detours en histoire 10

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N°10 AUTOMNE 2O15 L 11777 - 10 - F: 5,90 - RD N° 10 - Octobre-novembre-décembre 2015 - France métro : 5,90€ BEL -LUX : 6.90 € - CH : 10.80 FS - CANADA : 10.99$ - DOM-S : 8€ En couverture : akg-images, Mondadori Portfolio et The British Library Board - Leemage RACONTÉ PAR FRANCK FERRAND NAPOLÉON, L’ÉNIGME DU TOMBEAU DES INVALIDES CHEVALIERS E N T R E M Y T H E E T R É A L I T É L’AVENTURE DES PROUESSE, LOYAUTÉ, SAGESSE… LES CHEVALIERS SONT-ILS DE VRAIS MODÈLES ? BAYARD, DU GUESCLIN, LANCELOT… QUAND UN IDÉAL EST AU SERVICE DE L’ART DE LA GUERRE « HONI SOIT QUI MAL Y PENSE ! », LE MONDE SECRET DES CHEVALERESSES LES GRANDES AFFAIRES DE LA PJ ENTREZ AU 36 QUAI DES ORFĒVRES

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N ° 10A U T O M N E 2 O 1 5

L 11777 - 10 - F: 5,90 € - RD

N° 10 - Octobre-novembre-décembre 2015 - France métro : 5,90�€

BEL -LUX : 6.90 € - CH : 10.80 FS - CANADA : 10.99$ - DOM-S : 8�€

En couverture : akg-images, Mondadori Portfolio et The British Library Board - Leemage

RACONTÉ PAR FRANCK FERRAND

NAPOLÉON, L’ÉNIGMEDU TOMBEAU DES INVALIDES

CHEVALIERS

E N T R E M Y T H E E T R É A L I T É

L’AVENTURE DES PROUESSE, LOYAUTÉ, SAGESSE… LES CHEVALIERS SONT-ILS

DE VRAIS MODÈLES ? BAYARD, DU GUESCLIN, LANCELOT… QUAND UN IDÉAL

EST AU SERVICE DE L’ART DE LA GUERRE« HONI SOIT QUI MAL Y PENSE ! », LE MONDE SECRET

DES CHEVALERESSES

LES GRANDESAFFAIRES DE LA PJENTREZ AU 36QUAI DES ORFĒVRES

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«�Juchée sur la prouesse, soutenue d’une part par la loyauté,

d’autre part par la sagesse, voici la chevalerie, et le plus haut

ordre qu’ait fait Dieu.�» Georges Duby, médiéviste renommé, nous offre, dans son étude sur Guillaume le Maréchal, «�le meil-leur chevalier du monde et la mémoire chevaleresque à l’état pur�», une belle définition du monde de la chevalerie.

Arthur, Lancelot, Ivanhoé, Bayard, le «�Prince Noir�» (Édouard

de Woodstock)… la figure mythique du chevalier est l’une des plus belles et des plus prégnantes images que le Moyen Âge nous ait léguées. L’aventure de la chevalerie débute vers l’an Mil. Dans tout l’Occident apparaissent alors, massés serrés autour de leur seigneur, des guerriers chevauchant destriers (cheval de combat, guerre ou tournoi) ou palefrois (cheval de parade), à l’image d’un sir Gauvain et son fidèle «�Gringalet�» que les légendes arthuriennes popularisèrent. Un nouvel ordre mili-taire et social s’impose, corseté par de hautes valeurs morales: le chevalier, homme nouveau considérant le monde à travers son heaume, est épris de causes justes, ardent défenseur du miséreux et de la «�pucelle�», combattant le Mal. Cet idéal chevaleresque a trouvé à se fixer dans l’imaginaire et à être diffusé, dès la fin du Moyen Âge, via les poèmes, romans et la littérature courtoise. Des troubadours, tel Bertran de Born, ont célébré l’amour de la guerre et le fin’amor, établissant un modèle de perfection virile.

Entre mythe et réalité, le caparaçon du chevalier n’a pas disparu sous la corrosion des siècles. La littérature, les jeux vidéo, le cinéma, de l’âge d’or des films hollywoodiens jusqu’aux œuvres fantaisistes du genre heroic fantasy, ne cessent d’en-tretenir l’aura du chevalier. Signe que les valeurs d’honneur et de courage ne sont pas étrangères à nos sociétés modernes.

D’honneur et de courage, il est également question au

«�36  quai des Orfèvres�», le siège de la police judiciaire,

«�Crim’�», «�Stups�», Mondaine et BRI réunis. L’adresse est mon-dialement connue par les polices du monde entier, par l’aristocra-tie de la voyoucratie et les assassins. Si les bruits des grandes affaires criminelles des xxe et xxie siècles (bande à Bonnot, Stavisky, Mesrine…) résonnent encore dans le mythique grand escalier, si les ombres tutélaires de «�grands flics�» (Guillaume,

Le Mouël, Broussard, Cancès…) hantent toujours les étroits bureaux, l’histoire du «�36�» devra bientôt s’écrire dans un autre lieu. Début 2017, la PJ emména-gera dans une vaste «�cité judiciaire�» du côté de la porte de Clichy. Raison de plus pour nous suivre dans cette visite privée.

DOMINIQUE ROGER RĒDACTEUREN CHEF

É D I T O R I A L

DES VALEURS CHEVALERESQUES

Tournoi de chevaliers. Miniature extraite de Ogier le Danois, 1498. Bibliothèque de l’université nationale de Turin.

Jeanne d’Arc. Miniature tirée de

La Vie des femmes célèbres, 1505. Musée Thomas-Dobrée, Nantes. A

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S O M M A I R E N ° 1 0

P. 10 RENCONTRE DOMINIQUE BARTHÉLEMYP. 13 LE VRAI DU FAUX SUR LES CHEVALIERS

P. 16 AUX SOURCES DE LA CHEVALERIE

P. 24 L’ESPRIT CHEVALERESQUE, MYTHE OU RÉALITÉ ?

P. 26 BAYARD, GLOIRE NATIONALE

P. 32 LE CLUB DES PREUX, DES HÉROS GUERRIERS

P. 36 LES ORDRES DE CHEVALERIE

P. 38 DES HOMMES ARMÉS JUSQU’AU SANG

P. 44 L’ART DES TOURNOIS POUR L’HONNEUR

P. 48 LES CHEVALIERS TEUTONIQUES, UNE DESTINÉE EUROPÉENNE

P. 54 LES CHEVALERESSES, LA CHEVALERIE AU FEMININ

P. 62 CROISADES SUR PELLICULE

P. 68 EN SAVOIR PLUS

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CHEVALIERSL’AVENTURE DES

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P. 70 À 83

LE PASSĒ RECOMPOSĒL E S G R A N D E S A F F A I R E S D E L A C R I M ’

Tout le monde connaît le 36 quai des Orfèvres. Les amateurs de grand banditismecomme les fans de Maigret. Mais mieux vaut ne pas avoir eu les honneurs du lieu. Suivez-nous

le temps d’une visite dans un univers peuplé de grands flics et de l’élite de la voyoucratie.

P. 85 À 89

LES RENDEZ-VOUSDE L’HISTOIRE

Une sélection de livres, d’expositions, de DVD : le secret deChristophe Colomb, les Romanov en BD, les mystères d’Osiris,

Vinci au Clos Lucé, les femmes d’Henry VIII en DVD.

P. 91 À 104

LES CHRONIQUES DE L’HISTOIREP. 92 L’ÂME DES OBJETS

LE PETIT LI V RE ROUGEP. 94 LES FAITS DIVERS DANS L’HISTOIRE

CROW LEY, SATA NISTE EN CHEFP. 96 IMAGES DE L’HISTOIRE

PAUL ÉLUARD, UN POÈTE CHEZ LES FOUSP. 98 L’HISTOIRE AU TABLEAU

LA MORT DE SARDANAPALEP. 100 POPULAIRE MAIS PAS INNOCENTE

EN PASSA N T PA R L A LORR A INEP. 102 L’ILLUSTRE INCONNU

DÉDA LE , LE GÉNI A L A RTISA NP. 104 L’EXPRESSION EN QUESTION

RETOURNER SA V ESTE

P. 106 À 111

MÉMOIRE DES LIEUXNAPOLÉON EST-IL AUX INVALIDES ?

En 2008, Franck Ferrand consacrait

un chapitre entier de son ouvrage

L’Histoire interdite à l’énigme du

tombeau des Invalides. Sept ans plustard, non seulement il ne renie pas sesquestionnements d’alors, mais il auraittendance à les renouveler. Retoursur les circonstances troubles d’uneexhumation d’État…

Une partie de cette édition comprend, pour les abonnés, une lettre Détours en Histoire.

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LA CHEVALERIEDĒTOURS EN HISTOIRE

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Page 8: Detours en Histoire 10

Force et douceur. Violence maîtrisée,

transcendée parfois. Ce qui, dans la figure du

chevalier, fascine toujours les Occidentaux

que nous sommes, c’est l’alliance anti-

nomique, au cœur du guerrier, de la puissance

virile et du raffinement. Le chevalier met son épée au service de la justice – volant, envers et contre tout, «�au secours de la veuve et de l’orphelin�». Certes, le casque à cimier, le fléau d’armes, le cheval caparaçonné, certes, les armes peintes sur l’écu ont contribué à l’aura d’un tel combattant – mais c’est son élévation morale qui l’impose en tant que modèle. Le cistercien Geoffroy d’Auxerre, dans son Commentaire sur l’Apocalypse, raconte comment, à Nimègue, aurait jadis abordé une barque tirée par un cygne. «�Alors un tout jeune chevalier, inconnu de tous, sauta de la barque. (…) Il se révéla preux au combat, de bon conseil, heureux en affaires, fidèle à ses maîtres, redou-table pour ses ennemis, plein d’amabilité pour ses compagnons et de charme pour ses amis.�» De nombreuses années plus tard, apercevant de loin son cygne qui revenait, ce tout premier chevalier, ce Lohengrin en somme, remonta dans la barque et disparut à jamais.

Légendes… Romans… On dit aussi qu’au

lendemain de Pavie, François Ier, captif, aurait

trompé son désespoir avec un roman castil-

lan de chevalerie : Amadis de Gaule. Croisant ses fils, envoyés comme otages, au milieu de la Bidassoa, il leur aurait confié ce bon ouvrage�; et c’est ainsi que le jeune prince Henri – futur Henri II – se serait jeté corps et âme dans le plus désuet des univers chevaleresques. En juillet 1559, lors de ce qui devait être l’ultime tournoi royal en France, le malheureux pousserait un tel jeu jusqu’à y laisser la vie – la lance brisée de son adversaire s’étant fichée dans son crâne, par la visière détachée de son heaume…

De nos jours, de la très officielle Légion

d’honneur à la très officieuse confrérie

du Tastevin, l’on continue d’armer des cheva-

liers… Leur adoubement, moins sacré, moins martial – moins nettement masculin – qu’autre-fois, nous ramène à ce qu’il y a de plus solennel dans la notion d’engagement. En des temps déboussolés, où souffrent les notions d’honneur et de droiture, il me semble que l’ancienne che-valerie délivre aux nouvelles un message moins gratuit, peut-être, qu’on ne veut bien le dire.

A V A N T - P R O P O S

LE MESSAGE DES CHEVALIERS

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Chevalier de l’ordre Teutonique revenant d’une croisade. Peinture, 1835, de Karl Friedrich Lessing (1808-1880). Bonn, Rheinisches Landesmu-seum.

La figure du chevalier est un legs majeur du Moyen Âge dans tout l’Occident chrétien.

En effet, qui n’a pas éprouvé de frissons et n’a pas libéré son imagination à la seule évocation

des faits d’armes de Lancelot, Guillaume le Maréchal ou le «�sans peur et sans reproche�»

Bayard�? Le monde qu’ils animaient, corsetés de valeurs d’honneur, de prouesse, de courtoisie,

ne pouvait que séduire. Et la littérature, chansons de geste et romans de Chrétien de Troyes

à l’appui, de mythifier l’idéal chevaleresque. La réalité est quelque peu discordante.

Détours en Histoire lève le voile sur l’envers d’un décor où les héros ont leur part d’obscurité.

L’AVENTUREDES CHEVALIERS

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RENCONTRE AVECDOMINIQUE BARTHÉLEMY

D O M I N I U EDes champions généreux etaltruistes, protégeant la femmeet l’Église. Ces clichés sont enpartie valables mais ont mis dutemps à se dessiner. DominiqueBarthélemy, qui a finement étudiéla chevalerie, montre que sanaissance doit plus à la boufféenarcissique des jeunes noblesqu’à un quelconque idéalpréformaté.

Peut-on définir aisément

la chevalerie ?

Oui et non. D’une part, la che-valerie est bien délimitée dansle temps. C’est un ensembled’idéaux et de pratiques carac-téristiques de l’Europe occiden-tale entre le xie et le xvie siècle,clairement identifiable. D’autrepart, pour les contemporains, il ya eu beaucoup de discussions, deconflits sur l’idéal chevaleresque.Au départ, la chevalerie est unidéal profane, narcissique, de

jeunes loups de l’aristo-cratie, avec tournois et fêtes. Mais assez vite (dans un effort que l’on retrouve dans beau-coup de sociétés pour canaliser les jeunes), des institutions comme les royautés, les prin-cipautés et, surtout, l’Église ont essayé d’in-fléchir ce discours dans leur sens. En d’autres termes : c’est bien qu’ils aient du courage et de l’adresse, mais qu’ils soient plus altruistes, en faisant les croisades, en servant la juste cause de l’Église et des faibles !

Cette tentative de «�récupération�»

a dû prendre du temps…

La chevalerie est un idéal de la classe noble, une façon de se distinguer entre gens de bonne compagnie. On peut s’affronter mais on ne va tout de même pas se tuer ! Au départ, la norme, tout à fait profane, est d’être chevaleresque avec les autres chevaliers et de mépriser le reste – les paysans, cela va sans dire, mais aussi, dans une moindre mesure, les femmes, les ecclésiastiques ou «�couilles molles�». Certes apparaît ce discours venant de l’Église ou des barons plus âgés qui dit aux jeunes adoubés com-ment un chevalier doit servir la justice. Mais savez-vous à quel âge les jeunes sont adoubés ? Entre 15 et 21 ans. Si vous mettez une arme dans la main d’un

jeunegarçon, vous pouvez lui dire ce que vous voulez, il ne vous écoutera pas forcément ! Il y a donc une tension dans la définition de l’idéal chevaleresque : entre des jeunes qui veulent s’émanciper et des ins-titutions qui veulent les contrôler.

Peut-on dater l’apparition de la chevalerie ? Oui, assez précisément : la chevalerie apparaît dans la seconde moitié du xie siècle, en France du Nord et dans les régions impériales voisines – la Lorraine au sens large et la vallée du Rhin. C’est là que l’on trouve les plus anciennes traces de tournois et d’adoube-ments qui sont les deux pratiques chevaleresques les plus caractéristiques. Pour l’adoubement, nous avons beaucoup de mentions vers 1060, mais cela ne permet pas de conclure qu’il n’existait pas aupa-ravant. Pour les tournois, on a traditionnellement un premier repère : c’est le moment où l’Église les inter-dit, lors du concile de Clermont en 1130. Mais, dès les années 1070, sur les marches de la Normandie, il y a des témoignages assez probants.

Les historiens ont beaucoup discuté sur

les origines romaines ou germaniques de la

chevalerie. Quelle est votre position ?

C’est une discussion générale sur les institutions de

Initialement, la chevalerie n’a rien de romain. Elle procède d’une filiation germanique de la vassalité.

BIOGRAPHIEDominique Barthélemy, médiéviste, enseigne à l’université de Paris IV- Sorbonne et à l’École pratique des hautes études. Auteur de L’An mil et la paix de Dieu, la France chrétienne et féodale 980-1060, il a donné avec La Chevalerie (Perrin, 2007 et 2012) un bilan qui fait date. Il y détaille notamment sa filiation germanique et redimensionne le rôle d’ascenseur social de la chevalerie. Ses travaux en cours, avec des confrères spé-cialistes de différentes disciplines, portent sur l’étude comparée des élites guerrières.

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La bataillede Hastings,1066, entrele roi Haroldd’Angleterreet Guillaumede Normandie.Extrait duMiroir historialabrégé deFrance, Oxford,BodeleianLibrary (Bodley968, folio 173f).

C’est alors que le public devient un personnage

de première importance ?

En effet, le reste du monde est un public chargéd’admirer. L’adversaire vaincu, désarçonné, est lui-même épargné pour devenir un témoin de la valeurdu chevalier vainqueur. Même les femmes peuventdevenir utiles dans une telle perspective, en étantles témoins ou les auditrices des récits d’exploits.Mais il ne faut pas enjoliver les faits : cela resteune perspective machiste. Dans Érec et Énide, lepremier roman de Chrétien de Troyes, qui racontel’histoire du chevalier Érec et de son épouse Énide,il y a un vers et demi – soit 12 syllabes – pour direque c’est la plus belle femme du monde. Tout lereste du poème, soit quelque 7 000 vers, décritles exploits d’Érec…

l’Occident médiéval. En amont, il y a à la fois Rome et les peuples germaniques, une armée d’empire, dis-ciplinée, face à une société guerrière d’émulation. Pour moi, la chevalerie n’a initialement rien de romain. Elle procède d’une filiation germanique de la vassa-lité, qui n’est évidemment pas une question de race mais d’état social, où le guerrier n’est pas autrement contraint que par le sens de l’honneur. Même si, plus tard, rois et princes auront tendance à dire : la vraie chevalerie, c’est celle des Romains, donc obéissez-nous comme eux à leurs consuls et empereurs !

Auriez-vous un exemple imagé pour montrer

combien la chevalerie s’éloigne des principes

romains ?

Un jeune homme s’avance imprudemment vers l’ennemi pour prouver sa valeur, sans avoir reçu d’ordre et, malgré tout, remporte son combat. Selon les normes de la germanité, c’est un exploit et l’homme est fêté. Selon les normes romaines, c’est un manquement grave à la discipline et l’insou-mis est exécuté ! La chevalerie, c’est revendiquer son autonomie. Quand les guerriers d’Occident du xie siècle viennent combattre dans l’armée byzan-tine, ils n’observent pas la discipline. L’un d’entre eux est même fouetté pour cette raison, et l’aventure se termine très mal. D’une certaine manière, ces chevaliers trouvent leurs ennemis musulmans plus attirants car ils fonctionnent davantage comme eux : au sens de l’honneur.

Vous avez formulé le concept de «�mutation

chevaleresque�» entre 1050 et 1130.

J’ai eu cette idée en flashant sur un texte de Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Conquérant, I. 11 à 13, où il dépeint le futur Conquérant en 1049, quand il n’a que 20 ans. Guillaume est venu à l’armée du roi en vassal. Mais ce que décrit l’auteur (le texte est écrit vers 1075), c’est un comportement de chevalier, on y assiste à la transformation de la vassalité en chevalerie. La vassalité est un service réputé volontaire et auto-nome. On est prêt à mourir pour son seigneur, mais on conserve la possibilité de le quereller. Avec la chevalerie, on sert surtout sa propre gloire, et dans une lutte où il n’est pas question de mourir : muta-tion tout de même avantageuse, mais un peu dange-reuse pour l’ordre social. Le comportement du futur Conquérant est déjà celui du chevalier : il s’illustre sans tuer ses adversaires nobles.

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L’adoubementde Galaad àl’abbaye, inLe Romandu chevalierTristan et dela reine Yseult,de Gassiende Poitiers,illustré par Évrardd’Espingues,xve siècle,Chantilly,musée Condé.

Peut-on comparer le monde des chevaliers

tournoyeurs avec celui des sportifs de haut

niveau aujourd’hui ?

Pas vraiment. Ce n’est pas le même type d’organisa-tion, de contrôle des performances, et c’est beau-coup moins un monde à part du reste de la vie. Les chevaliers ne sont pas de vrais professionnels, ils ont d’autres activités. Vous ne trouveriez pas l’équivalent d’un gamin des favelas, parti de rien, qui ferait for-tune ! Même si les chevaliers pouvaient s’enrichir de la prise des armes et, surtout, du cheval de l’adver-saire, qui était un bien de grande valeur. Pour financer les grands tournois du xiie siècle, ce sont manifes-tement les princes qui utilisaient leurs ressources fiscales et domaniales : c’est une façon de sponsori-ser le maintien de l’aristocratie. Dans le Roman de la Rose de Jean Renart (antérieur à celui de Guillaume de Lorris et Jean de Meung), on voit certes des che-valiers qui empruntent à des bourgeois, mais ce ne devait pas être un cas fréquent. Il est de toute façon très difficile de mettre le doigt sur les circuits écono-miques, de trouver les sources qui en parlent.

Qu’est-ce que l’adoubement ?

Le mot veut dire «�mettre une parure, orner�». C’est le moment où les jeunes – ils sont souvent plusieurs à la fois – reçoivent tout leur équipement. Quelqu’un leur lace le heaume, un autre leur attache les éperons – symbole essentiel de la chevalerie – et un person-nage particulièrement important leur ceint l’épée, c’est-à-dire la leur met dans le fourreau. Donner une gifle (la colée) ou taper sur l’épaule du plat de l’épée sont des gestes parfois présents au Moyen Âge, mais ils ne sont pas au cœur du rituel. Ce sont les

reconstitutions ecclésiastiques (à la fin du xiiie siècle) et modernes (le xixe siècle en était friand) de la che-valerie qui leur donnent de l’importance – cela rap-proche notamment de la confirmation chrétienne ou de l’affranchissement romain. Sur les images médié-vales, les garçons ont plutôt les bras levés. Les adou-beurs se penchent pour leur mettre la ceinture ou se mettent carrément à genoux pour leur attacher les éperons !

Peut-on évaluer le nombre de chevaliers

au Moyen Âge ?

Il n’y a pas de recensement de chevaliers. Il existe bien des listes à partir du xive siècle, mais il est très rare d’avoir à la fois des listes exhaustives de cheva-liers et le recensement de la population. En France au xviiie siècle, les nobles sont moins de 2 % de la population, ce qui peut donner une approxima-tion. Dans le Japon de la même époque, on comptait 10 % de samouraï, et ce qui constitue un chiffre énorme pour les historiens.

L’extension de la chevalerie a-t-elle été

continentale ?

Oui, même si elle s’est exprimée à des degrés divers : avoir des pratiques chevaleresques était une marque d’appartenance à l’Europe. Quand les Capétiens ont efficacement proscrit les tournois en France au xiiie siècle, on en a organisé en Lorraine. Cela a été un peu comme quand Le Dernier Tango à Paris a été interdit en Belgique et que des cars entiers de Belges arrivaient à Lille, Roubaix ou Tourcoing ! De même, à l’époque, il suffisait de franchir la frontière du royaume de Saint Louis pour trouver des tournois… ‡

Les adoubeurs se penchent pour leur mettre la ceinture ou se mettent carrément à genoux pour leur attacher les éperons !

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Page 13: Detours en Histoire 10

LA CHEVALERIEDĒTOURS EN HISTOIRE

VRAI - Lors du concile de Clermont, en 1130, les évêques français ne mâchent pas leurs

mots : « Nous interdisons ces foires détestables, où viennent les chevaliers pour exhiber leurforce ; ils se rassemblent là avec une audace téméraire et il advient souvent mort d’hommeet péril pour les âmes. À ceux qui y trouvent la mort, on refusera la sépulture chrétienne. »Cette attitude est surtout une position de principe car l’imbrication des élites fait quebeaucoup de chevaliers sont cousins ou frères d’ecclésiastiques et que la règle est facilementdétournée. Ce n’est qu’en 1316 qu’un pape d’Avignon, Jean XXII, autorisera les tournois.

FAUX - Elles sont clairement profanes et inséparables de la naissance

de la chevalerie. Comme le rappelle Michel Pastoureau, spécialistede la discipline, l’existence n’en est pas attestée à l’époque de la première

croisade (1095-1099) alors qu’elles sont largement diffusées à la seconde(1145-1148). C’est l’évolution de l’équipement, notamment la protection

de la tête (par le capuchon du haubert et par le heaume ou casque), qui imposedes signes visuels pour reconnaître le chevalier désormais caché

par son armure. Son bouclier, la parure de son cheval et même ses habitsporteront désormais sa marque, clairement identifiable.

Qui, aujourd’hui,ne se sentirait honoré

d’être qualifié de« chevaleresque » ?

Le chevalier n’est-il pastoujours le « bon » dans

les romans d’action ?Dans le passé, il n’en

a pas toujours été ainsi.Une partie de la société

ne voyait pas d’un bonœil cet étalage très

coûteux de vanité etde fureur juvénile,

qui fascina pourtantde futurs saints…

VRAIS U R L E S C H E V A L I E R S

DU

FAUXLE

Richard IId’Angleterre,

dit le Prince noir(1367-1400),

présidantune joute.Manuscritenluminé,xve siècle,

école flamande.Londres,

the LambethPalace Library.

Croisésassiégeant

Damas,l’armée

française aupremier plan.

Enluminure dela Chronique

d’Ernoulet de Bernard

le Trésorier,xve siècle,

Londres, TheBritish Library.

L’ÉGLISE S’EST LONGTEMPS OPPOSÉE AUX TOURNOIS

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LES ARMOIRIES ONT UNE ORIGINE RELIGIEUSE

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LE ROYAUME DE FRANCE COMPTAIT DAVANTAGEDE CHEVALIERS AU XVE SIÈCLE QU’AU XIVE SIÈCLE

FAUX - Selon les estimations rapportées par Jean Flori dans

Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, le seul cheval de guerre

pouvait coûter autant que quatre ou cinq bœufs. Le haubert – la cottede mailles indissociable des chevaliers – coûtait encore plus cher, pouvant

représenter une quinzaine de bœufs. Si l’on y ajoute le heaume et l’épée,c’est plutôt un troupeau d’une trentaine de têtes qu’il fallait sacrifier

pour financer la promotion d’un rejeton prometteur… Sans compter lecoût de l’adoubement qui ne cessera de croître en raison des dépenses

somptuaires qui l’accompagnent. Ce renchérissement explique en grandepartie la raréfaction des vocations aux xive et xve siècles.

FAUX - Comme le rappelle Nicolas Le Roux dans son récent Le Crépuscule de

la chevalerie (Champ Vallon, 2015), le nombre de chevaliers n’a cessé de décliner

à partir de 1300. Si l’on atteignait peut-être à cette date le chiffre record de10 000 chevaliers, la chute fut ensuite assez vertigineuse : on ne devait guèreen compter plus de 1 000 en 1470. Le même phénomène est observé dans lesautres pays européens, notamment en Angleterre. Si les chevaliers y représentaientquelque 15 % des hommes d’armes vers 1300, ils étaient à peine 1 % vers 1450.

Combat dechevaliers,

miniatureissue du

Roman deTristan,

du MaîtreCharles du

Maine, Dijon,Bibliothèque

municipale.

FRANÇOIS D’ASSISE VOULAIT DEVENIR CHEVALIER

La batailledu mont d’Or,1382, opposantles armées deFrance à cellesdes Flandres.Miniatureextraite desChroniques deFrance ou deSaint-Denis,Londres, TheBritish Library.

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François reçoit l’approbation de la première règle par le pape Innocent III. Détail du tableau Saint François d’Assise recevant les

stigmates, de G. dei Bondone (1267-1337), Paris, musée du Louvre.

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VERS 1100, LE COÛT DE L’ÉQUIPEMENTD’UN CHEVALIER NE DÉPASSAIT PAS

LE PRIX DE DEUX OU TROIS BŒUFS

VRAI - Si la chevalerie n’a sans doute pas eu le rôle de

promotion sociale que certains historiens lui assignent,

un certain nombre de membres des classes moyennes,

par exemple des intendants de riches domaines, ne

pensaient qu’à une chose : entrer dans la noblesse. Dans ce but, ils faisaient tout pour faire accéder leur fils au statut de chevalier – mais les échecs étaient nombreux. François, un riche bourgeois d’Assise, né en 1182, à qui son père paie des armes et un entraînement spécifique, en est un exemple connu. Il était sur le point de rejoindre un capitaine normand, Gautier de Brienne, qui enthousiasmait les troubadours du début du xiiie siècle. Le jeune François, en proie à une vision, renonce à ses armes et à tous ses biens, et se retrouve même tout nu : c’est la scène célèbre du manteau de l’évêque. Il acquerra une bien autre renommée en tant que fondateur de l’ordre franciscain…

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LA CHEVALERIEDĒTOURS EN HISTOIRE

LA RÉFÉRENCE À LA CHEVALERIE A CONNUUN REGAIN AU MOMENT DE LA SECONDEGUERRE MONDIALE.

VRAI - Il a non seulement créé en 1351

l’ordre de l’Étoile, qui se voulait l’équivalent

de l’ordre anglais de la Jarretière, mais il

a aussi porté à ses dernières conséquences

– peut-être absurdes – le comportement

chevaleresque en bataille. Lors du désastrede Poitiers en 1356, il manie lui-même la hacheà la tête de ses troupes démontées devantles archers ennemis. Fait prisonnier parles Anglais, il sera libéré en échange d’une partiede la rançon et de la captivité de son fils Louis,duc d’Anjou. Lorsque celui-ci s’enfuit, rompant laparole donnée, le roi Jean retourne se constituerprisonnier. Il mourra à Londres en 1364.

JEAN II LE BON A ÉTÉLE ROI FRANÇAIS LEPLUS CHEVALERESQUE

Jean II le Bon capturé par les Anglais en 1356 lors de la bataille de Poitiers.Miniature tirée des Chroniques de Froissart, xve siècle, Chantilly, musée Condé.

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FAUX - Cette pratique ne date que de la fin du xive siècle et est observée pour

la première fois lors du sacre de Charles VI en 1380. Elle prendra ensuiteune symbolique croissante et s’accompagnera fréquemment de l’adoubement massif par

le roi de nouveaux chevaliers, comme Charles VIII en 1484 qui ne fit pas moinsde 87 nouveaux chevaliers. Mais la légende rappelle que François Ier ne fut pas adoubé

à son sacre mais à la bataille de Marignan, des mains de son plus vaillant paladin, Bayard…

Sacre de Charles VI à

Reims en 1380, in Les Grandes Chroniques de

France, miniature de Jean Fouquet.

Manuscrits occidentaux, Bibliothèque

nationale de France.

Joseph Darnand, chef de la Milice.

LE ROI DE FRANCE ÉTAIT SYSTÉMATIQUEMENT ADOUBÉ LORS DE SON SACRE

VRAI - En fondant la Milice en 1943, Joseph Darnand entendait en faire

une «�nouvelle chevalerie�». Sur le papier, il en avait le potentiel, ayant accompli le 14 juillet 1918 une action d’éclat – la capture d’importants officiers allemands – qui permit de déjouer la dernière offensive allemande. On sait ce qu’il advint de la Milice… Churchill, en exhortant la France à résister en 1940, prenait comme argument de poids le fait que le «�pays de la chevalerie�» ne pouvait pas se permettre de capituler. Hitler fit aussi une allusion en mars 1941, juste avant de lancer l’invasion de l’Union soviétique, mais dans un sens contraire, affirmant�: « La guerre contre la Russie sera telle qu’elle ne pourra être menée de façon chevaleresque.�» Les événements allaient évidemment lui donner raison.

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On fait souvent naître la chevalerie en l’anMil. Elle remonte cependant à bien plus loin,fruit d’une lente synthèse de deux grandesinfluences : d’une part, le monde tribal germa-nique (en l’occurrence, les Francs saliens réunisautour d’un roi, Clovis) ; d’autre part, les vestiges duvieux monde romain, maintenu en vie grâce à sondernier reliquat : l’Église romaine. Récupérant en313 un empire en crise, l’Église a considérablementmodifié la religiosité latine, polythéiste et décen-tralisée. En 380, l’édit de Théodose en fait unearmature idéologique exclusive : tout culte nonchrétien est désormais hors-la-loi. Par ce biais, leclergé tentera, durant tout le Moyen Âge, de res-tructurer la mosaïque de royaumes et de seigneu-ries qu’est devenu l’Empire romain d’Occident.

Gagner le cœur de la batailleOn nous pardonnera la tautologie qui veut quela chevalerie naisse avec le cheval. Les tombes oùl’homme repose avec sa monture – parfois avec laprésence symbolique de sa tête et de ses sabots –, etqu’on retrouve d’un bout à l’autre de l’Eurasie sontmoins un signe de richesse que d’appartenance àla caste militaire. En ce sens, le chevalier est héri-tier des guerriers montés, Parthes, Scythes, Huns,Avars, Tartares… et, déjà, des cavaliers mercenairesgermains qui ont permis de remporter la guerredes Gaules. Rare, coûteux, d’un dressage délicat,l’équidé n’est pas encore un atout militaire, car oncombat peu à cheval, si ce n’est pour gagner rapi-dement le cœur de la bataille, pour y lutter, à pied.

T E X T E D E D O M I N I Q U E D E L A T O U R

Entréetriomphale duroi des FrancsClovis Ier, à Toursen 508. Clovisannexa de petitsroyaumes francs,étendit lesfrontières de sesÉtats et, convertiau catholicisme,acquit l’appuide ses sujetsgallo-romains.Peinture deJoseph RobertFleury (1797-1890), muséedu Châteaude Versailles.

D’abord simple combattantà cheval, le chevalier devient

vite le membre typiquedes castes militaires

indo-européennes, avant d’êtreinstitué, par une cérémonie,

justicier de l’Église. Les originesd’une institution brutale, priseentre violence virile, coutume

barbare et religiosité.

Clovis, chef guerrier lors de la bataille de Tolbiac, où il battit les Alamans. Huile d’Ary Scheffer, 1837, musée du Château de Versailles.w

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Les tombes où l’homme repose avec sa monture sont moins un signe de richesse que d’appar-tenance à la caste militaire.

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Car c’est avec le combat à la lance que la chevale-rie s’affirme. Il nécessite une assise sur la selle que rend possible un nouvel équipement : l’étrier. Cet accessoire est venu des steppes d’Asie centrale. Les Byzantins l’ont déjà adopté.

Convocation pour le service militaireAu VIIIe siècle, les Occidentaux leur emboîtent le pas. La tradition veut que ce soit cette fer-meté novatrice face aux razzieurs maures qui ait permis la victoire de Poitiers (732 ou 733), bien que l’armée d’alors ait conservé la structure de la légion : c’est le piéton qui dominait. Grands fantassins devant les dieux, les Romains ne sont pas totalement étrangers à la chevalerie. Le terme même (equites) est celui que porte tout membre de la caste (ordo) intermédiaire, celle qui se place entre plébéiens et sénateurs : l’ordo equester, l’ordre équestre. Par ailleurs, l’Empire romain finissant découvre le paiement en terre, car les caisses sont vides, le numéraire, rare. Initiative typique de la féo-dalité, il est donc courant de doter les vétérans avec des propriétés foncières, surtout dans des marches pacifiées (limitanei), où l’on redoute le retour des tri-bus barbares. L’origine de la chevalerie n’en reste pas moins essentiellement germanique, par ses similitudes avec le système militaire des Francs : l’hiver étant tabou, le service armé commençait en mars. Obligatoire dans les régions frontalières, ce service était contractuel ailleurs�; sachant qu’il suf-fisait de répondre une fois à l’hériban (la convoca-tion de l’armée) pour devoir s’y soumettre les autres

Charles Martel, à la bataille de Poitiers, remportée en 732 contre les Sarrasins. Huile de C.-A. Steuben, 1837, musée du château de Versailles.

L’APPORT FRANC LISIBLE

DANS LES MOTSCertes, écu vient du latin scutum (bouclier), et épée de spatha (glaive à deux tranchants). Une bonne partie du vocabulaire de la chevalerie n’en vient pas moins du francique, le dialecte germain des Francs. Heaume vient ainsi de helm (casque), broigne de brunia (cotte d’arme), hache de hâppia, de sens analogue. Plus spécifique encore, fief vient de féhu (bien, richesse), adouber de dubban (frapper), ban (dans «�convoquer le ban�») et hériban, de ban (ordre de mobilisation) et heerban (mobilisation du heer, c’est-à-dire, de l’armée) qui, par déformation, semble avoir donné arrière-ban�; quant à baron (combattant, noble d’épée), il a la même racine belliqueuse que le castillan varon, l’anglais war… et notre guerre.

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LA CHEVALERIEDĒTOURS EN HISTOIRE

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Charlemagne visitant le

chantier du palais d’Aix-la-Chapelle (796-805).

Miniature tirée des Grandes

Chroniques de France,

enluminées par Jean

Fouquet, vers 1455-1460, Bibliothèque nationale de

France.

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années. Cela, depère en fils. Enretour, le chefoffrait au « mobi-lisé » fief et partsde butin. Voulait-ilse faire dispenser,il devait « payerl’hériban », lourdecompensation enor affectée aus-

sitôt aux préparatifs de campagne. Le fonction-nement de la chevalerie sera donc calqué sur cesystème, devenu le service d’ost. Ost vient du latinhostis, « ennemi ». Par une curieuse inversion,cependant, l’ost va désigner bientôt l’armée, puisle camp ami. Pour rejoindre l’ost, le chevalier doitpourvoir à son armement, comme son ancêtrefranc. L’armement est coûteux. Pour le financer,il reçoit un lopin de terre : la source essentielle derevenus en cette période où la monnaie est encorerare. L’inconvénient est l’épidémie de désertionsà l’heure des combats, dès qu’approche le tempsdes moissons… Charlemagne avait donc préférédispenser du service les guerriers trop peu dotés ;les mieux lotis, en revanche, devaient fournir unnombre d’hommes déterminé, sur la base de la sur-face possédée. D’abord administrative, puis hérédi-taire, la pyramide féodale prend forme. Elle privatisepeu à peu l’organigramme mis en place par le vieilempereur. Au sommet, le duc (dux, « meneur ») ;puis le comte (comes, « compagnon ») ; enfin, à labase, le chevalier (miles, « combattant »), qui repré-sente le premier degré de l’ascension nobiliaire.

Un champion et son équipeDepuis que les Francs se sont mis à se battresans quitter leur selle, la charge des cavaliers etde leurs chevaux, robustes, endurants commedes montures de poste, est devenue le summumdu combat médiéval. Les piétons, mal armés etmal entraînés, sont ravalés au rang d’auxiliaires– en attendant leur professionnalisation (archerset piquiers), à la fin du Moyen Âge. Présenté parles chansons de geste comme un cow-boy soli-taire, un chevalier serait plutôt un championsoutenu par son équipe. Comme dans l’arméemoderne, le char d’assaut doit être appuyé pardes tirailleurs, le chevalier doit disposer d’un aide

À L’ENTRAÎNEMENTL’écuyer apprend dès sa plus tendre enfance à monter à cheval. Il apprend très tôt aussi l’escrime au bâton, préfiguration du maniement de l’épée, qui est moins utilisée selon des figures élaborées que pour frapper de taille (avec le tranchant) ou d’estoc (avec la pointe). L’usage de la lance – viser un point précis pour y faire entrer le fer – est enseigné grâce à la quintaine, cible parfois pivotante et dotée d’une massue, dont il faudra éviter le coup en retour. La butte (qui donnera notre but) est un monceau de terre qu’on utilise pour s’exercer à l’arc, arme peu glorieuse à la guerre – l’emploi de l’arbalète étant même vu comme dégradant – mais appréciée à la chasse. C’est d’ailleurs la chasse qui reste le meilleur rodage à la guerre : exigeant endurance, ruse, émulation autant que bonne coordination aux signaux complexes du cor, dont on use aussi au combat.

En haut, mort de Roland à Roncevaux (778). Ci-dessus, Charlemagne, roi des Francs et empereur d’Occident, pendant une bataille. Miniatures tirées des Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, vers 1455-1460, Bibliothèque nationale de France.

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pour s’équiper – notamment pour passer au brasson écu, origine du nom écuyer – d’un autre pourson destrier, cheval noble qu’on mène de la maindextre, à même de répliquer plusieurs charges, etde quelque rosse pour les bagages. Enfin, le che-valier entretient aussi deux ou trois hommes quil’assisteront dans la mêlée, ou iront se joindre à lapiétaille. De manière très parlante, on nomme bien-tôt cette unité de combat la lance, allusion à celledu chevalier, facilement repérable à son fanion, etqu’il est seul en droit de porter. Comme dans toutesociété ancienne, le chevalier appartient à unecaste de moins en moins perméable, qui deviendra la noblesse d’épée et la caste des officiers, de plus en plus fermée aux vilains ou roturiers. Bien plus

que la particule (qui désigne le fief que le chevalier possède), le vrai indice qui trahit un noble d’épée, c’est le nom écuyer (armiger, «�porteur d’arme�») qu’il porte, ou damoiseau (domicellus, «�petit sei-gneur »). Plus que des apprentis, les écuyers sont des aspirants.

Le coup qu’on ne rend pasAprès sa formation militaire, l’écuyer devient chevalier par l’adoubement, cérémonie initia-tique qui se scelle par l’épreuve de la colée. On songe au signe de croix que, du plat de l’épée, on dessine sur les épaules d’un candidat, à genoux.Version tardive. Jusqu’au XIIIe siècle, la colée se reçoit sous la forme d’un brutal coup de la main sur l’épaule ou la nuque : c’est le seigneur à l’initiative de l’adoubement qui l’administre. Préalablement chargé de son haubert et de tout son équipement, le nouveau chevalier doit rester debout, sans vacil-ler. « Le dernier coup qu’il ne rendra pas�», selon le dicton viril. Initiation d’origine «�païenne�», l’adoubement sera de plus en plus encadré par l’Église, jusqu’à rappeler l’ordination d’un prêtre.D’ailleurs dès le XIe siècle, on ne «�fait�» plus, on

L’HOMMAGE : UN RAPPORT

D’HOMME À HOMMEL’hommage (du mot homme) est une cérémonie

contractuelle dans laquelle deux personnes établissent un rapport hiérarchique, parfois

une alliance entre égaux. L’hommage commence par une proclamation de fidélité. Le vassal – du gaulois

vassus, de même racine que valet – s’agenouille ensuite, pour glisser ses mains jointes dans celles

de son supérieur – le suzerain. Puis les deux hommes se baisent sur la bouche. En retour de la foi jurée, le suzerain donne au chevalier ou au baron un fief,

sous la forme symbolique d’un épi qu’il y a fait cueillir : un lopin de terre contre une fidélité sans faille.

Vassal prêtant serment

de fidélité à son seigneur.

Livre des privilèges

de Barcelone, 1380, Barcelone, musée municipal

d’Histoire.

Quête allégorique du Graal par les chevaliers de la Table ronde. Ici, Lancelot adoubant le pur Galaad. Maître des Clères femmes de Jean de Berry, 1400-1405, manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de France.

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«�ordonne chevalier�». Après s’être lavés comme pour un nouveau baptême, les aspirants doivent passer une nuit debout, en prières, tandis que les épées, le pommeau chargé de quelque esquille d’os de saint, sont bénies sur l’autel. Dépassant le symbolisme tribal de la colée, ceindre l’épée – et les non moins symboliques éperons – est l’abou-tissement d’une initiation. Elle fait de l’écuyer un chevalier, de l’adolescent un homme, mais aussi de l’homme, un missionnaire. Au désespoir de l’Église qui l’a condamné par plusieurs conciles, un tour-noi conclut souvent la cérémonie. Démonstration festive de son niveau d’entraînement puis de son expérience de la guerre, le chevalier affronte ses pairs à pied ou à cheval, un par un ou équipe contre équipe. Le tournoi n’a pas tout oublié des combats de gladiateurs. Quelques morts sont de coutume, surtout quand la joute sert d’exutoire aux différends qui surgissent dans le monde étriqué de la cheva-

lerie�; et lorsqu’un protagoniste est vaincu, il doit racheter sa liberté par une rançon.

Le chevalier du ChristLa puissance de la chevalerie – son esprit de corps, sa dévotion à la cause féodale au-delà des rivalités qui l’agitent – a toujours obsédé le clergé, qui entend bien être le passage obligé de toute la vie sociale, alors qu’il fait souvent les frais de cette puissance séculière qui n’hésite pas à le spolier de ses terres. Dès 989, plusieurs conciles travaillent à la Paix de Dieu. Cette initiative institue un nombre de jours croissant durant lesquels l’homme de guerre ne saurait prendre les armes. Une frustration s’en suit, exploitée par la papauté. En 1095, la prédica-tion de la croisade par Urbain II permet de proposer au chevalier belliqueux le cadre lâche d’une guerre sainte. La croisade permettra de garantir la présence chrétienne face aux poussées turques et arabes, de subtiliser au profit de Rome des terres contrôlées par l’Église d’Orient, enfin, de trouver, croit-on, car la terre fera vite défaut, de nouveaux fiefs. C’est à l’oc-casion de ces croisades que le concile de Troyes de 1129 crée le concept de moine-soldat. Son incarna-tion la plus parfaite reste le templier. Le miles Christi, le chevalier du Christ, a trouvé son modèle. ‡

Le pape Urbain II prêchant la pre-mière croisade lors du concile

de Clermont (1095) qui réunit

les chevaliers, la noblesse et les cardinaux.

Sébastien Mamerot,

Les Passages d’outremer (…),

manuscrit enluminé sur

parchemin par Jean Colombe,

1474-1475, manuscrits occi-dentaux, Biblio-

thèque nationale de France.

Ceindre l’épée est l’aboutissement d’une initiation. Elle fait de l’écuyer un chevalier, de l’adolescent un homme, mais aussi de l’homme, un missionnaire.

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T E X T E D E D O M I N I Q U E D E L A T O U R

À notre époque oùles «�valeurs�» sont revenues au vocabulaire commun, la chevalerie semble une référence proverbiale et indiscutable. Mais qu’en était-il de ces hommes de guerre ? Quels étaient leurs vrais idéaux ? Leur comportement réel ? Que recouvraient les politesses de l’amourcourtois qu’on leura associées ?

Piété, chasteté, vaillance, jus-tice, désintéressement… On fait sur l’esprit chevaleresque le contresens classique : lisant laChanson de Roland (XIe  siècle) ou le Parzifal de Wolfram vonEschenbach (XIIIe siècle), on y voit l’empreinte d’un idéal puis-sant, sans lequel, imagine-t-on, la chevalerie n’aurait pu être. Réparties sur 600  ans, la somme des chroniques nous en donne une image plus nuan-cée. Quant au Roman de Renart(XIIe-XIIIe  siècle), ses chevaliers bestialisés, cramponnés à leurs voracités, sont la caricature de

tous leurs travers. Il faut lire en creux ces écrits léni-fiants, souvent à visée de propagande, qui mettent en exergue tel comportement, non parce qu’il est général, mais parce qu’il est trop rare. Vrai, faux ou romancé, l’épisode fameux du vase de Soissons – Clovis fracassant le crâne d’un guerrier qui, jadis, avait fracassé le vase qu’il convoitait – semble une facette plus juste de l’esprit des origines, obnubilé par l’honneur sous l’œil de la vendetta. C’est ce même Clovis qui, écoutant l’Évangile sur l’arrestation de Jésus, tirait l’arme en disant : «�Que n’ai-je été là, avec mes Francs ?�» Véridique ou non, l’anecdote trahit l’écartèlement d’une caste entre ses vertus belliqueuses et celles de l’Évangile, censées l’inspi-rer. La colée, formidable coup sur l’épaule qui conclut l’adoubement, «�dernier que le chevalier ne rendra pas�», est loin de la parabole de la joue gauche tendue.

Une rançon de 400�000 livresMais les prêtres ont donné leur blanc-seing : «�Les chevaliers furent établis pour sainte Église garantir, car elle ne peut employer d’arme.�» C’est le vrai sens du fameux commandement de défendre les faibles, qui sont moins la veuve et l’orphelin que le prêtre et le moine, pour qui l’épée est prohibée !

Les théologiens médiévaux ont théorisé leur société, y voyant la répartition entre producteurs (labora-tores), prieurs (oratores) et guerroyeurs (bellatores). Par ses écrits, ses sermons, la prise en main des rites, l’Église fait de ce guerroyeur son bras dans le siècle. Au premier chef, le chevalier, qui obtient un permis de tuer, symbolisé par le droit de se rendre tout armé à la messe : «�Comme la cognée est faite pour couper l’arbre, résume le Catalan Raymond Lulle dans son Livre de l’ordre de chevalerie (1276), le métier des chevaliers est de détruire les hommes mauvais (…), voleurs, traîtres et brigands doivent être tués par lui.�» Alors que l’Église diffuse les principes qu’il faut respecter, que le seigneur détient les droits

L ’ E S P R I T

Dans la fureur de la guerre de Cent Ans, le chevalierse lamente, voyant qu’on tue froidement des prisonniers : «�Ils auraient pu rapporter400�000 livres !�»

L’ESPRITCHEVALERESQUE

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Page 25: Detours en Histoire 10

de justice pour punir ceux qui y contreviennent, le chevalier détient le contre-pouvoir du justicier «�accessible à la pitié, pas à la bassesse, débonnaire, mais sans félonie�». Sur le terrain, les choses sont plus pragmatiques. Dans la fureur de la guerre de Cent Ans, le chevalier se lamente, voyant qu’on tue froi-dement des prisonniers : «�Ils auraient pu rappor-ter 400�000 livres !�» Car les rançons alimentent les caisses d’une profession qui ne vit pas que d’errance et de quête du Graal. S’y ajoutent les prix des tour-nois : comme pour nos Formule 1, certains suzerains intègrent leurs fidèles chevaliers dans des écuries de jouteurs professionnels. Qui rapportent !

Espoir d’avancementSi elle est intéressée à ses heures, il faut recon-naître à la chevalerie qu’elle cède rarement à la couardise. On déplore, certes, son indiscipline, mais celle qui la conduit à se jeter trop tôt dans la mêlée, pas celle qui la ferait fuir les horions. Des chevaliers latins qu’il méprise, le stratège byzantin Léon le Sage est bien forcé d’admettre : «�Ils sont courageux, ou plu-tôt, téméraires à l’excès. Ils se font un déshonneur du moindre mouvement de recul, se battant, quoi qu’il

en coûte, pour peu qu’on les défie pour la bataille.�» Car leur dédain pour la vie n’est pas un mythe. À Mansourah (1250), Érard de Sivry, le nez pendant sur la lèvre d’un méchant coup d’épée turque, consulte ses compagnons pour qu’ils l’assurent – puisqu’il va mourir –, que s’il quitte la bataille, ils y verront juste une tentative d’aller quérir du renfort. Au château de Châlus, recevant le carreau d’arbalète qui causera la gangrène et sa mort, le roi-chevalier Richard Cœur de Lion répond à son tueur : «�Bien joué !�» Et la fidé-lité ? Un chevalier n’a que le premier grade de la hié-rarchie féodale. Il espère gravir les échelons. Fidélité au suzerain, mais en l’absence de guerre ? Bloqué à sa cour, il sacrifie à l’amour courtois. Vu comme une passion transie pour une dame inaccessible, l’amour courtois est typique du sud de la France – mais non exclusif : l’Allemagne en a son homologue, la Minne. Les uns y ont vu l’esquisse du libertinage. D’autres une quête liée à la soif d’absolu du catharisme. Mais cette relation très codifiée n’était que le pendant de la fidélité d’arme : en feignant par des paroles élégantes un penchant pour sa suzeraine, le jeune chevalier montre son dévouement et son niveau d’instruction. En vue d’un avancement. ‡

Septième croisade : le roi Louis IX (Saint Louis) est capturé lors de la bataille de Mansourah le 11 février 1250 en Égypte. Miniature tirée de Chronique abrégée par David Aubert, xve siècle, Paris, bibliothèque de l’Arsenal.

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À LA

RECHERCHE

DU LOYAL

SERVITEUREn 1527, trois ans après la mort du chevalier, paraît la Très Joyeuse, Plaisante et Récréative Histoire du gentil sieur de Bayard. Ce livre plein de péripéties et d’anecdotes, porté par un vrai souffle, fera beaucoup pour la renommée de son héros. Brantôme le louera comme «�un aussi beau livre qu’on saurait voir�». Qui est donc l’auteur, caché derrière l’étrange surnom de Loyal Serviteur ? La plu-part des historiens y voient aujourd’hui la signature de Jacques de Mailles, secrétaire de Bayard qu’il accom-pagna dans nombre d’expéditions, ce qui explique le réalisme de certaines des-criptions. De Mailles occupa plus tard la fonction de notaire et c’est lui qui aurait rédigé en 1525 le contrat de mariage de la fille naturelle de Bayard. Pour J. Roman, auteur d’une édition de référence en 1878, il aurait existé dès 1524 une première version de la Très Joyeuse, Plaisante et Récréative Histoire du gentil sieur de Bayard. Les bibliophiles continuent de la chercher…

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T E X T E D E R A F A E L P I C

Il fut le premierpersonnage historiquereprésenté sur un billetde banque en France –le 20 francs de 1916.La gloire de Bayard(1473-1524) a traverséles siècles sans prendreune ride. Ses vertus –il est « sans peur etsans reproche » – sontconnues de tous. Ellesont paradoxalementfini par éclipser sesexploits réels qui ontaccompagné trois roisde France mais n’ontguère eu qu’un théâtred’opération : l’Italie.

« Le bon chevalier et tous ceuxde sa compagnie y montèrent ety trouvèrent plus de cinq centsbœufs et vaches (…) Le bétail futmené vendre à Vicence. » Êtrechevalier, ce n’est pas que manierl’épée et la lance ! C’est ce quemontre cet épisode pittoresque dela vie de Bayard telle qu’elle a étérelatée par l’un de ses biographes,qui se cache depuis cinq sièclessous le nom de Loyal Serviteur.

Noblesse dauphinoiseNous sommes en 1509, avant lesiège de Padoue qui sera menéde front avec les impériaux. Dansl’attente, il fallait bien que lespaladins du roi de France tuentle temps. Ils s’amusèrent à jouerun mauvais tour aux lansquenets

qui avaient pris l’habitude de razzier le bétail despaysans italiens… Ce n’est pas ce que la postérité aretenu du chevalier sans peur et sans reproche. Dece gentilhomme de petite noblesse dauphinoise,né près de Grenoble, vers 1473, deux faits ont sur-vécu. Lors de la plus célèbre bataille de l’histoire deFrance, à Marignan, il se comporte avec une tellebravoure que le roi François Ier lui fait, à l’issue deces deux journées sanglantes de l’été 1515, unedemande inédite, insensée. Le jeune roi veut êtreadoubé par le vieux soudard ! Bayard aura beau serétracter, il finira par obtempérer et considérera parla suite son épée comme une relique semblable àExcalibur ou Durandal… Dans la galerie de chromos,la fin du preux chevalier, le 30 avril 1524, est encoreplus émouvante. Frappé d’un coup d’arquebuse, ils’adosse à un arbre de la campagne lombarde pourse congédier. Devant les ennemis mortifiés d’avoirabattu une telle icône, il réprimande d’une voix

La Mort du chevalier Bayard. Cette huile de Benjamin West (1772) fut commandée par le roi anglais George III pour ses appartements privés. Londres, Buckingham Palace.

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LA CHEVALERIEDĒTOURS EN HISTOIRE

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Miracles à FournoueLe jeune roi rêve de conquérir l’Italie et de reprendre le flambeau de Saint Louis en Terre sainte. En passant le col de Montgenèvre à l’été 1494, Charles  VIII donne le coup d’envoi à un demi-siècle de guerres. La péninsule sera l’échi-quier sur lequel s’affronteront toutes les puissances du continent : la papauté, l’Empire, les royaumes de France et d’Aragon, mais aussi Milan, Venise et Florence, le tout pimenté par des contingents de piquiers suisses, de lansquenets allemands, d’es-tradiots albanais. «�Les guerres d’Italie furent d’une certaine façon le creuset d’une culture européenne de la gloire, un monde où les formes antiques d’exal-tation de l’individu étaient mises au service d’une démarche d’affirmation de soi qui culminait dans la ”belle mort”�», écrit Nicolas Le Roux dans son récent

claire le connétable de Bourbon, traître à son roi. «�Monsieur, il n’y a point de pitié pour moi, car je meurs en homme de bien, mais j’ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince et votre patrie et votre serment.�» Paroles qui n’ont sans doute jamais été prononcées mais qui ont été gravées dans le marbre par les mémorialistes. Outre le Loyal Serviteur, qui publia sa Très Joyeuse, Plaisante et Récréative Histoire du gentil sieur de Bayard en 1527, un cousin de Bayard, Symphorien Champier, avait déjà livré Les Gestes, ensemble la vie du preulx che-valier Bayard dès 1525. Ces deux ouvrages, maintes fois réimprimés, fixèrent la légende.

Homme d’armes dans la cavalerieCette légende s’appuie sur des faits d’armes bien réels. Après son apprentissage comme page chez la duchesse de Savoie, le jeune Pierre Terrail, qui est plutôt désargenté mais non sans appui (un de ses oncles sera évêque de Grenoble), passe dans la compagnie du comte de Ligny, Louis de Luxembourg, proche du roi Charles VIII. Homme d’armes dans la cavalerie lourde alors qu’il n’a pas encore vingt ans, Bayard arrive à un moment cru-cial de l’histoire européenne.

Selon la légende, le roi François Ier, ici, en costume blanc avec fleurs de lys, aurait été fait, à sa demande, chevalier par Bayard, en 1515.Peinture de Jean-Louis Ducis, 1817, château de Blois.

L’Entrée du roi de France Charles VIII, à Florence.

Peinture de Giuseppe Bezzuoli, 1829, Florence, Palazzo Pitti

Galleria d’Arte Moderna.

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sant, expliquant qu’il soit demeuré vieux garçon après avoir eu une fille naturelle vers 1500) et, la même année, de la sanglante bataille de Ravenne (qui verra la mort du génial Gaston de Foix). Après Marignan, c’est l’héroïque défense de Mézières (dans les Ardennes) contre l’assaut impérial en 1521. Fidèle serviteur de trois rois – Charles VIII, Louis XII, François Ier – se contentant de sa simple compagnied’ordonnance de 30 lances (180 hommes), dur à latâche, bon camarade, bon chrétien, Bayard auraitpu se confondre avec tous les autres grands capi-taines de l’époque – les Louis d’Ars, La Trémoille, LaPalice et Gaston de Foix, qui furent ses compagnonset qui finirent aussi leur vie de façon héroïque surles champs de bataille.

Pierre Terrail, seigneur

de Bayard, quittant Brescia. Peinture

de Joseph Bidault, 1821,

Valence, musée des

Beaux-Arts.

Crépuscule de la chevalerie. Si la prise de Naples est une promenade de santé, le retour, sous la pression des coalisés, est moins brillant mais donne enfin à Bayard l’occasion de s’illustrer. Le 6 juillet 1495, alors que l’armée française est pressée par les batail-lons du marquis de Mantoue, il fait des miracles à Fornoue, près de Parme. «�À la première charge, le

bon chevalier sans peur et sans reproche se porta triompha-lement par-dessus tout en la compagnie du gentil seigneur de Ligny, son bon maître, et lui fut tué deux chevaux sous lui le jour�», écrit le Loyal Serviteur. C’est ainsi que se déclare une vocation, le jour

que les chroniqueurs marquent comme la nais-sance de la furia francese ! En trente ans de car-rière, sans jamais rechercher les honneurs ni les richesses, Bayard s’illustrera sans interruption. Il est de la prise de Milan en 1499, de la reconquête de Naples en 1501-1502, de l’audacieuse prise de la redoute de Gênes en 1507.

Défense de MézièresIl est du siège de Brescia en 1512 (où il subira une grave blessure, qui l’a peut-être rendu impuis-

Après Marignan, il participe à la défense de Mézières en 1521 contre l’assaut impérial.

Convalescence de Bayard, après le siège de Brescia, 1512, où il fut blessé d’un coup de pique. Peinture de Pierre-Henri Revoil, vers 1817, Paris, musée du Louvre.

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DUEL AU

DERNIER SANGLe duel, notamment judiciaire(le verdict des armes équivalantà un jugement de Dieu), a étécouramment employé au MoyenÂge et à la Renaissance, jusqu’àla mort de La Chastaignerayeen 1547, dont l’artère du genougauche fut tranchée, sousles yeux d’Henri II, par l’épéede Chabot de Jarnac. Quelquesannées avant ce fameux « coupde Jarnac », Bayard fut le hérosde l’un des plus célèbres duels dusiècle. En 1503, dans les Pouilles,il est injustement pris à partie parun de ses prisonniers, le colosseibérique Alonso de Sotomayor. Laréparation est laissée aux armes.Dans le cliquetis des cuirasses,Bayard, pourtant diminué caratteint de malaria, trouve la failleavec son épée courte. L’Espagnol,touché à la gorge, meurt et Bayarddevient un nouveau David…À lire : Le Crépuscule de lachevalerie, par Nicolas Le Roux(Champ Vallon, 2015) détaillenotamment cet épisode aucœur de la geste de Bayard.

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Morale rigoureuseComment expliquer qu’il en soitvenu à incarner quasiment seul lesvertus chevaleresques ? Sans douteparce que, plus encore que les autres,Bayard a la biographie exemplairedu chevalier, riche de ces épisodessignificatifs qui deviennent des sym-boles : mépris des richesses, respectde la parole donnée, défense desfaibles et exploits individuels. Selon leLoyal Serviteur, il accumule au coursde sa vie 100 000 livres de rançons : il n’en garderien et distribue tout à ses seconds. Lorsqu’il entreen possession de 15 000 ducats grâce à la capture dutrésorier de Gonçalve de Cordoue dans la plaine desPouilles, il en donne une moitié à son compagnonTardieu puis, pour les 7 500 restants, « le cœur netcomme la perle, fit appeler tous ceux de la garnisonet chacun selon sa qualité les répartit, sans en retenirun seul denier ». Puis, il fait escorter le trésorier dansson camp. Dans Brescia mise à feu et à sang, alorsque la soldatesque ivre veut tout piller, il empêcheque l’on touche à la famille qui l’accueille et défendla vertu des deux jeunes filles du foyer. Lorsqu’il estplus fringant, il reste pareillement impeccable : àGrenoble, quand une mère miséreuse glisse dansson lit sa virginale fille, il raccompagne la jouven-celle et la dote. En matière militaire, il applique sesprincipes moraux avec la même rigueur.

Bayard joue au touriste en FlandreLorsque l’empereur Maximilien Ier demande auxchevaliers français de mener à pied le siège dePadoue, son sang ne fait qu’un tour : son sta-tut de gentilhomme lui interdit de se mettre auniveau des piétons, boulangers, cordonniers ou

maréchaux-ferrants ! En 1513, Bayard est capturé à la bataille de Guinegatte, dans l’actuel Pas-de-Calais. C’est un échange de courtoisie, un dia-logue tout feutré avec Henri  VIII et l’empereur Maximilien, qui refusent de considérer un si noble personnage comme leur prisonnier. Puisqu’il faut tout de même, par principe, fixer une rançon, elle sera de 1�000 écus. L’empereur se chargerait de se la payer à lui-même si Bayard voulait bien passer à son service ! Comment corrompre un incorruptible ? Henri VIII n’essaie même pas et rend sa liberté au fier paladin pourvu qu’il observe une trêve. Pendant six semaines, le loyal Bayard «�s’en ira ébattre par le pays�», jouant au touriste en Flandre, estimant plus sa parole que les besoins de

François de Vivonne, sieur de

La Chastai-gneraye,

victime du «�coup de Jarnac�». Départe-ment des

estampes, Biblio-

thèque nationale

de France.

La générosité du chevalier Bayard. Bayard fait un don en ducats d’or. Huile de H.-J. Boichard, 1827, Paris, Petit-Palais.

BAYARDGLOIRE

NATIONALE

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Page 31: Detours en Histoire 10

son roi acculé… Ses sensationnels exploits lui don-neront une réputation européenne. Dans la froi-dure du Noël 1503, c’est vêtu d’un léger pourpoint qu’il tient, seul, le pont du Garigliano, couvrant la retraite des troupes du roi face à la meute espagnole qu’il précipite dans les eaux glacées. On sait la puis-sance mythologique des ponts, de Lodi à Arcole. Le chœur de louanges embaumant Bayard sera continu au long des siècles, et les régimes les plus policiers lui pardonneront même son indiscipline. Comme le rappelait Jean Jacquart dans sa biographie, il n’y aura guère qu’une voix dissonante, celle du gaulliste

Alexandre Sanguinetti, qui ne voyait en lui qu’un réactionnaire fidèle à des valeurs dépassées, accro-ché à son épée alors que le temps est à l’arquebuse et bientôt au pistolet : «�C’est le genre de militaires qui encombrent notre histoire de leurs hauts faits, mais qui auraient refusé en 70 le canon se chargeant

par la culasse, en 14 la mitrailleuse et le canon lourd, en 40 le char de combat et l’aviation d’assaut, enfin en 60 l’arme-ment nucléaire.�» Au fond, c’est tout ce qui fait le pouvoir de fascination de Bayard. Avec son armure, son heaume et son destrier, il n’est qu’une relique émouvante car condamnée : le chant du cygne de la chevalerie. ‡

À Brescia, il empêche que l’on touche à la

famille qui l’accueille et défend la vertu des jeunes filles du foyer.

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Page 32: Detours en Histoire 10

Procession des croisés autour de Jérusalem, lors la prise de la Ville sainte par Godefroy de Bouillon, le 15 juillet 1099. Œuvre de Jean-Victor Schnetz, 1841, musée du Château de Versailles.

LE CLUB DES PREUXD E S H É R O S G U E R R I E R S

Innombrables sont les chevaliers qui ont fait preuve de bravoure, des premières croisades jusqu’à Marignan, sacrifiant aisément leur vie pour une «�belle mort�». En voici quelques-uns

parmi les meilleurs, dont les exploits ont retenti entre Terre sainte, Flandre et Italie.

T E X T E D E G U I L L A U M E P I C O N

En 1095, le pape Urbain II invite les chevaliers et princes chrétiens à délivrer Jérusalem. Le bouillant Godefroy

décide de se lancer dans l’aventure. Fils cadet du comte de Boulogne, il ne manque pas de biens. En 1076, l’adolescent hérite du comté de Verdun, du marquisat d’Anvers et, neuf ans plus tard, du duché de Basse-Lorraine appar-

tenant à son oncle. Membre important de l’aristocratie, il a servi Henri IV, roi de Germanie et futur empereur. À l’heure des choix, il n’hésite pas à vendre deux châteaux pour financer son voyage et prendre la tête d’une armée

de chevaliers. Partis à l’été 1096, les croisés entrent dans la Ville sainte le 15 juillet 1099. Sa vaillante conduite durant les combats lui vaut l’estime générale : Godefroy est élu roi des terres nouvellement conquises. Par piété,

il refuse cette couronne, lui préférant le titre d’avoué, c’est-à-dire de protecteur du Saint-Sépulcre, église construite sur l’emplacement du tombeau de Jésus. En une seule année, il pose les bases de l’organisation du futur royaume latin

de Jérusalem. Son frère, qui lui succède, s’empresse de se faire couronner roi sous le nom de Baudouin Ier. Godefroy mort, sa légende peut prospérer. Déjà célèbre de son vivant, le voici hissé au rang de héros de plusieurs

chansons de geste telles que la Conquête de Jérusalem.

G O D E F R O Y D E B O U I L L O N ( V E R S 1 0 6 0 - 1 1 0 0 )

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G U I L L A U M ED E S B A R R E S

( M O R T E N 1 2 3 4 )Après avoir accompagnéPhilippe Auguste lors de

la troisième croisade,il devient sénéchal, donc bras

droit du roi, et participeà la conquête de la Normandie,

enlevée à Jean sans Terre.Les adversaires s’affrontentle 27 juillet 1214, lors dela célèbre bataille de Bouvines.Contre les usages en vigueur,le roi de France déclenche leshostilités un dimanche, jour duSeigneur. Guillaume des Barreset d’autres chevaliers se portentà la rencontre de l’empereurOtton. Dans la brèche ainsicréée, l’infanterie adverse serue vers Philippe Auguste,reconnaissable à la couronnequi surmonte son heaume età sa tunique fleurdelisée. Àterre, le roi échappe de justesseà une humiliante capture. Deson côté, Guillaume de Barrespoursuit Otton et se trouve seulau milieu de l’ennemi, luttantpied à pied. Sur le point d’êtresubmergé, il est secouru parcinquante chevaliers. C’est direjusqu’où il s’était engagé dansla mêlée et combien d’ennemisil avait occis !

G U I L L A U M E L E M A R É C H A L ( M O R T E N 1 2 1 9 )Georges Duby, dans une biographie (1984), rappelle comment Guillaume le Maréchal

est parvenu au sommet de la gloire. Ce qui explique que les chroniqueurs médiévaux ontconservé l’année de sa mort : 1219. Son fils commande alors une Vie de Guillaumele Maréchal, destinée à être lue à haute voix, qui dresse le portrait du chevalier idéal, loyalet courageux. Jeune homme, Guillaume se taille une réputation de vaillance, sur les champsde bataille, ou les tournois. Prompt à rafler la victoire, il accumule armes, chevaux, argentet honneur ! Henri II d’Angleterre a veillé à ce qu’il fasse un beau mariage, son épouse està la tête de la deuxième fortune du royaume. Le roi accorde au chevalier le titre de comtede Pembroke. Le règne de Richard Cœur de Lion sonne l’heure de sa disgrâce tandisque la politique que mène Jean sans Terre, frère cadet de Richard, pousse Guillaume dansl’opposition. En 1216, il est proclamé régent d’Angleterre durant la minorité d’Henri III.Il remporte une dernière bataille en 1217, à Lincoln, contre le fils de Philippe Auguste, futurLouis VIII. Il meurt deux ans plus tard, considéré comme le meilleur chevalier du monde.

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Effigie en pierre de Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke. Londres, Temple Church.

La bataille de Bouvines, 27 juillet 1214.Huile d’Horace Vernet, 1827,musée du Château de Versailles.

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LA CHEVALERIE DĒTOURS EN HISTOIRE

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B E R T R A N D D U G U E S C L I N ( V E R S 1 3 2 0 - 1 3 8 0 )

Après avoir fait ses premières armes lors de la guerre de Succession de Bretagne, du Guesclin passe en 1357 au service

du roi de France. Fait prisonnier en 1364 à la bataille d’Auray, il est vite délivré, le roi participant au paiement de sa

rançon. En 1370, nommé connétable, il a pour mission délicate de reprendre aux Anglais les territoires conquis depuis le début de la guerre de Cent Ans. Plutôt que dans les affrontements directs, il donne la mesure de son talent dans la guerre

défensive. Disposant de maigres moyens, il épuise son adversaire avec des troupes peu nombreuses mais très mobiles, reprenant en cinq ans une partie des villes et châteaux perdus. À sa mort en 1380, Calais, quelques places fortes en Bretagne et la Guyenne sont toujours entre les mains du roi d’Angleterre. Cependant, privilège insigne, Charles V fait

inhumer son connétable dans la nécropole royale de Saint-Denis. Le temps des poètes est venu : Eustache Deschamps chantera la gloire de celui qu’il considère comme le dixième preux chevalier.

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Bataille de Cocherel : victoire des troupes de Bertrand du Guesclin sur celles du roi de Navarre Charles le Mauvais. Peinture de Charles Philippe Larivière, 1837, musée du Château de Versailles.

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LE CLUBDES

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J A C Q U E S D E L A L A I N G ( 1 4 2 0 - 1 4 5 3 )À 25 ans, adoubé chevalier, il s’affirme comme une des gloiresde la cour de Bourgogne où la culture chevaleresque, sousl’impulsion du duc Philippe le Bon, règne encore en maître.De 1445 à 1450, il parcourt l’Europe, diffusant dans les tournoisqu’il remporte l’image d’une Bourgogne fastueuse et puissante.Lors des fêtes de Mons, en 1451, il est admis dans le prestigieuxordre de la Toison d’or récemment fondé. Participant en 1453 ausiège la ville de Gand révoltée contre l’impôt, Jacques de Lalaingtrouve la mort, la tête emportée par un boulet de canon. Pourtant,loin d’être un représentant d’une chevalerie sur le déclin,prisonnière de son idéal et incapable de s’adapter aux dernièresinnovations, Lalaing est un chef de guerre professionnel. Il ne sertpas seulement son seigneur, le duc, mais un État moderneen construction, doté de structures administratives commele rapporte Le Livre des faits du bon chevalier messire Jacquesde Lalaing, rédigé à la demande de sa famille.

L O U I S D E L A T R É M O I L L E

( 1 4 6 0 - 1 5 2 5 )En 1494, Charles VIII effectue

sa «�descente en Italie�» pour

s’emparer du royaume de Naples

qu’il revendique. La Trémoille est de l’aventure. Au retour, une ligue anti-

française s’est constituée et le choc des deux armées a lieu à Fornoue.

La Trémoille, menant le gros des troupes françaises, met en déroute l’adversaire, trop occupé au pillage

des bagages. Le combat n’aurait pas duré plus d’une heure. Surpris, les

Italiens reconnaissent avoir été débordés par la furia francese, une

expression promise à un grand avenir. Après la mort du roi, La Trémoille

passe au service de son successeur, Louis XII, qui s’engage également

au-delà des Alpes. En 1515, il est encore à Marignan, où son fils unique

Charles meurt en héros, criblé de 62 blessures. Lors des préparatifs de la bataille de Pavie, livrée dix ans plus

tard, le vieux chevalier s’oppose aux choix stratégiques du roi. Il a hélas vu

juste. François Ier est fait prisonnier et Louis, tué d’un coup d’arquebuse.

Comme Bayard…

Jacques de Lalaing devant les comtes du Maine et de Saint-Pol, in Livre des faits du bon chevalier messire Jacques de Lalaing,Manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de France.

Portrait de Louis de La Trémoille. Huile attribuée à Ghirlandaio, XVe siècle, Chantilly, musée Condé.

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LA CHEVALERIE DĒTOURS EN HISTOIRE

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Page 36: Detours en Histoire 10

La reine Élisabeth II et le prince Philip, portant les vêtements spécifiques, le collier et l’étoile, se rendent à la cérémonie célébrant l’ordre de la Jarretière, Garter Day, au château de Windsor, le 15 juin 2015.

LES ORDRESDE CHEVALERIE

L I É S À L A N O B L E S S E

On a souvent tendance à les confondre avec les ordres militaires nés durant les croisades – Templiers, Hospitaliers, Teutoniques. Les ordres de chevalerie n’ont pourtant pas grand-chose à voir avec leurs illustres prédécesseurs. Apparus au xive siècle, ils participent d’un mouvement politique consistant, pour les souverains occidentaux, à lier la noblesse à leur personne autour

des valeurs chevaleresques. Retour sur les plus célèbres d’entre eux.

Les circonstances de création du premier ordre de chevalerie demeurent obscures. Voulu par le roi d’Angleterre Édouard III, l’ordre de la Jarretière voit probablement le jour en 1348, le 23 avril, jour de la saint Georges. Deux hypothèses pourraient

expliquer son nom. La première serait une référence à une jarretière aux couleurs de saint Georges que Richard Cœur de Lion aurait accrochée à la jambe de ses chevaliers pour leur porter chance. La seconde, plus romanesque, ferait écho

à un incident de bal : la maîtresse du roi ayant perdu sa jarretière, Édouard, face à des courtisans hilares, l’aurait attachée à sa propre jambe en lançant «�Honi soit qui mal y pense�», phrase devenue devise de l’ordre. Limité à 25 membres

«�chevaliers compagnons�» entourant le monarque, l’ordre a rapidement accueilli des femmes et existe toujours.

L E S A N G L A I S « O U V R E N T L E B A L » : L A J A R R E T I È R E

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LES ORDRESDE CHEVALERIE

LIÉS À LA NOBLESSE

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Page 37: Detours en Histoire 10

U N O R D R E , D E U X É T A T S :L A T O I S O N D ’ O R

Loin des statuts grandiloquents de l’Étoile, Philippe le Bon,

duc de Bourgogne, institue la Toison d’or en 1430 pour

resserrer les liens avec sa noblesse. Placé sous le patronagede saint André, la Toison d’or, qui fait référence à la peau

de bélier ravie par Jason dans la mythologie grecque, accueille25 chevaliers à l’origine, nombre bientôt augmenté pour

atteindre 51 membres. De successions en transmissions,l’ordre passe de Bourgogne aux Habsbourg d’Espagne aprèsCharles Quint, avant que l’empire d’Autriche ne le revendique

quelques années plus tard. Depuis, deux ordresde la Toison d’or existent en Europe !

L’ E S P R I T D E L A C H E V A L E R I EP E R P É T U É : L E C H A R D O N , L E B A I NAlors que la chevalerie, telle que l’a connue le Moyen Âge, n’est

plus qu’un lointain souvenir, des ordres continuent pourtant de

voir le jour. Autoproclamés grands maîtres de ces entités, des roiscontinuent de créer un lien de subordination avec leurs plus fidèlessujets. Utilisant l’un des symboles de l’Écosse, le roi Jacques IId’Angleterre, roi d’Écosse sous le nom de Jacques VII, institue ainsil’ordre du Chardon en juin 1687 pour s’attacher la noblesse locale,tandis que l’un de ses successeurs, George Ier, créé l’ordre du Bainen 1725.Ici, l’ordre fait référence à la cérémonie médiévale du bainpurificateur que les futurs chevaliers prenaient avant l’adoubement.

L E S F R A N Ç A I S R I P O S T E N T : L ’ É T O I L EEn pleine guerre de Cent Ans, pour répondre à l’initiative de son ennemi anglais,

le roi de France Jean II le Bon fonde, en novembre 1351, l’ordre de l’Étoile. Placésous le patronage de la Vierge, il a pour siège la villa royale de Saint-Ouen, résidenceprisée des Valois, et peut accueillir au maximum 500 chevaliers. Exploitant à fondles idéaux chevaleresques, l’ordre exige de ses membres qu’ils aient fait preuvede bravoure au combat. De plus, il leur interdit de reculer de plus de quatre pas faceà l’adversaire… Prenant cet engagement au «�pied�» de la lettre, une centainede chevaliers tomberont à Mauron (Bretagne), en août 1352. L’ordre ne survivrapas à cette hécatombe et à la capture du roi lors de la bataille de Poitiers (1356).

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L’amiral Nelson arborant à la manche l’emblème de l’ordre des chevaliers du Bain. Huile de L. F. Abbott, Greenwich, National Maritime Museum.

Jean II le Bon institua l’ordre de l’Étoile, symbolisé par une étoile en broderie recamée d’orà cinq branches. Copie (XVIIe siècle) d’un portrait original conservé au département des Manuscrits. Département des Estampes et Photographie, Bibliothèque nationale de France.

Philippe le Bon, duc de Bourgogne, portant la Toison d’or. D’aprèsla toile de Rogier van der Weyden, vers 1450, Paris, musée du Louvre.

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Produit de l’instabilité de la société occiden-tale autour de l’an Mil, le chevalier ne fut pasle premier combattant à cheval de l’histoire.Bien avant lui, Rome avait mis en place unecavalerie qui soutenait les légionnaires. Etque dire des Francs, des peuples barbares ou deceux des steppes ? Au VIIIe siècle, les armées deCharlemagne ne comptaient-elles pas dans leursrangs des hommes libres, suffisamment richespour s’équiper et combattre à cheval ? Oui, maisla chevalerie, au sens où nous l’entendons, n’estapparue qu’au XIe siècle avec la mise en place dusystème féodal et le développement de techniquesde combat inédites.

Sous une carapace de ferAlors que les cavaliers carolingiens étaient pro-tégés par une broigne, sorte de veste de cuirparfois renforcée de fines plaques de métal, lesguerriers à cheval du XIe siècle adoptent pro-gressivement le haubert. Cette tunique faite decentaines d’anneaux de métal entrelacés ne seporte pas directement sur la peau mais sur unvêtement matelassé : le gambison. Couvrant lecorps jusqu’aux genoux, le haubert est fendu à l’en-trejambe pour faciliter la chevauchée et peut êtrecomplété par des pièces indépendantes pour la têteou les mains. Cet ensemble d’une quinzaine dekilos, que l’on doit régulièrement graisser, est censé

LES QUATRE ÉLÉMENTS DE LA CHEVALERIEUn homme seul ne suffit pas à caractériser la chevalerie dans sa dimension

militaire. Il est nécessaire de considérer quatre « éléments clés » qui s’associentpour «�faire » d’un chevalier la machine de combat que nous connaissons : unhomme que l’on doit protéger des coups, un cheval hors de prix que l’on doit

maîtriser, des armes particulières que l’on doit manier pour tuer, une tactiqueque l’on doit appliquer faute de perdre l’avantage sur le champ de bataille.

i seul, levalier suffit

à résumer leMoyen Âge. Desromans d’aventureaux boutiques dejouets regorgeantde panopliesbariolées, la figuredu chevalier estpartout présente,associée auxnotions de tournois,d’honneur etd’amour courtois.C’est sans compterune spécificitémajeure inscritedans ses gènes :la guerre.

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offrir une protection efficace contre les flèches et certains coups d’épée�; mais pas contre un carreau d’arbalète ou la pointe de lance d’un chevalier. C’est dans un souci d’amélioration de la protection qu’àpartir du XIIIe siècle, le haubert est parfois complété par des plaques de métal. Ultime étape, une armure uniquement constituée de pièces métalliques arti-culées apparaîtra bientôt : le harnois. Malgré ses 20 à 30 kilos, cette tenue caractéristique des derniers temps du Moyen Âge, plus pratique que le haubert grâce à une meilleure répartition du poids, seraportée jusqu’au XVIIe siècle !

Du heaume au bassinetLa tête du chevalier doit également pouvoir encaisser les chocs. Originellement, le casque de métal se porte sur une coiffe en tissu rem-bourré. De forme ronde ou conique, il ne couvre alors que le haut du crâne, mais va être rapide-ment complété par une pièce de métal protégeant le nez. Ce casque à nasal, magnifié par la brode-rie de Bayeux, trouve son origine chez les peuplesscandinaves. Fin du XIIe siècle, nouvelle évolution : le chapeau de fer est augmenté d’une plaque de métal couvrant le visage, ajourée pour faciliter la vision et la respiration. Bientôt, la tête entière sera «�insérée�» dans un cylindre métallique percé de fentes : le fameux heaume ! Si ce dernier assure une protection complète, son poids et son incon-fort aboutiront, courant XIVe siècle, à la conception du bassinet. Cette fois, le casque dispose d’une visière mobile qui, en se relevant, permet au che-valier de respirer et d’observer son environnement. Concernant les chevaux, certains les ont pensésgrands et « racés », d’autres trapus tels des bêtes de

Scène de bataille. Miniature issue du Miroir historial de Vincent de Beauvais (1190-1264), Chantilly, musée Condé.

C’est dans un souci d’amélioration de la protection qu’à partir du xiiie siècle, le haubert est parfois complété par des plaques de métal.

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trait… À quoi la monture du chevalier ressemblait-elle ? Nous en sommes réduits à exploiter des don-nées périphériques, car le cheval de guerre n’estpas le représentant d’une race équine identifiable.À cette époque, on désigne en effet le cheval parson usage : roncin pour le travail, palefroi pour lamonte classique, haquenée réservée aux dameset, enfin, destrier, monture de guerre par excel-lence. Ce cheval coûte une fortune par rapportà un animal ordinaire. Parfois dressé pour fairepreuve d’agressivité face à l’ennemi, le destrierdoit son nom au fait que l’écuyer le tient toujoursà dextre, c’est-à-dire de la main droite. Puissant,agile et rapide, il est souvent décrit comme« grand », notion relative par rapport aux stan-dards actuels ; on estime en effet qu’il toisait enmoyenne 1,50 mètre ! Comme pour son maître,il bénéficie, dès le XIIe siècle, d’une protection :la barde. Tunique matelassée de cuir bouilli ouconstituée de mailles, elle évolue en armure deplates – plaques de métal – à la fin du Moyen Âge.Afin de ménager cette bête coûteuse, le cheva-lier ne la monte qu’à l’approche du combat. Pourles trajets quotidiens, il utilise un cheval de selle,souvent accompagné d’un animal de bât pour transporter l’équipement. Quant aux chevaliers les plus pauvres, ils se contenteront de chevaux moins «�nobles�» (roncins, palefrois).

… et des armes de taille et d’estocLa lance est l’arme de prédilection du chevalier. Elle est constituée d’une hampe – souvent en frêne – terminée par une pointe de fer et entre dans la catégorie des armes blanches dites «�d’hast�» (lame sur corps de bois). Elle est sou-vent complétée d’une butée métallique qui évite que la pointe ne se fiche profondément dans un corps et que l’arme ne soit pas récupérable. D’unelongueur de 2,50 mètres au XIIe siècle, la lance atteindra presque 3,50 mètres deux siècles plus

tard. Pesant entre 10 et 15 kilos, une fois placée à l’horizontale, elle dépasse l’encolure du cheval de plus d’un mètre. Solidement bloquée par l’avant-bras du chevalier et calée contre son aisselle, elle est couchée pour perforer (ou frapper d’«�estoc�», c’est-à-dire «�avec la pointe�»).

Évolutions techniques Dans la fureur des combats, si la lance se brise ou si la mêlée ne permet pas de manœuvrer, le chevalier peut poursuivre le combat à l’épée. Tirée d’un fourreau souvent fixé à la selle, cette arme d’1 à 2 kilos mesure à peu près un mètre. Munie de deux tranchants pour frapper de taille, sa pointe est également utilisée pour frapper d’es-toc, pratique plus létale car pénétrant jusqu’aux organes vitaux… Hormis les Teutoniques, rares sont les chevaliers à utiliser l’épée longue, car elle nécessite d’être maniée à deux mains et ne per-met pas de se protéger derrière un bouclier… En forme d’amande de grande taille aux origines de la chevalerie, celui-ci a évolué au fil des siècles vers un écu plus modeste et maniable. Généralement en bois, renforcé de cuir ou de métal, il s’utilise en glissant l’avant-bras libre dans deux arceaux

Scène de la bataille de Courtrai (1302), miniature extraite de la Chronique de Flandre, xve siècle. Manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de France.

Troisième croisade : scène de bataille contre les infidèles vers 1191. Miniature tirée de Chronique abrégée de David Aubert, xve siècle, Paris, bibliothèque de l’Arsenal.

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métalliques. On l’a dit, la chevalerie médiévale estnée d’évolutions techniques – au-delà des armeset armures, citons l’emploi des étriers pour unmeilleur appui et l’usage des fers sur les sabotspour accroître la préhension des chevaux –, maissurtout d’une évolution tactique majeure.

Sus à l’ennemi !Autrefois, le cavalier lançait surtout un jave-lot sur un ennemi distant. Or, avant la fin duXIe siècle, une révolution voit le jour : la lance, en position horizontale, ne bouge plus et fait corps avec l’homme et le cheval, transformant l’ensemble en projectile. Dorénavant, les chevaliers d’un même camp tenteront, dès que possible, de mettre en place une mécanique fatale. Face à l’adversaire, sur un ou plusieurs rangs (échelles), les chevaliers se mettent en branle en maintenant l’alignement, sui-

vant leur capitaine qui fait «�la pointe�» et déclenche la charge à courte distance de l’ennemi. Dans un fracas d’enfer, lances abaissées au dernier instant, un mur vivant et vociférant percute le front adverse (fantassins ou autres chevaliers) à pleine puissance pour le disloquer. Mais toute mécanique a ses fai-blesses : une charge de chevaliers sera inopérante si l’ennemi se dérobe (cas des cavaliers musulmans durant les croisades), s’il est solidement retranché (bataille de Courtrai, 1302), si le terrain est peu pra-ticable (Poitiers, 1356 ou Azincourt, 1415), ou si une pluie de projectiles décime hommes et chevaux avant qu’ils n’atteignent les rangs adverses (Crécy, 1346 ou Azincourt, 1415). Au-delà, on retiendra que nombreuses furent les batailles où les chevaliers combattirent à pied, par choix délibéré. Bien qu’ils n’aient jamais représenté le gros des effectifs enga-gés dans les batailles (environ 10 %), les chevaliers ont marqué durablement les esprits. Glorifiés par les romans et les poèmes courtois, ils ont fini par disparaître comme force militaire avec l’introduc-tion de l’artillerie et des armes à feu. ‡

En haut,bataillede Crécyentre lesFrançais etles Anglais,1346. Atelierdu Maître deBoucicaut inLes GrandesChroniquesde France,vers 1415.Londres,The BritishLibrary.

Dans la fureur des combats, si la lance se brise ou si la mêlée ne permet pas de manœuvrer, le chevalier peut poursuivre le combat à l’épée.

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Ci-dessus, à droite : combat des chevaliers Palamède et Arthur. Miniature in Roman de la quête du Graal, 1460. Dijon, Bibliothèque municipale.

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Le 25 octobre 1415, à Azincourt (Pas-de-Calais),l’ost du roi de France fait face à des troupesanglaises fatiguées qui tentent de regagnerleur pays. Les Français ont l’avantage (15 000 com-battants contre 9 000). Et pourtant… Refusant deprendre en compte des facteurs de danger – ter-rain détrempé, ennemi établi entre deux bois qui ne

permettent aucun contournement, archers retran-chés derrière des pieux – 3 000 chevaliers françaiss’élancent en rang serré. Et n’arriveront jamaisjusqu’à l’ennemi… Ici périt la fine fleur de la noblessefleurdelisée, transpercée de traits ou empalée sur lesdéfenses anglaises ; et, avec elle, la prééminence dela chevalerie sur les champs de bataille.

AZINCOURTB A T A I L L E S H A K E S P E A R I E N N E

Il faut presque une heure au chevalier pour revêtir toutes les parties de l’armure : il a déjà endossé son gambison (vêtement matelassé sous l’armure) et enfilé son camail, couvre-chef en cotte de maille.

Tous les ans, au mois de juillet, le Centre historique médiéval d’Azincourt (Pas-de-Calais) organise une grande fête dont le point d’orgue est la reconstitution de la fameuse bataille. Ci-dessus et ci-contre : combattants à pied en armure lors de l’édition de 2011.

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LE CHOC

DES ARMES1415 : désastre d’Azincourt, l’armée française est décimée par les archers gallois. 1515 : triomphe de Marignan, l’artillerie française balaie les piquiers suisses. En un siècle, l’évolution de l’armement, et notamment l’apparition des armes à feu, génère de nouvelles façons de faire la guerre. Rassemblant canons et fauconneaux, mais aussi l’épée de Louis XII et l’armure de François Ier, l’exposition permet de visualiser cette révolution technique.À voir : Chevaliers et bombardes, d’Azincourt à Marignan, 1415-1515, au musée de l’Armée (Paris), du 7 octobre 2015 au 24 janvier 2016. www.musee-armee.fr.

Ci-contre, à gauche : combattants à pied en armure pen-dant la bataille reconstituée, ici, sous la bannière de Jean II Le Meingre. Ci-dessus : combattants à pied en armure. Ci-contre, à droite : reconstitutionde flèches del’époque de labataille, ici, lesempennages.

Combattants à pied portant armure, chargeant l’adversaire.

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T E X T E D E C L A U D I N E L E T O U R N E U R D ’ I S O N

Le tournoi est l’attributimmanquable deschevaliers légendaires, de Lancelot du Lac à Ivanhoé, ou ayant réellement existé, comme Guillaume le Maréchal. Au départ simulacres ritualisés de batailles entre deux équipes, ces jeux équestres vont atteindre, au fil des siècles un degré de splendeur inégalé.

S’ils ont rythmé la vie desnobles du Moyen Âge, les tour-nois ont une origine relative-ment obscure. La Chronique deTours, rédigée au XIIIe siècle, attri-bue au gentilhomme Geoffroi dePreuilly, mort en 1066, l’inven-tion de la discipline, bien que l’onait connaissance de jeux guer-riers comparables à l’époquecarolingienne et même chezles Celtes. Les premiers tournoissont plutôt de violents affronte-ments en rase campagne dontGuillaume le Maréchal reste unefigure emblématique. Pratiquésde la Pentecôte à la Saint-Jean ou lors de fêtes, cesrencontres mettent aux prises, durant une journée,deux groupes armés et leurs chefs. Les hommes semesurent à armes réelles avec épée, lance et massed’armes lors de batailles rangées. Elles ne se diffé-rencient d’une vraie bataille que par leur enjeu : ellessont engagées pour l’honneur, sans volonté de tuerni de conquêtes territoriales. Il arrive cependant queles participants en tirent fortune grâce aux armesdes vaincus et aux prix reçus pour leur bravoure.Certains chevaliers sont comparables à nos profes-sionnels actuels du sport, se déplaçant de tournoi entournoi, et vivant de leurs prix et rançons. Le chiffred’affaires alimenté par les tournois est loin d’êtrenégligeable : Georges Duby y vit même l’une des

E N S A V O I R P L U S / L I V R E

LE MEILLEUR CHEVALIER DU MONDEQuand un géant de l’Histoire s’empare de la vie de Guillaume le Maréchal, «�le meilleur chevalier du monde�», le résultat offre un scénario passionnant. Né au mitan du xiie siècle, Guillaume, issu d’un modeste lignage mais adoubé en 1167, gagne sa notoriété à la force de son épée et de sa lance. Au service des Plantagenêts, il devient champion de tournois. Fait d’arme qui mérite récompense : il épousera l’une des plus jeunes filles du roi d’Angleterre, «�le gros lot�» se permet Duby. Puisant aux sources livresques de Jean d’Early, compagnon de de Guillaume, l’historien fait revivre le monde de la chevalerie dans toutes ses composantes. Guillaume le Maréchal, de Georges Duby, coll. Folio Histoire, Gallimard, 192 p., 8 €.B

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LES CHEVALIERS DĒTOURS EN HISTOIRE

Tournoi du chastel du Brut, in Lancelot du Lac, compilation de Michel Gonnot, xve siècle. Manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de France.

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principales formes de redistribution des richessesaux XIIe et XIIIe siècles. Guillaume le Maréchal, népauvre, réussira en une seule année à prendreplusde100 chevaux à ses adversaires. Au signal donné, lesdeux équipes chargent dans un grand fracas.Un boncheval a autant d’importance qu’une bonne épée.L’animal doit être endurant, résistant aux bruits etaux chocs, et à aucun moment ne doit désarçonnerson cavalier – ce qui sous-entend qu’il a été soumisà un entraînement spécifique. Lui aussi est protégépar une armure ou simplement houssé d’une cou-verture aux armoiries du chevalier. La fougue des

hommes et des bêtes dans ce maelström de bruta-lité cause inévitablement la mort d’hommes et dechevaux. Le duc de Bretagne Geoffroy Plantagenêtdécède ainsi à 28 ans lors d’un tournoi à Paris en1186. À Chalon, en 1273, un tournoi donné en l’hon-neur du roi d’Angleterre, Édouard Ier, se transformeen pugilat, les Bourguignons n’ayant pas admis quele roi ait fait violemment chuter le comte de Chalon.Plut tôt, en 1239, un tournoi en Allemagne dégénèreau point que plus de 80 chevaliers y trouvent la mort.

Barrières de sécuritéPour limiter les effusions de sang, la réglementa-tion des tournois devient de plus en plus stricte.En Italie, vers 1420, une barrière, la lice, appa-raît lors des joutes, pour des raisons de sécu-rité. Les chevaliers galopent alors le long de cettelice, chacun ayant la barrière à sa gauche. Pour l’élitedes guerriers, ces combats simulés sont un exerciceau métier des armes. Tant que la chevalerie a unemission politique et religieuse à remplir – notam-ment les croisades –, les tournois sont des écoles deprouesse, où les champions cherchent à devenir deforts et adroits hommes de guerre, sans beaucoup sesoucier de riches armures, de beaux équipements,ou même de l’applaudissement des dames.A

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Rassemblement des tournoyeurs dans les lices, avec le chevalier d’honneur au centre, in Le Livre des tournois de René, duc d’Anjou, xve s. Manuscrits occi-dentaux, BnF.

Tournoi de che-valiers, in Ogier le Danois, illustré par Antoine Vérard, 1498. Turin, Biblio-thèque nationale de l’université de Turin.

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Magnificence et galanteriePlus tard, au XIVe siècle, lorsque les combats despuissances féodales cessent, lorsque les croi-sades ne sont plus qu’un mythe révolu et que lesprogrès du luxe ont adouci l’âpreté des mœursde la noblesse, les joutes prennent un caractèrede magnificence et de galanterie. Elles se trans-forment en fêtes solennelles soumises à des règle-ments particuliers, et accompagnées de cérémoniespubliques. Les tournois se déroulent alors dans unchamp clos et sont donnés en l’honneur des dames.Le roman Ivanhoé, de Walter Scott, en donne l’unedes plus belles descriptions. Les tournois et les joutesdès la fin du XIVe siècle requièrent des équipements spécifiques qui se démarquent des tenues guerrières. Afin de rester mobiles et endurants, les cavaliers arborent des cuirasses légères. Sous leur carapace, ils endossent un corset capitonné de toile et de filasse pour amortir les coups. Le heaume est quadrillé de grands losanges sur le devant pour la vue et la res-piration. L’armure du jouteur est différente, bien plus résistante et donc bien plus lourde – jusqu’à 9 kilos – pour résister au violent choc de lance.

Règles et conventions d’honneurLes chevaliers, superbement équipés, suivis de leurs écuyers, tous à cheval, se présentent au public, au son des fanfares. Le signal donné, ils prêtent serment, les tournois répondant à des règles et des conventions d’honneur. Les combats qui suivent, les deux lignes opposées des chevaliers se mêlent pour en venir aux mains, comme deux corps d’armée combattant avec l’épée, la hache et la dague, vont peu à peu perdre de leur importance au profit de la joute, qui se pratique seul à seul. La lance bien calée sous le bras droit doit servir à désarçonner l’adver-saire par la violence du choc (on mesure le succès des tournoyeurs au nombre de lances brisées). Mais l’on peut aussi décider de recourir à des armes émous-sées («�à plaisance�») plutôt que d’utiliser des armes de guerre («�à outrance�»). Ou se donner un cadre spé-cifique dans le cas des «�pas d’armes�» : il s’agit alors d’empêcher la prise d’un lieu par les adversaires. C’est ce qui se produit à l’appel de René d’Anjou en juin 1446, lors de la fameuse Emprise de Joyeuse-Garde près de Saumur. Les tournoyeurs, 40 jours durant, s’illustreront dans la défense du «�perron de marbre�» d’un château en bois… Dans ces tournois fastueux, les vainqueurs sont salués par des formules grandi-loquentes : «�Honneur aux fils des preux�». Conduits dans le palais, ils sont désarmés par les dames, qui les revêtent d’habits précieux. Lors du festin qui s’en-suit, ils occupent la place la plus honorable. De beaux faits d’armes sont la plus grande gloire d’un chevalier, chroniques et chansons de gestes se chargeront effi-cacement de perpétuer sa renommée… ‡

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LES CHEVALIERS DĒTOURS EN HISTOIRE

Joute de Bordeaux, in Chro-niques de Jean Frois-sart, xive-xve siècles, illustrées par le Maître d’Antoine de Bourgogne. Manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de France.

Joute de Londres, in Chroniques d’Angleterre de Jean de Wavrin, xve siècle.Manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de France.

La reine remet le prix au vainqueur

du tournoi, in Le Livre

des tournois de René, duc

d’Anjou, xve s., illustré

par le Maître du Cœur d’Amour.

Manuscrits occidentaux, Bibliothèque nationale de

France.

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T E X T E D E V I V I A N N E P E R R E T

Fondé en 1128 àJérusalem pour soignerles croisés blessés,l’ordre Teutonique futréorganisé en 1190 enordre militaire. Puis, sonhistoire se confond aveccelle de la Prusse, oùil vint s’établir après lescroisades. Il s’ancra bienplus tard dans l’idéologienazie comme un dessymboles de la grandeurdu passé germanique.

L’institution charitable,destinée, dès 1128, à soi-gner les chevaliers et pèle-rins de langue allemande en Terre sainte, don-nera naissance, un demi-siècle plus tard, à l’ordre Teutonique. L’hôpital de Sainte-Marie des Allemands de Jérusalem, son véritable nom, s’émancipa de la tutelle des Hospitaliers de Saint-Jean sous laquelle il avait été placé par le pape Célestin II. Réorganisé en un ordre militaire calqué sur celui des Templiers, l’ordre Teutonique assura son recrutement exclusi-vement parmi les germanophones.

Grand maître élu par le chapitreL’ordre se divisait en trois groupes : les cheva-liers, les frères servants et les frères prêtres, tenus par le triple vœu de chasteté, d’obéis-sance et de pauvreté. Le pape Innocent III clari-fia en 1199 le vêtement qui identifiait les chevaliers�:

manteau blanc avec une croix noire (une croix rouge pour les Templiers). À la tête de l’ordre, élu par le chapitre, se trouvait le grand maître (Hochmeister). En 1210, il s’agissait d’Hermann von Salza. Soucieux d’élever l’ordre Teutonique au même rang que les Hospitaliers et les Templiers, le Hochmeister réussit à rester en bons termes à la fois avec la papauté et avec Frédéric II, mal-gré les conflits qui les opposaient et les menaces d’excommunica-tion qui frappaient l’empereur. En récompense de leurs services,

les chevaliers Teutoniques se virent confier la garde des reliques d’Élisabeth de Hongrie, leur sainte patronne depuis 1235, dans l’église de Marbourg, siège spirituel de l’ordre. Von Salza avait l’intuition que la présence chrétienne en Orient était condam-née à l’échec. Prévoyant, il avait redéployé une par-tie de ses activités au nord-est de l’Europe.

Chevaliers avides de territoiresLes croisades avaient vu la naissance d’un nou-veau type de chevalerie. Étendard de la chré-

EUROPEENNE

Le pape Innocent III clarifia en 1199 le vêtement qui était porté par les chevaliers et qui les identifiait : le manteau blanc avec une croix noire, au lieu d’une croix rouge pour les Templiers.

LESCHEVALIERS

TEUTONIQUES

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tienté, puissante et organisée, elle ne dépendait plus d’un prince ou d’un État. L’idée de pour-suivre la guerre sainte en Europe séduisait les gouvernants, en butte aux razzias de leurs voisins païens. En échange de ses services militaires, l’ordre Teutonique recevrait des domaines, une aubaine pour des chevaliers avides de territoires. En 1230, le duc Conrad de Mazovie fit appel à l’ordre Teutonique pour combattre les Borusses, qui peuplaient alors ce qui deviendra plus tard la Prusse. Conrad lui offrait toutes les terres qu’il pourrait conquérir, à condition

de protéger son duché des envahisseurs. Ce n’était pas la première fois qu’un gouvernant chrétien fai-sait appel à l’ordre. Il y avait déjà eu, en 1211, une ten-tative d’implantation sur le territoire du Burzenland, à la demande du roi André  II de Hongrie. Mais l’ordre avait commis l’erreur de croire qu’il pou-vait s’affranchir du pouvoir royal et de l’autorité de l’évêque de Transylvanie dont dépendaient les terres et fut expulsé en 1227. Les chevaliers Teutoniques avaient compris la leçon hongroise. Avec la Prusse,

Frédéric II, empereur germanique, reçoit une délégation arabe.À sa droite, Hermann von Salza, le grand maître de l’ordre Teutonique. Huile d’Arthur von Ramberg, 1860, Munich, Neue Pinakothek.

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ALEXANDRE NEVSKICommandé par Staline, le film réalisépar Eisenstein en 1938 relate l’arrêt del’expansion des chevaliers Teutoniquesau xiiie siècle sur le territoire slave. Il estune allusion peu voilée aux ambitions del’Allemagne nazie, d’autant plus que, dans lefilm, l’évêque bénissant l’ordre avant le combatporte la croix gammée brodée sur sa mitre.Fi

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Alexandre Nevski, lors de la bataille de la Neva contre les chevaliers Teutoniques. Toile d’Afanasi Yefremovich Kulikov (1884-1949), Kalouga Regional Art Museum.

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UN ORDRE NOIREn 1938, Hitler dispersa l’ordre Teutonique, lui reprochant sa tradition monarchiste et son catholicisme. Il en avait pourtant exploité l’image de «�conquérant du peuple slave�». La dissolution de l’ordre n’empêcha pas certains dirigeants nazis de récupérer la symbolique des Teutoniques, tel Himmler, quand il structurera les SS, un régiment des Waffen-SS portera même le nom du Hochmeister Hermann von Salza,grand maître au xiiie siècle. Si la croix de ferressemble à la croix teutonique, son originen’est pas nazie. Elle fut instituée par le roide Prusse en 1813.

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l’ordre allait s’organiser pour réunir les territoiresconquis dans un État indépendant dont ils seraientles seuls maîtres. Cette fois-ci, von Salza s’assura detoutes les garanties papales nécessaires avant de selancer à l’assaut de la Prusse. Neuf ans plus tard,à sa mort, les chevaliers Teutoniques contrôlaientla Poméranie, la Pogésanie et le Kulmerland. Dèsqu’un territoire était soumis, l’ordre distribuait desterres aux colons allemands. La conquête s’accom-pagnait d’une christianisation et d’une germani-sation systématiques. La visée expansionniste deschevaliers teutoniques se heurta aux Russes ortho-doxes, qui les repoussèrent en 1240, avec AlexandreNevski, le prince de Novgorod. Les Russes n’étaientplus les seuls chrétiens à s’inquiéter de leur espritconquérant. Mais, au XIIIe siècle, l’ordre était devenuune puissance militaire et économique difficile àcontrer. Elle le restera encore pendant deux siècles.

Les oreilles ont faim de DieuLes règles de l’ordre étaient très strictes et mal-heur à celui qui les violait. Les frères étant desreligieux, la vie conventuelle était régie par despratiques spirituelles. Les frères dormaient, touthabillés, dans des dortoirs non chauffés, d’où ilsse levaient la nuit pour suivre l’office. Pendant lesrepas, pris en commun, un frère lisait les Écritures,selon une règle s’appuyant sur le fait que « le palaisn’est pas le seul à déguster, les oreilles aussi ont faimde Dieu ». La viande et la bière figuraient réguliè-rement sur les tables et un soin particulier étaitapporté aux malades. Puisqu’il était interdit à unfrère de quitter l’ordre une fois ses vœux pronon-cés, les Teutoniques, contrairement aux Templiers,s’occupaient de leurs frères atteints de la lèpre.

Bataille sur le lac Peipous glacé, le 5 avril 1242, opposant les chevaliers Teutoniques aux troupes d’Alexandre Nevski. Huile de Vladimir Alexandrovich Serov, 1942, Penza, Regional K. Savitsky Art Gallery.

L’Empereur Guillaume II (1859-1941), arborant la croix de fer. Atelier Nedomansky, 1916, Trente, Museo della Guerra di Rovereto.

Les chevaliers Teutoniques, pour protéger les ports de la Hanse, capturent le pirate Klaus Störbecker, le «�corsaire rouge�». Il fut décapité en 1401 avec ses complices sur la place de Hambourg.

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Les prérogatives d’un souverainLes chevaliers étaient au sommet de la hié-rarchie de l’ordre. D’origine noble et germano-phone, le chevalier était adoubé et armé par le grand maître. Résidant dans leurs forteresses, ils étaient secondés par des frères servants, qui parti-cipaient aux opérations militaires. Dotés d’un arme-ment plus léger, ces derniers n’étaient pas autorisés à porter le manteau blanc à croix noire. Les frères prêtres assuraient le service du culte et l’évangéli-sation des peuples des territoires conquis. Ils étaient aussi les seuls habilités à confesser les membres de l’ordre. Quant aux frères laïcs, les «�hommes aux manteaux gris�», chargés des activités agricoles et artisanales, ils étaient également tenus aux obliga-tions de l’ordre, bien qu’ayant un statut inférieur. Le grand maître, élu à vie, jouissait de préroga-

tives égales à celle d’un souverain. Vassal du Siège apostolique, il avait pour seules limites les règles de l’ordre. Entouré de cinq grands officiers, il faisait appliquer ses directives à l’échelon local, exception faite de la Prusse, placée directement sous son auto-rité. Il y avait établi sa résidence en 1309, d’abord à Marienburg, puis à Königsberg, à partir de 1457.

Le grand maître, élu à vie, jouissait de prérogatives égales à celle d’un souverain. Entouré de cinq grands officiers, il faisait appliquer ses directives à l’échelon local, à l’exception de la Prusse, placée directement sous son autorité.

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Une scission se produit en 1525Au XVe siècle, le rêve d’Hermann von Salza s’était réalisé. L’ordre Teutonique régnait sur la Prusse et la Livonie. La violence accompagnant la conquête et la colonisation des territoires lui avait valu une réputa-tion de bravoure mais aussi de cruauté. L’ordre avait su protéger et faire fructifier ses intérêts écono-miques, notamment en adhérant à la Ligue hanséa-tique. Mais l’enrichissement, l’autoritarisme et les ambitions politiques de l’ordre finirent par entraîner une dégradation de ses relations avec la Pologne. Les différends se réglèrent lors d’une bataille mémo-rable, en 1410, à Tannenberg. Les tergiversations du camp polonais après sa victoire bénéficièrent à l’ordre, qui survécut et conserva la majorité de ses possessions. Néanmoins, le déclin était amorcé. La mission qu’il s’était donné de convertir les païens

trouvait difficilement sa justification dans le com-bat contre des nations chrétiennes. Les peuples se révoltèrent régulièrement contre le règne de la ter-reur qu’exerçait l’ordre à la suite de sa défaite. Le coup fatal fut porté par la scission de l’ordre en 1525, lors de la conversion au luthéranisme du grand maître Albert de Brandebourg. Suivant son exemple, des chevaliers se marièrent, donnant naissance à la noblesse prussienne et abandonnant toute réfé-rence à l’ordre. Sécularisés et transformés en duché, les anciens territoires deviendront par le jeu des alliances le royaume de Prusse. La fraction fidèle à Rome se plaça sous la protection de la famille impé-riale d’Autriche. L’ordre survécut tant bien que maljusqu’à nos jours, retrouvant au XIXe siècle sa voca-tion première et hospitalière, sous une forme pure-ment cléricale. ‡

Lors de la bataille de Tannenberg-Grunwald, en 1410, victoire de l’armée de Pologne-Lituanie sur les chevaliers Teutoniques. Œuvre de Wojciech Kossak, 1931, Olsztyn, Muzeum Warmii i Mazur.

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La guerre serait-elle une activitéexclusivement masculine ? Une opinionlargement partagée par les historiens,les incitant peut-être à sous-évaluer le rôledes femmes au combat. Derrière les exploitsdes Amazones, réduites au rang de mytheou dans l’ombre de la figure emblématiquede Jeanne d’Arc, se dessine pourtant le profilétonnant de chevalières qui n’étaient paseffrayées de prendre les armes.

Les mythes et les réalités encadrant lesfemmes guerrières se sont mêlés dès l’Anti-quité. Suivant la version la plus répandue, lesAmazones constituaient un peuple d’où leshommes étaient exclus. Elles ne les fréquen-taient qu’occasionnellement, à des fins repro-ductrices. Les femmes montaient à cheval etcombattaient, armées de javelots, de lances etd’arcs. Ce type d’armes aurait été à l’origine dela mutilation volontaire du sein droit afin d’enfaciliter le maniement.

Des prérogatives outrepasséesLes Grecs donnaient d’ailleurs pour étymologie« sans sein » au mot amazone. Ces guerrièresmythiques illustraient parfaitement dans lapensée gréco-romaine le modèle à ne pas suivre.Les femmes outrepassaient leurs prérogatives enoccupant une fonction militaire ou politique.Néanmoins, la persistance du mythe dans leslégendes et les littératures poussait certains his-toriens à s’interroger dès l’Antiquité. Y avait-il unfond de véracité ? Les résultats de l’archéologiemoderne apportent des réponses troublantes.

Thalestris, reine des Amazones,en route pour rencontrer Alexandre le Grand. Miniature tirée de La Vraie Histoire du Bon Roi Alexandre, de Callisthenes (360-328 av. J.-C.)

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Armes adaptées au corps fémininChez la plupart des peuples nomades, en effet,des femmes armées ont existé, qui combat-taient souvent à cheval. Ces recherches sontparticulièrement probantes avec les tombes desScythes d’Ukraine, des Sauromates et des premiersSarmates. Les archéologues ont trouvé des armesdans une bonne proportion de sépultures fémi-nines, clairement liées à leur statut de guerrières.En plus des arcs et des javelots, une tombe recelaitdes poignards adaptés à une taille et une morpho-logie féminines. Les jeunes filles (ou les femmesmariées n’ayant pas encore d’enfant) armées etpresque vêtues comme des hommes partici-paient à la défense de la communauté et probable-ment à des expéditions belliqueuses. Cette libertédont elles jouissaient perdurera chez les peuplesnomades jusqu’au Moyen Âge, puisqu’un auteurdécrit au XIIIe siècle les pratiques d’archerie des

femmes Tartares, «�fières et belliqueuses�», et qu’unautre s’indigne au siècle suivant de constater « laconsidération�» que portent les nomades turco-phones de la Horde d’Or à leurs femmes, y «�tenanten effet un rang plus élevé que les hommes�».

Exemptes de volonté guerrièreJeanne d’Arc, «�armée de toutes pièces, sauf latête et tenant la lance à la main�», a marqué notreimaginaire comme l’exception qui confirmela règle. À moins d’être saintes et pucelles, lesfemmes étaient naturellement exemptes de volontéguerrière. Jeanne vivait en un siècle où le droit

Les femmesde Scythieattaquent des soldats pour venger le massacre de leurs hommes. Livre des anciennes histoires, 1285, Londres, British Library.

Les jeunes filles armées, presque vêtues comme des hommes, participaient à la défense de la communauté et probablement à des expéditions guerrières.

JEANNE : CHEF DE GUERRE

OU PORTE-ÉTENDARD�?Dans sa Lettre aux Anglais du 22 mars 1429, Jeanne affirmait être chef

de guerre. Ce qu’elle nia lors du procès de condamnation, déclarant n’avoir été qu’un porte-étendard, ne versant pas le sang. Toutefois, l’étendard et

l’épée dont elle fut pourvue par le Dauphin la hissaient au rang d’un capitaine de compagnie. Et les témoignages des contemporains la décrivaient «�fort

experte dans le fait de la guerre�» et douée dans le maniement de l’artillerie. Diminuer la portée de ses actions militaires n’était, selon l’historienne Colette

Beaune, qu’une défense envers le 53e chef d’accusation, lui reprochant d’avoir «�assumé, avec orgueil et présomption, la domination sur les hommes�» qu’elle

avait «�fait servir militairement sous elle comme principal capitaine ».

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Jeanne d’Arc à cheval, miniature in La Vie des femmes célèbres d’Antoine Dufour, en 1505. Nantes, musée Thomas-Dobrée.

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des femmes avait déjà fortement régressé. Aux siècles précédents, le pouvoir se déclinait égale-ment au féminin. L’Histoire a gardé mémoire de femmes aristocrates qui ont pris les armes quand il s’agissait de défendre leur château ou leur lignage. Toutefois, la participation des femmes à un conflit armé était souvent la conséquence d’un veuvage ou de la captivité de leur mari. Mais, seules face à l’adversité, elles n’hésitaient pas à se comporter en «�virago�», c’est-à-dire à montrer un

courage égal à celui d’un homme (vir, en latin). Ce terme, valorisant, ne devint péjoratif qu’au fil du temps. Citons pour exemple Sybille, fille de William la Chèvre, un compagnon de Guillaume le Conquérant. Elle avait épousé le sire de Cuilly, un Normand du nom de Robert Bordet. S’étant établi en Espagne, le chevalier obtint du pape la jouissance de Tarragone, à charge pour lui de repousser les attaques des païens.

Défense contre les AlmoravidesAux alentours de 1130, tandis que le chef nor-mand était sur les routes de Rome, tentant de rassembler des compagnons d’armes, sa femme défendit la ville contre les Almoravides. Le moine qui rapporta ses faits d’armes la décrivit «�aussi brave que belle. Chaque nuit, elle enfilait un haubert comme un chevalier : une baguette à la main, elle montait sur les remparts, patrouillait le chemin de ronde, maintenait les gardes en alerte et les encourageait tous par des bons conseils afin

Jeanne Hachette repoussant les assaillants bourguignons de Charles le Téméraire lors du siège de Beauvais en 1472. Peinture de Watteau de Lille, xviiie siècle, Valenciennes, musée des Beaux-Arts.

E N S A V O I R P L U S / L I V R E

CHEVALERESSESProfesseur d’histoire médiévale à l’université de Toulouse-Le Mirail et auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen Âge, Sophie Cassagnes-Brouquet explore les rapports entre femmes et chevalerie, bousculant au passage quelques idées reçues. Sophie Cassagnes-Brouquet. Éditions Perrin.

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Tancrède, chevalier chrétien, se tient aux côtés de Clorinde, guerrière musulmane, qu’il a tuée par erreur. Épisode de la Jérusalem délivrée, fiction du Tasse (1581), qui se situe durant la première croisade. Huile de Louis Jean François Lagrenée (1725-1805), Moscou, galerie Tretiakov.

de se méfier des stratagèmes des ennemis�». Le rôle de chef militaire qu’assuma la belle Sybille fut d’autant plus objet de louanges qu’elle était du côté de l’Église. Sans pour autant faire de cet exemple la norme, les chroniques médiévales ont laissé la trace d’autres femmes aristocrates guerrières. Il est plus difficile d’évoquer la parti-cipation des femmes du peuple au combat, car les récits préféraient mettre en lumière les dames de la noblesse. Néanmoins, on connaît l’histoire des femmes de Torose, en Espagne, que récompensa Raymond Bérenger, comte de Barcelone, pour avoir repoussé les Maures. Il fonda en 1149 un ordre de chevalerie féminin appelé «�Dames du Passe-Temps�», lequel prit ensuite le nom d’ordre des Dames de la Hache. Cette arme, avec laquelle les Espagnoles avaient repoussé l’ennemi, était brodée en rouge sur leurs habits. La vaillance des

femmes de Beauvais est également célèbre. Le duc de Bourgogne assiégea la ville, qui était pri-vée de sa garnison, le 17 juin 1472. Les habitantes, menées par la jeune Jeanne Laisné, dite Jeanne Hachette, combattirent avec les hommes pour repousser avec succès l’assaut des Bourguignons.

Service aux maladesTandis que la littérature et la poésie de l’amour courtois promouvaient la représentation d’une dame évanescente, objet d’un désir inaccessible, des femmes, qui n’étaient ni vivandières ni prostituées, partirent en Terre sainte. Femmes du peuple ou de haut rang, elles accompagnaient leurs époux, leurs frères ou leurs fils sur les routes de l’Orient ou bien servaient d’auxiliaires, soignant les blessés et participant à l’intendance. Les ordres des moines-soldats n’ac-ceptaient pas de femmes dans leurs rangs, mais la présence féminine était admise au moins chez les Teutoniques et les Hospitaliers, dans le cadre d’un service aux malades et d’une activité spiri-tuelle. Les chroniqueurs du camp adverse rappor-taient des situations étonnantes. Un chroniqueur

Des femmes, qui n’étaient ni vivandières ni prostituées, partirent en Terre sainte. Elles accompagnaient leurs époux, leurs frères ou leurs fils sur les routes de l’Orient.

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musulman, Imad al-Din, (1125-1208), affirmait ainsi que : «�Les femmes elles-mêmes s’expatrient pour combattre ; elles arrivent en Syrie par terre et par mer tout équipées (…). Plusieurs femmes de Francs ont échangé le voile pour le casque, elles affrontent la mort, armées de boucliers et de lances.�» Étant donné le statut inférieur que les musulmans accordaient aux femmes, les témoignages visaient peut-être également à discréditer les Occidentaux, qui acceptaient des combattantes. Néanmoins, il est certain que des femmes participèrent aux croisades, dont cer-taines armes à la main.

Refus progressif des chevalièresLa fin des croisades au XIIIe siècle ne sonna pas pour autant le glas d’un idéal chevaleresque. De nouveaux ordres virent le jour, et à la dif-férence des ordres fondés en Terre sainte, ils admettaient les femmes. Chevaleresses (ou chevalières) virent le jour. Un des plus connus est sans conteste l’ordre de la Jarretière, placé sous le patronage de saint Georges et dont la devise est «�Honi soit qui mal y pense�». Cet ordre prestigieux avait été fondé en 1348 par le roi Édouard III, à l’époque où il revendiquait le trône de France. À l’origine, ses membres devaient déjà être chevaliers et l’ordre se proposait de refléter les valeurs chevaleresques de loyauté, de cour-toisie et de fidélité au roi. Les femmes étaient admises en tant qu’invitées par le roi. Les dames de la Jarretière ainsi choisies recevaient un man-teau brodé à la devise de l’ordre et une jarretière. Cette intrusion féminine dans un univers mas-culin n’était pas toujours appréciée dans un monde en pleine mutation. Sur les champs de bataille, la chevalerie cédait la place à une autre façon de faire la guerre. Progressivement, les ordres chevaliers n’admirent plus de femmes. La figure de Jeanne d’Arc, pourtant l’emblème d’une femme guerrière, signait au contraire le déclin des chevaleresses, les renvoyant dans la sphère domestique. ‡

Chevaliers de l’ordre de la Jarretière

entourant le roi d’Angleterre,

devant un autel représentant

saint Georges terrassant

le dragon, Enluminure

française, Rouen (1445), in Book

of Romances par Talbot of Shrewsbury,

dédié à Marguerite

d’Anjou, épouse d’Henri VI

d’Angleterre. Londres, The

British Library.

Sur les champs de bataille, la chevalerie cédait la place à une autre façon

de faire la guerre. Progressivement, les ordres de chevaliers n’admirent

plus de femmes.

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Les héros médiévaux sont apparus au cinémadès ses débuts : Lancelot en 1910, Ivanhoé en1911, Robin des Bois en 1912. Le maître de laforêt de Sherwood devait revenir en 1922 sousles traits de Douglas Fairbanks et, en 1938, sousceux d’Errol Flynn, de loin le meilleur Robindes Bois de l’histoire. En 1935, Cecil B. DeMille,le futur auteur des Dix Commandements, réali-sait Les Croisades, premier film sur le sujet. Audébut des années 1950, le film de chevalerie s’ins-talle véritablement à Hollywood en tant que genrecinématographique. Trois films, du même réali-sateur, Richard Thorpe, et avec le même acteur,Robert Taylor, donnent le ton : Ivanhoé (1952) etQuentin Durward (1955), adaptés de l’écrivain his-torique écossais Walter Scott, et Les Chevaliers dela Table ronde (1953). Wilfrid d’Ivanhoé est le filsd’un noble saxon maudit par son père pour avoirpris le parti de Richard Ier dit Cœur de Lion qu’ila accompagné lors de la troisième croisade. Exilédans son propre pays, il entend bien rentrer chezlui pour lutter contre l’usurpateur Jean sans Terreet rétablir sur le trône le roi légitime, alors empri-sonné par l’empereur d’Autriche. Il participe en

armure noire – incognito – à un tournoi opposantchevaliers normands et saxons dont il sort vain-queur. Attiré par Rebecca (Elizabeth Taylor), unejeune fille juive qu’il a rencontrée après avoir sauvéson père d’une embuscade, il finira par épouser sapromise, Rowena (Joan Fontaine), avec la béné-diction de Richard Cœur de Lion, revenu oppor-tunément de captivité. Pour soutenir son combat,les scénaristes ont imaginé un renfort de poids :celui du rebelle saxon Robin des Bois. Deux hérospour le prix d’un…

Strict respect de l’amour courtoisIvanhoé renferme tous les codes et conventionsdu genre. Décors et costumes plus ou moins somp-tueux selon le budget, brève évocation du contextehistorique, abondantes scènes de cour et de foules,immanquables duels et tournois. Le chevalier, for-cément preux, est tenu à la loyauté, au courage, àl’honneur, à la compassion envers les opprimés,au strict respect des règles de l’amour courtoisenvers sa dame. Lui est promise la victoire finalecontre le félon, qui fait tout pour vérifier la devised’Alfred Hitchcock : « Plus le méchant est réussi,plus le film l’est. » On retrouve ces ingrédients dans

UN «�CID�» DOUBLE FACEEn 1961, Anthony Mann, soutenu par des moyens gigantesques – 7�000 figurants, 35 navires – ressuscite un genre qui semblait tomber en déshérence avec Le Cid, contant les amours de Rodrigue (Charlton Heston) et Chimène (Sophia Loren) sur fond de lutte contre les envahisseurs maures du sultan Ben Youssef. Pour représenter les foules en armes, le producteur Samuel Bronston fait appel à l’armée espagnole. En échange d’un dédommagement plus généreux, celle-ci accepte de représenter non seulement les impavides chrétiens mais aussi les Sarrasins, l’ennemi héréditaire�!

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Profondément ancrée dans l’imaginaire collectif, la figure du chevalier redresseur de torts, champion de l’épée, de la lance et de l’amour courtois, a copieusement

nourri le cinéma de l’âge d’or hollywoodien. Elle a traversé le temps sous des formes modernisées, fantaisistes ou parodiques et se prolonge dans la saga de La Guerre des étoiles et dans Highlander.

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À gauche, trio de charme pour le film de Richard Thorpe, Ivanhoé, tourné en 1952, avec Robert Taylor (Wilfrid d’Ivanhoé) de retour de Terre sainte. Il séduira Elizabeth Taylor (Rebecca) et Joan Fontaine (Rowena), sur fond de joutes équestres et de règlements de compte.

Ci-dessous, Sophia Loren est Chimène, et Charlton Heston, Rodrigue, dans Le Cid, d’Anthony Mann, 1961.

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Le Chevalier du roi (1954), avec Tony Curtis, ou LeSerment du chevalier noir (1954), avec Alan Ladd.Quentin Durward n’est pas, au sens strict, un filmde chevalerie : le héros est un modeste archer écos-sais qui se met au service de Louis XI et se trouvemêlé à l’affrontement qui oppose le roi au duc deBourgogne. Mais il en a l’esprit, le panache, et degrandes qualités visuelles, avec notamment unescène de duel de toute beauté dans une « salle descloches » enflammée. Le film assume égalementun de ces anachronismes qui font le charme ducinéma hollywoodien : plutôt que de séjournerdans le peu engageant château de Plessis-lès-Tours,Louis XI a élu domicile… à Chambord, construità partir de 1519, plus de trente-cinq ans après samort ! La magnificence du château aux trois centscheminées valait bien une petite entorse à l’histoire.

Le cycle arthurienLes Chevaliers de la Table ronde, en 1953, inau-gure un thème encore plus fécond pour lecinéma : le cycle arthurien. C’est une des pre-mières productions en CinemaScope, procédé deprojection sur écran large permettant d’embras-ser de vastes paysages et d’importants mouve-ments de foule. Excalibur, Merlin, la rencontre deLancelot (Robert Taylor) et d’Arthur (Mel Ferrer),le mariage du roi et de Guenièvre (Ava Gardner,« la plus belle femme du monde ») aimée secrète-ment de Lancelot, la fondation de la Table ronde, lesintrigues de la fée Morgane et de Mordred, la mortd’Arthur, l’apparition du Graal à Perceval : tout enprivilégiant le spectacle, le film parvient en moinsde deux heures à évoquer les principaux épisodesdu cycle. Ici encore, l’anachronisme règne : les

costumes, les armes, les châteaux sont visiblementpostérieurs de plusieurs siècles à la période évo-quée. Les Yankees à la cour du roi Arthur – pourparaphraser le titre d’un film dans lequel un coupsur la tête envoyait Bing Crosby à Camelot – ne sontpas seuls responsables. Les Chevaliers de la Tableronde est adapté de Le Morte d’Arthur écrit auxenvirons de 1470 par l’Anglais Thomas Malory, lui-

Les Chevaliers de la Table ronde, filmde Richard

Thorpe (1953).Ici, Robert Taylor

(Lancelot)et Ava Gardner

(la reineGuenièvre).

Affichedu film ci-contre,

à gauche.

LesChevaliersde la Table

ronde, deRichardThorpe(1953.

Ici, RobertTaylor

(Lancelot)et Mel

Ferrer (le roiArthur).

Le Serment du chevalier noir (1954), de Tay Garnett met en scène Alan Ladd, qui aspire à devenir chevalier et à épouser Linet, la fille du comte de Yeonill, interprétée par Patricia Medina.

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Excalibur de John

Boorman (1981).

À gauche, Lancelot,

interprété par Nicholas Clay, et le roi Arthur

(Nigel Terry)réunis autour

d’Excalibur, l’épée du roi, mais bientôt

séparés par leur

amour pour Guenièvre…

Excalibur de John Boorman (1981). Cette superproduction, tournée en Irlande, a contribué à lancer les carrières d’acteurs

tels que Liam Neeson (ci-dessus, en chevalier Gauvain, neveu du roi Arthur),

Patrick Stewart et Gabriel Byrne, qui jouent dans des rôles secondaires.

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LA CHEVALERIE DĒTOURS EN HISTOIRE

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même inspiré par des sources anglo-normandes etfrançaises remontant au XIIe siècle. On situe l’exis-tence – ou la légende – du roi Arthur au début duVIe siècle, mais, à l’époque, on avait l’habitude dereprésenter l’histoire sous les attributs de la sociétécontemporaine. Le cinéma a simplement adoptéles mêmes codes. C’est le parti pris que choisit,de manière stylisée, Éric Rohmer en 1978 dansson Perceval le Gallois – un Fabrice Luchini à sesdébuts – d’après Chrétien de Troyes dans lequelmême la musique s’inspire d’airs du XIIe siècle. Pasd’effet spectaculaire, non plus, dans Lancelot duLac de Robert Bresson (1974) : le tournoi est filmé auniveau des jambes des chevaux, et le bruit constantdes armures couvre presque les dialogues. L’année

suivante sortait Monty Python, sacré Graal de TerryGilliam et Terry Jones. « Plus drôle que Lancelotdu Lac de Bresson », pouvait-on lire dans l’heb-domadaire londonien Time Out. Un commentairepétri d’humour anglais, certainement, mais il n’estpas interdit de penser que la sanglante traversée

André Dussollier est Gauvain, et Fabrice Luchini Perceval, dans le film d’Éric Rohmer Perceval le Gallois (1978), qui narre l’histoire de Perceval, qui, de valet, devient chevalier à la quête du Graal.

Ci-dessus, Monty Python sacré Graal (1975), de Terry Gilliam et Terry Jones, film jugé «�plus drôle�» que Lancelot du Lac, de Robert Bresson (1974), avec Humbert Balsan dans le rôle de Gauvain (ci-contre).

Dur retour des croisades pour le chevalier Antonius Block (Max von Sydow, ci-contre en cotte de maille) qui trouve son pays, la Suède, ravagé par la peste. Sa partie d’échecs avec la Mort, participe du scénario très original du Septième Sceau, film d’Ingmar Bergman, tourné en 1957.

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de la forêt au débutde Lancelot du laca directement ins-piré le célèbre duelentre le roi Arthuret le Chevalier noirdécoupé en mor-ceaux… Toujours est-il que le réjouissantpastiche des MontyPython est resté

dans les esprits. Alexandre Astier, créateur de lasérie télévisée à succès Kaamelott, affirme qu’il aété son film de chevet.

Gassman, histrion lâche et vantardLes croisades constituent un autre thèmerécurrent du genre. En 1954, Richard Cœur deLion de David Butler se coulait dans le mouledes films de Richard Thorpe, avec moins deréussite. En 1957, voici un chevalier suédois(Max von Sydow) qui rentre au pays, où une épi-démie de peste fait rage, pour engager une par-tie d’échecs avec la Mort : on aura reconnu latrame du Septième Sceau, l’un des plus beauxfilms d’Ingmar Bergman. Dans Brancaleone s’enva-t’aux croisades (1970), farce iconoclaste deMario Monicelli, Vittorio Gassman, prodigieux en histrion lâche et vantard, incarne un cheva-lier miteux qui tente péniblement de rejoindre la Terre sainte avec une bande de bras cassés. Audébut du XXIe siècle, presque mille ans après les pre-mières croisades, dans Kingdom of Heaven, Ridley Scott envoie un forgeron chevalier participer à la

défense de Jérusalem assiégée par les troupes deSaladin – le tout culmine dans une bataille épiquequi a demandé presque deux mois de tournageà Ouarzazate avec l’appui de l’armée marocaine.Les croisades ont favorisé le développement desordres de chevalerie, notamment les Templiers etles chevaliers Teutoniques : les premiers n’ont ins-piré que des films médiocres, les seconds au moinsun chef-d’œuvre. Après avoir étendu ses posses-sions en Prusse et en Estonie, l’ordre Teutoniqueveut convertir au catholicisme la Russie orthodoxe.Le 5 avril 1242, les chevaliers et leurs rêves d’expan-sion orientale sont stoppés net par un jeune prince au lac Peïpous. Eisenstein, dans Alexandre Nevski (1938), consacre plus d’un quart du film à la bataille sur le lac gelé, trente-sept minutes d’une splendeur plastique et d’une puissance inégalées, magnifi-quement portées par la musique de Prokofiev. Le nec plus ultra du film de chevalerie… ‡

Ci-dessus,scène deKaamelott,série téléviséehumoristique,réalisée parAlexandreAstie. Fondéesur la légendearthurienne,elle montre deshéros assez peuperformants,qui peinent à êtreà la hauteur destâches confiéespar les dieux.

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POT-POURRIJusqu’où peut allerle mélange des genres ?Dans Chevalier (2001),Brian Helgeland revientau cœur du sujet en seconcentrant sur des tournoistrès spectaculaires, et,d’après les spécialistes,reconstitués avec précision(ci-dessus, Heath Ledger enchevalier William). Mais lesdialogues jouent la cartedu contemporain, lesacteurs ressemblent auxRolling Stones de 1972, lesarmures sont rembourréescomme des équipements defootball américain, la bande-son fait alterner DavidBowie, Eric Clapton et letube We are the championsde Queen… Le prix à payerpour qu’un film de chevaleriereste dans l’air du temps ?

Kingdom of Heaven (2005), de Ridley Scott, narre l’ascension, avant la troisième croisade, d’un forgeron, bâtard d’un grand seigneur, qui part pour la Terre sainte et finit par défendre Jérusalem contre Saladin, histoire romancée de Balian d’Ibelin.

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Charles VIII, Louis XII, François Ier. Ils ont

tous caressé le «�rêve italien�», portés par

des désirs ardents de mémorables batailles

où les lourdes armures s’entrechoquent et

où le combat singulier est l’apothéose de la

fureur du champ de bataille. Des valeurs de pur héroïsme auxquelles les guerres d’Italie (1494-1559) vont mettre un terme. C’est ce que démontre avec brio Nicolas Le Roux, historien moderniste professeur à l’université de Lyon. En apparaissant, les premières armes à feu bouleversent l’art de faire la guerre qui exaltait l’imaginaire chevaleresque. La chevalerie française en fera une cuisante expérience à Pavie. Mais un idéal ne meurt jamais tout à fait, surtout dans le monde de la chevalerie et ce ne sont pas des fantassins, même armés d’arquebuses, qui éradiqueront les mémoires d’un Godefroy de Bouillon ou d’un Bayard. «�Réels ou imaginaires, ses exploits ont été chantés pour faire oublier les malheurs et misères de la guerre. Et quelques figures exemplaires ont traversé les siècles, pour ressusciter, parfois, à l’époque contemporaine, afin d’exprimer les valeurs patriotiques et ”nationales”.�» Explorant des sources documentaires très variées (œuvres de fiction, chroniques, iconographie d’époque…) et croisant habilement des approches culturelle, sociale, politique, l’historien livre une analyse inédite des gens d’armes au tournant des XVe et xvie siècles.

E S S A I

L’ARMURE CONTRE L’ARQUEBUSE

La vogue chevaleresque ne pouvait manquer de toucher l’Italie.

À côté de La Jérusalem délivrée du Tasse (1581), cet ouvrage du

grand poète ferrarais en est la version la plus aboutie. Composéde près de 40 000 vers, publié en 1532, il sera traduit en françaisla décennie suivante. Entrelaçant les amours souvent contrariéesde chevaliers chrétiens et de Sarrasins avec des princesses mauresou orientales, il bruit du choc des épées et du sang des assautscontemporains, comme la terrible bataille de Ravenne en 1512.

Roland furieux,Ludivico Ariostodit L’Arioste,traductiond’André Rochon,4 volumes, LesBelles Lettres,45,70 € chaquevolume.

Le Crépuscule de la chevalerie. Noblesse et guerre au siècle de la Renaissance, Nicolas Le Roux, coll. Époques, Champ Vallon, 409 p., 28 €.

P O È M E É P I Q U E

LE DERNIER ROMANDE CHEVALERIE

EN

Les romans

de chevalerie

constituent ungenre abondant,qui a perdurélongtemps aprèsson âge d’or etqui a constituél’expressionprécoce d’uneEurope unie.Quelquesclassiques –de France,d’Angleterre,d’Italie oud’Espagne –méritent d’êtrelus et relus.

T E X T E S D E D O M I N I Q U E R O G E R

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EN SAVOIR PLUSLIVRES

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Page 69: Detours en Histoire 10

Amadis de Gaule, Garci Rodríguez de Montalvo, traduit par Nicolas Herberay des Essarts(1540), éditions Passage du Nord-Ouest, 832 p., 30,40 €.

« Le plus haut ordre avec l’épée, que Dieu ait fait et

commandé, c’est l’ordre de chevalerie. » Ainsi s’ex-primait Chrétien de Troyes peu après avoir écrit à lademande de Marie, fille d’Aliénor d’Aquitaine, cet ouvragedans lequel Lancelot s’en va délivrer la reine Guenièvre.Son cycle de la Table ronde, produit à la fin du xiie siècledans le cadre de la cour de Champagne, est irrigué ensous-main par l’idéal de la croisade. Il comprendra d’autresvolets tout aussi connus, comme Yvain ou le chevalier aulion ou Perceval ou le conte du Graal.

Lancelotou le Chevalier de laCharrette, Chrétiende Troyes, traduit del’ancien français parDaniel Poirion, coll. Folioclassique, Gallimard,224 p., 8 €. Égalementen version junior,Folio junior, GallimardJeunesse, 195 p.,6,10 €.

R O M A N

PREMIER CYCLE EN LANGUE FRANÇAISE

Ses qualificatifs sont innombrables – le Beau

Ténébreux, le Chevalier grec, le Chevalier

à la Verte Épée – et ses aventures le sont

tout autant. Abandonné à sa naissance sur un fleuve, il passera sa vie à multiplier les aventures pour emporter la main de la belle Oriane. Ce roman publié en 1508 à Saragosse aura un succès durable en Espagne mais aussi en France (il sera l’un des livres de chevet d’Henri IV) et constituera l’une des sources primaires du Don Quichotte de Cervantès, sorti un siècle plus tard.

S’il y a un postulat qui fait horreur

à l’historien et spécialiste d’anthro-

pologie historique Dominique

Barthélemy, c’est la complaisance

à entretenir les mythologies. Alors, au fil de ses recherches et de la publication d’essais percutants, il les pourfend. Prenez la chevalerie. Tout au long du xixe siècle, les historiens ont martelé qu’elle était apparue avec l’an Mil. Que les chevaliers, hommes preux et au courage hors pair, défendaient les églises et les pauvres, tenaient la dragée haute aux Sarrasins, représentaient des acteurs de premier plan dans l’évolution de la société féodale. Cela, c’était avant que Barthélemy, disciple de Georges Duby (qu’il critique aujourd’hui parfois sans ménagement), fasse apparaître la figure du chevalier beaucoup, beaucoup plus tôt. Il démontre avec une fringante érudition que l’adoube-ment, clef de voûte de la chevalerie, était déjà pratiqué au vie siècle et que la chevalerie médiévale ne représenterait qu’une «�version sophistiquée�» de pratiques et de rites déjà ancrés dans la Germanie antique. Pour étayer solidement sa «�démonstration�», l’historien va mener, à travers un corpus de textes, une véritable enquête où, de trouvailles en rebondissements, le suspense est garanti.

Les légendes qui ont trait aux chevaliers de la

Table ronde font partie du patrimoine tant français

qu’européen ou mondial. Elles sont représentatives de la mentalité celte et plongent leurs racines dans les temps les plus reculés de l’humanité. La Quête du Graal est l’un des éléments les plus connus, et le principal, de ce cycle touffu. Elle est dirigée par Merlin l’Enchanteur et par le roi Arthur. Les principaux personnages ont nom Gauvain, Lancelot, Keu, Morgane, Guenièvre, mais surtout Perceval, le héros sans tache qui mènera la recherche à son terme.

E S S A I

MYTHE ET RÉALITÉ DE LA CHEVALERIE

B D

LE CYCLE ARTHURIEN

La Chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Dominique Barthélemy, Fayard, 522 p., 26 € (réédition en 2012 dans une version augmentée, coll. Tempus, Fayard).

Les Chevaliers de la Table ronde, Maud Ovazza et Jean-Noël Rochut, Éditions Ouest-France, 64 p., 10,20 €.

R O M A N

LES AVENTURESDU «�DAMOISEAUDE LA MER�»

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LA CHEVALERIE DĒTOURS EN HISTOIRE

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Page 70: Detours en Histoire 10

L E P A S S Ē R E C O M P O S Ē

Tout le monde connaît le 36 quai des Orfèvres. Les amateurs de crimes et de grand banditisme commeles fans de Maigret. Mais, si tout le monde connaît le « 36 », mieux vaut ne pas avoir eu les honneurs du lieu.

Suivez-nous le temps d’une visite dans un univers peuplé de grands flics et de l’élite de la voyoucratie.

T E X T E D E D O M I N I Q U E R O G E R

Le 36 quai des Orfèvres est une adresse mondia-

lement connue. Elle bat au cœur de Paris sur l’île dela Cité, faisant face à la rive gauche de la Seine. Saconstruction, dans sa forme actuelle, se réalise suiteà l’incendie de la préfecture de Police sise place deClichy par les communards, lors de la « semaine san-glante » (du 21 au 28 mai 1871). Jules Ferry, mairede Paris, décide d’héberger les représentants del’ordre public dans les dépendances du Palais de jus-tice en cours de reconstruction sur l’île de la Cité. Lemonument est l’œuvre d’un duo d’architectes, ÉmileJacques Gilbert et Arthur Stanislas Diet, dont l’his-toire n’a pas vraiment retenu les noms malgré une car-rière passée à « moderniser » les bâtiments officielsde la capitale, en pleine « haussmannisation ». Les tra-vaux vont s’étendre sur cinq années, de 1875 à 1880.

LA MAISON DES POULETSMême s’il est amusant de se dire que le site choisi

fait face à un marché aux volailles, d’où l’origine de

l’expression « poulets » et « maison poulaga » pourdésigner les policiers, notons que, sous le règne deLouis XIV, l’île de la Cité héberge le dénommé JacquesTardieu, lieutenant criminel de Paris établi quai desOrfèvres, siège de l’institution policière de Paris. Àpartir de l’année 1887, la police entre dans « l’èremoderne » grâce, notamment, à l’invention d’AlphonseBertillon et ses fiches anthropométriques qui permet-tront la mise en place du pionnier service d’identifica-tion des détenus ; suivront les sommiers judiciaires.L’identité judiciaire, telle que nous la connaissonsaujourd’hui à quelques détails près, était née. Le« 36 », où siège depuis août 1913 la direction de lapolice judiciaire de la préfecture de Police, regroupede nos jours les sept brigades centrales : la criminelleou Crim’, fondée par le préfet Louis Lépine ; les stupé-fiants ; la répression du banditisme ; la répression du

LES GRANDES3 6 Q U A I D E S O R F È V R E S

proxénétisme ; la BRI (brigade de recherche et d'inter-vention ou antigang, créée en 1964 par le commis-saire François Le Mouël) ; la protection des mineurset l’exécution des décisions de justice.

FUTURE CITÉ JUDICIAIREDébut 2017, les effectifs de la direction de la

police judiciaire et des principales brigades (cri-

minelle, stupéfiants, antigang), soit 1 700 per-sonnes, diront au revoir au mythique « 36 », locauxne correspondant plus aux normes de sécurité.Ils rejoindront une « cité judiciaire », située rue duBastion (!), au cœur de la ZAC Clichy-Batignolles(17e arrondissement). Aussi anonyme qu’ultramo-derne, la cité est l’œuvre de l’architecte Renzo Pianoqui y érigera une tour de 38 étages, bardée de sys-tème de sécurité. Le mythique « 36 » accueillera-t-ille musée de la Police nationale, qui partage actuel-lement les locaux trop exigus du commissariat du5e arrondissement ? L’idée ne semble pas avoir étéoubliée dans le grand escalier…

A F F A I R E S D E L A C R I M ’

Devantle porched’entrée du« 36 », RobertBroussard,« flic de choc »de la BRI(brigade derecherche etd’intervention),surnomméel’Antigang,prend la pose.Patron de laBRI dans lesannées 1970,il accrocheraà son palma-rès : l’affairede Broglie,l’enlèvementdu baronEmpain,les frèresZemmour et,bien entendu,JacquesMesrine.

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Il est fort à parier que les malfrats et assassins qui ont «�goûté�» au grand escalier en colimaçon de 148 marches du «�36�» n’ont pas dû conserver un souvenir ému du lieu. Pièce maîtresse de la topographie intérieure de la brigade criminelle, l’escalier évoque pour Maigret, le héros de Simenon, quelque chose de «�grand (…) vaste (…) grisâtre, terne (…) mal éclairé avec une méchante ampoule de loin en loin, poussiéreux (…) avec des rayons obliques de soleil comme dans les églises�». Robert Broussard, lui, se souvient «�des odeurs de tabac froid et du lino usé�».

LIVRESClaude Cancès, Histoire

du 36 quai

des Orfèvres,

Pocket, 585 p. etHistoire

du 36 quai

des Orfèvres

illustrée, Éd. Jacob-Duvernet.

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«�Police judiciaire, redit-on encore dans tous les romans policiers (…) Voulez-vous que nous y allions ensemble en flânant ? La PJ (car c’est ainsi qu’on l’appelle familièrement) se trouve quai des Orfèvres, encastrée dans l’immense bloc du Palais de Justice. La Seine coule sous ses fenêtres (…) On aperçoit les arches du Pont-Neuf, voire en se penchant, la statue du Vert-Galant.�» (in Police judiciaire, texte d’un reportage de Georges Simenon, 1933).

La salle des inspecteurs de la brigade des «�garnis�», spécialisée dans la surveillance des individus suspects de délits et dans les «�flags’�» (flagrants délits). Les inspecteurs rédigent des «�blancs�» (PV) pour le ministère de l’Intérieur.

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À L ’ O R I G I N E D ’ U N E L É G E N D E

LE COMMISSAIREMAIGRET

La réputation auprès du grand public du 36 quai des

Orfèvres doit aux œuvres littéraires, filmographiques,

télévisuelles. Le plus populaire de ces héros de fiction est le commissaire Maigret qui inspirera à l’écrivain belge Georges Simenon 75 romans et 28 nouvelles. Pour n’être qu’un «�policier de papier�», Maigret s’est construit sur des modèles bien réels. Tel Marcel Guillaume (1872-1963), l’un des premiers chefs de la brigade criminelle (alors appelée brigade spéciale n° 1) qui a à son actif de grandes affaires criminelles : la bande à Bonnot, Landru, Violette Nozière, ou Paul Gorgulov, l’assassin de Paul Doumer. La série des Maigret débute en 1931. Le succès public est immédiat. Côté «�36�», si on apprécie l’arrivée de ce «�nouveau collègue�», on lui reproche des erreurs factuelles. Xavier Guichard, directeur de la PJ, et «�l’as de la PJ�», Marcel Guillaume, convoquent Simenon. Non pour un interrogatoire mais pour une immersion dans les arcanes du 36. Lorsque Georges-Victor Massu succède à Marcel Guillaume, il entretient d’amicales relations avec Simenon. Son physique, son caractère, sa psychologie et sa passion pour les bouffardes en bruyère Dunhill bourrées de tabac gris permettront à Simenon d’affûter son personnage.

La Pipe de Maigret (1947) couverture d'une nouvelle de Simenon, édition de 1954.

Simenon, père romanesque du commissaire divisionnaire de la PJ parisienne Jules Maigret, trouve chez les policiers du «�36�» une puissante source d’inspiration littéraire. Il fréquente plusieurs de ses patrons. Ici en 1958, avec, à droite, Georges-Victor Massu, alors directeur de la PJ.

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LES GRANDES AFFAIRES DE LA CRIM'DĒTOURS EN HISTOIRE

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André Soudy (1892-1913), membre de la bande à Bonnot, proche des milieux anarchistes français. Il participe aux bra-quages des succursales de la Société générale de Montge-ron et de Chantilly. En mars 1912, à Chantilly, il se trouve dans la voiture De Dion-Bouton armé d’une carabine, et chargé de tirer sur les pour-suivants. Condamné à mort, il aura la tête tranchée le 21 avril 1913.

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Page 75: Detours en Histoire 10

À l’instar de Bonnie et Clyde ou Dillinger outre-Atlantique, la bande à Bonnot a inscrit durablement sa

sanguinaire histoire dans la mémoire collective des Français. Dans cette Belle Époque qui ne l’est vraiment pas pour tous, syndicats et mouvements anarchistes agitent le pays. Jules Joseph Bonnot, ouvrier mécanicien, est un fervent militant. Du statut d’anarchiste, il va sombrer, dès 1911, dans le grand banditisme et le crime organisé. C’est dans la mouvance du mouvement anarchiste qu’anime Victor Serge, et parmi la frange la plus dure acquise à l’illégalisme, qu’il recrute les membres de sa bande : Octave Garnier, Raymond Callemin, Édouard Carouy, André Soudy. Auxquels s’ajoutent quelques seconds couteaux : Élie Monnier dit «�Simentoff�», Eugène Dieudonné…

Bonnot, qui a déjà à son actif le percement de coffres-forts et de petits casses, va donner une autre ampleur

à ses forfaits. Expert en mécanique, il inaugure une nouvelle façon de mener ses cambriolages au volant de puissantes limousines, alors que la Sûreté nationale ne dispose que de chevaux. En décembre 1911, la bande frappe un grand coup en braquant la succursale de la Société générale, rue Ordener, dans le 18e à Paris. Les casses se succèdent jusqu’à ce mois de mars 1912 avec l’attaque de la Société générale à Chantilly�; deux employés sont tués. La traque des criminels mobilise tous les moyens de la PJ. Bonnot sera «�logé�» dans une ferme près de Choisy-le-Roi. Sur le terrain, le commissaire Marcel Guillaume et Xavier Guichard, chef de la Sûreté, mènent les opérations. Le siège s’éternise. La ferme est dynamitée. Bonnot est touché, se rend. Il ne survit pas à ses blessures. Ses complices sont condamnés à des peines de travaux forcés ou à la peine capitale pour Callemin, Soudy et Monnier.

Les policiers de la Brigade spéciale n° 1 examinent la limousine Delaunay-Belleville qui a servi au braquage de la Société générale de la rue Ordener, le 21 dé-cembre 1911.

L A S A G A S A N G L A N T E D E

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LES GRANDES AFFAIRES DE LA CRIM'DĒTOURS EN HISTOIRE

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Page 76: Detours en Histoire 10

La fiche anthropométrique de Jules

Joseph Bonnot nous apprend qu’il est «�né le 14 octobre 1876 à Pont-de- Roide (Doubs), ajusteur mécanicien, sans domicile connu ».

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LE PASSÉ RECOMPOSÉ3 6 Q U A I D E S O R F È V R E S

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Page 77: Detours en Histoire 10

Édouard Carouy (1883-

1913), plus connu sous

le nom de Leblanc, anarchiste illégaliste. Accusé de vol et du double meurtre dans «�l’affaire de Thiais�» (3 janvier 1912). Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il s’empoisonne en avalant une capsule de cyanure.

Barbe Le Clerch, dite Veuve Mercier, maîtresse de Marius Paul Metge, anarchiste illégaliste, membre de la bande, impliqué dans les crimes de Thiais. Accusée de complicité de vol par recel, elle sera acquittée à l’issue de son procès.

Raymond Callemin

(1890-1913), dit Raymond-

la-Science, militant

anarchiste proche de Victor Serge. Participe

aux casses de la Société

générale de la rue Ordener et

de Chantilly. Condamné

à mort, il est exécuté le

21 avril 1913. Ses dernières

paroles : «�C’est beau hein,

l’agonie d’un homme !�»

Octave Garnier (1889-1912), dit «�Le Terrassier�» : «�Ouvrier boulanger, sans domicile connu. Taille

1,66 m, yeux marron très vifs (…) Tatouage informe au-dessus du poignet gauche (…) Très vigoureux.�»

Il meurt exécuté d’une balle dans la tempe par un policier lors de l’assaut de sa planque de Nogent-

sur-Marne, le 14 mai 1912.

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«�ON A TUÉ JAURÈS ! »«�J’ai abattu le porte-drapeau, le grand traître de l’époque de la loi de trois ans, la

grande gueule qui couvrait tous les appels de l’Alsace-Lorraine. Je l’ai puni, et c’était le symbole de l’ère nouvelle, et pour les Français et pour l’Étranger.�» Ces propos sont rédigés par Villain le 10 août 1914 depuis sa cellule de la prison de la Santé, et adressés à son frère aîné Marcel Villain.

Retour à cette funeste journée du 31 juillet 1914. Raoul Villain semble se préparer

comme pour fêter un événement. Il se rend chez le coiffeur, se paye des chaussures neuves, effectue un détour par l’église pour brûler un cierge à Jeanne d’Arc et s’offre un vrai gueuleton dans un restaurant italien en vogue. Repu, il arpente les grands boulevards, élégant, nonchalant. Devant le 146, rue Montmartre, il s’arrête devant le Café du Croissant. Il cherche du regard à localiser un homme : Jean Jaurès. Ce dernier soupe en compagnie de Marguerite Poisson, épouse d’un journaliste de L’Humanité. Derrière le voile blanc du rideau, il le voit, sort son revolver de sa poche et tire une première balle

Portrait de Raoul Villain provenant

de sa fiche anthropométrique.

L’assassinat de Jean Jaurès par

ce médiocre étu-diant de 29 ans

ultranationaliste, précipitera

le déclenchement de la Première

Guerre mondiale.

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LE PASSÉ RECOMPOSÉ3 6 Q U A I D E S O R F È V R E S

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Page 79: Detours en Histoire 10

qui touche Jaurès à la nuque. Une seconde irase ficher dans le comptoir. Il est 21 heures 40,Jaurès s’écroule.

Villain bat en retraite avant d’être appréhendé

par le gardien de la paix Marty. Prévu en 1915,le procès est reporté – à la demande de Villainet de ses avocats – au sortir de la guerre.Les débats se déroulent donc du 24 au 29 mars1919, dans un contexte de patriotisme exalté.Ses défenseurs, maîtres Henri Géraud etAlexandre Bourson, dit Zévaes, ancien députésocialiste, obtiennent son acquittement. Le juryvote à onze voix contre une pour la remise enliberté de l’accusé qui n’aurait commis qu’unesorte de « crime passionnel » pour son pays. Leprésident des assises de la Seine le gratifieramême d’un vous êtes « un bon patriote ».

Villain mènera une vie de petits trafics avant

de se poser dans les îles Baléares, à Ibiza, et definir, en août 1936, sous la mitraille des républicainsespagnols venus combattre les franquistes. Surent-ils un jour qui ils venaient de tuer…

Né à Tarbes le 3 sep-tembre 1859, Jean Jaurès est député du Tarn, premier président du Parti socia-liste français et fondateur du quotidien socialiste L’Humanité (1904). Ses positions pacifistes, son combat pour la paix européenne lui vaudront d’être assassiné le 31 juillet 1914 par un jeune fanatique nationaliste.

Le Café du Croissant, sis 146, rue Montmartre dans le 2e arrondissement. Au lendemain de l’assassinat de Jean Jaurès, la foule se presse pour lui rendre un dernier hommage. Jaurès sera enterré deux fois : la première en août 1914 et la seconde en novembre 1924 lorsqu’on transféra ses cendres au Panthéon.

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Page 80: Detours en Histoire 10

L A R É P U B L I Q U E E N D A N G E R !

L’AFFAIRE STAVISKY

Le 9 janvier 1934, Alexandre Stavisky est retrouvé mort à son domicile

de Chamonix, alors que la police vient l’arrêter. Le Canard Enchaîné titre

ironiquement : «�Stavisky s’est suicidé d’une balle tirée à 3 mètres. Ce que c’est d’avoir le bras long.�» Né en Russie à Slobodka, province de Kiev, d’un père dentiste et de

confession israélite, le jeune Alexandre migre à Paris à 12 ans et est naturalisé français en 1910. Peu doué pour les études, il excelle en revanche dans l’art de la séduction. Beau parleur, Stavisky se fait vite une place dans la «�bonne société�», qu’il remercie

en procurant à ses fêtards de la «�blanche�». L’homme mène grand train, dépense des sommes vertigineuses au casino, organise des dîners mondains somptueux. Des

frasques ruineuses. Il lui faut des rentrées fraîches et importantes. L’ouverture du Crédit municipal à Bayonne en 1931, puis un autre à Orléans vont lui permettre de mettre au point une «�technique de vente pyramidale�». Pour détourner des centaines de millions,

il compromet hommes politiques, financiers, hauts magistrats, directeurs de journaux. Aussi, quand l’ «�affaire Stavisky�» éclate en 1933, la panique est générale ! Des têtes

tombent, et certains «�suicidés�» (tel le suicide mystérieux d’Albert Prince, conseiller à la cour d’appel de Paris) mettent le feu aux poudres. Le gouvernement Chautemps

s’effondre. La crise politique engendre une vague de fond d’antiparlementarisme. Les ligues d’extrême-droite et les ultranationalistes soulèvent de sanglantes émeutes.

Alexandre Stavisky, le «�Beau Sacha�», affairiste de haut vol, sera à l’origine de la plus grave crise politico-financière que connaîtra la IIIe République.

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LE PASSÉ RECOMPOSÉ3 6 Q U A I D E S O R F È V R E S

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L E G É N É R A L D E G A U L L E É C H A P P E À L A M O R T

L’ATTENTAT DU PETIT-CLAMARTLe 22 août 1962, à 19 heures 45, un cortège de deux DS 19 noires,

escorté de deux motards de la Garde républicaine, sort de l’Élysée pour rejoindre le terrain d’aviation de Villacoublay, où le général de Gaulle doit s’envoler

à bord d’un hélicoptère pour rallier La Boisserie, sa résidence de Colombey- les-Deux-Églises. Le président est à bord de la seconde voiture, à l’arrière

en compagnie de son épouse, Yvonne.

À l’avant se trouve, à côté du chauffeur, le gendarme Francis Marroux et

le gendre du général, le colonel Alain de Boissieu. Le cortège s’apprête à passer

le carrefour du Petit-Clamart, quand tout à coup des détonations éclatent. La DS du général zigzague, pneus avant crevés�; la vitre arrière vole en éclats.

De Boissieu ordonne à ses beaux-parents de se coucher sur le sol et au chauffeur de foncer. Malgré une prise en chasse par le commando, la voiture présidentielle parviendra à rejoindre Villacoublay. Les douze hommes du commando

sont membres de l’OAS (Organisation armée secrète), passionnément attachée à l’Algérie française, et dirigés par le lieutenant-colonel Bastien-Thiry. Tous les conjurés

sont condamnés à mort. Les peines seront commuées en réclusion à perpétuité sauf pour Bastien-Thiry qui sera le dernier fusillé de France, en mars 1963.

Dans la cour du «�36�», la DS 19 du général de Gaulle est passée au peigne fin par un inspecteur de la PJ. Quatorze impacts de balles sont dénombrés sur la carrosserie.

L’Estafette Renault, à bord de laquelle avaient pris place cinq hommes armés de fusils-mitrailleurs, est méticuleusement examinée par les experts de la PJ.

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LES GRANDES AFFAIRES DE LA CRIM'DĒTOURS EN HISTOIRE

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Page 82: Detours en Histoire 10

L E M A U V A I S S C É N A R I O D E

L’AFFAIRE BEN BARKA

L’affaire Ben Barka occupe le

devant de la scène médiatique

à la fin d’octobre 1965. Cet homme politique socialiste marocain, leader du mouvement panafricaniste, est l’un des plus virulents opposants au régime du roi Hassan II. Le 29 octobre 1965, Ben Barka, en exil en France, est en visite à Paris où il doit rencontrer des cinéastes en vue d’un documentaire sur la décolonisation, intitulé Basta !

Avec Georges Franju derrière

la caméra et Marguerite

Duras, le projet ne manque

de séduire. Le rendez-vous est organisé à la brasserie Lipp, avec le journaliste Philippe Bernier et Georges Figon, taupe des services secrets marocains. Les deux policiers de la Mondaine – Louis Souchon, et Roger Voitot – qui flanquent Figon, demandent à Ben Barka de les suivre. Confiant, il part en voiture avec eux et un inquiétant personnage : Georges Boucheseiche, ex-membre de la Carlingue, ex-figure du grand banditisme et barbouze du Général. Ben Barka, confronté au colonel Dlimi, chef de la police marocaine, et au général Oufkir, ministre de l’Intérieur du roi, sera abattu dans une villa. Le scandale éclabousse la police et l’État français. De Gaulle doit prendre position. Pour seule explication, il dira : « Du côté français que s’est-il passé ? Rien que de vulgaire et de subalterne.�» Toute la lumière sur l’affaire n’a pas été faite.

Mehdi Ben Barka à Rabat, le 7 novembre 1957, après sa réélection comme président de l'Assemblée consultative du Maroc. À l'arrière-plan, à droite, Mohammed V, et, derrière lui, le général Oukfir, ministre de l'Intérieur.

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LE PASSÉ RECOMPOSÉ3 6 Q U A I D E S O R F È V R E S

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Page 83: Detours en Histoire 10

’ N ° 1

JACQUES MESRINE

«�Bouge pas ! T’es fait !�» Le vendredi 2 novembre 1979 à 15 heures, porte de Clignancourt, la BMW 528i conduite par Jacques Mesrine progresse derrière un camion bâché. La bâche se lève brusquement, les tireurs de la BRI embusqués ouvrent le feu sans sommation. C’en est fini de «�l’ennemi public n° 1�». Dix-huit balles à haute vélocité lui ont criblé le corps.

Mesrine ou« l’homme au

mille visages ».Quand il

découvre quepeu de chose

transformesa physionomie,

il s’ingénieraà « se réinven-ter » au gré de

ses braquages.

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LES GRANDES AFFAIRES DE LA CRIM'DĒTOURS EN HISTOIRE

Des ennemis publics, le pays en a connu

par le passé, mais, avec Jacques Mesrine,

on entre dans une dimension médiatique

qui n’avait jamais été atteinte. Enfant de la bourgeoisie commerçante, les études ne sont pas faites pour lui. Après un passage

dans l’armée, où il «�fait�» la guerre d’Algérie dans une unité de para-commando, le retour

à la vie civile est difficile. Commence alors une vie rythmée par les cambriolages, les escroqueries, les vols à main armée. Ses

tentatives pour rentrer dans le rang échouent. De cavales (Québec, Venezuela) en évasions

de prison rocambolesques, de crimes (réels ou revendiqués) en braquages (il en aurait plus de

100 à son tableau de chasse), d’enlèvements (le milliardaire Henri Lelièvre�; Jacques Tillier,

journaliste à Minute) en conférences de presse clandestines, Mesrine ne cesse de

provoquer l’ordre établi, police et justice étant ses deux bêtes noires. Le musclé patron de

l’Antigang, le commissaire Robert Broussard le «�serre�» une première fois, en 1973, «�sans

arme mais au champagne�». Pour l’anecdote, Mesrine n’aura, à son grand dam, pas eu les

honneurs du bureau de Broussard, perché sous les toits du «�36�», au quatrième étage…

à côté de l’armurerie. La seconde fois que Broussard et ses hommes, en 1979, mettront

la main sur Mesrine, ils ne lui laisseront aucune chance de s'en tirer.

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Page 84: Detours en Histoire 10
Page 85: Detours en Histoire 10

LES RENDEZ-VOUSDE L HISTOIRE

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#88

P. 86-87EXPOSITIONS

L’ART ET LA MACHINELE DAUPHIN, L’ARTISTE ET LE PHILOSOPHE : AUTOUR

DE L’ALLÉGORIE À LA MORT DU DAUPHIN DE

LOUIS LAGRENÉE L’AÎNÉLÉONARD DE VINCI

ET LA FRANCE AU CLOS LUCÉ

OSIRIS, MYSTÈRES ENGLOUTIS D’ÉGYPTE

P. 87-88LIVRES

MAHAUT D’ARTOIS, UNE FEMME DE POUVOIRCODEX 632, LE SECRET DE

CHRISTOPHE COLOMBJE M’APPELLE ASPASIE

MORT AU TSAR, TOME II : LE TERRORISTE

P. 89DVD

HISTOIRE DE JUDASLES SIX FEMMES

D’HENRY VIIILA GUERRE DU VIETNAM,

IMAGES INCONNUES

#86

T E X T E S D E D O M I N I Q U E R O G E R , I G N A C E M A N C A

E T B É N É D I C T E C H A C H U A T

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Page 86: Detours en Histoire 10

Lorsque Léonard de Vinci se rend en

France au cours de l’automne 1516, à

l’invitation de François Ier, le vainqueur de

Marignan, il a déjà 64 ans. Il va passer lestrois dernières années de sa vie à œuvrercomme « Premier peintre, ingénieur et archi-tecte du roi », mais sera aussi maître desdivertissements. Le monarque qui, dit-on,l’admire et le visite presque tous les jours,met à sa disposition le château du Cloux,situé tout près d’Amboise où il réside, et luiverse une pension princière conséquente.L’exposition présente l’héritage d’un des plusgrands génies de tous les temps, une partiede ses innombrables tableaux et manuscrits,et revient aussi sur la naissance du mytheVinci à la période romantique française.

E X P O S I T I O N

VINCI, INVITÉDE FRANÇOIS IER

E X P O S I T I O N

LA MORT DU DAUPHIN

Léonard de Vinciet la Franceau Clos LucéExpositionpermanenteau château duClos Lucé, parcLeonardo da Vinci.37400 Amboise.02 47 57 00 73et www.vinci-closluce.com.

L’art et la machine. Du 13 octobre 2015 au 24 janvier 2016. Musée desConfluences, 69002 Lyon. 04 28 38 11 90 et www.museedesconfluences.fr.

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Lorsque Louis-Ferdinand, le fils de Louis XV, meurt en 1765 au château de

Fontainebleau, il laisse à la France trois fils qui deviendront les trois derniers

rois de France, les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. L’image de celui qui n’a jamais régné, fils et père de roi, va alors être sacralisée au bénéfice du parti des dévots. Y participera le peintre Louis Lagrenée dont le château de Fontainebleau possède l’Allégorie à la mort du Dauphin, une toile peinte en 1767. À travers ce tableau, l’exposition aborde trois personnalités : le Dauphin, le peintre Louis Lagrenée, que la représentation de la mort du Dauphin a finalement desservi, et Diderot, l’encyclopédiste, qui attaque durement le peintre, l’œuvre et son sujet.

Le Dauphin, l’artiste et le philosophe : autour de l’Allégorie à la mort du Dauphin de Louis Lagrenée l’aîné. D u 17 octobre 2015 au 25 janvier 2016. Château de Fontainebleau, 77300 Fontainebleau. 01 60 71 50 70 et www.chateaudefontainebleau.fr.

86

Par la complexité de leur mise en œuvre et les matériaux qu’elles uti-

lisent, les machines peuvent être d’une grande esthétique. Alambics

en cuivre, machines à vapeur, engrenages complexes sont un plaisir

pour les yeux. Nombre d’artistes ont été fascinés par les machines au point d’en faire une source d’inspiration. Peintres mais aussi sculpteurs, et, plus près de nous, le huitième art, vont imaginer, et même réaliser, des machines dont le but est de faire naître une émotion artistique. L’exposition L’art et la machine présente sur plus de 1�500 m2 la relation étroite entre le regard de l’artiste sur la machine et l’évolution des technologies industrielles et mécaniques, depuis les planches techniques de l’Encyclopédie au xviiie siècle, jusqu’à l’ère électronique.

E X P O S I T I O N

LA FASCINATION ESTHÉTIQUE DES OBJETS MÉCANIQUES

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Page 87: Detours en Histoire 10

La stèle dite de Canope, découverte en 1881 à Kom el-Hisn (238 av. J.-C.),

avait levé le voile sur les cérémonies des « Mystères d’Osiris » qui étaient

célébrées dans la plupart des villes d’Égypte. Dans le grand temple d’Amon,situé à Thônis-Héracléion, elles se terminaient par une longue processionnautique. Les fouilles, dont certaines effectuées récemment, ont mis au jourde nombreux témoignages archéologiques : monuments, statues, instru-ments rituels, offrandes cultuelles. Sur plus de 1 000 m2, l’Institut du mondearabe présente 250 objets retrouvés lors de ces fouilles et quantité d’autresprovenant des musées du Caire et d’Alexandrie.

Osiris, mystères engloutis d’ÉgypteJusqu’au 31 janvier 2016. Institut du monde arabe.1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris.01 40 51 38 38 et www.imarabe.org.

E X P O S I T I O N

LA LÉGENDE D’OSIRIS

Nous sommes à l’orée du xive siècle. Le

royaume de France cherche à se consolider

sous le règne du Capétien Philippe IV le Bel.

Petite-nièce de Saint Louis, Mahaut d’Artoisn’était pas préparée à vivre en pleine lumière.La mort de son mari Othon, intervenue alorsqu’elle a environ 33 ans, la propulse sur lesdevants de la scène politique. Elle décide alorsde ne pas se remarier et d’exercer pleinementses fonctions, fait rare à une époque où lesfemmes sont écartées du pouvoir. Pairessede France, elle est en particulier la seulefemme à siéger au conseil de Philippe le Bel.Sa vie ne sera pas qu’un long fleuve tranquillecar elle devra ferrailler pour museler tousceux qui contestent sa légitimité. Agrégéed’histoire, Christelle Balouzat-Loubet nousimmerge dans ce Moyen Âge trop longtempséclipsé par la Renaissance. Délaissant leroman, elle nous introduit dans le quotidienet dans les épreuves de cette personnalitéd’exception, que Maurice Druon avait déjàsortie de l’anonymat dans Les Rois maudits.

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Les origines de Christophe Colomb

ont toujours été entourées de mystère

et de pistes entremêlées. Comme si

l’homme lui-même avait sciemment

tissé autour de lui une toile de secrets.Les amateurs de textes anciens, demystères, de cryptage, de chiffrage, decodage et autres énigmes se régalerontà la lecture de cet ouvrage construitcomme un jeu de piste. Tomás Noronha,historien et enseignant-chercheur à l’uni-versité de Lisbonne, est conduit à s’inté-resser aux recherches d’un de ses aînés,mort à Rio de Janeiro alors qu’il enquêtaitpour le compte d’une fondation améri-caine sur la découverte du Brésil. En ten-tant de trouver la vérité sur les GrandesDécouvertes, le jeune cryptologue va seheurter à l’épais mystère qui recouvre lavéritable identité de Christophe Colombet aux conditions de ses explorations…L’auteur est journaliste, reporter deguerre et a été présentateur vedette dujournal de 20 h au Portugal. Tous sesromans sont des best-sellers mondiaux.

R O M A N

CHRISTOPHE COLOMB : LES MYSTÈRES DU CODEX 632

Codex 632, le secret de Christophe Colomb,José Rodrigues dos Santos, HC Éditions, 377 p., 22 €.

B I O G R A P H I E

MAHAUT D’ARTOIS

Mahaut d’Artois, une femme de pouvoir,Christelle Balouzat-Loubet,éditions Perrin,222 p., 19,90 €.

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DĒTOURS EN HISTOIRE

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Page 88: Detours en Histoire 10

Je m’appelle Aspasie, Franck Senninger, éditions Anfortas, 706 p., 25 €.

Mort au Tsar,tome II : le Terroriste,Thierry Robinet Fabien Nury,Dargaud, 60 p, 13,99 €.

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LA MALÉDICTIONDES DERNIERSROMANOV

Moscou 1904. La faim et les injustices ont radicalisé le peuple russe. Dans la ville, les attentats perpétrés par les «�anarchistes�» conduisent Sergueï Alexandrovitch, le gouverneur général et oncle du tsar Nicolas II, à faire tirer sur la foule. Par la suite, la violence n’en finit pas de nourrir la violence. Le délitement du régime tsariste se profile et le destin des Romanov – qui conservent une attitude autiste malgré l’urgence de la situation – est scellé. Fabien Nury, le scénariste, continue dans la voie qu’il a tracée dans le tome I (le Gouverneur). Il tire de l’Histoire de quoi stimuler l’imaginaire de Thierry Robin, qui cisèle des dessins dont le contraste accentue la dramaturgie du récit. Aussi à l’aise dans les scènes intimistes que dans la scénarisation des mouvements de foule, il emporte irrévocablement le lecteur dans son sillage�!

«�Je m’appelle Aspasie�» : tels sont les mots que l’héroïne du dernier roman de Franck Senninger répète

à ses contemporains masculins réticents à nommer les femmes par leur nom. Au fil des pages, l’auteur parvient à faire revivre l’Athènes classique du ve siècle avant notre ère. Alcibiade, Socrate, Cléon, Phidias, autant de personnages célèbres qui croisent le chemin de celle qui fut la femme de Périclès. Confrontée aux complots cherchant à lui nuire, aux crises politiques qui ébranlent la puissance athénienne, Aspasie, malgré son statut doublement inférieur de femme et de métèque, parvient à peser sur la vie d’une cité en pleine ébullition. Du début à la fin, l’auteur tient captivé son lecteur impatient de découvrir le destin de cette femme hors du commun.

L I V R E

UNE FEMME EN AVANCE SUR SON TEMPS

LES RENDEZ-VOUSDE L’HISTOIRE

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Page 89: Detours en Histoire 10

«�Un personnage comme Judas

a une dimension tragique inouïe

et il mérite d’être réinventé,

réimaginé.�» Ainsi s’exprime Rabah Ameur-Zaimeche, scénariste, réalisateur et producteur d’Histoire de Judas, quand on lui demande pourquoi il a choisi de raconter la fin de Jésus de Nazareth à travers cette figure de juif pour le moins controversée. Il s’inscrit en faux quant à la trahison de ce disciple, arguant du fait que, comme personnage public et agitateur patenté, Jésus était facilement la cible des forces de répression. Ce cinéaste, qui se vit comme «�un trait d’union entre le monde d’où je suis originaire, au sud de la Méditerranée, et celui qui m’accueille, la France�», choisit d’« esquisser un portraitde Jésus comme personnagehumain, au sein de son peuple, enprivilégiant le quotidien, comme lepartage du pain, les ablutions oul’enseignement… » Un film parfoisdéroutant mais toujours attachant.

D V D

UN NOUVEAU REGARD SUR JUDAS

Histoire de Judas, Rabah Ameur-Zaimeche, Potemkine Films, 20 €.

La Guerre du Vietnam, images inconnues,Isabelle Clarke, Daniel Costelle, éditions Montparnasse, 20 €.

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DĒTOURS EN HISTOIRE

Comme un écho au numéro 7 de notre

magazine (hiver 2014) consacré aux plus

grands criminels de l’histoire – avec Henry VIII

en couverture –, les éditions Montparnasse

viennent de publier un triple DVD, Les Six

Femmes d’Henry VIII. Six épisodes de90 minutes retracent le destin de ce roi, le plussulfureux de la dynastie des Tudor, contemporainde François Ier. À la fois redouté et populaire,doté d’une personnalité violente, égoïste etimpitoyable, il est passé à la postérité pour avoircontracté six mariages, n’hésitant pas à rompreavec la papauté et à provoquer le schisme entrel’église d’Angleterre et Rome qui rechignait àannuler son premier mariage avec Catherined’Aragon. Anne Boleyn (qui sera le thème d’ungrand opéra de Donizetti), Jane Seymour, Annede Clèves, Catherine Howard et Catherine Parrse succéderont dans sa couche et connaîtrontpour certaines d’entre elles des destinstragiques…

D V D

DIVORCES À L’ANGLAISE

Il y a quarante ans, la guerre du

Vietnam se terminait sur la défaite

d’une des plus grandes nations du

monde. Si des fictions ont abordé divers aspects de ce douloureux conflit (comme le grandiose Apocalypse now, de Francis Ford Coppola), le DVD La Guerre du Vietnam, images inconnues a la force des documents exceptionnels tournés sur le vif par des cameramen de l’armée américaine, mais aussi par l’armée nord-vietnamienne. Résultat, plus de 2 heures 30 d’images d’archives rares, d’une qualité technique remarquable, qui nous font suivre l’itinéraire imaginaire d’un soldat, Billy Brown. Découpé en trois parties (3 x 52 minutes), ce film permet de vivre à la première personne les principales phases de ce long et meurtrier conflit.

D V D

REVIVRE LA GUERREDU VIETNAM

Les Six Femmes d’Henry VIII,triple DVD, éditions Montparnasse, 25 €.

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Page 90: Detours en Histoire 10

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Ce livre est un voyage au cœur de la terre de Cognac. Des hommes et des femmes nous ont parlé de leurs passions, de leur métier, de leur art, de leur vie, indissociables de ce produit unique qu’est le cognac. Une eau de vie… comme une ode à la vie.

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P. 92L’ÂME DES OBJETS

LE PETIT LIVRE ROUGE DU GRAND TIMONIER

P. 94LES FAITS DIVERS DANS L’HISTOIRE

CROWLEY, SATANISTE EN CHEF

P. 96IMAGES DE L’HISTOIRE

PAUL ÉLUARD, UN POÈTE CHEZ LES FOUS

P. 98L’HISTOIRE AU TABLEAU

LA MORT DE SARDANAPALE

P. 100POPULAIRE

MAIS PAS INNOCENTEEN PASSANT PAR

LA LORRAINE

P. 102L’ILLUSTRE INCONNU

DÉDALELE GÉNIAL ARTISAN

P. 104L’EXPRESSION EN QUESTIONRETOURNER

SA VESTE

LESCHRØNIQUESDE L HISTØIRE

TopFoto - Roger-Viollet

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Page 92: Detours en Histoire 10

Mao Zedong et Le Petit Livre rouge. Rarement un ouvrage ne fit qu’un avec la pensée d’un homme de pouvoir, au pouvoir. Hormis peut-être Mein Kampf, théorisation de l’idéologie du nazisme, rédigé dans les années 1920 par Hitler. Quand le bréviaire du communisme élaboré par le Grand Timonier faisait marcher au pas 800 millions de Chinois.

LE PETIT LIVRE ROUGED U G R A N D T I M O N I E R

L ’ Â M E D E S O B J E T S

Le Petit Livre rouge, de son vrai titre Citations du

président Mao Zedong, paraît pour la première

fois au printemps 1964, quinze après la proclama-

tion de la République populaire de Chine et vingt-

huit ans après la fondation du Parti communiste

chinois (PCC). De la taille d’un de nos missels occi-dentaux, il tient dans une poche (10 x 13,5 cm) mais célèbre une tout autre messe. Sous sa couverture plastifiée, couleur rouge révolution communiste, sont regroupées, au fil des 347 pages (270 dans l’édition originale), 427 citations réparties en 33 chapitres

thématiques. Une conception technique devant répondre à un impératif : que les masses laborieuses puissent facilement, à tout instant de leur quotidien, consul-ter la bonne parole sans qu’une lecture longue et continue soit nécessaire. «�Il faut faire en sorte que chacun étudie les œuvres du président Mao, suive ses enseignements, agisse selon ses instruc-tions et soit un digne combattant du pré-sident Mao.�»

UNE IMPITOYABLE FAMINEL’idée du Petit Livre rouge est sor-

tie tout droit de la tête de Lin Biao,

ministre de la Défense, chef de l’Ar-

mée populaire de libération et, surtout, homme

lige, éminence grise de Mao. En ce début de la décennie 1960, le président du PCC a été relégué sur le banc de touche. Le désastre perpétré par le Grand Bond en avant, au premier rang duquel une impitoyable grande famine résultant d’une collecti-visation agricole ; cette marche forcée vers le pro-grès a fait 38 millions de morts. L’aura du maître de l’idéologie maoïste s’avère considérablement ternie. En stratège roué, Lin Biao œuvre en sous-main pour

le retour en grâce de son mentor, qu’il ne peut ni ne veut voir cantonné au rang «�d’honorable vieux totem universellement encensé�».

GRANDE RÉVOLUTION CULTURELLELa pièce maîtresse de l’échiquier politique, l’armée,

est réorganisée et une noble mission lui est assi-

gnée : la révolution dans la révolution, qui va vite

prendre le nom de «�Grande Révolution culturelle

prolétarienne�». Une opération qui avance masquée. Sous couvert de pourfendre sans rémission «�la conception bourgeoise du monde�» de combattre les «�quatre vieilleries�» soit�: «�la vieille idéologie, la vieille culture, les vieilles mœurs et coutumes que les impé-rialistes et toutes les classes exploiteuses utilisent pour empoisonner le peuple des travailleurs, toutes les idéo-logies non prolétariennes (…) en antagonisme avec le marxisme-léninisme et la pensée de Mao Zedong�», un travail de sape de l’intérieur du Parti est enclenché pour revenir au sommet du pouvoir. Les soldats battent campagne. Mais pour réussir son coup de force poli-tique, Mao doit se rallier absolument la jeunesse, numé-riquement si importante. Celle-ci, dans les villes comme en milieu rural, est recrutée et embrigadée dans les «�gardes rouges�», bras militant constitué d’étudiants et d’écoliers, qui n’a bientôt qu’une référence pour morali-ser et revivifier une société jugée corrompue : Le Petit Livre rouge. Ce dernier va vite sortir des poches des combattants de la nouvelle armée pour être vendu à tout citoyen chinois qui a obligation de le posséder. 740 millions d’exemplaires sortent des presses entre 1966 et 1968. Les «�révolutionnaires�» épurent le Parti. Les caciques en place sont persécutés, battus, humiliés publiquement, envoyés en camp de rééduca-tion par le travail (les redoutés laogai). Liu Shaoqi, le président de la République, est sommé de faire son autocritique ; il sera battu en public puis emprisonné.

L’armée est

réorganisée

et une noble

mission lui est

assignée : la révolution

dans la révolution.

Le Petit Livre rouge, arborant un chromo de Mao Zedong en couverture, sur un étal de marché, Shanghai, 2006.

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LES CHRONIQUESDE L’HISTOIRE

T E X T E D E D O M I N I Q U E R O G E R

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Fanatisés par la lecture du Petit Livre rouge, «�une bombe atomique morale�», clame Lin Biao, les troupes des gardes rouges essaiment les provinces. La répres-sion est atroce. Les intellectuels, les artistes, les appa-ratchiks forment d’interminables listes de victimes. Les masses populaires ont obligation de connaître par cœur les citations maoïstes qui scandent la vie quoti-dienne de l’honnête travailleur. Ne pas observer la règle expose à de terribles sanctions, allant du châtiment corporel aux peines de travaux forcés.

LE FOYER DES MAOS FRANÇAIS Sur l’air de «�la révolution n’est pas un dîner de

gala�», Mao se réinstalle à la tête du Parti… mais

l’addition est extrêmement lourde. En l’espace de deux ans, ce sont entre 750�000 et 1,5 million de Chinois (certains avancent un décompte très supé-rieur), de tous âges et des deux sexes, qui périrent de mort violente. Un pan majeur du patrimoine culturel et artistique est éradiqué. La machine économique tourne à vide. À l’automne 1967, conscient que le pays s’enfonce dans une spirale infernale de la vio-lence, de la guerre civile, de l’anarchie, Mao charge l’armée de stopper les exactions des gardes rouges. À leur tour, ils sont massivement expédiés à la cam-pagne. Ces sacrifiés, à la fois complices des crimes du chef mais aussi cobayes d’un régime totalitaire, qui furent de grands déçus de la révolution, ont acca-paré aujourd’hui les hautes sphères du PCC, tel le président actuel Xi Jinping. Lorsque Mao meurt, le 9 septembre 1976, l’idéologie officielle du totalitarisme maoïste a toujours comme «�bible�» Le Petit Livre rouge. Entretemps, l’ouvrage a conquis des lecteurs hors les frontières de la Chine, est traduit en 37 lan-gues et s’est écoulé à ce jour à plus de 900 millions d’exemplaires (il n’y a que la sainte Bible et le Coran à rivaliser avec lui). En France, en 1968, la Gauche prolétarienne, foyer des «�maos français�», intègre à sa doxa les préceptes du Grand Timonier, séduite avant tout par «�la révolution dans la révolution�» et par la lutte contre «�l’impérialisme US�». Aujourd’hui, le terme «�petit livre rouge�» à l’image d’une marque, est régu-lièrement repris dans l’édition où l’on trouve des Petit livre rouge de la création d’entreprise, Petit livre rouge du président Sarko, Petit livre rouge du manager… ‡

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quotidienne de tout travailleur.93

DĒTOURS EN HISTOIRE

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Descendant d’une bonne famille britannique

(de riches brasseurs), Crowley étudie à Trinity

College (université de Cambridge), l’un des éta-

blissements les plus renommés du Royaume-Uni,

mais abandonne rapidement les sciences natu-

relles pour prendre le virage de l’ésotérisme actif.

Les conditions étaient sans doute réunies dans sonnoyau familial pour l’éloigner d’une forme de reli-gion classique. Protestant intégriste, son père étaitdevenu prêcheur itinérant après avoir abandonnéson emploi tandis que sa mère avait baptisé le jeuneAleister du doux nom de The Beast (la Bête), en réfé-rence directe à l’Apocalypse de saint Jean.

LE LIVRE DE LA LOIDès 1898, Crowley rejoint la secte

la plus en vue du moment, The

Hermetic Order of the Golden

Dawn (l’Ordre hermétique de

l’Aube dorée), où l’on emploie la

langue primitive d’Adam pour

communiquer avec les esprits.

Il y côtoie des grands noms de l’intel-ligentsia – de Conan Doyle à W. B.Yeats, futur Prix Nobel de littérature,et brûle les étapes avant d’être mis àla porte. Faisant de la polyvalence unvrai mode de vie, Crowley s’initie auxphilosophies et pratiques orientalescomme le yoga, excelle aux échecset dans l’alpinisme, menant au coursde ses nombreux voyages desassauts vers les plus hauts pics dumonde, notamment le K2 au Pakistan, où il dirige uneexpédition mythique avec le Suisse Oscar Eckensteinen 1902. Connu pour ses mœurs sexuelles débri-dées, il finit cependant par se marier et c’est lors deson voyage de noces en Égypte qu’il reçoit la révéla-tion. Au Caire, dans un état second, il dicte en troisnuits (du 9 au 11 avril 1904) un ensemble de 220formules obscures qui vont devenir le fameux Livrede la Loi. Celui-ci devient la bible de l’Ordo TempliOrientis (Ordre du Temple de l’Est, OTO), créé par un

En 2002, une enquêtede la BBC l’avait classé73e dans le palmarès descent plus grands Britanniquesde l’histoire. De son vivant,le magazine John Bull lequalifiait en revanche d’être« le plus pervers du monde ».

Personnalité insaisissable et cosmopolite,fusionnant une sexualité déréglée avec des rituelségyptiens, Aleister Crowley (1875-1947) est l’unedes principales figures de l’occultisme du xxe siècle.

CROWLEYS A T A N I S T E E N C H E F

L E S F A I T S D I V E R S D A N S L ’ H I S T O I R E

chimiste allemand, Karl Kellner, pour unifier les diffé-rents courants de la franc-maçonnerie. Cette tâcheherculéenne est vite abandonnée et l’OTO devient uneorganisation défendant une morale sexuelle très libre,et tentant d’accéder à la connaissance de la vérité pardes rituels magiques.

TOUTES LES COULEURS DU SATANISMECrowley, qui en prend le contrôle de fait, crée aussi

une structure parallèle, l’A A, Astrum Argentum,

qui se réclame de la rabelaisienne abbaye de

Thélème, dont elle reprend la devise, « fais ce que

vouldras ». Avec ses adeptes, Crowley la met en pra-tique dans une ferme isolée de Cefalù, en Sicile. Cetépisode qui suit la Grande Guerre est paré de toutesles couleurs du satanisme : on y passe une premièrenuit dans la Chambre des cauchemars sous l’emprisede la drogue, on s’y automutile chaque fois que l’onprononce le pronom « Je », on s’y livre à des orgiesdevant les enfants, on y vit au milieu des détritus – l’unedes filles de Crowley y mourra en bas âge (une autreétait morte dix ans plus tôt de la typhoïde à Rangoon).Tout cela pour réussir à harmoniser sa volonté indivi-duelle avec celle du cosmos… Mussolini, défenseurde la morale, fera fermer l’abbaye, poussant le mageCrowley à reprendre son existence itinérante. Soncosmopolitisme, ses voyages incessants, sa capa-cité à rebondir font de lui un personnage de roman.Méditant au bord du Loch Ness, animant un orchestrede neuf nymphomanes, les Ragged Ragtime Girls,agent secret de Sa Majesté, cocaïnomane, assassin(on ne connaît pas le nombre de ses victimes) et tra-ducteur du Tao Te King, cet homme aux mille visagesmérita bien une messe noire à sa mort… ‡

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LES CHRONIQUESDE L’HISTOIRE

Connu pour ses mœurs sexuelles débridées, il finit cependant par se marier

et c’est lors

de son voyage

de noces

en Égypte

qu’il reçoit

la révélation.

Aleister Crowley (1875-1947), par Gordon Wain. Sur son front, 666, le nombre de la Bête, fait référence à

l'Apocalypse de saint Jean, chapitre XIII, verset 18.

T E X T E D E R A F A E L P I C

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T E X T E D E D I D I E R D A E N I N C K X

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LES CHRONIQUESDE L’HISTOIRE

En 1943, Paul Éluard se réfugie à l’asile de Saint-Alban-sur-Limagnole, que dirige Lucien Bonnafé, connu pour ses méthodes progressistes. Le poète y découvre la misère, due à l’incurie du régime de Vichy, mais aussi un système de survie et de résistance et des patients artistes.

I M A G E S D E L ’ H I S T O I R E

PAUL ÉLUARDU N P O È T E C H E Z

LES FOUSEn novembre 1943, Paul Éluard et Nusch, sa

femme, arrivent à Saint-Alban-sur-Limagnole,

un village pauvre et austère de la Margeride, en

Lozère. Membre du Comité national des écrivains et des Éditions de Minuit clandestines, le poète a fait paraître sous son nom, quelques mois plus tôt, le recueil Poésie et Vérité qui contient le poème Liberté :

Sur mes cahiers d’écolierSur mon pupitre et les arbresSur le sable sur la neigeJ’écris ton nom…

QUAND LA POÉSIE PREND LE MAQUISPour Éluard, la dureté des temps exige que la poé-

sie se mesure aux circonstances, qu’elle prenne le

maquis. La force de ce texte est telle qu’il est joint

par dizaines de milliers d’exemplaires aux cargai-

sons d’armes et de munitions que les Alliés para-

chutent à destination des résistants français. La litanie galvanise les énergies. La police du régime de Vichy et les autorités allemandes se lancent alors sur la trace de son auteur sans pouvoir imaginer où il vient de trouver refuge, sous l’identité de Grindel. Le château de Saint-Alban, une ancienne forteresse médiévale, abrite en effet un asile d’aliénés depuis plus d’une centaine d’années. Près de 200 malades mentaux réfugiés des hôpitaux de Ville-Évrard (Seine) et de Rouffiach (Haut-Rhin) s’entassent dans des installations vétustes déjà occupées par les 600 patients de la région. Le directeur de l’éta-blissement, Lucien Bonnafé, est en relation avec les combattants de l’ombre. Avant-guerre, à Toulouse, il a animé un ciné-club d’avant-garde, diffusant les films de Luis Buñuel et Salvator Dalí, au mépris du scandale. Ses voyages à Paris, pour s’alimenter en bobines, l’ont mis en relation avec le groupe surréa-

liste : André Breton, Robert Desnos, Louis Aragon et, bien sûr, Paul Éluard à qui il a offert l’hospitalité dans son asile. L’adjoint du directeur est lui aussi un personnage hors du commun : psychiatre barcelo-nais, Francesc Tosquelles a exercé la médecine sur le front républicain pendant la guerre d’Espagne dans les rangs du POUM, un parti marxiste antis-talinien. Condamné à mort par les franquistes, il a connu les camps d’internement français avant d’être

transféré à Saint-Alban où, grâce à l’appui de Lucien Bonnafé, il expérimente des méthodes nou-velles, tenant compte de la per-sonnalité des internés. Le malade est placé au centre des préoccu-pations, au cœur du lien social. On le libère de ses entraves, on l’appelle par son nom au lieu d’un numéro, il a à sa disposition une chapelle, une salle de projection, de théâtre, une bibliothèque… Une monnaie interne lui permet d’acheter une infusion, des ciga-rettes, de la confiture, grâce à son travail. Cette véritable révolution, qui donnera naissance à la «�psy-

chiatrie institutionnelle�», s’accomplit pourtant dans une période marquée par la restriction drastique des moyens financiers attribués aux asiles par le régime de Vichy. Partout en France, derrière les murs d’en-ceinte, la famine s’installe. Les malades broutent l’herbe des pelouses, mangent les racines, les écorces. On estime le bilan de la surmortalité dans les hôpitaux psychiatriques à plus de 40�000 indi-vidus dont Camille Claudel à Monfavet (Vaucluse) où 800 malades mourront de faim sur un effectif

Cette résistance

quotidienne, ainsi que le trucage des statistiques, permet d’éviter le pire à Saint-Alban même si l’extrême

misère marque

les corps comme

l’écrit Éluard.

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DIDIER DAENINCKX

Né à Saint-

Denis, installé

à Aubervilliers,

Didier Daeninckx

a été ouvrier

imprimeur et

journaliste localier avant de passer

au «�métier�» d’écrire en publiant

au début des années 1980 Mort

au premier tour et Meurtres�pour mé moire (Série noire, Gallimard).

Abordant tous les genres littéraires,

son œuvre féconde s’enracine dans le

terreau de la réalité sociale et politique.

Caché dans la maison des fous vient de paraître

aux Éditions Bruno Doucey.

de 2�000 personnes. Paul Éluard est témoin des efforts accomplis par Lucien Bonnafé et Francesc Tosquelles, aidés par les sœurs de la congrégation Saint-Régis, pour sauver les patients de Saint-Alban.

RÉSISTANCE QUOTIDIENNECertains patients sont placés chez des pay-

sans où ils remplacent les prisonniers, plusieurs

dizaines sont mobilisées pour la culture des

légumes, une production qui assure une certaine

quantité par personne chaque jour. On fait la cueil-lette des champignons, des baies, on ramasse les escargots, les châtaignes, on élève quelques bêtes dans une annexe, la ferme du Villaret, on tisse, on tricote pour se protéger du froid… Cette résis-tance quotidienne, ainsi que le trucage des statis-tiques, permet d’éviter le pire à Saint-Alban même si l’extrême misère marque les corps comme l’écrit Éluard lorsqu’il esquisse l’un des sept portraits qu’il consacre aux internées croisées lors de son exil en terre sans raison :

Le visage pourri par des flots de tristesseComme un bois très précieux dans la forêt épaisseElle donnait aux rats la fin de sa vieillesseSes doigts leur égrenaient gâteries et caressesElle ne parlait plus elle ne mangeait plus.

Il y rencontrera également Auguste Forestier, interné depuis 25 ans pour avoir fait dérailler un train et devenu sculpteur. Le poète, contre quelques ciga-rettes, fera l’acquisition de plusieurs pièces étranges composées de matériel de récupération : bois de cagettes, os de boucherie, morceaux de panse-ments… De retour à Paris, il en offrira à Raymond Queneau, à André Breton, à Pablo Picasso. Un autre de ses amis, le peintre Jean Dubuffet, en visite chez Éluard tombera en admiration devant le Roi fou. Il prendra bientôt le train pour Saint-Alban. En 1945, il inventera le concept d’Art brut pour désigner les œuvres produites par des créateurs dépourvus de culture artistique. Des œuvres aujourd’hui exposées dans les musées les plus prestigieux. ‡

Photographiés par leur amie Lee Miller,Paul Éluard et sa deuxième épouse, Nusch, égérie et mo-dèle d’artistes comme Man Ray ou Picasso.

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Page 98: Detours en Histoire 10

T E X T E D E B Ē N Ē D I C T E C H A C H U A T

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Une « apothéose de la cruauté » ! C’est ainsi que la critique a salué

ce tableau d’Eugène Delacroix représentant la fin de Sardanapale, roi

d’Assyrie au viie siècle avant J.-C. qui, assiégé par ses ennemis dans

son palais, choisit de se suicider et d’entraîner dans la mort femmes,

esclaves et animaux. Présenté au Salon de 1827, ce tableau romantique,dont le sujet fut inspiré par les écrits de Byron et de Diodore de Sicile, estune peinture de la folie destructrice du tyran telle que la conçoit Delacroix.

L A M O R T D E

SARDANAPALE

A - SARDANAPALE : JUGE ET SPECTATEUR DU MASSACRE

Le personnage principal du tableau, mis en valeur par sa position au sommet de

la diagonale de lumière qui éclaire la scène, est le roi Sardanapale. Vêtu de blanc, allongé sur son lit, la tête reposant sur sa main, le roi semble assister avec calme et détermination au massacre qu’il a ordonné, avant de se donner la mort. La sérénité du roi contraste avec la scène d’horreur qui se déroule autour de lui.

L ’ H I S T O I R E A U T A B L E A U

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B - MYRRHA, FAVORITE DU ROI

Aux pieds de Sardanapale gît Myrrha, sa favorite. À demi allongée, les cheveux épars, le cou dégagé, les bras en croix, on ne sait si l’esclave attitrée du roi est déjà morte ou si elle supplie le roi de l’épargner. La blancheur de sa nudité, qui rappelle la tunique du roi, contraste fortement avec l’étoffe rouge qui recouvre le lit, symbole de la violence à l’œuvre dans cette scène et du sang qui coule.

D - LE CHEVAL, VICTIME DU MASSACRE

Non content de sacrifier ses proches et serviteurs, le roi fait également

mettre à mort ses animaux, dont ce cheval qu’un esclave noir semble tirer

pour le faire entrer de force dans le cadre du tableau. Le contraste de lumière est marqué entre la robe grise du cheval revêtu de harnachements précieux et la noirceur de la peau de l’esclave qui tire la bête par la bride.

C - L’ESCLAVE DU ROI

À la droite de Sardanapale, malgré la scène d’horreur à laquelle il assiste,

un esclave poursuit impassiblement son service. Dans la notice du tableau, Delacroix nous apprend que cet échanson qui se tient dans la pénombre se nomme Baléah. Il présente à son maître, qui semble ne pas lui prêter attention, une aiguière, une serviette et un bassin.

E - MISE À MORT D’UNE FAVORITE

Juste en face du lit, un garde tient par le bras une favorite qu’il s’apprête

à poignarder sous les yeux du tyran. Le corps voluptueux de la jeune femme, révélé par la tunique tombée à terre et sa posture cambrée, n’émeut pas son bourreau au regard déterminé. Cette femme, située à l’extrémité de la diagonale de lumière, n’est qu’une des nombreuses victimes de la folie égoïste du roi.

F - UN TABLEAU ORIENTAL

L’inspiration de Delacroix est

nettement orientalisante à

une époque où l’Orient attire

les artistes. Le sujet lui donne l’occasion de représenter une profusion d’objets exotiques dont l’amoncellement crée un effet de confusion. C’est une représenta-tion romantique de la scène que le peintre a choisi de donner, loin de la rigueur du néoclassicisme.

Page 99: Detours en Histoire 10

La Mort de Sardanapale, 1827, Eugène Delacroix (1798-1863), Paris, musée du Louvre.

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G - DE LA SUPPLICATION À LA RÉSIGNATION

Les serviteurs et proches du roi ne réagissent pas tous de

la même façon à la décision funeste de leur souverain. C’est cette diversité de réactions que Delacroix représente dans le coin droit du tableau. Un des serviteurs implore le roi et tend le bras vers lui dans un signe de supplication. L’autre, derrière, se tient la tête dans les mains, l’air résigné, ne prend pas la peine de regarder le roi, comme s’il avait compris que sa décision était irrémédiable et qu’il ne pourrait échapper à la mort.

H - LA VILLE EN FEU

Afin d’éviter que l’ennemi qui assiège le palais

ne puisse profiter de ses richesses,

Sardanapale a ordonné de faire brûler la ville,

appliquant dès cette époque la politique

de la terre brûlée. Les quelques bâtiments que l’on peut distinguer dans la partie supérieure du tableau sont ainsi comme obscurcis par un voile de fumée, qui assombrit l’atmosphère de la scène.

G

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Page 100: Detours en Histoire 10

Quand la IIIe République mobilisaient ses « hussards » pour enseigner aux enfants de l’écolepublique, laïque et obligatoire, quelques couplets nationalistes pas du tout innocents.

E N P A S S A N T P A RP O P U L A I R E M A I S P A S I N N O C E N T E

Pour asseoir les bases de son autorité, diffuser sa propa-

gande, promouvoir ses vertus idéologiques, la IIIe République

s’attache à former les esprits les plus aisément malléables : les enfants de l’école primaire, laïque et obligatoire. Les soldats de l’Instruction publique vont être les maîtres d’école que Péguy baptisera dans l’Argent les «�hussards noirs�». L’amour de la patrie, le courage dans le travail, le respect de l’ordre social, l’unification linguistique… des valeurs qui se retrouvent dans Le Tour de la France par deux enfants, manuel de lecture écrit par Augustine Fouillée, sous le pseudonyme de G. Bruno.

ESPRIT REVANCHARDMais plus que la lecture, ce sont les chansons qui occupent

les enfants dans les cours de récréation. Et alors que la guerre à l’éradication des parlers régionaux revêt des allures de croi-sades, et lamine les répertoires de comptines, devinettes, et chansonnettes en ce qu’on nomme avec mépris les «�patois�», il faut s’atteler à créer un répertoire de chansons traditionnelles en français, débarrassées d’un «�prêchi-prêcha�» catholique, de références guerrières, voire de grivoiseries. C’est là qu’entre en scène le cercle Saint-Simon. Nous sommes en 1885. Le cercle est né deux ans plus tôt. Il compte parmi ses membres des hauts

fonctionnaires, des administrateurs coloniaux, des recteurs d’aca-démie. On y croise Paul Bert, José Maria de Heredia, Paul Vidal de La Blache, Anatole France ou Ernest Renan. L’objectif de l’asso-ciation est de «�maintenir et étendre l’influence de la France par la propagation de sa langue�». On y parle de supériorité de la race blanche, de positivisme, de faire de la France une nation puissante et hégémonique sur ses colonies, dans un esprit affiché revan-chard, la défaite de 1871 ne passant décidément pas. Nos «�saint-simoniens�» vont plonger dans des recueils en vieux françois du Moyen Âge et de la Renaissance. Le collège de chercheurs, diri-gés par le médiéviste et académicien Gaston Paris, parvient à faire une chanson neuve avec des vieux airs�; l’œuvre s’intitule : En passant par la Lorraine. Et les gros sabots – dondaine�! – sont vite de sortie, comme pour mieux mobiliser le peuple des campagnes à marcher au pas contre l’envahisseur, ces Germains qui «�nous ont volé l’Alsace et la Lorraine�». Une simple chanson pour les enfants, à la mélodie aussi simple qu’entêtante, va servir la grande cause nationale de la revanche. Les «�sabots dondaine�» rejoignent les brodequins à clous des soldats de l’infanterie française. Les fan-fares militaires inscrivent officiellement à leur répertoire En pas-sant par la Lorraine, aux côtés de La Marche lorraine, de Louis Ganne, sur des paroles de Jules Jouy et Octave Pradels. ‡

En passant par la LorraineAvec mes sabots,

En passant par la LorraineAvec mes sabots,

Rencontrai trois capitaines, Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

Rencontrai trois capitaines, Avec mes sabots,

Rencontrai trois capitaines,Avec mes sabots,

Ils m’ont appelée vilaine,Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

Ils m’ont appelée vilaine,Avec mes sabots,

Ils m’ont appelée vilaine,Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

Je ne suis pas si vilaine, Avec mes sabots,

Je ne suis pas si vilaine, Avec mes sabots,

Le fils aîné du roi m’aime, Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

Le fils aîné du roi m’aime, Avec mes sabots,

Le fils aîné du roi m’aime, Avec mes sabots,

M’a donné pour mes étrennes, Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

M’a donné pour mes étrennes, Avec mes sabots,

M’a donné pour ses étrennes, Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

M’a donné pour mes étrennes,Avec mes sabots,

M’a donné pour ses étrennes,Avec mes sabots,

Un bouquet de marjolaine, Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

Un bouquet de marjolaine, Avec mes sabots,

Un bouquet de marjolaine, Avec mes sabots,

S’il fleurit je serai sienne,Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

S’il fleurit je serai sienne, Avec mes sabots,

Mais s’il meurt, je perds ma peine,Avec mes sabots, dondaine,

Oh�! Oh�! Oh�! Avec mes sabots.

LA LORRAINE

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LES CHRONIQUESDE L’HISTOIRE

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Page 103: Detours en Histoire 10

Natif d’Athènes, si Dédale s’est

retrouvé à mettre ses talents

au service du roi Minos de Crète,

ce n’est pas par goût du voyage,

mais parce qu’il fut condamné à

l’exil après une sombre histoire

de rivalités familiales. En effet,notre artisan génial, dont la sœurlui confie son fils afin qu’il en fassel’éducation, ne supporte pas devoir l'élève dépasser rapidementle maître et lui faire de l’ombre. Enproie à la jalousie, il précipite sonneveu Perdix (aussi appelé Talosou Calos) du haut de l’Acropole.Heureusement, Athéna intervientpour sauver le jeune homme dela mort en le transformant en unoiseau à qui il donne son nom. Pour cet acte, Dédale comparaît devant l’Aréopage qui le condamne à l’exil. Dédale se réfugie alors en Crète, à Cnossos. C’est le début d’une tout autre vie pour cet artisan de génie.

LE LABYRINTHE DU MINOTAURELa période crétoise de Dédale est marquée par

trois inventions ayant inspiré bien des récits aux

Anciens. La plus originale est sans nul doute le simu-lacre de vache fabriqué par l’artisan afin de servir de cachette à la reine Pasiphaé pour qu’elle puisse assouvir sa criminelle passion pour un taureau. Cette réplique de bovin est si réaliste qu’elle trompe le tau-reau et conduit à l’accouplement des deux amants. Quelque temps après, Pasiphaé donne naissance à un être moitié homme - moitié taureau, le Minotaure, qui va mettre une nouvelle fois à l’épreuve l’ingéniosité de Dédale. Afin d’enfermer et cacher ce monstre, Dédale reçoit l’ordre de Minos de construire le Labyrinthe, enchevêtrement souterrain de couloirs et de tunnels, dans lequel il était possible de rentrer mais non de ressortir. L’habileté de l’architecte consiste, comme le rapporte le poète Ovide, à faire «�en trompe l’œil,

pour mieux brouiller les pistes, sinuer les détours de voies multipliées�». C’est encore Dédale qui, quelques années plus tard, invente le fil grâce auquel Ariane réussit à faire sortir Thésée du Labyrinthe. Furieux de la trahison de Dédale, Minos enferme l’architecte et son fils pour les empêcher de quitter l’île. C’est sans compter sur l’ingéniosité de Dédale qui, décidant d’em-prunter la voie des airs, invente des ailes semblables à celles des oiseaux. Cette trouvaille va cependant cau-ser une perte terrible à Dédale. Ovide, au livre VIII des Métamorphoses, rapporte les conséquences fatales de cette invention : oublieux des recommandations de son père, le jeune Icare s’approche trop près du soleil et fait fondre la cire avec laquelle sont attachées les ailes, entraînant du même coup une chute fatale dans la mer. Accablé de chagrin, Dédale se réfugie en Sicile où, après avoir échappé définitivement à Minos, il termine sa vie non sans avoir laissé à la postérité un héritage conséquent.

DES INVENTIONS À FOISON Fascinés par les talents de Dédale, les Anciens

lui attribuent nombre de découvertes. Inventeur de la sculpture, ses statues sont si réalistes qu’elles paraissent vivantes : en effet, comme le dit Platon dans le Menon, «�si elles n’ont pas un ressort qui les arrête, [elles] s’échappent et s’enfuient�». Ces statues extraordinaires étaient dotées d’yeux et de jambes qu’elles étaient capables de mouvoir. Pour ce qui est de l’architecture, Dédale aurait également construit en Sicile un réservoir à eau, un bain à vapeur, une for-teresse. Son domaine de compétences s’étend aussi à la navigation puisqu’on lui attribue la paternité des premières voiles. Certains prétendent même que l’architecte athénien serait à l’origine des plans des célèbres pyramides et temples égyptiens. Enfin, les menuisiers doivent beaucoup à Dédale qui leur aurait transmis de nombreux outils comme la hache, la scie, le fil à plomb ou encore le foret. De quoi rendre jaloux les inventeurs du concours Lépine ! ‡

Pour aller plus loin : Ovide, Métamorphoses,livre VIII, Folio Classique.

L ’ I L L U S T R E I N C O N N U

Au sens propre, «�lieu où l’on peut s’égarer�», comme au figuré, «�ensemble compliqué�», le dédale tire son nom du per-sonnage mythologique éponyme, célèbre pour ses œuvres et inven-tions extraordinaires. Réputé meilleur peintre et sculpteur d’Athènes, Dédale (du grec ancien

signifiant «�l’artiste�» tire sa réputation, comme le rappelle le géographe Pausanias, tant de ses voyages et malheurs que de ses talents.

DEDALELE GENIALA R T I S A N

T E X T E D E B É N É D I C T E C H A C H U A T

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DĒTOURS EN HISTOIRE

Les menuisiers doivent beaucoup

à Dédale qui leur aurait

transmis de nombreux outils comme la hache, la scie, le fil à plomb ou encore le foret.

Dédale [à gauche] et Icare. Peinture, vers 1620, de Antoine van Dyck (1599-1641). Toronto, musée des beaux-arts de l'Ontario. Pour sortir du Labyrinthe, père et fils se dotent d'ailes, fixées par de la cire. Cela signera la fin d'Icare, qui, malgré les consignes de son père, s'approchera trop près du soleil…

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Page 104: Detours en Histoire 10

Elles insufflent vigueur ethumour à nos conversations.Les expressions populairesforment le creuset communde l’histoire des mots.Mais d'où viennent-elles,quel est leur sens réel ?SA VESTE

Alors que les pavés parisiens volent dans le Paris du prin-

temps 1968, Jacques Lanzmann écrit pour Jacques Dutronc L’Opportuniste : Il y en a qui conteste/Qui revendique et qui

proteste/Moi je ne fais qu’un seul geste/Je retourne ma veste/

Je retourne ma veste/Toujours du bon côté

Des opportunistes, nous en croisons tous les jours. Le terme est aujourd’hui connoté négativement, jusqu’à avoir gagné un rang d’expression populaire. En a-t-il toujours été ainsi�? «�Retourner sa veste�» n’est usité dans notre langage quotidien que depuis environ 100 ans. Au xviie siècle, on disait «�tourner casaque�». Petit-fils de François Ier et gendre de Philippe II d’Es-pagne, Charles-Emmanuel Ier (1562-1630) est prince souve-rain allié de fait à l’Espagne. Il règne sur les prospères États du Piémont et de Savoie. Roué stratège, habile diplomate, il ne rêve que de devenir roi. À la faveur des guerres de Religion, il annexe le marquisat de Saluces, État géostratégique alpin, contrôlant un axe majeur entre le Piémont et la France. Henri IV, refusant de s’en laisser conter par l’arrogant duc de Savoie, attaque le

Piémont et la Savoie qui rendent les armes, le traité de Lyon démantelant les possessions du duc.

REVIREMENT DE SITUATIONCharles-Emmanuel  Ier opère en 1610 un premier revire-

ment de situation en s’alliant avec son ennemi d’hier, la France. Les deux puissances envisagent d’attaquer l’Espagne et d’unir Élisabeth de France, fille aînée d’Henri IV, avec le fils aîné de Charles-Emmanuel, Victor-Amédée. L’assassinat d’Henri IV le 14 mai 1610 déjouera tous les plans. Mais, alors que la guerre de succession du duché de Mantoue (1628) gronde, le duc de Savoie trahit de nouveau la France en s’alliant, cette fois, avec l’Empire. C’est ainsi qu’il ne va cesser de passer d’un camp à l’autre ne visant qu’à consolider son territoire et assouvir son appétit de conquête expansionniste. La légende retient que le duc de Savoie affectionnait de porter une casaque (sorte de pale-tot à larges manches) bicolore. Au recto, elle était blanche, au verso, rouge. Arborer le blanc signifiait qu’il était avec la France, afficher le rouge qu’il se rangeait du côté de l’Espagne. ‡

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LES CHRONIQUESDE L’HISTOIRE

T E X T E D E D O M I N I Q U E R O G E R

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NAPOLÉONINVALIDES ?

En 2008, Franck Ferrand consacrait un chapitre entier de son

ouvrage L’Histoire interdite à l’énigme du tombeau des Invalides.

Sept ans plus tard, non seulement il ne renie pas sesquestionnements d’alors, mais il aurait tendance à les renouveler.Retour sur les circonstances troubles d’une exhumation d’État…

PA R FR ANCK FE RR ANDHistorien, écrivain, voix de l’Histoire sur France 3 et animateur de l’émission quotidienne Au cœur de l’histoire sur les ondes d’Europe 1, Franck Ferrand vous donne rendez-vous dans chaque numéro de Détours en Histoire. Sous sa plume, laissez-vous conter les petites et les grandes histoires qui ont tissé notre passé national. P

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EN PARTENARIAT AVEC

Le pavillon des Briars, à Sainte-Hélène, appartenant à la France. Après son débarquement dans l’île, en octobre 1815, Napoléon y vécut les semaines les plus heureuses de sa captivité. Situé à proximité de la seule ville de l’île, Jamestown, le site des Briars fait aujourd’hui l’objet d’une forte pression immobilière.

Portrait de Napoléon Ier à Longwood (Sainte-Hélène), dictant ses mémoires au général Gourgaud. Peinture de Charles Auguste Steuben (1788-1856), coll. privée.

Page 108: Detours en Histoire 10

5 mai 1821 : après une longue et pénible ago-nie, Napoléon Bonaparte s’éteignait en expi-rant ce que Chateaubriand devait appeler «�le plus puissant souffle ayant jamais animé l’argile humaine�». Celui qui avait été l’empe-reur Napoléon Ier et avait tenu l’Europe dans sa main disparaissait donc, loin de tout et de tous… À Sainte-Hélène, un îlot volcanique perdu dans l’Atlantique sud – Sainte-Hélène, ultime pri-son d’un empereur déchu, devenu las et obèse… Après son inhumation dans une tombe sise au creux de l’île, dans le sinistre Val du Géranium (Sane Valley), la dépouille impériale devait attendre dix-neuf années que la France la réclame enfin et lui offre pour dernière sépulture le majes-

tueux dômedes Invalides. Le «�retour des cendres�» impé-riales, en 1840, marquerait tout à la fois – c’est un paradoxe –

l’apothéose de l’empire défunt et l’apogée de la monarchie de Juillet. Pourtant, un doute subsiste à propos du contenu du plus célèbre tombeau de la planète. En 1969, à l’occasion du bicentenaire napoléonien, un journaliste doublé d’un érudit – il se fait appeler Georges Rétif de La Bretonne – lance un pavé dans la mare en affirmant que le mausolée des Invalides n’aurait jamais hébergé les restes de l’Empereur !

INEXPLICABLES INCOHÉRENCESSur quoi s’appuie donc cette révélation explo-sive ? Tout simplement, Rétif a épluché, des semaines durant, les comptes rendus de l’in-humation, en 1821, et ceux de l’exhumation de 1840. Il a comparé scrupuleusement ce que les témoins présents – et notamment les compa-gnons de l’Empereur – ont pu consigner et ce, à près de vingt ans d’écart. Or, le fruit de ses compa-raisons laisse sans voix : les descriptions données présentent des différences majeures et d’inexpli-cables incohérences… À y regarder de près, tout semble avoir changé entre 1821 et 1840 : le nombre

Rétif de La Bretonne lance un pavé dans la mare en clamant

que le mausolée des Invalides

n’aurait jamais hébergé

les restes de l’Empereur !

La mort de Napoléon. Lithographie en couleur de Charles Steuben, 1825, coll. privée. L’Empereur avait 51 ans.

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Page 109: Detours en Histoire 10

des cercueils imbriqués les uns dans les autres�; le type d’uniforme porté par le défunt et la dispo-sition de ses décorations�; jusqu’aux objets aran-gés dans la bière, autour du corps : tout s’oppose, tout se contredit d’une date à l’autre. Notons que personne, en 1840, n’a manifesté officiellement de surprise ou d’inquiétude à cet égard.

PARFAIT ÉTAT DE CONSERVATIONCe qui, néanmoins, met la puce à l’oreille de Rétif, c’est la sidération unanime, en 1840, devant le parfait état de conservation du corps de l’Empereur – et notamment devant l’aspect intact, d’apparence momifiée, de son visage émacié, au nez tout effilé… Dix-neuf ans plus tôt, l’état de décomposition avancée du cadavre avait dû hâter les formalités, le défunt présentant alors un visage bouffi, défait, aux traits bien affaissés ! Comment expliquer une telle inversion du prin-cipe d’entropie ? Notre détective historique fronce les sourcils et se retrousse les manches. Or, ce que ses études vont l’amener à constater dépasse vite le champ de son entendement… Tous les témoins

le confirment : en 1840, ce ne sont pas moins de quatre cercueils qu’il aura fallu ouvrir, patiem-ment, avant d’atteindre le corps exhumé. Rétif vérifie : lors de l’inhumation, en 1821, le nombre de cercueils n’était que de trois ! Un premier, de fer-blanc, dans un deuxième en plomb, le tout inséré dans un cercueil en acajou qui ne sera d’ail-leurs apporté que deux jours après la mise en bière. Le procès-verbal rédigé par Marchand, le valet de chambre, le 7 mai 1821, est très clair à cet égard : le corps de Napoléon est bel et bien installé dans trois cercueils… De son côté, le général Bertrand note dans ses Souvenirs que, le 7 mai, on a scellé le fer-blanc et ensuite le plomb – sans aucun cer-cueil intermédiaire. Comment expliquer, dans ces conditions, qu’en 1840, un second cercueil d’aca-jou soit venu s’intercaler entre le cercueil en fer-blanc et celui tout de plomb ?

DES DIFFÉRENCES CRIANTESAutre détail troublant : certains témoins racontent qu’au moment de l’enterrement, les cercueils ont été déposés sur deux poutres de bois, elles-mêmes disposées au fond du caveau. En 1840, d’autres témoins nous décrivent, d’une seule voix, les cercueils posés à même la terre, au point d’immobiliser sous leur poids les cordes de suspentes ! Ce n’est pas tout : si l’on s’intéresse au contenu de la sépulture, d’autres différences sautent aux yeux, tout aussi criantes : ainsi, en 1821, Marchand avait paré Napoléon du grand cordon de la Légion d’honneur, placé sur son uniforme, de manière très visible�; en 1840, les témoins constatent, benoîtement, que le cordonest passé sous l’habit – la croix elle-même ayant

Procession funéraire de

Napoléon Bonaparte à

Sainte-Hélène, mai 1821.

Aquatinte en couleur de Johann Lorenz Rugendas

(1775-1826), coll. privée.

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Ce qui met la puce à l’oreille de Rétif, c’est la sidération

unanime, en 1840, devant le parfait état

de conservation du corps

de l’Empereur, notamment devant l’aspect intact

de son visage émacié.

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Page 110: Detours en Histoire 10

du reste disparu… Dans ses Mémoires, le fidèle valetde chambre raconte qu’en 1821, il avait revêtu lespieds du défunt de bas de soie blanche, avant de leschausser de bottes. Le médecin Antommarchi pré-cise de son côté que ces bottes portaient des épe-rons – éperons dont on ne trouve plus aucune traceen 1840. Quant aux bottes, elles ont été décousues– et non pas déchirées, pour laisser passer le boutdes pieds nu, sans trace du moindre bas !

PLUSIEURS MASQUES MORTUAIRESOn n’en finirait pas d’établir la liste de ces trou-blantes différences. Leur accumulation sembleindiquer, à tout le moins, qu’entre 1821 et 1840,« on » est venu trifouiller et tripatouiller dansla tombe isolée du Val du Géranium. « On » ?Mystère dans le mystère. Pour le médecin rochelais

Bruno Roy-Henry, continuateur des recherches de Georges Rétif de la Bretonne, la solution de l’énigme est à chercher du côté des masques mor-tuaires de l’Empereur�; je dis bien «�des�» masques – au pluriel – car il en existe deux modèles fort dis-semblables, ce qui n’est pas ma source d’étonne-ment la plus mince… Selon Roy-Henry, le masque présenté comme la relique officielle – appelé «�masque Antommarchi�» – «�ne correspond en rien à la physionomie de l’Empereur�».

STIGMATES D’OBÉSITÉEn vérité, l’empreinte aurait pu en être prise sur le visage d’un frère de lait de Napoléon, son maître d’hôtel Cipriani, dont les traits émaciés, dont le nez aquilin, correspondent étrangement à la description donnée de l’exhumé de 1840. Précisons que Cipriani s’était lui-même empoi-sonné à l’arsenic, à Sainte-Hélène, trois ans avant la mort de l’Empereur. Quant à l’autre masque – connu sous le nom de «�masque Rusi�» – avec ses traits affaissés et ses stigmates d’obésité, il s’agirait du véritable masque mortuaire de Napoléon, ce que tendraient à confirmer de récentes études géné-

Le retourde la dépouillemortellede Napoléon,en France,décembre 1840.Lithographieen couleurde Jean-VictorAdam. Moscou,musée Borodino.

L’ouverture du cercueil de Napoléon Bonaparte sur l’île de Sainte-Hélène, le 16 octobre 1840. Lithographie en couleur de Jean-Victor Vincent Adam (1801-1867). Moscou, musée Borodino.

Selon Rétif, le roi George IV,

ancien ennemi transi

de Napoléon et grand amateur de souvenirs macabres,

aurait souhaité récupérer la dépouille impériale lFi

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Page 111: Detours en Histoire 10

tiques menées sur des poils de barbe emprisonnésdans l’empreinte. Ainsi paraît-il plus que probable,de nos jours, que le premier des deux masques a étésubstitué au second, peut-être dans l’intention delaisser à la postérité une image de Napoléon plusdigne du souvenir du fringant général Bonaparte…Or, les descriptions du visage de Napoléon, livréespar les témoins de l’exhumation de 1840, corres-pondent à l’image du masque Antommarchi, pas àcelle du masque Rusi. Selon Rétif, selon Roy-Henry,la substitution des masques n’aurait fait que pré-céder celle des corps. Et c’est parce qu’ils s’étaient rendus complices de la première imposture que les compagnons de l’Empereur n’auraient pas dénoncé la seconde…

AMATEUR DE SOUVENIRS MACABRESAutrement dit, selon eux, c’est le corps de Cipriani, et non celui de Napoléon, que l’on a transféré aux Invalides en 1840 ! Ce qui est incontestable, c’est qu’en 1828 – donc entre la date de l’inhumation et celle de l’exhumation – l’ancien gouverneur anglais de Sainte-Hélène, Hudson Lowe, a reçu l’ordre de quitter Ceylan et de rentrer en Angleterre en faisant escale dans son ancien îlot – non sans y avoir récupéré, au pas-sage, le char funèbre de 1821 ! De là à conclure que

ce corbillard a servi à rapatrier, plus ou moins dis-crètement, le corps de l’Empereur jusqu’ à Londres, il n’y a qu’un pas – et Rétif le franchit ! Selon lui, le roi George IV, ancien ennemi transi de Napoléon et grand amateur de souvenirs macabres, aurait souhaité récupérer la dépouille impériale pour la disposer dans la crypte fermée de l’abbaye de Westminster. Il ne s’agit là que de supputations�; mais des supputations auxquelles tout ce qui pré-cède ne manque pas de conférer un certain poids… Dois-je rappeler ici un pressentiment exprimé par l’Empereur, le 27 mars 1821 – soit un peu plus d’un mois avant sa mort ? «�La seule chose à craindre est que les Anglais ne veuillent garder mon cadavre et le mettre à Westminster. Mais qu’on les force à le rendre à la France�; qu’on le signifie au Prince Régent de telle manière qu’il ne soit pas tenté de garder mes cendres�; après m’avoir assassiné, c’est le moins qu’ils rendent mes cendres à la France, la seule patrie que j’aie aimée, où je désire être enterré.�» Et le mois sui-vant, il lançait au médecin anglais Arnott : «�Si vos oligarques me placent à Westminster, je leur prédis que le peuple anglais jurera sur ma tombe l’anéan-tissement du pouvoir de la Maison de Brunswick et de l’oligarchie.�» À la lueur de ce que nous venons de noter, cette crainte de l’Empereur ne devrait-elle être prise au sérieux ? ‡

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Le tombeau en quartzite rouge où repose, depuis 1847, l’Empereur, sous le dôme des Invalides, Les douze statues de «�Victoire�» entourant le tombeau sont de Jean-Jacques Pradier.

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Page 112: Detours en Histoire 10

MOTS FLÉCHÉSCHEVALIERS ET CHEVALERIE

Avec les neuf cases numérotées,reconstituez le nom d’un futur chevalier. 1 2 3 4 5 6 7 8 9

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AIMÉ DE LA REINE GUENIÈVRE

APPRENTI CHEVALIER

MONNAIES ROUMAINESANCIENNE

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PEUT QUALIFIER

LE CONTACT EN TOURNOI APRÈS J.-C.

PLANTE AROMA-

TIQUEPIÈCE

NORDIQUE

CHEVALIER ARDENT

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VILLE DU PÉROUQUI A ÉTÉ STÉRILISÉ

ENTREVICOMTE ETCHEVALIERMULTIPLE

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TITRE DECHEVALIER

OBJETD’UNE QUÊTE

(...-GRAAL)PARTIE

DU JOURBON

SERVICE

RÉSIS-TANTES

EXCLA-MATIONPRÉFIXE

NOVATEURÉTÉ BIENCONTENT

SE MOQUE

ASPIRANTLIGNESIMPOR-TANTES

COURA-GEUX

COMME UN CHEVALIER

AUXILIAIRE

ANNÉE- LUMIÈRE

MOTCAPRICIEUX

OUTILDE PAVEUR

INCRO-YABLE

A CONFÉRÉUN TITRE

SABLE SURL’ÉCU DU

CHEVALIERDE PLUS

OUBLIASE GRATTE

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NÉGATIONCHEVALIER

DESCHANSONSDE GESTE

CHEMINAU BORD

DU CANALARBRES

DESCOULEURSDUBLASON

PARASITEDU CHEF

AMOU-REUSE…

EST DONNÉÀ LA BALLEEN SLIÇANT

PERSONNELORGANI-SATION

POLITIQUEMÉDIÉVALE

CYCLE DELA ... RONDEOU CYCLED’ARTHUR

RIVIÈRED’ASIEPARTIE

DE POULIE

MATIÈRE POUR

UNE ROBE DE MOINE

PRÉPOSI-TIONJEU

CHINOIS

DANGERSPOUR LESCOQUES

TYPEDE DÉSERT

RUBIDIUM

ARTICLEUNIQUE

LES INFOSEN IMAGES

COURTOISPOUR LE

CHEVALIERGÉNIES

COMPLÉ-MENT

DE MISSIVE

COMPACT

ATTACHENTCOMBAT EN LICE

SE BRISAIENTLORS DESTOURNOIS

MEMBRED’UN ORDRE

MILITAIREPATRON

FIGUREPOUR

RENAULTGROS

MANGEURÉTAIENT

DONNÉS AUX VASSAUX PAR LEUR SEIGNEUR

OBTENUEPÂTE DE SUC

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Page 113: Detours en Histoire 10

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