à se les remémorer bien qu’elles ne soient pas sous ses yeux.
26
Cette situation très concrète de soin et d’observation de petites bêtes auxquelles les élèves
se sont attachées a suscité de nombreux moments de « langage en situation » très riches. Nous
passions ensuite à un langage sur des représentations, c'est-à-dire autour de photos, pour leur
permettre de parler grâce à un support et à une mémoire visuelle. Enfin, nous pouvions accéder
au langage d’évocation.
On comprend alors combien il est important pour développer leur langage d’évocation de
faire vivre à ces élèves des situations où des relations affectives se créent et de les faire parler de
leur expérience propre, d’un évènement vécu personnellement.
a. Le pôle social
•Un projet ouvert sur l’extérieur
Comme nous l’avons vu dans la première partie, un projet qui ne sort pas de la classe
n’est pas un projet.
Les enfants ont deux lieux de vie principaux : l’école et la maison. Ils sont en relation avec des
personnes avec qui ils tentent de communiquer selon leurs capacités.
J’ai alors pensé que la présentation de notre élevage aux élèves de CP serait l’occasion
d’une nouvelle situation de langage, où mes élèves pourraient réinvestir leurs connaissances dans
une explication devant un « public ».
Les CP sont venus dans notre classe à trois reprises pour observer les trois phases de la
métamorphose de la chenille en papillon. Certains de mes élèves, comme Rose, étaient intimidés
et la communication était difficile car les CP ne posaient pas leurs questions aux CPI mais à moi,
et les CPI n’écoutaient pas les CP, trop impressionnés et parasités par la « foule d’enfants » dans
leur classe. Lors de la première séance, Rose avait beaucoup de mal à prendre la parole car elle
était intimidée. Mais grâce à mes sollicitations et à la curiosité des CP, elle a petit à petit réussi à
surmonter sa timidité pour oser parler et expliquer ce qu’elle savait sur ces petites bêtes, ce que
l’on avait observé ou appris dans des livres documentaires.
Pour Nathan, cette situation n’était pas du tout intimidante mais au contraire excitante et
motivante car il aime montrer ce qu’il sait. Il s’efforçait alors d’expliquer ce qu’il savait en
faisant des phrases assez complexes et en réutilisant tout le vocabulaire que l’on avait appris. Il
était très fier !
Cette présentation a bien été l’occasion de transférer leurs connaissances autant
langagières que « scientifiques » dans une nouvelle situation. Bien que ce soit difficile, cela leur
27
a également permis de mettre en œuvre certaines capacités de communication en essayant de
prendre en compte leur public et ses questions, ou tout simplement en disant bonjour et au revoir.
Cette ouverture sur l’extérieur était un élément très motivant pour les élèves, d’une part le lien
avec les CP, mais encore plus celui avec leur famille. Lors du bilan hebdomadaire, les élèves
avaient très envie de raconter ce qu’avaient fait nos chenilles cette semaine là. Leur plus grande
fierté a été de ramener le livre qu’ils avaient eux-mêmes fabriqué, illustré et écrit à leurs parents.
Ils étaient très excités et certains comme Rose s’entraînaient déjà à le « lire » pour pouvoir le
raconter à leur famille. Bien que ne sachant pas lire, ils connaissaient presque par cœur les
phrases qu’eux-mêmes m’avaient dictées quelques jours plus tôt. Ils réussissaient donc à raconter
l’histoire en faisant des phrases bien plus longues et syntaxiquement plus correctes qu’à leur
habitude. Ils nous l’ont d’ailleurs bien montré le jour où nous sommes allés montrer nos albums
aux CP et où chacun a pu raconter une page du livre. Ils suivaient le texte avec leur doigt et
essayaient de parler fort et le mieux possible. Je les aidais à construire leurs phrases en faisant
quelques gestes, en montrant les images, en montrant et disant la première lettre d’un mot , ou
bien juste les soutenais par ma présence. Paul, ne pouvant s’exprimer à l’oral, était fier de monter
ses illustrations.
Je me souviens de la remarque d’une fillette de CP disant à la fin de l’histoire : « Ils lisent
bien les CPI ! Ils lisent mieux que nous ! ». Ces élèves de CP qui d’habitude n’osaient pas parler
à aux enfants « différents » pensant qu’ils ne les comprenaient pas et ne savaient pas parler ont
eu tout à coup une vision très différente d’eux, modifiant leur comportement pendant les
récréations ou les inclusions. On comprend alors comme il est important de montrer le travail des
élèves car cela permet de les valoriser aux yeux des autres, de changer le regard des personnes
« ordinaires » sur ces enfants « handicapés » et ainsi de créer de nouvelles relations entre eux.
Ainsi leur communication et leurs échanges sont améliorés.
Cette interaction avec l’extérieur est donc primordiale, mais celle entre les pairs l’est tout
autant.
•L’ interaction dans le projet ou conflit cognitif
Dans les deux versants du projet, la dictée à l’adulte était très présente, d’une part pour la
présentation de l’élevage dans le cahier de vie et les affiches, et d’autre part pour la réécriture de
l’album.
Ce travail n’était pas facile pour tous mais chacun pouvait y participer à sa façon et cela
provoquait des interactions entre les élèves.
28
Pour la réécriture de l’histoire, nous nous sommes appuyés sur les illustrations réalisées et
ordonnées chronologiquement au tableau pour raconter l’histoire.
Je commençais par interroger les enfants aux plus faibles capacités langagières qui pouvaient
alors décrire en un ou deux mots ce qu’ils voyaient sur l’image. Puis, un enfant aux meilleures
compétences essayait d’en faire une phrase en augmentant la longueur de l’énoncé. Ensuite, ils
essayaient, avec mon aide, de corriger celle-ci pour qu’elle puisse s’écrire avec une syntaxe
correcte. Enfin, nous travaillions sur les liens entre les phrases.
Dans le langage oral au quotidien, la plupart de mes élèves se font comprendre bien que leur
syntaxe soit très incorrecte, ils ne voient donc pas la nécessité de progresser. Pendant notre
projet, j’imaginai que la situation de réécriture de l’album pourrait soulever des questions de
langage et que les interactions entre les élèves pourraient les aider à y répondre. C’est ce que je
constatai chez deux élèves.
Nathan et Rose
Pour Nathan, la difficulté dans la construction des phrases est dans les petits mots comme les
articles, pronoms, mots-outils…
Rose parle correctement à l’oral mais sa syntaxe n’est pas parfaite pour être écrite et elle n’a pas
tout à fait la conscience des mots dans la phrase.
Au début, lorsque je demandais à Nathan si sa phrase « chenille croque pomme » était correcte, il
répondait oui. C’était sa représentation d’une phrase correcte. Je demandais alors à Rose, qui
disait non, et reformulait sa phrase « La chenille croque dans une pomme ». Je leur demandais
alors quels mots manquaient à la phrase de Nathan, mais aucun des deux n’arrivait à me
répondre. Les premières fois, Nathan était vexé. Mais lors des dernières séances, il disait lui-
même que sa phrase n’était pas bonne et qu’il manquait des mots. Même s’il n’arrivait pas
encore à placer tous les articles, il avait donc pris conscience de ses erreurs et acceptait d’être
corrigé par ses camarades. Sa représentation d’une phrase et de ses éléments de base avait donc
évolué.
C’est quelques mois plus tard, lors de l’écriture de la suite d’un autre album en dictée à l’adulte
qu’il m’a montré qu’il progressait vraiment. Lorsque Rose a reformulé la phrase « Le lapin
donne la carotte au cheval. », Nathan a immédiatement dit « au », très fier d’avoir trouvé le
« mot » que lui avait oublié précédemment.
Pour Rose, ces corrections ont également été très bénéfiques puisqu’elle a pris conscience
des mots. Pour sa part, elle répétait le groupe nominal sujet par un pronom sujet en disant par
29
exemple « la chenille, elle croque ». Au début, elle ne comprenait pas en quoi cette phrase était
incorrecte, même lorsque je la corrigeais. Mais quelques mois plus tard, les élèves ont créé la
suite d’une histoire et, lors d’une nouvelle situation de dictée à l’adulte et alors qu’elle venait de
dire « la carotte, elle est sur la table », elle m’a surprise en me disant elle-même « Non ! il faut
pas dire «elle» ! ». Elle n’avait donc pas oublié le travail fait quelques mois plus tôt et venait de
le transférer à une nouvelle situation.
Les interactions entre ces deux enfants sur un projet commun leur ont donc permis de
prendre conscience de leurs erreurs et de progresser en langage. La collaboration d’élèves aux
niveaux langagiers différents vers un objectif commun a provoqué des conflits cognitifs. Grâce
aux compétences de chacun et aux échanges, les problèmes ont pu être résolus, ce qui a fait
progresser chaque enfant à son rythme.
En plus des pôles affectifs et sociaux du projet, j’ai également mis en œuvre des situations
d’apprentissages en classe, adaptées à chacun et visant des objectifs précis.
b. Le pôle rationnel
•Ecrire pour parler
Je faisais l’hypothèse que travailler sur l’écriture en dictée à l’adulte, en produisant des
énoncés oraux pour qu’ils puissent être écrits par l’enseignant, ou travailler sur des activités
décrochées, permettrait aux élèves de se concentrer sur la construction d’une phrase et d’acquérir
des automatismes qu’ils pourraient réutiliser dans le langage du quotidien. La réflexion sur le
langage écrit pourrait-il aider à structurer le langage oral ?
Le cas de Rémi
Lorsque nous réécrivions l’histoire de « La chenille qui fait des trous », Rémi était capable de
citer tout ce qu’il voyait sur l’image mais les mots désordonnés ne formaient pas de phrases. Il
disait, par exemple : « feuille chenille ». Pour l’aider, je choisi alors de lui montrer les dessins
dans l’ordre en y rajoutant des gestes (ex : fermer la main en formant un rond pour le mot
« croquer »). Il disait alors « chenille croque feuille ». Les gestes ou images l’aidaient donc à
former une phrase compréhensible bien qu’incomplète.
Pour travailler sur les petits mots, il fallait de nouvelles images, et beaucoup de répétitions.
30
Pendant mon temps de formation, j’ai alors demandé à ma collègue remplaçante de travailler à la
production de nouvelles phrases grâce à des mots illustrés et à un dictionnaire mural que j’avais
mis en place avec les élèves.
Lorsque je suis revenue en classe, en ouvrant son cahier, Rémi a absolument voulu me montrer
qu’il avait produit une phrase et qu’il savait la « lire » : « Rémi croque dans une fraise ». Il était
très fier de me lire sa phrase ! Pour ma part, j’ai pu constater que ces mots illustrés lui avait
permis de dire une phrase correcte de 5 mots.
Ce travail sur l’écrit en dictée à l’adulte et en production de phrases avec des mots
illustrés a permis aux élèves de se poser, de prendre le temps de réfléchir à la langue et de
construire des connaissances. Ils ont pris conscience de l’existence de mots-outils qu’ils
utilisaient en général très peu ainsi que de la structure d’une phrase et de ses éléments essentiels.
Cette réflexion sur la langue écrite me semble donc favorable à l’amélioration de la langue orale.
•La pluridisciplinarité du projet
Nous avons vu dans la première partie de ce mémoire qu’il est indispensable pour
acquérir un concept d’en dégager ses caractéristiques, de l’utiliser et le répéter dans diverses
situations et d’utiliser tous nos sens.
C’est ce que permet la pluridisciplinarité de ce projet, qui lie langage, découverte du monde
vivant et arts visuels.
En effet, les élèves ont vu vivre les chenilles, cocons et papillons, les ont nourris et parfois
touchés. Ils ont décrit leur forme, couleur, morphologie, c'est-à-dire les éléments qui les
constituent, ainsi que leur mode de vie et donc leurs caractéristiques propres qui déterminent les
concepts « chenille », « cocon » ou « papillon ». Ils les ont également vus en photos et en
images de différentes tailles et couleurs ; les élèves les ont peints, dessinés, coloriés pour les
illustrations de l’album, et nous en avons parlé pendant deux mois. Le corps a également été
utilisé pour les mimer ou faire les gestes de la comptine gestuelle (que j’avais inventée).
On comprend alors comment les élèves ont compris et mémorisé les concepts et mots
« chenille », « cocon » et « papillon ». Cependant, l’une de mes élèves m’a surpris.
Le cas de Sara
Sara est une petite fille trisomique, déficiente sévère. Elle est peu intéressée par les situations
de classe et écoute peu lors des regroupements collectifs. Elle s’exprime par quelques mots très
mal prononcés et des sons, mais a très peu de vocabulaire (une dizaine de mots). Le côté
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symbolique du langage oral n’est pas acquis. L’orthophoniste et une des éducatrices de l’IME
travaillent avec elle sur la méthode de langage gestuel Makaton (proche du langage des signes),
mais elle n’utilise encore que très peu de gestes. L’apprentissage de quelques mots liés au projet
était donc un pari ambitieux !
Au début du projet, elle était peu curieuse de voir les chenilles et de lire l’album et ne
s’exprimait pas du tout. Mais semaine après semaine, j’ai vu son intérêt grandir pour ces
situations qu’elle commençait à connaître. Elle m’a alors beaucoup surprise en reconnaissant et
prononçant parfaitement le mot « cocon ». Elle a également beaucoup aimé la comptine gestuelle
qu’elle effectuait parfaitement et dont elle a mémorisé le geste du papillon qu’elle reproduisait à
chaque fois que nous en voyions un. Lors de l’évaluation faite trois mois plus tard, elle n’a rien
oublié ! Elle dit « cocon » et fait le geste pour « papillon » quand je lui montre les images. C’est
un progrès notable pour cette élève pour qui la mémoire sensorielle et corporelle est donc très
importante pour fixer le langage et accéder au symbolisme.
La pluridisciplinarité d’un projet me semble donc très favorable aux apprentissages pour
des élèves déficients ainsi qu’aux transferts de connaissances, en particulier dans le domaine du
langage.
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Conclusion
Premièrement, il me semble que cette étude a apporté quelques réponses à mes
interrogations de départ : la pédagogie de projet liant affectif, social et apprentissages permet aux
élèves déficients de mobiliser leur attention, suscite leur motivation, favorise les liens entre
concret et abstrait, et entre langage en situation, langage sur des représentations et langage
d’évocation. Il occasionne également de nombreux échanges verbaux et provoque des situations
d’apprentissages autour de la structuration du langage écrit et oral. Les élèves peuvent alors
développer quelques compétences langagières, en particulier dans les domaines sémantiques et
syntaxiques. J’ai en effet constaté quelques progrès chez les élèves durant le projet : ils ont
quelque peu augmenté leur lexique, produit des phrases plus longues et amélioré leur syntaxe
pour certains. Je ne peux cependant pas affirmer que ces compétences sont définitivement
acquises et transférables dans d’autres situations car je n’ai pas noté de grands changements dans
leur expression orale quotidienne. Savoir plus précisément en quoi ce type de pratique est
susceptible de favoriser des progrès durables en langage est donc difficile, même si les constats
positifs de l’expérience permettent de fonder des espoirs…
Deuxièmement, la démarche de projet me semble tout à fait correspondre aux trois
missions d’un enseignant spécialisé : adaptation, partenariat et inclusion. En effet, dans ce projet,
j’ai proposé des situations d’apprentissages adaptées à chaque élève et à ses besoins, j’ai
également travaillé en partenariat avec l’éducatrice et les collègues de l’école et de l’IME, et
enfin, les élèves ont vécu des moments d’inclusion dans leurs échanges avec la classe de CP. Ces
trois aspects du travail permettent effectivement à ces élèves aux besoins spécifiques d’avancer
dans un cadre à la fois adapté et contenant.
Suite à cette année, une nouvelle interrogation m’est apparue. Pendant ce projet, j’ai peu
abordé le langage de communication. J’ai pourtant une nouvelle fois remarqué qu’ils avaient
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beaucoup de mal à communiquer entre eux, et encore plus avec les enfants extérieurs à la classe.
Ils ont constamment besoin de l’adulte pour faire le lien et nous ne leur laissons d’ailleurs peut-
être pas assez de place pour se parler entre eux. La capacité à communiquer me semble être
primordiale pour leur permettre d’accéder à une certaine autonomie, une indépendance vis-à-vis
de l’adulte et une insertion dans la société. La réflexion menée cette année sur le langage, mais
aussi sur le corps comme élément primordial dans les apprentissages pour les élèves déficients,
m’a donnée envie d’approfondir cet axe en travaillant le langage pragmatique ainsi que la
communication non verbale.
Et si la médiation corporelle était une entrée supplémentaire pour favoriser le développement du
langage ?
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Bibliographie
� BERNICOT Josie, BERT-ERBOUL Alain, L’acquisition du langage par l’enfant,
éditions in press, 2009.
� BORDALO Isabelle et GINESTET Jean-Paul, Pour une pédagogie de projet ,
Hachette éducation, 1995
� CERVONI Annie, CHARBIT Catherine, La pédagogie dans les institutions
thérapeutiques, L’éducateur, 1986.
� DEVELAY Michel, Donner du sens à l’école, ESF éditeur, 1996.
� GUIDETTI Michèle et TOURNETTE Catherine, Handicap et développement psychologique de l’enfant, Edition Armand Colin, 2007.
� MISES Roger, L’enfant déficient mental, Le fil rouge, 1981.
� VAGINAY Denis, Découvrir les déficiences intellectuelles, Editions Erès, 2005.
� VYGOTSKY Lev, Pensée et langage, Editions sociales / Messidor, 1985
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Annexe 1 : Extraits de l’album réalisé par les élèves
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Annexe 2 : Affiches réalisées par les élèves et présentées sur les murs de l’école
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