des mesures, des voiles et des coureurs · 2015. 2. 22. · mesurer les voiles a toujours fait...

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Résumé Mesurer les voiles a toujours fait partie des préoccupations des coureurs, des entraîneurs et de nombreuses possibilités existent. Les mesures servent à mieux connaître les voiles pour mieux les utiliser, les comparer et vérifier leur vieillissement. Puis on peut se servir de ces connaissances pour passer à une phase diffé- rente : celle du développement de voiles en relation avec un voilier. On mesure d'abord les voiles pour s'as- surer de leur conformité à la jauge, puis on peut mesurer le rond de guindant en 2D et enfin les mesurer en statique pour en quantifier le volume, la répartition du creux, le vrillage. Les possibilités sont nombreuses, mais il importe que ces mesures soient intégrées dans une démarche générale d'optimisation de la perfor- mance du coureur, par le coureur et pour le coureur. Cette composante technologique de la performance peut aussi permettre la poursuite d'objectifs de coopération, d'échange au sein d'un groupe. Mots clés : Mesures en statique, volume, dacron, mylar, rond de guindant, pinces, coupe orientée, cross cut, polyester, laminés, relevés de rond en 2 D. Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.11 Technique et performance DES MESURES, DES VOILES ET DES COUREURS Philippe Neiras

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  • RésuméMesurer les voiles a toujours fait partie des préoccupations des coureurs, des entraîneurs et de nombreusespossibilités existent. Les mesures servent à mieux connaître les voiles pour mieux les utiliser, les compareret vérifier leur vieillissement. Puis on peut se servir de ces connaissances pour passer à une phase diffé-rente : celle du développement de voiles en relation avec un voilier. On mesure d'abord les voiles pour s'as-surer de leur conformité à la jauge, puis on peut mesurer le rond de guindant en 2D et enfin les mesurer enstatique pour en quantifier le volume, la répartition du creux, le vrillage. Les possibilités sont nombreuses,mais il importe que ces mesures soient intégrées dans une démarche générale d'optimisation de la perfor-mance du coureur, par le coureur et pour le coureur. Cette composante technologique de la performancepeut aussi permettre la poursuite d'objectifs de coopération, d'échange au sein d'un groupe.

    Mots clés : Mesures en statique, volume, dacron, mylar, rond de guindant,pinces, coupe orientée, cross cut, polyester, laminés, relevés de rond en 2 D.

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.11

    Technique et performance

    DES MESURES, DES VOILES ET DES COUREURS

    Philippe Neiras

  • Des mesures, des voiles et des coureurs, Philippe Neiras.

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.12

    Depuis de nombreuses années, les coureurs mesu-rent des voiles en statique. Pierre Leboutet1 a été àl'origine de la multiplication des mesures de voilesen statique dans les années 1980. L'objectif étaitde relier la conception des voiles avec les mesuresfaites en statique. L'outil de base servant à cettedémarche était un logiciel conçu par P. Pallu de LaBarrière2 pour le compte de la FFV. Par la suite, leCRAIN3 continua le développement de ce logicielqui deviendra le logiciel FABRIC4 utilisé actuelle-ment par la plupart des voileries pour la conceptionet la découpe des voiles assistées par ordinateur.

    Des générations de coureurs et d'entraîneurs dedifférentes séries ont mesuré leurs voiles en sta-tique et la littérature est assez abondante sur lesujet5. A l'Ecole Nationale de Voile, Paul lachkine6

    n'a eu de cesse de moderniser l'outil de mesureavec trois objectifs :

    - améliorer la précision,- diminuer le temps de mesure,- créer une base de données.

    Protocoles, outillage, locaux, ont été petit à petitaméliorés pour satisfaire ces exigences. Et lesaméliorations doivent continuer en 2003 avec lacréation d'un espace dédié uniquement auxmesures : mât, lattes, voiles, dérives...

    Parallèlement à cela, l'évolution des techniques arendu la photométrie abordable. Les paramètresmesurés en dynamique étaient compatibles avecles entrées du programme C.A.O. FABRIC. F. etV. Nivelleau7, par exemple ont développé un outild'évaluation des formes sur l'eau à base de pho-tométrie, qui est très utilisé et connu sous le nomd'ISIS. La Coupe de l'America a permis de grose fforts dans le domaine de la recherche voile etles outils se sont multipliés et diversifiés. Lesmesures dynamiques (en navigation) se sontdéveloppées et sont devenues également incon-tournables. Les Nivelleau ont mis au point un sys-tème d'évaluation en dynamique des voiles, basésur la vidéo et appelé : SAIL-VISION. Ce systèmeavait été mis au service de Team New Zeland en2000 et fonctionnait en différé. Aujourd'hui, il fonc-tionne en direct et ce sont les Suisses d'Alinghiqui se sont attaché les services de ces deux cal-c u l a t e u r s pour la coupe 2003. Voilà déjà 10 ans

    que les Nivelleau travaillent sur ce système puis-qu'ils étaient déjà présents pour la coupe 1992avec Marc Pajot.

    P. lachkine à l'ENV a également développé un outilde mesure des voiles en dynamique sur la base dela vidéo. Il a été utilisé par les séries Europe,Tornado et Finn. Ces mesures dynamiques per-mettent, suite à un traitement informatique, deretracer le squelette de la voile : les caractéris-tiques réelles de chaque profil,( profils à 25 %, 50 %et 75 %) c'est-à-dire :

    - le creux maxi,- la position du creux,- la tangente avant,- la tangente arrière,- le vrillage.

    L'enregistrement des données de la navigation parl'équipage (sensations et performance) permettentde lier des formes chiffrées aux sensations. Ainsi :

    - On peut reconstituer les caractéristiquesd'une voile de référence pour chaque forcede vent.

    - On obtient des données chiffrées sur lesvoiles en navigation.

    - On apprend au coureur à visualiser un volume(sa voile) et à le quantifier.

    - On favorise la connaissance intime des voileset par là même avec le vocabulaire adéquat,on favorise les possibilités d'échanges entrevoilier et coureurs.

    Les logiciels de C.A.O. permettent donc de quanti-fier très précisément les moyens permettant deconstruire une forme définie. Le concepteur dispo-se d'un outil permettant de réaliser exactement levolume souhaité. Ce volume est ensuite réalisésur le plancher en statique. Or les performancessont obtenues en dynamique sur l'eau. Les deuxformes statique et dynamique sont différentes :

    - la voile est établie sur un espar souple.- les tissus se déforment.- les réglages sont nombreux.- le champ de contraintes varie suivant unemultitude de paramètres.

    Il est donc très important de lier l'observation surl'eau à la performance (forme dynamique) et à laconception (forme statique).

    D'où la nécessité de mesurer le profil de la voile endynamique et pas seulement en statique. Mais siles mesures dynamiques ont pris un essor impor-tant dans la coupe de l'America, en voile olym-pique les mesures dynamiques ont plutôt connu uncoup de frein. Vers 1992, les mesures dynamiquessont passées de mode. Essentiellement à causede la lourdeur de la mise en place (installation de

    1. Pierre LEBOUTET : maître voilier de l’Ecole Nationale de Voile.Techniques Quantitatives de Voilerie " tomes 1 à 5, ENV 1980.

    2. Philippe Pallu de La Barrière : Docteur en mathématiques, Directeurdu CRAIN, membre du design team d’Areva pour la Coupe del’América.

    3. CRAIN : Centre de Recherche pour l’Architecture et l'industrieNautique. La Rochelle.

    4. FABRIC: nom d'un logiciel de conception des voiles utilisé par lamajorité des voileries ou bureaux d'études.

    5. Voir bibliographie6. Paul lachkine : Ingénieur, Docteur en génie mécanique, Directeur du

    service Recherche et Développement de l’ENV7. François et Virginie Nivelleau, spécialistes d'hydrodynamique à

    l'Ecole Centrale de Nantes.

  • Technique et Performance

    la vidéo, câblage, mise en place des pastillesrepères sur les voiles, enregistrement... ) et du trai-tement des données. Les mesures statiques, elles,plus facilement abordables ont continué, notam-ment en Tornado.

    Si l'on compare Coupe de l'America et JeuxOlympiques qui ont lieu tous les deux tous lesquatre ans, on constate que 80 % du temps estconsacré à la conception et à la mise au point dubateau dans le cas de la coupe de l'America, etque dans le cas de la préparation olympique (P.O.)80 % du temps est consacré à la navigation, à laconduite, comprise comme : "L'ensemble desactions contrôlées permettant au barreur de tirer lemeilleur parti de son bateau dans des conditionsdonnées de mer et de vent" et constitue le savoirfaire de base du régatier.Tous les barreurs disposant à peu près du mêmematériel, les différences de vitesse observéesentre les meilleurs barreurs sont donc liées à leurscapacités respectives à décoder et à exploiterleurs sensations. En voile olympique, le coureurest souvent à l'origine des évolutions techniques :il constitue le capteur principal pour quantifier laperformance en vitesse. Le coureur est donc situéau cœur de la démarche de recherche, c'est donclui qui détermine la problématique. L'entraîneur etles personnes ressources aident ensuite à traduireen termes mécaniques ou scientifiques la questionque se pose l'athlète et participent à l'objectivationdes différences. Pour les voiles, les mesures sontun des moyens pour les caractériser. Car si le cou-reur est le capteur numéro 1, il n'en reste pasmoins vrai que les sensations sont colorées affec-tivement et donc forcément subjectives. Mesurerest un moyen d'atteindre une certaine objectivité.Dans une démarche de compréhension du fonc-tionnement du gréement, on comprend donc queles deux types de mesure sont complémentaires. Ilne faut pas chercher à les opposer. La mise enŒuvre de mesures statiques (à terre) ne vise pasune quantification absolue des données, car ellessont de nature dynamique et surtout très com-plexes en voile. La problématique de la quantifica-tion se fait donc en valeur relative. La pertinenceou la validité des mesures provient non pas de sonaptitude à reproduire une réalité, mais de sa capa-cité à faire apparaître à terre, de façon simple etrapide, des différences de même sens que cellesqui sont constatées en navigation.

    En 1992, Randy Smyth8 développait une GV deTornado en HTP square sur la base d'une coupeorientée. Voile, qui fit forte impression à 3 mois des Jeux Olympiques de Barcelone. La voile de Randyfut achetée par les Français à l'issue de la semai-ne de Medemblick deux mois avant les Jeux olym-

    piques de Barcelone. Une série impressionnanted'essais sur l'eau et de mesures statiques furentfaites par les sélectionnés français (Loday-Hénard), les partenaires d'entraînement et le stafftechnique lors de la préparation finale aux Jeux, enjuin 1992 à l'Ecole Nationale de Voile, pour aiderau choix de la voile à utiliser aux J.O. de 1992.Loday - Hénard hésitaient entre leur Ullman deréférence et la voile de Randy. Essais et mesuresferont qu'ils resteront sur des bases connues etplus sûres pour eux, en prenant la Ullman pour lesJeux avec le succès que l'on sait.

    En 1993, la jauge a autorisé l'utilisation des lami-nés. On est donc progressivement passé de GV àcoupe horizontale (cross cut) de 10 lattes (unelatte à chaque jonction de panneaux) à des GV àcoupe orientée à 8 lattes (voiles Smyth puisUllman et Hyde (Hyde proposant même une voileà 7 lattes, mais qui ne séduisit pas à l'époque).Chaque voilerie testant de nouveaux tissus, dupolyester tissé aux laminés (Mylar) avec différentsgrammages et avec des combinaisons de tissusdifférents dans la même voile (Mylar avec mast-pannel en Dacron). Les voiles 10 lattes à coupehorizontale en Dacron ont cohabité avec les voilesDacron et ou Mylar orientées pendant toute la pré-paration olympique 1996. (Le Peutrec-Citeausélectionnés français aux Jeux d'Atlanta enTornado courront les jeux avec une voile Seagullen Dacron à coupe horizontale 10 lattes).

    L'apparition de la nouvelle coupe, liée à l'évolutionde la jauge permettant un choix plus important detissus a relancé l'intérêt pour les mesures sta-tiques de GV : chaque voilerie y allant de sesessais, il redevenait important de mesurer lesvoiles en statiques afin de parfaire la connaissan-ce et l'appropriation des voiles par les coureurs etsurtout de permettre la comparaison des voilesentre elles. Ainsi, le but des mesures en statique,développées par l'Equipe de France (sous l'impul-sion de Jean-Pierre Salou9 de 1986 à 1992), conti-nuées par Philippe Neiras10 (de 1993 à 2000) etréalisée à l'Ecole Nationale de Voile grâce à Paullachkine, ont pris une importance non négligeabledans la série Tornado. Et ce, même si au cours dechaque PO, une voilerie a réussi à gagner le mar-ché des voiles pour devenir le fournisseur quasiexclusif de la série. La voilerie Ullman Italie avec leregretté Giorgio Zuccoli11 s'est finalement toujours"taillée la part du lion" dans la série : les statis-tiques sont éloquentes : Ullman Italie équipe 94 %de la flotte Tornado au cours des P.O. 1996 et2000 ! On pourrait donc penser que lorsqu'une

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.13

    9. Jean-Pierre SALOU : Entraîneur de l'Equipe de France Tomado PO~1988 (médaille d'or à Séoul), P01992 (médaille d'or à Barcelone)

    10. Philippe Neiras : Entraîneur de l'Equipe de France Tomado PO.1996 (6ème à Atlanta), PO. 2000 (4e à Sydney)

    11. Giorgio Zuccoli : champion du monde Tomado, maître voilier, Ullmansails by Giogio Zuccoli.

    8. RandySmyth : maître voilier et coureur Tomado : doublechampion dumonde et médaille d'argent aux JO. de Barcelone

  • Des mesures, des voiles et des coureurs, Philippe Neiras.

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.14

    série monotype (à monotypie de classe) comme leTornado voit un aussi fort pourcentage de voilesvenant du même fabricant, cela revient à la mêmeproblématique que les classes monotypes (àmonotypie de constructeur) comme le laser et queles voiles étant garanties par le constructeurcomme toutes identiques dans les deux cas, il n'ya plus besoin de mesurer pour comparer et vérifier.Or, c'est justement l'inverse ! les voiles et le maté-riel en général présentent plus de différences enlaser qu'ils n'en présentent en Tornado. Donc lanécessité de mesurer se fait toujours sentir mêmesi la classe tend à une monotypie de constructeur.Aujourd'hui le bureau d'étude conçoit la voile grâceà la C.A.O., les fichiers sont envoyés via Internet àune société spécialisée dans la découpe : décou-pe des tissus au laser sur table aspirante, puis lespanneaux sont expédiés à la voilerie qui monte lesvoiles. La reproductibilité est de ce fait, presquebonne. Presque, car ce n'est pas une scienceexacte, les tissus de même référence peuvent êtreun peu différents, plus ou moins plats etc, l'erreurhumaine au montage toujours possible.

    Ainsi, les mesures se poursuivent pour laP.0.2004, en effet en 2001, la jauge Tornado achangé pour adopter un nouveau jeu de voile :adoption du spinnaker, modification de la GV avecla possibilité de faire une corne avec un maxi dejauge de 800mm et plus fort rond de chute, doncaugmentation de la surface de la GV et du foc. Lefoc peut désormais s'amurer sur le tangon, soit500mm plus bas que la précédente jauge, et sevoit doté de lattes allant du guindant à la chute. Sirien ne change dans les tissus au niveau de lajauge, l'arrivée de la fibre Pen et des tissus Pentexcomplexifie un peu plus le choix au niveau des tis-sus. La nouvelle donne imposée par la jauge aencouragé des voileries à tenter de disputer l'hé-gémonie Ullman dans la classe. Les équipages del'Equipe de France continuent donc à mesurerleurs voiles pour en suivre l'évolution et pour pou-voir les comparer. Xavier Revil/LaurentGuillemette; Olivier Backès/Laurent Voiron; YannGuichard/Christophe Espagnon, notamment, quicollaborent à la conception de leurs voiles avecleurs voiliers respectifs (Landenberger Allemagne,Ullman Italie, Incidence la Rochelle). Le groupedes jeunes Tornadistes du Pôle France à L'EcoleNationale de Voile mesure également leurs voiles: pour eux l'objectif est réellement "pédagogique",il s'agit de se former à la compréhension et à laconnaissance des voiles.

    Mais l'évolution marquante que l'on peut peut-êtrenoter, c'est que premièrement, les mesures prati-quées ne servent plus directement à la conceptiondes voiles mais indirectement, elles servent aucoureur pour connaître ses voiles et visualiser desdifférences. Deuxièmement, que la série a évolué

    d'un travail d'équipe ou collectif vers un travail plusindividuel. Il n'y a pas forcément aujourd'hui de tra-vail collectif au niveau des trois équipages del'Equipe de France A et B, donc pas d'objectifscommuns. Il n'y a plus de consensus ni " d'obliga-tion " à alimenter la base de données voile et àcomparer sa voile avec celle du ou des parte-naires. Ce qui place le secteur Recherche etDéveloppement de l'ENV en position difficile : lesmesures réalisées par, ou, pour un coureur et quisont traitées par le service peuvent-elles-être diff u-sées aux jeunes coureurs ? aux autres membres del'Equipe de France ? aux voiliers des équipages ?Ou bien y a-t-il désormais une confidentialité desmesures ? Les mesures appartiennent- elles uni-quement aux coureurs ? Les groupes de travail quise forment étant internationaux, qu'en est-il de laconfidentialité des mesures par rapport aux étran-gers ? les Français s'entraînant avec des étran-gers, peuvent-ils communiquer à leur partenaireétranger, les mesures de leurs voiles et celles desautres Français s'ils y ont accès ?

    Ces questions méritent d'être posées et laDirection Technique de la FFV ne semble pas pou-voir faire l'économie d'une réflexion sur ces sujets.

    Pour les groupes fonctionnant en équipe, l'élabo-ration d'un projet commun, le travail d'équipe,s'opérationnalise et se forge par les navigations etles débriefings communs mais aussi par la pour-suite d'objectifs d'ordre technologique : la possibi-lité d'échanger les mesures statiques de GV entreles membres de l'équipe est tout aussi importanteque l'échange des valeurs de réglage de barres deflèches ou de quête. De plus, la réalisation ou nondes mesures par les membres du groupe est unbon critère d'évaluation du travail d'équipe : toutesles voiles ont-elles été mesurées ? par tous lesmembres du groupe ? Les bilans d'utilisation desvoiles ont-ils été communiqués ? etc... Un objectiftechnologique de connaissance du matérielnécessitant la participation de tous et les efforts detous pour alimenter la base de données collectiveest ainsi un bon indicateur de la santé du projetcollectif de l'équipe...

    Les outils disponibles- Connaître parfaitement ses

    voiles :Cela permet de mieux les utiliser en interprétantmieux le fonctionnement de la chaîne de réglagesstatiques et dynamiques. Mais cela suppose unapprentissage : chiffres, terminologie ou vocabu-laire commun, référence à un outil de mesure,référence à une méthode. Cela impose de touteévidence à tous, d'élever son niveau de connais-sance dans le secteur de la conception et de lafabrication des voiles : des fibres et de leurs carac-

  • Technique et Performance

    téristiques à la fabrication des tissus jusqu'à laconnaissance des outils de conceptions et à lacaractérisation des formes.

    - Comparaison d'une voile parrapport à une voile de référence (del'équipage) :Cela permet, lors d'un achat de voile demandéecomme identique au voilier, de pouvoir comparerla voile neuve à la voile utilisée jusqu'alors ou à lavoile référence.Cela permet de comparer entre-elles des voiles

    de fabricants différents.

    Cela permet de comparer sa voile avec celle du oudes partenaires d'entraînement.Mais cela suppose l'obtention d'un engagement

    dans une collaboration approfondie et sur la duréedu projet entre les membres du groupe de travailou de l'équipe : accès aux protocoles, mesures,aux résultats des mesures, à la base de donnéespour tous. Cela suppose donc la définition d'unespace collectif dans lequel les mesures sont pra-tiquées et échangées entre les membres du grou-pe. La mesure des voiles et la diffusion du résultatdes mesures étant une des règles de fonctionne-ment du groupe. On peut aussi envisager un autrefonctionnement où les mesures appartiennent aucoureur et à lui seul et ne sont pas diffusées aureste du groupe.

    - Comparaison d'une même voilemesurée à des moments différents :Cela permet le contrôle du vieillissement de lavoile, on peut donc en tirer des enseignements fortutiles pour la planification des achats.

    Cela permet également de contrôler l'effet d'unemodification apportée à la voile par exemple enpince ou en rond. Ou bien de contrôler l'effet pro-duit par des lattes de raideur et de pourcentage decreux différents. Ou encore de visualiser l'effet pro-duit sur le volume par des tissus différents ou demême tissu à grammage différent.

    - Comparaison de plusieursvoiles :Cela permet de visualiser sur la même représen-tation graphique jusqu'à cinq voiles différentes.

    - Situer une voile par rapport àl'ensemble des mesures effectuées :Grâce à la constitution d'une base de données, onpeut tenter de mettre en évidence les grandes ten-dances de l'évolution des voiles.Les mesures statiques se sont donc un peu éloi-gnées de l'aspect conception même si elles per-mettent une meilleure connaissance des voiles parle coureur.

    Sauf pour l'Equipe de France de 470 (P.O. 2000)qui, sous l'impulsion de Bertrand Dumortier12, atransformé le protocole de mesures statiques devoile pour en permettre l'utilisation par le voilier dela série (Voilerie Le Bihan) dans une perspectivede fabrication. Ainsi l'outil de mesure statique estrevenu un peu à sa fonction première, celle de par-ticiper et d'aider à la conception. Avec quelquesadaptations, l'outil de mesures statiques des voilespeut être utilisé dans deux directions différentes.

    On sait également que quelle que soit sa stratégiede préparation ou sa logique personnelle de pré-paration :

    - Que l'on soit un coureur utilisateur qui choisitses voiles dans ce qui est proposé sur le mar-ché et qui privilégie les facultés d'adaptation.

    - Ou que l'on soit un coureur qui cherche à faireé v o l u e r, et/ou qui cherche à créer sespropres voiles.

    On ne peut faire l'économie d'une réflexion pous-sée sur les voiles.

    Bien sûr la navigation est le moyen numéro 1 dela connaissance des voiles : sentir, régler, obser-ver ses voiles sur l'eau en naviguant est la basedu travail. Puis vient un temps où il faut donnerune base concrète à l'émergence des sensationspour mieux utiliser les voiles et/ou pour faire évo-luer les voiles et éventuellement en créer. Il fautdonc bien faire la relation entre les sensations etles formes observées, puis les formes sont tra-duites en chiffres et les sensations en commen-taires pour pouvoir capitaliser l'expérience. Lamémoire humaine étant certes un outil inesti-mable, elle n'en devient pas moins insuff i s a n t elorsqu'il s'agit de capitaliser la somme importanted'expériences accumulées au cours des naviga-tions. Il ne suffit pas de vivre une expérience, ilfaut structurer sa capacité à intégrer et surtout àdévelopper des schémas créatifs. Car lesmesures ne sont pas faites pour stéréotyper lescoureurs et les entraîneurs et les enfermer dansun verbiage compréhensible par eux seuls, nidans une approche unique de la réponse à laquestion. "Qu'est ce qu'une bonne voile pournous aujourd'hui ?". Mais bien pour ouvrir desperspectives, critiquer des volumes et des répar-titions de volume, apprécier l'effet d'une modifica-tion pince ou rond ou l'utilisation d'un tissu diff é-rent pour favoriser l'adaptation sur l'eau au grée-ment et accéder le plus vite possible aux bonsréglages. C'est-à-dire ceux qui nous permettentd'aller plus vite et non plus de manières généra-liste ou hasardeuse.

    A l'heure actuelle, les coureurs Tornado utili-sent 3 formes de mesures sur leurs voiles :

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.15

    12. Bertrand Dumortier Entraîneur de l’Equipe de France 470 POSydney 2000 et P 0. Athènes 2004

  • Des mesures, des voiles et des coureurs, Philippe Neiras.

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.16

    - les mesures liées à la jauge.- les relevés de rond en 2D.- les mesures statiques effectuées sur un

    mât de Tornado avec deux chargementsd i ff é r e n t s .Les mesures liées à la jauge : la fiche jauge

    Le service Recherche et Développement del'ENV a constitué pour les coureurs un dos-sier jauge. Ce dossier comporte une présen-tation de la déontologie du jaugeur voile, letexte de jauge de la classe en Anglais et satraduction en Français, les fiches de jaugemât, voiles.

    En effet, afin de participer à l'autonomisationdes coureurs, une formation de jaugeur voilea été dispensée aux coureurs afin qu'ilssoient à même de jauger leurs voiles : deuxjaugeurs ont été désignés et donc formésdans le groupe France et deux dans le grou-pe jeune. Deux jaugeurs par groupe, car,bien entendu, un jaugeur ne peut certifierson propre matériel et deux dans chaquegroupe car les programmes des deuxgroupes sont différents (les deux groupes nesont pas systématiquement ensemble sur lesmêmes lieux). Cette formule permet doncaux coureurs d'être autonomes dans la jaugedes voiles (il n'y a pas forcément un jaugeur

    présent sur les entraînements et sur lesrégates). Lorsqu'un coureur reçoit une voile,il peut donc la faire jauger par un autre cou-reur jaugeur. Cela lui permet d'être sûr que lavoile est à la jauge et de ne pas perdre detemps à utiliser une voile hors jauge ou dedemander au voilier de modifier la voile pourqu'elle respecte la jauge. Cet objectif de res-ponsabilisation des coureurs nous a toujoursparu important, car les incidences sur la viedu groupe sont importantes : chaque coureurdoit bien évidemment respecter la jauge. Latransparence sur cet aspect permet aux cou-reurs de ne pas laisser de doutes s'installer,ce qui est particulièrement déterminant dansl'ambiance du groupe quand les sélectionsa p p r o c h e n t .

    La fiche jauge permet également une premiè-re approche dans la connaissance des voiles: les dimensions de la voile, les renforts etleur disposition, les types de tissus parexemple sont ainsi connus.

    La fiche de relevé de rond en 2D

  • Technique et Performance

    La voile est mise à plat sur le plancher, un fil àsurlier est tendu du point de drisse au pointd'amure et de l'extrémité de la corne au pointd'écoute. Le rond de la voile est mesuré à 25 %,50 % et 75 %. Puis le rond maximum est mesu-ré en valeur et en emplacement (calculé en pour-centage de la longueur du guindant). La positiondes lattes est également mesurée et portée surle schéma. Le rond de chute est mesuré, la lon-gueur de la corne également. Le type de tissuutilisé est noté, surtout si différents grammagesde tissus sont utilisés dans la même voile. Uncroquis de la construction de la voile (répartitiondes panneaux) est fait avec l'annotation du typede tissu utilisé.

    Ainsi lors du dernier relevé effectué en janvier2003 à l'ENV on a pu s'apercevoir, par compa-raison entre les voiles mesurées, que sur unevoile Ullman, deux types de tissus étaient utilisés: de l'APEN 6 en 1,5mil et de l'APEN 6 en 2mil.La répartition des deux tissus est originale : letissu en 2 mil est placé sur le guindant et sur lespanneaux de chute, le tissu plus léger est placéau centre de la voile. On a aussi pu constaterque la valeur de la corne (fixée par la jauge à800mm) a évolué entre 2002 et 2003 : la corneaugmente pour se rapprocher du maxi de jauge :les premières voiles avaient 600mm puis 760mmpuis enfin 775mm. La valeur du rond du guindanta évolué : le rond a augmenté en valeur aux troisniveaux à 25 %, 50 %, 75 % et surtout : le rondde guidant maximum se situe désormais plushaut qu'avant : il se situe à 77 %.

    Ces mesures ont permis également d'objectiverles différences entre les voiles Seagull et lesvoiles Ullman. En effet, les mesures ont permisde voir que les voiles Seagull jugées plus platesque les Ullman et auxquelles on avait apportédes modifications en augmentant la valeur durond disposaient en fait de plus de rond de gui-dant que les Ullman. Elles n'étaient donc pasplus plates à cause d'un manque en rond mais àcause de valeurs de pinces moins importantes.

    Les mesures statiques sur mât : (pages 16 et 17).

    Les statiques de GV permettent donc deconnaître la valeur de creux des 6 profils et sarépartition (en pourcentage de la corde). Levrillage et la valeur de guidant sont représentéségalement sous forme d'une courbe, étalonnéepar l'emplacement du capelage de haubans etpar la position des barres de flèche. Parexemple, on a pu constater lors des dernièresmesures effectuées en janvier 2003 que deuxvoiles quasiment identiques en mesures dejauge, en relevé de rond en 2D et mesurées enstatique avec le même jeu de lattes, présentaient

    des creux identiques en valeur (quantité etrépartition) pour un chargement à 70 kg au pointd'amure et 40 kg au point d'écoute. Mais ellesprésentaient une différence importante de quan-tité de creux et répartition avec un chargementde 150 kg au point d'amure et 60 kg au pointd'écoute. Ces deux voiles du même fabricant neprésentent qu'une différence, mais de taille : letissu utilisé ! L'une est constituée de tissuDimension PE 15, l'autre de tissu ContenderAPEN 6 en 1,5 et en 2 mil. La voile fabriquée surla base de tissu Contender s'aplatit beaucoupplus que la voile fabriquée sur la base du tissuDimension dès que l'on augmente le charge-ment. Autre différence : le vrillage de la voile surbase de tissu Contender est beaucoup moinsimportant que le vrillage de la voile sur base detissu Dimension et ce dès les chargementsfaibles (40 et 70 kg) : la variation angulaire de lacorde des profils est beaucoup plus marquée surla voile en tissu Dimension.

    On voit donc ici que l'on arrive bien à caractéri-ser des voiles de coupe, de valeur de rond, delattes identiques à l'aide d'un protocole de mesu-re fiable à 0,5 millimètre près.

    Les réactions des coureurs lors des mesuressont intéressantes et doivent alerter l'entraîneursur les implications des mesures : les mesuresont été réalisées avec des voiles neuves, donc à0 heure de navigation. Ensuite, le simple faitqu'une de ces voiles appartienne à un coureurrenommé a immédiatement fait penser auxjeunes coureurs, qui ont effectué les mesures,que la voile du coureur renommé était meilleure.Les mesures, elles, n'ont indiqué que des diff é-rences de valeur de creux et de vrillage. Mais enaucun cas un jugement de valeur sur la rentabi-lité ou la performance. C'est tout le danger desmesures à priori. Le juge de paix est, bien enten-du, la navigation et le résultat en régate. Mais lerésultat en régate, seul, est également insuff i-sant pour critiquer une voile : tant de paramètresinterviennent ! Il convient donc d'être extrême-ment prudent dans ses affirmations et de tou-jours veiller à lier mesures avec navigation (sen-sations plus résultats) avant de porter un juge-ment sur une voile.

    Cahiers de l’ENV - Juin 2003 - p.17

  • Des mesures, des voiles et des coureurs, Philippe Neiras.

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  • Technique et Performance

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  • Des mesures, des voiles et des coureurs, Philippe Neiras.

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    ConclusionMesurer des voiles suppose donc un intérêt pour lacomposante technologique de l'activité de la part duc o u r e u r. On peut être utilisateur de voiles, concentrertoute son énergie sur d'autres composantes de la per-formance, ou rentrer dans une logique de développe-ment des voiles. C'est donc une question de choix etcela renvoie bien sûr à la notion de projet, de déter-mination des priorités de travail et impose, si le choixest fait de travailler sur les voiles et de les mesurer, deconstruire un véritable projet vu "comme un ensemblearticulé d'objectifs et de moyens destinés à les réali-ser ". Les temps nécessaires à la mesure doivent êtreintégrés et le planning doit voir apparaître cesséquences de mesure au même titre que les bilanskiné ou médicaux ou que les évaluations physiques etles plages d'entraînement physique. Les dates butoirsdoivent également être déterminées : en effet, se fixerune “dead line” est impératif, car à partir d'un certainmoment, s'il y a du retard dans la poursuite d'un objec-

    tif technologique, le retard n'est pas rattrapable : lesobjectifs demandent donc alors d'être revus et chan-g é s .Comme nous l'avons vu plus haut, les coureursfrançais disposent d'une infrastructure et de per-sonnes ressources pour mener à bien cesmesures : les membres du service Recherche etDéveloppement de l'ENV. De plus, il est trèsimportant que le projet soit clair et précis et que lesmesures soient faites régulièrement. Elles doiventêtre réalisées avec le même protocole, et surtoutla première mesure doit être faite dès l'achat d'unevoile (voile neuve à 0 heure de navigation). Il estégalement impératif que les coureurs associent lesnavigations et les mesures et surtout notent leurssensations et les remarques faites pour chaquevoile, bref, qu'ils s'organisent pour tenir à jour leurcarnet d'essai et leur propre base de données.Cela revêt enfin un enjeu pour la constructionautonome et précoce des athlètes et de leur projet.

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