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Sylvie Daumal Design d’expérience utilisateur PRINCIPES ET MÉTHODES UX DESIGN

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Des fondamentaux au developpement

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  • Sylvie Daumal

    Design dexprienceutilisateur

    PRINCIPES ET MTHODES UX

    DESIGN

  • Con

    cept

    ion

    Nor

    d C

    ompo

    DESIGN

    Le design dexprience utilisateur (ou UX design) est un travail sur la qualit de lexprience vcue lors de lusage dun site web, dune application mobile ou tablette, dune borne inte-ractive ou de tout autre dispositif numrique.

    Dissipant mauvaises interprtations et contresens, lauteur explique les principes et le processus de lUX et dtaille les diffrentes mthodes applicables en contexte professionnel, touchant aussi bien lergonomie ou larchitecture de linformation qu la stratgie de contenu. Illustr de retours dexprience de spcialistes et de nombreux exemples, enrichi dun glossaire et des rfrences indispensables pour aller plus loin, cet ouvrage offre au designer comme au dcideur toutes les cls pour en aborder la pratique.

    Un livre essentiel pour tout professionnel concern par un projet numrique !

    AU SOMMAIRE

    Le processus de lUX Stratgie Brief, cahier des charges et objectifs Parties prenantes Inventaire et analyse du contenu Proposition de valeur Impact sur le modle dentreprise La recherche utilisateur Mthodes (Web Analytics, interviews, tri de cartes) Personas Cartographie de lexp-rience Diagrammes dalignement Lidation Croquis Techniques et formalisation Livrables Co-cration et Lean UX Litration Prototypes et tests Avenir et enjeux.

    Cod

    e G

    1345

    6IS

    BN 9

    78-2

    -212

    -134

    56-8

    Un livre formidable! Un magnifi que travail de

    synthse des pratiques actuelles du design dexprience utilisateur

    et de ses avances, avec dexcellents exemples par de

    nombreux professionnelsPaul Kahn,

    responsable UX designchez Mad*Pow

    Un texte trs clair et extrmement bien

    document!Giuseppe Att oma Pepe,

    Directeur artistique et designerdinformation et dinteraction,fondateur de lagence Att oma Forte dune exprience de plus de dix ans

    dans le numrique, Sylvie Daumal est une fi gure incontournable de la communaut UX europenne. Fondatrice dUX Paris, membre de lEuroIA et ambassadeur de lUXCamp Europe pour la France, elle organise et donne rgulirement des confrences, et enseigne sa discipline au Celsa.

    Design dexprience utilisateur

  • Design d'exprience

    utilisateur PRINCIPES ET MTHODES UX

  • Design d'exprience

    utilisateur

    Sylvie Daumal

    PRINCIPES ET MTHODES UX

  • AVANT-PROPOSLe design dexprience utilisateur (UX design) est une faon nouvelle et radicalement diffrente de penser les dispositifs numriques. Il modifie profondment les mthodes de travail, lorganisation et les comptences des quipes de projet. Plus encore, il change la faon dont on aborde len-treprise, sa proposition de valeur, ses canaux de distribution et toute son activit. En rvlant la faon dont les choses sont vcues par lutilisateur, il bouleverse la perspective habituelle jusqu la renverser totalement.

    Le design dexprience utilisateur est une dmarche pragmatique, pluridis-ciplinaire, oriente vers la rsolution des problmes et rsolument tourne vers linnovation. Puisant ses racines dans le design centr sur lutilisateur et le design thinking, il continue dvoluer et de senrichir des mthodes dautres disciplines, comme le design de service, pour relever le dfi indit dun monde dsormais toujours connect.

    Ce livre a pour ambition den dcrire la philosophie, les mthodes et les outils. Il prsente les rflexions, travaux et cas dtude des professionnels de cette discipline apparue aux tats-Unis il y a plus dune dcennie et dsormais pratique dans le monde entier.

    qui sadresse ce livre ?Tout dabord tous ceux qui travaillent dans le numrique (directeurs artis-tiques, graphistes, rdacteurs, dveloppeurs, consultants, responsables de projets...) au sein des quipes en charge de la ralisation des projets, quil sagisse de sites web, dapplications pour smartphones ou tablettes, ou de bornes interactives. Cest de leur implication que dpend le design dexprience utilisateur. Quils soient ou non experts de la dmarche, cet ouvrage a lambition de leur apporter non seulement des mthodes et une aide concrte au quotidien sur les projets, mais aussi de les clairer sur la philosophie qui sous-tend cette pratique pour la porter plus loin.

  • DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEURVI

    Ce livre sadresse aussi tous ceux qui envisagent dexercer cette fonction ou qui y font leurs premiers pas. Ce nest pas un livre de recettes car, la vrit, il ny a pas de recette. Nanmoins, le processus qui est dtaill a pour but de leur servir de guide, de garde-fou et esprons-le dinspira-tion, du dmarrage du projet jusqu la ralisation du produit. Sil ne peut empcher les embches, son ambition est daider les rsoudre.

    Il concerne aussi tous les designers qui ont la charge de produits non lis au Web, comme des bornes interactives, des automates, des serveurs vocaux, des panneaux de commande de matriel lectromnager (lave-linge, rfri-grateur, lave-vaisselle...) ou dquipements professionnels (mdicaux, par exemple), ou encore de tableaux de bord de vhicule. En effet, la question de lexprience utilisateur est centrale pour le succs du rsultat de leur travail.

    Cet ouvrage est galement destin tous les commanditaires, dans toutes les organisations (entreprise, tablissement public, collectivit, associa-tion, communaut...), afin quils comprennent mieux le droulement dun projet et lapport du design dexprience utilisateur. Le but est de les aider augmenter le bnfice que leur organisation et ses clients peuvent retirer du dispositif dont ils pilotent la cration.

    Enfin, ce livre sadresse aussi plus largement, au-del du domaine num-rique, aux dcisionnaires dans les entreprises, aux chefs dentreprise eux-mmes et aux quipes dirigeantes, pour leur faire dcouvrir ce que la dmarche peut apporter dans le dveloppement de leur activit commer-ciale et dans le management de lentreprise. Lentreprise centre utilisateur (user-centric) nest pas une utopie ou une vue de lesprit, cest la ralit den-treprises prospres partout dans le monde. Cest certainement aussi une des cls du succs pour les annes venir.

    Quel est son objectif ?Cet ouvrage a pour but de faire dcouvrir do vient cette pratique du design dexprience utilisateur et comment elle sest dfinie. Il aide aussi

  • VII AVANT-PROPOS

    en comprendre les principes, qui font souvent lobjet de mauvaises interprtations, voire de complets contresens. Il a pour ambition, enfin, den faire connatre le processus et les diffrentes mthodes, pour quils puissent tre appliqus ensuite au contexte professionnel. Il les illustre dexemples concrets et, pour ceux qui souhaitent aller plus loin, donne un grand nombre de rfrences pour approfondir chacun de ses aspects.

    Cet ouvrage est le premier sur la question en langue franaise. Sil ne sagit pas dun ouvrage collectif, il est nanmoins le reflet de la communaut des UX designers qui exercent en France, car ils ont t nombreux le relire et le commenter avant sa parution, ainsi qu y participer sous forme de tmoignages et de cas dtude. Il permet de dcouvrir une pratique aujourdhui diverse et experte, ainsi quune communaut large qui change rgulirement et senrichit mutuellement dans un esprit dentraide et de solidarit, afin de donner toujours plus de sens aux dispositifs digitaux et aux services.

    Comment est-il organis ?Aprs une introduction qui cerne le sujet et un premier chapitre qui prsente la mthode gnrale, les chapitres qui suivent respectent lordre de droulement dun projet, chacun tant consacr lune des phases du design: la mise en place dune stratgie (chapitre2: La stratgie de lexp-rience), la recherche utilisateur (chapitre 3 : la dcouverte de lutilisa-teur), la gnration des ides et leur formalisation (chapitre4: Lidation), le prototypage et les tests (chapitre5: Litration).

    Les rfrences bibliographiques compltes des auteurs qui sont cits dans le texte (les citations sont signales par un pictogramme livre en marge) sont reprises de faon dtaille la fin de chaque chapitre, de mme que les rfrences en ligne (galement signales par un pictogramme cran en marge), qui figurent avec leur lien. Les rfrences un autre passage du livre sont reprables par un pictogramme note.

  • VIII DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    Les termes de mtier (en couleur) sont gnralement dfinis lors de leur premire apparition, mais le lecteur pourra se rfrer au glossaire en fin douvrage pour y retrouver toutes les dfinitions.

    Enfin, certains professionnels ont accept de partager leurs rflexions ou leurs pratiques dans le cadre de cet ouvrage. Leurs textes figurent sous forme dencadrs portant leur signature. Leurs propos, issus de discussions et dchanges informels, sont galement cits dans le texte. Enfin, leurs schmas sont lgends avec leur nom. Que tous soient remercis ici de leur prcieux concours.

    Pourquoi autant de termes en anglais ?

    Cest vrai, cet ouvrage contient beaucoup de termes anglais. Ce nest pas par snobisme ou affectation. Malheureusement, pratiquement toutes les ressources sur le sujet ne sont disponibles quen anglais. Cest pourquoi, chaque fois que cela semblait utile, les termes anglais ont t cits, car ce sont les mots-cls qui assureront une recherche fructueuse au lecteur qui souhaite approfondir le sujet sur Internet.

    Par ailleurs, certains mots, comme wireframes (schmas filaires des interfaces), nont pas de traduction en franais. Certains ont, certes, tent de les traduire, mais leurs propositions nont pas t adoptes. Les termes anglais font dsormais partie dun jargon de mtier que tous utilisent : il a sembl plus adapt de se conformer lusage commun, plutt que de proposer une terminologie, certes franaise, mais que personne nemploie dans le monde du travail. Le glossaire final met en parallle les termes franais et anglais, lorsque les deux existent.

  • REMERCIEMENTS

    Je tiens remercier ici trs chaleureusement tous ceux et ils ont t nombreux qui ont particip activement cet ouvrage.

    Merci Giuseppe Attoma Pepe pour le temps consacr me parler de son mtier et de sa vision, pour sa relecture attentive du manuscrit et pour ses remarques combien judicieuses qui mont beaucoup aide rorganiser le texte.

    Merci Rmi Brocherez pour sa relecture amicale et ses commentaires.

    Merci Grandin Donovan pour sa lecture fine et attentive, pour ses remarques qui mont permis de remanier le texte et de lamliorer.

    Merci Joffrey Ellis, qui a relev tous les flous du manuscrit et ma permis daffiner le propos en maints endroits.

    Merci Sophie Gubert qui, en mapportant son expertise sur lAnalytics, ma permis de rectifier et damliorer la premire version; elle ma beau-coup appris sur le sujet par la mme occasion.

    Merci Milan Guenther, qui a pris le temps de lire le texte alors quil tait lui-mme pris dans la rdaction de son propre livre et qui a su magnifique-ment rsumer, qui plus est en franais, sa dmarche du design dentreprise pour cet ouvrage.

    Merci Julien Hillion pour sa relecture, pour son apport sur les outils de prototypage et pour avoir relev le dfi de la rdaction en apportant sa vision trs personnelle de jeune professionnel.

  • X DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    Merci Paul Kahn pour nos longs changes sur la recherche utilisateur, les personas et la pratique de lUX design en France, merci pour sa relecture du texte et ses commentaires.

    Merci Eva-Lotta Lamm pour les croquis quelle a raliss, par amiti, tout spcialement pour ce livre et qui illustrent si magnifiquement, grce son talent, cette partie essentielle du travail du designer.

    Merci Frdrik Legrand pour son retour amical et ses conseils de mise en forme qui ont permis de retravailler le texte pour le rendre plus vivant et plus accessible.

    Merci Vincent Mayol pour sa relecture du manuscrit et ses rflexions sur le design et la mmoire de lexprience.

    Merci Pauline Thomas pour son retour toff sur le texte et pour les schmas quelle a si gentiment proposs pour illustrer le propos.

    Merci David Serrault qui a partag son exprience et sa rflexion sur le mtier, qui a nourri dexemples le propos en y apportant toujours une grande finesse de vue.

    Merci Christophe Tallec pour sa participation et pour la publication de son schma.

    Merci aussi tous ceux qui ont accept que soient reproduits dans ce livre les schmas de leurs travaux : Eric Reiss, Jesse James Garrett, Rod Farmer, Jason Mesut, Indi Young, Chris Risdon et Brandon Schauer.

    Sans leur soutien tous et leurs retours toujours bienveillants, le rsultat ne serait pas ce quil est aujourdhui.

  • IntroductIon

    1 Quest-ce que le design dexprience utilisateur? 2 Le design, un concept souvent mal compris 2 Le design, cest comment a marche! 3 Du dessin dessein 3 Le design thinking, orient sur la rsolution des problmes

    4 Lexprience, un processus psychologique 4 Lexprience est subjective 4 Lexprience change au fil du temps et des circonstances 4 Lexprience nest jamais la somme dune srie de perceptions

    5 Un processus, pas une fonction 6 Designer dexprience utilisateur, un mtier? 7 Rpondre au souhait du commanditaire tout en servant lutilisateur

    8 Un effet de mode? 8 La prolifration de nouveaux terminaux 9 La multiplication des services hybrides 10 Canal, point de contact, terminal et interaction

    11 Service versus produit

    12 Design de service et exprience passerelle

    13 Designer pour les points noirs 14 La vie nest pas un long fleuve tranquille 14 Anticiper les problmes pour en limiter limpact

    16 De limportance de lexprience 16 Une consommation dmatrialise 17 Transformer les produits en service 17 Une rponse aux problmes du xxie sicle?

    18 Au-del du numrique

    TABLE DES MATIRES

  • XII DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    18 Rfrences en ligne

    19 Bibliographie

    chapItre 1

    21 Le processus de lUX 22 Trois sujets dtude

    23 Quatre phases successives

    26 Une dmarche non srielle

    28 Erreur et innovation

    29 Rfrences en ligne

    30 Bibliographie

    chapItre 2

    31 La stratgie de lexprience 32 Brief, cahier des charges et... objectifs 32 Pourquoi formaliser (ou reformuler) la demande? 33 Lexpression dun problme de stratgie globale

    34 Rvler et reformuler les objectifs 35 Qui sont les parties prenantes? 36 Interview des parties prenantes: comment faire? 38 La mthode de latelier

    39 Linventaire et lanalyse du contenu

    41 La proposition de valeur

    43 Impact sur le modle dentreprise

    45 Laccompagnement au changement

    50 Principes de design

    51 Rfrences en ligne

    52 Bibliographie

  • XIII TABLE DES MATIRES

    chapItre 3

    53 la dcouverte de lutilisateur 54 Adopter le bon tat desprit

    55 Que cherche-t-on?

    59 Comment choisir sa mthode?

    61 La recherche secondaire 61 Les tudes disponibles 62 Les donnes sur le Web 64 Les statistiques de site 67 La synthse: une tape cruciale

    67 Les recherches primaires 68 Les interviews 77 La technique du collage 78 Les observations de terrain 82 Le tri de cartes 86 Un mot sur la recherche ethnographique

    86 Les rsultats 87 Utilisateurs: la mthode des personas 91 Tches et comportements 92 Les problmes et points noirs 93 La cartographie de lexprience

    94 Les diagrammes dalignement

    99 La mmoire de lexprience 99 Le souvenir est suprieur lexprience elle-mme 100 SUCCES: les six cls du mmorable

    102 Rfrences en ligne

    105 Bibliographie

  • XIV DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEURXIV

    chapItre 4

    107 Lidation 108 De limportance de la pluridisciplinarit

    109 Donner forme aux ides grce au croquis

    110 Apprendre faire des croquis 111 Dessiner des formes simples 113 Reprsenter le corps humain

    120 Les techniques didation 120 Le benchmarking 121 Les cls du succs du travail collaboratif 122 Le brainstorming 123 La charrette 125 Le Six-to-One 127 Latelier

    128 Formaliser les ides obtenues 128 Le contenu 131 La structuration 134 Les parcours 136 Les livrables

    137 Co-cration et Lean UX 138 Lean UX ou comment faire participer toutes les parties prenantes 138 La co-cration inspire des mthodes Agile

    139 Respecter le primtre du projet

    140 Rfrences en ligne

    141 Bibliographie

    chapItre 5

    143 Litration 144 Quels prototypes pour quel usage? 144 Zonings et scnarios: un autre modle de conception

  • XV TABLE DES MATIRES XV

    145 La cration graphique nest que ltape finale 146 Une dmarche de travail ouverte et pluridisciplinaire

    147 Le prototype papier, pour simuler lenchanement des crans 147 La ralisation: tout le monde participe 148 Les tests: le plus tt et le plus souvent possible 152 Les wireframes, schmas filaires des crans 152 La ralisation 155 Les tests 156 Les maquettes interactives: tester sur un support rel

    157 Les maquettes graphiques: ajout dune identit visuelle

    158 Faire des tests, ce nest pas tre test

    160 Rfrences en ligne

    161 Bibliographie

    conclusIon

    163 Avenir et enjeux 164 Comment devient-on UX designer?

    168 Faut-il embaucher un UX designer?

    169 Vers une entreprise UX

    171 Rfrences en ligne

    173 Ressources 174 Magazines et publications en ligne 175 Communauts 177 Confrences

    179 Glossaire

    187 Lauteur

    189 Index

  • IntroductionQuest-ce que

    le design dexprience utilisateur?

  • IntroductionQuest-ce que

    le design dexprience utilisateur?

    Lexpression, comme la pratique, du design dexprience utilisateur sont rcentes en France. Lune comme lautre nous viennent directe-ment des pays anglo-saxons, qui ont dfini et diffus les principes et les mthodes de ce quils nomment User eXperience design (ou UX design). En raison, sans doute, de sa grande jeunesse, la pratique est assez diversement comprise dans le monde professionnel en France; aussi quelques dfinitions ne sont-elles pas inutiles pour en jeter les bases.

    En bref

    Design et exprience: quelques dfinitionsUn processus, pas un mtierUn effet de mode?Service versus produitDesign de service et exprience passerelleDesigner pour les points noirsAu-del du numrique

  • 2 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    LE DESIGN, UN CONCEPT SOUVENT MAL COMPRISLe terme design est sans aucun doute celui qui gnre le plus de malen-tendus en France. Il est dailleurs assez intressant de noter que la version franaise de Wikipdia sur le design centr sur lutilisateur a transform le terme design en conception, ce qui est assez discutable, voire erron. Le design comporte des tapes didation, de cration, de ralisa-tion de prototypes et daffinage qui vont bien au-del de ce que le sens commun appelle conception.

    Quand on prononce le mot design en franais, il voque spontanment dans les esprits des figures comme Philippe Starck ou Andre Putman, et nest souvent compris que dans sa dimension visuelle ou graphique, comme lexpression dun style et dune esthtique.

    Le design, cest comment a marche ! Notre acception est trs diffrente et fait sienne la dfinition quen donnait

    Steve Jobs dans The New York Times en 2003: Most people make the mistake of thinking that design is what it looks like (...). Thats not what we think design is. Its not just what it looks like and feels like. Design is how it works. (La plupart des gens font lerreur de penser que le design, cest lapparence (...). Ce nest pas notre avis. Le design, ce nest pas seulement lapparence et le style. Le design, cest comment a marche.)

    Il ne faut pas se mprendre. Cette dfinition du design ne signifie pas que lon minimise limportance de la mise en forme finale. Pour preuve, cest llgance et lesthtique qui ont toujours caractris les produits raliss par Apple sous lgide de Steve Jobs, tout comme ctait le cas des produits de Dieter Rams, le designer allemand qui les a grandement influencs. Nanmoins, ce nest pas la recherche dun style et dune apparence en premier chef qui caractrise le design. Dieter Rams, qui a travaill chez Braun pendant trente ans, a labor les dix principes qui dfinissent un bon design.

  • 3 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    Le bon design est innovant. Le bon design rend un produit utile. Le bon design est esthtique. Le bon design rend un produit comprhensible. Le bon design est discret. Le bon design est honnte. Le bon design est durable. Le bon design est attentif aux dtails. Le bon design respecte lenvironnement. Le bon design comporte aussi peu de design que possible.

    Du dessin desseinPour ma part, jaime assez la dfinition du design comme du dessin dessein, car au-del de llgance de lassonance, elle fait rfrence aux deux caractristiques du design: la ncessit dun objectif de dpart (dessein) et la nature crative du processus de rponse (dessin). Nanmoins, elle ne retranscrit pas avec autant de force quelle le devrait, mon got, le fait que le design est une discipline oriente sur la rsolution de problme. Le design rsout les problmes en modelant un produit ou un service.

    Le design thinking, orient sur la rsolution des problmesLa premire question qui occupe les designers est de dcouvrir quel est le problme, pour ensuite innover dans la solution. Le design a dvelopp sa propre mthode pour y parvenir, le design thinking, qui sapplique quel que soit lobjet: produit, service ou systme. Le design thinking consiste ouvrir le champ toutes les solutions possibles pour ensuite slectionner et affiner, sur un mode itratif, la meilleure solution au problme pos. Cest cette mthode qui fonde la dmarche centre sur lutilisateur et garantit linnovation plutt que la copie et la rplication de solutions existantes.

  • 4 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    LEXPRIENCE, UN PROCESSUS PSYCHOLOGIQUEQuentend-on par exprience? Le Petit Robert dfinit sa premire accep-tion comme le fait dprouver quelque chose. En tant que designer, cest dans ce sens que lon comprend lexprience utilisateur: la perception et le ressenti dun individu qui utilise un systme dans le contexte dune interac-tion humain-machine.

    Lexprience est subjectiveElle lest par nature. Ce qui semble ais et facile lun prsente des diffi-cults quasi insurmontables pour dautres. Le langage (textuel ou mtapho-rique) de linterface, la manipulation du systme (au doigt, la souris, la voix, voire au geste) ne sont pas compris, ressentis ni matriss uniform-ment. La perception varie dune personne lautre.

    Lexprience change au fil du temps et des circonstancesChez une mme personne, lexprience se transforme : le ressenti de la premire dcouverte nest pas comparable la familiarit qui nat aprs des dizaines dutilisations successives. Un dispositif satisfaisant en temps normal peut devenir pnible lors de conditions particulires : lincon-fort dun clairage inadapt ou une foule pressante dans un transport en commun peuvent rendre trs difficile lutilisation dune application mobile par ailleurs trs efficace. Lhumeur du moment peut aussi influer sur le degr de tolrance ou de patience...

    Lexprience nest jamais la somme dune srie de perceptionsElle est mmorise sous forme de souvenirs et tend sloigner de la perception immdiate pour constituer un ensemble complexe reconstruit aprs coup et fait dhistoires dusages et dinteractions. Il est toujours int-ressant de questionner cette reconstruction aprs coup. Cest une bonne

  • 5 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    habitude, lissue des tests utilisateur, dinterroger les participants sur limpression quils en gardent. En les voyant parfois batailler pour raliser certaines tches, on pourrait croire que leur retour sera extrmement ngatif. Or ce nest pas toujours le cas: lexprience reconstruite par chacun est souvent loigne de lide que peut sen forger un observateur ext-rieur. Dans 100Things Every Designer Needs to Know about People, Susan M. Weinschenk indique mme que les humains reconstruisent leurs souvenirs chaque fois quils se les remmorent: les souvenirs eux-mmes changent au fil du temps. Plus encore, elle dmontre mme que nos souvenirs les plus vivaces sont errons.

    En tant que designers, notre dfi consiste concevoir des produits interac-tifs en se concentrant non sur le produit, mais la fois sur lexprience quil propose dans un parcours plus gnral et sur la mmoire qui va en rester. Ds lors, la question est dimaginer de nouveaux produits et de nouveaux services en prenant en compte lcart entre lexprience relle et le souvenir de lexprience. Certains, comme Marc Hassenzahl, soulignent cet cart en prcisant quen ralit, on ne designe pas lexprience, mais que lon designe pour lexprience.

    UN PROCESSUS, PAS UNE FONCTION Le design de lexprience utilisateur est lhritier direct et le dernier avatar

    du design centr sur lutilisateur (User-Centered Design, UCD), introduit par Donald A. Norman dans son ouvrage The Design of Everyday Things (intitul originellement The Psychology of Everyday Things), publi en 1988 aux tats-Unis. La philosophie qui sous-tend cette approche renverse la perspective auparavant dominante : le design centr sur lutilisateur tend dfinir le produit ou le service partir des attentes, des besoins (formuls ou non) et des capacits des utilisateurs, et non plus les forcer apprendre et changer de comportement pour sadapter au produit ou au service.

    Les tapes de ce processus appliqu au numrique ont t formalises par Jesse James Garrett en 2002 dans The Elements of User Experience, qui reste

  • 6 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    aujourdhui encore un ouvrage de rfrence sur la question. Son modle en trois dimensions, qui a t repris un nombre incalculable de fois, en dfinit les cinq tapes de conception: stratgie, primtre, structure, squelette et surface.

    Le design dexprience utilisateur est un processus de recherche, dimagi-nation, de conception, de cration, de test et doptimisation. Ce nest pas un mtier.

    Certes, certaines tches, comme la recherche sur les utilisateurs, larchitec-ture de linformation ou le design dinteraction sont naturellement dvolues aux architectes de linformation, aux designers dinteraction ou aux ergo-nomes. Nanmoins, les autres tches identifies par J. J. Garrett, comme les spcifications fonctionnelles, le design dinterface ou le design visuel, par exemple, sont confies aux chefs de projets, aux designers graphiques (directeurs artistiques et graphistes), voire aux dveloppeurs. Le design dexprience utilisateur implique tous les mtiers concerns par la ralisa-tion du produit ou du service numrique.

    Designer dexprience utilisateur, un mtier ?Pourquoi parle-t-on de designer dexprience utilisateur (User eXperience designer ou UX designer) plutt que darchitecte dinformation, designer dinteraction ou ergonome?

    Il se trouve quavec le temps, lexprience et, souvent, par la force des choses, les professionnels ont acquis des comptences dans des domaines qui ntaient pas les leurs au dpart. Les architectes de linformation ont pris en charge le design dinteraction, la stratgie de contenu ou la ralisa-tion des tests, les ergonomes ont travaill sur larchitecture de linformation ou le design dinterface et les designers dinteraction ont men la recherche sur les utilisateurs. Pour reflter cette diversit de comptences, beaucoup dentre eux ont choisi de transformer leur intitul de poste en designer dexprience utilisateur. Ce choix est lgitime dans un contexte profes-sionnel et rpond la ncessit de trouver un titre qui puisse chapeauter

  • 7 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    une grande diversit de comptences dans des disciplines diffrentes, mais il ne doit pas tre mal interprt. Lexprience utilisateur ne relve pas de la seule intervention des UX designers, elle est le rsultat du travail de toute lquipe et de tous les mtiers impliqus.

    Sur les projets les plus lourds et les plus complexes, il nest plus rare de requrir un ou plusieurs spcialistes de lexprience utilisateur: architecte de linformation, designer dinteraction, ergonome... Sur les projets plus lgers, ou dans de petites quipes, leurs tches sont prises en charge par dautres mtiers: le chef de projet assure larchitecture de linformation, le directeur artistique se soucie de lergonomie et teste ses interfaces autour de lui, le dveloppeur apporte sa crativit au design dinteraction. Cette organisation nest pas anormale et nest absolument pas critiquable: dans les quipes qui ont cur dassurer la meilleure exprience possible pour lutilisateur final, chacun dans son mtier doit tre familier de la dmarche et des mthodes du design dexprience utilisateur.

    Cest pourquoi cet ouvrage ne sadresse pas seulement aux spcialistes de lexprience utilisateur, mais tous ceux qui interviennent, de prs ou de loin, dans la conception et la ralisation de tout dispositif numrique.

    Rpondre au souhait du commanditaire tout en servant l utilisateurIl est essentiel dinsister sur un lment fondamental, trop souvent mal peru et mal compris, du design centr sur lutilisateur: il ne sagit pas de concevoir un produit ou un service partir des attentes ou des besoins des utilisateurs. Le point de dpart de tout projet repose sur la volont dun commanditaire (interne ou externe, entreprise, tablissement, start-up, association, communaut ou personne...) de crer un produit ou un service. Les designers nont pas la charge de raliser tout le champ des possibles pour les utilisateurs, mais bien de servir cette ambition premire.

    La difficult consiste faire se rencontrer la stratgie des uns avec la ralit des autres. Ces deux forces ne sont pas toujours convergentes: il arrive que

  • 8 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    les premiers souhaitent vendre leurs services, tandis que les seconds aime-raient disposer dun service gratuit. Les utilisateurs peuvent aussi tre la recherche de bonnes affaires pour dpenser moins, tandis que le comman-ditaire veut voir augmenter le montant du panier moyen. Tout lenjeu va donc consister dfinir le point dquilibre et de rencontre qui permet chaque force en prsence de tirer bnfice du produit ou du service.

    David Serrault, UX designer, relate cette anecdote significative: Quelquun ma dit un jour, alors que je lui dcrivais la dmarche UX, que ce dont je parlais ressemblait plus du marketing qu du design. Il est probable que certaines mthodes se rejoignent, mais la diffrence est sans doute dans lobjectif. Le marketing se concentre sur la promesse, lUX design tente de la tenir.

    UN EFFET DE MODE ?Aprs avoir longtemps t ignore en France alors quelle tait gnralise dans tout le monde anglo-saxon et ailleurs en Europe, la dmarche centre sur lutilisateur connat, depuis une poque rcente, un rel engouement. Il nest plus de descriptif de poste dans le numrique qui ne reprenne lexpression sous une forme ou sous une autre. Cela peut tre interprt comme un effet de mode et, dans certains cas hlas! , cest effectivement le cas. Lexpression devient un alibi pour se ddouaner de la question, sans quon ait pris la mesure de ce que cela implique dans les processus et les mthodes, ni dans lorganisation des projets et des mtiers. Il nen reste pas moins que la question de lexprience est aujourdhui centrale dans le monde numrique, pour plusieurs bonnes raisons.

    La prolifration de nouveaux terminauxLes smartphones et tablettes tactiles sont devenus les vrais ordinateurs portables daujourdhui et ils occupent dsormais une place prpondrante dans la consultation dInternet (sites web ou applications). De mme, les terminaux plus classiques (tlvisions, consoles de jeux) sont connects au

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    rseau et prennent une dimension interactive et sociale. Les automates, distributeurs automatiques et bornes interactives se gnralisent et gagnent tous les lieux: aroports, gares, centres commerciaux, boutiques, stations service, banques Plus encore, les terminaux se connectent les uns aux autres (liPhone devient une tlcommande de tlvision) et fonctionnent (ou sont supposs fonctionner) de faon synchronise, voire coordonne. Il existe de plus en plus dobjets contenant des capteurs et des balises (GPS, RFID) connects au rseau. Les flux dinformations se densifient et se complexifient. Le numrique connect est partout, tout le temps.

    Cette omniprsence dans tous les aspects de la vie quotidienne tend abolir la frontire nagure sensible entre le monde rel et le monde dit virtuel; tout ce qui se fait dans la vie se fait sur le rseau et inversement. Un achat effectu partir dun mobile est tout aussi rel que celui que nos parents effectuaient par correspondance il y a vingt ans. Des relations se nouent en ligne et deviennent aussi importantes quentre ceux qui se rencontrent dans le monde rel. Des communauts mergent, des collaborations naissent et dbouchent sur des ralisations concrtes (ouvrages collectifs, films, wiki, vnements...).

    La multiplication des services hybridesLes services hybrides combinent dispositifs numriques et physiques, linstar du buy online-pick up in store, cest--dire la possibilit dacheter en ligne et de passer prendre la commande en magasin. Ils se dveloppent aujourdhui trs fortement. Les compagnies ariennes envoient les cartes dembarquement par e-mail, sous format PDF, et les htesses scannent le code qui figure sur limpression papier au moment de lembarquement pour entrer les donnes en base. Des applications mobiles permettent de payer ses courses, voire de faire des virements instantans entre particu-liers. Dautres permettent de scanner des codes-barres pour obtenir des informations sur les produits.

    Les dispositifs numriques occupent une place importante dans un parcours client devenu complexe, car celui-ci combine de multiples points de contact

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    (touch points) physiques (centre dappel, magasin, panneaux daffichage ou guichet) et numriques (site web, application mobile, page Facebook, fil Twitter, plate-forme de vido, borne interactive de retrait, serveur vocal).

    Cela cre un niveau de complexit qui nexistait pas il y a dix ans quand on abordait la conception dun dispositif numrique ( lpoque, un site web ou une borne interactive). Pour garantir la fluidit des parcours et la coh-rence de tous les points entre eux, il est devenu indispensable de prendre du recul et de dfinir au pralable le service (lexprience, la proposition de valeur) que lon souhaite offrir lutilisateur, afin quil sincarne de faon la fois cohrente et spcifique dans tous les points de contact.

    Les UX designers en charge dun dispositif numrique ne se demandent donc pas Comment faire ce site web (ou cette application)?, mais Quel est le rle de ce point de contact dans le parcours global du client?. Cest en dessinant le paysage gnral, en dfinissant la multiplicit des parcours des utilisateurs au sein de ce paysage, leurs attentes et les volutions dans le temps que lon peut designer en dtail chacune des tapes.

    Puisant dans la dmarche du design de service (service design), le design dexprience utilisateur envisage lensemble des dispositifs non comme des ralisations distinctes, mais comme des points de contact, relis entre eux, dans un parcours plus vaste, en prenant en compte ce qui se passe avant lutilisation du service et aprs.

    Canal, point de contact, terminal et interactionLe design dexprience utilisateur distingue le point de contact du canal, du terminal et de linteraction. Le canal correspond lintermdiaire utilis: Internet, centre dappel, boutique... Il peut exister plusieurs points de contact au sein dun mme canal : un cran tactile, une brochure ou un ticket de caisse sont des points de contact diffrents dans une boutique; un site web, une application mobile, une page Facebook, un site mobile ou une application tablette sont des points de contact qui passent par le mme canal, Internet.

  • 11 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    Un mme point de contact peut tre utilis par des terminaux diffrents : un site web peut tre consult sur un ordinateur, mais aussi sur un smartphone ou une tablette. Une application mobile peut tre utilise sur tablette...

    Enfin, linteraction dcrit lchange (lopration) entre lutilisateur et le service au point de contact : consultation, impression, envoi de message, achat...

    Cette granularit permet de dresser le panorama prcis des parcours et des interactions entre un utilisateur (ou un client) et un systme. Il permet aussi de penser non seulement des dispositifs multicanaux (qui diffusent le mme service sur diffrents points de contact), mais aussi des systmes cross-canaux (qui utilisent de faon diffrente et coordonne divers points de contact et canaux pour offrir un seul service global).

    SERVICE VERSUS PRODUITQuest-ce quun service? Un service est un vnement qui aide raliser quelque chose, qui facilite la vie ou offre un bnfice inattendu, en aidant rsoudre un problme. Il existe trois grands types de services: les services daide (sorte de laissez-moi vous aider), les services qui apportent un plus (pour vous, un chantillon gratuit) et les services de dpannage (pas de problme, on va vous rparer a tout de suite).

    Nous savons tous, pour lavoir dj vcu, quune mauvaise exprience de service est toujours trs marquante. On en fait part en moyenne dix-sept fois autour de soi ( comparer avec une bonne exprience qui nest relate que trois fois). Cest dire limportance de la qualit de service pour limage et la rputation dune organisation. Mais cette qualit est aussi beaucoup plus difficile garantir et amliorer.

    linverse dun produit, un service est un bien intangible. Il ne peut tre ni produit ni contrl lavance, ni mme stock. On ne peut pas en prsenter dchantillon. Le service nest produit quau moment et lendroit mmes o il est consomm. Par nature, il est difficile standardiser, car on ne peut

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    ni revenir en arrire ni effectuer de remplacement. Une erreur de service ne sefface pas, au mieux, elle se rattrape.

    Le service implique des systmes et des processus qui sont lobjet dtude du design de service ou service design. Le rsultat dun design de service peut prendre diffrentes formes, plus ou moins abstraites : structures dorganisation, processus oprationnels ou mme objets tangibles... titre dexemple, le site Service Design Tools (http://www.servicedesigntools.org) en prsente un large ventail, avec de multiples livrables. Marc Stickdorn et Jakob Schneider ont formalis, dans This is Service Design Thinking, len-semble des mthodes et des outils du design de service, en les illustrant de cas dtude.

    Parce quInternet est un lieu dinformation et de service et quil reprsente de fait un point de contact parmi dautres, il entre naturellement dans le champ du service design.

    DESIGN DE SERVICE ET EXPRIENCE PASSERELLE lheure du multicanal (multichannel), du cross-canal (crosschannel) et de la multiplication des terminaux, les dispositifs numriques sont rarement utiliss de faon isole. Les utilisateurs vont le plus souvent solliciter plusieurs points de contact pour un seul et mme but, les uns commenant, par exemple, leur recherche de produits dans les magasins pour finir par acheter en ligne, les autres agissant linverse en consultant dabord loffre sur Internet pour finir par acheter en magasin. Pour rsoudre nimporte quel problme, il est dsormais frquent de recourir successivement au tlphone, le-mail, au passage en agence, voire en point relais.

    Cette multiplicit nest pas un problme en soi. Ce qui est crucial, en revanche, cest de prserver une continuit cognitive (un modle mental) dun point de contact un autre et dviter tout hiatus (informations contra-dictoires ou autre dissonance). Cela concerne la prsentation de linforma-tion, son nommage, son organisation, lordre et la succession des tches, leur synchronisation, etc. Il ne sagit donc pas de dfinir une logique

  • 13 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    interne chaque point, mais bien de tisser des passerelles entre chaque point pour que lensemble fonctionne de faon coordonne et synchro-nise. On appelle communment cette approche lexprience passerelle (bridge experience).

    Lapproche du design de service a une autre consquence dans le travail de design dexprience utilisateur. Ds que lon prononce le terme de service, viennent lesprit de multiples images: ltiquette prpare son nom lentre dune confrence, le vendeur qui raccompagne jusqu la porte et la tient ouverte, ou encore le chocolat dpos sur loreiller de la chambre dhtel... cest--dire toutes ces petites attentions qui font sentir que lon est reconnu comme une personne, ou plus exactement comme un invit. Il existe une politesse et une courtoisie inhrentes la notion mme service. En tant quUX designer, cest une source dinspiration den-visager lutilisateur non comme un simple usager, mais comme un invit: que peut-on imaginer pour le soulager de tches ingrates, comment ajouter son confort ou lui faire plaisir avec une jolie surprise? Ce simple change-ment dtat desprit ouvre dinfinies perspectives...

    Cela amne aussi anticiper les difficults ou points noirs (painpoints) et les sources de mcontentement pour en rduire la porte.

    DESIGNER POUR LES POINTS NOIRS

    Cette question mrite quon sy attarde. Dans son ouvrage Sketching User Experiences, Bill Buxton sy intresse particulirement, en prenant des exemples trs divers, allant dun accident de montagne d une coule de neige jusquau systme de cartographie invent par les Inuits au Canada pour naviguer le long des rivages. Le designer se doit de prendre en compte les contextes adverses et tous les vnements qui peuvent se produire.

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    La vie nest pas un long fleuve tranquilleEn tant quhumains, nous faisons tous des erreurs. De leur ct, les choses susent, se cassent ou cessent de fonctionner. Les disques durs plantent. Les ampoules lectriques grillent. Les voitures tombent en panne. Les condi-tions peuvent aussi devenir terriblement hostiles. Lhiver, les temptes font tomber des arbres qui coupent les routes ou les lignes lectriques. Les trains sont retards. Tout cela est normal et, souvent, dans le monde physique, ces vnements sont anticips comme des vnements simplement ordinaires. Les services dentretien vrifient et changent les ampoules, les fournisseurs dlectricit ont des quipes mobiles pour intervenir aprs les intempries, les autoroutes ont des garagistes partenaires pour dpanner les automobi-listes, les gares ont des systmes dannonce des retards et des protocoles daction, etc.

    Pourtant, mme avec cet effort danticipation et de mobilisation, ces inci-dents apportent leur lot de dsagrments et gnrent de la confusion: des foyers et des entreprises sont privs dlectricit pendant quelque temps, des villages ne sont plus accessibles, des routiers sont bloqus avec leur cargaison, des voyageurs dorment dans les halls daroport...

    Anticiper les problmes pour en limiter l impactLa plupart des problmes que nous rencontrons dans la vie sont plus ou moins prvisibles, du moins dun point de vue statistique. Cest la mme chose dans le monde numrique. Notre travail, en tant que designers dex-prience utilisateur, cest de les prvoir et de mettre en place des protocoles pour en rduire les consquences dsagrables. Pour linstant, cest encore trop rarement le cas. Voici une anecdote personnelle pour lillustrer.

    Je me suis fait voler un tlphone portable rcemment. Sur le site web de mon oprateur, je nai pas russi trouver le numro de tlphone pour en faire la dclaration mais, avec quelques recherches et pas mal dobstination, jai fini par le trouver sur son application mobile (sur un autre portable!). Jai appel pour dclarer le vol et bloquer la carte SIM. Que sest-il pass

  • 15 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    ensuite? Rien. Pas dinformation sur ce sujet dans mon espace client en ligne. Pas dappel sur mon tlphone fixe pour me donner la marche suivre ou me proposer une solution. Certes, jai continu recevoir des newsletters qui me proposaient des tas de services... mais aucune concer-nant mon tlphone vol. Pas un seul e-mail. Deux semaines se sont cou-les, rien ne sest produit. Jai fini par aller en boutique pour acheter un nouveau tlphone, mais aprs cet achat et la ractivation de mon numro, il ne sest rien pass non plus. aucun moment, mon oprateur ne sest manifest dune quelconque faon. Tout sest pass comme... sil ne stait rien pass.

    quoi aurais-je pu mattendre? Vraisemblablement un e-mail de confir-mation de ma dclaration de vol. Vraisemblablement aussi, dans ce mme e-mail ou dans un e-mail suivant, au dtail de la marche suivre pour remplacer mon tlphone, avec des offres correspondant au nombre de points dj accumuls sur mon compte. Dans mon espace client sur le site, le mme genre dinformations avec des liens pour me permettre de voir en ligne tous les abonnements possibles, les diffrents modles et ce quil men cotait. Enfin, aprs mon rachat dun mobile lissue de cet incident, un message de remerciement pour avoir choisi de garder mon oprateur... Mais rien de tout a nest arriv. Tout simplement parce que rien na t prvu, rien na t design.

    Pourtant, tait-ce prvisible? Arrive-t-il que des tlphones portables soient vols en France? Les statistiques en 2010 avanaient le chiffre annuel de 250000vols. Cest assez loquent: pour chaque oprateur, cela reprsente une moyenne de 200clients vols par jour, ce qui rend lincident trs banal. Cet vnement aurait donc d tre prvu et le systme design pour en attnuer la gne.

    Les designers dexprience utilisateur ne peuvent pas empcher les vols de portables (ni les temptes, ni les plantages de disques durs), mais ils doivent faire en sorte daider et de servir au mieux ceux qui cela arrive. Cest vrai pour tous les petits incidents de la vie: retard, contretemps, annulation, changement de dernire minute, panne, etc. Cest pourquoi il faut porter lattention sur la mise au jour de tous ces incidents pour les intgrer comme

  • 16 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    des choses ordinaires dans nos ralisations. Cest en partie ce qui fera la diffrence dans lexprience des utilisateurs.

    DE LIMPORTANCE DE LEXPRIENCELe cadre de travail est pos. Toutefois, cette introduction ne serait pas complte sans une dernire rflexion sur limportance de lexprience aujourdhui. Lre industrielle a vu lessor vertigineux de la production de biens de consommation. Le design de produit a dailleurs t un lment essentiel dans la stratgie dobsolescence programme qui a prvalu depuis lors, comme la mis en lumire le documentaire Prt jeter, ralis par Cosima Dannoritzer (ArticleZ, Media3.14) et diffus sur Arte le 19mars2011.

    Une consommation dmatrialiseSi notre socit continue dtre largement fonde sur la consommation de biens, la part du service tend augmenter, dautant que ce qui revtait nagure une forme physique (livres, disques, films) est devenu largement immatriel (fichiers audio MP3, vido la demande, etc.). Ce dplacement sest accompagn de la mise en place de systmes de services labors, faci-litant lachat, la recommandation et lchange des denres immatrielles.

    Dans ce monde de biens intangibles, cest la qualit de ces services qui fait la diffrence et qui permet aussi la conversion des clients dun systme lautre. Il est unanimement reconnu que le succs de liPod, en 2003 (aprs lchec de sa premire mise sur le march en 2001), tient la cohrence du systme dachat, de recommandation et de partage diTunes. Cest le service qui a t dterminant, avant les qualits intrinsques du lecteur MP3 lui-mme. Dans le mme ordre dide, on pourrait voquer lexemple dAmazon et de son systme Kindle de lecture de livres numriques.

  • 17 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    Transformer les produits en service Le service, ainsi que lexprience quil offre, deviennent donc des lments

    essentiels dans notre socit numrique. Certains, comme lagence alle-mande Nouv (http://nouve.de), dveloppent mme la pense quil est essentiel aujourdhui de transformer les produits en service (Servitize your products).

    Sur un plan plus spcifiquement humain, des tudes menes par Thomas Gilovich, Leaf Van Boven et Travis J. Carter, publies en 2003 et 2010, dmontrent que les achats correspondant des expriences (par exemple, un voyage, une place de concert, un dner au restaurant...) rendent les gens plus heureux que les achats de biens matriels de mme valeur (quipe-ment stro, objets de luxe...).

    Cest assez symptomatique si, aujourdhui, les ventes de disques ne cessent de baisser, alors que les concerts rencontrent un succs grandissant. Nous nirons pas jusqu parler dconomie de lexprience, la thorie avance par Pine et Gilmore (1999) qui a t assez critique ces dernires annes. Nanmoins, un faisceau dindices conduit penser que cest sur le terrain de lexprience que vont se jouer les prochaines batailles dans le monde des entreprises et de lconomie.

    Une rponse aux problmes du xxie sicle ?Plus globalement, la situation de lhumanit au xxie sicle nous oblige trouver des rponses des problmes dune ampleur indite, comme la gestion de la raret des ressources pour une dmographie en augmentation, lurbanisation croissante, laccs aux soins et lducation, etc. Certaines des rponses passeront naturellement par le numrique (la rgulation des flux dans les zones urbaines, la e-mdecine, la e-ducation...), mais encore faut-il que les dispositifs qui les servent facilitent vraiment la vie des utili-sateurs pour quils emportent ladhsion. Cest le rle des UX designers dy parvenir.

  • 18 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    AU-DEL DU NUMRIQUELe design dexprience utilisateur a merg et sest diffus partir de linte-raction humain-machine, qui la rendu la fois vident et indispensable. Il acquiert nanmoins aujourdhui une dimension plus large, car lapproche offre la mme pertinence et la mme puissance dinspiration pour beau-coup de dispositifs tangibles de la vie relle, que ce soit pour designer des files dattente, organiser des flux des voyageurs, prvoir laccueil du public dans un bureau de poste ou amnager un parc dattraction. Elle sapplique aussi naturellement tous les systmes quotidiennement utiliss dans le monde professionnel : quipements mdicaux, mais aussi parcours de soins des patients, systmes de visualisation de trafic automobile, ferro-viaire ou arien, organisation des postes de travail, etc.

    La dmarche permet de penser en cohrence et de faon plus large lactivit dune organisation ou dune entreprise. Designer pour lexprience sap-plique toutes les activits qui sadressent lhumain au travers dune inter-face... Le champ dapplication est infini. Cette faon daborder la question est une chance dapporter plus de sens et de valeur aux activits humaines.

    RFRENCES EN LIGNEConception centre sur lutilisateur, Wikipdiahttp://fr.wikipedia.org/wiki/Conception_centr%C3%A9e_sur_lutilisateur

    Marc Hassenzahl, User Experience and Experience Design, In Mads Soegaard and Rikke Friis Dam (eds.), Encyclopedia of Human-Computer Interaction, 2011http://www.interaction-design.org/encyclopedia/user_experience_and_experi-ence_design.html

    Nouv, Designing for Tomorrow Needs, 2010http://www.slideshare.net/slidesbynouve/designing-for-tomorrows-needs

    Servicedesign.lu, What is Service Design?http://www.servicedesign.lu/what-is-service-design

  • 19 QU'EST-CE QUE LE DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR ?

    Rob Walker, The Guts of a New Machine, New York Times, 30 novembre 2003http://www.nytimes.com/2003/11/30/magazine/the-guts-of-a-new-machine.html

    BIBLIOGRAPHIE

    Bill Buxton, Sketching User Experiences. Getting the Design Right and the Right Design, Morgan Kaufmann, San Francisco, 2007.

    Travis J. Carter & Thomas Gilovich, The Relative Relativity of Material and Experiential Purchases, Journal of Personality and Social Psychology, 2010, tome98, pp.1146-1159.

    Jesse James Garrett, Elements of User Experience. User-Centered Design for the Web, Aiga New Rider, 2002.

    Donald A. Norman, The Design of Everyday Things, Basic Books, 1988.

    B. Joseph Pine et J. Gilmore, The Experience Economy, Harvard Business School Press, Boston, 1999.

    Marc Stickdorn & Jakob Schneider, This is Service Design Thinking, Bis Publishers, Amsterdam, 2010.

    Leaf Van Boven & Thomas Gilovich, To Do or to Have? That is the Question, Journal of Personality and Social Psychology, 2003, tome85, n6, pp.1193-1202.

    Susan M. Weinschenk, 100 Things Every Designer Needs to Know about People, New Riders, Berkeley, 2011.

  • Le processus de lUX

  • Le processus de lUX suit un ordre logique avec plusieurs phases successives. Du fait de la grande variabilit des projets, il sagit plus dun cadre gnral de travail que dun mode demploi, le plan de route tant dfini prcisment pour chaque projet, linstar du budget et du planning. Il a pour avantage de fixer des objectifs chaque fin de phase (matrialiss par des livrables).

    Dans ce chapitre

    Trois sujets dtudeQuatre phases successivesUne dmarche non srielleErreur et innovation

    1Le processus de lUX

  • 22 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    TROIS SUJETS DTUDE

    Le design dexprience utilisateur ne concentre pas toute son attention sur lutilisateur. En 2001, dans Information Architecture for the World Wide Web, Peter Morville a schmatis les trois lments centraux qui sont pris en compte parts gales par larchitecture de linformation (fig.1-1):

    lutilisateur, videmment, cest--dire ses motivations, ses comporte-ments, ses attentes et ses contextes dutilisation;

    le contenu, qui comprend linformation et les services; linformation re-couvre tous les mdias (textes, images, sons, vidos, donnes, fichiers...), les mtadonnes (mots-cls, catgories, dates, auteur) et le contenu g-nr par les utilisateurs;

    le contexte, cest--dire les objectifs du projet, la culture dentreprise du commanditaire et les ressources ddies au projet.

    Peter Morville

    Fig. 1-1 : Les trois piliers de larchitecture de linformation pour le Web

  • 23 LE PROCESSUS DE L'UX

    Si ce modle fonctionne toujours pour les projets de sites web et dapplica-tions qui grent un certain volume de contenu et pour lesquels larchitec-ture de linformation est centrale, il nest pas applicable tous les projets UX. Il existe en effet nombre de cas pour lesquels la question du contenu nest pas significative, comme les dispositifs mdicaux ou dautres appa-reillages professionnels. Alors, comment dfinir la bonne mthode pour organiser un projet centr sur lutilisateur?

    QUATRE PHASES SUCCESSIVES Les professionnels et les organismes, comme le Design Council, ont

    cherch formaliser de faon claire et simple le processus du design. La tche nest pas aise, tant le droulement peut donner une impression de dsordre, comme lillustre le schma de Damien Newman (fig.1-2) qui a souvent t repris. Parce que le design est un travail de recherche, dimagi-nation, de prototype et de test, et par consquent le fait de ttonnements, il est naturel quil chappe aux rgles dun plan rigoureux.

    Fig. 1-2 : Le processus de design peut sembler chaotique maints gards.

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  • 24 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    Nanmoins, quatre grandes tapes distinctes se succdent de faon logique. On les reprsente sous la forme dun double diamant (double diamond) (fig.1-3).

    Fig. 1-3 : Le processus de design en double diamant formalis par le Design Council

    1 La phase de dcouverte (discovery phase), qui combine la dfinition de la stratgie, la recherche sur les utilisateurs et linventaire du contenu. Cette tape de dmarrage vise collecter toutes les informations ncessaires pour tablir la vision densemble du projet et identifier les problmes rsoudre.

    2 La phase de dfinition, qui va fixer le primtre du projet (la porte du dispositif, les fonctionnalits et le contenu) lissue des sances didation qui concernent tous les aspects du dispositif: structuration de linformation (catgorisation du contenu, qualification des donnes), design dinteraction (comportement des lments interactifs, parcours, tunnels dinscription ou dachat), systmes de navigation (menus, liens), design dinterface (mise en forme de lcran) et design dinformation (reprsentation, ordre et hirarchie visuelle des lments lintrieur de lcran).

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  • 25 LE PROCESSUS DE L'UX

    3 La phase de prototypage qui sert raliser, sous forme de maquettes, les solutions retenues lissue de la phase prcdente ; cest une phase ditration ddie aux tests des prototypes et leurs modifications successives en fonction des retours des utilisateurs.

    4 La phase de ralisation du dispositif partir des prototypes finaux de la phase prcdente. Cette phase correspond au design graphique, ainsi quau travail de dveloppement pour aboutir la livraison finale.

    Jesse James Garrett, qui sest pench sur la dmarche applique un site web, a propos une autre formalisation du processus. Si la phase de dcou-verte reste identique, il a dtaill les tapes suivantes, qui vont de la dfi-nition du primtre jusqu linterface graphique. Ces quatre tapes sont cheval sur la phase didation et la phase ditration: quil sagisse du pri-mtre du projet, de la structure sous-jacente ou du design dinterface, tous font lobjet didation, de slection et de test.

    Il nest pas vraiment possible de concilier toutes ces reprsentations en un seul schma unificateur. Quelle que soit la reprsentation que lon retienne, il reste que la dmarche va du plus abstrait au plus concret et vise appr-hender au dpart la complexit inhrente au projet, ouvrir ensuite sur toutes les solutions possibles, puis resserrer pour slectionner le candidat le plus prometteur et laffiner au fur et mesure au moyen de tests.

    David Serrault : LUX est centr sur le produit

    On parle trop souvent du projet et pas assez du produit, quil soit tangible ou non, et on en vient parfois oublier la finalit. Je crois que la focalisation excessive sur le projet amne souvent les entreprises perdre le but de vue. Le projet pourrait mme sopposer au dveloppement de lUX. Le projet est organisation-centrique. LUX est produit-centrique. On parle dorganisation du travail en mode projet, mais une entreprise qui met lutilisateur au centre de sa stratgie devrait travailler en mode produit car au final, lutilisateur ne se soucie que de ce quil a entre les mains. Cest une des cls du dveloppement des dmarches design en France.

    Lintgration des dmarches itratives et exploratoires du design au processus de production industrielle reste difficile raliser en France, car le design nobit

  • 26 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    pas des rgles rationnelles: cela rend difficile lvaluation de son cot et de sa valeur ajoute. Lindustrie a horreur des itrations. Elle prfre les lignes droites superposes des diagrammes de Gant!

    Le got du concret est srement lune des caractristiques communes aux diffrents profils de designer. Le design est une faon dapprhender le monde, en sintressant aux aspects triviaux de lexprience du rel. Cest peut-tre lune des raisons qui explique la position relativement basse quoccupe le design en France dans la hirarchie des activits de lentreprise. Dans une culture qui survalorise lide et la parole au dtriment du faire et du rsultat, le design nest pas considr comme une activit noble.

    Pourtant, le pragmatisme tel quil est pratiqu dans les pays anglo-saxons constitue le terreau du dveloppement dune pense design qui privilgie leffi-cience, la satisfaction de lutilisateur et le succs commercial plutt que lexcel-lence abstraite dun processus de conception.

    UNE DMARCHE NON SRIELLE

    Si elles se succdent chronologiquement, les phases se chevauchent nan-moins en partie. Comme le montre le schma de Jesse James Garrett (Elements of User Experience, 2002), lessentiel est que chaque tape finisse non pas avant que ltape suivante commence, mais avant que ltape suivante ne finisse son tour (fig.1-4).

    Chaque tape influence celle qui suit en en restreignant les choix. Cependant, ce serait une erreur de croire que la fin dune tape est grave dans le marbre. Lors dune tape, on peut tre oblig de rvaluer une dci-sion prcdente, comme le montre un autre schma de J. J. Garrett (2002, fig.1-5).

  • 27 LE PROCESSUS DE L'UX

    Fig. 1-4 : Le droulement des phases ne suit pas un schma strict avec des ruptures marques, comme en haut du schma, mais est fait de chevauchements qui amnent chaque tape dmarrer avant que la prcdente ne sachve, comme en bas.

    Jesse James Garrett

    Fig. 1-5 : Les allers-retours dune tape lautre: un choix une tape peut amener revoir un choix fait ltape prcdente.

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  • 28 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    Nanmoins, le droulement ordonn des tapes ne correspond pas toujours la ralit des projets. Il est courant en effet que, ds la phase davant-projet (avant-vente), des lments graphiques soient prsents au commanditaire pour illustrer une approche ou quelques partis pris. Il est mme trs rare que la forme graphique du projet arrive seulement la fin. Milan Guenther souligne cet tat de fait: On saute plutt entre les phases; le design visuel doit souvent dmarrer ds le dbut du projet et se dvelopper pendant la conception et la recherche Les choses ne sont pas aussi linaires, elles sont plutt parallles, voire un peu chaotiques.

    Dans la rflexion de dmarrage, il nest pas rare non plus que lon commence crayonner quelques solutions de mise en uvre. Dans une approche pluridisciplinaire, les tapes sont souvent moins strictement dlimites. Il reste nanmoins que la stratgie doit se poser au dbut, mme si elle volue aussi et saffine pendant le processus, et que la phase finale se conclut avec la version dfinitive des crans graphiques.

    ERREUR ET INNOVATIONLe processus amne naturellement de lide linterface. Nanmoins, des retours en arrire sont toujours possibles, quand une solution que lon croyait prometteuse savre une impasse. Cest la philosophie que les Anglo-Saxons rsument par Fail fast... to succeed sooner (chouer vite... pour russir plus tt). Lerreur est inhrente la dmarche, elle permet par limination daboutir une meilleure rponse la question et, aussi, daller vers des solutions moins convenues. Le design est, de fait, intimement li linnovation.

    Comme tous les termes la mode, innovation fait lobjet de nombreuses mauvaises interprtations. Innovation ne signifie pas invention. Linnovation, cest ladoption et la gnralisation dune invention. Lampoule lectrique est une invention de Thomas Edison; la Fe lectricit, qui la diffuse sur tout le territoire, est une innovation.

  • 29 LE PROCESSUS DE L'UX

    Les designers ne sont pas des inventeurs, mais en appliquant et en impli-quant des inventions dans leurs ralisations, ils les diffusent largement et innovent. Les applications mobiles, qui utilisent les possibilits techno-logiques des smartphones (golocalisation, microphone, reconnaissance faciale...), en sont un bon exemple.

    Il peut y avoir nombre de freins linnovation, cest--dire ladoption dune invention. James Kalbach a explor les facteurs humains impliqus dans ce processus en sappuyant notamment sur louvrage de Everett M. Rogers, Diffusion of Innovations : parmi les lments en jeu, on trouve la perception des avantages (le produit doit tre peru comme apportant un mieux significatif, dune part, et tre socialement et individuellement acceptable, dautre part) ou le processus dadoption.

    Pour garantir le succs dun dispositif innovant, le designer doit parfaite-ment connatre lutilisateur, son comportement, ses habitudes, ses attentes (non formules) et mesurer les facteurs humains favorables ladoption.

    Il arrive nanmoins, mme si ce nest pas leur objectif, que les designers inventent au sens vrai du terme. Ainsi, Milan Guenther a rapport que son quipe avait dpos quelques brevets dans le cadre de son travail pour Boeing, portant essentiellement sur des concepts dinteraction.

    RFRENCES EN LIGNEDesign Council, The Design Process, 2005http://www.designcouncil.org.uk/designprocess

    James Kalbach, Human Factors in Innovation, EuroIA, Copenhague, septembre 2009http://www.slideshare.net/Kalbach/human-factors-in-innovation-euro-ia-2009- kalbach

  • 30 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    BIBLIOGRAPHIE

    Jesse James Garrett, Elements of User Experience. User-Centered Design for the Web, Aiga New Rider, 2002.

    Peter Morville, Information Architecture for the World Wide Web, Rosenfeld, 2001.

    Everett M. Rogers, Diffusion of Innovations, Free Press, New York, 2003 (5e dition).

    La stratgie de lexprience

  • La stratgie? Mais quel est le rapport avec lexprience utilisateur? En ralit, peu prs tout, car cest le cur de la question. On ne ralise aucun dispositif numrique sans raison, mme lorsque cest pour une cause philanthropique ou une organisation non gouvernementale. Si lon souhaite raliser quelque chose pour et avec lutilisateur, on a un but, des objectifs... autant dire une stratgie.

    Dans ce chapitre

    Brief, cahier des charges et objectifsRvler et reformuler les objectifs avec les parties prenantesInventaire et analyse du contenuProposition de valeur et impact sur le business modelAccompagnement au changementPrincipes de design

    2La stratgie de lexprience

  • 32 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    en bref quoi sert la stratgie ?

    dfinir les objectifs et la proposition de valeur.

    rvler les opportunits dinnovation.

    positionner le projet dans la stratgie du commanditaire.

    BRIEF, CAHIER DES CHARGES ET... OBJECTIFSTout projet est enclench par la volont dun commanditaire. La plupart du temps, au dmarrage, il prend la forme dun brief, dun cahier des charges ou dune expression des besoins. Dans quelques rares cas, il ny a pas de documents, plutt une question ouverte. Quel que soit le point de dpart, il est ncessaire de formaliser ou de reformuler la demande.

    Pourquoi formaliser (ou reformuler) la demande ?Parce que la demande ne correspond qu la premire tape de la rflexion, elle ne peut tre ni prcise ni exhaustive, ce qui est tout fait normal. En outre, les documents peuvent comporter des lacunes, car ceux qui les rdi-gent croient certaines informations connues de tous, ce qui nest pas forc-ment le cas. Il faut passer de limplicite lexplicite. Ce qui est vident pour le commanditaire ne lest pas toujours pour nous. Enfin, ces documents souffrent parfois de certains travers dans la formulation du but recherch et des objectifs du projet.

    Certains cahiers des charges, par exemple, rpondent une lgislation trs stricte et dcrivent le dispositif dans les moindres dtails. Le but est de simplifier la procdure de comparaison et de slection du prestataire, mais aussi de limiter les risques de litiges. Ces documents dcrivent ainsi toutes les fonctionnalits de faon trs technique, prcisant les modes dac-tualisation, les normes de scurit ou les niveaux de monte en charge. Malheureusement, si la partie oprationnelle est scrupuleusement dcrite, lambition du projet est souvent assez floue. La partie concernant la stra-tgie peut se rsumer un texte gnrique de prsentation du contexte

  • 33 LA STRATGIE DE L'EXPRIENCE

    (lorganisation et sa structure), des rappels historiques et une intention gnrale pour le projet.

    Il arrive aussi que des attentes soient formules, mais sous une expres-sion peu spcifique qui pourrait sappliquer quasi tous les projets: avoir plus daudience, prsenter une image plus moderne, renouveler le public en touchant une cible plus jeune... Parfois, en lieu et place des objectifs, on dispose plutt dune liste dindicateurs : augmenter le trafic du site, augmenter le nombre de revisites ou de pages vues... loppos, certains briefs trs succincts, qui prtendent porter sur la stratgie numrique, se placent seulement sous langle de la communication, selon un mode one-to-many (cest--dire dans une logique dmetteur, comme si Internet tait uniquement un mdia de diffusion de masse): il ny est question que de message et de positionnement, comme sil sagissait dune campagne de publicit.

    Lexpression dun problme de stratgie globalePourquoi sommes-nous confronts si souvent ces cas de figure? Ceci est le rsultat de contingences historiques.

    Il y a une dizaine dannes, au moment o lon ralisait des sites web 1.0, familirement appels sites vitrines, le contenu du dispositif reprenait les informations sur lorganisation qui taient publies ailleurs, dans des brochures, des journaux internes, des programmes, etc. Parce que ce contenu tait identique, la charge du site a t confie au service respon-sable de la communication externe. Paralllement, certains projets lourds et trs techniques, ou orients mtier ( base dapplets Java et de bases de donnes relationnelles, par exemple) ont merg sur le Web et ont t confis, naturellement, au service informatique. Quand le projet avait un but plus clairement marchand (site e-commerce, en particulier), il entrait alors dans les missions du service de marketing.

    Ce systme dattribution des projets a perdur jusqu lpoque actuelle. Cest la raison pour laquelle nombre de projets numriques dans de grandes

  • 34 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    organisations sont, aujourdhui encore, pilots soit par des services de communication, soit par le marketing, soit par des services informatiques. Il arrive aussi quon ait cr, au sein des organisations, des quipes spci-fiques ddies au numrique (cellule, service, ple). Leur interprtation du projet, souvent filtre au travers de leur expertise professionnelle, influe sur la documentation quils ont la charge de produire (celle que nous recevons). Pourtant, leurs projets impliquent gnralement un grand nombre dautres services ou de personnes qui ont galement leur propre interprtation.

    La teneur des briefs correspond souvent une vision limite dun problme plus large qui existe dans une autre sphre de lorganisation, impliquant plusieurs services et li la stratgie globale. Ainsi, lquipe de communica-tion axera le brief sur les questions didentit ou de visibilit, mais au sein de lorganisation, ce nest que la partie merge dun problme plus vaste et plus complexe dacquisition et de fidlisation des clients.

    Pour avancer sereinement, il faut replacer le projet dans le contexte global du commanditaire, et en particulier conforter auprs de tous la vision, le but recherch et les objectifs du projet. Il est frquent quun projet ait une porte plus large et plus fondamentale quil nest dcrit dans le brief.

    ce stade du projet, la dimension oprationnelle ou technique ne doit pas limiter la rflexion. Les contraintes du projet, dues son primtre par dfi-nition limit, interviendront plus tard, plutt dans le cadre dun dialogue. Lors de cette premire tape, il sagit surtout de sintresser aux objectifs avant dtudier les moyens.

    RVLER ET REFORMULER LES OBJECTIFSDans cette phase de dfinition des objectifs, il est naturel de sintresser lactivit du commanditaire (parts de march, concurrents, volution du secteur...), mais aussi de se pencher spcifiquement sur lorganisation et ses perspectives. Pour ce faire, il faut aller au-del de la documentation de projet et rencontrer toutes les parties prenantes.

  • 35 LA STRATGIE DE L'EXPRIENCE

    Qui sont les parties prenantes ?Mme si le pilotage du projet est confi un seul service, voire une seule personne, il y a beaucoup plus de gens impliqus dune faon ou dune autre dans le projet. Il est essentiel de les identifier et de les rencontrer. Pourquoi? Principalement, pour viter deux cueils courants auxquels tout le monde a t confront au moins une fois dans sa vie professionnelle.

    Le premier dentre eux est une situation de blocage qui surgit un moment donn: le travail effectu, jusque-l valid rgulirement, est brutalement remis en cause de faon globale. Tout ce qui a t produit est soudain considr comme inadquat. Le commanditaire demande que lon recom-mence tout, pratiquement depuis le dbut. Cela a videmment des impacts normes en termes de temps (il faut tout refaire), mais surtout de budget (la facture a mcaniquement doubl).

    Le second cas de figure est un peu diffrent, mais dbouche sur un rsultat tout aussi dramatique: lquipe fait plusieurs propositions au commandi-taire mais, aussi diffrentes soient-elles, elles sont systmatiquement refu-ses les unes aprs les autres. On a beau changer les intervenants dans lquipe (chef de projet, directeur artistique...), rien ny fait. Le travail est sans cesse remis sur la table. Version aprs version, les quipes spuisent, lentement mais srement. Le temps de travail saccumule sans quaucune tape dcisive ne soit jamais passe. La frustration sinstalle des deux cts. la fin, plus personne ne sait comment sy prendre ni quoi faire. Le projet se solde par un chec.

    Do viennent tous ces problmes? Souvent, ds le dmarrage du projet, toutes les parties prenantes ne sont pas identifies. Il est rare que les dci-sions importantes sur un projet (validation dun parti pris, dune interface visuelle...) soient du ressort dune seule personne. Cest plus souvent une dcision relativement collgiale, mobilisant mme le plus haut niveau hirarchique de lorganisation. Cest au moment o ces dcisionnaires sont sollicits que tout bascule. Il y a un dcalage entre la vision du projet de ceux qui le pilotent au quotidien et celle des autres parties prenantes.

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    Le canal de communication avec ces parties prenantes a souvent la taille dun trou de serrure... Tant quon na pas une ide claire de leurs attentes, souvent informules, on sexpose aux risques de drapage cits plus haut. Pour mettre toutes les chances de son ct, il est essentiel dtablir une communication avec eux le plus tt possible, pour comprendre leurs attentes, leurs objectifs, le but poursuivi. Deux solutions soffrent vous: linterview et latelier.

    Interview des parties prenantes : comment faire ?Identifiez dabord toutes les personnes concernes par le projet, en particu-lier les dcisionnaires. Elles appartiennent souvent des services distincts (marketing, clientle, direction...). Il nest pas toujours facile de les rencon-trer individuellement, mais cest la cl du succs, car ils tiennent le projet entre leurs mains, mme sils ne le pilotent pas directement.

    Ne dlguez surtout pas cette tche, menez de prfrence vous-mme les entretiens, mme si vous ntes pas linterlocuteur commercial du comman-ditaire. Les informations de seconde main sont toujours biaises. Si les interviews sont menes par des professionnels de ltude, demandez tre prsent, surtout sil sagit dun projet dlicat.

    tablissez une grille de questions destines cerner les objectifs et les attentes. Quil ny ait pas de mprise: elle doit se concentrer sur la culture de lorganisation, les attentes sur le projet et les dfis relever, en aucun cas aborder les aspects du dispositif (contenu ou fonctionnalits sont hors primtre).

    Comme pour tout entretien, prenez des notes et, si vous tes accompagn, faites en sorte quil ny ait jamais quune seule personne qui pose les ques-tions, afin que la conversation reste fluide et conviviale. Dcidez lavance qui sera lintervieweur.

    Steve Baty a formalis quelques principes pour ce tte--tte dans un article publi dans Uxmatters (2007).

  • 37 LA STRATGIE DE L'EXPRIENCE

    Prvoir au moins 45minutes pour chaque interview. Planifier les rendez-vous afin de disposer de 30 minutes de battement

    pour crire ce que lon na pas pu noter au cours de lentretien et se pr-parer au suivant.

    Limiter lentretien trois ou quatre sujets: quelles sont les valeurs de la marque? Quels sont les lments qui font la diffrence par rapport la concurrence? Quel est le prochain grand dfi? Quest-ce qui serait inter-prt comme un succs?

    Parler de la culture dentreprise, des dfis, des objectifs, pas du dispositif. Sil est impossible parfois dviter que linterlocuteur parle dune fonc-tionnalit, il faut essayer de le remettre sur les rails en demandant quel problme gnral cette fonctionnalit peut rsoudre.

    tre prpar lentretien: cela signifie avoir pris le soin, auparavant, de prendre connaissance de tout ce qui est disponible sur lorganisation (rap-port annuel, journal interne, organigramme).

    Communiquer auparavant le sujet de lentretien: soit la grille de ques-tions, soit les grandes thmatiques qui vont tre abordes.

    Ne pas hsiter demander son interlocuteur de commenter les propos dun autre interview: cela peut donner une meilleure vision gnrale des problmes.

    Si ncessaire, ne pas hsiter demander son interlocuteur un moment pour finir de noter une phrase. Ce nest jamais mal interprt.

    Choisir denregistrer le son ou non. Ceux qui conduisent rgulirement ce type dinterviews ont tendance penser que cela alourdit le processus sans apporter davantages; au final, on consulte ses notes, on ne rcoute jamais les bandes-son...

    Le rsultat de ce travail prend la forme dune synthse, qui combine les lments du travail de prparation (stratgie de lorganisation, etc.) et la teneur des entretiens. Sil existe des discordances ou des contradictions, cest le moment de les souligner et de demander un arbitrage. Le document prsente lactivit de lorganisation et formule clairement les objectifs du projet: cest un livrable que le commanditaire valide. Cet lment fonda-teur vous prmunit contre les erreurs dinterprtation et les non-dits.

  • 38 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    La mthode de l atelierCette mthode lgre demande 30 45minutes. Elle a t mise au point par Anders Ramsay (http://www.andersramsay.com) afin de rsoudre un problme qui lui tait arriv plusieurs fois: aprs une prise de brief et des sances de questions-rponses trs fructueuses, il a travaill pendant deux ou trois semaines sur un projet pour aboutir un rsultat quil jugeait satis-faisant. Il est all, trs confiant, le prsenter au commanditaire. sa grande dconvenue, la proposition a t trs mal reue. Les parties prenantes se sont dclares dues: ce ntait pas du tout comme a quelles voyaient le projet.

    Pour viter que cela ne se reproduise, Anders Ramsay a cherch comment capturer le plus en amont possible cette vision et a cr ce format datelier. Son droulement est simple. On runit les diffrentes parties prenantes (dix personnes au maximum) et on cre des groupes de trois quatre personnes. Sil y a davantage de personnes impliques, on organise plusieurs sessions. On dmarre en rappelant aux participants les objectifs du projet tels quils ont t dfinis et on demande chacun de dessiner, seul, comment il voit le projet. Le format du dessin est totalement libre: une bande dessine, une page daccueil, des schmas... cela reste sa discrtion.

    Il arrive que des objections fusent : Ce nest pas notre travail, cest le vtre. On explique alors que ces dessins ne vont pas tre utiliss pour faire le dispositif, mais pour comprendre auparavant comment eux, le voient. Certaines personnes se disent incapables de dessiner ou dclarent navoir aucune ide. Il faut expliquer que lon ne juge pas la qualit du dessin, qui peut avoir nimporte quelle forme, et que tout le monde, quand on voque un projet, sen fait forcment une ide dans la tte, mme grossire: cest cette ide quil faut dessiner. Cela suffit bien souvent rassurer les partici-pants et dpasser les rsistances.

    Le temps accord au travail de dessin est trs limit: 5 10minutes. On demande ensuite aux participants de se lever et de sloigner lgrement de la table. Chaque personne doit, tour de rle, expliquer et commenter son dessin son groupe. Une fois que cest termin, on distribue chaque

  • 39 LA STRATGIE DE L'EXPRIENCE

    membre du groupe un certain nombre de gommettes qui va servir au vote (3 5). Chaque participant vote, cest--dire pose ses gommettes comme il lentend sur les dessins de son groupe: on peut voter indiffremment pour son dessin ou celui des autres, en distribuant les gommettes comme on le souhaite. Lanimateur (vous, peut-tre, en loccurrence) collecte ensuite ce qui a t ralis. La sance est termine.

    quoi sert le matriel collect? Principalement voir ce que les parties prenantes ont lesprit. Cela ne va pas forcment influer directement sur le projet, mais cela permet danticiper un ventuel dcalage entre leur projec-tion et la proposition venir, et expliquer les raisons de ce dcalage. Cela permet aussi de rvler des dissensions, voire des points de vue contradic-toires, ce qui peut nuire ensuite la bonne marche du projet.

    Si jamais deux personnes impliques parts gales dans le projet expriment des points de vue inconciliables, cest le moment de soulever le problme et de demander un arbitrage, pour viter des consquences immanquable-ment fcheuses sur la suite du projet.

    LINVENTAIRE ET LANALYSE DU CONTENUQuil sagisse de la refonte dun existant ou de la cration dun nouveau dispositif, il est essentiel den cartographier le contenu, car cela permet didentifier ce dont lorganisation dispose lorigine. Quest-ce que le contenu? Ce sont tous les lments (textes, images, vidos, sons, docu-ments PDF, donnes chiffres...) dont dispose le commanditaire parce quil en est le producteur, mais aussi, dans le cas dun existant, le contenu qui a pu tre gnr par les utilisateurs (User Generated Content, ou UGC): commentaires, notes, images, etc.

    Il sagit dabord den faire linventaire, cest--dire de le rpertorier intgra-lement. Pour ce faire, vous pouvez utiliser ou vous inspirer des modles de tableaux prformats que Muriel Vandermeulen, auteur de Stratgie de contenu Web: la revanche de lditorial (2010), propose en tlchargement sur son blog. Remplissez chaque ligne en indiquant ladresse de la page (URL)

  • 40 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    et dcrivez son contenu. Si lexistant est un corpus trs important, la tche peut tre assez fastidieuse.

    Une fois la liste de tous les contenus tablie, il sagit de passer lana-lyse, cest--dire de catgoriser ces contenus, puis dtablir les relations qui existent entre eux. Il faut relever les relations smantiques entre les concepts ou les objets auxquels ces contenus font rfrence. Comment sont-ils lis? Pour reprsenter ces relations, on dessine un concept model (modle conceptuel) dont Dan Brown montre diffrents exemples dans son ouvrage, Communicating Design.

    Le lien qui relie chacun des lments, que lon nomme prdicat, peut figurer une appartenance, une dpendance ou un attribut... Les concept models servent ainsi visualiser des relations abstraites entre les choses et jettent les bases de la qualification des contenus (les mtadonnes qui permettront dattribuer les mots-cls pertinents chaque contenu) et de leur organisation (par regroupement).

    Paul Kahn (2010) a formalis les diffrents types de regroupements possibles des contenus, partir de louvrage de Richard Saul Wurman, Information Anxiety 2.

    Lieu: correspond lemplacement gographique, mais peut sappliquer aussi aux diffrentes parties dun btiment ou du corps humain.

    Temps: classement par ordre chronologique, du plus rcent au plus an-cien, ou inversement.

    Ordre alphabtique: cest le classement vident pour les annuaires, les lexiques...

    Catgorie: cest le systme le plus spcifique. Les catgories du site de la Fnac (livres, musique, jeux) seront videmment diffrentes de celles de Voyages-sncf.com (train, vol, htel...).

    Hirarchie : correspond au systme pyramidal des organigrammes ou la nomenclature linenne. Cest le classement des appartenances de groupes et de sous-groupes: par exemple, les lves appartiennent la classe de troisime7, qui elle-mme appartient la division de toutes les

  • 41 LA STRATGIE DE L'EXPRIENCE

    classes de troisimes, qui appartient au cycle du collge, qui appartient lenseignement secondaire, etc.

    Intrt commun: cette catgorie, ajoute par Paul Kahn aux prcdentes, est la plus rcente. Elle relie les lments entre eux en fonction de lint-rt quon leur porte; cest le classement Top10 des articles les plus vus, les plus envoys, etc.

    Toutes ces catgories permettent de qualifier et de structurer les contenus au niveau le plus bas.

    Au niveau suprieur, quand lorganisation des contenus pose problme, on extrait de son inventaire des exemples reprsentatifs du contenu afin dor-ganiser des sances de tri de cartes (card sorting), comme nous le verrons au chapitre3. Dans une tape ultrieure, le dtail du contenu inventori va aussi tre mis en regard des besoins des utilisateurs pour vrifier sa pertinence.

    LA PROPOSITION DE VALEURLa cration dun dispositif numrique pose immanquablement la question de la proposition de valeur (value proposition). Mme dans les cas les plus simples, elle demande tre dfinie. Prenons lexemple de la mise en place dun site de vente en ligne.

    Si le but est dtendre la clientle, par exemple pour toucher celle qui est loigne gographiquement des points de vente physiques, la vente en ligne va vraisemblablement mettre laccent sur les produits iconiques et les rfrences best-sellers. De ce fait, il est vraisemblable que le site va se trouver en concurrence frontale avec dautres sites e-commerce ou dautres marques. Il sagira de dterminer llment diffrenciant qui va gagner la prfrence : prix, rapidit des envois, services supplmentaires, offres promotionnelles, etc.

    loppos, on peut prfrer maintenir le volume de sa clientle, mais posi-tionner les produits dans une gamme plus haute pour augmenter la renta-

  • 42 DESIGN D'EXPRIENCE UTILISATEUR

    bilit. Dans ce cas, pour fidliser en ligne une clientle dj acquise, on va proposer soit des modles exclusifs ou en avant-premire, qui vont justifier un prix plus lev, soit travailler sur lexhaustivit pour devenir en quelque sorte le seul point de vente dans le monde proposer tous les modles et toutes les tailles. Cest lexclusivit (la raret) qui va faire la valeur, mais la question de la fidlisation et de lexcellence des services va mobiliser lattention. Ce faisant, elle va naturellement avoir un impact sur lactivit de lorganisation. Si les commandes en ligne affluent, la ngociation finan-cire avec les partenaires chargs de lacheminement va devenir un enjeu budgtaire fort.

    Modifier la proposition de valeur peut avoir une influence sur de nombreux aspects de lactivit. Par exemple, si le nouvel espace client en ligne est plus efficace, il va rduire le volume des sollicitations au centre dappel et demander une rvision la baisse des contrats de prestations ou une red-finition de leur activit. Si la section e-commerce draine tous les clients habituels, des conflits dintrt peuvent surgir avec les grants de boutiques franchises. Si les candidatures aux offres demploi augmentent significati-vement, les ressources humaines peuvent se trouver dans lobligation de revoir leur processus de slection et de rponse pour y faire face. Enfin, si certains services jusque-l mconnus du public gagnent soudain en visibi-lit, ils peuvent se trouver confronts une demande excdant leurs capa-cits de rponse.

    Le numrique change la proposition de valeur, et par consquent, que ce soit dlibr ou non, il a un impact direct sur lactivit dune organisation, sur les tches et les comptences du personnel, les partenariats profession-nels, en bref, sur tous les lments qui constituent le modle dentreprise (business model).

    Ces changements ne sont pas bnfiques ou prjudiciables intrinsque-ment, mais pour quils soient profitables, ils doivent tre anticips et, surtout, cadrer avec les orientations stratgiques de lorganisation et la vision des dirigeants. Cest la raison pour laquelle la formulation explicite et la comprhension partage des objectifs sont essentielles: la slection des solutions dans la phase de design se fera sur ce premier filtre.

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    IMPACT SUR LE MODLE DENTREPRISE Le Business Model Canvas (BMC) a t labor partir de 2004 par Alexander

    Osterwalder dans le cadre de sa recherche doctorale HEC Lausanne, sous la direction de Yves Pigneur. La mthode de gnration de modle dentre-prise (business model generation) a commenc tre diffuse et reprise assez largement partir de 2006 et a fait lobjet dun ouvrage collectif, rdig par plus de 470professionnels de 45pays, publi en 2010. Le business model canvas prsente sous une forme graphique simple lensemble des compo-sants structurants, appels blocs de construction (building blocks) des orga-nisations (fig.2-1).

    Fig. 2-1 : Business Model Canvas (BMC) dAlexander Osterwalder et Yves Pigneur

    Le centre du modle est