developpement durable & entreprise · 4 s. guinchard, lexique des termes juridiques, dalloz,...

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DEVELOPPEMENT DURABLE & ENTREPRISE L’ENGAGEMENT DANS UN PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT DURABLE SE RESUME-T-IL A ASSUMER DE NOUVELLES CONTRAINTES OU S’ACCOMPAGNE-T-IL DES NOUVELLES OPPORTUNITES A SAISIR PAR LES ENTREPRISES DURABLES ? MASTER 1 DROIT DES CONTRATS PUBLICS ET PRIVES UNIVERSITE D’AVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE 74 RUE LOUIS PASTEUR, 84000 AVIGNON, FRANCE +33 4 90 16 25 00

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DEVELOPPEMENT

DURABLE & ENTREPRISE

L’ENGAGEMENT DANS UN PROCESSUS DE

DEVELOPPEMENT DURABLE SE RESUME-T-IL A

ASSUMER DE NOUVELLES CONTRAINTES OU

S’ACCOMPAGNE -T-IL DES NOUVELLES

OPPORTUNITES A SAISIR PAR LES

ENTREPRISES DURABLES ?

M A S T E R 1 D R O I T D E S C O N T R A T S P U B L I C S E T P R I V E S

U N I V E R S I T E D ’ A V I G N O N E T D E S P A Y S D E V A U C L U S E

7 4 R U E L O U I S P A S T E U R , 8 4 0 0 0 A V I G N O N , F R A N C E

+ 3 3 4 9 0 1 6 2 5 0 0

2

SOMMAIRE

LISTE DES ABRÉVIATIONS 4 INTRODUCTION 5

PARTIE 1 : 7 LE DEVELOPPEMENT D’UNE NORMALISATION CONTRAIGNANTE POUR L’ENTREPRISE 7

Titre 1 : Un développement juridique du developpement durable contraignant 8 Chapitre 1 : L’essor de la Notion 8

Section 1 : Le concept de Développement durable 8 Section 2 : le principe juridique du developpement durable 11 Section 3 : l’aspect programmatique du droit au developpement durable 13

Paragraphe 1 : Un droit de 3ème génération 13 Paragraphe 2 : Un droit de programmation plus que de normalisation 13 Paragraphe 3 : Un droit lié à une multitude de droit 14

Chapitre 2 : une règlementation abondante coercitive 15 Section 1 : Une matière juridique croissante contraignante 15 Section 2 : une hétérogeneite des sources du droit au developpement durable 17

Paragraphe 1 : Sources internationales 17 Paragraphe 2 : Sources européennes 19 Paragraphe 3 : Sources internes 21

I. La Constitution 21 II. La loi 22 III. La règlementation 23 IV. La jurisprudence 24

Chapitre 3 : Les principaux acteurs au cœur du developpement durable 25 Section 1 : les institutions traditionnelles en matiere de normalisation 25

Paragraphe 1 : Les institutions internationales et régionales 25 Paragraphe 2 : Les institutions nationales et locales 28

Sections 2 : des acteurs moins conventionnels 29 Paragraphe 1 : La consultation d’organisations engagées 30 Paragraphe 2 : Le rôle des entreprises dans le développement durable 31

Titre 2 : L’essor juridique du developpement durable comme une source de risques supplémentaires et de complexité pour l’entreprise ? 32

Chapitre 1 : Un Elargissement des risques 32 Section 1 : une faute renforcée 33

Paragraphe 1 : Une notion de responsabilité étendue 33 Paragraphe 2 : Le déplacement de la notion de responsabilité 35

Section 2 : Une responsabilité singulière en droit du développement durable 36 Paragraphe 1 : Le développement d’une responsabilité du fait d’autrui atypique 36 Paragraphe 2 : L’ouverture accrue de l’action en réparation 38

Chapitre 2 : L’impact de l’Emergence de nouveaux dommages sur les entreprises 39 Section 1 : la catégorie des dommages en effusion 40

Paragraphe 1 : Le risque lié au développement des dommages recevables 40 Paragraphe 2 : Le principe de préjudice écologique 41

Section 2 : L’impact des risques environnementaux sur le patrimoine de l’entreprise 42 Chapitre 3 : la Normalisation du developpement durable comme source de complexité pour l’entreprise 43

Section 1 : Une contrainte supplémentaire dans le fonctionnement de l’entreprise 44 Paragraphe 1 : Le renforcement des obligations 44 Paragraphe 2 : La transition des stratégies et des politiques commerciales de l’entreprise 45

3

Section2 : une Redéfinition de la notion de performance dans la logique du Developpement Durable 47

Paragraphe 1 : La conciliation des intérêts 47 Paragraphe 2 : La redéfinition de la productivité 48

PARTIE 2 : 50

L’INTREGRATION DU DEVELOPPEMENT DURABLE PAR L’ENTREPRISE : UN DEVELOPPEMENT DURABLE

DU MARCHÉ 50 Titre 1 : Un nouveau développement durable par l’intégration plutôt que la réglementation 51

Chapitre 1 : Une normalisation par la soft-law 51 Section 1 : La contractualisation pour l’integration du developpement durable 51

Paragraphe 1 : L’intégration du développement durable dans les marchés publics 51 Paragraphe 2 : Le droit de la consommation au service du développement durable 53

I. Les labels 53 II. L’obligation d’information 54

Section 2 : Les règlements internes des entreprises 56 Chapitre 2 : De la normalisation vers la responsabilité sociale de l’entreprise 57

Section 1 : L’entreprise replacée dans un contexte societal plutôt qu’économique 58 Paragraphe 1 : Un glissement de la normalisation à la « Responsabilité sociale de l’entreprise »58 Paragraphe 2 : Une aide à l’adaptation de l’entreprise 59

Section 2 : Vers une nouvelle gouvernance des entreprises 60

Titre 2 : Vers une entreprise repensée qui transforme la contrainte en atout 62 Chapitre1 : le Developpement Durable, une valeur ajoutée pour l’entreprise 62

Section 1 : une entreprise repensée De l’intérieur 62 Paragraphe 1 : Des nouvelles structures organisationnelles 62 Paragraphe 2 : L’intégration de la demande pour le développement durable 64

Section 2 : le developpement durable au service de l’image de marque de l’entreprise 66 Paragraphe 1 : Le « reporting social » de l’entreprise 66 Paragraphe 2 : Le développement durable comme outil marketing 67

Chapitre 2 : Une nouvelle conception du marché 69 Section 1 : « Protection de l’environnement et marché : coexistence ou guerre des mondes » 69 Section 2 : vers un marché repensé pour un capitalisme durable 70 Section 3 : Des nouveaux marchés a saisir 72

Chapitre 3 : « Développement durable : Poudre aux yeux ou réalité » ? 73 CONCLUSION 75

BIBLIOGRAPHIE 77

INDEX DES JURISPRUDENCES 79

REMERCIEMENTS 80

4

L I S T E D E S A B R E V I AT I O N S

ALENA Accord de libre-échange nord-américain

Art. Article

CCNUCC Convention-Cadre des Nations Unies sur le changement climatique

CDB Convention sur la diversité biologique

CEDH Cour européenne des droits de l’Homme

CESDH Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme

CNUCED Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement

CNUED Conférence organisée par l’organisation des nations unies sur l’environnement et le

développement

Coll. Collection

CRE Commission de régulation de l’énergie

EDD Education au développement durable

Eds. Edition

FAO Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture

GRH Gestion des ressources humaines

IDH Indice de développement humain

ISO Organisation internationale de normalisation

JO Journal officiel

J.O.R.F Journal officiel de la République française

MERCOSUR Mercado comun del sur

Min. Ministérielle

n° Numéro

NRE Loi relative aux nouvelles régulations économiques

OGM Organisme génétiquement modifié

OIT Organisation internationale du travail

OMD Organisation mondiale du développement

ONG Organisation non-gouvernementale

ONU Organisation des Nations Unies

ONUDI Organisation des Nations unies pour le développement industriel

p. Page

PAE Programme communautaire d’action pour l’environnement

PNUD Programme des nations unies pour le développement

Po Politique

PSE Performance sociale économique

Rép. Réponse

RSE Responsabilité sociale de l’entreprise

SMDD Sommet mondial sur le développement durable

UE Union européenne

UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture

VIH Virus de l'immunodéficience humaine

WWF World Wild Fund

5

I N T RO D U C T I O N

De grandes « catastrophes dans le secteur industriel, pétrolier ou encore du nucléaire ont provoqué

des désastres écologiques considérables depuis ces quarante dernières années » parmi lesquelles « la marée

noire de l'Amoco Cadiz (en 1978), du nom du supertanker qui a fait naufrage au large des côtes bretonnes, (où) plus de

220 000 tonnes de pétrole (ont été) déversées sur 400 km de côtes (provoquant) 3 000 à 4 000 cadavres d'oiseaux sont

recensés, mais on estime que 10 000 ont péri » ; la même année est mise en avant « la pollution du Love Canal,

banlieue proche des chutes du Niagara aux États-Unis, 21 000 tonnes de produits toxiques sont découvertes à proximité

de l'usine Hooker Chemical (et) la zone est depuis interdite » ; en 1986, « la catastrophe de Tchernobyl, causée par la fusion

du cœur d’un réacteur de la centrale nucléaire Lénine en Ukraine, est le seul accident classé au niveau 7 sur l'échelle

internationale des évènements nucléaires, soit le plus grave accident nucléaire répertorié jusqu'à présent (dont il) est encore

difficile à ce jour d’évaluer les conséquences humaines, matérielles et sanitaires » et plus récemment en matière nucléaire,

la catastrophe de Fukushima en 2011 ; la marée de noire de 2010 en Louisiane « est causée par l'explosion

d'une plateforme pétrolière louée par la compagnie BP (où) environ 780 millions de litres de pétrole se

répandent dans le golfe du Mexique »1. Outre toutes ces catastrophes environnementales, loin d’être

isolées, il ne peut être passé sous silence la disparition d’espèces végétales ou animales du fait de l’activité

humaine, « on sait aujourd’hui qu’une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur huit, plus d’un

amphibien sur trois et un tiers des espèces de conifères sont menacés d’extinction mondiale »2, parmi

lesquels les plus médiatisés sont les ours polaires, les pandas, les rhinocéros et les éléphants victimes de

braconnage. Il résulte des recherches scientifiques qu’il « est impossible de mettre en doute la responsabilité de

l’Homme (dans) la désertification de certaines régions du fait de la déforestation; l’épuisement des terres agricoles à cause d’une

agriculture exclusivement axée sur la productivité ; la pollution des sols et des eaux en raison des engrais et rejets industriels

de toute sorte ; la pollution de l’air liée à l’émission de gaz toxiques … »3.

Avec l’accumulation des catastrophes naturelles ou environnementales et l’accroissement de l’information

du public sur les enjeux du développement durable et la protection de l’environnement par les diverses

actions de l’Etat, des ONG et associations spécialisées ainsi que par la médiatisation des évènements,

l’expression « développement durable » est de plus en plus utilisée et prend de plus en plus de place dans

nos vies quotidiennes. Mais qu’est-ce que concrètement le développement durable et en quoi consiste-t-

il ? De manière succincte et réduite, le principe du développement durable peut se définir juridiquement

comme un « mode de développement soucieux d’éviter l’exploitation excessive des ressources naturelles,

visant à satisfaire les besoins et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des

générations futures à répondre aux leurs »4, autrement dit c’est une modification des modes de production

et de consommation actuels basés sur une société de consommation excessive et menées par des logiques

de marché. L’idée est de réguler le marché, en quelque sorte, le marché pour parvenir à contrôler

l’exploitation des ressources et, sinon trouver des solutions pour les régénérer, au moins équilibrer les

1 France 24, « Les catastrophes écologiques de ces 40 dernières années », Planète, Pollution – écologie, du 18 octobre 2010, disponible sur : http://www.france24.com/fr/20101007-catastrophes-ecologiques-ces-40-dernieres-annees-tchernobyl-amoco-cadiz-erika-maree-noire 2 Comité français de l'UICN, « La Liste rouge mondiale des espèces menacées », Programmes, Espèces, dernière mise à jour : mai 2015, disponible sur : http://www.uicn.fr/la-liste-rouge-des-especes.html 3 Notre-planete.info, « L'Homme face à l'Environnement, ou le défi du temps ! », 29 décembre 2005, disponible sur : http://www.notre-planete.info/actualites/actu_805_homme_environnement_defi_temps.php 4 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015

6

rapports de force entre la préservation de l’environnement et son exploitation par le marché. C’est dans

cette intention que les entreprises présentent sur le marché vont intervenir dans le développement durable

et y jouer un rôle prépondérant puisque ce sont elles qui sont sur le marché et vont directement exploiter

les ressources pour en ressortir une rentabilité. Mais même si elles sont particulièrement au cœur du

développement durable du fait de l’impact négatif de l’exploitation de leur activité sur l’environnement,

elles sont également les mieux placées pour agir sur cet impact et faire changer les choses. En effet, il

résulte du travail opéré par le concept de développement durable, et tous les acteurs qui sont derrières,

une prise de conscience collective qui, même si elle reste fragile commence à s’ancrer dans notre société,

voulant que l’entreprise et par extension les logiques de marché ne peuvent pas tout se permettre quant à

l’exploitation des ressources et à l’impact de cette exploitation sur l’environnement, dit le « patrimoine

commun à l’humanité ». Une notion de patrimoine commun faisant que l’entreprise devient responsable

de son activités et des impacts, qu’ils soient caractérisés ou potentiels, sur ce patrimoine appartenant à la

société et qu’elle doive réparation dans l’intérêt général. En conséquent « l’engagement dans un processus

de développement durable se résume-t-il à assumer de nouvelles contraintes ou s’accompagne-t-il des

nouvelles opportunités à saisir par les entreprises durables ?

Dans ce sens, l’analyse opérée dans développement va établir que des obligations et des contraintes vont

peser sur l’entreprise au titre du développement durable, puisqu’elle va être soumise à des contraintes

d’abord législatives, en effet l’état va développer toute une normalisation en la matière pour contraindre

les entreprises à prendre des mesures pour réparer les dommages causés ou potentiels, que ce soit au

niveau local, national ou international ; mais qu’il va y avoir également une lourde responsabilité qui va

peser sur l’entreprise envers l’environnement et les individus, devenant responsable de l’impact de ses

activités envers la société civile. Des contraintes qui vont être sources de lourdes complexités pour

l’entreprise puisqu’elles vont la conduire, à long terme, à devoir repenser son fonctionnement, et ce de son

système organisationnel, c’est-à-dire de la répartition des pouvoirs à la gestion de l’emploi et des salariés,

mais également ses lignes directrices et son système de production. Mais nous verrons que, pour les

entreprises qui saisissent à temps ce phénomène de développement durable et qui intègre les objectifs

environnementaux et sociaux dans leur structure, celui-ci peut être une source d’opportunités. En effet,

outre qu’à terme l’évolution de la normalisation va croitre et l’entreprise prend de l’avance sur ses

concurrentes qui n’auront pas intégrer le développement durable petit à petit, mais également que les

enjeux environnementaux et sociaux peuvent être source de rentabilité pour les entreprises qui les intègrent

correctement et peuvent donc jouer de leurs engagements comme la valorisation de leurs produits et de

leur image vis-à-vis de leurs concurrentes, par le biais d’une communication et d’une transparence qui

légitime l’entreprise et attire de la main d’œuvre qualifiée et une nouvelle clientèle en demande de ce genre

de produits, pouvant au final accroitre le chiffre d’affaire de l’entreprise. Mais au-delà de l’entreprise, le

marché lui-même peut-il intégrer le développement durable ? Nous verrons que malgré l’antagonisme des

deux termes, ceux-ci ne sont pas nécessairement incompatibles, et que l’on peut se laisser tenter d’imager

même un marché du développement durable ou un développement durable du marché.

7

PA R T I E 1 :

L E D E V E L O P P E M E N T D ’ U N E

N O R M A L I S AT I O N C O N T R A I G N A N T E

P O U R L ’ E N T R E P R I S E

8

Le droit du développement durable, une notion en elle-même abstraite par la difficulté de trouver une

définition juridique qui la détermine et l’encadre concrètement, est un concept d’autant plus confus que la

normalisation qui ne cesse de s’intensifier pour réaliser ses objectifs s’étend à divers domaines juridiques,

multidisciplinaires, et s’édite à différents niveaux, du local à l’international, en passant par le national. Une

normalisation de plus en plus abondante, et des acteurs toujours plus nombreux, font pression sur

l’entreprise et la contraignent à intégrer les principes du développement durable dans son fonctionnement,

ne serait-ce que par respect de la loi, mais également en renforcement et en élargissant le régime de sa

responsabilité non seulement vis-à-vis de l’environnement et des individus. Une normalisation dense et

une responsabilité accrue qui complexifient le mode de fonctionnement de l’entreprise et sont lourdes de

contraintes pour celle-ci.

TITRE 1 : UN DEVELOPPEMENT JURIDIQUE DU DEVELOPPEMENT

DURABLE CONTRAIGNANT

A l’origine un concept reposant essentiellement sur l’aspect volontariste des Etats lors des négociations

internationales, destiné à être une simple aide économique aux pays dits en voie de développement, le

développement durable dispose dorénavant, bien que sa définition juridique reste imprécise, d’un champ

d’application particulièrement vaste et divers en raison de l’abondante réglementation qui s’opère à

différentes échelles normatives multidisciplinaires pour une économie durable et la prise en compte de

l’environnement dans la régularisation du marché ; ainsi qu’en raison de la pluralité des acteurs qui

interviennent en la matière.

CHAPITRE 1 : L’ESSOR DE LA NOTION

Le développement durable tel qu’il est connu aujourd’hui ne traduit pas les mêmes intentions que dans les

années 1960 où il était d’avantage tourné vers une approche majoritairement économique. Une évolution

historique qui a modifié les axes d’action du développement durable mais qui n’a pas concouru à en donner

un concept et une définition qui soit claire et précise. A défaut de contenu qui lui soit propre, le droit du

développement durable va s’ouvrir en déterminer des grandes lignes d’objectif et des programmes d’action

en s’appuyant sur des matières juridiques connexes.

SECTION 1 : LE CONCEPT DE DEVELOPPEMENT DURABLE

« Qu’est-ce qu’un arbre ? Un arbre, c’est d’abord un certain équilibre entre une ramure aérienne et un

enracinement souterrain … Ainsi, voyez-vous, plus vous voulez vous élever, plus il vous faudra avoir les

pieds sur terre. Chaque arbre vous le dit », au-delà de l’arbre lui-même, cette citation extraite de l’ouvrage

Le coq de Bruyère de Michel Tournier en 1978, illustre parfaitement la notion de développement durable.

Voilà ce qu’est le cœur du développement durable, son objet même, promouvoir un développement

économique et social qui garantisse un cadre de vie satisfaisant aujourd’hui tout en étant viable pour

demain.

Néanmoins la notion de développement durable est un concept caractérisable de « fourre-tout » que tout

un chacun utilise à son compte sans nécessairement y mettre la même signification que la définition initiale.

En effet, le simple fait d’employer cette notion est un moyen de « se concilier les bonnes grâces de ses

interlocuteurs, de ses partenaires … de ses cibles, qu’il s’agisse d’électeurs, de consommateurs, de

9

donateurs, de bailleurs de fonds, de se doter d’un verni respectable et séduisant »5. Un argument publicitaire

et marketing dénaturé par chacun pour l’employer au mieux en fonction des desseins envisagés. Outre

l’emploi personnel de la notion qui altère sa définition, le concept est lui-même brouillé par la diversité des

causes et des intérêts qu’il défend, ainsi que la pluralité des acteurs qui la manient ; tout ceci réduisant le

concept de développement durable à un « impressionnant fourre-tout de ce que l’on pourrait qualifier des

3M »6 rassemblant la majorité des objectifs du développement durable en trois axes. Les grandes branches

de la notion se concentrent, ou se développent largement suivant le point de vue, autour des menaces qui

pèsent sur la planète entendant le volet environnemental du concept avec notamment la biodiversité, la

pollution et le changement climatique ; les misères de l’humanité c’est-à-dire la catégorie sociale du

développement durable luttant contre la pauvreté, les inégalités et le manque d’eau potable ; et enfin, les

manques de la gouvernance mondiale traitant de l’aspect économique et politique de la notion, qui tend à

combattre les dysfonctionnements et l’injustice dans les relations internationales, et à instaurer des

règlementations internationales en matière de développement durable. En résumé, « une action s’inscrit dans

le développement durable quand elle parvient à concilier les trois « E » : Economie, Equité, Environnement »7, c’est-à-dire

qui tend vers une pratique économique plus équitable entre les acteurs et respectueuse de l’environnement.

C’est un concept novateur dans les rapports des relations internationales puisqu’il privilégie une approche

participative donnant ainsi la parole à de nouveaux acteurs, autres que gouvernementaux ou

intergouvernementaux comme les organisations non-gouvernementales (ONG), associations et

entreprises qui sont désormais de véritables acteurs de la règlementation et des actions internationales et

locales en matière de développement durable.

La difficulté de délimitation concrète de la définition de ce concept tient de son apparition qui reste récente

dans les discours internationaux, une émergence de la notion qui devient plus pragmatique et réelle pour

les différents acteurs que théorique lors de son apparition dans les années 1960. Effectivement, d’un point

de vue historique, le concept de développement durable n’a pas toujours eu la même signification

qu’aujourd’hui. Dans ce sens, un économiste français, F. Perroux définissait le développement durable

comme « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une société qui la rendent apte à faire

croître cumulativement et durablement son produit réel global »8, c’est-à-dire une notion bien plus

économique que sociale et environnementale tel qu’elle l’est actuellement. Historiquement, le

développement durable est né d’une idéologie du développement portée par la Guerre Froide et les

rapports entre les pays dits développés (du nord) et les autres, dits sous-développés (principalement des

pays situés au sud de la fracture mondiale du développement). A la fin de la seconde Guerre Mondiale, le

Président des Nations Unies H. Truman évoque lors d’un discours sur l’état de l’Union en janvier 1949,

« La nécessité d’apporter une aide économique à ces nations qu’il qualifie de sous-développées ». Ce

discours traduit pour la première fois, la relation économique qu’il va y avoir entre les pays dits développés

et les sous-développés ; les premiers apportant une aide économique aux second dans le but de leur

permettre de se développer. Ensuite, en 1986, la Déclaration des Nations Unies sur le droit au

développement va établir une première définition internationale du concept définissant ainsi le

développement comme « un processus global, économique, social, culturel et politique, qui vise à améliorer

sans cesse le bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, sur la base de leur

participation active, libre et significative au développement et au partage équitable des bienfaits qui en

5 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 4 6 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 4 7 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 5 8 L’Economie du XXème siècle, PUF, 1969

10

découlent ». Une séduisante et utopique définition du développement sur l’équitable production et

distribution de la richesse matérielle à laquelle s’ajoute la notion d’IDH (indicateur de développement

humain) créé en 1990 par le programme des nations unies pour le développement (PNUD). Concrètement,

au développement de la richesse matérielle, les Nations Unies complète la notion par deux critères, l’un

sanitaire portant sur l’espérance de vie et le taux de mortalité infantile ; l’autre éducatif analysant le taux de

scolarisation primaire et le niveau d’alphabétisation des adultes. Malgré le fait d’avoir complété l’aspect

économique de la notion de développement durable par d’autres facteurs plus sociaux et humanitaires, le

bilan de l’aide au développement est mitigé au point que le concept de développement est discrédité dans

les années 1990.

Alors pourquoi un bilan si négatif d’une aide au développement qui promettait tant, que ce soit

économiquement qu’ humanitairement ? Il s’est avéré, qu’en réalité, l’aide au développement était un

instrument des pays du Nord pour développer un nouveau marché au service de ses propres banques

occidentales, celles-ci devant recycler leurs pétrodollars. Ensuite, l’aide n’était pas délivrée au hasard parmi

les pays dits sous-développés mais ce choix discrétionnaire était réalisé stratégiquement par les pays

octroyant l’aide et n’était pas sans contrepartie telle qu’elle le laissait supposer initialement. Des conditions

et des intentions sous-jacentes et occultes qui ont eu pour conséquences, d’une part un effet négatif de

l’aide au développement de ces pays provoquant un accroissement des inégalités ainsi que la persistance

d’une grande pauvreté ; et d’autre part, la dénonciation et le discrédit du développement par les pays sous-

développés qui remettent en question à la fois l’aide au développement et le concept même du

développement qualifié de « religion occidentale »9 .

De ces déboires, le développement va ressortir enrichi puisque d’abord appréhendé comme une aide

économique à l’industrialisation des pays dits sous-développés, le concept de développement va ressortir

de la scène internationale dans les années 1990 sous une autre définition. La notion de développement

autrefois purement économique tournée vers l’accroissement de la production tend désormais d’avantage

vers la nécessité d’opter pour un développement durable plus respectueux des ressources limitées et non

renouvelables de la planète ; un terme volontairement employé et avec les sous-entendus qu’il porte

entendant que la « Terre est un système interdépendant et que l’atteinte à la qualité de l’atmosphère, des

océans ou des ressources a des répercussions mondiales »10. Dans ce sens, les intentions des pays du Nord

changent, ceux-ci ayant dorénavant pour objectif de préserver leur cadre de vie et leur ressource.

S’ajoute ainsi à la notion économique un aspect durable, l’évolution du développement économique qui

doit être viable sur le long terme, pour l’avenir. Un concept de développement durable qui né de manière

concomitante à la défaillance de l’aide au développement de l’explosion démographique et de la crise de

l’énergie mettant à jour les déficiences et les limites du système productiviste, remettant en question la

société de consommation. Au surplus, les ONG (organisations non-gouvernementales) ont largement

travaillé sur la notion de développement durable en raison de leur aspect humanitaire autour des questions

environnementales du fait de la multiplication des catastrophes industrielles et naturelles. De nouveaux

acteurs de la scène internationale qui vont faire leur place dans l’évolution du développement durable et

tenter de développer une forme de conscience mondiale centrée sur un intérêt commun, les actions des

uns sur la planète ayant des répercussions sur tous les autres, dans un contexte économique et géopolitique

9 Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, 1996 10 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 17

11

plus propice aux discussions et négociations du fait de la fin de la Guerre Froide et de la généralisation de

la mondialisation.

Ainsi, il résulte que « dans son principe même, le développement durable peut être considéré comme une simple interprétation

de l’intérêt général : assurer pour tous, en tous lieux et à tous moment, aujourd’hui comme demain, un cadre de vie qui

garantisse à chacun le plein exercice de ses droits. Le développement durable ne peut donc exister sans sécurité, ni liberté, et il

ne peut être atteint que si chaque être humain parvient à satisfaire ses besoins essentiels en terme d’alimentation, de santé,

d’accès à l’éducation, de qualité de vie »11. En réalité, le développement durable est un principe promouvant un

monde juste dans un cadre de vie idyllique, dont l’application concrète peut sembler en soi utopique, et

appliqué tous azimuts par les états et les entreprises comme produit marketing, pour finalement en pratique

être concentré voir limité en grande majorité à des questions environnementales, perdant son essence et

ses objectifs humains et sociaux.

SECTION 2 : LE PRINCIPE JURIDIQUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Plus qu’un vague concept d’interprétation de l’intérêt général à travers diverses disciplines dans le but

d’améliorer durablement le cadre de vie des individus, le développement durable peut être définit comme

un « mode de développement soucieux d’éviter l’exploitation excessive des ressources naturelles, visant à satisfaire les besoins

et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »12. Une

définition d’autant plus imprécise que le concept lui-même. Un concept et une définition bien plus

théoriques que matériels qui vont faire du développement durable une valeur, une utopie ou un idéal vers

lequel tendre et qui va concrètement se traduire par des instruments d’action ayant pour desseins de

répondre aux objectifs de cette idéologie. En conséquent, le développement durable est plus un

programme d’action qu’une notion définissable ayant pour objet de lutter contre les impacts de la société

humaine et de ses modes de production sur la planète et les ressources limitées que l’Homme y exploitent.

Dans son œuvre de 1980, M. Yourcenar dit « qu’il n’y a pas seulement pour l’humanité la menace de

disparaitre sur une planète morte. Il faut aussi que chaque homme pour vivre humainement, ait l’air

nécessaire, une surface viable, une éducation, un certain sens de son utilité. Il lui faut au moins une miette

de dignité et quelques simples bonheurs »13, des propos auxquels s’ajoute l’idée que « nous n’avons pas

hérité de la terre de nos ancêtres. Nous l’avons emprunté à nos enfants » tirée d’un précepte d’une tribu

indienne d’Amazonie. Alors que dit concrètement la définition du développement durable ? Le

développement durable est l’alliance de deux notions le « développement » et la « durabilité ».

Le terme de développement connait différentes variantes de définition et d’utilisation qui le font évoluer

en fonction des différentes théories ou expériences. Le développement peut se définir comme, et c’est la

définition que nous retiendrons pour le reste de l’argumentation, « un processus de long terme, autoentretenu,

endogène et cumulatif, d’augmentation de la richesse et de diversification croissante des activités économiques, qui permet à un

nombre croissant d’êtres humains de passer d’une situation de précarité à une meilleure maitrise de leur propre destin, comme

des aléas de la nature […] pour être mis en œuvre, ce processus nécessite une action volontariste de la part d’institutions

guidées par une vision de long terme de l’intérêt général, menant des actions de redistribution visant à réduire le creusement

des inégalités suscitées par la croissance économique »14. En d’autres termes, le développement serait l’action

concomitante, simultanée, d’une part d’un processus autonome d’augmentation et de diversification des

activités économique, une croissance économique perpétuelle ; et d’autres part, de l’action des

11 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 70 12 Lexique des termes juridiques, 22ème édition, DALLOZ 13 M. Yourcenar, Les yeux ouverts (entretiens avec Matthieu Galey), Ed. du Centurion, 1980 14S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 55

12

gouvernements qui comblerait les inégalités creusées par cette croissance économique et gommer la

précarité de certains générée par l’accroissement des activités économiques. Les premiers termes de la

définition caractérisent le développement de processus de long terme, et c’est sur cette idée de « durabilité »

que le cœur du développement va s’orienter.

Le développement est un engrenage économique, un rouage, dont tout l’enjeu va s’articuler autour de sa

préservation et de sa viabilité sur le long terme, pour l’avenir ; un développement qui soit durable. Mais

qu’est-ce que la durabilité ? La durabilité associée à la notion de développement, c’est sa capacité à être

durable, une pérennisation dans le temps qui va dépendre de la configuration de la société et de sa manière

de gérer son capital, les ressources dont elle dispose. Par l’emploi du terme « capital », il est sous-entendu

toutes les ressources dont la société dispose que celles-ci soient naturelles (renouvelables ou non) ou

construites par l’Homme (capital financier, infrastructures). Au surplus, si le concept de développement

trouve autant d’interprétation que de personne qui tentent de l’interpréter, la notion de durabilité connait

également une « fracture conceptuelle »15 entre deux grandes écoles. « La durabilité est dite forte quand on

considère que le capital naturel doit absolument être maintenu en état », une vision de la durabilité qui

privilégie l’environnement en limitant les activités humaines au profit de la préservation de la planète. « La

durabilité est dite faible lorsque la somme du capital naturel et du capita construit doit être maintenue

constante, c’est-à-dire que l’on peut substituer du capital construit à du capital naturel »16, cette conception

donne priorité à l’humanité considérant l’environnement, le capital naturel, comme fruit des activités

humaines, la perte d’une partie de capital naturel pouvant être contrebalancé par l’apport de capital

construit. Quoiqu’il advienne, que l’on soit partisan d’une conception ou de l’autre, il ressort

nécessairement de l’une comme de l’autre que, pour que le développement soit durable il doit y avoir un

contrôle des ressources, soit en maintenant une partie du capital naturel soit en le substituant par une autre

forme de capital lorsque celui-ci est consommé.

Le développement durable est l’alliance du développement, un agent économique qui agit comme un

prédateur sur le marché et n’ayant que pour unique objectif de s’alimenter et s’accroître continuellement ;

et de la durabilité qui va mettre en œuvre des mécanismes de protection des ressources à la disposition du

développement en réparant son impact sur la société et en contrebalançant les effets sur le capital naturel

et assurer, sinon sa préservation et son maintien, au moins sa substitution, son remplacement. Le

développement durable tend subséquemment vers une économie écologique, c’est-à-dire une économie

« où le taux d’exploitation des ressources naturelles cesse d’excéder leur capacité de régénération […] où

l’exploitation des ressources naturelles non-renouvelables se fasse à un rythme égal à celui de leur

substitution par des ressources renouvelables »17. Autrement dit, le développement durable a pour objectif

de mettre en œuvre des mécanismes, des actions, visant à équilibrer les rapports de force entre le

développement économique qui utilise les ressources naturelles et la pérennisation de ses ressources dans

le temps, de manière durable. Un contrôle de l’exploitation des ressources à la fois pour assurer la viabilité

du développement économique sur le long terme assurant l’aspect renouvelable de ces ressources ou leur

substitution par d’autres ; mais également pour la préservation du cadre de vie et des espaces nécessaire au

développement des êtres humains.

15 F. Mancebo, Le développement durable, A. Colin, 2006 16 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, pages 56-57 17S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 62

13

SECTION 3 : L’ASPECT PROGRAMMATIQUE DU DROIT AU DEVELOPPEMENT DURABLE

Il apparait de la difficulté vu précédemment, à la fois de délimiter le concept du développement durable et

de lui allouer une définition précise et sans équivoque, que le droit du développement durable ne sera pas

épargner par ces mêmes difficultés. Il ressort donc que le droit du développement durable aura un aspect

d’avantage programmatique que d’autres disciplines juridiques plus normatives et que, faute de définition

claire et précise, il va s’exprimer par le biais d’autres matières juridiques.

Paragraphe 1 : Un droit de 3ème génération

En 1978, J. Rivero disait à propos des droits de l’Homme qu’ils « définissent aujourd’hui une sorte de

morale officielle commune à la quasi-totalité des états », effectivement la Convention Européenne des

droits de l’Homme de 1950, amendée des protocoles qui lui ont succédé fait globalement consensus sur la

scène internationale en matière de protection des droits de l’Homme. Mais pourquoi parler de la

Convention des Droits de l’Homme en matière de droit au développement durable ? La Convention du

Conseil de l’Europe de 1950 a subi de nombreux amendements et extensions qui reconnaissent désormais

différents niveaux de droits appelées « générations » dans la protection des droits de l’Homme. On y

compte tout d’abord les droits civils et politiques tirés de la Déclaration des Droits de l’Homme et du

Citoyen de 1789 qui appartiennent à l’individu en tant qu’Homme ; ensuite, il y a les droits économiques

et sociaux, des droits reconnus à tous en tant que membre d’une catégorie (travail, santé, éducation) dont

la mise en œuvre est assurée par l’Etat ; et enfin, les droits de troisième génération dits de solidarité qui

font l’objet d’une reconnaissance dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies mais qui posent

certaines difficultés puisque leur régime et leur appartenance directe aux individus n’est pas établie ; et

enfin les droits de quatrième génération pour ce qui attrait à l’ère du numérique. Et c’est ici que l’on va

retrouver le droit au développement durable, dans les droits de troisième génération. Mais qu’est-ce que

l’appartenance du droit au développement durable aux droits de troisième génération signifie

concrètement ? Ce qu’il faut retenir de cette classification pour le sujet, c’est que les droits de troisième

génération ne sont particulièrement précis sur le régime qui leur est applicable : sont-ils invocables

directement par les individus ? Appartiennent-ils aux individus ou à l’humanité ? Le manque de

caractéristique de ces droits a pour conséquence qu’ils sont laissés à la libre appréciation et interprétation

des Etats qui n’ont pas de réelles obligations envers les individus et qui les mettent en œuvre selon une

grande marge d’appréciation en fonction de leurs propres intérêts.

Paragraphe 2 : Un droit de programmation plus que de normalisation

Ces droits étant très mal définit, ils ne sont pas directement invocables par les individus manquant de

contenu propre et son d’avantage mis en avant par les actions qui les caractérisent, c’est-à-dire que le droit

au développement durable est un droit programmatique plus que de normalisation. Un droit qui va être

traduit par des axes d’action plus que par une réelle volonté de normalisation de la discipline et se rattacher

aux normes d’autres matières juridiques pour être perceptible, manifeste. La loi n° 2009-967 du 3 août

2009, par exemple, est une loi dite de « programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de

l’environnement » (loi Grenelle 1) ; autrement dit les phases de concertations et de conclusions adoptées

lors du Grenelle de l’environnement « n’ont pas vocation à devenir des lois en tant que telles » mais « le

passage devant le Parlement constituait naturellement une étape obligatoire pour donner un effet juridique

14

aux propositions et engagements dégagés à cette occasion »18 (268 engagements retenus). Cela permet de

mettre en avant l’aspect plus programmatique que normatif de la réglementation sur le droit au

développement durable puisque concrètement les états font valider leurs engagements internationaux ou

nationaux en la matière par le Parlement pour donner un effet juridique à ces engagements.

Quant à la mise en œuvre effective de ces engagements sur le territoire, des normes peuvent être prises

pour instituer des droits ou des devoirs envers des sujets de droit, mais la mise en œuvre d’une

règlementation en matière de développement durable provient majoritairement, et initialement,

d’engagements internationaux pris par les Etats qui, après négociations, discussions, concertations et

conclusions, vont prendre des engagements définis par des programmes d’actions, une liste exhaustive ou

non d’objectif à atteindre. « Ainsi que son nom l’indique, la loi Grenelle 1 constitue une loi d’orientation

qui, sans comporter de dispositions normatives d’application directe, se présente comme un texte

fondateur destiné à transcrire dans la loi les engagements pris à l’issue du Grenelle sous forme d’objectifs

et de programmes destinés à orienter les discussions parlementaires et l’action future de la législature »19.

Autrement dit le droit du développement durable est d’avantage une détermination d’objectif, un modèle,

des grandes lignes à suivre négociées par les Etats, entre les Etats, pour participer à l’alliance entre le

développement de la croissance économique et la préservation des ressources et de l’environnement ;

qu’une source de normes destinées à produire des effets de droit et invocables par les individus.

Paragraphe 3 : Un droit lié à une multitude de droit

Il résulte des développement précédents que le droit du développement durable n’est pas un droit que l’on

puisse caractériser comme autonome dans le sens où il n’a pas de réel contenu qui lui soit propre ou

exclusif. C’est un droit qui pour agir, se déployer et se développer se rattache à des droits « primaires » et

étend sa notion aux matières auxquelles il s’attèle. Dans ce sens, le droit au développement durable est lié

à une multitude de droit et d’autres disciplines comme les sciences naturelle dites « sciences dures », ou

encore les sciences sociales dites « sciences moles ».

A titre principal, le droit au développement durable est un droit fédérateur qui réunit majoritairement trois

piliers juridiques qui servent à son action qui sont le droit au développement économique et le droit de la

protection sociale permettant au développement durable d'agir sur le fondement des droits économiques

et sociaux de seconde génération, ainsi que le droit de l’environnement plus précisément définit que le

droit du développement durable, les questions environnementales constituant en outre une grande

majorité des axes d’action du développement durable. En matière de droit de la protection sociale, par

exemple, le droit du développement durable va agir sur la gestion durable des milieux de travail en agissant

pour la promotion de la sécurité et de la santé au travail puisque « le volet social du développement durable

intéresse les questions d’équité entre les êtres humains et de préservation d’une certaine diversité dans le

respect des cultures, à l’échelle de l’entreprise, la protection de la santé, ce qui impose au minimum, le

respect des valeurs sociales communes »20. En matière de droit de l’environnement, le développement

durable va déterminer des objectifs et des axes d’action pour protéger les populations contre les risques

18 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 20 19 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 20 20 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 189

15

sanitaires, industriels et naturels allant de l’évaluation des risques d’inondation (L.566-3 et R.566-3 du code

de l’environnement) à la gestion des risques liés aux déchets (L.541-11 du code de l’environnement),

passant par la préservation de la biodiversité (mesure contre la pollution de l’air dans l’article L.221-7 du

code de l’environnement) par exemple. Outre ces trois piliers qui condensent la majorité des programmes

d’action du développement durable, celui-ci s’appuie sur une multitude de droit tel que les droits de

l’Homme à l’image des démonstrations précédentes. En effet, celui-ci s’appuie fréquemment sur certains

articles de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme de 1950, notamment l’article

2 sur le droit à la vie ; l’article 10 relatif à la liberté d’expression ; ainsi que l’article 8 sur le droit au respect

de la vie privée et familiale principalement par le biais du volet de la protection du domicile, par ricochet

la Cour Européenne des Droits de l’Homme accepte de faire rentrer la protection de l’environnement sous

l’angle de l’article 8.

A titre subsidiaire, le droit du développement durable est adjacent, attaché aux sciences économiques et

aux diverses branches scientifiques qui produisent des études sur lesquelles les programmes d’action du

développement durable vont pouvoir s’appuyer, d’une part pour déterminer les objectifs à atteindre ; et

d’autres part, suivant la conjoncture pour justifier la nécessité de l’action du développement durable sur

certains axes.

Une pluralité de sources et une diversité de matières juridiques et de disciplines qui fournissent une

normalisation finalement dense en matière de développement durable.

CHAPITRE 2 : UNE REGLEMENTATION ABONDANTE COERCITIVE

Bien qu’initialement le droit du développement durable consistait en des sommets sur la scène

internationale de chefs d’Etat s’engageant à tenir des objectifs pour la préservation de la planète et

l’amélioration des conditions de vie des êtres humains, chaque Etat en tirant les conséquences des sommets

internationaux a mis en place ses propres mesures d’application, créant une disparité en la matière entre

les frontières, mais également une diversité dans les sources nationales du droit au développement durable

en utilisant les autres matières juridiques pour l’appliquer. La normalisation, la règlementation, du droit au

développement durable en se développant et s’étendant de manière parsemée en fait un droit, une matière

juridique abondante particulièrement contraignante.

SECTION 1 : UNE MATIERE JURIDIQUE CROISSANTE CONTRAIGNANTE

L’expression de « développement durable » a été utilisée pour la première fois en tant que telle en 1980

par des organisations non-gouvernementales, mais le rapport de Brundtland de 1982 va ancrer l’expression

dans le vocabulaire juridique. Ce rapport donne une priorité à la logique environnementale du « sustainable

development » notamment l’aspect du changement climatique avec les gaz à effet de serre. Mise à part d’être

le plus célèbre, le sommet qui va réellement marquer le développement durable et lui donner une entité,

une substance juridique, c’est la conférence de Rio de 1992 que l’on peut qualifier de sacre du

développement durable sur la scène internationale. Dit le premier « Sommet mondial de la Terre », la

conférence de Rio met en place les fondements et les grands principes du développement durable, qui

sont par ailleurs toujours d’actualité. Les grands sommets de chefs d’état de multiplient pendant les années

1990 à partir de celui de Rio mais dans l’ensemble ils n’apporteront rien d’innovant par rapport à leur

conférence mère.

16

Les objectifs pris en 1992, et rappelés en septembre 2000 par l’Organisation des Nations Unies dans un

document dit « Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) » entendu par 189 pays. Les grandes

lignes du programme et les engagements pris par ces pays peuvent se résumer en neufs points clefs qui

sont21 : « assurer un environnement durable » 22, le volet environnemental du sommet de Rio sur la

préservation de l’espace naturel, la biodiversité, la lutte contre le changement climatique et désertification ;

« réduire de moitié d’ici 2015 le nombre de personne qui n’ont pas accès à l’eau potable et à

l’assainissement », l’accès à l’eau potable étant une condition essentielle de la survie humaine ; « le taux

de mortalité infantile des enfants devra être réduit dans tous les pays en voie de développement aux

deux tiers du niveau de 1990 en 2015 »23 par l’amélioration des conditions de vie à commencer par

l’alimentation ; dans le même sens améliorer la santé maternelle puisque « le taux de mortalité à

l’accouchement devra être réduit des trois quarts entre 1990 et 2014 […] un accès aux soins

gynécologiques, à travers le système de santé primaire, sera garanti partout, à toute personne en âge de

procréer, au plus tard en 2015 »24 ; réduire l’extrême pauvreté et la faim puisque « la proportion

d’humains vivant en situation d’extrême pauvreté dans les pays en voie de développement devra être

réduite de moitié avant 2015 »25 et que « la proportion des personnes souffrant de la faim dans le monde

devra être divisée par deux, passant de 800 à 400 millions de personnes, d’ici 2015 »26 ; assurer l’éducation

primaire et « universelle de base assurée à tous, dans tous les pays en 2015 »27 ; promouvoir l’égalité et

l’autonomisation des femmes en éliminant les disparités entre les sexes dans l’enseignement d’ici à 2015 ;

combattre les maladies (VIH/SIDA, le paludisme, etc) ; mettre en place un partenariat mondial pour

le développement pour une coopération internationale en matière économique et financière. Il résulte

des années 1990, et réaffirmé en 2000, la détermination des grandes lignes de ce modèle de développement

durable et la mise en place d’une coopération internationale sur le sujet. La conséquence juridique des

sommets internationaux est que ceux-ci dressent une liste exhaustive d’engagements et de promesses par

les Etats, chaque conférence ouvrant le débat sur de nouveaux axes d’action alors que les premiers ; les

Etats étant pleinement libre quant à la mise en œuvre de ces objectifs et à la réglementation à prendre et à

appliquer.

Cette liberté d’appréciation, d’interprétation et de mise en œuvre des objectifs du développement durable

par chaque Etat conduit à un émiettement de la règlementation et à une dispersion de la norme en la

matière ; sa substance juridique est, d’une part dispersée entre les différentes matières juridiques auxquelles

se rattachent le droit au développement durable mais également, d’autre part désaccordé entre les différents

Etats résultant d’une cacophonie du droit au développement durable. En effet, comme il l’a été développé

dans les démonstrations précédentes, ce droit se développe en agissant, en édictant une normalisation qui

s’appuie sur d’autres matières juridiques pour étendre sa substance. Un éparpillement de la matière, que ce

soit entre les frontières ou même au niveau national entre les différentes matières juridiques et les différents

niveaux de hiérarchisation de la norme, qui ne facilite pas l’appréhension du droit du développement

durable par les acteurs et les individus qui sont confrontés, assujettis à cette réglementation. Le droit du

développement durable s’immisce dans toutes les matières juridiques, allant du droit des sociétés au droit

21 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, pages 34-35 22 Sommet de la Terre, Rio, 1992 23 Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 1994 24 Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 1994 25 Sommet mondial pour le développement social, Copenhague, 1995 26 Sommet mondial de l’alimentation, Rome, 1996 27 IVème Conférence mondiale sur la femme, Pékin, 1995

17

de l’environnement en passant par la santé publique et les réglementations de construction et de

l’urbanisme, qui provoque une diversification de ce droit qui couplait avec l’augmentation de la

règlementation et des objectifs au cours du temps, augmente la matière juridique de ce droit. Dans ce sens,

l’augmentation de la matière juridique met d’autant plus en avant la pluralité et la multidisciplinarité du

droit du développement durable qui rend l’augmentation de la matière juridique plus protectrice mais

d’autant plus difficile à appréhender, mettre en œuvre et à respecter par ceux qui y sont soumis, notamment

les entreprises pour difficulté supplémentaires doivent allier les lois du marché aux normes du droit du

développement durable. En conséquent, pour rester sur les entreprises, le droit du développement durable

est, outre d’être en soi une contrainte qui pèse sur leur développement actuel (malgré que ce soit pour

assurer l’avenir), une matière juridique d’autant plus contraignante qu’elle est difficile à synthétiser (en

comparaison au code du travail par exemple), vaste, parsemée et intervenant dans une grande diversité de

domaine.

SECTION 2 : UNE HETEROGENEITE DES SOURCES DU DROIT AU DEVELOPPEMENT DURABLE

Le droit au développement durable est à l’origine un droit de sources international, étant né et s’étend

développé sur la scène internationale lors de grands sommets internationaux entre chefs d’Etat.

Néanmoins, si le concept du développement durable et ses principaux objectifs sont tirés des négociations

internationales, celles-ci ne font que tracer les grandes lignes du système, puisque ce sont les Etats qui

prennent les mesures concrètes d’application de ces objectifs au niveau national et vont étendre la

normalisation du droit au développement durable à plusieurs niveaux de la hiérarchie des normes, voir

laisser agir d’autres acteurs qui vont intervenir en dehors des cadres de la législation.

Paragraphe 1 : Sources internationales

Le développement durable est né sur la scène internationale, produit de négociations, d’accords, de

promesses et d’engagement de la part des Etats lors de différents sommets internationaux qui ont définis,

au fur et à mesure, des lignes de conduite et des objectifs à tenir. Certains de ces sommets sont plus connus

que d’autres mais tous ont permis, chacun avec leurs apports qu’ils soient élémentaires ou essentiels, de

grandir la notion de développement durable. Le Sommet de la Terre dit Conférence de Rio en 1992,

conséquence du rapport de Brundtland de 1982, dont il a déjà été question dans les développements

précédents est probablement le plus important en raison de l’impact qu’il a eu sur le développement de ce

droit par la suite puisque c’est à partir de ce sommet que le développement durable acquiert une existence

officielle. Les nombreux sommets qui auront lieu dans les années 1990 à la suite de la Conférence de Rio

n’en seront en réalité qu’une amélioration qui s’articule autour de ce fondement, cette base commune.

Mais que promeut exactement la Conférence de Rio de Janeiro de juin 1992 et quels sont les engagements

pris ? Le sommet de la Terre, conférence organisée par l’organisation des nations unies sur l’environnement

et le développement (CNUED), a conduit à la signature de la Convention de Rio qui fixe les objectifs

principaux notamment en matière de préservation de la planète, les droits et responsabilités des Etats

envers l’environnement ; mais également à l’adoption de « l’Agenda 21 », un programme d’action

initialement prévu pour 10 ans mais qui est toujours d’actualité. La déclaration de Rio permet

principalement de réveiller les Etats sur leurs responsabilités et de les encourager à tenir leurs engagements

au niveau national par des réglementations d’application concrètes ; à l’inverse le programme d’action

« Agenda 21 » sous-titré « Stratégie mondiale pour le développement », adopté par 173 chefs d’Etat et de

gouvernement, est plus pratique et concret que la déclaration qui l’accompagne 27 principes pour le

développement durable. A titre d’illustration, le premier principale dispose que « Les êtres humains sont au

18

centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive, en harmonie avec la

nature », un principe qui ne dit rien sur son interprétation et application puisque ce sont aux Etats d’en faire

l’appréciation souveraine d’après les dispositions du second principe disposant que « Conformément à la charte

des Nations unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources

selon leur politique d’environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les

limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne posent pas de dommages à l’environnement dans d’autres Etats ou dans des

zones ne relevant d’aucune juridiction nationale »28. En quelques mots, la Conférence de Rio pose les fondements

de l’action du développement durable et un programme d’action visant à allier la protection et la

préservation de l’environnement, l’efficacité en matière économique ainsi que l’équité sociale. Les sommets

qui se succéderont durant la décennie ne feront que préciser les objectifs et principes de la Conférence de

Rio notamment en matière de santé et d’éducation, de lutte contre la pauvreté et la faim et la promotion

en matière d’égalité et d’autonomisation des femmes.

En 2002 se tient le Sommet de Johannesburg, du 26 août au 4 septembre en Afrique du Sud, un sommet

officiellement appelé Sommet mondial sur le développement durable (SMDD) et officieusement Rio

+10. Une conférence qui avait principalement pour objet de faire le point sur les engagements pris dix ans

auparavant et de compléter le programme d’action « Agenda 21 » sur différents domaines tels que la

pauvreté ; la santé ; la protection de l’environnement notamment en matière d’eau, d’énergie et de

biodiversité ; ainsi que le développement économique en particulier la production agricole. Néanmoins, il

ressortira principalement de ce sommet les limites du développement durable, certain le baptisant de

« sommet pour rien », puisque à l’époque « en France comme dans la majeure partie des pays riches, les

envolées lyriques se révèlent après coup pure rhétorique »29, autrement dit le bilan sur les engagements pris

quelques années plus tôt se révèle peu encourageant. Alors que Rio +10 n’a pas donné les résultats

escomptés, le Secrétaire Général des Nations unies attendait beaucoup de Rio +20, dite aussi Conférence

des Nations Unies sur le développement, disant à l’époque que ce serait « l’une des plus importantes

réunions internationales sur le développement durable de notre époque. À Rio, notre vision doit être claire

: une économie verte, durable, qui préserve la santé de l’environnement tout en soutenant la réalisation

des objectifs du Millénaire pour le développement par le biais d’une hausse des revenus, de la création

d’emplois convenables et de l’éradication de la pauvreté »30.

Outre les sommets internationaux qui aboutissent à des programmes d’action et à la prise d’engagement

de la part des Etats, soit dit en passant que ces sommets internationaux ont pour la plupart été organisé et

les textes préparé par l’Organisation des Nations Unies (ONU), cette même organisation a rédigé de

grandes conventions qui ont été adoptées ensuite lors des sommets internationaux. Parmi les principales

conventions certaines ont eu plus d’importance que d’autres et qui sont de véritables sources juridiques

pour le droit du développement durable, notamment la Convention-Cadre des Nations Unies sur le

changement climatique (CCNUCC) adoptée au sommet de la Terre en 1992, elle entrée en vigueur le 21

mars 1994 et a été ratifiée par 189 Etats depuis 2004 ; cette convention proposant de mieux définir la

notion de changement climatique et de mieux la cerner pour pouvoir proposer des objectifs qui

conviennent mieux à la lutte contre le changement climatique, ou du moins ses effets. Cette convention

établit d’ailleurs les prémices de grands principes tels que le principe du droit au développement durable,

le principe des responsabilités communes mais différenciées, ainsi que l’éminent principe de précaution

28 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 47 29 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 54 30 BAN Ki-moon Secrétaire général des Nations Unies

19

qui figure en tant que quinzième principe de la Déclaration de Rio et disposant qu’en « cas de risque de

dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus

tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». Parmi d’autres, il y a également

la Convention sur la diversité biologique (CDB), un traité international adopté également lors de la

Conférence de Rio et qui prône trois principaux objectifs qui sont la préservation de la biodiversité que ce

soit la faune ou la flore ; l’utilisation durable de ses ressources ; ainsi que le partage juste et équitable des

avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques. Ce traité international central pour le

développement durable est entré en vigueur le 29 décembre 1993 et 168 Etats en sont signataires.

Les sommets et les conventions internationales n’ont pas, pour la plupart, de valeur juridique contraignante

ou alors une simple portée contraignante limitée, mais les Etats signataires vont les transposer, avec leurs

objectifs et leurs principes, dans leurs propres ordres juridiques internes suivant une marge de manœuvre

et d’appréciation totalement libre quant à leur mise en application. Outre les normes nationales dont il sera

question plus tard, d’autres sources internationales avec cette fois une valeur contraignante vont intervenir

et réglementer le droit du développement durable, ce sont les sources issues d’ordres juridiques régionaux.

Paragraphe 2 : Sources européennes

Les grandes organisations communautaires européennes interviennent dans la règlementation du droit au

développement durable chacune dans axes différents puisque les objectifs qu’elles poursuivent ne sont pas

les mêmes. Effectivement, le Conseil de l’Europe ayant pour vocation de protéger les droits de l’Homme

c’est par les droits reconnus aux individus qu’il va pouvoir agir en la matière ; à l’inverse, mise à part la

Charte des droits fondamentaux de 2000, l’Union Européenne poursuivait des objectifs et disposaient de

compétences principalement économiques qui lui permettent d’opérer en matière de développement

durable.

D’une part, le Conseil de l’Europe est « la principale organisation de défense des droits de l'homme du

continent […] Il comprend 47 États membres, dont les 28 membres de l'Union européenne. Tous les

États membres du Conseil de l'Europe ont signé la Convention européenne des droits de l'homme, un

traité visant à protéger les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit »31. En conséquent, c’est par

le biais de la protection des libertés et droits fondamentaux proclamés dans la Convention Européenne de

sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) de 1950 et des différents protocoles qui l’ont précisé que le

Conseil de l’Europe et plus précisément la Cour Européenne des droits de l’Homme vont pouvoir agir

que ce soit quant à la consécration de certains principes du développement durable ou à la protection de

la réglementation en vigueur. Effectivement, certains droits reconnus aux individus vont faire office de

passerelle à la protection du droit au développement durable par les juges européens qui vont jouer d’une

pierre deux coups en améliorant la protection des individus et de leur espace de vie, ainsi qu’en étendant

leur compétence par la même occasion. Déjà cités précédemment, les articles de la Convention

Européenne des droits de l’Homme qui sont essentiellement utilisés par les juges européens pour assurer

une garantie aux individus en matière de développement durable sont l’article 10 dans le cadre de la liberté

d’expression ; l’article 2 relatif au droit à la vie et en l’espèce le droit de vivre dans des conditions et un

environnement digne de la personnalité humaine ; et l’article 8 relatif au droit au respect de la vie privée et

familiale notamment par le volet de la vie privée sociale qui garantit la protection du domicile. Pour l’article

31 Direction de la Communication du Conseil de l'Europe, Le Conseil de l’Europe en bref, disponible sur : http://www.coe.int/fr/web/about-us/who-we-are

20

8 de la Convention, les juges européens agissent en matière de développement durable par ricochet à la

protection du domicile s’agissant, par exemple, des nuisances sonores du fait de la proximité d’un aéroport

(CEDH, 1990, Powell et Rayner) ; des émanations toxiques d’une station d’épuration à proximité du

domicile de la requérante sont considérées comme des atteintes à l’environnement peuvent affecter les

droits des personnes et violer le droit au domicile (CEDH, 1994, Lopez-Ostra). Une protection du droit

au développement durable contournée, par ricochet, mais bel et bien effective au niveau européen.

D’autre part, outre le juge européen de la protection des droits de l’Homme, le juge de l’Union Européenne

va également agir quant à la protection du droit au développement durable et participer à son extension.

Au surplus, les normes juridiques de l’Union Européenne ont, sinon une valeur juridique contraignante

pour les Etats membres, au moins une grande influence sur leur comportement puisque quel que soit la

portée juridique du texte, la Cour de Justice de l’Union Européenne surveille avec attention que les Etats

appliquent les normes ou au moins tirent les conséquences des politiques de l’Union. D’abord sur le droit

conventionnel de l’Union Européenne, l’Acte Unique Européen de 1986 sur l’accélération de l’intégration

économique de la Communauté Européenne va permettre l’ouverture de la compétence de l’organisation

régionale en matière de développement durable que ce soit en matière d’environnement, de recherche et

de développement. Dans cette intention, les septièmes considérants respectifs des traités de Maastricht de

1992 et d’Amsterdam en 1997 disposent, pour le premier que les Etats membres doivent être « Déterminés à

promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, dans le cadre de l'achèvement du marché intérieur et du

renforcement de la cohésion et de la protection de l'environnement, et à mettre en œuvre des politiques assurant des progrès

parallèles dans l'intégration économique et dans les autres domaines » ; alors que le second intègre l’expression même

de « développement durable », « Déterminés à promouvoir le progrès économique et social de leurs

peuples, compte tenu du principe du développement durable et dans le cadre de l'achèvement du marché intérieur,

et du renforcement de la cohésion et de la protection de l'environnement, et à mettre en œuvre des

politiques assurant des progrès parallèles dans l'intégration économique et dans les autres domaines ». La

mention de l’expression « développement durable » dans les traités et sa prise en compte effective dans les

politiques et objectifs de la Communauté Européenne, ou Union Européenne suivant où l’on se place

dans le temps, lui octroie un champ d’application plus étendu que sur la scène international puisque les

Etats ne sont plus simplement invités à en tirer les conséquences mais sont tenus juridiquement par les

traités européens. En outre, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne qui ne disposait

pas de valeur juridique contraignante a été intégré au traité de Lisbonne de 2007, entrée en vigueur en

2009, et dispose donc dorénavant de cette force obligatoire. Ce qui est intéressant en matière de

développement durable quant à la force obligatoire de cette charte des droits fondamentaux, c’est que

celle-ci contient des dispositions en matière des droits de solidarité, c’est-à-dire des droits de troisième

génération. Et notamment par les dispositions de l’article 37 de cette même charte, la Cour de Justice de

l’Union Européenne va pouvoir contrôler et protéger le droit au développement durable par le volet

environnemental : « un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés

dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe de développement durable », un principe qui dispose

d’un large champ d’application quant aux matières juridiques qu’il atteint. Cette valeur juridique de droit

primaire accordée à la charte, et par extension au développement durable contenu dans ses dispositions,

permet d’étendre son action, ses effets juridiques et donc plus de chance d’aboutir à la concrétisation des

objectifs. Au-delà du droit primaire, l’Union Européenne s’investit en matière de développement durable

également par d’autres moyens d’action et notamment les « programmes communautaire d’action pour

l’environnement (PAE) » depuis 1972. Ses programmes visent à une action communautaire et un

investissement volontariste de la part des Etats membres en matière de développement durable

21

notamment en agissant sur la lutte contre le réchauffement climatique, la santé et l’environnement, la

nature et la diversité biologique, ainsi que la gestion des ressources naturelles. Les moyens d’action de

l’Union Européenne sont très divers, plus ou moins contraignant même si les destinataires de la

réglementation européenne que ce soit des traités ou de simples avis sont tout de même toujours invités à

en tirer les conséquences. Un livre vert a d’ailleurs était publié en juillet 2011 par la Commission

Européenne, destiné directement aux entreprises sur la responsabilité sociale de ces-dernières en

illustration du champ d’action qu’offre l’Union Européenne au développement durable.

Paragraphe 3 : Sources internes

La démarche n’est pas ici de dresser la liste des normes du droit du développement durable au niveau

national (français) mais plutôt de montrer le déploiement de la normalisation nationale en la matière avec

quelques réglementations ou décisions phares à différents niveaux de la hiérarchie des normes.

I. La Constitution

Considérée comme la norme suprême en droit français, la Constitution et les normes dites dotées de valeur

constitutionnelle vont permettre la transposition des grands principes et objectifs généraux déterminés

lors des sommets ou imposés par une réglementation internationale, notamment européenne ; à l’image

du premier principe de la Déclaration de Stockholm de 1972 disposant que « L’Homme a un droit fondamental

à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre

dans la dignité et le bien-être », élevant le droit au développement durable et à l’environnement au rang de droit

de l’Homme. Néanmoins, à l’inverse d’autres constitutions étrangères, « la France a manifesté une certaine

timidité à l’égard de la consécration constitutionnelle des principes fondamentaux du droit de

l’environnement […] le 1er mars 2005, après quatre années de préparation, une loi constitutionnelle a été

adoptée qui inscrit dans le préambule de la Constitution de 1958 une charte de l’environnement »32. La

charte de l’environnement est un texte à valeur constitutionnelle qui a été intégré dans le préambule de la

Constitution de 1958, dans le bloc de constitutionnalité, et qui vise principalement à énoncer des droits et

de devoirs fondamentaux quant à la protection de l’environnement, l’un des volets essentiels du droit au

développement durable. Cette charte n’est pas très longue, elle contient seulement 10 dispositions, mais

des dispositions importantes sur les principes qu’elles portent et sur leur effet juridique puisque la

Constitution reconnaissant dorénavant le développement durable et la protection de l’environnement, le

gouvernement et le Parlement vont devoir en tirer les conséquences dans la normalisation française. Il

ressort de cette charte trois principes centraux qui sont le principe de prévention « visant à empêcher la

survenance d’atteintes l’environnement dont les risques sont connus ou prévisibles par des mesures

adaptées a priori avant la réalisation d’un ouvrage ou d’une activité »33 ; le principe de précaution

disposant que « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du

moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un

risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable »34 ;

ainsi que le principe pollueur-payeur « selon lequel les frais résultant des mesures préventives, de

réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur »35. Ces principes

vont permettre d’agir dans le cadre des garanties stipulées au préambule de la charte visant à « assurer un

32 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l’environnement, Que sais-je ?, Puf, 10ème édition, 2010, page 9 33 Lexique des termes juridiques, 22ème édition, DALLOZ 34 Lexique des termes juridiques, 22ème édition, DALLOZ 35 Lexique des termes juridiques, 22ème édition, DALLOZ

22

développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des

générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». A la suite de l’intégration de cette charte

dans le bloc de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a tout de même rappelé dans une décision

dite « OGM » du 19 juin 2008 que « l’ensemble des droits et devoirs définis dans la charte de l’Environnement ont valeur

constitutionnelle et s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence

respectifs ». La place faite au développement durable dans le bloc de constitutionnalité lui ouvre des portes

considérables quant à son champ d’application et à la réalisation des objectifs de développement durable

par l’Etat désormais lié par sa propre Constitution à prendre les mesures nécessaires en la matière que ce

soit par la loi, la réglementation ou autres.

II. La loi

En ce qui concerne la normalisation législative en matière de développement durable, c’est-à-dire

l’intervention concrète et pratique des ordres juridiques nationaux, celle-ci peut se présenter de différentes

façons. En effet, certaines lois sont simplement des lois de transposition des objectifs et engagements pris

lors des sommets dans l’ordre juridique interne qui n’ont pas vocation à devenir des règles de droit en tant

que tel, « leur passage devant le Parlement constituait naturellement une étape obligatoire pour donner un

effet juridique aux propositions et engagements dégagés à cette occasion »36. Alors que d’autres lois

concrétisent l’action des Etats pour le développement durable, des lois de réalisation des objectifs inscrits

dans les lois de programme et vont traduire les engagements par une réglementation matérielle.

Parmi les lois qui ont vocation à transposer les objectifs internationaux en objectifs français en matière de

développement durable, les lois Grenelle 1 de 2009 (loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation

relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement) et Grenelle 2 (loi n° 2010-788 du 12 juillet

2010 portant engagement national pour l’environnement) sont probablement les plus importantes. Ces

lois de programmation sont toutes deux issues du Grenelle de l’Environnement dont la mise en œuvre a

été initiée le 6 juillet 2007 et qui devait aboutir à « un consensus sur la nécessité de définir un nouveau

cadre législatif apte à permettre de : lutter contre le changement climatique ; préserver et gérer la

biodiversité et les milieux aquatiques ; préserver la santé et l’environnement tout en stimulant l’économie ;

et instaurer une démocratie écologique »37. Un consensus national qui était destiné à mettre en œuvre 268

engagements, une quantité considérable de propositions qui explique le choix de les avoir scindées en deux

lois pour une meilleure application. La loi Grenelle 1 était destinée prioritairement à donner des axes

d’action, une orientation à donner à la réglementation française en matière de développement durable que

ce soit pour la protection de l’environnement ou pour redéfinir un modèle de société économique durable.

A l’inverse, la loi Grenelle 2 vient prolonger sa loi mère et établit l’aspect opérationnel en constituant un

véritable arsenal législatif et réglementaire pour assurer la retranscription des objectifs de la loi Grenelle 1

dans l’ensemble de des matières juridiques, que ce soit des textes codifiés ou non. La loi Grenelle 2 va

modifier la relation entre les institutions et le droit au développement durable pour qu’elles puissent agir

et mettre en œuvre des politiques publiques.

Les deux lois du grenelle de l’environnement, qui viennent s’ajouter à quelques normes telle que, par

exemple, la loi Bannier de 1995 qui était venu précisée le principe de précaution ; et vont se traduire par

une augmentation de la réglementation en la matière qui va intervenir dans l’ensemble des secteurs du

36 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 20 37 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 20

23

droit. A titre d’illustration, le droit du développement durable s’intègre dans le code de l’environnement

que ce soit pour la préservation des ressources en eau (art. L219-3 du code de l’environnement relatif aux

mesures de préservation de la mer), ou pour des mesures pour la protection des individus luttant contre la

pollution de l’air intérieur (art. L219-3) ; mais s’immisce également dans le code de l’urbanisme quant à

l’impact du plan local d’urbanisme sur la protection de l’environnement (art. L123-12 du code de

l’urbanisme) ; en passant par le droit pénal qui va prohiber le délit de risques causés à autrui (art. 223-1 du

code pénal). Dresser une liste de toutes les lois relatives au développement durable serait impossible dans

cette démonstration, mais l’objectif était simplement de montrer que le droit du développement durable

dispose d’un champ d’application très large et diversifié, des normes législatives qui vont être précisée par

la jurisprudence et l’intervention gouvernementale.

III. La règlementation

Les lois prises quant à la réalisation nationales des objectifs pris par l’Etat lors des grands sommets

internationaux permettent de concrétiser la prise en compte des engagements et de concrétiser l’action du

développement durable dans les différents domaines juridiques. Néanmoins, pour la majorité, l’application

de ces lois nécessite l’intervention du gouvernement pour en préciser l’action et le cadre dans lequel elles

vont agir, c’est-à-dire déterminer les modalités d’application des dispositifs prévus dans les lois. Dans cette

intention, l’intervention gouvernementale peut se traduire par la prise d’acte réglementaire que ce soit des

décrets d’application des règles de droit du développement durable, des ordonnances, des plans d’action,

des documents-cadre ou autres.

Le gouvernement va pouvoir agir notamment par le biais des décrets, c’est-à-dire des actes juridiques

exécutoires à portée générale ou individuelle38, un outil de normalisation permet d’une part de préciser

l’application des lois mais également aux différents gouvernements d’orienter leurs politiques publiques en

fonction de leurs propres objectifs en matière de développement durable. Le décret du 7 janvier 2004, par

exemple, vient préciser le code des marchés publics quant à la prise en compte du développement durable

comme un objectif de la commande publique disposant que « les cahiers des charges peuvent intégrer des

caractéristiques environnementales qui seront prises en compte pour déterminer l’offre la plus avantageuse

lors de la passation du marché »39. Le décret n°2011-873 du 25 juillet 2011 vient préciser l’obligation de

développement des infrastructures de charge des véhicules électriques voulant que « toute personne qui

déposera une demande de permis de construire postérieure au 1er janvier 2012 aux fins de construire soit un ensemble

d’habitations équipé de places de stationnement individuelles couvertes ou d’accès sécurisé, soit un bâtiment à usage tertiaire

constituant principalement un lieu de travail et équipé des places de stationnement destinées aux salariés, devra doter ces

derniers des gaines techniques, câblages et dispositifs de sécurité nécessaires à l’alimentation d’une prise de recharge pour

véhicule électrique ou hybride rechargeable »40, une mesure d’application relative aux objectifs sur la réduction des

émissions de gaz à effet de serre dans les transports par la favorisation des nouveaux modes de transport.

L’action des personnes publiques peut également se faire par voie d’ordonnance, autrement dit via un acte

fait par le gouvernement, avec l’autorisation du Parlement, dans les matières qui relèvent du domaine de

la loi41. A titre d’exemple, l’ordonnance 2010-1579 du 17 décembre 2010 relative aux déchets vient

38 Lexique des termes juridiques, 22ème édition, DALLOZ 39 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l’environnement, Que sais-je ?, Puf, 10ème édition, 2010, page 18 40 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 56 41 Lexique des termes juridiques, 22ème édition, DALLOZ

24

« expliciter et clarifier les définitions des termes qui sont utilisés dans le droit des déchets »42et transposer

une directive européenne 2008/98/CE du 19 novembre 2008 quant à l’adaptation de la politique de

gestion des déchets en France.

L’administration publique dispose de divers outils d’intervention quant à la précision des modalités

d’application des lois notamment, parmi d’autres, les conventions ; les plans d’action ; les documents

stratégiques ; le document-cadre à l’image de celui destiné à la préservation et la remise en état des

continuités écologiques et qui détermine les orientations nationales sur le sujet quant à la mise en œuvre

de « la trame verte » et « la trame bleue » (c’est-à-dire « l’identification des réseaux écologiques existants ou

potentiels » et « permettre un aménagement du territoire différencié reposant sur le respect des

connectivités écologiques identifiées »43). Une panoplie d’outil d’intervention qui permettent au

gouvernement d’ajuster les objectifs du développement durable au territoire auquel ils vont s’appliquer, et

d’avoir une marge de manœuvre plus étendue et détaillée que les lois qu’ils viennent préciser.

IV. La jurisprudence

Parmi la normalisation nationale en matière de développement durable, l’action des juges français que les

décisions soient issues des juridictions suprêmes ou des juges de proximité, va permettre de faire appliquer

la règlementation mais également d’obtenir une interprétation de la règle de droit du développement

durable par rapport à une situation d’espèce concrète.

A titre d’illustration, la jurisprudence est intervenue à plusieurs reprises pour préciser l’application du

principe de précaution vu précédemment ; à titre de rappel, c’est un principe selon lequel : « l’absence de

certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder

l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque dans les domaines de

l’environnement, de la santé ou de l’alimentation »44. Dans ce sens, la cour d’Appel de Versailles arrête le

4 février 2009 qu’en matière de troubles à la santé occasionnés par les antennes relais de téléphonie mobile

sur les substances et produits à risque : « Considérant que la cessation du préjudice moral résultant de l'angoisse créée

et subie par les intimés du fait de l'installation sur la propriété voisine de cette antenne relais, impose, en absence d'une

quelconque proposition de la société BOUYGUES TÉLÉCOM, d'ordonner son démantèlement », c’est-à-dire que les

installations d’antennes relais de téléphonie mobile ne doivent pas porter atteinte ou causer un préjudice

aux individus en vertu du principe de précaution du développement durable (CA Versailles, 4 février 2009,

n°08/08775). A propos de certaines variétés de maïs transgénique, le Conseil d’Etat arrête le 25 septembre

1998 que « les associations susnommées soutiennent que l'arrêté attaqué aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière,

et, notamment, que l'avis de la commission d'étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire aurait été

rendu au vu d'un dossier incomplet en ce qu'il ne comportait pas d'éléments permettant d'évaluer l'impact sur la santé publique

du gène de résistance à l'ampicilline contenu dans les variétés de maïs transgénique faisant l'objet de la demande

d'autorisation […] en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation de l'arrêté attaqué », c’est-à-dire

qu’une demande d’autorisation de dissémination des produits d’agriculture transgénique est évalué en vue

et rapport à son impact sur la santé publique (CE, 25 septembre 1998, Ass. Greenpeace France).

42 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 128 43 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 77 44 Direction de l’information légale et administrative, Glossaire de Vie Publique, disponible sur : http://www.vie-publique.fr/th/glossaire/principe-precaution.html

25

Les juges vont intervenir également, pour un autre exemple, sur l’article 4 de la Charte de l’Environnement

disposant que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à

l’environnement », puisque la cour d’Appel de Paris arrête dans l’affaire de l’Erika que « le préjudice

écologique pur est confirmé ainsi que la responsabilité pénal de tous les acteurs de la chaîne de transport

maritime : armateur, gérant technique, société de contrôle et compagnie pétrolière »45 en cas de dommage

causé à l’environnement. Ou encore en matière économique, mêlant droit du développement durable et

responsabilité des entreprises en cas de préjudice causé par celle-ci à l’environnement, puisque la cour de

Cassation contrôle que « le délit de pollution des eaux par rejet de substances nuisibles suppose que cette

pollution ait entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune » (Cass.

Crim., 24 mars 2015, n°14-81.897). Un travail de contrôle d’application et d’interprétation de la norme

relative au développement durable très large et important, puisque les juges vont faire office

d’intermédiaire entre la normalisation d’un côté, les acteurs et les citoyens de l’autre.

Néanmoins, d’autres sources d’avantages économiques et sociales vont intervenir quant au déploiement et

à l’extension du développement durable par le concours de nouveaux acteurs, qui combinant leurs actions

avec celles des institutions publiques nationales et des organisations internationales vont faire avancer la

notion.

CHAPITRE 3 : LES PRINCIPAUX ACTEURS AU CŒUR DU DEVELOPPEMENT

DURABLE

La diversité des sources du droit du développement durable découle de la diversité des acteurs qui

interviennent en la matière, effectivement nombreux et divers, qu’ils soient institutionnels tant au niveau

international, régional, national ou local ; ou bien encore provenant des phénomènes de société

promouvant le développement d’une conscience populaire commune pour l’environnement engendrant

des modifications dans les modes de consommation et le comportement des individus par les associations,

organisations non-gouvernementales, ou encore, et même au cœur du développement durable, les

entreprises.

SECTION 1 : LES INSTITUTIONS TRADITIONNELLES EN MATIERE DE NORMALISATION

Les institutions dites traditionnelles, qui travaillent à la protection et à l’application de la réglementation et des

objectifs en matière de développement durable, sont majoritairement des organisations issues de l’initiative des

gouvernements nationaux tant à l’international ou des communautés régionales interétatiques ; qu’à l’échelle

nationale avec l’Etat et les collectivités publiques, aidées par des autorités administratives spécialisées dans des

domaines rattachés aux desseins du développement durable et de la protection de l’environnement.

Paragraphe 1 : Les institutions internationales et régionales

Les institutions et organisations intervenant en matière de développement durable sont variées, avec des

compétences, une emprise et une influence variable sur la scène internationale et les Etats pour les

convaincre, et que ceux-ci s’engagent envers des objectifs mais surtout qu’ils respectent leurs engagements ;

et certaines vont, par voie de conséquence, agir directement pour la protection de l’environnement et le

développement économique durable.

45 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l’environnement, Que sais-je ?, Puf, 10ème édition, 2010, page 20

26

Au niveau international, une organisation se détache particulièrement par son influence sur les Etats,

ainsi que par son action pour le développement durable tant par l’imposant champ d’application de ses

mesures et que leur diversité. Effectivement, l’Organisation des Nations Unies, mise à part d’être

l’organisatrice de la majorité des sommets internationaux pour le développement durable et la rédactrice

de la plupart des conventions internationales comportant les engagements des Etats issues des sommets,

elle agit directement par différents programmes et plans d’action. Parmi les programmes de l’organisation

des nations unies sur le thème du développement durable, on compte le programme des nations unies

pour le développement (PNUD) qui depuis 1965 « aide les pays en développement à élaborer leurs propres

stratégies de développement » et « met en rapport le secteur public et le secteur privé, les conseils de

politique et les ressources de programmes » dans le dessein d’aider les Etats à éliminer la pauvreté ; à

promouvoir l’équité et l’égalité homme/femme ; ainsi qu’à la protection de l’environnement. Cette

organisation spéciale des nations unies agit dans le cadre du développement durable en parallèle et en

accompagnement d’autres organisations telles que « la FAO (Organisation des Nations unies pour

l'alimentation et l'agriculture), l'ONUDI (Organisation des Nations unies pour le développement

industriel), l'OIT (Organisation internationale du travail), l'Unesco (Organisation des Nations unies pour

l'éducation, la science et la culture) ainsi que […] la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le

commerce et le développement) »46. La plus célèbre est probablement l’organisation des nations unies pour

l’éducation, la science et la culture dite de l’Unesco, et notamment la stratégie globale pour une liste du

patrimoine mondial « équilibrée, représentative, et crédible » visant à « assurer que la liste reflète bien la

diversité culturelle et naturelle des biens de valeur universelle exceptionnelle […] Dépassant le cadre étroit

des définitions du patrimoine, cette nouvelle vision veut reconnaître et protéger les sites qui sont des

preuves exceptionnelles de la coexistence de l’être humain et de la terre, des interactions entre les êtres

humains, de la coexistence culturelle, de la spiritualité et de l’expression créatrice »47. Dans le cadre de ses

organisations spécialisées, l’organisation des nations unies agit pour le développement durable, tout aussi

bien pour la protection de l’environnement que sur le volet économique en aidant pour un développement

économique durable, tant dans le domaine des investissements, de l’industrie, du commerce, etc ; en

passant par l’éducation, la culture et la promotion de la paix dans le monde. Au surplus, l’Unesco « est

connue pour être l’organisation « intellectuelle » des Nations Unies » qui, outre de travailler au quotidien pour

le développement durable depuis 1945 auprès des acteurs économiques et étatiques, fait la promotion

d’une évolution sociétale intégrant le développement durable dans l’éducation puisque « L'Éducation au

développement durable permet à chacun d'acquérir les connaissances, les compétences, les attitudes et les

valeurs nécessaires pour bâtir un avenir durable »48 à partir de générations futures qui l’intégreront dans

leur mode de vie.

Au niveau régional, les différentes organisations régionales vont agir chacune suivant leurs propres

compétences et objectifs, mais toutes tendent vers les mêmes desseins qui sont essentiellement

l’instauration de la paix par le développement économique, la protection de l’environnement et des

ressources par une économie verte, durable et respectueuse des ressources et de l’environnement puisque :

46 La documentation française, « Les organisations internationales de développement », disponible sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/banque-mondiale-fmi/organisations.shtml 47 Organisation des nations unies, Unesco centre du patrimoine mondial, « Stratégie globale », 1992-2015, disponible sur : http://whc.unesco.org/fr/strategieglobale/ 48 UNESCO, « L’éducation au développement durable (EDD) », 2009-2014, disponible sur : http://www.unesco.org/new/fr/education/themes/leading-the-international-agenda/education-for-sustainable-development/

27

« la communauté internationale considère le commerce comme facteur essentiel pour le développement

[…] comprenant, actuellement, non seulement des critères économiques clairement établis

internationalement, mais aussi des critères de caractère non économique, visant le respect de

l’environnement, les améliorations des conditions sociales […] »49. Dans le domaine du développement

durable, l’Union Européenne va, à titre d’illustration et à l’ajout des développements précédents sur la

règlementation, agir en la matière en intégrant les normes environnementales dans la régularisation du

marché comme pour la gestion de l’eau. Par le biais de la Directive-cadre sur l’eau, l’Union Européenne

va contraindre les Etats membres à prendre des mesures pour assurer une meilleure gestion de l’eau,

notamment son article 3 disposant que « les Etats membres veillent à ce que les exigences de la présente directive pour

assurer la réalisation des objectifs environnementaux établis […] soient coordonnées pour l’ensemble du district

hydrographique »50. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) passé entre le gouvernement du

Canada, des Etats-Unis et du Mexique le 17 décembre 1992, va également agir pour le développement

durable par la primauté de certains accords environnementaux sur les accords commerciaux. A titre

d’exemple, les investissements étrangers prévus au chapitre 11 de l’ALENA doivent être conformes aux

mesures environnementales puisque « l’Etat soucieux du respect de l’environnement par les entreprises

étrangères investissant sur son territoire se voyait ainsi reconnaitre le droit d’adopter, de maintenir ou

d’appliquer une mesure qu’il considérait nécessaire pour que les investissements sur son territoire soient

menés de manière conforme à la protection de l’environnement »51. Le processus d’intégration économique

du MERCOSUR dit le marché commun du Sud (mercado comun del sur), où se trouve en outre des

écosystèmes primordiaux de notre planète comme l’Amazonie, est une communauté économique

d’Amérique du Sud qui a été créée le 26 mars 1991 par le traité d’Asuncion qui prend en compte les

problématiques environnementales dans son développement économique. En effet, « les pays membres

se montrent conscients du fait que l’accélération du processus de développement économique de la région

n’est pas possible si l’intégration économique n’est pas accompagnée de l’optimisation des ressources

disponibles et de la préservation de l’environnement sur la base des principes de progressivité, de flexibilité

et d’équilibre » ; et c’est dans cette intention que « selon les chefs d’Etat, les mesures de marché n’étant

pas suffisantes, il est nécessaire que les transactions commerciales incluent le coût environnemental de la

production »52.

Il résulte de ce qui précède, que les organisations internationales et régionales prennent en compte la

variable du développement durable dans leur processus d’intégration économique et dans les programmes

d’action à l’échelle mondiale que ce soit pour l’aspect développement économique ou pour le volet visant

la protection de l’environnement et des ressources ; des mesures qui vont être complétées et améliorées

par l’action des institutions traditionnelles nationales et locales.

49 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 325 50 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 337 51 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 361 ; Voir art. 1114 de l’ALENA. 52 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 392-393

28

Paragraphe 2 : Les institutions nationales et locales

Bien que le développement durable soit pris en compte au niveau international, les mesures des

programmes d’action pour le développement économique et la prise en compte de l’environnement ne

seraient pas véritablement efficaces sans la prise en compte de la notion par les Etats qui tirent les

conséquences des sommets internationaux et vont en faire l’application à l’échelle du territoire sur lequel

ils sont souverains. Il va y avoir une intervention au niveau national mise en place par le gouvernement

avec le concours du Parlement et la création d’autorités spécialisées ; mais également une délégation en la

matière de l’Etat aux collectivités locales.

Au niveau national, mise à part l’intervention du gouvernement et du Parlement qui vont prendre la

réglementation nécessaire en la matière et faire appliquer les normes de droit par des actes d’application,

d’autres entités institutionnelles vont être créées pour être compétente dans certaines matières, certains

volets, du droit au développement durable ; et notamment aider à l’application des normes, favoriser la

discussion entre les différents acteurs concernés et contrôler l’application de ces mêmes normes. Les Etats

ont recours à des entités administratives indépendantes, dites aussi autorités de régulation

indépendantes qui vont réguler un secteur du marché par la prise en compte de la protection de

l’environnement ; certaines de ces autorités sont compétentes à l’échelle des communautés régionales

d’intégration économique à l’image de l’autorité de la concurrence pour l’Union Européenne. Ces entités

publiques disposent des pouvoirs administratifs traditionnels pour remplir leurs objectifs, « elles emploient

des méthodes de gestion quotidienne des marchés qui supposent une concertation avec le secteur régulé

et édictent des recommandations susceptibles d’orienter les comportements »53. Dans ce sens, par une

connaissance particulière des secteurs qu’elles représentent, elles vont pouvoir concilier les besoins du

marché avec l’intervention des puissances publiques en matière de développement durable et « adapter le

cadre juridique à l’évolution technique et concurrentielle » du secteur ; ceci permettant de concilier

« l’introduction de la concurrence sur les marchés avec le respect d’autres impératifs d’intérêt général […]

la protection de l’environnement étant une composante de l’intérêt général ». A titre d’exemple, la

Commission de régulation de l’énergie (CRE), instituée par la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à

la modernisation et au développement du service public de l’électricité54, va émettre des avis sur la

réglementation du secteur du marché qu’elle régule, sur le modèle de l’avis négatif du 29 juin 2006 émis

sur le tarif de rachat des énergies renouvelables proposé par le gouvernement, concluant qu’il est « très

supérieurs à la somme des coûts et externalités environnementales évités », autrement dit la commission

va évaluer à la demande du gouvernement les conséquences potentielles d’une réglementation

environnementale sur le secteur. Toujours pour illustrer, une autorité environnementale a été mises en

place en 2009 dont le rôle est « expertiser, évaluer, pour le compte du ministère, les études réalisées avant

l’installation des grandes infrastructures nationales et de donner un avis »55, et ceci, vis-à-vis de la

règlementation en vigueur en matière de protection environnementale. Ces acteurs qualifiables

d’intermédiaire vont permettre de faire la liaison entre les normes prises ou en cours de proposition par

l’Etat et la réalité du secteur, notamment l’impact sur le marché qu’il soit positif ou négatif, mais également

53 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 450 54 J.O.R.F, 11 février 2000, n°35, p. 2143 55 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l’environnement, Que sais-je ?, Puf, 10ème édition, 2010, page 14

29

d’ouvrir la discussion avec les entreprises et autres acteurs directement visés par l’impact des mesures sur

le marché pour les intégrer et les sensibiliser au concept du développement durable.

Au niveau local, ce sont les collectivités publiques qui vont prendre le relai de l’application de la

réglementation du droit au développement durable à différente échelle de la déconcentration qui participer

à une application plus locale et adapter au territoire que la norme nationale qui est de portée générale et

qui ne convient pas nécessairement à la totalité de la nation et à ses paysages diversifiés. Au sujet de la

protection de l’environnement, notamment la biodiversité en ce qui concerne l’identification des réseaux

écologiques d’une part, et permettre un aménagement du territoire différencié en fonction du territoire dit

« le respect des connectivités écologiques identifiées » d’autre part, c’est la région qui est chargée d’établir

les schémas régionaux de cette cohérence écologique. En effet, pour une meilleure considération de la

particularité du territoire auquel on applique la norme, l’article L371-3 du Code de l’environnement dispose

que « le schéma régional de cohérence écologique sera élaboré, mis à jour et suivi conjointement par la

région et l’Etat, en association avec un comité régional « trames verte et bleue » créé dans chaque

région […] le projet sera préalablement transmis aux communes concernées et soumis pour avis aux

départements, aux communautés de communes, aux parcs naturels régionaux et aux parcs naturels situés

en tout ou partie dans le périmètre du schéma »56. Dans ce sens, les communautés de communes et

d’agglomération sont compétences sur certaines modalités de l’axe de réduction de l’émission de gaz à

effet de serre dans les transports prévu dans la loi Grenelle 2. En effet, elles sont compétentes, parmi

d’autres compétence, en matière de vélos en libre-service puisque l’article 51 de la loi Grenelle 2 prévoit

un article L. 5214-16-2 au Code général des collectivités territoriales qui dispose que « la communauté de

communes, lorsqu’elle exerce au moins l’une des trois compétences suivantes : protection et mise en valeur

de l’environnement […] ; politique du logement et du cadre de vie ; construction […] ; ou lorsqu’elle est

en charge de l’organisation des transports publics de personnes, peut organiser un service de mise à

disposition de bicyclettes en libre-service ». Toujours dans la même intention, sur la préservation de la

ressource en eau et notamment les modalités de la distribution en eau qui doit être irréprochable puisqu’il

en va de la santé publique « les communes sont compétentes en matière d’assainissement des eaux usées

et effectuent à ce titre le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, la collecte, le transport

et l’épuration des eaux usées »57. Il ressort de ce qui précède une véritable volonté d’adapter la règle de

droit du développement durable au territoire pour une optimisation de la protection de l’environnement

et des individus vis-à-vis de leur cadre de vie. Une large échelle d’intervention institutionnelle qui va être

complétée, voir éclairée, par un autre point de vue apporter par des acteurs du développement durable

moins conventionnels.

SECTIONS 2 : DES ACTEURS MOINS CONVENTIONNELS

Outre les institutions classiques, quelle que soit l’échelle, issues de l’action étatique pour le développement

durable, d’autres acteurs bien moins conventionnels vont intervenir en faveur d’un développement

économique durable et respectueux des ressources et de l’environnement. Ces acteurs vont avoir l’avantage

d’être au cœur de la société civile et d’établir ce lien direct entre les normes et les objectifs des institutions

conventionnelles, et leur application concrète dans la société par leur influence sur les individus ; et

56 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso

éditions, 2012, page 81 57 F. CARRE, L’essentiel du développement durable, la loi Grenelle 2 et le verdissement des politiques publiques, Les carrés, Gualino, Lextenso éditions, 2012, page 95

30

inversement, puisque l’opinion publique en matière de développement durable va pouvoir influencer le

comportement de ces acteurs.

Paragraphe 1 : La consultation d’organisations engagées

Depuis le célèbre « Sommet de la Terre » de 1992 à Rio, les personnages participant aux grandes discussions

et débats de la scène internationale ont changé, puisque d’abord réservés aux chefs de gouvernement ou

autres représentants ; les organisations non-gouvernementales, les associations ou autres groupes engagés,

et les entreprises y tiennent dorénavant une place, sinon dominante, au moins importante. En effet, « cette

conférence est symbolique aussi de l’entrée en force des nouveaux acteurs de la mondialisation, entreprises

et ONG, sur la scène internationale […] à Rio, les mouvements écologiques tiennent le haut du pavé […]

s’arcboutant sur la question du réchauffement climatique et des gaz à effet de serre, ils en font un des

sujets de discussion principaux des négociations, suscitant des grincements de dents au sein des pays en

développement »58. La conférence de Rio a également conduit à l’adoption, outre de la Déclaration de Rio

fixant les grandes lignes d’action, également programme d’action de l’Agenda 21 qui consacre

intégralement un chapitre à la détermination du rôle fondamental des organisations non-

gouvernementales, ce chapitre 27 étant intitulé « Renforcement du rôle des organisations non-

gouvernementales : partenaires pour un développement durable ». Dans cette intention, l’article 27.1

du programme de l’Agenda 21 dispose que « les ONG jouent un rôle vital pour ce qui est de modeler et d'appliquer

la démocratie participative. Leur crédibilité réside dans le rôle judicieux et constructif qu'elles jouent dans la société. Les

organisations officieuses ou officielles de même que les mouvements au niveau des communautés devraient être reconnus comme

partenaires dans l'exécution d'Action 21. La nature du rôle indépendant joué par les ONG dans la société exige une

participation réelle; c'est pourquoi l'indépendance est une qualité majeure de ces organisations et l'une des conditions d'une

participation effective », reconnaissant la place prépondérante de ces organisations dans la société. A l’appui

de cette première disposition, le programme prévoit également des mécanismes leur permettant d’agir,

notamment sous l’angle de l’article 27.5 qui dispose que « la société, les gouvernements et les organismes

internationaux devraient mettre au point des mécanismes permettant aux organisations non gouvernementales de jouer

effectivement leur rôle de partenaires responsables dans la mise en œuvre d'un développement écologiquement rationnel et

durable » ; ainsi que l’article 27.6, « Afin de renforcer le rôle des ONG en tant que partenaires sociaux, le système des

Nations Unies et les gouvernements devraient, en consultation avec ces organisations, entamer un processus visant à passer en

revue les procédures et mécanismes officiels relatifs à la participation de ces organisations à tous les niveaux, de l'élaboration

des politiques et des décisions à leur application ». En outre, certaines de ces organisations sont particulièrement

reconnues et ne cesse de s’amplifier, leur permettant d’accroître leur influence et leurs domaines de

compétences. Parmi ces organisations, « Greenpeace » connait un grand succès agissant dans le monde

entier sur des thèmes divers s’articulant autour de la protection de l’environnement. Greenpeace repose

sur des valeurs importantes, notamment son indépendance politique et financière, pour agir sans violence

sur des enjeux internationaux en jouant sur les rapports de force entre les décisionnaires et l’opinion

publique. L’organisation va agir suivant différentes méthodes, notamment par des enquêtes préalables sur

les thèmes qui la concernent, par des propositions et concertations avec les autres acteurs, par l’information

du public et les pressions par la mobilisation citoyenne permettant des confrontations non violentes et

médiatisées, ainsi que par des actions en justice ; ceci dans le dessein de lutter contre des «problèmes

globaux qui menacent l'environnement au sens large et qui constituent des enjeux planétaires :

changements climatiques, efficacité et sobriété énergétique, prolifération nucléaire, dégradation de la

58 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 46

31

biodiversité dans les océans et les forêts, pollutions génétiques, dissémination des produits toxiques … »59.

Dans ce sens, l’organisation WWF (World Wild Fund), la célèbre organisation à l’emblème du panda est

un fonds mondial pour la nature et la protection de l’environnement, « adepte d'une action fondée sur le

dialogue et le respect de l'autre, le WWF œuvre au quotidien pour construire un avenir où l'Homme vit en

harmonie avec la nature ». Cette organisation jouit d’une importante renommée autour du globe et va

notamment agir pour la protection des espèces, la conservation et la protection des écosystèmes, la

réduction de l’empreinte énergétique, et va aider à la transition énergétique. Mais l’ensemble de ces actions

s’inscrivent dans un système global puisque, à titre d’illustration « si l'on veut sauver l'ours polaire, préserver

la banquise est essentiel, ce qui implique de lutter contre le réchauffement climatique et donc de repenser

tous nos modes de consommation, de production et de déplacement »60, c’est-à-dire que dans ses objectifs

de protection de l’environnement, l’organisation va intervenir également sur des volets généraux et

notamment économique qui vont permettre de réaliser les objectifs environnementaux. En outre, la

première étape du Grenelle de l’environnement en France du 15 juillet au 25 septembre 2007 constituait

une phase de dialogue et d’élaboration des propositions d’action pour le développement durable, une phase

de concertation à laquelle l’Etat et les collectivités territoriales ont travaillé avec les ONG, les syndicats et

les entreprises ; chaque acteurs étant importants du fait de son rôle dans la société civile pour l’intervention

en faveur du développement durable61.

Paragraphe 2 : Le rôle des entreprises dans le développement durable

Les entreprises, c’est-à-dire « les unités économiques qui impliquent la mise en œuvre de moyens humains

et matériels de production ou de distribution des richesses reposant sur une organisation préétablie »62,

sont au cœur de l’action du développement durable du fait de leur position stratégique à cheval, sur le

marché et liée par la réglementation nationales et supranationales régulant ce marché, ainsi qu’envers les

citoyens travailleurs ou consommateurs de leurs biens ou services. C’est « un ensemble organisé de

personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui

poursuit un objectif propre »63, un objectif qui selon le Prix Nobel d’économie Milton Friedman est

« d’accroître ses profits ». Alors que certains juristes pensent que « plus qu’un non-sens, parler d’entreprise

citoyenne constitue un détournement de langage »64 puisque le seul objectif de l’entreprise constitue le

profit ; le Secrétaire général de l’ONU, à l’inverse, lors du sommet de Johannesburg de 2002 ne conçoit

pas le développement durable sans les entreprises : « c’est seulement en mobilisant le secteur privé que

nous ferons des progrès significatifs. (Ce) sommet est une occasion historique pour fédérer les règles des

entreprises et du développement durable (dans la mesure où) les problèmes environnementaux et sociaux

ne peuvent être résolus qu’en mobilisant les entreprises privées, les gouvernements (ne pouvant) agir

59 Greenpeace, découvrir, « Valeurs et méthodes », 2011, disponible sur : http://www.greenpeace.org/france/fr/connaitre-greenpeace/valeurs/ 60 WWF « Vivre en harmonie avec la nature », nos missions, « Les missions du WWF », disponible sur : http://www.wwf.fr/nos_priorites/ 61 Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, « La genèse du Grenelle de l’environnement », 28 décembre 2012 (mis à jour le 24 janvier 2013), disponible sur : http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-genese-du-Grenelle-de-l.html 62 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015 63 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015 64 M. Le Friant et A. Jeammaud, Le droit du travail, vecteur de citoyenneté, Entre métaphore (française) et droit positif, in Travail et citoyenneté : quel avenir ?, Coutu M. et Murray G (eds.), Presses Université de Laval, 2010, page 109

32

seuls »65. Une place fondamentale de l’entreprise que les ONG ont bien compris puisque, à titre

d’illustration, l’organisation WWF dont il été préalablement question dans le développement précédent a

établi un véritable plan d’action visant uniquement à engager les entreprises dans le développement durable

puisque l’entreprise constitue un puissant levier de changement du marché alors même que « sans en avoir

toujours pleinement conscience, beaucoup d'entreprises dépendent des ressources que fournissent les

écosystèmes et plus largement, des services écologiques offerts par la nature »66. Il parait incontestable que

l’entreprise est au cœur des enjeux environnementaux et qu’elle a un rôle important à jouer en matière de

développement durable, dans ce sens l’organisation cherche à les mobiliser en faisant le choix de « ne pas

seulement dénoncer les préjudices causés à l'environnement par certaines entreprises, mais aussi, de les

aider à faire évoluer leurs pratiques, d’encourager le changement et enfin, de construire avec elles des

solutions innovantes dans le but de réduire leur empreinte écologique ». Et ceci en utilisant des instruments

différents, notamment la coopération internationale pour trouver ensemble des solutions ; les produits dits

« produits partage » qui sont des produits ou services aux couleurs du panda dont une partie du prix de

vente est reversée au WWF pour soutenir ses actions et sensibiliser ainsi les consommateurs à la protection

de l’environnement ; ainsi que le mécénat, « il traduit l’engagement des entreprises à soutenir

financièrement une œuvre ou un organisme d’intérêt général, et permet une réduction de l'impôt sur les

sociétés à hauteur de 60% du montant du don consenti ». Un partenariat des entreprises avec les ONG ou

des associations qui permet de les inciter à la prise en compte du développement durable sur le marché, et

qui dans un sens permet également à l’entreprise de substituer le capital versé aux ONG et les démarches

engagées, au capital naturel qu’elle a utilisé pour en quelque sorte s’amnistier de son impact sur

l’environnement. L’entreprise est une sphère d’influence privée très importantes que ce soit sur les modes

de production vis-à-vis de ses fournisseurs ou que ce soit dans les modes de consommation envers les

consommateurs, à ce titre elle tient un rôle primordial en matière de développement durable qui va être à

la fois une source de contrainte pour sa structure.

TITRE 2 : L’ESSOR JURIDIQUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE COMME

UNE SOURCE DE RISQUES SUPPLEMENTAIRES ET DE COMPLEXITE

POUR L’ENTREPRISE ?

L’abondance de réglementation en matière de développement durable permet d’intégrer plus efficacement

les objectifs environnementaux et sociaux que le concept vise mais implique des conséquences sur les

destinataires de ces normes, principalement les entreprises, que ce soit sur l’élargissement de leur

responsabilité à l’égard de l’environnement et des individus qui a impact sur le patrimoine et la gestion de

l’entreprise ; que la source de complexité qu’elle représente pour l’entreprise la conduisant à une

restructuration complète de son fonctionnement et de l’exercice de son activité par la prise en compte de

nouveaux facteurs.

CHAPITRE 1 : UN ELARGISSEMENT DES RISQUES

La notion de responsabilité est renforcée en matière de responsabilité relative à l’application des normes

du droit du développement durable puisque l’entreprise peut engager sa responsabilité, que celle-ci ait

65 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 16 66 WWF « Vivre en harmonie avec la nature », Nos modes d’action, « Engager les entreprises », disponible sur : http://www.wwf.fr/nos_modes_d_action/engager_les_entreprises/

33

commis une faute ou non puisque le simple risque suffit ; et que la responsabilité en la matière connait des

régimes spéciaux, non seulement par la reconnaissance d’une responsabilité du fait d’autrui atypique mais

également par une ouverture particulièrement étendue des titulaires de l’action en réparation.

SECTION 1 : UNE FAUTE RENFORCEE

La définition de la responsabilité en droit du développement durable n’est pas cantonnée à la définition

classique du régime général du droit civile puisqu’ici l’entreprise n’engage pas seulement sa responsabilité

envers une victime potentielle mais envers le patrimoine commun à toute l’humanité auquel elle doit

réparation en cas d’atteinte ; non seulement en cas de dommages mais également en cas de risque, que

celui-ci soit certain ou incertain.

Paragraphe 1 : Une notion de responsabilité étendue

« La mer constitue l’héritage commun de toute l’humanité, et il est donc de l’intérêt général de déterminer

nettement le droit de la mer et de faire en sorte que celui-ci réglemente équitablement les divers intérêts

en jeu et assure la conservation de cet héritage pour le bien de tous »67, tel étaient les propos du Président

de la Conférence de Genève sur le droit de la mer, Wan Waithayakorn de Thaïlande qui donna naissance

à la notion de « patrimoine commun de l’humanité » en 1958. Une notion largement reprise par un

juriste, A. Kiss, qui a formalisé le concept dans ses cours pour l’académie de la Haye en 1982 ainsi que

dans ses ouvrages (Los principios generales des derecho del medio ambiente, 1975)68 ; qui a inspiré l’ONU

dans la rédaction de la Convention sur le droit de la mer qui va le consacrer. L’idée du principe de

patrimoine commun de l’humanité veut que certains espaces ou biens soient « insusceptibles

d’appropriation parce que considérés comme appartenant à l’humanité toute entière »69 justifiant ainsi

l’internationalisation de ces espaces à l’image des corps célestes comme la Lune ; de certains fonds marins

au-delà du plateau continental de chaque état côtier ; ainsi que des sites culturels et naturels inscrit au

programme de patrimoine commun de l’UNESCO comme « dotés d’une valeur universelle exceptionnelle

qui nécessite leur préservation en tant qu’élément du patrimoine mondial de l’humanité »70. C’est sur cette

idée de patrimoine commun de l’humanité que se fonde la responsabilité en droit du développement

durable puisque la responsabilité résulte de l’obligation de réparer le préjudice résultant soit de

l’inexécution d’un contrat, soit de la violation au devoir général de ne causer aucun dommage à autrui par

son fait personnel, ou du fait des choses dont on a la garde, ou du fait des personnes dont on répond.

Dans ce sens, il pèse une obligation de réparation à celui, en l’espèce, les entreprises qui causerait un

dommage à ce patrimoine commun appartenant à l’humanité, c’est-à-dire si une personne morale ou

physique porte atteinte à certains biens ou espaces du monde inscrit dans le patrimoine de la totalité êtres

humains. Il est observable que ce concept de patrimoine commun est lié à la notion d’intérêt général pour

pouvoir déterminer ce qui peut faire partie de ce patrimoine de la communauté, autrement dit des mesures

conservatoires pour garantir la préservation des intérêts communs de l’humanité, notamment celui des

générations futures.

67 Conférence de Genève sur le droit de la mer, Première séance plénière, 24 février 1958, procès-verbaux, p. 3, paragraphe 37 68 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, p. 1 69 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015 70 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015

34

Au final, l’entreprise est « responsable de quoi et jusqu’où ? Par rapport à qui ? Comment ?71 ». Alors que

pour M. Friedman, l’entreprise « n’est responsable que devant ses actionnaires, puisque son rôle est de

maximiser son profit dans l’intérêt de ses derniers »72 ; le point de vue du droit du développement durable

est tout autre puisqu’il considère que l’entreprise est responsable à l’égard de l’intérêt général ou du bien

commun avec une « représentation de l’entreprise encastrée dans la société et soumise aux exigences de la

collectivité, représentée par l’Etat ». Il convient ensuite de déterminer de quoi l’entreprise est réellement

responsable, une notion qui dépend, particulièrement variable du fait de la difficulté d’interprétation

globale des activités de l’entreprise, à l’image de la détermination de ce qui est bien ou mal, une

interprétation subjective qui dépend de la personne interrogée et ses valeurs personnelles. L’étendue de la

responsabilité peut varier « selon les époques, selon les attentes et les forces de pression à l’œuvre dans les

sociétés civiles et la réponse peut également être différente selon les catégories d’individus concernés »73.

Au final, la responsabilité de l’entreprise est aussi large en raison du fait qu’il n’y a pas de cadre juridique

réel la délimitant et quelle s’étend autant que le débat est soumis à une interprétation subjective, à l’image

des propos d’Anna Arendt « si tous sont responsables, personne ne l’est ». Au surplus, mise à part la

difficulté de délimiter le cadre des actes, ou omissions d’ailleurs, qui rentrent dans le champ d’application

de la responsabilité, la seconde difficulté est de déterminer l’auteur responsable. En effet l’entreprise est

une personne morale, « une unité composée d’un nombre plus ou moins important d’individus liés entre

eux par des rapports d’autorités, d’influence et d’interdépendance ». De manière fortuite, la responsabilité

sociale de l’entreprise est par principe assimilée à la responsabilité individuelle du dirigeant de l’entreprise

alors même qu’il est communément admis, à la suite des travaux de Crozier et Friedberg sur les théories

des organisations que l’entreprise est un « lieu de pouvoir et d’intérêts antagonistes, son comportement

(ne pouvant être) réduit à un comportement individuel […] (puisque pour) attribuer à une personne précise

la responsabilité d’un acte particulier […] il faut en effet jouir des capacités volitives et cognitives qui sont

discutables dans le cadre d’une organisation »74. Autrement dit, il est particulièrement difficile d’imputer la

responsabilité de l’impact de l’entreprise dans son intégralité sur l’environnement et le développement

durable, au seul dirigeant de l’entreprise puisque la « personne morale » qu’est l’entreprise ne peut pas être

assimilée à la seule personne physique de son dirigeant. En outre, celui-ci va être tenté de répartir ce risque

dans les rapports internes de l’entreprise dans le dessein de s’exonérer de toute ou partie de la responsabilité

qui lui incombe. Une technique de délégation de pouvoir « fréquemment utilisée pour diffuser les risques

au sein de l’organigramme et tenter d’exonérer les plus hauts dirigeants d’une possible responsabilité

(notamment) en matière d’hygiène et de sécurité du travail et en matière d’environnement »75. Une

répartition des risques particulièrement dangereuse si elle n’est pas correctement encadré puisque dans les

rapports salariaux, il pourrait être aisé pour le dirigeant de transférer sa responsabilité sur ses salariés sans

leur donner les moyens et les pouvoirs d’agir au sein de l’entreprise pour éviter de se voir imputé un fait

dommageable, c’est-à-dire être responsable alors que le salarié ne peut rien faire contre la politique de

71 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 24 72 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte,

2010, page 24 73 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 26 74 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 21 75 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013, page 49-50

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l’entreprise. Dans ce sens, « les tribunaux décident que pour être prise en compte et produire son effet

exonératoire, la délégation doit être précise et réalisée au profit d’une personne ayant le pouvoir, l’autorité

et les moyens, notamment matériels, de l’exercer »76.

Paragraphe 2 : Le déplacement de la notion de responsabilité

En matière de droit du développement durable, la responsabilité est particulièrement étendue puisque si à

l’origine elle implique l’imputation d’un acte généralement dommageable à une personne, en l’espèce

en revanche, le terme a pris un sens « philosophique » responsabilisant les entreprises sur les risques

potentiels. En effet, la responsabilité des entreprises est ici détachée du domaine de la faute et devient

« synonyme d’obligation ou d’engagement » et consiste donc « à agir de façon que les actions ne soient pas

destructrices pour les possibilités de vie futures sur terre ». Dans ce sens, ce n’est plus l’acte en lui-même

qui est imputable à l’entreprise et engage sa responsabilité, mais l’action en devient une simple modalité

c’est-à-dire que l’entreprise est responsable à partir du moment où elle n’agit pas de façon responsable :

« agir de façon responsable signifie réfléchir aux conséquences de ses actes pour soi et surtout pour autrui,

ce qui implique la mise en œuvre d’une vertu de prévoyance »77. En conséquent, la responsabilité de

l’entreprise ne va pas se cantonner à la commission d’un acte dommageable mais est étendue en droit du

développement durable au défaut de prévoyance des risques et dommages potentiels par l’entreprise.

Cette expansion de la responsabilité de l’entreprise peut être mise en avant par un découpage en trois

phases de son évolution : « une première phase pendant laquelle l’accent a été mis sur la responsabilité face

à l’acte », conduisant à la réparation du dommage à la victime ; « une deuxième phase (plus contemporaine)

où la responsabilité est située face au risque, ce qui entraine l’idée de prévention des accidents, des menaces

et des dangers », cette phase s’est construite avec les risques de l’activité industrielle susceptibles de porter

atteinte non seulement à l’environnement mais également aux individus notamment en matière de santé ;

« et, enfin, une troisième phase (en émergence) qui place la responsabilité face à l’exigence de sécurité

traduisant une défiance face aux dangers d’un monde dont l’évolution échappe à la maitrise de l’humanité

et qui conduit à la mise en œuvre du principe de précaution »78. Sur cette dernière phase, non seulement

elle contraint les entreprises à réparer les nuisances et les dommages causés, mais au-delà de cela, également

à prévoir les risques potentiels et des mesures de précaution, pour éviter la réalisation des risques et

dangers. La responsabilité de l’entreprise opère ainsi un glissement, passant de la réparation des dommages

causés à l’obligation de prévention des risques et de précaution par la mise en place de mesures pour éviter

ces risques potentiels. Une obligation de prévention et de précaution qui se traduisent dans l’application

par une obligation de vigilance de la part de l’entreprise sur l’impact qu’elle peut avoir sur les individus79

ou sur l’environnement80 puisque l’ « admission de la faute de vigilance par ces arrêts apparait comme un

exemple caractéristique de l’extension de la notion de faute sous l’influence du principe de précaution »81.

Dans ce sens, le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 8 avril 2011 affirme qu’en vertu des articles

76 Cassation, chambre sociale, 21 novembre 2000, Bull. civ. V, n°384 77 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 21 78 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 21 79 Voir Cour de cassation, chambre civile 1, Audience publique du mardi 7 mars 2006, N° de pourvoi : 04-16179 80 Voir Cour de cassation, troisième chambre civile, Audience publique du mercredi 3 mars 2010, N° de pourvoi : 08-19108 81 G. VINEY, « Principe de précaution et responsabilité civile des personnes privées », D.2007.1542

36

1er et 2nd de la Charte de l’environnement « le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles

s’imposent non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs

mais également à l’ensemble des personnes ; qu’il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance

à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité »82, si l’obligation vise toute personne,

elle vise irréfragablement les activités des entreprises.

Au surplus de ce glissement de la responsabilité vers une obligation de vigilance de la part des entreprises,

une mutation se fait également par le langage utilisé notamment par la substitution du terme « accountability »

au terme de « responsibility » par les Anglo-Saxons. Une différence entre les deux termes qui n’est pas à

prendre à la légère puisque si la responsabilité implique la réparation et, dorénavant la vigilance ; le terme

« accountability » quant à lui, représentant « l’obligation de s’acquitter d’une tâche et de répondre de son

exécution à un supérieur ou une autorité compétente, avec l’idée implicite de châtiment ou de sanction si

l’individu n’a pas satisfait à cette obligation »83, impliquant l’obligation de rendre des comptes de son

comportement. Ce qui se traduit pour l’entreprise de ne pas seulement être responsable du dommage causé

ou d’un risque, mais d’être redevable impliquant l’idée d’une sanction autre que la réparation. Il y a, en

outre, actuellement un débat sur la scène internationale relatif à la Responsabilité sociale des entreprises

partageant ceux qui veulent que des contraintes s’exercent sur les entreprises, comptant les organisations

non-gouvernementales et les syndicats ; et ceux qui excluent cette possibilité comptant les acteurs du milieu

des affaires.

SECTION 2 : UNE RESPONSABILITE SINGULIERE EN DROIT DU DEVELOPPEMENT

DURABLE

Une responsabilité déjà particulièrement étendue en la matière à laquelle va s’ajouter des régimes

particuliers de responsabilité, que ce soit par le développement d’une responsabilité du fait d’autrui

atypique, c’est à dire le principe de responsabilité environnementale des sociétés mères à l’égard des

groupes de société ; ainsi que l’expansion des titulaires ayant droit à l’action en réparation qui représentent,

tous deux, un risque contentieux amplifié pour l’entreprise est dans ce sens, une contraire supplémentaire.

Paragraphe 1 : Le développement d’une responsabilité du fait d’autrui atypique

L’article L. 512-17 alinéa 1er du Code de l’environnement issu de la loi du 12 juillet 2010 dispose que

« lorsque l’exploitant est une société filiale au sens de l’article L.233-1 du code de commerce84 et qu’une procédure de

liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le ministère public ou le représentant de l’Etat

dans le département peut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l’existence

d’une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à l’insuffisance d’actif de la filiale pour lui demander,

lorsqu’une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures de remise

en état du ou des sites en fin d’activité »85. Autrement dit, l’article précité du code de l’environnement consacre

un nouveau cas de responsabilité de la société mère à l’égard de ses filiales, une nouvelle responsabilité

82 Voir décision du Conseil Constitutionnel, 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC 83 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 22 84 Voir article L.233-1 du Code de commerce qui dispose que : « Lorsqu'une société possède plus de la moitié du capital d'une autre société, la seconde est considérée, pour l'application du présent chapitre, comme filiale de la première » 85 S. BIDAULT, Grenelle 2 : impacts sur les activités économiques, coll. Lamy, Axe droit, 2010, page 163

37

derrière laquelle se cache la volonté de soumettre réellement les entreprises, et notamment les

multinationales à leurs obligations en matière de respect des droits de l’Homme et de l’environnement86.

Une réglementation sur laquelle s’aligne le Code de commerce dans son article L233-5-1, au chapitre relatif

aux filiales, aux participations et aux sociétés contrôlées, disposant que « la décision par laquelle une société qui

possède plus de la moitié du capital d'une autre société au sens de l'article L. 233-1, qui détient une participation au sens de

l'article L. 233-2 ou qui exerce le contrôle sur une société au sens de l'article L. 233-3 s'engage à prendre à sa

charge, en cas de défaillance de la société qui lui est liée, tout ou partie des obligations de

prévention et de réparation qui incombent à cette dernière en application des articles L. 162-1 à L. 162-9 du code

de l'environnement est soumise, selon la forme de la société, à la procédure mentionnée aux articles L. 223-19, L. 225-38,

L. 225-86, L. 226-10 ou L. 227-10 du présent code ». Une responsabilité de la société mère à l’égard des

obligations environnementales de prévention et de réparation de ses filiales qui est particulièrement

singulière puisqu’elle remet en cause des grands principes de la responsabilité et du droit des sociétés.

En effet, bien que d’après l’article R.512-39-1 du Code de l’environnement87 l’exploitant d’une installation

classée doivent remettre son site en l’état en cas de cessation définitive d’activité, il en résulte que

« l’exploitant débiteur de l’obligation de remise en état est celui qui a une maitrise opérationnelle de

l’activité et non un simple contrôle économique » de telle façon que les sociétés mères ne bénéficient pas

de cette qualité et ne seraient donc pas responsable. D’autres part, « l’autonomie juridique des personnes

morales fait obstacle à ce que la société mère soit tenues des obligations de sa filiale défaillante »88, ce

principe voulant que des entreprises même faisant partie d’un même groupe restent indépendantes les unes

des autres. Ces deux principes vont être contournés pour permettre l’application de la responsabilité de la

société à l’égard de ses filiales pour les obligations environnementales. Ces deux principes vont être

contournés pour pouvoir mettre en œuvre ce régime de responsabilité singulier, notamment « deux moyens

permettaient de contourner cet obstacle, rappelés par la Cour de cassation dans l’affaire Metaleurop89 […]

le premier permet d’étendre la procédure collective à l’associé en cas de confusion de patrimoine […]

le deuxième est l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre du dirigeant de fait ou

de droit qui par sa faute de gestion a contribué à cette insuffisance »90. Ici, la faute « doit avoir simplement

contribuée à l’insuffisance d’actif de la filiale, sans d’ailleurs qu’un lien direct soit établi par le texte avec

l’obligation de remise en état »91 ; et l’insuffisance d’actif constitue en lui-même le dommage et le lien de

causalité avec la faute pour établir la responsabilité, cette insuffisance ne pouvant qu’une simple

disproportion entre le passif et l’actif justifiant l’intervention financière du dirigeant répréhensible. Ainsi,

il résulte de cette responsabilité qu’elle met à la charge de la société mère, non pas simplement la différence

86 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 83 87 Voir article R. 512-39-1 du Code de l’environnement qui dispose que : « Lorsqu'une installation classée soumise à autorisation est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant notifie au préfet la date de cet arrêt trois mois au moins avant celui-ci. Ce délai est porté à six mois dans le cas des installations visées à l'article R. 512-35. Il est donné récépissé sans frais de cette notification ; II. La notification prévue au I indique les mesures prises ou prévues pour assurer, dès l'arrêt de l'exploitation, la mise en sécurité du site » 88 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 130

89 Voir affaire Metaleurop, Cour de cassation, chambre commerciale, Audience publique du mardi 19 avril 2005, N° de pourvoi : 05-10094 90 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 130 91 S. BIDAULT, Grenelle 2 : impacts sur les activités économiques, coll. Lamy, Axe droit, 2010, page 166

38

sur l’insuffisance d’actif, mais bien la totalité de la remise en état du site endommagé par sa filiale, c’est-à-

dire l’intégralité de la charge financière du dommage causé à l’environnement malgré l’absence de lien

causal direct entre la société mère et le dommage, le seul lien entre les deux étant l’insuffisance d’actif de

la filiale. Cette « nouvelle » responsabilité de la société mère vis-à-vis de la remise en état des sites de ses

filiales est ainsi singulière, contournant de grands principes du droit des sociétés pour trouver à s’appliquer,

mais qui octroie une plus grande garantie de remise en état des sites et une meilleure considération des

objectifs environnementaux par les multinationales.

Paragraphe 2 : L’ouverture accrue de l’action en réparation

La multiplication de la réglementation en matière de développement durable, par des sources et dans des

domaines particulièrement variés, permet un accroissement considérable de l’ouverture des droits à

réparation en matière d’actions individuelles dans des domaines aussi vastes que ceux couverts par le

développement durable, ou plus loin notamment à titre d’illustration lorsque la Cour européenne des droits

de l’Homme va protéger des droits par ricochet des droits qu’elle garantit déjà dans la convention et ses

protocoles annexés. Le contentieux du droit du développement durable ouvre le droit à réparation aux

individus que ce soit en matière de droit du travail où le développement durable tente de réorganiser les

relations de travail, en matière de santé publique où une installation d’une entreprise peut causer un

dommage à un individu, que ce soit des nuisances ou des atteintes physiques. Une ouverture du droit à

réparation d’autant plus amplifié que « dans nos sociétés contemporaines, les individus n’hésitent plus à

faire appel au juge pour obtenir satisfaction de leurs revendications les plus diverses […] et il va de soi,

d’autre part, que la logique du développement durable ici à l’œuvre favorise une augmentation du nombre

de personnes susceptibles de se plaindre d’une telle violation : clients, fournisseurs, concurrents, voisins,

collectivités locales, associations de défense des droits de l’Homme ou de l’environnement … et bien sûr,

salariés eux-mêmes »92.

A propos des associations précisément, le rôle en matière de contentieux du développement durable a

largement évolué puisqu’elles sont dorénavant aux premières loges de la protection des individus et des

intérêts qu’elles défendent, notamment pour la protection de l’environnement. Les associations ont, d’une

part, renforcer leur action préventive par le rôle consultatif et participatif qu’elles tiennent dans

l’élaboration des décisions relative au développement durable consacré par les articles 1er et 49 de la loi

Grenelle 1, et repris par la loi Grenelle 2 dans son article 249 codifié à l’article L141-3 du Code de

l’environnement disposant que « Peuvent être désignés pour prendre part au débat sur l'environnement qui se déroule

dans le cadre des instances consultatives ayant vocation à examiner les politiques d'environnement et de développement durable,

sans préjudice des dispositions spécifiques au Conseil économique, social et environnemental : les associations œuvrant

exclusivement pour la protection de l'environnement ; les associations regroupant les usagers de la nature ou les associations et

organismes chargés par le législateur d'une mission de service public de gestion des ressources piscicoles, faunistiques, floristiques

et de protection des milieux naturels ; les associations œuvrant pour l'éducation à l'environnement ; les fondations reconnues

d'utilité publique ayant pour objet principal la protection de l'environnement ou l'éducation à l'environnement ». Autrement

dit, l’avis des associations agrées est sollicité dans des matières diverses s’articulant autour des intérêts

qu’elles défendent en matière environnementale ou sociétale pour, à titre d’illustration, établir le plan local

d’urbanisme, déterminer les stratégies d’installation lumineuse dans les villes, le plan de gestion des déchets

92 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche

juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 293

39

issus du bâtiment et des travaux publics, et autres. D’autres parts, en cas d’atteintes aux intérêts collectifs

qu’elles représentent, les associations ont un rôle contentieux leur ouvrant droit à certains recours. En

effet, au-delà de leur rôle consultatif, les associations peuvent exercer une action civile devant le juge pénal

(bien entendu si les faits d’espèce sont constitutifs d’une infraction pénale) sous l’angle de l’article L.142-

2 du Code de l’environnement qui dispose que « les associations agréées mentionnées à l'article L. 141-2 peuvent

exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts

collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection

de la nature et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et

paysages, à l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la

radioprotection, les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques

et publicités comportent des indications environnementales ainsi qu'aux textes pris pour leur application »93. Dans le cas

d’un préjudice écologique, ou lorsque les faits ne sont pas constitutifs d’infraction pénale, la Cour de

cassation admet la recevabilité de l’action d’une association de protection de l’environnement devant le

juge civil94 : « l'habilitation donnée par la loi aux fédérations départementales de chasseurs pour exercer les

droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux

intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre implique nécessairement le droit pour ces associations

d'agir pour la protection de ces intérêts devant la juridiction civile »95. Le rôle des associations est devenu

majeur que ce soit par leur action préventive et consultative permettant d’agir au quotidien pour les valeurs

et objectifs du développement durable qu’elles défendent, mais également du risque contentieux qu’elles

font peser sur les entreprises par l’ouverture de la recevabilité des recours en réparation aux associations

en cas de dommages ou de risques en matière de protection de l’environnement. A titre d’illustration, dans

une décision du Tribunal correctionnel de Cherbourg du 6 décembre 2010, une société avait été autorisée

par un arrêté préfectoral à exploiter un terminal charbonnier sur un quai du port, néanmoins une étude

avait alors prouvé que ce terminal était implanté en parti sur une zone de nidification d'une espèce

d'oiseaux protégée. Or en 2010, les associations vont démontrer qu'il y a eu disparition de la principale

colonie de ces oiseaux protégés et aucune naissance comptabilisée alors que l'année précédente il y en avait

eu 700, les associations chargées de la protection de l'environnement et de la nature ont été fondées à se

constituer partie civile en vertu de l’atteinte à leurs intérêts statutaires et la société a été déclarée coupable

d'avoir perturbée de manière intentionnelle ou involontaire l'espèce protégée notamment par la réalisation

des travaux d'aménagement. Une ouverture du contentieux qui fait peser un risque et des charges

supplémentaires sur l’entreprise, des contraintes contentieuses encore plus lourdes puisque vont s’ajouter

de nouveaux dommages qui vont également avoir un impact sur l’entreprise.

CHAPITRE 2 : L’IMPACT DE L’EMERGENCE DE NOUVEAUX DOMMAGES SUR

LES ENTREPRISES

Le risque de dommage s’accroit en matière de développement durable et avec lui le risque contentieux

pour l’entreprise, du fait du développement des éléments constitutifs d’être caractérisés en tant que

dommage et l’essor de la notion de préjudice écologique ; un risque contentieux qui pèse sur l’entreprise

93 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 138 94 Voir la jurisprudence : Cour de cassation, chambre civile 2, Audience publique du jeudi 7 décembre 2006, N° de pourvoi: 05-20297 95 Voir la jurisprudence : Cour de cassation, chambre civile 2, Audience publique du jeudi 14 juin 2007, N° de pourvoi: 06-15352

40

et a un impact sur son fonctionnement tant sur son patrimoine, que sur les obligations et donc des charges

contraignantes qui pèsent sur elle.

SECTION 1 : LA CATEGORIE DES DOMMAGES EN EFFUSION

Le risque contentieux qui pèse sur l’entreprise en cas d’atteinte, ou de risque d’atteinte, à l’environnement

ou aux individus quant au droit du développement durable s’accroit d’autant plus que la règlementation et

la jurisprudence étendent la catégorie des dommages et préjudices ; notamment une catégorie singulière

de préjudice propre à la protection de l’environnement du développement durable disposant de son propre

régime.

Paragraphe 1 : Le risque lié au développement des dommages recevables

La directive 2004/35/CE, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la

réparation des dommages environnementaux définit le dommage environnemental comme une

« modification négative mesurable d'une ressource naturelle ou une détérioration mesurable d'un service

lié à des ressources naturelles, qui peut survenir de manière directe ou indirecte ». Dans ce sens, les

entreprises causant un préjudice à l’environnement ou un individu en raison de leur activité engagent leur

responsabilité et sont tenues de réparer le dommage. La catégorie des dommages est particulièrement

variée que le droit de l’environnement durable est multidisciplinaire et s’étend à divers domaines juridiques.

Néanmoins, l’étendue de la responsabilité de l’entreprise ne se cantonne pas qu’à la réparation des

dommages causés mais les lois Grenelle ouvre la catégorie des dommages environnementaux aux risques

de dommages. Cependant « en multipliant les dispositions de nature, soit à éviter la réalisation de certains

risques, soit à informer les victimes potentielles de l’éventualité de ceux-ci, le législateur renforce la

nécessité d’anticiper le dommage et d’intervenir en amont au stade de l’apparition du risque »96. Une charge

particulièrement lourde pour les entreprises puisque cette obligation de vigilance n’implique pas seulement

le coût de la réparation, ou d’une remise en état de l’environnement ayant souffert de ses activités, mais

également d’intégrer le principe de vigilance avant la réalisation de l’opération et d’éviter le risque, obligeant

l’entreprise à insérer des coûts environnementaux dans ses opérations quotidiennes, les études préalable

et d’adapter ses projets, pour éviter tout risque de dommage potentiels. L’idée est en réalité qu’en engageant

la responsabilité des entreprises pour des dommages environnementaux potentiels, cela aboutira sur le

long terme à ce que l’entreprise intègre le développement durable comme modalité concrète, condition de

ses opérations et de son activité, et la pousse à appréhender les risques, à éviter le dommage, pour éviter

d’engager sa responsabilité. En effet, « le souci de protection et d’indemnisation des victimes, qui est au

cœur du droit de la responsabilité civile, devrait nécessairement la conduire, en amont, à appréhender les

moyens de nature à éviter le dommage », et ainsi à éviter d’engager sa responsabilité mais au-delà de

l’entreprise, éviter également la réalisation d’un dommage à l’environnement que ce soit une pollution, une

mauvaise gestion des ressources ou autres. En outre, la jurisprudence conçoit de manière large

l’interprétation du risque de dommage puisqu’elle prend en compte non seulement les risques d’atteintes

à des intérêts individuels ou collectifs97 c’est-à-dire que le risque d’atteinte peut aussi bien constituer un

préjudice pour un particulier seul que pour l’intérêt public. Mais également, outre de recevoir les risques

de dommage avérés, le juge accepte les risques incertains de dommages ; c’est-à-dire qu’en plus d’accepter

des dommages potentiels, donc non réalisés, mais dont le risque d’atteinte est constitué, le juge accepte

96 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013, page 134 97 Voir Cour de cassation, chambre civile 3, Audience publique du mercredi 8 juin 2011, N° de pourvoi: 10-15500

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d’engager la responsabilité des entreprises pour des risques qui ne sont pas seulement susceptibles de se

réaliser mais également pour des risques dont il n’est pas certain qu’ils causent un préjudice. A titre

d’illustration, la Cour d’appel de Versailles a décidé dans un arrêt relatif aux antennes relais de téléphonie

mobile qu’ : « aucun élément ne permet d'écarter péremptoirement l'impact sur la santé publique de

l'exposition des personnes à des ondes ou des champs électromagnétiques ELF (extrêmement basses

fréquences). Si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort des contributions et publications

scientifiques produites aux débats, et des positions législatives divergentes entre les pays, que l'incertitude

sur l'innocuité d'une exposition aux ondes émises par les antennes-relais demeure et qu'elle peut être

qualifiée de sérieuse et raisonnable ; alors au surplus, qu'en l'espèce, la société exploitant le réseau

radioélectrique, qui a implanté la station de radiotéléphonie mobile litigieuse, n'a pas mis en œuvre dans le

cadre de cette implantation les normes spécifiques ou effectives qu'elle est capable théoriquement de

mettre en œuvre. Dès lors, le caractère anormal du trouble de voisinage invoqué par les riverains s'infère

de ce que, le risque étant d'ordre sanitaire, sa réalisation emporterait atteinte à leur personne ainsi qu'à celle

de leurs enfants. La cessation du préjudice moral résultant de l'angoisse ainsi créée et subie du fait de

l'installation sur la propriété voisine de l'antenne-relais impose, en l'absence d'une quelconque proposition

de la société exploitante, d'ordonner son démantèlement »98. Autrement dit, il ressort de cette jurisprudence

qu’à défaut d’apporter la preuve qu’il n’y a pas de risques potentiels, le juge retient le risque incertain. La

responsabilité de l’entreprise qui s’étend en matière de développement durable et particulièrement large

qu’elle comprend la réparation d’un dommage réalisé, la réparation d’un risque potentiels et incertains ;

mais au-delà du risque de dommage, le législateur reconnait un préjudice particulier, le préjudice

écologique.

Paragraphe 2 : Le principe de préjudice écologique

Alors que le préjudice environnemental « désigne, principalement, les détériorations directes ou indirectes

mesurables de l’environnement qui créent un risque d’atteinte grave à la santé humaine du fait de la

contamination des sols, ou qui affectent gravement l’état biologique, chimique, ou quantitatif (ou le

potentiel écologique) des eaux, ou qui compromettent le maintien ou le rétablissement dans un état de

conservation favorables des habitats naturels et de certaines espèces de faune sauvage », des détériorations

qui « en application du principe pollueur-payeur, la responsabilité environnementale incombe à l’exploitant

dont l’activité est à la source du dommage causé à l’environnement »99 ; le préjudice environnemental reste

à distinguer de la notion de préjudice écologique pur. En effet, alors que le premier vise essentiellement

les atteintes dites subjectives ou traditionnelles « en ce sens qu’ils affectent les intérêts patrimoniaux ou

extrapatrimoniaux des sujets de droit » ; le second, quant à lui, cible une catégorie de préjudice objective

« en ce qu’elle est envisagée indépendamment de toute répercussion sur les personnes [...] il s’agit du

préjudice direct ou premier causé à l’environnement per se (impliquant) l’absence de caractère personnel »100.

Autrement dit, c’est le dommage causé au milieu naturel qui ne lèse directement aucun individu, ni

patrimoine, à l’image de la disparition d’une espèce animale causé par une marée d’hydrocarbures. Le

préjudice écologique implique l’adaptation du régime de responsabilité civile par l’atténuation du caractère

personnel du préjudice pour basculer vers un préjudice d’avantage collectif dans le sens où

98 Voir Cour d'appel de Versailles, Audience publique du mercredi 4 février 2009, N° de RG: 08/08775 99 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015 100 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 135

42

l’environnement fait partie du « patrimoine commun » à tous les individus. Ainsi, le préjudice écologique

est régit par un régime spécifique puisque d’une part au niveau de la procédure, « il incombe à l’exploitant

à la source du dommage réalisé ou menaçant de prendre les mesures de prévention et de restauration qui

s’imposent, le préfet ayant le pouvoir de l’y contraindre en cas de carence » ; et d’autre part sur le fond, « la

réparation est une réparation en nature consistant dans la remise en état initial de l’environnement »101. Sur

cette question de la réparation, les collectivités territoriales locales ou les associations agréées sont

recevables pour exiger une indemnisation en cas d’atteinte à l’environnement en vertu du principe

pollueur-payeur qui intervient en plus du remboursement des dégâts et de la remise en état du site pollué

ou dégradé. A titre d’illustration de préjudice écologique pur, les marées noires sont les plus médiatisées

et particulièrement impressionnante suscitant des débats au sein de l’opinion publique mais elles sont

malheureusement loin d’être les seuls préjudices écologiques. Parmi les « atteintes causées aux écosystèmes

dans leur composition, leur structure et/ou leur fonctionnement »102, définition issue de la Nomenclature

des préjudices environnementaux de Laurent Neyret, il y a également les dégazages, une opération

consistant à ventiler les citernes d’un pétrolier pour éliminer les gaz toxiques du navire les rejetant ainsi en

pleine mer et dégradant l’écosystème marin ; les décharges sauvages, c’est-à-dire un dépôt clandestin de

déchets réalisé par des particuliers ou des entreprises ; le rejet d’eaux usées dans des rivières par des usines

qui pollue l’eau et décime la flore et la faune aquatique présente dans les rivières ; les incendies volontaires

de forêt ; les algues vertes, qui sont des plantes marines envahissantes mettant en danger l’écosystème ;

l’épandage, qui menace les abeilles et la pollinisation ; et autres. Il résulte que l’étendue de la responsabilité

des entreprises en matière environnementale a des impacts sur l’entreprise et son fonctionnement.

SECTION 2 : L’IMPACT DES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX SUR LE PATRIMOINE DE

L’ENTREPRISE

La règlementation, qu’elle soit en matière de développement durable ou non, représente des charges

supplémentaires pour l’entreprise sur le marché, d’autant plus lorsque comme en l’espèce le régime de

responsabilité de l’entreprise est particulièrement étendu. Dans les relations entre les agents économiques,

les obligations normatives constitue un coût et implique que le risque environnemental ait un impact sur

le patrimoine de l’entreprise. En effet, « la montée en puissance des considérations liées au développement

durable, projet pour le patrimoine commun des générations présentes et futures, influe sur le patrimoine

de l’entreprise, patrimoine entendu ici au sens civiliste comme dans sa dimension économique ». En effet,

l’impact des normes en matière de développement durable peut totalement déséquilibrer l’économie de

l’entreprise puisque « le risque (est devenu) une clé du développement durable des sociétés »103. Une clé

d’un développement de l’entreprise sur le long terme dans le sens où une entreprise qui intègre les

processus du développement durable, même si la modification de son fonctionnement lui engendre

nécessairement des coûts, lui permet d’éviter de causer un dommage environnemental ou un risque la

conduisant à une situation économique dramatique.

Le renforcement de la reconnaissance des risques environnementaux font peser de plus en plus

d’obligations sur les entreprises, des obligations qui représentent des coûts bien entendu, mais également

101 S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition 2014-2015 102 L. Neyret et G. J. Martin, « Nomenclature des préjudices environnementaux », coll. Droit des affaires, L.G.D.J, 2012 103 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable :

approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 26

43

une responsabilité de l’entreprise qui si elle est engagée peut représenter la fin économique de l’entreprise.

Il résulte qu’ « une catastrophe industrielle et écologique, ou une pollution chronique, par ses répercussions

matérielles sur l’outil de production ou de ses coûts financiers, ou même encore une violation de la

législation environnementale peut être la cause de la fermeture de l’entreprise (puisque) le risque

environnemental mal maitrisé met en péril la survie de l’entreprise »104. En effet, le coût que peut

représenter le risque contentieux et l’engagement de sa responsabilité est colossal du fait de l’obligation

non seulement de réparer le dommage mais impliquant également des amendes et peines pécuniaires

complémentaires, difficilement supportable en fonction de la taille de l’entreprise. A titre d’illustration, le

naufrage le 12 décembre 1999 de l’Erika, navire vieux de 25 ans battant pavillon maltais, affrété par le

groupe Total et appartenant à un armateur italien, avait souillé 400 kilomètres de côtes de la pointe du

Finistère à la Charente-Maritime, et mazouté quelque 150 000 oiseaux105. Ainsi dans un arrêt du 25

septembre 2012, « la Cour de cassation a condamné Total, qui avait été exonéré de responsabilité civile

par la Cour d’appel de Paris, à «réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses coprévenus

d’ores et déjà condamnés» à des dommages et intérêts, selon l’arrêt. L’enjeu de la décision de la Cour de

cassation n'était pas financier, puisque Total s’est déjà acquitté des sommes qu’il devait (171 millions, Rina

(un des trois coprévenus) ayant versé les 30 millions restants), précisant que ces versements étaient

définitifs »106. Les montants précités correspondent uniquement à l’action en responsabilité menée par les

victimes, et auxquels s’ajoutent la réparation matérielle du préjudice écologique et éventuellement des

sanctions pénales et administratives. En effet, la loi du 19 juillet 1976 oblige le préfet à prononcer des

sanctions administratives à l’encontre de l’entreprise, de l’exploitant, qui ne respecterait pas les

prescriptions imposées. Des sanctions administratives « qui suivent la graduation suivante : mise en

demeure ; prescription d’office de travaux aux frais de l’exploitant ou – système plus efficace –

consignation du montant des travaux à réaliser, cette somme étant restituée au fur et à mesure de

l’exécution ; fermeture provisoire (voir) fermeture définitive »107. Des impacts particulièrement importants

de la réglementation en matière de développement durable sur l’entreprise et son patrimoine économique,

auxquels vont s’ajouter des contraintes de réorganisation de sa structure et de ses politiques de stratégie

sur le marché qui sont des sources de complexité pour l’entreprise.

CHAPITRE 3 : LA NORMALISATION DU DEVELOPPEMENT DURABLE COMME

SOURCE DE COMPLEXITE POUR L’ENTREPRISE

Outre le risque qu’elle fait peser sur l’entreprise, aussi bien contentieux qu’économique, la réglementation

en matière de droit du développement durable est également une source de complexité dans la gestion

courante de l’entreprise ; la normalisation la contraignant à modifier son mode de fonctionnement, que ce

soit par l’émergence de nouvelles obligations ou par la redéfinition de ses politiques commerciales, mais

au-delà de son fonctionnement, revoir la notion de performance elle-même en modifiant les facteurs de

productivité.

104 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable :

approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 70 105 LIBERATION TERRE, « Erika : la Cour de cassation confirme les condamnations », du 25 septembre 2012 106 Voir Cour de cassation, chambre criminelle, Audience publique du mardi 25 septembre 2012, N° de pourvoi: 10-82938 107 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l’environnement, Que sais-je ?, Puf, 10ème édition, 2010, page 94

44

SECTION 1 : UNE CONTRAINTE SUPPLEMENTAIRE DANS LE FONCTIONNEMENT DE

L’ENTREPRISE

L’entreprise est contrainte par la généralisation de la normalisation du droit du développement durable à

remplir de nouvelles obligations, que ce soit par simple respect des règles de droit ou pour éviter d’engager

sa responsabilité, mais également, pour intégrer ses nouvelles obligations, de revoir ses stratégies sur le

marché et ses politiques commerciales pour transiter vers un mode de fonctionnement de l’entreprise qui

soit « écoresponsable ».

Paragraphe 1 : Le renforcement des obligations

Le développement durable est source de contraintes et de complexité particulières pour l’entreprise dans

le sens où, en plus d’engager sa responsabilité du fait de l’impact de son activité sur l’environnement ou

les individus, il est une source d’obligation complémentaires qui s’ajoutent aux difficultés du marché. En

effet, « l’entreprise est confrontée à des pressions nouvelles qu’elle doit intégrer comme une contrainte

supplémentaire dans sa stratégie de développement […] la notion de contrainte apparait à travers les

nombreux textes réglementaires nationaux et internationaux qui appellent l’entreprise à assumer sa

responsabilité sociétale »108, une normalisation démultipliée depuis les lois Grenelle et influencée par le

principe de précaution. Une contrainte de la normalisation qui se traduit pour l’entreprise par le

renforcement et la diversification des obligations environnementales et sociétales qui lui incombent

désormais. Parmi ces obligations, il a précédemment été évoqué l’obligation de remise en état des sites

où l’entreprise a exercé son activité, une obligation environnementale qui représente un coût que

l’entreprise doit intégrer à ses charges préalablement à la cessation d’activité pour ne pas avoir de surprise,

notamment une surveillance accrue de ses filiales par la société mère, qui est responsable en cas de non-

exécution ou de mauvaise exécution, si celle-ci ne veut pas recevoir la facture et engager sa propre

responsabilité. Les développements précédents ont aussi évoqué l’obligation de vigilance, qui en réalité

est la source de toutes les autres puisque c’est à travers cette obligation de prévention que les entreprises

vont être amenées à avoir d’autres obligations d’articulation de leur structure et leur activité avec les enjeux

environnementaux et tendre vers une économie durable. En effet, à l’occasion de la décision du 8 avril

2011, le Conseil Constitutionnel a rappelé qu’en vertu des articles 1er et 2nd de la Charte de l’environnement

« que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son

activité »109. Autrement dit, l’entreprise doit veiller à ce que son activité ne nuise pas à l’environnement ou

aux individus, pas seulement pas la réparation, mais bel et bien en faisant preuve de vigilance et de

précaution. Ensuite, il y a également le renforcement de la transparence des entreprises avec l’obligation

d’information des consommateurs citoyens, entremêlé avec le risque de réputation celui-ci contraignant

l’entreprise a modifié son comportement pour éviter l’impact négatif de cette obligation de transparence

et d’information sur son image et donc sur sa relation avec sa clientèle. L’article 7 de la Charte de

l’environnement de 2004 prévoit effectivement le droit pour toute personne « d’accéder aux informations

relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions

publiques ayant une incidence sur l’environnement »110, une obligation qui par les lois Grenelles s’étend

des autorités publiques à tous les acteurs du développement durable, visant nécessairement les entreprises.

Dans ce sens, « les entreprises doivent renforcer la transparence des informations des produits qu’elles

108 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57 109 Voir décision du Conseil Constitutionnel, 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC 110 S. BIDAULT, Grenelle 2 : impacts sur les activités économiques, coll. Lamy, Axe droit, 2010, page 197

45

délivrent aux consommateurs (ceci dans l’objectif) d’éduquer les consommateurs (et leur permettre)

d’apprécier les caractéristiques et risques des produits (et les sensibiliser pour) ensuite pouvoir participer

au débat public sur le principe de précaution »111. Autrement dit, il n’est pas simplement question ici

d’informer les consommateurs sur les dommages et les risques environnementaux lié à la production du

produit qu’ils vont consommer, mais également de les sensibiliser pour les pousser à participer au débat

public environnemental, voir à terme de faire émaner des consommateurs une conscience collective.

Effectivement, il ne s’agit pas d’une « simple consultation de la société civile mais permettre la présentation

au public des avantages et inconvénients comparés du procédé ou du produit auquel est associé un risque

incertain mais plausible relevant de (la sensibilisation et la participation à) la précaution »112. A titre

d’illustration, en matière de téléphonie mobile, les entreprises doivent informer les consommateurs que

l’usage de l’oreillette permet de réduire les risques lié à l’émission d’onde lors de l’usage de l’appareil ; sur

un autre sujet, contrairement aux Etats-Unis, les produits issus d’une production agricole par OGM ont

été rejeté par les consommateurs européens, une pression citoyenne qui a conduit les entreprises à limiter

la commercialisation de ses produits et éviter un risque pour l’environnement et les individus. Cependant,

il s’ensuit de cette obligation d’information et de sensibilisation, une obligation de participation des

citoyens au processus décisionnel de l’entreprise, bien sûr lorsque cela est possible, c’est-à-dire

d’intégrer l’avis des citoyens pour permettre de prendre des décisions plus adaptées et respectueuses des

enjeux environnementaux et des risques pesant sur les individus. Par exemple, la Cour d’appel de

Montpellier a retenu dans un arrêt de 2011113 qu’est recevable « le public, dont font partie les riverains immédiats,

est toujours dans l’ignorance des mesures de l’intensité des champs électromagnétiques après mise en service de la station relais

(et alors même qu’avait) été initialement proposé par la société SFR elle-même l’implantation de l’antenne relais sur (un autre

site) assurant dès lors une couverture suffisante de la zone sans qu’aucun risque ne soit encouru par quiconque et que ce n’est

qu’en raison de considérations économiques que cette solution n’a pas été retenue ». Autrement dit, les magistrats

retiennent que la participation des citoyens permet de trouver des solutions alternatives permettant de

concilier les objectifs de l’entreprise, qui en l’espèce étaient de couvrir une certaine zone, et ceux des enjeux

environnementaux et des citoyens, c’est-à-dire la protection de la santé publique et la lutte contre les

nuisances potentielles et la préservation des habitations. Ainsi, la concertation entre l’entreprise et le public

permettrait d’aboutir à des solutions optimisées prenant en compte les considérations de chacun et les

enjeux et objectifs du développement durable. Des obligations qui conduisent nécessairement pour

l’entreprise à repenser son organisation et son mode de fonctionnement.

Paragraphe 2 : La transition des stratégies et des politiques commerciales de l’entreprise

Il résulte de l’essence même de l’entreprise et de sa définition que son principal objectif est la réalisation

d’un profit tiré de l’exploitation de son activité, puisque l’entreprise est une organisation construite sur un

projet décliné en stratégies ou en politiques et plans d'action, dont le but est de produire et de fournir des

biens ou des services à destination d'un ensemble de clients ou usagers ; dans l’objectif de maximiser le

profit provenant de son activité. Dans ce sens, la règlementation en matière de développement durable

représente des charges et donc un coût supplémentaire pour l’entreprise sur le marché ; ainsi elle va être

contrainte d’intégrer les enjeux et les obligations du développement durable lors de la détermination de

111 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 69 112 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013, page 69 113 Voir Cour d’appel de Montpellier, 5° Chambre Section A, Audience du 15 septembre 2011, n° 10/04612

46

ses nouvelles stratégies commerciales et plus globalement dans la politique que l’entreprise veut mener,

c’est-à-dire dans sa ligne de conduite. Dans cette intention, « le développement durable s’intègre alors dans

les objectifs (et les sous-objectifs) de l’entreprise en s’inscrivant dans la satisfaction des parties prenantes :

(à titre principal la réglementation,) l’environnement, les communautés, les ONG et les autres groupes de

pression (parmi lesquels certains consommateurs en demande de produits différents plus respectueux du

développement durable) »114. La redéfinition de l’entreprise s’entend comme une source de complexité

puisque l’entreprise doit prendre en considération des obligations qui, mise à part d’avoir une définition et

un champ d’application pas nécessairement clairement établi, elle engage des coûts de réorganisation de sa

structure déjà complexe en elle-même et supporte une pression supplémentaire vis-à-vis de la concurrence

sur le marché. En outre, elle est également contrainte à prendre des mesures de réparation de l’impact de

son activité en plus de la gestion de l’activité elle-même, déjà complexe en fonction des circonstances

économiques du secteur, mais elle doit également prévoir des mesures préalablement à l’exercice de

l’activité pour prévenir les risques. Une prise en compte du risque en amont par l’entreprise qui implique

déjà de prévoir les potentiels risques et dommages environnementaux dus à des opérations, nécessitant

des études pour analyser les opération et prévenir de leur impact ; mais également de tirer les conséquences

des analyses et de prendre les mesures nécessaire pour éviter la réalisation des risques et dommages,

pouvant impliquer de réétudier totalement l’opération, voire de ne pas du tout la mettre en place malgré

les coûts de recherche engendrés. Ainsi, la réglementation du développement durable est source de

complexité pour l’entreprise dans le sens où elle contraint la firme à revoir sur place, désormais à mi-

chemin entre la société et le marché, et les politiques qui la guident dans l’objectif de pouvoir à terme

parvenir à concilier la maximisation du profit économique et la satisfaction des enjeux environnementaux.

L’idée est que la firme devienne une entreprise éco-responsable, c’est-à-dire une entreprise qui internalise

les problématiques environnementales dans sa production, l’objectif à terme étant d’économiser au

maximum les ressources naturelles et de minimiser ses impacts sur les écosystèmes115. L’entreprise est

également astreinte à agir et intégrer les questions environnementales dans sa politique en raison du fait

de la nécessité actuelle de tendre vers une gestion des ressources qui soit durable et en vertu de la théorie

de la dépendance de l’entreprise à l’égard des ressources. En effet, « cette théorie fait dépendre

l’organisation des acteurs de son environnement et affirme que sa pérennité dépend de son aptitude à gérer

des demandes de groupes différents, en particulier ceux dont les ressources et le soutien sont déterminants

pour sa survie »116. C’est-à-dire que les action de l’entreprise sont soumises au jugement et à l’appréciation

d’acteurs externes qui lui imposent, chacun, des critères différents et conditionnent l’exercice de son

activité à travers de ce qu’ils jugent « acceptables » de la part de la firme. A titre d’illustration, une entreprise

désirant s’implanter dans une zone géographique bien déterminée en raison des ressources qui y sont

puisables et nécessaire à l’exploitation de son activité, va être amenée à participer à la construction

d’infrastructure externes, notamment routières et sanitaires, pour obtenir l’agrément des autorités locales

et ainsi la permission de prélever les ressources désirées. Cette dépendance des ressources et la contrainte

exercée sur la firme pour l’intégration du développement durable dans ses politiques vont conduire à une

redéfinition de la performance dans l’entreprise.

114 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57 115 Actu environnement, L'actualité professionnelle du secteur de l'environnement, « Dictionnaire environnement », 2003 – 2015, COGITERRA, CNIL N°845317, ISSN N°2107-6677, disponible sur : http://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/eco-entreprise.php4 116 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte,

2010, page 33

47

SECTION2 : UNE REDEFINITION DE LA NOTION DE PERFORMANCE DANS LA LOGIQUE

DU DEVELOPPEMENT DURABLE

La transition de l’entreprise pour une économie durable par la modification de son mode de

fonctionnement entraine nécessairement de redéfinir la notion de performance dans l’entreprise, celle-ci

passant désormais par l’obligation de conciliation des différents intérêts en jeu au sein de l’entreprise, mais

également de donner un autre sens à la productivité par la transformation du système même et l’évolution

des facteurs de production.

Paragraphe 1 : La conciliation des intérêts

L’entreprise étant déjà un système complexe résultant des rapports de force et de la conciliation de ses

propres intérêts entre les différentes personnes qui la composent et les liens de subordination mis en place,

l’articulation des intérêts économiques de l’entreprise avec les intérêts environnementaux extérieurs ne fait

que compliquer la situation au sein de la firme. Dans les théories sur la gouvernance des organisations, il

ressort effectivement que l’entreprise est une notion complexe et que « la séparation entre les propriétaires

(les actionnaires de l’entreprise) et les dirigeants (managers) devenue caractéristique des entreprises

modernes, peut s’accompagner d’un conflit d’objectifs », chacun n’ayant pas nécessairement les mêmes

intérêts dans l’entreprise mais « l’objectif (même) de la firme est de satisfaire les membres et les groupes

qui la composent, elle poursuit alors des objectifs pécuniaires et non pécuniaires »117. En conséquent,

l’entreprise apparait comme un lieu de négociation entre les différents acteurs et de conciliation des

différents intérêts en présence qu’ils soient internes ou externes. Sur cette notion de la responsabilité de

l’entreprise par rapport à des intérêts externes, sa place dans la société, la pyramide de Caroll illustre bien

les différents degrés d’intervention de l’entreprise dans son environnement avec118 :

Ce qui est intéressant de retenir ici, c’est que mise à part les contraintes issues du développement durable,

l’entreprise a tout de même des obligations envers la société et doit prendre en compte les intérêts

extérieurs dans sa politique de développement et les conflits d’intérêts qui se jouent dans la détermination

de ces politiques, « en soulignant que l’objectif de la firme ne s’exprime qu’à travers des sous-objectifs qui

sont soumis à l’influence des groupes de pression »119. Ainsi, la conciliation des intérêts dans l’entreprise

s’exprime à travers la théorie des parties prenantes, ou théorie des stakeholders, qui va permettre de

prendre en compte la diversité des intérêts en jeu dans la gouvernance de l’entreprise et permettre d’inscrire

117 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57 118 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 39 119 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57

48

notamment les intérêts environnementaux défendus par les associations et les ONG. A ce titre, cette

théorie « remet en cause la primauté des actionnaires dans la gouvernance (et) inscrit l’entreprise au cœur

d’un ensemble de relation avec des partenaires qui ne sont plus uniquement les shareholders (actionnaires),

mais des acteurs intéressés par les activités et les décisions de l’entreprise »120. Cela permet ainsi de prendre

en compte à la fois les intérêts économiques et sociaux divers au sein de la firme et de les concilier avec

les enjeux environnementaux soutenus par la réglementation sur le développement durable, bien que cette

conciliation reste une source de complexité pour l’entreprise.

Paragraphe 2 : La redéfinition de la productivité

« Plusieurs entreprises affirment aujourd’hui que le développement durable est un axe majeur de leur

stratégie de développement alors que dans la théorie économique le profit réalisé baisse si les firmes sont

soumises à des contraintes supplémentaire », ce qui implique de reconsidérer la notion de performance

économique et de la redéfinir dans « une nouvelle logique de développement durable et être associée à une

réflexion sur les choix du mode de développement »121. La performance économique d’une entreprise

s’articule autour de tout ce qui contribue à améliorer le couple valeur-coût, c’est-à-dire le chiffre d’affaire

et qui tend ainsi vers la maximisation de la création nette de valeur, de bénéfices. Cette performance va de

pair avec les stratégies de productivité de l’entreprise, autrement dit « l’efficacité avec laquelle le travail

humain (et par extension certains autres facteurs sont) utilisés dans une opération productive »122.

Autrement dit, les entreprises vont intégrer de nouveaux facteurs de production propres à la logique

environnementale du développement durable qui vont redéfinir la performance, qui n’est plus uniquement

financière mais sociétale. Pour parvenir à construire une relation positive entre la performance financière

et la performance sociale, l’entreprise va devoir d’une part, trouver des solutions pour articuler le profit

économique et les obligations à la fois imposées par la réglementation et par le risque de réputation

pouvant nuire à l’image de la firme et, d’autres parts, articuler ses perspectives d’actions entre le court

terme et le long terme pour prévoir les évolutions à venir. Concernant les solutions d’articulation entre le

profit économique et l’intégration des objectifs du développement durable, la performance sociale permet

la réduction de certaines charges de l’entreprise justement par des mesures d’intégration des enjeux

environnementaux. A ce titre, la performance économique permet de : « contribuer directement à la

réputation de l’entreprise et lui permet d’obtenir la légitimité nécessaire pour se procurer le soutien

autorisant le déploiement de ses opérations », notamment l’investissement de l’entreprise dans certaines

structures d’intérêt général en lien avec leur activité peut leur permettre d’obtenir les autorisations des

collectivités locales plus rapidement et ainsi exploiter au plus vite pour éviter une perte ; elle peut également

« altérer le jeu concurrentiel en contribuant à augmenter les coûts d’entrée sur un marché » pour des

concurrents potentiels ; elle « envoie un signal de qualité des emplois offerts qui peut augmenter fortement

l’attrait d’une organisation auprès d’employés potentiels » dont les plus qualifiés ; elle peut également jouer

« un rôle positif dans le processus d’achat des consommateurs et peut notamment renforcer le caractère

distinctif du positionnement d’une marque » et dans ce sens contribuer à augmenter le chiffre d’affaire de

l’entreprise. D’autres parts, hormis ces quelques atouts, la performance sociale est également un outil de

120 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte, 2010, page 35 121 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57 122 D. CLERC, « L’économie de A à Z », Alternatives économiques poche, Hors-série poche n°40, septembre 2009

49

maitrise des risques puisque « les entreprises les plus performantes du point de vue de la (performance

sociale économique ou PSE) sont aussi celles qui ont les niveaux de risque les moins élevés »123. Sur ce

point de l’articulation entre le court terme et le long terme dans l’entreprise, articulation dans laquelle on

retrouve la notion de durabilité propre au développement durable que ce soit du point de vue économique

ou environnemental, permet à l’entreprise d’anticiper l’avenir. En effet, « la réglementation en matière de

développement durable va probablement évoluer et devenir plus contraignante, les entreprises qui ont

intégré aujourd’hui le développement durable dans leurs pratiques managériales seront épargnées dans le

futur contre les baisses de profit dues à des nouvelles réglementations »124. En quelques mots, à titre

d’illustration, l’entreprise GOOGLE permet de mettre particulièrement en avant ces propos puisque, cette

entreprise utilise des pratiques managériales où l’environnement de travail satisfaisant les salariés, par des

conditions de travail particulièrement libre, personnalisées et ludiques ; est parfaitement concilier avec la

performance économique de l’entreprise, montrant ainsi que l’intégration des préceptes de développement

durable, en l’espèce dans les techniques managériales, n’implique pas nécessairement une perte de

performance économique, même pour l’entreprise GOOGLE un facteur de rentabilité économique. En

effet, l’entreprise fait en sorte d’offrir des conditions de travail ludique par les locaux, le matériel et les

activités mises à dispositions des salariés, et personnalisée puisqu’ils gèrent leur emploi du temps de

manière autonome ; ceci leur permettant de s’épanouir dans l’entreprise et d’exprimer toute leur créativité,

une créativité qui est la clef du développement de la firme et de sa productivité. GOOGLE fait partie des

entreprises qui ont, contrainte initialement ou non, largement intégré le concept de développement durable

dans l’exploitation de ses activités, ayant compris que malgré les contraintes qui découlent de la

réglementation en la matière de développement durable, c’est un concept qui ouvre néanmoins des

opportunités.

123 J-P. GOND et J. IGALENS, La responsabilité sociale de l’entreprise, Que sais-je ?, Puf, 2ème édition, 2010, page 91 124 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57

50

PA R T I E 2 :

L ’ I N T R E G R AT I O N D U D E V E L O P P E M E N T

D U R A B L E PA R L ’ E N T R E P R I S E : U N

D E V E L O P P E M E N T D U R A B L E D U

M A R C H E

51

Malgré la source de complexité dans le fonctionnement de l’entreprise et les contraintes que la

règlementation en matière de développement durable implique pour celle-ci ; la responsabilisation de

l’entreprise vis-à-vis des enjeux environnementaux et sociaux, et sa sensibilisation sur l’impact de son

activité sur l’environnement qui va s’opérer différemment par le système de « soft-law », va lui permettre

d’intégrer pas à pas les valeurs du développement durable dans son organisation. Une responsabilisation

progressive qui peut se transformer en différentes opportunités pour la société qui va pouvoir convertir

ses engagements contraignants en atouts valorisables sur le marché envers ses différents partenaires, parties

prenantes, et surtout envers le consommateur qui va devenir la cible d’un marketing de développement

durable. Des atouts dans les relations que l’entreprise entretient avec ses différentes parties prenantes, mais

également une source d’opportunité si l’on se place d’un point de vue plus global sur le marché, puisque

ces entreprises s’ouvrent la porte à de nouveaux marchés à conquérir ou appréhendent un marché en

transformation, des anticipations au profit de l’entreprise sur ses concurrentes à long terme.

TITRE 1 : UN NOUVEAU DEVELOPPEMENT DURABLE PAR

L’INTEGRATION PLUTOT QUE LA REGLEMENTATION

D’autres mécanismes que la normalisation vont permettre d’intégrer, même plus efficacement puisqu’ils

seront mieux acceptés par l’entreprise, les objectifs du développement durable dans les lignes directrices

de la firme, que ce soit par la soft-law, impliquant les enjeux environnementaux et sociaux dans les relations

contractuelles avec l’entreprise que ce soit avec des clients ou ses propres partenaires ; ou encore par sa

responsabilisation sociétale resituant l’entreprise de sur son territoire et, en sens inverse impliquant d’autres

parties externes à son processus de décision.

CHAPITRE 1 : UNE NORMALISATION PAR LA SOFT-LAW

La réglementation abondante en matière de développement durable permet une prise en compte des

enjeux environnementaux par l’entreprise mais pas une réelle intégration de ses objectifs directement

comme faisant partie intégrante de ses activités et son fonctionnement. Pour cela, l’administration va

laisser une forme d’autonomie aux entreprises pour leur permettre d’accueillir le développement durable

autrement, c’est-à-dire une normalisation par la soft-law qui en la matière va s’opérer par l’intégration du

concept via la contractualisation et les règlements internes élaborés par les entreprises.

SECTION 1 : LA CONTRACTUALISATION POUR L’INTEGRATION DU DEVELOPPEMENT

DURABLE

Plutôt que d’étouffer les entreprises en les contraignant à prendre toujours plus de mesures pour assimiler

la normalisation du droit du développement durable, à autre mécanisme va être employé ici et permettre

à l’entreprise d’intégrer plus en douceur les enjeux environnementaux ; en effet par la contractualisation,

que ce soit par la passation de marchés publics ou par la relation avec les consommateurs, la firme va

pouvoir associer les objectifs environnementaux et sociaux directement comme propriété de ces produits

et services.

Paragraphe 1 : L’intégration du développement durable dans les marchés publics

L’Etat, aidé de nombreux acteurs et institutions nationales et internationales, a développé une

réglementation conséquente dans l’objectif de contraindre les entreprises à intégrer les objectifs du

52

développement durable ; néanmoins, pour y contraindre les entreprises, l’administration doit montrer

l’exemple et commencer par intégrer elle-même ces objectifs et tirer les conséquences des lois Grenelle.

En effet, « l’Etat doit être exemplaire »125 d’après les dispositions de l’article 48 de la loi dite Grenelle

1 énonçant que : « l’Etat favorisera le respect de l’environnement dans l’achat public par un recours

croissant dans les marchés publics des administrations et services placés sous son autorité, aux critères

environnementaux et aux variantes environnementales ». Dans ce sens, outre la normalisation,

l’administration va elle-même intégrer les objectifs du développement durable dans ses critères de

contractualisation avec les entreprises et insérer la logique environnementale par voie contractuelle lors de

la passation de marchés publics. Lorsque l’administration va émettre un appel d’offre pour passer un

marché public, c’est-à-dire « les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs et des

opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de

fournitures ou de services »126, elle va prendre en compte les objectifs environnementaux pour sélectionner

l’offre la plus avantageuse. En effet depuis une jurisprudence de 2002 dite arrêt « Concordia-bus

Finland »127, la Cour de justice des communautés européennes, qui veillent également à ce qu’il n’y ait pas

d’entrave à la libre concurrence sur le marché européen, « a admis la possibilité de recourir à des critères

relatifs à la préservation de l’environnement lors de l’appréciation de l’offre la plus avantageuse »128. Une

jurisprudence qui a été traduite dans le Code des marchés publics dont l’article 53 dispose que « pour

attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir

adjudicateur se fonde sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché,

notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances

en matière de protection de l'environnement, les performances en matière de développement des

approvisionnements directs de produits de l'agriculture, les performances en matière d'insertion professionnelle

des publics en difficulté, le coût global d'utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la rentabilité, le

caractère innovant, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison

ou d'exécution, la sécurité d'approvisionnement, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ».

Autrement dit, pour sélectionner l’offre la plus avantageuse, l’administration peut se fonder sur des critères

prépondérants tels que le prix et la valeur technique de l’offre de l’entreprise ; mais également sur des

critères accessoires liés à l’objet du marché comme la prise en compte de la protection de l’environnement

ou une gestion durable de l’emploi dans l’entreprise. Dans la même intention, l’article 5 du Code des

marchés publics prévoit pour la détermination des besoins de l’administration que « la nature et l'étendue

des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute

négociation non précédée d'un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de

développement durable ». Néanmoins, cette considération des objectifs du développement durable dans

la passation des marchés publics connait quelques limites puisque, notamment le choix de l’offre la plus

avantageuse ne peut pas porter sur des critères pouvant mener à la discrimination de certains concurrents

vis-à-vis des autres. A titre d’illustration, « la volonté de réduire les émissions de CO2 pourrait justifier,

dans une démarche de développement durable, l’insertion d’un critère tenant à la proximité géographique

(pour) sélectionner les candidats (mais) les principes fondamentaux de la commande publique s’opposent

125 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable :

approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, pages 146-147 126 Voir article 1er du Code des marchés publics 127 Voir CJCE, 17 septembre 2002, aff. C-513/99 128 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, pages 146-147

53

à ce qu’un tel critère soit retenu »129. En effet, une réponse ministérielle du 21 janvier 2010 dispose que « la

proximité géographique d’une entreprise, dans le but de réduire les émissions de CO2, ne peut être en tant

que telle intégrée comme un critère de sélection des offres (puisque) un tel critère représente un caractère

discriminatoire au détriment des entreprises les plus éloignées »130. Outre l’intégration du développement

durable dans la contractualisation avec l’administration, le droit de la consommation va également venir

encadrer la relation contractuelle entre l’entreprise et le consommateur dans la prise en compte des

objectifs environnementaux.

Paragraphe 2 : Le droit de la consommation au service du développement durable

En matière de développement durable, le droit de la consommation va permettre d’encadrer les relations

entre l’entreprise et sa clientèle, c’est-à-dire les consommateurs ; une forme de surveillance et de contrôle

visant à aider les consommateurs à déterminer les entreprises responsables des autres en fonction du

produit recherché par le consommateur, que ce soit par une technique de certification des firmes par le

biais des labels ou simplement d’une obligation d’information particulière.

I. Les labels

Les labels sont des certifications qui vont permettre aux consommateurs d’avoir une assurance, une forme

de garantie, que les caractéristiques particulières ou essentielles pour lesquelles ils achètent un produit sont

authentique et conforme aux allégations de l’entreprise ; pour l’entreprise, un produit labellisé est un moyen

d’attirer les consommateurs qui recherchent des produits qui se distinguent par leur qualité ou la limitation

d’impact environnementaux. En effet, « les écolabels distinguent des produits et des services plus

respectueux de l’environnement […] leurs critères garantissent l’aptitude à l’usage des produits et une

réduction de leurs impacts environnementaux tout au long de leur cycle de vie […] créés à l’initiative des

pouvoirs publics afin d’apporter des garanties aux consommateurs en matière de qualité écologique des

produits ou des services. Demandé volontairement par les fabricants (ou les distributeurs, ou les

prestataires), un écolabel peut constituer un signe de différenciation intéressant vis-à-vis de la

concurrence »131. Néanmoins, la certification par label des produits des entreprises n’a pas de régime

juridique particulier, et si certains labels sont délivrés suivant une réglementation bien précise par des

organismes certificateurs accrédités par l’Etat, d’autres ne relèvent pas de ce processus encadré et

dépendent d’organismes privés déterminant chacun leurs propres règles de certification. En droit de la

consommation, la certification est définie par l’article L115-27 du Code de la consommation qui dispose

que « constitue une certification de produit ou de service soumise aux dispositions de la présente section

l'activité par laquelle un organisme, distinct du fabricant, de l'importateur, du vendeur, du prestataire ou

du client, atteste qu'un produit, un service ou une combinaison de produits et de services est conforme à

des caractéristiques décrites dans un référentiel de certification », dans ce sens « le référentiel de

certification est un document technique définissant les caractéristiques que doit présenter un produit, un

service ou une combinaison de produits et de services, et les modalités de contrôle de la conformité à ces

129 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 149 130 Voir Rép. Min. à QE n°10874, JO Sénat Q. 21 janvier 2010, page 130 131 AFNOR Certification, Ecolabels.fr, « Tout savoir sur les écolabels », disponible sur : http://www.ecolabels.fr/fr/tout-savoir-sur-les-ecolabels

54

caractéristiques […] l'élaboration du référentiel de certification incombe à l'organisme certificateur qui

recueille le point de vue des parties intéressées ». Sur l’accréditation de l’organisme certificateur, l’article

137 de la loi LME n°2008-776 du 4 août 2008 le définit l’accréditation comme « l’attestation de la

compétence des organismes qui effectuent des activités d’évaluation de la conformité et créé une instance

nationale d’accréditation, seule compétente »132. Autrement dit, c’est l’accréditation qui va donner

compétence à l’organisme de contrôle de la conformité pour étudier les produits de l’entreprise et lui

octroyer un label si les conditions sont remplies. Par exemple, les écolabels regroupent des critères

particuliers comme la définition d’exigences bien précises attenantes au cahier des charges de produits ; la

prise en compte de l’ensemble de l’impact environnemental du produit sur la totalité de son cycle de vie ;

la concertation des différentes parties prenantes internes et externes à l’entreprise ; et autres. Sur les

produits certifiés en eux-mêmes, il existe aujourd’hui une diversité de produit particulièrement importante

parmi lesquels on distingue 61 catégories comme le tourisme et autres services ; la bureautique ; les

appareils électriques ; l’ameublement ; les produits à usage professionnel ; la vie domestique ; etc.

Concernant les types de labels, il faut distinguer les labels officiels, c’est-à-dire que l’organisme certificateur

est accrédité par les autorités publiques ou alors que l’accréditation est confiée à un organisme national par

l’Etat exerçant une activité de puissance publique ; et les labels privés qui sont délivrés par des organismes

ne relevant pas des autorités publiques et qui vont déterminer des critères qui leur sont propres. Parmi les

labels officiels, il y a notamment « l’Ecolabel européen » régi par le règlement CE n° 66/2010 du Parlement

européen et du Conseil du 25 novembre 2009 pour promouvoir « les produits qui représentent un degré

élevé de performance environnementale (et s’insère) dans la politique de la Communauté en matière de

consommation et de production durable ». En France, il y a la marque « NF Environnement », un écolabel

créé en 1991 qui va distinguer les produits ou services proposés par l’entreprise sur leur respect de

l’environnement et voir « s’ils présentent un impact négatif moindre sur l’environnement et une qualité

d’usage satisfaisante par rapport à d’autres produits ou services analogues présents sur le marché »133. En

matière d’agriculture biologique, par exemple, deux logos coexistent qui sont d’une part, le label européen

qui fait l’objet de la mention « Agriculture biologique » pouvant « être utilisé pour les produits conformes

aux exigences énoncées dans le règlement CE n°834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la

production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques » ; et d’autres parts, le logo « AB »

correspondant à la marque déposée par le ministère de l’agriculture français qui peut être apposé sur les

produits bénéficiant de la mention précédente « Agriculture biologique ». Cette certification par labélisation

des produits et services proposés par l’entreprise entraine une obligation accrue d’information de la part

de l’entreprise sur les caractéristiques des produits et services ainsi que l’impact de leur cycle de vie sur

l’environnement et la société.

II. L’obligation d’information

« Les entreprises doivent renforcer la transparence des informations sur les produits qu’elles délivrent aux

consommateurs »134, une obligation d’information qui était déjà proclamée par le législateur en droit de la

132 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 163 133 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 163 134 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 69

55

consommation et qui est renforcée en matière de développement durable. En effet, en vertu de l’article

L111-1 du Code de la consommation, le professionnel est tenu d’une obligation d’information du

consommateur : « avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture

de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les

informations suivantes : les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de

communication utilisé et du bien ou service concerné ; le prix du bien ou du service ; en l'absence

d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à

exécuter le service ; les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et

électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte, ainsi que, s'il y a lieu,

celles relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, à son

interopérabilité, à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions

contractuelles. La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d'Etat ».

Néanmoins, une obligation spéciale d’information vient s’ajouter à la charge du professionnel en vertu du

droit du développement durable puisque l’article L112-10 du Code de la consommation prévoit que le

professionnel a l’obligation « d'informer progressivement le consommateur par tout procédé approprié du

contenu en équivalent carbone des produits et de leur emballage, ainsi que de la consommation de

ressources naturelles ou de l'impact sur les milieux naturels qui sont imputables à ces produits au cours de

leur cycle de vie ». Une obligation accrue d’information du consommateur qui pèse sur le professionnel,

mais derrière cette obligation il y a l’idée de la sensibilisation des consommateurs citoyens aux objectifs du

développement durable et de développer une conscience collective du public. Une sensibilisation pour

informer directement les consommateurs sur les propriétés des produits ou services et aux risques liés à

leur impact sur l’environnement. Parmi ces obligations spéciales, l’obligation d’information sur le coût

global des produits soumis à l’étiquetage énergétique communautaire prévue à l’article L121-15-4 du

Code de la consommation veut que « lorsque des publicités, quel que soit leur support, présentent des

produits soumis à l'étiquetage énergétique communautaire135 en indiquant leur prix de vente, elles

comportent la mention de la classe énergétique de ces produits de façon aussi visible, lisible et intelligible

que l'indication de leur prix de vente ». A titre d’illustration lorsqu’un consommateur achète un appareil

électroménager, un réfrigérateur par exemple, celui-ci comportera une étiquette permettant d’informer le

consommateur sur la consommation énergétique du produit ; ou bien encore lorsqu’un individu achète ou

cherche à louer un bien immobilier, il devra être informé de la consommation énergétique du bien. Il y a

également l’information sur la consommation de CO2 liée aux prestations de transport puisque

l’article 228-II de la loi Grenelle 2 dispose qu’est fait l’obligation à « toute personne qui commercialise ou

organise une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de déménagement (de) fournir au

bénéficiaire de la prestation une information relative à la quantité de dioxyde de carbone émise par le ou

les modes de transport utilisés pour réaliser cette prestation »136. Ensuite, une obligation relative à

l’étiquetage environnemental est en cours d’expérimentation et fait état d’une information des

consommateurs sur les impacts environnementaux des produits. Cet affichage spécial prend en compte

chaque étape du cycle de vie du produit de l’extraction de ses minéraux jusqu’à son élimination ainsi que

l’impact général sur plusieurs critères du développement durable (biodiversité, pollution de l’eau, des sols

135 Voir la Directive n° 92/75/CEE du 22 septembre 1992 concernant l’indication de la consommation des appareils domestiques en énergie et en autres ressources par voie d’étiquetage et d’informations uniformes relatives aux produits 136 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 175

56

ou de l’air, etc) ; ceci dans l’objectif à terme de donner la capacité aux consommateurs d’agir en intégrant

le critère de l’environnement dans le choix de leurs achats, mais aussi inciter les entreprises à intégrer la

performance environnementale dans leurs produits. Par exemple, « pour une lessive, l’impact sur le

changement climatique est important mais mérite d’être complété par une information sur son impact sur

la qualité de l’eau en matière d’évaluation globale afin d’éviter qu’en cherchant à réduire un impact (le

changement climatique), on en détériore d’autres (en l’occurrence, la pollution des eaux) »137.

SECTION 2 : LES REGLEMENTS INTERNES DES ENTREPRISES

Pour que la règlementation du droit du développement durable soit pleinement efficace, imposer la

normalisation aux entreprises ne suffit pas, il faut lui permettre d’intégrer les objectifs environnementaux

dans son comportement contractuel et sa gestion interne pour pouvoir bénéficier de sa « sphère

d’influence ». Il résulte effectivement que par la mondialisation des échanges, les entreprises, notamment

les multinationales, ont un impact qui s’étend à différentes parties du monde au-delà des frontières, et

celles-ci peuvent avoir de l’influence du fait de leur puissance économique sur la protection de

l’environnement ou sur des préoccupations sociales dans des pays moins protecteur. Dans ce sens, « par

sa politique d’achat (et de délocalisation) l’entreprise est en mesure de favoriser le respect des exigences

du développement durable en suscitant un processus vertueux […] tout particulièrement pour les grands

groupes, assumant le risque de réputation »138. En effet, les entreprises devraient encourager dans la mesure

du possible leurs partenaires commerciaux, y compris leurs fournisseurs et leurs sous-traitants à appliquer

des principes de conduite des affaires conformes aux principes directeurs du développement durable tout

au long de la chaine de production. Ici, « pour ce qui est des relations avec les sous-traitants et les

fournisseurs, on observera que la notion d’entreprise élargie, employée dans une perspective internationale,

n’a pas épuisé ses charmes et conduit au constat d’une réalité économique indéniable : on ne peut pas

s’arrêter aux seuls liens capitalistiques et il faut, au contraire, accorder toute l’attention qu’elles méritent

aux relations de pouvoir qui peuvent être identifiées dans les relations contractuelles »139. Autrement dit,

l’intégration du développement durable par l’entreprise ne va pas avoir des conséquences seulement sur

sa structure, ses produits, et les consommateurs qu’elle vise ; mais également au-delà puisque le

changement de la ligne de conduite de l’entreprise contraint ses sous-traitants, ses clients professionnels

mais aussi ses fournisseurs à changer leurs habitudes pour continuer de contracter avec l’entreprise et

conserver des relations d’affaire, et ceux où que soient situés ses partenaires dans le monde.

Dans cette intention, les entreprises adoptent dorénavant de plus en plus de « code de conduite » ou dits

aussi des « codes éthiques », considérés comme des actes juridiques de droit privé, pour régir les relations

avec leurs différents partenaires commerciaux quant à l’intégration d’engagements sociétaux ou

environnementaux. L’engagement pour un code éthique vient d’un choix de l’entreprise, lequel n’est pas

contraint pas la réglementation du droit du développement durable, mais qui peut également inciter une

seconde démarche volontaire de la part de ses partenaires commerciaux puisque « les entreprises entendent

137 MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'ÉNERGIE, Développement durable, Expérimentation de l’affichage environnemental, « Qu’est-ce que l’expérimentation ? », disponible sur : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Pourquoi-un-affichage,23458.html 138 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 155 139 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 161

57

travailler avec des partenaires qui partagent leur vision ou leurs valeurs, et se servent des codes pour influer

sur les autres entreprises […] en l’occurrence il semble que le potentiel d’influence soit considérable quand

on sait, par exemple, que pour la plupart des constructeurs automobiles, la part des fournisseurs de

matières premières et de pièces représente plus de 60% du coût des produits vendus et que, pour certaines

entreprises du secteur de l’électronique et de l’appareillage électrique, ce chiffre peut aller jusqu’à 90% »140.

Ensuite, les codes de conduite pris par les entreprises et leurs partenaires commerciaux peuvent porter sur

des engagements divers. En effet, « les codes éthiques à destination des fournisseurs et des sous-traitants

peuvent requérir des comportements respectueux de valeurs sociales et environnementales (par exemple

les) thèmes des conditions de travail, du respect de l’environnement, de l’éthique, des droits de l’Homme

sont le plus souvent abordés (;) selon le secteur d’activité, des thèmes spécifiques seront abordés (comme)

la biodiversité ou l’agriculture durable »141. Par exemple, pour son entreprise, Microsoft a mis en place un

« Vendors code of conduct », et Apple pour sa part met en place des audits sociaux avec ses sous-traitants pour

mettre fin à des pratiques, notamment des conditions de travail, qui pourraient détruire son image de

marque.

Ainsi, en cas de violation du code, le non-respect constitue un manquement aux obligations contractuelles

octroyant le droit à l’entreprise de rompre le contrat avec son partenaire commercial en excluant les

indemnités de résiliation. Ceci amène donc la question de déterminer la valeur juridique de ces codes et

chartes éthiques propres à l’entreprise et ses relations commerciales avec ses différents partenaires s’y

engageant. Mises à part les sanctions morales et économiques résultant de la violation du code de conduite,

du fait des contraintes dont dispose la société pour contrôler ses membres (boycottage par exemple) que

ce soit la société civile ou les autres partenaires commerciaux qui doivent eux aussi se conforter à la charte ;

sur les sanctions juridiques, la Cour de cassation considère que les codes éthiques des entreprises relèvent

du champ d’intervention de sa compétence142, donc les codes de conduite peuvent faire l’objet d’un

contentieux.

CHAPITRE 2 : DE LA NORMALISATION VERS LA RESPONSABILITE SOCIALE

DE L’ENTREPRISE

L’assimilation du développement durable dans l’entreprise par l’intégration plutôt que la contrainte, passe

évident par le développement d’une réglementation dite de « soft-law » telle que développée

précédemment, mais pas seulement ; en effet, il faut également réintégrer la firme dans la société civile et

la partager à mi-chemin entre les logiques de marché et la société civile par la responsabilité sociale de

l’entreprise, dite communément RSE. Une responsabilisation de l’entreprise qui va de pair avec la refonte

de la gouvernance, et des modes de prise de décision et de gestion, de la firme.

140 Codes de conduite : étude exploratoire sur leur importance économique, Rapport TD/TC/WP(2001)10/FINAL, n°48 141 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 159 142 Voir Cour de cassation, chambre sociale, Audience publique du mardi 8 décembre 2009, N° de pourvoi: 08-17191

58

SECTION 1 : L’ENTREPRISE REPLACEE DANS UN CONTEXTE SOCIETAL PLUTOT

QU’ECONOMIQUE

L’entreprise va être partiellement détournée des logiques de rentabilité du marché, qui étaient

omniprésentes dans sa politique de rentabilité et son mode de fonctionnement, pour intégrer des logiques

de rentabilité sociale dans le respect des objectifs du développement durable, un retour vers la société civile

qui va s’opérer par la responsabilisation sociale de l’entreprise, une adaptation de l’entreprise accompagnée

par les institutions normatives.

Paragraphe 1 : Un glissement de la normalisation à la « Responsabilité sociale de l’entreprise »

L’abondance de normalisation en matière de développement durable ne séduit pas réellement les

entreprises, les contraignants non seulement à se conformer à toute la réglementation impliquant des

obligations supplémentaires, mais également à engager d’avantage leur responsabilité aussi bien vis-à-vis

des individus que de l’environnement lui-même. Il était donc, est c’est toujours le cas, nécessaire de trouver

une solution permettant à l’entreprise d’intégrer les objectifs du développement durable tout en y trouvant,

sinon un intérêt, au moins un équilibre entre le profit nécessaire à son activité et sa responsabilité envers

la société. En effet, il résulte de « cette habile synthèse entre la protection de l’environnement et la poursuite

de la croissance économique (qui) a conduit à une restructuration profonde des méthodes de gestion (que)

la réglementation unilatérale traditionnelle, à elle seule, (ne peut) obtenir le comportement vertueux des

acteurs économiques » ; ainsi « on compte désormais beaucoup sur la régulation, la gestion intégrée et sur

divers instruments d’ordre consensuel pour orienter les marchés vers des formes de développement plus

respectueux des milieux »143, cette forme de gestion intégrée correspond à la responsabilité sociale de

l’entreprise. Mais alors qu’est-ce que la RSE ? D’un point de vue économique et social, elle se définit

comme « l’approche selon laquelle l’entreprise, parce qu’elle emploie du personnel, mais aussi parce qu’elle

contribue au développement d’un territoire et à la création de liens à la fois sociaux et commerciaux, exerce

une responsabilité qui va au-delà de sa capacité à dégager des bénéfices au profit de ses propriétaires »144.

C’est-à-dire que l’objet de l’entreprise ne doit pas se cantonner à la simple réalisation de profit économique,

mais s’étendre à la participation de la firme au progrès social du territoire sur lequel elle exploite son

activité. Pour la Commission européenne, la RSE est « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets

qu’elles exercent sur la société » ; ainsi « pour assumer cette responsabilité, il faut respecter la législation et

les conventions collectives (mais) pour s’en acquitter pleinement, il faut avoir engagé en collaboration

étroite avec les parties prenantes, un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale,

environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans les activités commerciales et

la stratégie de base » de l’entreprise145. L’idée générale est que l’entreprise n’est pas seulement responsable

de sa propre survie sur le marché assurée par la rentabilité financière ; mais également du territoire, avec

tous les facteurs s’y rattachant, sur lequel elle est implantée et sur lequel elle peut avoir un impact.

143 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l’environnement, Que sais-je ?, Puf, 10ème édition, 2010, page 18 144 D. CLERC, « L’économie de A à Z », Alternatives économiques poche, Hors-série poche n°40, septembre 2009 145 MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'ÉNERGIE, Développement durable, Responsabilité sociétale des entreprises, « Qu’est-ce-que la responsabilité sociétale des entreprises ? », 10 septembre 2013 (mis à jour le 20 novembre 2014), disponible sur : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Qu-est-ce-que-la-responsabilite.html

59

Néanmoins, à l’image de ce qu’expriment les propos de M. Porter (professeur de stratégie d'entreprise à

l'Université Harvard et consultant d'entreprise), « peu importe ce qu’ils racontent en public, lorsque vous

êtes derrière la scène avec les chefs d’entreprise et les dirigeants, ils vont vous demander. Pourquoi

devrions-nous investir dans des initiatives sociales ? (Ainsi) nous aurons beau tous nous préoccuper

sincèrement de sauver le monde, si nous ne pouvons répondre à cette question correctement, nous avons

un problème »146. Tout l’objectif est ici de trouver une raison, notamment de rentabilité, pour intéresser

l’entreprise à sa responsabilité envers le territoire, ses citoyens et les enjeux environnementaux qui s’y

jouent. La clef de l’intégration du développement durable au cœur des entreprises est bel et bien de

déterminer dans quelle mesure les entreprises peuvent attendre des bénéfices économiques en s’engageant

dans les démarches de la RSE ; ceci dans l’objectif de les inciter à prendre ces démarches sans les y

contraindre par la réglementation, ou même encore de voir les firmes s’y hasarder d’elles-mêmes. La clef

qui va ouvrir toutes les serrures, c’est-à-dire la technique d’intégration du développement durable offrant

un gain de rentabilité affriolant, n’a pas encore été trouvée ; néanmoins, quelques arguments ont été

avancés pour justifier la prise en compte des objectifs environnementaux et sociaux dans l’activité de

l’entreprise. Ceux-ci ont déjà été abordés précédemment, lors du développement sur la modification de la

notion de performance, mais en résumé les principaux arguments sont les suivants : « la PSE (performance

sociale économique) contribue directement à la réputation de l’entreprise et lui permet d’obtenir la

légitimité nécessaire pour se procurer le soutien autorisant le déploiement de ses opérations ; la PSE peut

altérer le jeu concurrentiel en contribuant à augmenter les coûts d’entrée sur un marché et pour des

concurrents en contribuant à élever les standards en matière de réglementation du travail, de

l’environnement et/ou de la santé ; la PSE envoie un signal de qualité des emplois offerts qui peut

augmenter fortement l’attrait d’une organisation auprès d’employés potentiels, en particulier pour les

emplois les plus qualifiés ; la PSE joue un rôle dans le processus d’achat des consommateurs et peut

notamment renforcer le caractère distinctif du positionnement d’une marque (pouvant ainsi) contribuer à

augmenter le chiffre d’affaire de l’entreprise ; la PSE est un outil de maitrise des risques (puisque) les

entreprises les plus performantes du point de vue de la PSE sont aussi celles qui ont les niveaux de risque

les moins élevés ; etc »147. Certaines entreprises ont commencé à intégrer l’idée d’une citoyenneté des

acteurs économiques148 dans la société, d’autant que les institutions actrices du développement durable

développent des outils d’adaptation pour aider l’entreprise dans sa transition et les accompagnent.

Paragraphe 2 : Une aide à l’adaptation de l’entreprise

La transition de l’entreprise d’une logique de marché au glissement vers les perspectives de la responsabilité

sociale n’est pas sans difficultés, la normalisation du développement durable étant initialement source de

contrainte et de complexité dans la structure de l’entreprise tournée uniquement vers la réalisation de

profit. Dans l’objectif d’inciter les entreprises à intégrer les enjeux du développement durable, malgré la

complexité et les contraintes impliquées, les acteurs engagés dans le développement durable vont travailler

avec les entreprises et les encadrer pour les aider à modifier leur comportement sur le marché. Parmi ces

acteurs il y a, bien évidemment les institutions de l’état, les associations et les organisations non-

gouvernementales qui vont accompagner les entreprises chacune dans leurs domaines de compétence ;

146 Voir l’Extrait d’une interview de Michael Porter par Mette Morsing (« CSR – a religion with too many priests ? ») réalisée en septembre 2003 à la Copenhagen Business School 147 J-P. GOND et J. IGALENS, La responsabilité sociale de l’entreprise, Que sais-je ?, Puf, 2ème édition, 2010, page 91 148 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 20

60

mais également des institutions spécialisées comme l’ISO (Organisation internationale de normalisation).

Cette organisation non gouvernementale, spécialisée dans la normalisation internationale d’application

volontaire, édite des spécifications de premier ordre pour les produits, les services et les systèmes dans une

optique de qualité, de sécurité et d’efficacité pour l’aide à l’intégration de normes universelles. En matière

de responsabilité sociétale de l’entreprise, l’ONG a développé la norme ISO 26000 qui « donne des lignes

directrices aux entreprises et aux organisations pour opérer de manière socialement responsable. Cela

signifie agir de manière éthique et transparente de façon à contribuer à la bonne santé et au bien-être de la

société […] Elle permet de clarifier la notion de responsabilité sociétale, d’aider les entreprises et les

organisations à traduire les principes en actes concrets, et de faire connaître les meilleures pratiques en

matière de responsabilité sociétale, dans le monde entier »149. Autrement dit, la norme ISO 26000 a pour

objet d’aider les entreprises à intégrer le concept et les objectifs du développement durable puisqu’elle « est

porteuse d’un système de règles qui devra ainsi, faciliter la réflexion stratégique permettant à chaque acteur

d’identifier les enjeux significatifs et de s’investir dans une démarche de progrès »150. La norme ISO donne

les lignes directrices à suivre pour modifier le fonctionnement de l’entreprise sur différents enjeux centraux

de la responsabilité sociale des entreprises qui sont : « la gouvernance de l’organisation ; les droits de

l’Homme ; les relations et conditions de travail ; l’environnement ; les bonnes pratiques des affaires ; les

questions relatives aux consommateurs ; et l’engagement sociétal »151 ; ainsi au final, la responsabilité sociale

de l’entreprise est au croisement de la globalisation économique du marché et celle du développement

durable. En conséquent, la norme ISO 26000 « vient codifier la place de l’entreprise dans la société (et

vient valider) une conception nouvelle des relations entreprise/société » en intégrant directement dans

l’entreprise des référentiels publics de management. Ces référentiels peuvent « porter sur les droits

fondamentaux que l‘entreprise s’engage à respecter (ou encore) une logique d’amélioration de leurs

performances sociétales »152. Elle va également aider les entreprises à mettre en place un système de

management environnemental en désignant « les méthodes de gestion qu’une entreprise (peut adopter)

pour prendre en compte l’impact environnemental de ses activités, les évaluer et les réduire dans une

démarche d’amélioration continue ». Néanmoins, l’intégration de référentiels de management n’aurait pas

d’impact sur le fonctionnement de l’entreprise tant que celle-ci ne revoit pas son système de gouvernance.

SECTION 2 : VERS UNE NOUVELLE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES

Si l’entreprise modifie son mode de fonctionnement et sa structure sans changer l’orientation de sa

gouvernance, l’intégration du développement durable sera veine et perdra toute son efficacité et son

effectivité puisque la ligne de conduite globale de l’entreprise restera inchangée. La gouvernance désigne

le système formé par l’articulation de l'ensemble des processus, réglementations, lois et institutions destinés

à encadrer la manière dont l'entreprise est dirigée, administrée et contrôlée ; ceci dans l’objectif de réguler

les relations entre les nombreux acteurs impliqués, dits aussi les parties prenantes qu’elles soient internes

ou externes à l’entreprise. Sous l’impulsion de la prise en compte des objectifs de développement durable

par l’entreprise, que ce soit par la contrainte de la normalisation ou l’initiation à la responsabilité sociale,

la gouvernance de l’entreprise initialement centrée sur les actionnaires va prendre une nouvelle tournure

149 ISO, Normes, « ISO 26000 – Responsabilité sociétale », disponible sur : http://www.iso.org/iso/fr/home/standards/iso26000.htm 150 L. FATEN, « Normalisation et développement durable », Innovations, 2009/1 n°29, p. 35-57 151 F-G. TREBULLE et O. UZAN, Responsabilité sociale des entreprises, regards croisés : droit et gestion, coll. Etudes juridiques,

Economica, 2011, page 5 152 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 108-110

61

détournée du repliement des actionnaires pour tendre vers la considérations des diverses parties prenantes.

La notion de gouvernance traduit une réflexion sur l’exercice du pouvoir dans l’entreprise, un exercice du

pouvoir qui par la responsabilité sociétale va observer une transmission de ce pouvoir d’abord condensé

autour des actionnaires pour tendre vers une meilleure répartition entre les différentes parties. Il s’avère

que la crise a « ravivé les enjeux de la gouvernance des organisations, révélant des conseils d’administration

insuffisamment professionnalisés, un défaut d’indépendance des administrateurs vis-à-vis des dirigeants,

un contrôle seulement formel de l’assemblée générale des actionnaires (, et autres) »153, qui aidée du concept

de développement durable, permet aux acteurs du développement durable pour nouvelle gouvernance

sociale de l’entreprise articulée autour d’une « gouvernance partenariale » des parties prenantes.

Ce concept de nouvelle gouvernance sociétaire au cœur du système de régulation des entreprises est

principalement initié par l’invitation, voire l’obligation, faite aux entreprises d’intégrer diverses parties

prenantes internes ou externes dans sa gestion ; mais également par l’obligation d’information qui contraint

l’entreprise à la transparence de son système de gestion et la pousse à se tourner vers des mécanismes de

prise de décision plus sociaux et « acceptables » par l’opinion publique. Dans ce sens, « les exigences de

développement durable (amènent à reconsidérer l’objectif stratégique de l’entreprise et) apportent ainsi

une réponse à de nouveaux enjeux sociétaux, l’entreprise intégrant directement les objectifs sociaux et

environnementaux des parties prenantes à travers de nouveaux instruments de pilotage »154, autrement dit

la prise de décision étant la résultante d’une conciliation, d’une négociation entre plusieurs parties

notamment des acteurs dont le seul objet est la lutte pour l’intégration du développement durable dont les

associations ou les ONG, leur seule présence permet dans le processus de décision permet l’assimilation

des objectifs environnementaux et sociaux dans la politique principale de la firme. Dans cette intention, la

communication de la Commission européenne du 25 octobre 2011 invite les entreprises à « intégrer les

préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’Homme et de consommateurs

dans leurs activités commerciales et leur stratégie de base, en visant notamment à optimiser la création

d’une communauté de valeurs pour les propriétaires/actionnaires, ainsi que pour les autres parties

prenantes et l’ensemble de la société ». Cet objectif est couvert par la norme ISO 26000 qui présente un

guide méthodologique « mobilisable en matière de gouvernance d’entreprise »155. Ensuite, sur le

renforcement de l’obligation d’information des entreprises, elle est caractérisée l’instrument de base d’une

gouvernance sociale puisqu’elle oblige les entreprises à la transparence tant sur leurs modes de production

que de gestion. En effet, la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 dite la loi Grenelle 1 dispose que « la qualité

des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et

environnementales de son activités et l’accès à ces informations constituent des conditions essentielles à

la bonne gouvernance des entreprises ». Dans cet objectif, par exemple, la loi du 15 mai 2001 relative aux

nouvelles régulations économiques étend cette obligation en « exigeant que le rapport de gestion du conseil

d’administration présenté en assemblée générale des sociétés « cotées » comprenne, outre les informations

financières légales, des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences

sociales et environnementales de son activité »156. Au titre de l’obligation d’information et de la

153 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 108-110 154 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 100 155 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 98 156 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013, page 94

62

transparence de l’entreprise, la loi vient également encadrer la transparence des rémunérations des

mandataires sociaux ; ou bien encore, la loi va venir subordonner les indemnités de départ des dirigeants

de l’entreprise « à des critères de performance et en soumettant les parachutes dorées à une exigence

d’information au public ». Tout cela pour aboutir à un système de gouvernance plus sociale tourné vers à

la fois vers le long terme et la durabilité, et articulé autour d’un système commun de valeur déterminé par

la pluralité des parties prenantes au débat lors du processus de décision.

TITRE 2 : VERS UNE ENTREPRISE REPENSEE QUI TRANSFORME LA

CONTRAINTE EN ATOUT

L’intégration du concept de responsabilité sociale et environnementale dans l’entreprise présente bien des

aspects contraignants et complexe en ce qu’elle l’oblige à repenser l’intégralité de sa structure et sa relation

avec l’extérieur et ses propres relations internes, mais cette transformation de l’entreprise peut être une

source d’opportunité en ce qu’elle constitue une valeur ajoutée de l’entreprise, que ce soit de l’intérieur par

un management responsable pour optimiser la productivité, ou de l’extérieur en transformant la contrainte

écologique en produit marketing. Au-delà de l’entreprise elle-même, modifier son fonctionnement et

intégrer la réglementation maintenant lui permet d’appréhender l’avenir, c’est-à-dire la régulation, voire la

transformation, des logiques de marché dont le processus est enclenché et qui pourrait aboutir à long

terme, lui conférant un avantage non négligeable sur ses concurrentes qui devront à terme opérer les

mêmes changements.

CHAPITRE1 : LE DEVELOPPEMENT DURABLE, UNE VALEUR AJOUTEE POUR

L’ENTREPRISE

Malgré la contrainte que représente la normalisation en matière de développement durable, il est possible

pour l’entreprise qui se tourne dès maintenant dans un processus de responsabilisation sociale de

transformer ces contraintes et sources de complexité en atout et en opportunités à saisir, que ce soit en

repensant son système organisationnel pour optimiser sa structure ou en travaillant les engagements pris

par l’entreprise en matière sociale et environnementale pour les rentabiliser d’un point de vue marketing.

SECTION 1 : UNE ENTREPRISE REPENSEE DE L’INTERIEUR

La responsabilité sociale mise en place et appliquée par l’entreprise implique nécessairement des

changements internes au sein de l’entreprise et la conduit à revoir ses modalités de fonctionnement et de

gestion ; notamment à repenser sa structure organisationnelle, dans ce sens à reconsidérer la place des

différentes parties prenantes et de ses salariés dans la firme, mais également à intégrer la demande

responsable extérieure dans son mode de production.

Paragraphe 1 : Des nouvelles structures organisationnelles

La prise en compte des différentes parties prenantes externes à l’entreprise lui permet d’intégrer les enjeux

du développement durable qu’elles défendent apportés par leur participation au processus de décision,

mais la responsabilisation sociétale de l’entreprise implique également y associer différentes parties

prenantes internes. Parmi ces parties prenantes internes, ou autrement dit des parties intéressées ou

porteuse d’enjeux, les principales sont les actionnaires, les dirigeants, les managers, les salariés, avec entre

autres, les représentants du personnel et les comités d’entreprise. L’idée est essentiellement qu’une

63

entreprise socialement responsable soit une société qui s’engage dans un processus de direction et des

modes de gestion démocratique et qui tend vers un management participatif et responsable, et ceci par

l’intégration et la participation des différentes parties prenantes à l’organisation. Par management

participatif et responsable, il est entendu ici, entre autres formes, au moins une gestion sociale de l’emploi

dans l’entreprise et la reconsidération de la place du salarié dans l’organisation de la firme. Dans cette

intention, il faut comprendre le management responsable comme « créer des emplois et les conserver,

protéger les salariés, assurer une formation continue d’excellence (ce) sont les objectifs les plus souvent

affichés par les entreprises qui communiquent à propos de leur comportement social. Il y a là, à l'évidence,

une nouvelle façon d'aborder la création de valeur. Même si le profit reste au cœur des préoccupations,

cette nouvelle sensibilité pourrait à terme consacrer le rôle de la GRH et en faire l'un des “fondamentaux”

d'une entreprise cherchant à adopter un comportement socialement responsable »157. Autrement dit,

l’entreprise va adopter un comportement responsable vis-à-vis de ses employés, et pas seulement s’appuyer

sur les logiques de rentabilité du marché, et va attribuer une place essentielle à la gestion des ressources

humaines pour devenir socialement plus responsable sans pour autant perdre en performance.

A titre d’illustration, la combinaison entre les droits de l’Homme dans l’entreprise et la performance ne

sont pas nécessairement contradictoire du fait que les obligations qu’ils impliquent permettent

d’appréhender et de réduire les risques pour la firme. En matière de sécurité, par exemple, « les salariés se

trouvant sous la subordination de leur employeur, il est compréhensible que celui-ci soit garant de leur

sécurité et que ses obligations ne se limitent pas au seul respect des prescriptions impératives (mais s’étend)

à la prévention des risques professionnels (emportant) une véritable obligation de sécurité au caractère

contraignant varié »158. En effet, l’article L. 4121-1 du Code du travail dispose que « l'employeur prend les

mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces

mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels ; des actions d'information

et de formation ; la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation

de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations

existantes », auquel s’ajoutent les précisions de l’article L. 4121-2 prévoyant que « L'employeur met en oeuvre

les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques ;

évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; combattre les risques à la source ; adapter le travail à l'homme, en particulier

en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail

et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la

santé ; tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou

par ce qui est moins dangereux ; planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation

du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au

harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ; prendre des mesures de protection collective en leur donnant la

priorité sur les mesures de protection individuelle ; donner les instructions appropriées aux travailleurs ». Autrement dit,

l’employeur est tenu non seulement de garantir la sécurité de ses salariés, mais également de prendre les

mesures nécessaires pour prévenir les risques d’atteinte à cette sécurité. Néanmoins, si cette obligation de

sécurité constitue une contrainte pour l’entreprise, à l’inverse elle est aussi un facteur intéressant puisqu’en

prévenant les risques elle évite d’engager sa responsabilité et dispose d’un personnel ayant les conditions

nécessaires à une meilleure productivité. En conséquent, la garantie de la sécurité professionnelle et de la

157 A-S FRAISSE et S. GUERFEL-HENDA, « La Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) : instrument de management des ressources

humaines ? », 16e Conférence de l’AGRH – Paris Dauphine – 15 & 16 septembre 2005 158 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable :

approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 217

64

santé de ses salariés est une contrainte lourde pour l’entreprise, mais une contrainte qui si elle est bien

intégrée peut devenir un atout, voire une rentabilité sociale, permettant à l’entreprise d’appréhender et de

gérer les risques de la responsabilité sociale, et pourquoi pas accroitre sa productivité par des conditions

de travail optimisées pour les salariés. Mise à part la sécurité, la responsabilité sociale de l’entreprise par un

management responsable peut se traduire par une meilleure gestion du personnel. Notamment tendre vers

une gestion durable de l’emploi que ce soit par l’articulation intergénérationnelle qui permet de conserver

le savoir-faire dans l’entreprise et de le transmettre de génération en génération, garantissant ainsi le

maintien de l’emploi des plus âgés pour instruire les emplois formés pour les plus jeunes. La responsabilité

sociale de la gestion de l’emploi peut se traduire également par l’octroi de droits aux salariés, comme le

droit à la formation qu’elle porte sur des compétences spéciales pour pouvoir évoluer durablement dans

l’entreprise, ou un droit à la formation écologique des salariés. Par formation écologique, il est entendu ici

« d’une part, la formation visant, au-delà d’une simple sensibilisation, l’acquisition de connaissances

écologiques générales et appliquées à l’entreprise pour une modification des comportements quotidiens

ou l’adhésion à un projet d’entreprise (et d’autres parts) la formation à caractère professionnel (qui vise)

directement la protection de l’environnement et la sécurité des personnes »159. Sur cette formation

écologique, la responsabilité sociale de l’entreprise peut impliquer également la sensibilisation des

représentants du personnel à l’écologie qui vont être investit d’une mission environnementale, en plus de

la protection des intérêts des salariés, lors des négociations. Néanmoins, pour transformer la responsabilité

sociale en atout, l’entreprise ne doit pas seulement revoir son cadre organisationnel interne, mais doit

pouvoir intégrer la demande de développement durable dans son processus de production.

Paragraphe 2 : L’intégration de la demande pour le développement durable

La normalisation en matière de droit du développement durable travaille sur la prise en compte des enjeux

environnementaux et sociaux par les différents acteurs du développement durable, pour aboutir à terme à

une économie durable, mais aussi au développement d’une conscience collective. Une prise de conscience

collective qui s’insinue petit à petit au cœur de la société civile et touche donc les citoyens, des citoyens

qui sont également des consommateurs et la cible de référence des stratégie de l’entreprise pour les

atteindre, et avec eux leur pouvoir d’achat. En effet, la responsabilité sociale de l’entreprise et la prise en

compte des enjeux environnementaux peut jouer « un rôle positif dans le processus d’achat des

consommateurs et peut notamment renforcer le caractère distinctif du positionnement d’une marque et

être perçue par les consommateurs comme attribut important du produit, elle peut aussi contribuer à

augmenter le chiffre d’affaire de l’entreprise ».160 C’est dans ce sens que l’entreprise va pouvoir transformer

la contrainte de la normalisation du développement durable et de la responsabilité sociale en atout, faisant

des enjeux environnementaux initialement des charges, une modalité du produit qui une fois intégrée au

marché va constituer un facteur de rentabilité pour l’entreprise que ce soit en distinguant sa marque des

autres, ou en attirant une nouvelle clientèle. L’entreprise va transformer son implication sociale et

environnementale sur son territoire en caractéristique substantielle intégrant ses produits et services

proposés à la clientèle, elle va parvenir à faire des considérations et objectifs du développement durable, a

priori situé hors marché, une sorte de bien monnayable sur le marché en parvenant à mesurer la valeur de

la responsabilité sociale. Par exemple, l’intégration des objectifs du développement durable est une

caractéristique essentielle qui compose le prix d’un produit issu de l’agriculture biologique, raison pour

159 M-P. BLIN-FRANCHOMME, I. DESBARATS, G. JAZOTTES et V. VIDALENS, Entreprise et développement durable : approche juridique pour l’acteur économique du XXIème siècle, coll. Lamy, Axe droit, 2011, page 311 160 J-P. GOND et J. IGALENS, La responsabilité sociale de l’entreprise, Que sais-je ?, Puf, 2ème édition, 2010, page 91

65

laquelle en général, entre autres raisons techniques, une pomme provenant de l’agriculture biologique aura

un prix plus élevé qu’une pomme d’agriculture traditionnelle, alors même que les coûts de production sont

allégés, notamment de l’achat de pesticides. En des termes plus techniques, il est possible pour l’entreprise

« d’identifier les consommateurs demandeurs de produits durables, et de mesurer cette demande (mais)

indépendamment de cette demande, une stratégie de développement durable peut correspondre à un choix

rationnel pour l’entreprise »161. Tout va dépendre de la possibilité pour l’entreprise de déterminer et

d’analyser l’offre et la demande qui s’articulent autour du concept de développement durable et de

positionner sa stratégie sur le marché.

Outre de répondre à la demande d’une clientèle vacante en attente de produits durables et de saisir des

parts de ce nouveau marché, la stratégie de développement durable peut être un atout pour l’entreprise et

ce sur différents aspects puisque l’intégration de la responsabilité sociale dans la firme peut être source de

bénéfices. En effet, le choix du développement durable implique, certes une vision différente des affaires

loin du seul critère de rentabilité économique, mais les deux ne sont pas nécessairement incompatibles.

Sur l’aspect de la légitimité de l’entreprise, par exemple, on constate que les consommateurs octroient plus

de légitimité aux entreprises qui s’engagent dans le développement durable. En effet, malgré que

« l’engagement dans le développement durable part d’une réflexion stratégique de l’entreprise, et sa mise

en œuvre s’accompagne de processus de suivi accrus des achats, de la production, de la distribution (le fait

est) que le supplément de prix engendré nécessite généralement une meilleure diffusion d’information sur

ces conditions de production auprès des consommateurs, information appréciée, qui va renforcer l’image

de responsabilité de l’entreprise, donc sa légitimité ». Mise à part la légitimité de l’entreprise, son

engagement va lui permettre également de se différencier de ses concurrents en proposant des produits

différents ; par exemple, « l’enseigne de jardinerie BOTANIC a récemment opté pour la suppression totale

des engrais et pesticides chimiques dans ses magasins et produits (, un) choix stratégique (qui) devrait

permettre non seulement une différenciation des produits, dans l’esprit des consommateurs sensibles à ces

arguments, mais aussi une différenciation positive de l’enseigne »162. En outre, dans un marché financier et

économique en crise, l’intégration des objectifs du développement durable est source d’innovation et de

nouvelles opportunités d’innovation sur le long terme. Concrètement, « cela peut donner lieu à de

nouvelles pistes pour le manager, comme le développement de partenariats avec certaines parties prenantes

(puisque) lorsque l’on ajoute à la préoccupation de performance financière de l’entreprise la préoccupation

de performance environnementale et sociale, la variété des éléments, des relations, des interactions, des

dynamiques du système augmente, et le système se complexifie », intégrant ainsi de nouveaux débouchés

et laissant place à l’innovation163. Par exemple, l’organisation non-gouvernementale WWF qui lutte pour

la protection de l’environnement travaille avec les entreprises et développe des partenariats dont celui des

« produits partage », « Il s’agit de produits ou de services dont une partie du prix de vente est reversée au

WWF pour soutenir ses actions. Un contrat de licence de marque permet aux entreprises partenaires

d’apposer le logo du Panda sur leurs produits et d’utiliser l’univers de marque du WWF »164. Ce mécanisme

permettant à la fois à l’ONG d’engager les entreprises et les consommateurs dans la lutte pour la

préservation de l’environnement ; mais également à l’entreprise de valoriser son engagement vis-à-vis des

161 E. REYNAUD, Stratégies d’entreprises en développement durable, coll. Ethique en contexte, L’harmattan, 2011, page 136 162 E. REYNAUD, Stratégies d’entreprises en développement durable, coll. Ethique en contexte, L’harmattan, 2011, page 138 163 E. REYNAUD, Stratégies d’entreprises en développement durable, coll. Ethique en contexte, L’harmattan, 2011, page 140 164 WWF « Vivre en harmonie avec la nature », Nos modes d’action, « Engager les entreprises », disponible sur : http://www.wwf.fr/nos_modes_d_action/engager_les_entreprises/

66

consommateurs et de mettre en avant sa responsabilité sociale qui va lui servir notamment d’outil

marketing.

SECTION 2 : LE DEVELOPPEMENT DURABLE AU SERVICE DE L’IMAGE DE MARQUE DE

L’ENTREPRISE

L’atout principal de la responsabilisation sociétal et de l’intégration des enjeux environnementaux pour le

développement durable pour l’entreprise correspond à l’utilisation qu’elle va pouvoir faire de ses

engagements envers les consommateurs pour en valoriser son image vis-à-vis de l’extérieur, et ce que ce

soit pour se distinguer de ses concurrents lors du « reporting social », ou pour le développement de sa

communication et l’emploi par le service marketing comme outil publicitaire.

Paragraphe 1 : Le « reporting social » de l’entreprise

Tout l’enjeu de la performance sociale pour l’entreprise correspond à la valorisation de sa

responsabilisation sociale et environnementale vis-à-vis de l’extérieur pour que ses engagements,

sources de coûts et de contraintes, aient des retombées économiques profitables, il faut donc qu’elle

parvienne à transformer les contraintes en atout pour se distinguer des entreprises concurrentes

notamment sur l’obligation de « reporting social » qui oblige l’entreprise à une transparence totale.

Un « reporting social » qui s’inspire du « reporting financier », c’est-à-dire un document qui

« s’intéresse à la description financière des événements économiques spécifiques concernant une

organisation ou une entité comptable définie afin de fournir des informations à des utilisateurs

divers »165, autrement dit un rapport destiné à informer le public des activités financières et

commerciales de la société. Il y a différentes catégories de reporting parmi lesquelles : « le reporting

dans les documents financiers sur les activités économiques ; le reporting dans d’autres parties des

rapports annuels ou dans des rapports indépendants sur les autres aspects de l’activité de l’entreprise

; (et) le reporting réalisé par d’autres organismes externes à l’entreprise ». Celui qui intéresse le droit

du développement durable est le second, c’est-à-dire les rapports sur les autres aspects de l’activité

de l’entreprise et, justement, les activités sociale et environnemen tale. Dans cette intention, « le

reporting social (et environnemental) consiste à mesurer la performance d’une organisation en

matière de développement durable, à en communiquer les résultats puis à en rendre compte aux

parties prenantes internes et externes (dans l’objectif) de faire le bilan des impacts économiques,

environnementaux et sociaux »166 de l’entreprise ; mais également pour dresser un bilan des mesures

prises par l’entreprise pour se responsabiliser socialement. En France, le « reporting social » et sa

publication par l’entreprise au public est une obligation consacrée depuis la loi du 15 mai 2001 relative

aux nouvelles régulations économiques, dite aussi loi NRE, qui exige que « le rapport de gestion du

conseil d’administration présenté en assemblée générale des sociétés cotées comprenne, outre les

informations financières légales, des informations sur la manière dont la société prend en compte les

conséquences sociales et environnementales de son activité » ; une réglementation précisée par la loi

Grenelle 1 de 2009 qui enjoint que « la qualité des informations sur la manière dont la société prend

en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité et l’accès à ces

165 S. DAMAK-AYADI, « Le reporting social et environnemental suite à l'application de la loi NRE en France », Comptabilité - Contrôle

- Audit 2010/1 (Tome 16), p. 53-81. DOI 10.3917/cca.161.0053 166 J-P. GOND et J. IGALENS, La responsabilité sociale de l’entreprise, Que sais-je ?, Puf, 2ème édition, 2010, page 96

67

informations constituent des conditions essentielles à la bonne gouvernance des entreprises »167, et

dans ce sens à une bonne responsabilisation sociale de l’entreprise. L’idée est que le reporting social

constitue un outil de transparence de l’entreprise vis-à-vis de la société civile ; mais également un

outil de dialogue social entre les différentes parties prenantes : « un outil de dialogue entre

l’organisation et la Société (qui) doit permettre à la direction de l’entreprise à la fois de gérer ses

responsabilités dans les domaines sociaux et sociétaux et d’en rendre compte aux tiers concernés »168.

Une obligation de transparence de l’entreprise qui apparait d’avantage comme une contrainte et un

risque de réputation, c’est-à-dire l'impact que peut avoir une erreur de gestion sur l'image d'une

organisation ici en cas de dommage à l’environnement ou un individu, plutôt que comme un atout.

Mais justement, l’atout de ce reporting social et environnemental va être cette obligation de

transparence pour l’entreprise socialement responsable puisqu’elle va pouvoir valoriser sa

publication, alors que ses concurrentes qui n’ont pas intégré les objectifs du développement durable

vont en pâtir de cette publication. En effet, alors que l’entreprise va pouvoir valoriser ses

engagements et la minimisation des risques dans son organisation lors de la publication du rapport,

ses concurrentes quant à elles, si elles n’ont pas engagé d’action pour le développement durable ou

qu’elles peinent à appliquer la réglementation en la matière, vont mettre en jeu leur réputation ; et

l’entreprise va pouvoir se distinguer positivement de ses concurrentes et valoriser son image de

marque, voir accroitre son chiffre d’affaire vis-à-vis des consommateurs sensibles au développement

durable. En effet, au final, « la diffusion d’information environnementales et sociales s’apparente plus

souvent à une opération de communication qu’à un rapport sur les conséquences effectives des

activités de l’entreprise ; ce sont les services de communication des entreprises qui sont, en général,

en charge de cette publication ; les informations publiées construisent alors une image positive et

gomment les impacts négatifs »169.

Paragraphe 2 : Le développement durable comme outil marketing

L’entreprise qui s’engage dans un processus de responsabilité sociale et modifie son comportement sur le

marché a tout intérêt à valoriser les mesures prise et les engagements tenus auprès des différentes parties

prenantes, notamment des consommateurs, pour transformer les charges qu’elle a supporté en atout, voir

en opportunité de rentabilité. Une valorisation du changement de l’entreprise vers un système économique

durable et plus respectueux de l’environnement, qui va se faire par la communication de l’entreprise,

notamment par le marketing. Une politique de marketing qui ne va pas simplement mettre en avant la

manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité

pour les valoriser éthiquement auprès du public, mais qui va être d’avantage offensive. En effet, la société

va travailler à travers son service de communication à une véritable politique de marketing propre à l’aspect

développement durable à travers ses politiques d’offre, de prix, de communication ou de distribution ; et

ceci pour utiliser les pratiques de développement durable à des fins commerciales et de rentabilité. Pour

être réellement efficace, il ne suffit que l’entreprise mette en avant ses actions environnementales dans ses

communications publicitaires, mais que la communication elle-même intègre les valeurs du développement

167 L. FONBAUSTIER et V. MAGNIER, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, Actes, 2013,

page 94-95 168 S. DAMAK-AYADI, « Le reporting social et environnemental suite à l'application de la loi NRE en France », Comptabilité - Contrôle - Audit 2010/1 (Tome 16), p. 53-81. DOI 10.3917/cca.161.0053 169 M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE, La responsabilité sociale de l’entreprise, Coll. Repères Gestion, La découverte,

2010, page 102

68

durable et soit « responsable ». Le terme responsable implique que les communications publicitaires au

profit de la valorisation des actions de l’entreprise respectent quelques conditions de fond et de forme.

Concernant le fond, l’entreprise doit nécessairement faire preuve de transparence, il est entendu que

« l’entreprise va clairement afficher sa stratégie, ses engagements, les moyens mis en œuvre et les progrès

réalisés dans la démarche de développement durable »170 auprès des différentes parties prenantes. Dans

cette intention, il y a notamment les documents rédigés par l’entreprise pour informer de ses lignes

directrices qu’elles soient financières, commerciales, sociales ou environnementales ; comme les rapports

annuels détaillés à l’image du « reporting social » dont il été question précédemment, ou encore les codes

de conduite ou les chartes d’entreprise qui établissent clairement les règles et objectifs de l’entreprise en

matière de développement durable. Outre, la rédaction de rapports, codes ou publication, le marketing du

développement durable peut également passer par l’affichage d’informations relatives à la durabilité des

produits, entendant les emballages : « le packaging du produit devra être traité avec attention (puisqu’) il

devra suggérer la qualité du produit, être attractif et valorisant pour l’acheteur, et contenir l’information

justifiant la différence du prix ». En effet, pour un consommateur moyen qui fait ses courses dans un

supermarché, un produit pour lequel l’entreprise veut valoriser les efforts de développement durable sera

présenté sous un conditionnement plus attractif esthétiquement mais comportement également plus de

mentions d’information sur ses origines, son lieu de fabrication, … qu’un autre produit pour pouvoir

justifier de la différence de tarif entre les deux produits. Ensuite, toujours sur le fond, le message lui-même

de la communication présente une importance fondamentale puisque c’est le cœur de la communication

et ce qui être délivré aux différentes parties prenantes. Ce message se doit également d’être responsable,

c’est-à-dire qu’il « doit être conforme à la promesse tenable de l’offre durable de l’entreprise », autrement

dit qu’il doit refléter exactement les actions de l’entreprise et ne doit pas laisser illusionner une promesse

qui ne sera jamais tenue. Ensuite, le message « doit être en adéquation avec les valeurs de l’entreprise et les

valeurs de ses diverses parties prenantes », être éthiquement défendable, participer l’établissement d’une

relation de long terme entre l’offre durable et le consommateur visant ici l’exclusion de l’obsolescence

programmée ou la réparation des produits par exemple, ainsi que promouvoir, non seulement les actions

de l’entreprise pour le développement durable, mais le développement durable lui-même en proposant

d’utiliser des produits qui pour moitié moins de quantité sont autant efficace pour aider à la préservation

de l’environnement, à l’image des publicités pour la lessive. En revanche, sur la forme, il s’agit de bien

choisir le support de la communication ou de la publicité en cohérence avec le développement durable

puisqu’une « entreprise qui s’inscrit dans le développement durable va choisir un support de

communication durable pour véhiculer son message ». Sont visés ici, parmi d’autres techniques

publicitaires, les tracts et les flyers qui outre d’être coûteux en papier provenant du déboisement des forets,

finissent à la poubelle ou pire, à airer dans les rues. Au final, ces communications permettent à l’entreprise

à la fois de rentabiliser et de valoriser leur image au titre de la responsabilité sociale et du développement

durable, impliquant des innovations et une distinction vis-à-vis de ses concurrents, conduisant à l’attraction

d’une clientèle potentielle et d’une rentabilité économique. Mais pas seulement, puisqu’en se mettant au

« vert », les entreprises inculquent également de nouveaux modes de consommation aux consommateurs,

qui peuvent y percevoir un moyen de consommer mieux. En conséquent, par un effet vertueux ces

nouveaux consommateurs vont se détourner des sociétés concurrentes qui ne sont pas socialement

responsables, n’ayant pas anticipé l’avenir, et se fidéliser à l’entreprise « écologique » et éthiquement

« acceptable ». Des entreprises concurrentes, qui poussées par l’évolution du développement durable et de

170 E. REYNAUD, Stratégies d’entreprises en développement durable, coll. Ethique en contexte, L’harmattan, 2011, page 146

69

la normalisation seront petit à petit contraintes de se responsabilisée, mais qui n’auront pas nécessairement

saisi toutes les opportunités qu’offre l’intégration du développement durable.

CHAPITRE 2 : UNE NOUVELLE CONCEPTION DU MARCHE

La responsabilité sociale des entreprises et la normalisation, plus brutale mais efficace dans le sens où les

sociétés sont juridiquement contraintes d’intégrer les règles de protection de l’environnement et de gestion

des risques, permettent déjà de modifier le comportement des entreprises conciliant les logiques du marché

dont elles sont imprégnées avec les objectifs du développement durable. Mais ce changement dans les

lignes directrices des entreprises, et voyant qu’elles parviennent à rentabiliser leur activité voir même à

rentabiliser le concept de développement durable lui-même sur le marché, permet d’entrevoir au-delà de

la modification du fonctionnement des entreprises, une nouvelle conception du marché que ce soit par le

coexistence de ces deux mondes à l’origine contradictoire, ou par l’intégration du développement durable

par le marché pour tendre vers un marché repensé, un capitalisme durable.

SECTION 1 : « PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET MARCHE : COEXISTENCE OU

GUERRE DES MONDES »

L’idée derrière la normalisation en matière de droit du développement durable est d’imposer aux différents

acteurs, et de les sensibiliser, à une meilleure gestion des ressources de la planète et en les contraignant à

changer leur comportement, réguler les logiques de marché qui ne vise que l’exploitation des ressources

pour en tirer une rentabilité économique. Le marché, de manière particulièrement succincte, est une

relation entre l’offre et la demande, une relation qui exclut ce qui ne présente pas une rentabilité et ne

s’exploite pas parmi lesquels tous les discours éthiques, moraux et évidemment les objectifs du

développement durable et les enjeux environnementaux, dits hors marché. Mais ces deux mondes sont-ils

simplement antagonistes ou peuvent-ils trouver un terrain d’entente et parvenir à coexister, voire

fonctionner main dans la main pour tendre vers un marché économique durable ? L’environnement, terme

derrière lequel s’entend la nature avec ses différents écosystèmes et les ressources nécessaires à la vie

comme l’eau, l’air, etc ; c’est un équilibre à l’intérieur duquel la moindre perturbation ou disproportion

perturbe le fonctionnement de ce système complexe et provoque des réactions en chaîne ; le moindre

impact sur un cours d’eau, par exemple, même minime provoque des ondes de grandes amplitudes et qui

ne cessent de s’agrandir. Le monde du marché, quant à lui, est très différent puisqu’il a pour objet de

couvrir « les échanges de marchandises, de services, de titres divers, de capitaux (qui n’ont) d’autres sens

que l’accumulation de l’argent capital en bout de chaîne, ce qui signifie que tout ce qui s’échange dans cette

logique répond principalement à la financière-monétaire, c’est-à-dire que tout est converti dans sa valeur

financière monétaire, le produit physique n’ayant pas d’intérêt en soi (où) les mécanismes et les outils de

ce marché sont des artéfacts, des inventions humaines, fondées sur des représentation »171 que l’on peut se

faire du produit. Il apparait irréfragablement que ces deux mondes sont complètement étrangers l’un de

l’autre et poursuivent des objectifs et des logiques contradictoires, l’un relevant du réel et du concret où le

produit a un intérêt en lui-même du fait de la place qu’il occupe dans le système complexe qui opère autour

de lui, alors que l’autre relève de mécanismes créés par l’Homme à partir de sa représentation de la société

humaine et de son système économique où le produit n’a pas d’intérêt en soi mais qu’il est constitutif d’une

valeur monétaire, il n’est qu’une valeur pouvant faire l’objet d’un échange contre un autre produit de même

171 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection

internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 21

70

valeur. Ces deux mondes sont menés par des logiques contradictoires où l’un prône l’harmonie et le

développement de la vie, alors que l’autre est animé d’une logique d’exploitation où les produits doivent

fournir une rentabilité financière. Au surplus, l’environnement est un système global qui évoluent sur le

long terme, depuis des milliards d’années et normalement encore pour des milliards d’années la Terre

n’étant qu’à la moitié de son cycle de vie, alors que le marché est individualiste et se situe dans le court

terme, évoluant d’une seconde à l’autre où le « souci du gain maximum à très court terme est évidemment

incompatible avec toute politique de protection de l’environnement »172. Mais, après tout ce que l’on vient

de voir sur la responsabilisation des différents acteurs du marché, ses deux mondes sont-ils si

inévitablement incompatibles ou peuvent-ils parvenir à coexister. Si l’on considère ici la théorie de la

« destruction créative » de J. Schumpeter, voulant que les nouveaux produits tuent toujours les anciens, et

qu’on l’applique à la situation, il n’est pas totalement absurde de considérer que le marché étant déjà passé

par les phases d’exploitation et de destruction, il passe désormais dans une phase créative tendant vers une

croissance durable, dite « croissance verte ». L’idée de la théorie est qu’en vertu du cycle des affaires, « une

innovation majeure engendre une phase de croissance, synonyme de créations d'emplois ; puis certaines

entreprises font faillite car leurs techniques ou leurs produits sont devenus obsolètes ce qui provoque une

phase de dépression, destructrice d'emplois ; cette phase de difficultés économiques suscite cependant

l'imagination créatrice de nouveaux entrepreneurs, donc de nouvelles innovations et une nouvelle phase

de croissance »173. Appliquée à la situation du développement durable, cette théorie voudrait qu’avec

l’obligation faite aux entreprises d’intégrer les enjeux environnementaux et sociaux à partir de l’alliance

entre le droit du développement durable et le droit des affaires, les logiques de marché intègrent également

le respect de l’environnement, et qu’ainsi ce nouveau marché tue l’ancien. En effet, d’après Schumpeter,

« l’impulsion fondamentale qui enclenche la machine capitaliste et la garde en mouvement vient des

nouveaux consommateurs, des nouvelles marchandises, des nouvelles méthodes de production et de

transport, des nouveaux marchés et des nouvelles formes d’organisation industrielle que crée l’entreprise

capitaliste ». Dans ce sens, entre la responsabilisation des entreprises et la sensibilisation des

consommateurs initiées par la réglementation en matière de développement durable, c’est-à-dire que les

entreprises sont obligées par la loi de les prendre en compte, on peut imaginer que le nouveau marché qui

émerge (par exemple le marché du « bio ») parvienne à terme à s’imposer sur l’ancien marché, d’autant

plus que nous avons vu précédemment que les entreprises trouvent de nouvelles opportunités dans ce

marché et qu’elles parviennent à rentabiliser leurs engagements environnementaux et sociaux.

SECTION 2 : VERS UN MARCHE REPENSE POUR UN CAPITALISME DURABLE

Si à l’origine le marché économique et les enjeux environnementaux et sociaux véhiculés par le

développement durable sont deux concepts antagonistes, la réglementation en matière du droit du

développement durable a fait en sorte que le marché soit contraint, via le fonctionnement des entreprises,

d’intégrer ces enjeux et qu’ils soient contraints de coexister. Mais au-delà de la coexistence, les entreprises

ont trouvé un moyen de transformer le développement durable en « marchandises » pouvant apporter une

certaine rentabilité sur le marché. Cette intégration du développement durable par le marché, ou d’un autre

point de vue d’un nouveau marché du développement durable, montre que les deux notions ne sont pas

172 J. SOHNLE et M-P. CAMPROUX DUFFRENE, Marché et environnement, Le marché : menace ou remède pour la protection internationale de l’environnement, coll. Droit(s) et développement durable, Bruylant, 2014, page 24 173 Cité de l’économie, 10000 ans d’économie, Révolutions industrielles, « La « destruction créatrice » de Schumpeter », disponible sur : http://www.citedeleconomie.fr/10000-ans-histoire-economie/revolutions-industrielles/la-destruction-creatrice-de-schumpeter

71

incompatibles bien qu’ayant des logiques particulièrement différentes. En effet, il apparait que le

développement durable ne soit pas un danger dans le fonctionnement même du marché pour les

entreprises mais qu’il puisse intervenir comme un simple régulateur, ainsi les normes du développement

durable vise simplement à réguler le marché comme une norme économique (droit de la concurrence,

droit des sociétés), faisant peser des contraintes sur le marché non pour remettre en cause son

fonctionnement mais plus pour le protéger et assurer sa pérennité dans l’avenir. Le droit du développement

durable ne remet pas en question les logiques du marché, celui-ci ayant permis à beaucoup de populations

d’améliorer leurs conditions de vie, mais seulement agir sur son impact que ce soit sur les inégalités sociales

qu’il creuse ou les conséquences de cette exploitation des ressources par le marché. La prise en compte

des enjeux environnementaux et sociaux est ici, non une contrainte sur le fonctionnement du marché, mais

de véritables objectifs de protection par la régulation du point de vue où le développement durable

obligeant les entreprises à réparer l’impact de l’exploitation de leur activité et de mieux gérer les ressources

qu’elles utilisent, elle assure un avenir au marché. Autrement dit, le marché tel qu’il fonctionne actuellement

est en train d’exploiter et de ravager toutes les ressources à sa disposition sans nécessairement se projeter

sur le long terme, ainsi la régulation par le développement durable oblige les entreprises à repenser leur

fonctionnement, garantissant au marché le renouvellement des ressources, même de nouveaux débouchés ;

mais également par des actions sur les inégalités sociales qu’il cause, lui garantir une demande et des

consommateurs. C’est dans ce sens que le « capitalisme durable supposerait ainsi de renouveler les relations

entre croissance et bien-être, ou entre croissance et développement, pour tenir compte de ce conflits

d’objectifs »174. En d’autres termes, le capitalisme durable est caractérisé par l’intégration des enjeux du

développement durable dans les logiques de marché pour contrebalancer, en quelque sorte, les impacts

négatifs du marché sur son environnement, que ce soit socialement ou sur l’environnement. Cet équilibre

peut se faire par l’adoption d’une politique « d’économie verte » par le gouvernement, c’est-à-dire « une

économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de

manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources (qui) se caractérise par un

faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale (où par

exemple) la croissance des revenus et de l’emploi doit provenir d’investissements publics et privés qui

réduisent les émissions de carbone et la pollution, renforcent l’utilisation rationnelle des ressources et

l’efficacité énergétique et empêchent la perte de biodiversité et de services environnementaux »175.

L’économie verte n’est pas qu’un compromis entre le développement durable et le marché, mais « agit

généralement comme un nouveau moteur et non comme un ralentisseur de la croissance et constitue un

créateur net d’emplois décents ainsi qu’une stratégie vitale d’élimination de la pauvreté persistante ». Il

ressort ici que les divergences d’intérêts et de logiques du développement durable et du marché ne sont

pas qu’une source de coexistence ou de séparation, une frontière entre ces deux mondes, mais qu’ils

peuvent être la source d’une fusion entre les deux logiques pour la création d’un nouveau marché durable,

les deux étant complémentaires l’un de l’autre pour assurer les besoins de la population actuelles sans

compromettre ceux des générations futures.

174 C. BEAURAIN, M. MAILLEFERT et O. PETIT, « Capitalisme raisonnable et développement durable : quels apports

possibles à partir de l’institutionnalisme de John R. Commons ? », Actualité de John Commons, Revue Interventions

économiques, n°42 (2010) 175 PNUE, « Vers une économie verte, pour un développement durable et une éradication de la pauvreté », Synthèse à l’intention

des décideurs, Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2011, DTI/1365/GE

72

SECTION 3 : DES NOUVEAUX MARCHES A SAISIR

Le concept d’un marché durable qui se généralise à tous les secteurs correspond à ce que tous les acteurs

du développement durable souhaitent à terme, néanmoins de manière plus réelle et tangible ce n’est pas

encore le cas actuellement. Ce qui, en revanche, est encourageant c’est que l’on voit au cours de la

sensibilisation des citoyens et de la responsabilisation des entreprises, des nouveaux marchés qui émergent,

des marchés qui n’intègrent pas le développement durable, mais sont des marchés du développement

durable à part entière. Si certaines entreprises se contentent de valoriser leurs produits par rapports aux

engagements environnementaux et sociaux qu’elles prennent par des outils de communication et une

publicité responsable. D’autres, en revanches, profitent des opportunités ouvertes par les enjeux du

développement durable, et surfent sur la tendance du moment en saisissant des nouveaux marchés propres

au développement durable. Des grandes entreprises continuent à produire leurs produits d’origine mais en

profitent pour investir et se diversifier justement autour de la protection de l’environnement ; par exemple,

les producteurs automobiles continuent de produire des voitures et autres véhicules qui utilisent du

carburant issu des ressources pétrolières, mais à côté elles investissent dans la recherche et la production

de véhicules électriques dans l’objectif d’une transition énergétique plus respectueuse de l’environnement.

D’autres entreprises se positionnent sur le marché des produits « biologiques », c’est-à-dire un marché de

produits issus de l’agriculture biologique, choisis par des consommateurs en demande de produits plus

responsables et naturels puisque la caractéristique principale de ces produits est qu’ils ont été produits

naturellement sans ajout de produits chimiques de synthèse. L’avantage du marché des produits « bio » est

principalement son étendue puisqu’il touche aussi bien les fruits et les légumes, mais également la

production de viande et de lait où les animaux sont élevés dans de meilleures conditions de vie et sans

produits chimiques, mais on trouve également les cosmétiques et toutes sortes d’autres produits. Un

nouveau marché qui s’est développé en réponse aux enjeux du développement durable également est celui

de l’énergie photovoltaïque, promouvant la production d’énergie solaire plutôt que nucléaire, où de

nombreuses entreprises se sont lancées dans la production et la vente de ces panneaux solaires, impliquant

aussi le service d’installation chez les particuliers consommateurs, ou entreprises consommatrices de ce

produit. Plus imprégnées encore par le développement durable qui est la source de leur activité, certaines

entreprises font produire en utilisant comme matière premières des matériaux de récupération ou des

déchets, que ce soit pour les transformer et en faire des produits à nouveau ou pour alimenter l’entreprise

en énergie. Par exemple, la Suède a mis en place un système de production d’énergie par l’incinération des

déchets qui « génère suffisamment d'énergie pour assurer 20 % du chauffage urbain du pays (810 000

foyers) et un approvisionnement en électricité pour 250 000 foyers, sur 4,6 millions de ménages », le

problème étant qu’avec ce fonctionnement « les capacités d'incinération du pays s'avèrent bien supérieures

aux quantités de déchets produits »176. C’est sur ce point que l’affaire est intéressante puisque la Suède par

ce procédé a fait des déchets une « marchandise » puisqu’en devant les acheter elle leur donne une valeur

marchande, elle ouvre donc un marché du déchet. Il reste que les marchés du développement durable ne

cessent de se développer, aussi diversifiés que les domaines que touche le développement durable, et

ouverts aux différents investissements pour l’innovation, notamment en matière de transition énergétique

mais pas seulement.

176 A. GARRIC, « A force de recycler, la Suède doit importer des déchets », Le Monde, 22 septembre 2012

73

CHAPITRE 3 : « DEVELOPPEMENT DURABLE : POUDRE AUX YEUX OU

REALITE » ?

Le concept de développement durable a considérablement évolué depuis le Sommet de la Terre de 1992

à Rio, notamment grâce à la prise en compte du concept par les Etats qui ont développé une large

réglementation en la matière, en tout cas pour la France, mais le bilan de son évolution reste tout de même

mitigé. En effet, il y a eu de grandes avancées et des innovations importantes en la matière, en particulier

localement avec le développement d’une prise de conscience collective de l’environnement et notamment

de l’impact de l’Homme sur l’environnement par la sensibilisation de la société civile et des

consommateurs. De son côté, la responsabilité sociale des entreprises « constitue certainement une

innovation importante dans la gestion des entreprises et tout laisse à penser que cette innovation n’est pas

un simple effet de mode car elle répond à de très nombreuses attentes, individuelles et collectives ». En

effet, elle permet de réduire l’impact de l’exploitation des entreprises sur leur territoire, développant une

gouvernance de l’entreprise plus ouverte aux différentes parties prenantes, et de les responsabiliser vis-à-

vis de l’extérieur soit en les obligeant à réparer, soit en les contraignants à intégrer directement dans leurs

lignes directrices les enjeux environnementaux et sociaux. Mais les grands objectifs internationaux restent

pour la plupart inachevés, sinon oubliés, et le marché est loin à l’heure actuelle d’avoir intégré la notion de

durabilité du développement durable. En effet, « il ne convient pas d’attendre de la RSE ni la résolution

des grands problèmes que connait la planète »177, puisque déjà toutes les entreprises n’ont pas intégrée le

concept de développement durable dans leur mode de fonctionnement, et pour celles qui l’ont fait la RSE

reste une préoccupation secondaire. Ensuite, les entreprises ne peuvent pas à elles seules régler tous les

grands problèmes mondiaux en matière de développement durable. Malheureusement, malgré les

programmes d’action et l’engagement des organisations non-gouvernementales, le bilan dressé en matière

d’environnement à la suite de la conférence Rio+20 en 2012 est particulièrement négatif puisque : « sur 90

objectifs internationalement reconnus en matière de gestion durable de l’environnement et de

développement humain, le PNUE établit un état des lieux alarmant : Seuls 4 objectifs ont enregistré "des progrès

significatifs". Il s’agit de la disparition des molécules portant atteinte à la couche d’ozone (les CFC notamment), de

l’élimination du plomb dans les carburants, de l’amélioration de l’accès des populations à une eau potable (bien qu’une

importante marge de progression subsiste) et de la promotion de la recherche en matière de lutte contre la pollution marine ;

40 objectifs ont enregistré des progrès (le rythme de la déforestation a régressé, les zones protégées se sont étendues, etc.) ; 24

objectifs n’ont pas connu de progrès ou très peu. A titre d’exemple, les émissions de gaz à effet de serre devraient doubler d’ici

2050 et les ressources halieutiques continuent de s’amoindrir ; 8 objectifs ont enregistré une dégradation (qualité des eaux

souterraines, protection des récifs coralliens, etc.) ; les 14 objectifs restants n’ont pu faire l’objet d’une évaluation, faute de

données disponibles »178. Outre l’environnement, le développement durable avait également pour objectif de

lutter contre la pauvreté en la réduisant de moitié en 2015, mais arrivé à l’année fatidique, ce programme

ambitieux qui supposait « un effort accru de solidarité entre pays riches et pays pauvres, le financement de

dépenses d’éducation, de santé, d’apport en eau potable, de construction d’infrastructures (est mis de côté

face à) la tendance (qui) est au contraire, au Nord comme au Sud, à se détourner du sort des plus pauvres,

perçus plus comme des menaces pour la sécurité du monde que comme une humanité à aider »179. En

conséquent, le développement durable est une réalité en ce qu’il a été largement engagé par les différents

177 J-P. GOND et J. IGALENS, La responsabilité sociale de l’entreprise, Que sais-je ?, Puf, 2ème édition, 2010, page 123 178 Vie publique, Actualité, Dossiers d’actualité, « Le sommet Rio+20 : le bilan de 20 ans de développement durable, 26 juin 2012, disponible sur : http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/sommet-rio-2012/sommet-rio-20-bilan-20-ans-developpement-durable.html 179 S. BRUNEL, Le développement durable, Que sais-je ?, Puf, 5ème édition, 2012, page 92

74

acteurs et connu de grandes évolutions ; mais reste un mythe dans le sens où à l’heure actuelle il est encore

au stade de prise de conscience collective qu’au stade aboutit, c’est-à-dire l’osmose entre une économie

durable respectueuse des ressources, impliquant l’impact de l’Homme et de ses activités sur son territoire,

avec l’environnement et plus globalement l’écosystème global de notre planète bleue.

75

C O N C L U S I O N

Le développement durable est une notion particulièrement complexe, en raison notamment d’une

définition imprécise et large et d’un champ d’application singulièrement étendu puisqu’il s’applique de

manière multidisciplinaire, mais également du fait ses différentes sources, allant de l’international au local

en passant par une gestion et une normalisation essentiellement étatique le rendant difficile à concevoir

concrètement. En outre, cette multidisciplinarité fait du développement durable un concept « fourretout »

derrière lequel chacun range des intérêts différents. Un concept qui connait une grande évolution depuis

la Conférence de Rio de 1992, mais qui trouve une application plus concrète depuis les lois dites Grenelles

de 2009 et 2010 en France puisqu’elle pose une base matérielle et réelle d’application du droit du

développement durable, la première loi en définissant clairement les objectifs de la France dans la matière,

la seconde en établissant une réglementation précise et ses modalités d’application suivant les différents

axes définis par la première loi. Outre son évolution législative, le développement durable et les différents

enjeux environnementaux et sociaux qu’il véhicule ont largement été popularisé des suites du programme

de sensibilisation des consommateurs citoyens en vue de changer les habitudes de consommation actuelles

qui nuisent à l’environnement.

Une normalisation qui ne cesse de croitre depuis quelques années, toujours plus abondante et éparpillée

entre les différents domaines juridiques auxquels elle peut s’appliquer, une réglementation dense qui se

traduit par de lourdes contraintes et une source de complexité pour les entreprises. Les contraintes qui

pèsent sur les entreprises résultant du développement durable sont aussi diversifiées que les sources de ce

droit puisqu’elles sont le résultant, tout à la fois de cette réglementation, et du renforcement de la

responsabilité des sociétés vis-à-vis de l’impact de l’exploitation de leur activité sur le territoire, que ce soit

envers l’environnement ou les citoyens. Une responsabilité de l’entreprise accrue puisqu’elle dépasse

largement le régime classique de la responsabilité, couvrant à la fois la réparation des dommages réellement

causés par l’entreprise que les risques potentiels, impliquant une catégorie de dommages recevable

beaucoup plus étendue et une ouverture de l’action en réparation étendue à plus de titulaires. Une

responsabilité venant compléter une lourde réglementation, toutes deux sources de complexité pour

l’entreprise puisqu’elles ont un impact direct, que ce soit sur son patrimoine, par un surcroit d’obligations

à respecter, mais principalement puisqu’elles poussent l’entreprise à réviser et repenser totalement son

mode de fonctionnement. En effet, sous l’impulsion du droit du développement durable, l’entreprise est

contrainte de réorganiser son système organisationnel, que ce soit ses politiques directrices, sa gouvernance

en devant prendre en compte une pluralité de parties prenantes pour concilier les différents intérêts, allant

même jusqu’à la redéfinition de la productivité et de la performance. La prise en compte des enjeux

environnementaux et sociaux par l’entreprise la conduit, en conséquent, à revoir totalement son

fonctionnement pour être apte à la fois à intégrer le développement durable tel qu’il est imposé par la

réglementation, mais également à pouvoir continuer d’être compétitive sur le marché malgré toutes ces

contraintes.

76

Néanmoins, face aux difficultés des entreprises mais également pour éviter un refus systématique de leur

part pour intégrer le développement durable, l’état et les différents acteurs du développement durable se

tournent désormais vers une forme d’intégration douce plutôt qu’une normalisation contraignante. En

effet, l’Etat va d’avantage glisser une réglementation dite de soft-law, autrement dit plus une incitation

qu’une véritable normalisation même si au final l’entreprise ne peut pas y déroger, en utilisant notamment

la contractualisation. L’entreprise va intégrer les objectifs environnementaux et sociaux du développement

durable par la contractualisation dans ses relations, que ce soit avec l’Etat lors de la passation de marchés

publics, par l’information et la certification via les labels envers le consommateur, même par des codes de

conduite ou des chartes éthiques prisent par l’entreprise et qui vont engager ses partenaires commerciaux,

qu’ils soient fournisseurs, sous-traitant ou clients professionnels. Outre la contractualisation, l’entreprise

va intégrer subtilement le développement durable et ses objectifs par la responsabilité sociétale, c’est-à-

dire que sa réputation et son image de marque étant en jeu, elle va prendre des engagements et agir d’elle-

même pour la préservation de l’environnement, la protection de ses salariés ou en intégrant un processus

de décision participatif. Une responsabilisation de l’entreprise qui va lui permettre de saisir des

opportunités impulsées par l’intégration du développement durable dans son système organisationnel

puisqu’elle va parvenir à transformer toutes les contraintes qu’il représente en atout, notamment marketing

mais pas seulement. En effet, l’entreprise va reconsidérer les obligations que lui impose le droit du

développement durable et les engagements qu’elle a pris, et les valoriser pour en tirer une rentabilité sur le

marché. Le développement durable devient ainsi un atout pour les entreprises puisque, outre d’avoir

anticipé l’avenir et d’avoir une plus grande légitimité envers la société civiles, elles présentent des arguments

marketing et des produits dont les entreprises concurrentes ne peuvent pas se prévaloir. La transparence

de l’entreprise, sur les engagements environnementaux et sociaux qu’elle prend, va devenir un attrait pour

une main d’œuvre qualifiée, un outil de maitrise des risques, une distinction par rapport à ses concurrentes,

mais surtout un outil marketing vis-à-vis du processus d’achat des consommateurs, voire l’ouverture de

débouché d’une clientèle en demande de produits responsables ; ces divers atouts et opportunités qui

s’offrent à l’entreprise et qui peuvent lui permettre d’augmenter son chiffre d’affaire, notamment dans les

circonstances actuelles de crise. Mais au-delà de la relation entre l’entreprise et les consommateurs où celle-

ci vise à rentabiliser le « produit développement durable » et met en avant ses engagements dans des

politiques de communication et publicitaires diverses, le développement durable est une opportunité de

marché, dans le sens où il ouvre la porte à l’innovation et à de nouveaux marchés à saisir. La place du

développement durable dans le marché est encore source de discussion, mais il apparait qu’à terme le

marché ne peut se concevoir sans l’intégration des enjeux du développement durable, puisque si les deux

notions viennent de deux mondes bien distincts, elles sont inévitablement liées. Une brèche est même

ouverte par l’économie verte pour laisser concevoir l’idée d’un marché durable où les deux, logiques de

marché et protection des ressources, de l’environnement et des individus, se complètent pour une

économie respectueuse de son environnement et pérenne dans le temps. Néanmoins, même si le processus

est engagé et porteur d’espoir, il convient d’émettre tout de même quelques réserves à l’image des

difficultés et des maigres résultats, faute d’application concrète, des objectifs du développement durable

mis en avant par le bilan de Rio+20 de 2012. Mais sans doute, nous ne pourrons qu’encourager ce

processus et espérer qu’à terme, le marché et le développement durable parviennent à avancer ensemble

pour garantir un monde plus sain, une société humaine égalitaire, et en harmonie avec l’environnement

dans lequel elle évolue.

77

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Ouvrages

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79

INDEX DES JURISPRUDENCES

Conseil Constitutionnel

Décision du Conseil Constitutionnel, 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC

Cour de Justice de l’Union Européenne

CJCE, 17 septembre 2002, aff. C-513/99

Cour de cassation

Affaire Metaleurop, Cour de cassation, chambre commerciale, Audience publique du mardi 19 avril 2005, N° de

pourvoi : 05-10094

Cour de cassation, chambre civile 2, Audience publique du jeudi 7 décembre 2006, N° de pourvoi: 05-20297

Cour de cassation, chambre civile 1, Audience publique du mardi 7 mars 2006, N° de pourvoi : 04-16179

Cour de cassation, chambre civile 2, Audience publique du jeudi 14 juin 2007, N° de pourvoi: 06-15352

Cour de cassation, chambre sociale, Audience publique du mardi 8 décembre 2009, N° de pourvoi: 08-17191

Cour de cassation, troisième chambre civile, Audience publique du mercredi 3 mars 2010, N° de pourvoi : 08-19108

Cour de cassation, chambre civile 3, Audience publique du mercredi 8 juin 2011, N° de pourvoi: 10-15500

Cour de cassation, chambre criminelle, Audience publique du mardi 25 septembre 2012, N° de pourvoi: 10-82938

Cours d’appel

Cour d'appel de Versailles, Audience publique du mercredi 4 février 2009, N° de RG: 08/08775

Cour d’appel de Montpellier, 5° Chambre Section A, Audience du 15 septembre 2011, n° 10/04612

Réponse ministérielle

Rép. Min. à QE n°10874, JO Sénat Q. 21 janvier 2010, page 130

80

REMERCIEMENTS

En raison du temps qu’il a consacré et de sa participation à l’élaboration de ce mémoire mêlant

les notions de développement durable et d’entreprise, tant sur l’encadrement, l’aide et les conseils

apportés, je tiens à adresser mes remerciements à mon directeur de mémoire, Mr J-L

Respaud, maître de conférences de droit privé et avocat à la Cour.

De manière plus générale, je tiens à remercier l’Université d’Avignon et des pays de

Vaucluse qui me forme et dans laquelle j’évolue depuis 4 ans.

A tous les intervenants précités, je tiens à exprimer ma gratitude.

81

Par DARNAULT CECILIA