depraz et mauriac

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Article original « Secondes personnes ». Une anthropologie de la relation 1 Second persons. An anthropology of being related Natalie Depraz a,b, * , Frédéric Mauriac c,d a Professeur dUniversité en philosophie, Département de philosophie, Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université de Rouen (Haute Normandie), Rue Lavoisier, 76821 Mont Saint Aignan cedex, France b Conférencière, Université Inter-âge, Université de la Sorbonne (Paris IV), 1, rue Victo-Cousin, 75005 Paris, France c Praticien hospitalier, Responsable de lunité ERIC (service mobile durgence psychiatrique intersectoriel), CHS Charcot, 30, rue Marc-Laurent, 78370 Plaisir d Coordonnateur de la CUMP 78, SAMU 78, Centre hospitalier de Versailles A.-Mignot, 78 Le Chesnay Reçu le 6 juin 2005 ; accepté le 22 mars 2006 Résumé Larticle se donne pour objectif de mettre au premier plan le rôle et le statut des « secondes person- nes » dans le cadre dune éthique relationnelle où la personne-en-relation prime sur lindividu entendu comme sujet isolé. En prenant comme fil conducteur le travail psychiatrique de lÉquipe Rapide dInter- vention de Crise (ERIC), nous cherchons à faire apparaître lanthropologie de la relation qui sous-tend léthique pratique à lœuvre dans lintervention durgence psychiatrique de ce service. Une telle anthro- pologie révèle un changement dépistémologie qui passe par la prise en considération de la méthode de la phénoménologie, lépochè, laquelle correspond à une modification radicale dattitude et de regard sur le sujet : de lindividu à la personne, on passe de la solitude à la relation. Néanmoins, celle-ci demande à être appréhendée non pas seulement sur un mode immanent cest-à-dire transversal (avec une tendance à http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ Lévolution psychiatrique 71 (2006) 667683 Toute référence à cet article doit porter mention : Depraz N, Mauriac F. « Secondes personnes ». Une anthropolo- gie de la relation. Evol. psychiatr. 2006 ;71. * Auteur correspondant (N. Depraz). Adresse e-mail : [email protected] (N. Depraz). 1 Ce texte a été présenté de façon encore embryonnaire en anglais à Prague en juillet 2003 lors du Congrès Towards a Science of Consciousness 2003 ; il a fait lobjet dun exposé en français le 6 novembre 2003 au Congrès de psychia- trie et de sciences de la Cité des sciences et de lindustrie de la Villette (Paris), puis à lUniversité de Genève, Dépar- tement de Philosophie, dans le cadre du Séminaire de recherche dirigé par R. de Monticelli : La personne : philoso- phie, épistémologie, éthique (89 juin 2004). 0014-3855/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2006.09.005

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Page 1: Depraz Et Mauriac

http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/

L’évolution psychiatrique 71 (2006) 667–683

Article original

« Secondes personnes ».Une anthropologie de la relation1 ☆

“Second persons”. An anthropology of being related

Natalie Depraza,b,*, Frédéric Mauriacc,d

a Professeur d’Université en philosophie, Département de philosophie, Faculté des Lettres et Sciences humaines,Université de Rouen (Haute Normandie), Rue Lavoisier, 76821 Mont Saint Aignan cedex, France

b Conférencière, Université Inter-âge, Université de la Sorbonne (Paris IV), 1, rue Victo-Cousin, 75005 Paris, Francec Praticien hospitalier, Responsable de l’unité ERIC (service mobile d’urgence psychiatrique intersectoriel),

CHS Charcot, 30, rue Marc-Laurent, 78370 Plaisird Coordonnateur de la CUMP 78, SAMU 78, Centre hospitalier de Versailles A.-Mignot, 78 Le Chesnay

Reçu le 6 juin 2005 ; accepté le 22 mars 2006

Résumé

L’article se donne pour objectif de mettre au premier plan le rôle et le statut des « secondes person-nes » dans le cadre d’une éthique relationnelle où la personne-en-relation prime sur l’individu entenducomme sujet isolé. En prenant comme fil conducteur le travail psychiatrique de l’Équipe Rapide d’Inter-vention de Crise (ERIC), nous cherchons à faire apparaître l’anthropologie de la relation qui sous-tendl’éthique pratique à l’œuvre dans l’intervention d’urgence psychiatrique de ce service. Une telle anthro-pologie révèle un changement d’épistémologie qui passe par la prise en considération de la méthode dela phénoménologie, l’épochè, laquelle correspond à une modification radicale d’attitude et de regard surle sujet : de l’individu à la personne, on passe de la solitude à la relation. Néanmoins, celle-ci demande àêtre appréhendée non pas seulement sur un mode immanent c’est-à-dire transversal (avec une tendance à

☆ Toute référence à cet article doit porter mention : Depraz N, Mauriac F. « Secondes personnes ». Une anthropolo-gie de la relation. Evol. psychiatr. 2006 ;71.

* Auteur correspondant (N. Depraz).Adresse e-mail : [email protected] (N. Depraz).

1 Ce texte a été présenté de façon encore embryonnaire en anglais à Prague en juillet 2003 lors du Congrès Towardsa Science of Consciousness 2003 ; il a fait l’objet d’un exposé en français le 6 novembre 2003 au Congrès de psychia-trie et de sciences de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette (Paris), puis à l’Université de Genève, Dépar-tement de Philosophie, dans le cadre du Séminaire de recherche dirigé par R. de Monticelli : La personne : philoso-phie, épistémologie, éthique (8–9 juin 2004).

0014-3855/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2006.09.005

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l’anonymat) mais comme une dynamique d’autotranscendance, que seule révèle la personne dans touteson amplitude, à savoir comme lieu irréductible de la relation. D’où la nécessité, pour avérer la perti-nence épistémologique d’une telle phénoménologie pratique, de mobiliser pour commencer la méthodo-logie émergentiste, enactive et neurophénoménologique des sciences cognitives, qui met au premier planla relation cogénérative entre la première, la deuxième et la troisième personne. C’est sur la base d’unetelle prise en compte radicale de la seconde personne, à titre de validation intersubjective de l’objectivitéen neurosciences cognitives, que l’on pourra faire apparaître le lieu irréductible de l’éthique phénoméno-logique de la relation qui constitue la spécificité épistémologique de la post-psychiatrie d’ERIC.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The goal of the article is to put to the fore the importance and the relevance of the « second persons »in the framework of a relational ethics where the person as being related has a primacy over the indivi-dual as an isolated subject. While using the psychiatric work of the urgency team E.R.I.C (in french :Equipe Rapide d’Intervention de Crise) as a leading thread, we seek to show the anthropology of beingrelated which underlies the practical ethics of such an urgency team. Such an anthropology is revealingof a change of epistemology which goes hand in hand with the taking into account of the method of thephenomenology, the épochè. The latter corresponds to a radical transformation of the way the subjectlooks at the world : from the individual to the person, you leave loneliness in order to reach relatedness.Nevertheless, the latter requires not to be understood as an immanent or transversal relatedness (with atendency to anonymity) but as a self-transcendent dynamics, which alone lets the person emerge in itsplenitude, that is, as a primordial place of relationships. Hence the necessity, in order to confirm the epis-temological relevance of such a practical phenomenology, to start with the emergentist, enactive and neu-rophenomenological methodology of the cognitive sciences, which puts to the fore the co-generativerelationship between the first, the second and the third persons. On the basis of such a taking intoaccount of the second person, as an intersubjective validation of objectivity in the cognitive neuros-ciences, it is possible to reveal the specificity of the phenomenological ethics of relatedness which is atthe core of the post-psychiatry at work in ERIC.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Relation ; Phénoménologie ; Anthropologie ; Seconde personne ; Intersubjectivité ; Épochè

Keywords: Relatedness; Being-related; Relationship; Phenomenology; Anthropology; Second person; Intersubjectivity;Épochè

1. Introduction

On a tendance, dans le travail comme dans la réflexion en psychiatrie, à s’intéresser au sujetporteur de la pathologie (schizophrénie, mélancolie, délire maniacodépressif), au mieux en letraitant comme un sujet à part entière et en s’impliquant soi-même en tant que psychiatredans la relation avec le malade. C’est l’orientation privilégiée par la psychiatrie phénoménolo-gique ou existentielle (Daseinsanalyse) depuis Binswanger jusqu’à Tatossian et Kimura. Nousvoudrions prendre appui sur ce pas « existentiel » et « intersubjectif » (et ce, en contraste avecla psychiatrie classique et, d’ailleurs encore bien partagée aujourd’hui, laquelle reste extrême-ment objectivante), pour avancer en direction d’une « phénoménologie psychiatrique » fondéesur une pratique relationnelle. Dans ce cadre relationnel, il n’y a plus un sujet individuel face àun autre sujet individuel, mais une dynamique éthique de mise en présence attentive des per-sonnes les unes avec les autres. Pour faire apparaître une telle conversion épistémologique du

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sujet individuel à la personne en relation, il nous est apparu nécessaire d’étayer précisémentnotre propos en mettant en place la méthodologie qui la sous-tend, issue d’une interaction ser-rée entre la phénoménologie pratique et les sciences cognitives enactives. C’est en déployant ladynamique cogénérative entre les première, deuxième et troisième personnes propre à cetteavancée de la pratique neurophénoménologique que l’on pourra apercevoir la force et le carac-tère innovant de l’éthique pratique phénoménologique que déploie l’anthropologie de la rela-tion propre au travail clinique que nous allons présenter.

Nous allons donc procéder en deux grands moments : dans un premier temps, nous allonsprésenter le cadre épistémologique au sein duquel nous souhaitons inscrire notre conception dela pratique psychiatrique comme éthique relationnelle, à savoir :

● la neurophénoménologie cogénérative qui promeut l’irréductibilité de la deuxième personneà titre de validation intersubjective de l’objectivité en neurosciences ;

● dans un deuxième temps, nous montrerons comment l’éthique pratique en jeu dans la cli-nique psychiatrique d’ERIC trouve tout à la fois un soubassement fécond dans une telleépistémologie et en fait ressortir une limitation de taille, laquelle nous fait basculer del’immanence relationnelle à une éthique personnelle de l’autotranscendance.

2. Neurophénoménologie pratique de la deuxième personne

2.1. Le lien nécessaire entre première et troisième personnes

On considère aujourd’hui qu’une méthode disciplinée destinée à rassembler des données enpremière personne est nécessaire en vue de l’étude scientifique de la conscience [1]. Au-delàde tout isomorphisme phénoménal qui corrèle de façon simplement formelle des comptes ren-dus expérientiels subjectifs et leurs contreparties neuronales, le programme de recherche neu-rophénoménologique tel qu’il a été ouvert par F. Varela [2] met au premier plan l’hypothèseselon laquelle les deux analyses (tout à la fois neurodynamique et phénoménologique)s’avèrent générées l’une par l’autre, c’est-à-dire donnent lieu à de nouvelles données et àd’autres aspects du phénomène subjectif d’une part, produisent réciproquement des catégoriesdynamiques et expérientielles renouvelées d’autre part [3–5].

En prenant appui sur ce premier pas cogénératif, grâce auquel des expériences singulières etdes comptes rendus subjectifs à la première personne d’une part, des données expérimentalesainsi que des catégories dynamiques à la troisième personne d’autre part sont mutuellementcontraintes, raffinées, altérées et développées dans un champ renouvelé, élargi et approfondide description, nous souhaitons faire un pas de plus.

2.2. Le statut de la deuxième personne : le « liant relationnel » entre première et troisièmepersonnes

En effet, les protocoles en troisième personne ne sont pas neutres, c’est-à-dire vrais indé-pendamment de la situation proprement dite de chaque sujet dans son propre espace-tempsindividué [6]. Ils requièrent la prise en considération de comptes rendus non seulement en pre-mière personne mais également en deuxième personne2. Nous proposons donc de prendre au

2 Nous faisons explicitement usage de ces dénominations « première »/« deuxième »/« troisième » personnes defaçon encore vague, le but de ce parcours étant d’en proposer une compréhension plus précise et renouvelée.

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Fig. 1. « Multiples deuxièmes personnes ».

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sérieux les multiples formes d’engagement de la seconde personne tout au long de l’ensembledu processus de validation de l’expérience3 (Fig. 1).

Un premier pas a déjà été fait dans cette direction4, qui a insisté sur la continuité plastique destrois positions (première, deuxième et troisième), plutôt que sur leur distinction en pôles rigidesopposés, ce qui ouvre ainsi la voie à une dynamique graduelle de validations intersubjectivesstratifiées de notre expérience. De notre point de vue, la seconde personne n’est donc pas uneentité formelle mais une dynamique relationnelle de différentes figures en interaction mutuelle.

Ce faisant, nous mettons radicalement en question le cadre méthodologique du soi-disant« hard problem » tel qu’il fut initialement formulé par Nagel [8] puis par Levine [9] et finale-ment actualisé par Chalmers [10]. Partir de la distinction irréductible entre une méthodologieen troisième personne (expérimentale et quantifiée) et une méthodologie en première personne(expérientielle et qualitative), puis tenter à tout prix de combler l’espace ne mène nulle part.C’est d’emblée prendre un mauvais départ, qui conduit nécessairement à un cul-de-sac.

2.3. La deuxième personne au singulier : une contradiction

On l’a dit, contrairement à de telles polarités opposées (du moins telles que première et troi-sième personnes sont encore couramment présentées aujourd’hui), la « seconde » personne esten réalité moins un pôle de plus qu’un tissu continu et souple d’échanges. En ce sens, il estproblématique de continuer à nommer une telle dynamique relationnelle une « deuxième per-sonne », comme si :

● l’on avait affaire à une entité séparée et isolée (une personne, du moins au sens courantd’un individu particulier) ;

● comme si cette entité distincte était seconde (secondaire) par rapport à une entité autre (dite« première »).

3 Par « validation », nous ne voulons pas parler du sens scientifique classique de vérification ou de contrôle de lavérité d’un phénomène par son observation. De façon plus phénoménologique, il s’agit de la constitution d’un telphénomène par un observateur qui n’est pas neutre ou extérieur au phénomène mais totalement participant de ce der-nier.4 N. Depraz, F. J. Varela & P. Vermersch, On becoming aware. An experiential pragmatics [7] ; version française à

paraître chez Olms sous le titre : À l’épreuve de l’expérience : pour une pratique phénoménologique.

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Fig. 2. Premières Personnes/Multiples deuxièmes personnes/Troisièmes Personnes.

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Par contrecoup, on sera ainsi conduit à réévaluer le caractère « polaire » des dites premièreet troisième personnes elles-mêmes (Fig. 2).

Aussi souhaitons-nous mettre en avant une conception renouvelée de la méthodologie enseconde personne, qui ne passe pas par la primauté formelle d’un « tu » opposé à un « je »et à un « il/elle », mais par la mise en évidence d’un ensemble méthodique de pratiques inter-subjectives. Plus avant, il nous apparaît que le concept husserlien d’empathie est un concept-clé de cette méthodologie. Plus encore qu’une condition de possibilité centrale de la science dela conscience [11], l’empathie correspond à une pratique effective qui structure de l’intérieur ladémarche scientifique. De même que le concept husserlien d’Einfühlung requiert d’être ajustéau cadre d’expérimentation pratique, de même ce dernier se trouve éclairé à nouveaux frais parla méthodologie phénoménologique intersubjective [12], (Fig. 3).

2.4. La primauté de la « deuxième personne » en question

Chercher à mettre en exergue autrui au nom de l’individualisme du « moi » ou de l’objec-tivisme du « il » est méritoire. Toutefois, une telle mise en avant reste problématique dès lorsqu’elle s’effectue au détriment du « moi » et du « il » en question, car elle demeure dès lorsporteuse de l’unilatéralité égoïste ou neutralisante résiduelles de ce « je » et de ce « il ». D’oùle caractère problématique de la notion de « deuxième personne ».

Or, à partir de cette critique de l’approche solipsiste et/ou théorique, la promotion del’éthique a donné le jour à des attitudes philosophiques remarquables qui développent un telsouci de l’autre. Qu’il s’agisse de M. Buber avec sa thématisation du « Du » [13], de E. Stein[14], qui pense la personne comme unité de corps, d’âme et d’esprit, de E. Levinas [15] et deson exposition inconditionnelle à autrui, ou encore de la promotion de la personne parG. Marcel [16], toutes ces approches insistent sur la primauté d’autrui entendu comme unesingularité individuelle. Pense-t-on cependant la relation à l’autre, ou bien simplement l’autrecomme singularité ? Comment approcher la relation intersubjective empathique à partir de laseule singularité de la personne d’autrui ? Ces éthiques de la personne demeurent individua-

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Fig. 3. Ajustement de l’empathie à la dynamique des personnes.

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listes dans la mesure où elles n’interrogent pas la relation comme telle mais la relation entreune personne individuelle et une autre personne individuelle. De ce point de vue, il sembleque l’on n’expérimente jamais le lien relationnel tant que l’on s’intéresse aux personnes indi-viduelles elles-mêmes, qu’elles soient entendues comme sujet (identité-ipse) soit comme objet(identité-idem), selon la distinction de P. Ricœur dans Soi-même comme un autre [17]. Partirde l’individu subjectif et de l’objet individuel ne permet pas de décrire la relation à l’autre,car c’est toujours l’autre comme individu que l’on décrit.

2.5. La dynamique relationnelle : l’expérience radicale de l’immanence a-personnelle

Dès lors, l’expérience de la relation comme telle conduit tout droit à une dynamique de lacircularité où les personnes entrent en couplage mutuel sans primauté, ni polaire, ni mêmedyadique. L’expérience de la circularité privilégie la mutualité relationnelle, ou encore lasymétrie des expériences, leur réciprocité, et fait droit à une interdépendance des contextesd’expérience variés des différents sujets. La personne comme entité singulière s’efface devantles intersections entre personnes, lesquelles deviennent les lieux mêmes d’expérimentation dela dynamique relationnelle [18].

En ce sens, il y a une compatibilité forte entre l’approche systémique telle qu’elle est parexemple développée par le psychiatre Mony Elkaïm [19] et la pensée de l’immanence de

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Fig. 4. Circularité immanente et horizontale des personnes.

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l’interdépendance universelle proposée dans le bouddhisme [20]5. Au delà même de l’expé-rience empathique, qui reste l’expérience d’un Je tourné vers un Tu, la résonance telle quela pratique Elkaïm tout autant que l’échange des places à l’œuvre dans la pratique bouddhistede la compassion6 s’intéressent davantage aux intersections en mouvement qu’aux personnesles unes face aux autres. Dès lors, la singularité irréductible de la personne s’efface au profitdu mouvement de vibration qui forme le liant même de la relation.

Les trois boucles parallèles en mouvement dessinées dans la Fig. 4 se caractérisent par leurmobilité relationnelle sans priorité de l’un par rapport à l’autre. Le moi dans son autonomierésiduelle y disparaît. On a affaire à une mise en question radicale de la personne comme sin-gularité irréductible, non plus seulement la mienne mais celle d’autrui, laquelle n’est peut-êtreen fin de compte que le reflet de la mienne propre, avec, de surcroît, les gages (illusoires) dela bonne conscience de l’altruisme.

3. L’éthique pratique de la relation : l’anthropologie « post-psychiatrique » d’ERIC

L’avancée de la neurophénoménologie dans sa prise en considération de la validité de ladeuxième personne permet ainsi, par contre coup, de mesurer ses limites internes, à savoir sadifficulté à se situer sur le plan d’une éthique de la relation interpersonnelle.

On va voir que le terrain psychiatrique et, en particulier, la pratique psychiatrique spéci-fique du service d’urgence à domicile ERIC, fait ressortir un tel primat de la personne et dela relation entre personnes qu’elle promet une requalification de l’épistémologie de ladeuxième personne qui lui sert pourtant de base7. Une telle requalification donne le jour àune anthropologie de la relation dont le vecteur éthique spécifique met en lumière la pluralitéopérante des « deuxièmes personnes ». Bref, le passage de « la seconde personne » aux

5 À propos d’une telle compréhension renouvelée de shunyata, cf. F.-J. Varela, « Pour une phénoménologie de laSunyata. I ». In : N. Depraz, et J.-F. Marquet (Eds.), La gnose, une question philosophique. Actes du Colloque de laSorbonne-Paris-IV (16–18 octobre) [21].6 À propos des relations entre empathie et compassion, mais également concernant les limites de cette dernière, cf.

N. Depraz, « Empathy and Compassion as Experiential Praxis : Confronting Phenomenological analysis and Buddhistteachings », In : [22], trad. fr. In : L’empathie (A. Berthoz et G. Jorland éds.) [23].7 À propos d’une telle attitude, cf. déjà M. Robin, F. Mauriac, F. Pochard, A. Waddington, S. Kannas, C. Hervé,

« Éthique pratique et situation de crise en psychiatrie », [24].

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« secondes personnes » n’est ici en rien anodin : il met en lumière la spécification épistémolo-gique de l’éthique relationnelle en jeu.

3.1. L’éthique relationnelle d’ERIC8

Fondé en 1994 par Serge Kannas9 pour répondre à la question problématique de la chroni-cité de l’hospitalisation des patients, le service d’urgence psychiatrique ERIC (Equipe RapideIntervention de Crise) s’est donné pour objectif de tenter à chaque intervention (24 heures sur24) d’éviter l’hospitalisation (c’est le cas une fois sur deux à l’heure actuelle), et ce, en main-tenant la personne à domicile. Comment ? Il s’agit pour le médecin et l’infirmier qui intervien-nent immédiatement à domicile en binôme (partage relationnel oblige !) lors d’une situation decrise [29] de redonner à l’entourage familial et professionnel (travailleurs sociaux, médecingénéraliste) sa fonction de compétence parentale, conjugale ou professionnelle dans la situationcritique. Plutôt que de renforcer le sentiment d’impuissance de la famille et de stigmatiser unpatient déjà sur la sellette, l’équipe d’ERIC se donne pour objectif de requalifier la famille et,avec elle, le patient. En assurant un suivi d’un mois après la première intervention, le médecinet l’infirmier s’efforcent d’étayer la compétence de l’entourage, c’est-à-dire de redonnerconfiance aux proches dans leur capacité à être en relation avec le patient. Or, ce qui est frap-pant dans ce type de pratique éthique post-psychiatrique, ce n’est pas seulement la déontologieprofessionnelle qui va à l’encontre de l’objectivation fréquente du malade et qui conduit à laprise en considération de la personne pour elle-même, mais c’est l’efficacité thérapeutiqueparadoxale de cette façon pourtant « inefface » de faire (quand on pense à la « finalité sansfin » de l’éthique), au regard, du moins du critère de la rentabilité générale actuelle, qui lieefficacité et objectivation chimiothérapique (Fig. 5).

Le schéma ci-dessous, qui formalise le contexte relationnel à l’œuvre lors d’une interven-tion en urgence psychiatrique de l’équipe ERIC, fait ressortir l’enchaînement des épochè etdes résonances, qui se complètent l’une l’autre en répondant à des fonctionnalités différentes :la flèche horizontale No 1 correspond au geste de suspension que connaît immédiatement lepsychiatre (« Que vais-je faire ? ») dès qu’il se trouve confronté à la situation familiale decrise (« Nous ne savons plus quoi faire ? ») : il opère de lui-même un mouvement de prise derecul, qui ouvre l’espace interne à partir duquel se met spontanément en mouvement un pro-cessus de résonance avec la famille, avec la situation critique qu’elle connaît, et que traduit laflèche courbe No 2. Le jeu relationnel entre le médecin psychiatre et la famille forme un pre-mier « couplage »10 où interagissent épochè et résonance, comme deux gestes complémentai-

8 ERIC est un sigle qui signifie : « Équipe Rapide d’Intervention de Crise ». Il a été fondé par Serge Kannasà l’hôpital Charcot à Plaisir (78) en 1994 et est actuellement placé sous la responsabilité de Michaël Robin (praticienhospitalier chef de service) et de Frédéric Mauriac (praticien hospitalier responsable de l’unité ERIC). Cf. N. Depraz,« L’éthique relationnelle : une pratique de la résonance interpersonnelle », 2004, Colloque Castelli, Milan, Cedam,2005 [25] : « Le don et la dette », qui trace les contours généraux de l’éthique relationnelle éclairée phénoménologi-quement en prenant pour exemple le travail de l’équipe d’urgence ERIC. À propos de l’éthique relationnelle, cf.Boszromeny-Nagy, Foundation of Contextual Therapy [26] ; P. Michard, « De l’éthique intime » [27].9 S. Kannas, M. Robin, F. Pochard, F. Mauriac, I Regel, C. Devynck, M.-N. Noirot, M. Bronchard, F. Bisson et A.

Waddington, « L’expérience d’un service mobile d’urgence psychiatrique (ERIC) à propos du risque de passage àl’acte des patients et de la sécurité des professionnels. Réflexions concernant le contexte et les aspects relationnels »,in : [28].10 Ce terme, utilisé par Mony Elkaïm, est sans doute en partie inspiré par la théorie des couplages autopoétiquesdéveloppée en biologie par F. Varela et U. Maturana.

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Fig. 5. Circularité immanente et horizontale des personnes.

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res avérant la circularité de l’expérience. Au sein de ce premier couplage, les instances en jeune sont pas symétriques : la famille apparaît de prime abord comme une entité unitaire assezhomogène, qui va à mesure connaître différenciations internes et fractures ; le médecin estune entité fonctionnelle indicatrice d’un système complexe où interagissent trois autres coupla-ges au moins :

● le couplage que forment le médecin et son infirmier (c’est toujours un binôme quiintervient : le sablier — No 3 — représente le lien de vase communicant entre eux) ;

● le couplage entre le médecin et le formateur thérapeute (qui peut se formaliser comme lavoix intérieure du médecin : c’est la flèche courbe No 4 qui revient vers lemédecin-infirmier : « soyez incompétents ! ») ;

● le couplage entre le binôme médecin–infirmier et l’équipe tout entière qui va être le cadredu debriefing au retour de l’intervention dans l’immédiat après-coup. Ce dernier couplageest représenté par un trait oblique (No 5) qui décrit le rôle d’accroche et de bouée de sauve-tage que représente l’équipe pour les deux intervenants.

Chaque couplage contient cette double polarité d’épochè (prise de distance) et de résonance(immersion affective), et se trouve mis au service de l’action auprès de la famille. Si la dyna-mique des résonances est une mise en pratique mobile de l’épochè, qui en fait, non pas ungeste ponctuel de suspension, mais l’immersion dans un tissu d’actes qui interagissent les unspar rapport aux autres, la famille va elle-même se trouver immergée dans cette dynamique,appelée elle-même à un tel couplage, c’est-à-dire à vivre épochè (prise de distance) et réso-nance (affection). Les flèches qui remontent en ligne droite du thérapeute formateur à lafamille en passant par la dynamique complexe portée par le médecin et décrivent un arc decercle ont pour but de manifester ce processus d’étayage de la famille par le système thérapeu-tique dans ses différentes instances. En dernière instance, cette dynamique de couplages serépercute sur la famille qui acquiert par là une fonctionnalité différenciée, chacun des membresn’étant plus une partie perdue dans le grand tout mais retrouvant (par épochè et résonance) sa

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fonction relationnelle propre. En s’effaçant, en mettant au second plan sa compétence, lemédecin (qui apparaît dans le schéma comme la plus petite sphère) restaure chacun des mem-bres de la famille dans sa compétence fonctionnelle de père, de mère et d’enfant. C’est làqu’émerge la portée éthique de ce jeu dynamique des couplages relationnels : requalifier cha-cun, restaurer les compétences de chacun, et ce, plutôt que disqualifier par la mise au premierplan des hiérarchies sociales11.

3.2. Autotranscendance de l’être-en-relation, à savoir la personne

Or, l’immanence de l’expérience circulaire qu’on a décrite plus haut éradique à ce point lapersonne qu’elle risque d’entraîner un geste d’immersion prioritaire dans le tout de la nature.Quid, alors, de l’émergence de la conscience, c’est-à-dire de l’émergence du soi commepersonne ?

Parler d’empirisme transcendantal [31,32] permet a contrario de maintenir l’irréductibilitéde la singularité de la personne dans son incarnation propre, sans pourtant rester attaché àune telle incarnation, c’est-à-dire en libérant son espace potentiel d’autotranscendance. Suspec-ter un attachement résiduel à la singularité incarnée de la personne, c’est interroger le caractèreencore individualiste de l’attitude incarnée de la dite personne [33]. Pratiquer une forme dedétachement à l’égard de sa propre incarnation, c’est engager, dans les termes de Husserl,une épochè qui offre à l’autre un espace d’ouverture infinie de ses propres possibilitésd’action. C’est vivre la relation avec l’autre sur le mode d’une ouverture permanente des pos-sibles, où prime l’accueil de la surprise sur toute volonté de prévoir, de prescrire ou de projeterses propres désirs sur ceux d’autrui, ce qui suppose de ne pas l’enfermer dans ce qu’on vou-drait qu’il soit ou qu’il fasse [34] (Fig. 6).

Ainsi, sans revenir à une forme de dialectique où les trois personnes circuleraient ensemble,de façon uniforme et sur un pied d’égalité, sans accorder non plus une primauté à la secondepersonne, on pourrait penser que chaque personne agit à la fois unanimement avec les autresmais différemment pour chacune [35]. En ce sens, la pâte relationnelle n’est pas non plus le

Fig. 6. L’autotranscendance spiraloïde des personnes.

11 Pour plus de précisions concernant cette articulation entre l’épochè comme méthode de la phénoménologie etl’éthique pratique du travail psychiatrique d’ERIC, cf. N. Depraz et F. Mauriac, « La résonance comme épochèéthique », [30].

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plus petit dénominateur commun, ce qui neutraliserait les irréductibilités. Car le « commun »,c’est ce qui est partagé en étant partiellement inclus en chacun [35]. En revanche, le mouve-ment de l’autotranscendance correspond à l’émergence d’une dimension certes irréductible àchacun mais qui reste impliquée à part entière en chacun. Chaque personne émerge ainsi danssa dynamique au contact des deux autres mais avec sa pulsion propre. Ce que Maxime leConfesseur nomme très tôt le tropos de la personne, c’est sa qualité propre, son style singulier,sa manière d’être, sa variation incessante, bref, son altérité, son énergie, par distinction d’avecson logos, c’est-à-dire son essence immuable, à savoir sa nature [36,37]. En d’autres termes,l’énergie de chaque personne est coparticipante de la dynamique relationnelle globale sansêtre pour autant absorbée en elle12. Elle résonne avec cette dynamique tout en s’alimentant àelle et en restant pour autant elle-même à travers elle.

3.3. L’autotranscendance de l’être-relationnel dans la perception visuelle

De façon à incarner davantage encore une telle méthodologie, on peut montrer commentcertains cadres expérientiels sont susceptibles de lui procurer une validité renouvelée.

3.3.1. Transgression dynamique du cadre initialUn premier exemple immédiat correspond à la perception visuelle d’une forme géomé-

trique, comme on le voit ci-dessous (Fig. 7).L’instruction est la suivante ; il vous faut relier tous les points :

● sans lever la main du papier ;● sans repasser par un point une seconde fois.

La première tentation consiste à relier tout d’abord les quatre côtés l’un après l’autre, mais,alors, on se trouve obligé de repasser par le point initial de façon à relier le point médian ; sil’on commence par la diagonale, alors on va repasser par le point de l’angle par lequel on a

Fig. 7. L’autodynamique d’une forme géométrique (I).

12 C. Yannaras, Philosophie sans rupture, [38], où le philosophe grec contemporain thématise l’expérience entenduecomme énergie en tant que plateforme commune qui dépasse la distinction encore unilatérale entre l’intentionnalitéhusserlienne et l’extase heideggerienne.

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Fig. 8. L’autodynamique de la forme géométrique II.

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démarré, ou bien par le point du milieu. Bientôt, on réalise que l’on a épuisé toutes les possi-bilités que l’on était susceptible d’apercevoir. Un tel sentiment d’épuisement procède cepen-dant uniquement du fait que l’on demeure dans le cadre dans lequel on se trouve alorsenfermé. À un certain moment, on peut ressentir le besoin de s’affranchir de cette prison, cequi signifie que l’on va décider de transgresser le cadre, c’est-à-dire, de relier les points en fai-sant appel à des points qui sont situés à l’extérieur de la forme géométrique.

Si l’on procède ainsi, on se retrouve avec une forme plus grande que la forme initiale, cequi nous oblige à « sortir du cadre » (Fig. 8).

Ainsi, qu’on l’a vu plus haut, il apparaît que la forme possède une dynamique propre qui laconduit à outrepasser son cadre de départ. En d’autres termes, il y a là un mouvement minimald’autotranscendance qui se trouve inclus au sein de la forme première et qui la définit en pro-fondeur comme une forme dynamique.

3.3.2. La perception multistable de type stéréoscopiqueUn autre exemple d’une telle autotranscendance correspond au cas des « perceptions modi-

fiées », soit des stéréogrammes [7,39], soit des perceptions bistables ou multistables [40]. Dansles deux cas, ce qui ressort, c’est la richesse de la perception visuelle, qui contient en elle desdimensions invisibles. Qu’il s’agisse de la troisième dimension d’une perception bidimension-nelle (un stéréogramme), ou d’une autre image tout d’abord masquée dans la forme apparem-ment seule visible, de tels aspects invisibles du percept peuvent se trouver révélés si notreattention parvient à les faire apparaître.

Notre but ici n’est pas de décrire soigneusement le processus attentionnel et ses composan-tes neurobiologiques, telles qu’elles peuvent sous-tendre une telle manifestation de l’invisibleau cœur de la perception visuelle visible13. Il s’agit bien plutôt de montrer dans quelle mesure

13 N. Depraz, La vigilance au cœur de la conscience. Pour une phénoménologie de l’attention (en préparation).

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la réalité est fréquemment davantage que ce qui est initialement aperçu. En d’autres termes,une perception est susceptible de contenir plus que ce qu’elle manifeste en premier lieu.

3.4. Crise existentielle et urgence psychiatrique : créer un mouvement d’autotranscendancecollective [41]

Nous voudrions à présent, à titre de ressaisissement en acte de l’éthique relationnelle post-psychiatrique d’ERIC présentée plus haut, raconter deux situations d’urgence psychiatriqueprises en charge par l’équipe ERIC : la crise est un moment privilégié qui entraîne une explo-sion des repères habituels. Contrairement à ce que nous demande la famille, qui veut un retourà l’homéostasie du système familial, nous utilisons ce moment privilégié pour amplifier lesenjeux relationnels, c’est-à-dire pour leur redonner une opérativité qui avait été perdue par lessolutions dysfonctionnelles entraînant l’état de crise : la pratique développée par le serviced’urgence psychiatrique.

ERIC consiste donc à intensifier l’explosion des liens, c’est-à-dire, littéralement à amplifierla sortie critique du cadre. Assurément, celle-ci n’est pas amplifiée à des fins destructrices.L’intensification de la crise est censée créer un lâcher-prise des résistances internes qui permet-tra à chaque personne de nommer de façon plus authentique ce qui est responsable de sa souf-france. Par conséquent, l’après-coup de la crise ne correspondra pas du tout à un retour à lasituation antérieure précritique. Bien au contraire : le contact immédiat avec nos propres souf-frances via l’aptitude à les formuler auprès de certaines personnes a un effet transformateurradical. Ce qui signifie que vous ne reviendrez jamais à l’état initial dit « normal » : vousêtes à jamais « altéré » par ce qui s’est passé.

3.4.1. Situation no 1Nous, le groupe ERIC, intervenons à la demande du médecin généraliste qui se trouve au

chevet d’un jeune de 16 ans. Depuis six semaines, il refuse de reprendre l’école : il est en Pre-mière S et son comportement inquiète sa mère. Il est actuellement opposant, désagréable avecelle, il veille tard la nuit et dérange ses parents avec une musique trop bruyante. Son père aplusieurs fois voulu mettre des limites sans succès : il semble se désengager.

Nous choisissons d’intervenir à domicile avec le médecin généraliste, car le jeune refuse denous voir, et le médecin de famille a plutôt un bon contact avec le jeune. Nous constatons àdomicile un patient qui présente un processus délirant avec des comportements de repli autis-tique et une pensée dissociative, confirmant un premier épisode de BDA. Notre choix, aprèsévaluation du contexte familial et médico-social sera, avec l’accord de la famille, de maintenirle patient à domicile.

Notre rôle va consister à permettre à la famille de retrouver toute sa compétence pour agirsur la situation avec ses propres armes, et nous aurons à confirmer ses compétences en l’aidantà diminuer les symptômes en jeu dans la situation. Pour ce faire, nous confirmons le père dansson rôle de cadrage du vécu de son fils (devoir de respect des consignes de vie commune etdes règles familiales : la nuit, on dort, on respecte ses parents — gestion du bruit du phono-graphe, horaires des repas en famille etc.) ; le rôle de la mère a été également amplifiécomme fonction d’organisation de la vie (donner à manger, soigner et être respectée).

Le soutien intensif de l’équipe soignante en intervenant à domicile a ainsi été de valoriserces actes et d’être attentif à la capacité pour la famille de ne pas être en danger. À cet égard, letraitement antipsychotique sera fondamental pour aider le jeune à retrouver ses repères rela-

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tionnels, notamment pour rééquilibrer son rythme veille–sommeil, et pour permettre de contrô-ler le délire, souvent utilisé par les patients pour oser l’irrespect envers les proches. La situa-tion va assez rapidement évoluer de façon positive. En quatre semaines, le jeune hommeretrouvera un certain équilibre qui lui permettra d’avoir un suivi en consultation et de repren-dre sa scolarité.

De façon à montrer quel est ce réel savoir-faire relationnel que constatent les professionnelsdans leur pratique, voici un moment au cours de la prise en charge qui étaye les propos denotre article : au 15e jour de la prise en charge, l’entretien médical organisé avait pour butd’évaluer avec la famille et le patient l’ensemble de l’évolution de la situation ; le jeune allaitmieux, son état psychopathologique évoluait favorablement. Les parents rassurés évoquaientl’avenir avec une certaine confiance, pendant que le jeune garçon « râlait » en partie à causedu cadre un peu contraignant posé par les parents. Soudain, l’adolescent use d’un propos vis-à-vis de sa mère qui dépasse le cadre du respect. Je le fais remarquer au père avec fermeté afinde continuer de maintenir les fonctions réparties entre les parents. Celui-ci, avec une grandevivacité, se lève et gifle son fils en le récriminant. La violence du geste nous sidère tous ; lamère s’élance pour consoler son enfant et nous, professionnels (le travail d’entretien se faittoujours en binôme médecin–infirmier pour ne pas être trop dans une objectivité individuelle),comment pouvons-nous rester cohérents dans notre soutien malgré le sentiment d’insupporta-bilité du geste ? Nous choisissons, sans réfléchir, de confirmer la justesse du geste paternelalors qu’il y avait risque d’escalade à la violence (vu le gabarit imposant du jeune). Notre pro-pos, sans valider la violence, se devait de soutenir la position du père comme structurante pourle fils et recadrante par rapport aux relations incestuelles du fils vis-à-vis de sa mère.

3.4.1.1. Commentaire. Le fils, par son attitude, sort du cadre familial en le transgressant. Com-ment le « réinscrire » dans ce cadre ? Certainement pas en faisant l’apologie moralisante de lanormalité du cadre qu’il transgresse. On n’obtiendrait de sa part qu’une surenchère à la trans-gression. Plutôt que de le laisser transgresser tout seul, il va s’agir pour l’équipe ERIC del’accompagner, de le soutenir voire de le devancer dans son mouvement transgressif de sortiedu cadre. D’une certaine manière, le geste outrancier du père, qui surprend même les méde-cins, a entériné ce mouvement de transgression partagée au-delà même de ce que ces derniersétaient susceptibles d’imaginer. D’où leur surprise, leur perplexité. Se ressaisissant rapidement,s’ils abondent dans le sens du père, à rebours de la logique normative qui voudrait qu’ils ledésavouent, c’est précisément pour rester dans la même dynamique transgressive : le père, àson tour, de façon inattendue, « sort du cadre ». Il en fait trop, va trop loin : ce geste originalest littéralement une « autotranscendance » qui fait émerger le père comme personne. Ildépasse ce faisant de sa propre initiative et avec originalité les consignes proposées par lesmédecins eux-mêmes ; du coup, il transforme le professionnel en élève qui apprend la leçon,et ne peut manquer, en fin de compte, de susciter en nous l’admiration.

3.4.2. Situation no 2Comment intervenir en situation d’urgence face à de la violence au sein d’une famille au

moment de l’adolescence de l’un de ces membres ? Nous sommes interpellés par un médecinqui nous demande un conseil. Il s’inquiète car un jeune homme de 18 ans est en situationd’échec scolaire : il ne va plus à ses cours en faculté. Il rejette les règles familiales, est trèsdésagréable avec sa mère et ses frères cadets ; son père est cadre dans une multinationale et,depuis 18 mois, il travaille à Budapest, ne rentrant le week-end que deux fois par mois.

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Le diagnostic de dépression est évoqué par le médecin traitant, car, étant le médecin defamille, il a eu l’occasion de parler avec le jeune : il est en alliance avec lui, car il l’a suividepuis l’enfance ; il suspecte une problématique d’échec car, ayant raté son entrée en écolede commerce, il ne supporte pas l’Université ; par ailleurs, il fume du haschisch depuis long-temps et aujourd’hui ne s’en cache plus voire le revendique comme « sa liberté ». La situations’aggrave car, en semaine, les conflits sont tels que le frère cadet, exaspéré, a appelé la policepour le faire prendre pour trafic de drogue, et ils se sont battus.

Nous avons choisi d’intervenir dans ce contexte, et avons choisi de rencontrer toute lafamille ; le jeune n’a pas accepté de nous rencontrer. Nous avons reçu le père, la mère, lefrère cadet et une petite sœur. Notre travail a consisté à comprendre la situation et à travaillerà discerner les enjeux du fonctionnement relationnel : le père, absent conjoncturellement, lamère, inquiète pour l’avenir de son fils qui ne réussit plus comme avant et qui n’a plus le fonc-tionnement policé du début de son enfance, la disqualifiant en partie en ce qui concerne laconfiance en elle, le cadet plutôt en position de valorisation avec une certaine réussite scolaireet revendiquant une place de compétence au sein de la famille en l’absence du père.

Le premier entretien va permettre, avec les données recueillies, de créer un contexte quiaura pour but de réagencer les relations au sein de la famille, afin de retrouver un mouvementen commun qui puisse être un peu moins problématique. Pour cela, notre attitude sera centréesur une relecture des rôles au sein de la famille qui soit cohérente avec des règles anthropolo-giques simples : par exemple, qui commande à la maison ? Quelles sont les règles de politesseminimum ? Quelles sont les fonctions et les énergies de ces fonctions ? Par exemple, la fonc-tion maternelle serait de l’ordre de la survivance de la nature et aurait pour énergie la douceuret le rassasiement ; la fonction paternelle est de l’ordre de la régulation : c’est l’énergie quilimite pour nommer les personnes. Cette ébauche d’anthropologie relationnelle n’enferme pasle père dans une position exclusive de loi, ou la mère dans un exclusivisme de douceur, mais,pour aider à retrouver une certaine opérativité dans le fonctionnement, il nous paraît judicieuxde formaliser quelque peu les rôles.

Dans le présent contexte, à savoir en l’absence du jeune et en présence des autres enfants,notre savoir-faire aura pour but de leur faire vivre leur réaménagement relationnel le plus vitepossible. Pour cela, nous aurons à être très convaincants auprès du père, pour qu’il puisse,même à distance, se positionner comme le garant des règles de fonctionnement ordinaire de lavraie vie : ses enfants ont le devoir de respecter leur mère. Même à distance, il est le maître de lamaison : son fils cadet ne peut pas prendre ce rôle ; le père doit réfléchir avec son épouse pourmettre en œuvre des solutions, de façon à ce que celle-ci se sente capable de se vivre opérantedans sa fonction maternelle. Bref, s’il y a des problèmes, elle doit pouvoir en référer à sonmari, la difficulté, dans le contexte de cette situation, étant évidemment la distance de l’époux.

Notre premier entretien aura à trouver un compromis qui permette au père d’être le plusopérant possible. Pour cela, le téléphone portable sera une ressource extraordinaire : nous pro-poserons au père d’être toujours joignable quel que soit son rythme de travail, quitte à ce quel’information donnée par la mère soit très courte mais signifiée au fils. Ainsi, la mère sera tou-jours requalifiée par le père. Nous proposons également que le père puisse le soir réévalueravec son épouse le problème survenu et ainsi interpeller son fils par téléphone. Il prendra parailleurs la décision de rentrer chaque week-end.

C’est ainsi que, lors des tout premiers entretiens de crise, où s’ébauchent des réorganisa-tions relationnelles susceptibles de modifier le contexte, nous aurons plusieurs moments trèsdifficiles, car le jeune n’aura de cesse d’interpeller sa mère sur un mode disqualifiant ; celle-

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ci, avec l’aide de son mari, n’aura de cesse de repositionner son époux en face de son fils ;celui-ci aura, lors des week-ends, la confirmation de la présence du père. Après plusieurssemaines, la violence diminue nettement, et les enjeux liés au vécu dépressif du fils ont pu senommer ; après dix semaines, le père décide de ne plus prolonger sa mission à l’étranger.

Le père nous dira à ce moment-là qu’il a mesuré l’importance de son rôle ou de sa fonctionde père : il a réalisé qu’il avait fait une erreur en laissant son fils cadet prendre une place tropimportante dans la famille avec des conséquences directes sur la santé mentale de chaquemembre de la famille :

● l’aîné disfonctionnant en n’ayant aucune limite, ou plutôt, en recherchant ses propreslimites ;

● le cadet outrepassant son rôle dans l’identification au père sans en avoir cependant lesmoyens au niveau de sa fonction ;

● la mère étant dans l’impossibilité de garder une distance car étant encore dans un rôlematernant, alors que ses fils sont dans une difficulté de construction de leur virilité/mascu-linité (même si leur nature n’est pas encore complètement posée sur ce mode, dans lamesure où ils sont dans les prémices de leur puissance sexuée, sans avoir pour autant unecapacité d’autonomie sociale).

3.4.2.1. Commentaire. Face à la « sortie du cadre » à laquelle l’adolescent expose ses parents,l’intervention de l’équipe ERIC consiste à inviter les parents à sortir de leur propre cadre fonc-tionnel (disqualification de la mère, hyperprésente ; absence du père, fuyant) pour se trouverréinvestis de leur fonction et de leur énergie parentales. Il va donc s’agir d’amplifier les rela-tions entre les personnes, de rendre chacun opérant et présent à l’autre. Dès lors, on ne peutplus rester enfermé dans son cadre initial, cadre où le problème est apparu et s’est développé,mais il s’agit de faire éclater un tel cadre. Bref, on ne trouve pas une réponse à un problème enrestant en lui. Il est plus opportun de regarder le problème de l’extérieur de lui-même.

En fait, de telles situations critiques sont l’occasion pour chacun de sortir de sa fonctionhabituelle : le psychiatre est en mesure d’avouer son incompétence (au début, il ne sait pasquoi faire, il est impuissant) ; l’infirmier/ère est écouté(e) par le médecin psychiatre et mis(e)en avant dans sa compétence réelle à faire face à la situation ; le patient est en réalité celui oucelle qui révèle la pathologie traversant tous les autres membres de la famille ; ces derniersdécouvrent combien ils sont de fait impliqués dans la crise que traverse le patient. À cetégard, ce déplacement fonctionnel qui est aussi une restauration des énergies permet à chacund’émerger dans sa dimension pleine de « seconde personne » en portant en lui une telle dyna-mique relationnelle d’autotranscendance. Cette dynamique se vérifie dans le sentiment que lesprofessionnels partagent sur le génie des familles : le fait relationnel dynamisé par les profes-sionnels valide une créativité des familles, lesquelles n’ont souvent plus besoin d’eux, saufpour les détails…

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