des agriculteurs dépollueurs! - chambres d'agriculture - provence … · 2017-06-29 · boues...

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L’ESPACE ALPIN - Vendredi 2 décembre 2016 9 RECYCLAGE Dossier réalisé par Stéphanie Martin avec la participation de Catherine Montrozier, CA 05 et de Nicolas Milesi, CA 04. Les agriculteurs traînent encore derrière eux une image de pollueur. Pourtant, alors même qu'ils s'efforcent de communiquer sur leurs changements de pratiques, notamment en matière d'usage de produits phytosanitaires, il est un domaine dont on parle assez peu, à savoir l'épandage de boues d'épuration, qui contribue pourtant, non seulement à améliorer les propriétés agronomiques des sols, mais encore à diminuer l'usage d'engrais minéraux, tout en favorisant la valorisation locale des déchets. Un système de recyclage gagnant- gagnant pour les agriculteurs et pour les collectivités, qui relève autant de l'exigence agro-écologique que de l'acte citoyen. Boues d'épuration : on dirait qu'ça te gêne... « A vant, j'évitais d'en parler. Maintenant, je le reven- dique. J'ai vraiment l'im- pression de travailler pour l'environne- ment, pour les générations futures. Je suis convaincu d'améliorer la qualité des sols, et ce sans déranger les gens ». Une déclaration en forme de coming out de la part des bureaux d'études environnementales que nous avons interrogés sur la question de la valo- risation des boues d'épuration. Il est vrai que la revendication est, en la matière, encore un peu un acte de bravoure, tant la chose persiste à générer de la suspicion auprès de la population. Il est vrai aussi que le sujet manque de glamour. Car que sont les boues, in fine ? Rien de moins que les sédiments résiduaires produits par les stations d'épuration à partir des effluents que l'on rejette dans nos canalisations. Cela va alors des résidus alimentaires qui s'écou- lent avec l'eau de vaisselle, au contenu de la cuvette des toilettes. Sont-ce les conséquences d'un inal- térable tabou ? Toujours est-il que cela ne figure pas parmi les sujets de conversation que l'on préfère. Le problème, c'est que la chose existe et, qu'on le veuille ou non, il faut bien la gérer. Or, il n'y pas plé- thore de moyens d'éliminer les boues d'épuration. Nous avons la mise en décharge, l'incinération ou la valorisation agricole par épan- dage ou compostage. Un intérêt agronomique évident Et il se trouve que l'épandage des boues d'épuration présente pas mal d'avantages. D'un point de vue agronomique, d'abord. Les boues des stations d'épuration sont constituées de : - particules minérales (argiles, car- bonates, silicates, phosphates...) ; - débris organiques grossiers (fibres textiles, résidus végétaux, matières plastiques) ; - biomasse morte (résidus de cel- lules bactériennes, résidus d'algues...) ; - polymères organiques issus de l'ac- tivité de la biomasse (polysaccha- rides, protéines) ; - constituants minéraux et orga- niques solubles. Les boues contiennent des nutri- ments pour les cultures et servent d'amendement organiques et cal- ciques qui améliorent les propriétés physiques et chimiques du sol, sur- tout si elles sont chaulées (lire par ailleurs) ou compostées. Des micro- organismes présents en grand nom- bre dans le sol digèrent en partie les matières organiques apportées par les boues et les transforment en élé- ments minéraux disponibles pour la plante. Une autre partie des matières organiques est incorporée au sol et contribue à l'entretien d'une structure favorable au déve- loppement des racines. Les boues, une fois épandues, aug- mentent le rendement des cultures. Et ce à portée de la main, dans un contexte où il s'agit, malgré tout, de privilégier les méthodes culturales agro-écologiques. « Dès lors qu'il est de bonne qualité, c'est un déchet qu'on a le devoir de valoriser », explique Joël Pouget, du bureau d'études Agrosylva. Raison pour laquelle les départements des Alpes-de-Haute- Provence et des Hautes-Alpes ont inscrit la valorisation des boues dans leur Agenda 21 et élaboré parallèle- ment un schéma de valorisation des boues par l'épandage. Cette façon de voir les choses est partagée par certains agriculteurs qui se portent volontaires pour épandre les boues sur leurs terres. « Je ne pense pas qu'on puisse se pri- ver de recycler la matière organique », estime Sylvain Paul, qui exploite, en GAEC avec son père Gilles et son frère Nicolas, les boues de la station d'épuration (STEP) de Digne-les- Bains. « Les boues arrivent sèches des stations de Digne et de Rocbaron, sous la forme de granulés et peuvent être épandus avec une grande précision grâce à un épandeur d'en- grais aménagé », explique Gilles. Céréaliers et lavandiculteurs, ils sont tous trois de fervents défenseurs de l'agriculture de conservation et pra- tiquent le semis direct sous couvert végétal. « Il ne faut pas perdre de vue que les engrais minéraux sont des res- sources fossiles. Que ce soit les gise- ments de phosphates ou de potasse, il va arriver un moment où il y aura pénurie ». Bref, les boues permettent de recy- cler des déchets qui, avant que ce procédé ne soit mis en place, étaient directement rejetés dans les rivières. Un principe sur lequel tout le monde s'accorde a priori. Sauf que, pour beaucoup de gens, ce serait quand même mieux si ça pouvait être fait loin de chez soi... Cette pro- blématique est inhérente à la ges- tion des déchets en général. On a tous conscience qu’il faut les gérer mais beaucoup de gens ne veulent pas en subir les moindres consé- quences. D'autant que les boues d'épuration ne sont tout de même pas sans inconvénient. Olfactifs pour com- mencer. Tout le monde en convient. Mais là encore, les procédés de trai- tement sont en voie de très nette amélioration. La STEP de Digne, qui a pour particularité d'avoir été lors de sa construction en 2009 la pre- mière station HQE (haute qualité environnementale) de France, comprend une unité de séchage solaire qui permet de déshydrater les boues. Outre que cela facilite leur transport, et en limite le coût, cela limite aussi les nuisances olfactives. De nos canalisations aux champs : des agriculteurs dépollueurs ! St.M. Le tableau indique le pourcentage des éléments fertilisants ainsi que le pourcentage de la matière organique contenues dans les boues. La disponibilité du phosphore, de l'azote, et du taux de matière organique des boues est conditionnée par le procédé de traitement utilisé dans la station. Composition générale des boues d'épuration (source Ademe) Matière sèche (MS) 2 à 95 % selon la siccité Matière organique 50 à 70 % de la MS (30 % si boues chaulées) Azote 3 à 9 % de la MS Phosphore 4 à 6 % de la MS Potasse < à 1 % de la MS Magnésie < à 1 % de la MS Chaux 4 à 8 % de la MS (25 % si boues chaulées) Carbone/azote 5 à 12

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L’ESPACE ALPIN - Vendredi 2 décembre 2016 9

RECYCLAGE

Dossier réalisé par Stéphanie Martin avec la participation de Catherine Montrozier, CA 05 et de Nicolas Milesi, CA 04.

Les agriculteurs traînent encore derrière euxune image de pollueur. Pourtant, alors mêmequ'ils s'efforcent de communiquer sur leurschangements de pratiques, notamment enmatière d'usage de produits phytosanitaires, il

est un domaine dont on parle assez peu, àsavoir l'épandage de boues d'épuration, quicontribue pourtant, non seulement à améliorerles propriétés agronomiques des sols, maisencore à diminuer l'usage d'engrais minéraux,

tout en favorisant la valorisation locale desdéchets. Un système de recyclage gagnant-gagnant pour les agriculteurs et pour lescollectivités, qui relève autant de l'exigenceagro-écologique que de l'acte citoyen.

Boues d'épuration : on dirait qu'ça te gêne...«A

vant, j'évitais d'en parler.Maintenant, je le reven-dique. J'ai vraiment l'im-

pression de travailler pour l'environne-ment, pour les générations futures. Jesuis convaincu d'améliorer la qualitédes sols, et ce sans déranger les gens ».Une déclaration en forme de comingout de la part des bureaux d'étudesenvironnementales que nous avonsinterrogés sur la question de la valo-risation des boues d'épuration.Il est vrai que la revendication est,en la matière, encore un peu un actede bravoure, tant la chose persiste àgénérer de la suspicion auprès de lapopulation. Il est vrai aussi que lesujet manque de glamour. Car quesont les boues, in #ne ? Rien demoins que les sédiments résiduairesproduits par les stations d'épurationà partir des e$uents que l'on rejettedans nos canalisations. Cela va alorsdes résidus alimentaires qui s'écou-lent avec l'eau de vaisselle, aucontenu de la cuvette des toilettes.Sont-ce les conséquences d'un inal-térable tabou ? Toujours est-il quecela ne 'gure pas parmi les sujets deconversation que l'on préfère. Le problème, c'est que la choseexiste et, qu'on le veuille ou non, ilfaut bien la gérer. Or, il n'y pas plé-thore de moyens d'éliminer lesboues d'épuration. Nous avons lamise en décharge, l'incinération ou

la valorisation agricole par épan-dage ou compostage.

Un intérêt agronomiqueévidentEt il se trouve que l'épandage desboues d'épuration présente pas mald'avantages. D'un point de vue agronomique,d'abord.Les boues des stations d'épurationsont constituées de : - particules minérales (argiles, car-bonates, silicates, phosphates...) ;- débris organiques grossiers ('brestextiles, résidus végétaux, matièresplastiques) ;- biomasse morte (résidus de cel-lules bactériennes, résidusd'algues...) ;- polymères organiques issus de l'ac-tivité de la biomasse (polysaccha-rides, protéines) ;- constituants minéraux et orga-niques solubles. Les boues contiennent des nutri-ments pour les cultures et serventd'amendement organiques et cal-ciques qui améliorent les propriétésphysiques et chimiques du sol, sur-tout si elles sont chaulées (lire parailleurs) ou compostées. Des micro-organismes présents en grand nom-bre dans le sol digèrent en partie lesmatières organiques apportées parles boues et les transforment en élé-ments minéraux disponibles pour la

plante. Une autre partie desmatières organiques est incorporéeau sol et contribue à l'entretiend'une structure favorable au déve-loppement des racines. Les boues, une fois épandues, aug-mentent le rendement des cultures.Et ce à portée de la main, dans uncontexte où il s'agit, malgré tout, deprivilégier les méthodes culturalesagro-écologiques. « Dès lors qu'il estde bonne qualité, c'est un déchet qu'ona le devoir de valoriser », explique JoëlPouget, du bureau d'étudesAgrosylva. Raison pour laquelle lesdépartements des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes ontinscrit la valorisation des boues dansleur Agenda 21 et élaboré parallèle-ment un schéma de valorisation desboues par l'épandage. Cette façon de voir les choses estpartagée par certains agriculteursqui se portent volontaires pourépandre les boues sur leurs terres.« Je ne pense pas qu'on puisse se pri-ver de recycler la matière organique »,estime Sylvain Paul, qui exploite, enGAEC avec son père Gilles et sonfrère Nicolas, les boues de la stationd'épuration (STEP) de Digne-les-Bains. « Les boues arrivent sèches desstations de Digne et de Rocbaron,sous la forme de granulés et peuventêtre épandus avec une grande précision grâce à un épandeur d'en-grais aménagé », explique Gilles.

Céréaliers et lavandiculteurs, ils sonttous trois de fervents défenseurs del'agriculture de conservation et pra-tiquent le semis direct sous couvertvégétal. « Il ne faut pas perdre de vueque les engrais minéraux sont des res-sources fossiles. Que ce soit les gise-ments de phosphates ou de potasse, ilva arriver un moment où il y aurapénurie ». Bref, les boues permettent de recy-cler des déchets qui, avant que ceprocédé ne soit mis en place, étaientdirectement rejetés dans les rivières.Un principe sur lequel tout lemonde s'accorde a priori. Sauf que,pour beaucoup de gens, ce seraitquand même mieux si ça pouvaitêtre fait loin de chez soi... Cette pro-blématique est inhérente à la ges-

tion des déchets en général. On atous conscience qu’il faut les gérermais beaucoup de gens ne veulentpas en subir les moindres consé-quences.D'autant que les boues d'épurationne sont tout de même pas sansinconvénient. Olfactifs pour com-mencer. Tout le monde en convient.Mais là encore, les procédés de trai-tement sont en voie de très netteamélioration. La STEP de Digne, quia pour particularité d'avoir été lorsde sa construction en 2009 la pre-mière station HQE (haute qualitéenvironnementale) de France, comprend une unité de séchagesolaire qui permet de déshydraterles boues. Outre que cela facilite leurtransport, et en limite le coût, celalimite aussi les nuisances olfactives.

De nos canalisationsaux champs : des agriculteursdépollueurs !

St.

M.

Le tableau indique le pourcentage des éléments fertilisants ainsi que le pourcentage de lamatière organique contenues dans les boues.

La disponibilité du phosphore, de l'azote, et du taux de matière organique des boues estconditionnée par le procédé de traitement utilisé dans la station.

Composition générale des boues d'épuration (source Ademe)

Matière sèche (MS) 2 à 95 % selon la siccité

Matière organique 50 à 70 % de la MS (30 % si boues chaulées)

Azote 3 à 9 % de la MSPhosphore 4 à 6 % de la MSPotasse < à 1 % de la MSMagnésie < à 1 % de la MSChaux 4 à 8 % de la MS (25 % si boues chaulées)

Carbone/azote 5 à 12

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Vendredi 2 décembre 2016 - L’ESPACE ALPIN10

DOSSIER RECYCLAGE

« Si l'on prend l'exemple de Digne,avant la construction de la nouvelleSTEP, les boues d'épuration étaientliquides. C'était l'horreur. Cela coulaitpar la trappe des camions, ça sentaitmauvais. Si on travaille comme ça, ilest normal que ce ne soit pasaccepté, convient Gilles Paul. Il fautdonc que les STEP soient mises auxnormes petit à petit pour que lesboues soient déshydratées. De toutefaçon, les boues liquides sont uneaberration, ne serait-ce qu'en termesde coût de transport. Mais avec desboues séchées qui arrivent sousforme de granulés, en quelque sorte,et surtout si on les enfouit tout desuite, il n'y a pas de nuisance olfac-tive. Il faut que les choses soientexpliquées convenablement. Si leschoses sont mal comprises par lesgens qui en subissent les inconvé-nients, c'est normal que cela pro-voque des réticences. »

Le compost, plusacceptable... ou presqueFaiblesse de la STEP de Digne-les-Bains : son incapacité, de par cechoix d'avoir opté pour un systèmede séchage solaire, à assurer la dés-hydratation habituellement pousséedes boues durant l'hiver.Qu'à cela ne tienne, les boues sonttransférées et valorisées dans descentres de compostage (lire par ail-leurs). Si le bilan carbone s'en trouveun peu moins favorable, celarépond néanmoins à d'autres reven-dications des populations locales.« L'intérêt du compost, c'est que l'onobtient un produit qui est aussi inté-ressant pour les agriculteurs, et quecela rend les boues plus acceptablespour les consommateurs1 », soulignele Conseil départemental des Alpesde Haute-Provence. Quoique... Car làencore, le facteur psychologiqueintervient souvent. Et si les projetsde plate-formes de compostage sesuivent, ils sont loin de tous aboutir :nombreux sont ceux qui se heurtentà des levées de bouclier violentes.Idem pour les projets de méthanisa-tion : la population se montre plutôtfavorable à des projets de cetordre... jusqu'à ce qu'elle com-prenne que les boues d'épurationrentrent dans la composition desdigestats. Au niveau des services detutelle eux-mêmes, l'intérêt d'inté-grer les boues à leur politiquepublique ne semble pas toujoursaller de soi. En fait, quoi qu'on fasse, les bouesd'épuration font 4gure de repous-soirs. Au point où il devient di6cilede communiquer sur le sujet, y com-pris pour informer les populationssur leur mode de traitement. « L'idéepremière serait de chercher à expli-quer comment ça se passe, mais lesimple fait pour les porteurs de projetsde vouloir communiquer sur le sujetles rend paradoxalement suspects »,déplore-t-on au département.

« Les métaux lourds, c'estdu passé »Le motif de cette irréductible aver-sion est que les boues sont chargéesde ce que l'on appelle d'unemanière générale des « composésindésirables ». Ces composés, cesont les éléments traces métalliques(métaux lourds), les composéstraces organiques (hydrocarbures,pesticides, par exemple) et lesgermes pathogènes (virus, bacté-ries, protozoaires potentiellementprésents dans les déjections ani-males et humaines).

Les métaux lourds, par exemple,sont particulièrement craints du faitde la toxicité de certains d'entre euxcomme le plomb ou le mercure. Aceci près que les boues font l'objetd'analyses dont la fréquence et les« seuils limites » d’acceptabilité sont4xés par la réglementation. « One2ectue un suivi qui permet de déter-miner le niveau de métaux lourds, les impuretés, la valeur agronomiqueet bactériologique », détaille Michel Garcin, gérant du cabinetd'études gapençais Recytec-Environnement&Conseils. JoëlPouget, du cabinet d'étudesAgrosylva, renchérit : « lorsqu'onparle de boues aux gens qui n'yconnaissent rien, ils ont leurs cheveuxqui se dressent sur la tête alors quecela fait des années que c'est devenuquelque chose de très sérieux ». « Avant, les boues d'épuration avaientle statut d'engrais, explique MichelGarcin. On s'est aperçu qu'il n'y avaitpas de contrôle des doses, qu'il pou-vait y avoir des dérapages et, du coup,la profession agricole s'est notam-ment mobilisée pour que l'on puissepasser à un statut de déchet qui, encontrepartie, imposait des contrôlesdraconiens. L'évolution a montré quel'on pouvait, à partir des boues, fairedes produits stabilisés, de bonne qua-lité, avec un e2et de dilution desmétaux lourds, déjà en très faible pro-portion sur le département puisqu'onn'a que des rejets domestiques et nonindustriels ».« Toutes les boues ne peuvent pas êtreépandues et celles qui le seront, sesituent toujours autour de 20 à 30 %du seuil réglementaire. Dès qu’onavoisine 40 % de ce seuil, on tire lasonnette d'alarme a9n de déterminerl’origine de cette hausse anormale.Nous ne sommes pas confrontés à deslots de boues devant être écartés enraison de leur non-conformité. Il n'y adonc pas de souci particulier à releverà ce niveau-là », observe NicolasMilesi, chargé de mission environ-nement la Chambre d'agriculturedes Alpes de Haute-Provence. JoëlPouget con4rme : « Il faut être clair, ily a des métaux lourds dans les boues,mais en quantité extrêmement faible.Il faut savoir que l'Ademe (Agence del'environnement et de la maîtrise del'énergie, NDLR) avait mis en évidenceque l'épandage de boues était 40 foismoins polluant que l'épandage d'en-grais chimique, et notamment l'en-grais phosphaté, à valeur fertilisantecomparée. Ce qui veut dire que pour lamême quantité de phosphore, onapporte 40 fois moins de cadmium2

au sol ». « On se rend compte que la qualité desboues s'améliore d'année et en année.On a de moins en moins de métauxlourds dans les boues, ne serait-ce queparce que l'on a de moins en moins decanalisations en plomb, du fait de

Témoignage. Éleveur à Allons, Régis Galfard fertilise ses champs avec ducompost issu de boues d'épuration

Un acte citoyen et économique« J'épands du compost sur 55 ha de fourrages dansle cadre du plan d'épandage. J'ai commencé en 2013après avoir été contacté l'année précédente par unbureau d'études qui cherchait des agriculteurs volontaires autour de la commune d'Annot. Le compost est fait avec les boues d'épuration et les dé-chets verts des communes alentour. On a signé uncontrat sur lequel ils s'engageaient à faire du compost et à me le livrer. Du coup, j'ai acheté unépandeur à table horizontale, qui a pour intérêtd'épandre de manière homogène. La mairie medonne 750 € pour épandre ce produit, ce qui corres-pond aux échéances de l'épandeur. La première fois que la mairie m'en a apporté, c'était un produit très grossier qui contenaitdes bouts de bois et du plastique. J'avais accepté, mais je ne comptais pas continuer. Puis, lamairie a changé son fusil d'épaule. Ils ont commencé à cribler le compost et à trier les déchets.Depuis trois ans, le produit est stabilisé et correspond à ce que je veux. Ils m'amènent entre60 et 80 tonnes de compost par an. Le produit est analysé et, en fonction des analyses, on définit un tonnage à l'hectare. Cetteannée, j'ai épandu 12 t/ha sur 6 ha. On me livre le produit fin septembre pour un labour àl'automne. Un bureau d'études effectue le suivi pour déterminer si la pratique est conformeau plan d'épandage.L'intérêt d'utiliser des composts est d'améliorer mon humus et, cumulé avec le fumier, de di-minuer l'utilisation des engrais chimiques. Cela représente un réel intérêt économique. »

l'existence des déchetteries. De plus, ily a eu dans le même temps un chan-gement de mentalité. Les gens ontcompris qu'il fallait trier ses déchets etne pas prendre le tout-à-l’égout pourun dépotoir... On est toujours vigi-lants, mais on peut considérer que laproblématique « métaux lourds »,c'est du passé. »

Résidus médicamenteux :une zone d'incertitudesDeuxième argument préféré desdétracteurs de la valorisation agri-cole des boues : les résidus médica-menteux. Comme le relevaient lesministères de la Santé et del'Ecologie dans un rapport publié en2011, les antibiotiques, antidépres-seurs, bêtabloquants, contraceptifsoraux sont « autant de substancesqui sont rejetées de façon continuedans les milieux aquatiques notam-ment au niveau des stations (collec-tives ou autonomes) de traitementdes eaux usées et potentiellement desboues d’épandage et des déversoirsd’orage aménagés sur les réseauxd’assainissement ». Nicolas Milesi reconnaît : « cette pro-blématique reste l'une des raisonspour lesquelles l'épandage agricoledes boues d'épuration reste un sujetcomplexe. Des études sont menées surcette thématique par des organismesde recherche. On peut citer l’exemplede l’étude AMPERES de l’IRSTEA ». Carà ce niveau-là, aucun protocoled'analyse systématique n'est mis enœuvre. « L’action des substancesmédicamenteuses sur l’environne-ment, tout comme sur la santé, estencore mal connue. Il est impossibleactuellement de connaître les consé-quences de ces produits sur les écosys-tèmes car les interactions entre médi-caments sont trop nombreuses. Et iln’est pas impossible qu’un résidu demédicament interagisse égalementavec des pesticides ou d’autres subs-tances chimiques répandues sur le sol.Mais cela reste encore du domaine del’incertitude et il est donc importantde s’y intéresser de plus près », alertel'association France nature environ-nement dans une note sur les rési-dus médicaments. Mais la mêmeassociation, dans une autre note surles boues de STEP, « privilégie la9lière de l’épandage compte tenu desbesoins en matières organiques dessols et rappelle que les amendementsde type potassium par exemple,vendu couramment dans le com-merce, ne sont pas exempts demétaux lourds ». De fait, bien qu'encore mal connus,les risques sanitaires semblentproches de zéro. « En France, la pra-tique de l'épandage des boues d'épu-ration se fait depuis plus de 30 ans etaucun accident majeur n'a été recenséà ce jour. Seuls des incidents mineurs(deux cas de mortalité animale) sontapparus, dus à des pratiques d'épan-dage non précautionneuses et nonréglementaires. Une enquête réaliséepar l'ADEME et le cabinet ArthurAndersen en 1999 montre qu'aucun

accident important n'a entaché lapratique de l'épandage des boues rési-duaires dans les pays de l'UE », rele-vait l'INRA au début des années2000. Avec l'instauration de la régle-mentation qui n'existait pas avant1998, on est en droit de considérerque c'est encore plus vraiaujourd'hui.

Des consommateurs àresponsabiliserLa responsabilisation des popula-tions devient alors un véritableenjeu environnemental. Car l'absence de résidus médica-menteux ou de métaux lourds dansl'eau et les boues dépend en pre-mier lieu des consommateurs.« Quand vous invoquez la responsa-bilité de produire ou pas beaucoupde déchets, les gens vous répondent :« Je n'ai pas le choix ». Sauf que, dansle domaine des boues, si on y trouvecertains types de produits qui posentquestion, les « métaux lourds »comme cela est relevé la plupart dutemps par les citoyens, c'est notam-ment parce que les gens ne font pasles gestes qui conviennent et qui sontde leur responsabilité. Car d'où vien-nent ces produits indésirables ? Desfonds de pots de peinture, des pro-duits ménagers, des médicaments,des lingettes nettoyantes jetées dansles toilettes ou dans l'évier... », pointele Conseil départemental 04. « Lesrésidus médicamenteux par exemple,ce sont les nôtres, et le fait de trouvernormal que ce soit d'autres territoiresqui les traitent à notre place, c'estinsensé. De plus, c'est quelque choseque l'on peut valoriser localement, cequi n'est pas le cas pour la plupartdes déchets. Préserver la qualité desboues en maîtrisant ce que je rejetteau réseau d’assainissement et avoirun débat constructif sur la valorisa-tion de ce déchet est avant tout unedémarche citoyenne ». Heureu-sement les analyses réglementaireseIectuées dans le cadre desétudes préalables à l'épandage, nerévèlent que très rarement desvaleurs anormales (dans ce caselles sont traitées diIéremment).Généralement les boues des sta-tions des Alpes de Haute Provencesont de bonne qualité. Pour preuve97 % de la production départe-mentale est valorisée en épandagedirect ou après compostage. Bref,comme le souligne encore FNE

Recytec-Environnement.

St.M.

dans sa note sur les boues de STEP,« Le principe de la réduction à lasource apparaît donc comme l’ap-proche essentielle à privilégier pourgarantir la diminution des risquessanitaires des di2érentes 9lières d’éli-mination des boues urbaines (épan-dage, incinération et mise endécharge) ».A l'heure où on louche avec sévéritésur le bilan carbone des activités, cen'est en eIet pas un mince avan-tage. Reste que les boues représen-tent une part très faible de la fertili-sation sur les terres agricolesfrançaises. « En France, les deux tiersdes boues sont recyclées en agricul-ture, sur 4 % de la SAU », note MichelGarcin. Dans nos départementsalpins, la presque totalité des bouesest valorisée en agriculture (y com-pris sur d'autres départements),mais représente encore moins qu'àl'échelle nationale. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, ce sont 2 192tonnes de matière sèche de bouesqui ont été épandues en 2015 sur645 ha, soit 23 communes, pour uneSAU départementale de 145 000 haenviron. Il s’agit essentiellementd’épandage de « boues brutes »sous forme liquide, pâteuse ousolide. Toutefois, quelques com-munes font le choix de composterleurs boues sur un site dédié auniveau de la STEP. Dans les Hautes-Alpes, 19 stations d’épuration haut-alpines ont évacué 975 tonnes dematières sèches, soit 37 % de la pro-duction totale de boues du départe-ment des Hautes-Alpes. « Les épan-dages ont eu lieu sur 408 ha - pourune SAU départementale de96 000 ha environ - répartis chez 49exploitants agricoles, principalementsur des terres labourables, ce qui apermis un enfouissement dans les 48heures suivant les épandages », sou-ligne Catherine Montrozier, de laChambre d'agriculture 05. Si les contraintes géographiquessont en partie responsables de cefaible pourcentage, il y a fort àparier que c'est également à impu-ter aux réticences qu'inspirent lesboues y compris chez les agricul-teurs eux-mêmes. Et pourtant,comme on le souligne au conseildépartemental des Alpes-de-Haute-Provence, « de pollueur pré-sumé, l'agriculteur devient ainsi aucontraire un acteur de l'environne-ment en valorisant un produit sur sonterritoire ».

1 On n’a plus aIaire à un fertilisant commeavec les boues brutes mais à un amende-ment.

2 Le cadmium est un métal très toxique quel'on retrouve notamment dans les engraisphosphatés... et les cigarettes.

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L’ESPACE ALPIN - Vendredi 2 décembre 2016 11

D.R

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RECYCLAGE DOSSIER

Au commencement, nousavons les collectivités quiproduisent des boues, via les

municipalités qui exploitent les sta-tions d'épuration en régie dans lecas des petites stations, par fer-mage dans le cas de stations plusimportantes via des sociétéscomme Véolia, la Lyonnaise deseaux ou la SAUR. C'est alors à euxqu'incombe la valorisation desboues. La collectivité fait généralementappel à un bureau d'études pour laréalisation d’un plan d'épandage.« la première étape est de caractériserle déchet, explique Michel Garcin.Une fois qu'on est sûrs qu'il n'engen-drera pas de pollution liée à sa composition, on met en place une#lière : partir sur une plate-forme decompostage ou simplement, pour lespetites communes rurales, mettre enplace un plan d'épandage et déployerles moyens qui permettront de legérer. On publie des prévisionnelsd'épandage et, en #n d'année, on faitun bilan agronomique (récapitulatifdes parcelles épandues, des doses deboues apportées…) ». « On identi#e des parcelles sur les-quelles il pourrait y avoir un jour oul'autre des épandages de boues. Onfait une étude géologique, hydrogéo-logique, pédologique sur ces terrains.On fait une analyse de sol avant épan-dage a#n d'évaluer la quantité deboues que l'on peut apporter par par-celles pour chaque type de cultures (lelavandin a des besoins agronomiquesmoindres que le blé dur, par exemple)et en fonction de la richesse du sol »,complète Joël Pouget. Les documents sont envoyés à lapréfecture qui en assure l'instruc-tion réglementaire et à la Chambred'agriculture qui en assure le suividans le cadre de la MESE (Missiond'expertise et de suivi des épan-dages). « Au début, on s'occupait desplans d'épandage. Mais avec la nou-velle réglementation en 1998, les mis-sions d'expertise et de suivi des épan-dages ont été créées. Il n'est pluspossible de faire à la fois les plansd'épandage et l'expertise », préciseCatherine Montrozier. Dans lesAlpes de Haute-Provence, la MESEexiste depuis 2002 et dans lesHautes-Alpes depuis 1998. La MESE(Mission d’Expertise et de Suivi desEpandages) est un service spécia-

Des boues aux champs : qui fait quoi ?

lisé de la Chambre d’agri-culture, soutenu 9nancièrement par l’Agence de l’Eau RhôneMéditerranée Corse. Le travail réa-lisé par la MESE s’inscrit dans unétroit partenariat technique avec laDDT et le Conseil départemental(SATESE : Service d’AssistanceTechnique aux Stations d’Epu-rations). Cette mission a été consti-tuée en vertu de l’article 18 de l’ar-rêté du 8 janvier 1998, 9xant lesprescriptions techniques applica-bles aux épandages de boues surles sols agricoles pris en applicationdu décret 97- 1133 du 8 décembre1997.La MESE a pour objectif de s’assu-rer que le recyclage des boues enagriculture pratiqué par les com-munes est conforme à la régle-mentation et préserve les intérêtsde l’environnement et de l’agri-culture. Grâce à un suivi des épandages sur SIG (Systèmed’Information Géographique), laMESE assure aussi une traçabilitéavec un historique des pratiquesd’épandages de boues sur ledépartement depuis le début desannées 2000. « Notre rôle estaujourd'hui d'expertiser les dossiers

pour donner un avis technique des-sus. On véri#e les parties agrono-mique, réglementaire, analytiquedes dossiers pour que cela ne soit passusceptible de mettre l'agriculteur endi4culté. Par ailleurs, on véri#e querien ne coûte à l'agriculteur. Ondonne un avis technique qui esttransmis à l'administration (DDT), auConseil départemental, et à l’Agencede l’Eau. Cet avis sert à l’administra-tion pour établir le récépissé validantle plan d’épandage. Il est égalementpris en compte par l’Agence de l’Eaupour déterminer la prime à épura-tion attribuée à la collectivité »,détaille Catherine Montrozier.Le département a un rôle deconseiller technique et d'aide viades subventions aux plans d'épan-dage. En9n, nous avons l'agri-culteur, qui met ses terres à dispo-sition gratuitement et, de ce fait,rend service à la collectivité, touten faisant lui-même des écono-mies d'engrais et en béné9ciantde conseils techniques sur la ferti-lisation de ses terres. Une logique,comme on aime à le dire d'unbout à l'autre de la chaîne, quirepose sur un système gagnant-gagnant.

Témoignage. Céréalier et lavandiculteur, Gilles Paul est égalementmaire de la commune de Bras-d'Asse.

Épandage : de l'utilité d'être plusieurspour faire face à la réglementation« A Bras-d'Asse, le plan d'épandage a six ou septans. La station d'épuration a été conçue pour 900équivalent-habitants. Actuellement, la populationde la commune est de 500 habitants et la STEPproduit environ 12 tonnes de boues par an quisont épandues sur trois ou quatre hectares par an.Les agriculteurs épandent les boues à proximitéde la station pour éviter les coûts de transport. Les boues sont épandues un an sur deux, jamaisdeux ans au même endroit et il faut toujoursépandre les boues sur une culture qui va lesconsommer rapidement. Si on épand à l'automne, il faut une céréale ou un colza derrière. Si on faitune culture de printemps, il faut épandre au printemps. Par ailleurs, nous sommes en plus contraintspar la directive Nitrates, qui nous impose d'interrompre les épandages d'octobre à janvier. D'où l'in-térêt d'avoir un maximum de terres à disposition.Il y a des analyses avant et après l'épandage. Une première analyse permet d'en déterminer la teneurfertilisante. Les terres sont également analysées avant épandage pour voir si elles sont conformes.En fonction des teneurs agronomiques des boues et du potentiel de la culture que l'on va mettreen place, le bureau d’études va préconiser une certaine quantité de boues à l'hectare. Cela seraensuite validé par la MESE. La quantité d’éléments fertilisants apportée par les boues ne couvrequ’une partie des besoins de la culture. Des compléments minéraux sont généralement nécessairespour répondre aux besoins en azote, phosphore et potasse. »

La plate-forme de compostaged'Orcières a été créée par le syn-dicat mixte de traitement des

boues du Champsaur. Il regroupe lescommunes d'Orcières, Laye, Saint-Bonnet et le SIVU du Moyen-Champsaur. Ces quatre entités ontchacune une station d'épuration et transfèrent leurs boues vers la plate-forme de compostage qui est exploitée par Recytec-Environnement&Conseils.« A Orcières et à Chabottes, ils apportentdes boues déshydratées. Pour les pluspetites unités, les boues sont déshydra-tées sur une presse mobile. La station de compostage a été conçuepour traiter 1 750 tonnes de boues paran. Actuellement, on en composte à peuprès 850 tonnes, explique MichelGarcin, gérant de Recytec. Ces bouessont déchargées dans une fosse dedépotage, située dans un bâtimentcon#né pour éviter les problèmesd'odeur. On les mélange avec desdéchets verts broyés. Le mélange est misen fermentation pendant environ quatresemaines au terme desquelles on le metà maturer pendant encore quatresemaines. Après quoi, on e@ectue un cri-blage pour tamiser le produit et la frac-tion grossière est remise avec les déchetsverts. »Les déchets verts viennent pour partiedu département, mais également de

Le compostage : dudéchet au produit

l'extérieur. « Il faut considérer que lesbesoins en co-produits représentent àpeu près trois fois la production deboues. Et le gisement local représente 25à 30 % des besoins », précise MichelGarcin. Pour une tonne de boues mise encompostage, on obtient environ unedemi-tonne de compost, qui seraensuite valorisé. Suivant le résultat desanalyses de compost, celui-ci peut per-dre le « statut de déchet » pour devenirun produit commercialisable (normeNFU44-095). Il ne suit alors plus la9lière classique avec plan d’épandageet expertise MESE. « 100 % des lots de laplateforme d’Orcières sont normés. Maisdans l'hypothèse où il y aurait un lot nonconforme, on a ce qu'on appelle un pland’épandage de secours ». Le compost peut ensuite être recyclé,non seulement sur des terres agricoles,mais aussi des bases de loisirs et autrespistes de ski dans le cadre d'unedémarche de reconstitution des sols.L'utilisation d'un crible à trommel per-mettant de produire un compost de20 ou 30 mm devrait bientôt permet-tre également à des particuliers de sefournir en compost3 .

3 A noter qu’il en va de même sur le départe-ment du 04 où les deux plateformes de com-postage (Durance Compostage etPuimoisson Compostage) produisent ducompost « normé » depuis quelques années.

Témoignage. Patrick Ricou, maire d'Orcières et président du syndicatmixte de traitement des boues du Champsaur

Envoyer ses boues ailleurs : « une solution qui n'est ni éthique, ni écologique »« On réfléchissait à ce projet de plate-forme de compostage de-puis 2005. Cette réflexion faisait suite au durcissement de la ré-glementation en matière de traitement des boues d'épuration.Nous produisons un peu plus de 1000 tonnes de boues par an. Al'époque, on était sur des solutions classiques mises en œuvre parles collectivités : épandage agricole de boues brutes pour les com-munes de Saint-Bonnet et Laye, expédition dans des centres detraitement extérieurs situés en Isère ou dans les Alpes-de-Haute-Provence pour le SIVU et Orcières. Ces solutions fonctionnaientmais n'étaient pas complètement satisfaisantes. On devait à lafois faire face à des contraintes administratives et réglementaires,un coût de transport élevé pour les stations d'épuration, et on n'avait pas de certitude quant à lapérennité de nos solutions puisque nous étions dépendants de structures extérieures. Et au pointde vue du développement durable, ça ne nous semblait pas idéal d'expédier nos boues à l'extérieur.En 2005, nous avons fait les premières études de faisabilité. Le projet a été finalisé en 2012 et l'ex-ploitation a débuté en juillet 2014. On s'était fixé trois objectifs : maîtriser les nuisances notammentd'un point de vue olfactif, que le projet puisse être opérationnel en saison hivernale et que le produitfini soit de qualité. Après deux ans d'exploitation, on peut considérer que des objectifs sont atteints.Le compost est utilisé sur les pistes de ski, dans la revégétalisation de suite de chantiers et sur dessites extérieurs, mais on va réfléchir à des solutions qui permettent à la population,de bénéficierde ce produit et développer un travail collaboratif avec le monde agricole. Le coût s'est élevé à2,5 M€ financés par l'Agence de l'eau, la région, le département, l’État et l'ADEME. On n'a pas eu de difficulté avec la population dans la mesure où la plate-forme était contiguë àdes installations de même type. Cela étant, c'est un projet auquel on a attaché beaucoup d'attentionen adoptant un système de désodorisation efficace. Si bien que l'on n'a pas de plainte des riverains.Il faut dire que la technique permet aujourd'hui de traiter les odeurs de façon très satisfaisante. D'une manière générale, la question de la gestion des boues concerne toutes les collectivités et cen'est pas un sujet où on peut s'arrêter à la station d'épuration. Il y a beaucoup de progrès qui ontété faits au niveau des STEP, mais maintenant, il faut aller au bout de la réflexion. Et ce n'est pasune solution satisfaisante tant au niveau éthique qu'écologique de considérer que l'on peut envoyerses boues ailleurs. »

Les boues chaulées : de l'usineRousselot au plateau d'Albion

Le chaulage des boues est un trai-tement complémentaire à ladéshydratation, qui permet d'en

améliorer la qualité. Le traitement estbasé sur le malaxage de la boue avecde la chaux vive (chaux issue directe-ment de la calcination du calcaire),stockée dans un silo dont la capacitéest généralement supérieure à 20 m3.Il se produit une réaction chimiqueexothermique (dégageant de la cha-leur) permettant l’obtention d’un pro-duit hygiénisé (pH > 12) et solide (sic-cité supérieure à 30 %). Les boueschaulées sont donc particulièrementindiquées pour les sols dont le pH estacide. Plus précisément, la réglemen-tation interdit les épandages deboues sur des sols dont le pH est infé-rieur à 5. En revanche, le chaulage

permet d'épandre des boues sur lessols dont le pH est compris entre 5 et6. C'est ce qui a rendu possible unecollaboration fructueuse entre l'usineRousselot et les agriculteurs du pla-teau d'Albion, situé à cheval sur lesdépartements de Vaucluse, de laDrôme et des Alpes-de-Haute-Provence. Sans le chaulage de ces solsacides qui améliore sensiblement leurpropriété agronomique, l’agriculture,telle qu’on la connaît actuellement surle plateau d’Albion, n’existerait plus.L'usine Rousselot, installée à l'Isle-sur-la-Sorgue depuis les années 1930, estspécialisée dans la fabrication degélatine à partir d'os et de peaux dediQérentes origines (bovins, porcins).Une étude réalisée en 1981 parl'ANRED (Agence nationale de l'envi-

ronnement et de la maîtrise desdéchets) a fait ressortir que l'usineproduisait une grande quantité dedéchets sous forme de boues chau-lées, issues de la STEP de l'usine. Dansle même temps, il apparaissait quecertains sols très acides (pH inférieursà 6, parfois à 5) nécessitaient desamendements calciques pour amélio-rer leur qualité agronomique. Des épandages de boues ont étéorganisés via la création de la CUMAdu plateau d'Albion 9n 1983. Aujourd'hui, 55 exploitations adhé-rentes à la CUMA ont contractualiséavec l'entreprise Rousselot et mis à disposition une surface potentielled'épandage de 5 600 hectares. Le reste des boues est envoyé encompostage.

D.R

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St.

M.