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  • 7/25/2019 Denis Mazeaud Melanges Jean Hauser

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    La bataille du solidarisme contractuel : du feu, des cendres, des braisespar Denis Mazeaud, Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    1. Le couvent contractuel de Frre Mazeaud Cest ainsi que, le 4 mai 2002,dans son rapport de synthse1, qui clturait le colloque consacr au solidarisme

    contractuel, Jean Hauser mapostropha spirituellement, pour exprimer les doutes quelui inspiraient les ides qui irriguent la pense solidariste.

    Prs de dix ans plus tard, maintenant que le soufflet est un peu retomb, que lesesprits se sont apaiss, que les solidaristes ont peu prs disparu du paysage, du-moinssi on scrute la littrature contractuelles, il est temps, avec le recul quoffre le temps quipasse et la srnit2 quil apporte, de revenir sur cette aventure du solidarismecontractuel.

    2. Pour quelles raisons ? Certainement pas pour faire acte de contrition ou pourbattre piteusement en retraite, sous le feu des vives critiques quont adresses leursprestigieux ans, Jean Hauser en particulier, aux cadets du royaume contractuel,

    comme les avait appels, lpoque, Jean-Louis Sourioux3. Il ne sagit pas non plusdentreprendre une nouvelle croisade destine grossir des troupes qui avec le temps sesont, cest le moins quon puisse dire, clairsemes, peut-tre parce que ceux qui taientprsents, tort ou raison, comme ses chefs de file ont eux-mmes pris quelquesdistances On ne prendra pas non plus la peine, comme nous avions t, une poquedsormais rvolue, tent de le faire, de rpondre pied pied toutes les objectionsmises par les pourfendeurs du solidarisme. Lentreprise serait vaine, tant lhostilit, sice nest lanimosit, intellectuelle qua provoqu le mouvement4solidariste a t forte etdemeure vivace encore. En somme, les opinions sont, de part et dautre, figes un telpoint que tout nouveau plaidoyer serait trs probablement superflu.

    Si nous avons choisi, pour honorer le grand civiliste qui a souvent arpent lesrivages du droit des contrats, de revenir sur le solidarisme contractuel, cest dabordpour raconter sa vritable histoire, telle que je lai vcue de lintrieur, ce qui, je crois,permettra dj den relativiser la porte et de lapprcier sa juste valeur. Ensuite, jevoudrais saisir loccasion pour dissiper quelques malentendus et corriger quelquesinexactitudes que la prose solidariste a suscites, ce qui devrait conduire mieuxidentifier la pense dont celle-ci se nourrissait. Enfin, je souhaiterais exploiter les pagesqui mont t aimablement offertes par les organisateurs de ces Mlanges pour clarifierma conception du droit des contrats5, laune des valeurs dthique et de solidaritcontractuelles, dont je continue de penser que leur prsence dans notre droit contractuelest utile et juste, pour paraphraser un autre grand matre du droit des contrats qui

    exera lui aussi son art la facult de droit de Bordeaux

    1 Du moins dans sa version orale, dont jai retrouv par hasard la trace pour les besoins de cet article.

    2Srnit dautant plus importante quen dpit des fortes divergences intellectuelles qui nous ont oppos, les

    rapports professionnels et humains entretenus avec la plupart des opposants au solidarisme, Yves Lequette en

    tte, sont tout simplement excellents. Une chose sont les opinions scientifiques et politiques, autre chose,

    autrement plus riches, plus fondamentaux et plus irrationnels aussi, sont les liens humains3RTDciv.2001, p. 475.4

    Au sens propre, comme au sens figur du terme.5 Conception dont je concde quelle a probablement subie des volutions que jassume sereinement et

    pleinement .

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    3. En premier lieu, je voudrais, par le petit bout de la lorgnette, brivementrevenir sur les origines de laventure solidariste contemporaine6. Pour modeste quilsoit, ce projet nest pas ais raliser, car il est moins simple que la lecture des ouvragesde droit des obligations le laisse supposer premire vue, didentifier ceux des auteurscontemporains qui peuvent tre regroups sous la bannire du solidarisme contractuel,

    tant entendu que la paternit de lexpression a t attribue par Yves Lequette7

    celuiqui, indiscutablement, a t son chef de file entre 1995 et 2005 environ, ChristopheJamin8. En effet, pour ceux des auteurs de manuels qui consacrent quelques lignes ausolidarisme contractuel9, ce sont toujours, quelques exceptions prs, les trois mmesnoms qui reviennent, savoir Catherine Thibierge, Christophe Jamin et celui qui tientici la plume, et les mmes articles qui sont cits10, tant prcis que lessentiel descritiques doctrinales se sont focaliss sur les deux derniers auteurs. Assez curieusement,et cest qui rend difficile la dtermination non seulement de lorigine mais encore delampleur du phnomne doctrinal dans la doctrine contemporaine, certains auteurs nese sont jamais, sauf nous tromper, vus dcerner le label de solidaristes, ( ils ne lont pasnon plus revendiqus dailleurs), et ont t totalement pargns par les critiques, alors

    que leurs crits fleurent bon pourtant le solidarisme contractuel. Lexemple le plussignificatif est celui de Jacques Mestre, bizarrement oubli dans la quasi totalit desouvrages. Pourtant, dans sa trs fameuse chronique de droit des contrats quil a tenu,pendant des annes, seul ou avec Bertrand Fages, la Revue trimestrielle de droit civil,comme dans certains de ses articles, ses propos ne diffrent en rien de ceux pour lesquelsles auteurs susviss ont t vous aux gmonies et accuss de tous les mauxcontractuels11, quon en juge plutt : () les ferments de lvolution sont ()runis, etlespoir peut tre raisonnablement entretenu : au souci contemporain dquilibre

    contractuel, justifiant une intervention unilatrale de rquilibrage au profit de la partie

    6

    On aura donc compris quil ne sagit pas dans ces lignes dinvoquer les mannes du pre du solidarismecontractuel, Ren Demogue, mais uniquement de sarrter sur la priode la plus rcente, savoir la fin du

    XXme sicle et le XXIme sicle.7 Bilan des solidarismes contractuels , in Etudes de droit priv, Economica, 2008, p. 247 et s.,sp. n1.8 La pense solidariste de cet auteur est parfaitement expose dans son article classique Plaidoyer pour le

    solidarisme contractuel ,Mlanges J. Ghestin, LGDJ, 2002 , p. 441 et s.9 Sur ce point, v. infra.10 Pour Catherine Thibierge, Libres propos sur la transformation du droit des contrats ,RTDciv. 1997, p. 357

    et s., pour Christophe Jamin, larticle prcit note (8), et pour lauteur de ces lignes Loyaut, solidarit,

    fraternit : la nouvelle devise contractuelle ? , in Mlanges Franois Terr, 1999, p. 603 et s.11On va encore nous accuser de nous poser en victimes en employant ce vocabulaire. Nous assumons ce travers,

    dautant plus qu la relecture de certains articles consacrs la critique du solidarisme, on prouve quand mmequelques difficults considrer que les critiques dveloppes lencontre de lcole solidariste (sont restes)

    dans le champ du dbat doctrinal traditionnel, (Y. Lequette, eod. loc., sp. n4). Il suffit pourtant de parcourirla prose anti-solidariste pour relever la virulence du propos, le mpris et la condescendance qui parfois les irrigue

    et les attaques personnelles qui les maillent. Ici, on moque cette doctrine mite (L. Leveneur, Le

    solidarisme contractuel : un mythe ? , in Le solidarisme contractuel, prcit, sp. n1), le flou intellectuel

    dune doctrine attrape-tout (Ph. Rmy, La gense du solidarisme contractuel , in Le solidarismecontractuel, prcit, sp. n6), la phrasologie creuse (Y. Lequette, eod. loc., sp. n14), on raille un

    discours dont les brillantes sinuosits ne parviennent pas masquer les insuffisantes techniques (Ibid, n16),

    et qui sapparente plus une sorte de rflexe conditionn qu un vritable raisonnement (Ibid, n31). L, on

    fustige un paternalisme () irrespectueux de la dignit humaine ( Ph. Malaurie, L. Ayns, Ph. Stoffel-

    Munck,Les obligations, Defrnois, 2009, sp. n751), le dsintrt profond que certains tenants du solidarismecontractuel portent lintrt gnral (Y. Lequette, eod. loc., sp. n37), et, cerise sur la gteau, on sinquite

    de lentreprise que poursuit le solidarisme moral, dont lhistoire nous renseigne sur ce quil advient lorsquon

    sessaie de telles entreprises. Toutes proportions gardes, Maximilien de Robespierre la fin du XVIIIme

    sicle ou Lnine et ses mules dans la premire moiti du XIXme sicle () ( Ibid, sp. n10) Chacunjugera, mais il ne nous semble tout de mme pas verser dans une stratgie de victimisation en considrant que la

    charge doctrinale anti solidariste sest manifeste sur un ton qui tranche avec le dbat doctrinal traditionnel.

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    considre en situation dingalit, pourrait bien, demain, se substituer un esprit de

    collaboration, plus riche parce que naturellement bilatral 12; Le contrat est de moinsen moins peru comme un choc de volonts librement exprimes, comme un compromis

    entre des intrts antagonistes, prement dfendus. Il apparat de pus en plus comme un

    point dquilibre ncessaire, voire mme comme la base dune collaboration souhaitable

    entre les contractants13

    . () lheure actuelle, (), la pratique contractuelle et lajurisprudence passent insensiblement, partir dune certaine conception dun intrtcommun, un devoir positif de collaboration, qui est la fois plus exigeant et, si jose dire,

    plus formateur des caractres 14. Idem pour Philipe Rmy, mme si celui-ci amanifestement chang son fusil dpaule par la suite15: Voil donc quil se dessine une

    nouvelle faon de considrer le contrat, comme une union dintrts quilibrs, instrument

    de coopration loyale, uvre de mutuelle confiance, sous lgide dun juge qui sait tre,quand il le faut, juge dquit. Sans cette thique contractuelle, qui nous vient de bien plus

    loin, il ne faudrait rien esprer du contrat 16. Quand on sait que ces crits, dont la lettreet lesprit ne diffrent en rien de ceux des auteurs prcits 17, ont t publis plus de dixans avant les articles de ces derniers et quils nont pas suscit la moindre raction chez

    les gardiens du temple, on peut quand mme manifester un certain tonnement.

    4. On pourrait donc tre tents dtablir une distinction au sein de la doctrinesolidariste entre les solidaristes pargns et les solidaristes reints, mais ce nest pascette classification quont retenu ceux des auteurs qui ont cherch rendre compte de ladiversit de ce mouvement. Dans le sillage de Philippe Stoffel-Munck18, on prsentesouvent la doctrine solidariste comme tant divise en deux tendances sensiblementdiffrentes : le solidarisme social, dune part, dont Christophe Jamin serait lechampion ; le solidarisme moral, dautre part, dont lauteur de ces lignes serait lehraut.

    On ne peut sempcher, dans un premier temps, desquisser un sourirertrospectif face cette prsentation, qui laisse penser que le solidarisme contractuelconstituait une cole structure et que celle-ci aurait clate en deux ples distincts. Lavrit est que le mouvement que nous avons, avec Christophe Jamin, bien plus pris enmarche quinitis, tait totalement inorganis et que les prtendus ples se rduisaienten ralit, quant leur composition lunit19

    Plus srieusement, avec le recul, cette dualit me parat reposer sur une confusionentre le prtendu solidarisme moral, qui na de solidarisme que le nom, et une visionplus exigeante de la morale contractuelle que nous avons dfendue dans le pass et dontnous continuons penser quelle constitue une directive dont le droit contractuel positifgagnerait sinspirer. En somme, le prtendu solidarisme moral dont je serais le chef de

    12RTDciv.1986, p.102.

    13 Lvolution du contrat en droit priv franais , in Lvolution contemporaine du droit des contrats, PUF,

    1986, sp. p. 45.14

    Ibid, sp. p.53.15 Comme le rvle suffisamment la lecture de son article La gense du solidarisme , in Le solidarisme

    contractuel,Economica, 2004, p. 3 et s.16

    Droit des contrats : questions, positions, propositions , in Le droit contemporain des contrats, Economica,

    1987, sp. n30.17 On rappellera pour authentifier le label solidarisme contractuel qui peut tre accord ces auteurs, que

    pour beaucoup dauteurs, notamment pour Yves Lequette lanalyse solidariste diffre de la conception

    traditionnelle en ce que le contrat reposerait non sur un antagonisme des intrts, mais sur une union de ceux-

    ci, laquelle impliquerait pour chaque contractant, le devoir de respecter les intrts de son partenaire (eod.

    loc. sp. n7).18D. 2002, 1979.19 Ainsi, Alain Sriaux, souvent catalogu dans le solidarisme moral, a toujours rcus cette affiliation.

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    file me parat procder dune confusion entre ce qui relve de la morale contractuelle etdu vritable solidarisme, lune et lautre diffrant pourtant sensiblement quant leursdomaines et leurs portes respectifs. On peut par exemple ne pas tre convaincu par lapertinence de la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle lamauvaise foi dun contractant nexerce aucune influence sur la substance de ses droits et

    obligations et ne peut affecter que lefficacit de ses prrogatives contractuelles, sanspour autant tre vers dans le courant solidariste. Simplement, on peut critiquer cettergle prtorienne au nom dune certaine conception de la morale contractuelle.

    5. Cette petite mise au point effectue, on peut sarrter dsormais sur les troistapes qui ont marqu la brve histoire du solidarisme contractuel en droit positif, envoquant successivement le feu (1), les cendres (2) et les braises (3)

    1) Le feu

    6. Ni cet excs dhonneur, ni cette indignit A la rflexion, la citation

    convient parfaitement pour apprcier les ractions qua suscites le mouvement dusolidarisme contractuel, ces dernires annes. Si on retrace, en effet, sa brve20histoire,on peut, semble-t-il, distinguer deux poques : la premire au cours de laquelle, cemouvement a t plac sous les feux de la rampe (a), la seconde durant laquelle il a tlobjet du feu des critiques (b).

    a) Les feux de la rampe

    7. Dans un premier temps, assez bref, ce mouvement, relanc linitiative deChristophe Jamin, a reu un cho certain en doctrine21. Un grand nombre de notes, decommentaires, darticles et de thses22, raliss par dautres que les solidaristes, lui ontt consacrs ou y ont fait rfrence. Un colloque lui ft mme intgralement ddi 23etcertains auteurs, autres que les aptres du mouvement, nhsitaient pas dtecter dansles ides qui lirriguent le ferment dvolutions importantes de notre droit positif24.

    Est-ce livresse du succs ? Toujours est-il que les annes passant, comme NicolasMolfessis25 la trs justement relev, sest dveloppe en doctrine, partisans26 etopposants confondus, une nette tendance voir lombre du solidarisme partout,notamment dans la plupart des dcisions de la Cour de cassation, un tant soit peuimportantes rendues au cours de ces quinze dernires annes. Que ce soit le sort desclauses de responsabilit abusives, le rejet de la bonne foi post-contractuelle, lexclusiondune obligation dinformation sur la valeur du bien vendu la charge de lacqureur,

    linfluence de la mauvaise foi du crancier contractuel sur ses droits, ses obligations etses prrogatives, tous les arrts de la Cour de cassation rendus sur ces questions ont tcomments laune du courant solidariste. Or, la rflexion, aucune des questions

    20 Laventure du solidarisme contractuel contemporain a, en effet, commenc approximativement dans les

    annes quatre-vingt dix.21

    En ce sens, L. Grynbaum, La notion de solidarisme contractuel , in Le solidarisme contractuel, Economica,

    2004, p.25 et s. sp. n17.22 Il serait fastidieux de les relever tous ici. On peut quand mme, pour les articles, citer celui de Mignot ( De

    la solidarit en gnral et du solidarisme en particulier ,RRJ 2004, n4, p. 2153) et, pour les thses, celle de A.-

    S. Courdier-Cuisinier,Le solidarisme contractuel, Litec, 2006.23Le solidarisme contractuel,Economica, 2004.24

    En ce sens, v. D. Mainguy et O. Respaud, Droit des obligations, Ellipses, 2008, sp. n5 et s.25 Remarques sur la doctrine en droit des contrats ,RDA 2011, p. 51 et S.26 A cet gard et avec le recul, je bats volontiers ma coulpe

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    tranches dans ces diverses dcisions par la Cour ne nous parat toucher de prs oumme de loin au mouvement solidariste. Tout juste constituent-elles des prises depositions jurisprudentielles sur le rle et lintensit du devoir de bonne foi et delimpratif de justice contractuelle en droit positif. Et peu importe, au fond, que lon soitou non solidariste pour approuver ou rprouver labsence dinfluence de la mauvaise foi

    du crancier sur ses droits et obligations contractuels, la suppression des clauses deresponsabilit qui contredisent lengagement essentiel souscrit par le dbiteur, labsencede bonne foi aprs la disparition du contrat ou dobligation dinformation delacqureur en matire de vente, sauf doter le mouvement du solidarisme contractueldun champ dapplication que ses promoteurs eux-mmes navaient pas lintention delui assigner, on y reviendra.

    Quoiquil soit le soufflet du solidarisme contractuel est assez vite retomb,entendons par l que lengouement quil a, dans un premier temps, engendr, sest assezvite essouffl pour laisser la place une trs vigoureuse contre offensive qui sesttraduite par un feu nourri de critiques.

    b)

    Le feu des critiques

    7. En premier lieu, aprs quelques temps, lensemble de la doctrine, solidaristescompris, a mis laccent sur le bilan comptable trs dcevant des ides solidaristes.

    Dune part, comme chacun la relev, les ides solidaristes nont, en ralit, gureeu dcho en jurisprudence. Pour tre prcis dans lapprciation de la porte dusolidarisme contractuel, il conviendrait dailleurs de distinguer la jurisprudence de laCour de cassation, dont on peut soutenir quelle a rejet les propositions de cemouvement, et celle des juges du fond, lesquels ont t plus sensibles cette doctrine. Ence qui concerne la seule27Cour de cassation, elle a trs nettement manifest son hostilitau solidarisme contractuel dans le traitement de deux sries de difficults.

    A propos de la rupture des contrats de distribution, dabord, la Cour decassation a rendu plusieurs arrts dans lesquels elle a schement repouss toutes lessuggestions mises par les solidaristes pour attnuer les effets conomiques dsastreuxpour les distributeurs de la rupture de leur contrat. Ainsi, la Cour na retenu, ni laproposition tendant imposer une obligation de motivation au franchiseur ou auconcdant en cas de rupture unilatrale28, ni celle visant lindemnisation dufranchiseur ou du concessionnaire en cas de rupture de leur contrat, qualifi pour lesbesoins de la cause de contrat dintrt commun29, ni celle mettant la charge du matredu rseau une obligation daide et dassistance au profit de ses distributeurs rpudis 30. Ces dfaites jurisprudentielles sont dautant plus significatives, au stade

    lapprciation du solidarisme contractuel, que cest essentiellement sur ce terrain de larupture des contrats de distribution, que les solidaristes avaient entendu dvelopper unedoctrine de combat . Je peux mme affirmer que la seule fois o, avec ChristopheJamin31, nous avons vritablement envisag de mener une stratgie coordonne en vuedinstiller une dose de solidarisme contractuel dans notre droit contractuel, ctait dansce domaine spcifique. Lindiscutable dfaite que nous a alors inflige la jurisprudence

    27 On reviendra un peu plus tard sur la jurisprudence des juges du fond.28

    Cass. com., 25 avril 2001 :D.2001, somm.comm., 3238, obs. D. Mazeaud ;RTDciv. 2002, 99, obs. J. Mestre

    et B. Fages.29Cass. com., 8 janv. 2002 : Contrats, conc., consomm.,2002, comm. n78, obs. M. Malaurie et n87, obs. L.

    Leveneur ;D. 2002, somm.comm., 3009, obs. D. Ferrier.30Cass. com., 6 mai 2002 :D.2002, 1754, obs. E. Chevrier ;D.2003, somm.comm., 2847, obs. D. Mazeaud.31 Ctait en 1993, si ma mmoire ne me fait pas dfaut.

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    nen a alors t que plus cuisante pour le solidarisme et les observateurs de cemouvement relveront que ces revers ont concid avec un sensible affaiblissement de laproduction doctrinale des auteurs solidaristes.

    Cest, ensuite, en matire de contrle de labus du prix unilatralement fix queles auteurs solidaristes nont pas t suivis par la Cour de cassation. Alors que pour

    canaliser labus, ceux-ci avaient notamment propos dimposer une obligation demotivation au contractant dot du pouvoir de fixer unilatralement le prix, pourencadrer et canaliser son pouvoir, et alors que les juges du fond 32staient rallis cetteproposition, la Cour de cassation la repousse et sest content, pour exclure labus derelever que dbiteur du prix avait t inform de sa substantielle augmentation et quiltait libre de rsilier le contrat, par consquent de faire jouer la concurrence et dengocier le prix selon la loi du march 33.

    8. Si le bilan jurisprudentiel du solidarisme contractuel, prcisment sur lesterrains que les solidaristes avaient investi pour influencer le droit positif, est clairementngatif, il nest, dautre part, gure plus fameux en doctrine.

    Dabord, si on observe les trs nombreux manuels de droit positif, on constateraquassez rares finalement sont ceux qui lui consacrent quelques dveloppements dignesde ce nom, cest--dire qui en exposent la sve idologique, en apprcient la valeur et envaluent la porte34. Surtout, et cest l videmment lessentiel, on constatera que pas unauteur de ces ouvrages ne revendique, de prs ou de loin, son appartenance cemouvement.

    Ensuite, il est probable que la charge mmorable laquelle sest livr YvesLequette, dans son article sur Le bilan des solidarismes contractuels dans lesMlanges offerts Paul Didier, a considrablement contribu la brutale pertedaudience du mouvement solidariste dans la doctrine contemporaine. Ce texteconstitue, nen pas douter le point dorgue de la rsistance doctrinale au solidarismecontractuel et des critiques adresses deux de ses partisans, savoir Christophe Jaminet lauteur de ces lignes. Il fait suite dautres contributions doctrinales qui, elles aussi,rvlaient une hostilit farouche lgard du solidarisme et des solidaristes. Mais, aufond, peu importe, lessentiel rside dans largumentation dveloppe par les auteursprcits, et tous les autres qui se sont joints eux, pour sonner la charge anti-solidariste.

    Pour lessentiel35, les critiques substantielles, qui, dans les ouvrages de droit desobligations, sont trs souvent exposes dans des subdivisions relatives au fondement ducontrat, tiennent, sans prtendre lexhaustivit mais sans volont dlibre denocculter certaines, en quelques propositions. Dabord, on reproche au solidarismecontractuel de reposer sur une apprhension anglique et irnique du contrat36,

    32 Paris, 24 octobre 2000:D. 2001, somm. comm., 3236, obs. D. Mazeaud ; D. 2002, 641, obs. D.-R. Martin.

    33 Cass. civ. 1re, 30 juin 2004 : Contrats, conc., consomm., 2004, comm. n151, obs. L. Leveneur ;D.2005,

    1828, note D. Mazeaud ;Droit & Patrimoine,nov. 2004, n3566, obs. P. Chauvel ;RD C2005, 275, obs. Ph.

    Stoffel-Munck ;RTDciv.2004, 749, obs. P-Y. Gautier ;RTDciv.2005, 126, obs. J. Mestre et B. Fages.34 Sur vingt ouvrages examins pour les besoins de la cause, seuls ceux de Mme Buffelan Lanore et Larribau

    Terneyre (Droit civil, Les obligations, Sirey, 2008, sp. n653 et s.) et Fabre-Magnan (Droit des obligations, 1,

    Contrat et engagement unilatral, PUF, 2010, sp. p. 79), et de MM. Flour, Aubert et Savaux (Droit civil, Les

    obligations, 1, Lacte juridique, Sirey, 2010, sp. n119-1), Mainguy et Respaud ( Op. cit., sp. n66), Poumarde (

    Droit des obligations, Cours, Montchrestien, 2010, sp. p. 117) et Terr, Simler et Lequette (Droit civil, LesObligations, Dalloz, 2009, sp. n41 et s.) consacrent vritablement au solidarisme contractuel de substantiels

    dveloppements, soit moins dun tiers des livres qui traitent du droit contemporain des contrats 35 Pour un expos plus systmatique de ces critiques, v. notre article publi aux Mlanges Terr, sp. n621 et s.36

    En ce sens, entre autres car cest sans doute la critique qui revient sur la plume de la majorit des auteurs, J.Carbonnier,Droit civil, Les obligations, T. IV, PUF, 2000, n114 ; F. Terr, Ph. Simler, Y. Lequette, op. cit., sp.

    n42.

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    imprgne de solidarit et de fraternit, et sur une vision de lhomme idalis etrgnr37. Ensuite, cette doctrine lentreprise solidariste instillerait dans le droit descontrats le venin de limprvisibilit et de linscurit38. En outre, les solidaristeslivreraient le contrat pieds et poings lis au juge, investi du pouvoir dimposer sa visionpersonnelle de lquilibre et du contrat39, ignorants quils sont de ce que la vie

    juridique existe en dehors de la vie judiciaire40

    . De plus, les solidaristes pcheraientaussi par ignorance, en ce quils font totalement abstraction dans leur rflexion delanalyse conomique du droit et plus gnralement de la dimension conomique dudroit des contrats41. Par ailleurs, on reproche aux solidaristes de stre cantonn dans leseul domaine des contrats, alors que les ides dont ils se font les chantres auraient dtre exploites dans la perspective de combats autrement plus fondamentaux42. Enfin, cequi affaiblirait encore le mouvement du solidarisme contractuel, cest leur approchecompltement indiffrencie de lunivers contractuel qui les disqualifie encore un peuplus : A lapprofondissement et la diversification des figures contractuelle, ils prfrentun discours globalisant et indiffrenci connotation morale pour les uns, politico-sociale

    pour les autres43. Qui trop embrasse, trs mal treint, en somme

    Le rquisitoire est impitoyable, dautant plus que la qualit et la notorit desprocureurs lui donnent un crdit extrmement fort. Si fort, que daucuns ont alorsprdit quaprs celle du feu, cest lpoque des cendres qui sannonait pour lesolidarisme contractuel

    2) Les cendres

    9. Impitoyable, le rquisitoire anti-solidaristes est-il pour autant implacable ?Pour y rpondre, on envisagera successivement les deux attitudes quune telle chargepeut provoquer, savoir : disparatre (a) ou renatre (b)

    a)

    Disparatre

    10. Ceux qui plus tard peut-tre se pencheront sur laventure du solidarismecontractuel, concluront probablement sa disparition ds la fin de la premire dcenniedu XXIme sicle et considreront quil na pas survcu aux critiques. Et, il est vrai quelarticle fameux dans lequel Yves Lequette a dress un bilan apocalyptique dessolidarismes contractuels semble bien en avoir sonn le glas. Les auteurs cibls commetant les chefs de file du mouvement, sans avoir pour autant ncessairement changleurs fusils dpaule, nont pas, si ce nest au dtour dune note, consacr de nouvellestudes de fond destines la diffusion de lide solidariste. Dune faon gnrale, le

    solidarisme semble tre un peu pass de mode en doctrine, dans la mesure o lesspcialistes du droit des contrats ne lui prtent plus beaucoup dattention et o les

    37 Y. Lequette, eod. loc., sp. n10.38 En ce sens, entre beaucoup dautres, J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, op. et loc. cit. ; L. Le veneur, eod. loc.,

    sp. n18 ; D. Mainguy et J.-L. Respaud, op. et loc. cit.; Ph. Malaurie, L. Ayns, Ph. Stoffel-Munck, op. et loc.

    cit.39 En ce sens, entre beaucoup dautres, Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, op. et loc. cit. ; Y. Lequette, eod. loc., sp.

    n 18 et s ; Ph. Rmy, eod. loc., sp.n11 ; F. Terr, Y.Lequette,Les grands arrts de la jurisprudence civile, sp.

    p. 178 et 181 ; F. Terr, Ph. Simler, Y. Lequette, op. cit., sp. n42.40 Y. Lequette, eod. loc., sp. n20.41

    D. Mainguy et J.-L. Respaud, op. et loc. cit.42Y. Lequette, eod. loc., sp. n29 et s.43Ibid, sp. n14 et s.

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    jeunes docteurs qui lvoquent dans leurs thses le font de manire rsolumentcritique44.

    11. Le diagnostic, pour pessimiste quil soit, comporte assurment une assez largepart de vrit. Manifestement, les auteurs solidaristes ont dlaiss le champ de bataille

    doctrinale. Paradoxalement, ce sont plutt leurs dtracteurs qui semblent ranimer laflamme en continuant de voir du solidarisme, l o les solidaristes nen font point tat, etqui continuent passer la moulinette du solidarisme les arrts que la Cour decassation rend en matire contractuelle. Par exemple, dans son article prcit, YvesLequette consacre de longs dveloppements un arrt rendu, le 14 septembre 2005, parla troisime chambre civile de la Cour de cassation, pour dmontrer les mfaits de ladoctrine solidariste. Occasion pour lui de dnoncer les errements de lauteur de ceslignes, pourtant qualifi plusieurs reprises d minent commentateur45, dans soncommentaire de larrt en question. Pourtant, nimporte quel lecteur qui se reportera la note46 que nous avions consacre cette dcision, qui exclut la bonne foipostcontractuelle, pourra constater que nous ne faisons pas une seule fois allusion au

    solidarisme contractuel. Notre critique de larrt ressemble dailleurs dassez prs,quant son esprit, celle que lui avaient adresse MM. Fages et Mestre dans leurspropres observations47, mais ces auteurs sont curieusement pargns par le pourfendeurdes solidarismes contractuels. De mme, dans leur commentaire de larrt rendu, le 10

    juillet 2007, par la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans lequel celle-ci seprononce sur la porte de la mauvaise foi du crancier contractuel sur ses droits, sesobligations et ses prrogatives, MM. Terr et Lequette48 affirment que cette dcision encourt videmment les critiques de la doctrine solidariste en ce quelle ruineses espoirs

    de voir le juge investi, sous couvert de bonne foi, du pouvoir dimposer sa propre vision delquilibre et de lutilit du contrat49, et citent lappui les observations publie parlauteur de ces lignes la Revue de Droit des Contrats. Or, non seulement, il ne noussemble pas que le solidarisme soit ici de saison pour apprcier larrt en question, maisencore, tout solidariste que je sois et que je reste, mon propos ntait pas celui que meprte ces auteurs. Pour sen convaincre, il suffit de se reporter aux dites observations 50pour constater que ce que nous prtendions simplement en apprciant la porte de cetarrt, ctait quil semblait sonner dfinitivement le glas des espoirs de ceux qui voyaient

    dans larticle 1134, alina 3, du code civil, le ferment de la rvision judiciaire pourimprvision. () Avec son arrt, la Chambre commerciale transforme probablement de

    tels espoirs en illusions perdues. Entre regretter que cet arrt sonne le glas dunejudiciarisation gnrale du contrat au nom de lexigence de bonne foi, comme MMTerr et Lequette nous le font dire, et dplorer quil emporte la fin des espoirs de ceux

    qui pensaient que le devoir de bonne foi pourrait constituer le ferment dun pouvoirexceptionnel de rvision judiciaire pour imprvision, il existe quand mme une sensiblediffrence, de nature plus que de degrs dailleurs.

    Mais au fond ce qui nous semble extrmement constructif dans toutes lescritiques adresses au solidarisme contractuel, convaincantes ou non, cest, entre autres,

    44 En ce sens, v. par exemple, Penin,La distinction de la formation et de lexcution du contrat, Thse Paris II,

    2010, dactyl ; L. Thibierge,Le contrat face limprvu, Economica, 2011.45

    Expression dont chacun sait ce quelle signifie lorsquon lemploie46D. 2006, 761.47RTDciv. 2005, 776 et s.48

    Les grands arrts de la jurisprudence civile,Dalloz, 2008, n161.49 Sp. p. 178.50RDC 2007. 1110 et s.

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    de rvler les incomprhensions et les malentendus que ce mouvement a suscits.Incomprhensions et malentendus quil convient de dissiper pourrenatre

    b) Renatre

    12. Renatre exige indiscutablement que le message solidariste, qui, au fil dutemps, sest brouill par la faute conjugue de ses adeptes et de ses adversaires, soitclarifi, recentr, prcis, quil sagisse du solidarisme contractuel, en gnral, ou duprtendu solidarisme moral, en particulier. Dans cette perspective, on partira descritiques les plus fondamentales qui ont t mises en doctrine.

    Quant au solidarisme contractuel en gnral, en premier lieu, on reviendra surtrois points qui nous paraissent essentiel.

    On sarrtera, dabord, sur le rgime du contrat, qui prtendument serait, si lesolidarisme contractuel acquerrait droit de cit dans notre droit contemporain descontrats, frapp dune inscurit inluctable et dune imprvisibilit fatale, en raison dela judiciarisation du contrat que ce mouvement promeut et emporte ncessairement.

    Ainsi, entre beaucoup dautres, Philippe Rmy affirme que le solidarisme contractuelprtend plutt constituer un anti-systme qui fournirait au juge du contrat () lajustification idologique dun interventionnisme dsordonn51. Et Laurent Leveneur deprolonger : Accepter la mise en uvre de cette doctrine, cest donc ncessairement livrerle contrat au juge, avec un fort risque darbitraire52. Et MM. Terr et Lequette depoursuivre : les solidaristes en appellent une application tentaculaire du principe

    dexcution de bonne foi permettant au juge dimposer sa propre vision de lquilibre et de

    lutilit du contrat53.Or, le projet solidariste na jamais consist, du moins quand il tait exprim par

    lauteur de ces lignes, livrer le contrat, pieds et poings lis au juge. On a beau lire etrelire les crits solidaristes cits par les auteurs susviss, on ny dcouvre aucun appel une immixtion gnralise du juge dans le contrat. Certes, via lextension du devoir debonne foi quils prconisent, les auteurs solidaristes concdent que lintervention du jugesera mcaniquement accrue, mais pour autant ils ne militent pas pour une

    judiciarisation systmatique du contrat, loin sen faut, ne serait-ce que parce que ledevoir de bonne foi ne se substitue pas aux principes de libert, dirrvocabilit etdintangibilit contractuelles, mais quil sy ajoute simplement. Plus encore, quand ilsaffirment que le bras arm du solidarisme contractuel est le juge qui, en son nom, peut et

    doit exercer un contrle plus dynamique et subjectif , ils cantonnent expressment lecontrle en question aux hypothses dans lesquelles, loin dtre le fruit de la libert et delgalit contractuelles, le contrat est le produit dune ingalit conomique et dune libert

    unilatrale qui se dploie tant au stade de la formation du contrat qu celui de sonexcution, et qui se traduit par la stipulation de clauses de pouvoir qui, peu ou prou,

    placent le destin de la relation contractuelle entre les mains dun seul contractant 54

    contrats de longue dure dans lesquels lingalit avre des contractants risque de setraduire par des abus et des excs de pouvoir, lesquels sont eux-mmes, les ferments de

    dsquilibres contractuels inadmissibles ou, pire encore, la cause de la disparitionconomique dun des contractants55. On ajoutera que la faveur pour la rvision

    judiciaire du contrat pour imprvision, qui unit les auteurs solidaristes, ne peut pas

    51Eod. loc., sp. p. 11.52Eod. loc., sp. n17.53

    Eod. loc., sp. p. 181.54 Note sous Cass. civ. 1re, 30 juin 2004 :D. 2005, p. 1828, sp. n2.55 Solidarisme contractuel et ralisation du contrat , in Le solidarisme contractuel,prc., sp. n5.

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    srieusement tre exploite pour les accuser de revendiquer une tutelle judiciaire ducontrat. Chacun sait que lintervention dujuge, en cas de changement de circonstances,est toujours subordonne la runion de trs strictes conditions, qui dotent son pouvoirde rvision dun caractre ncessairement exceptionnel.

    En dfinitive, si les solidaristes rclament un rle accru juge, cest, dabord, pour

    temprer les abus et les excs engendrs par la libert unilatrale qui prside certainesrelations contractuelles, ensuite, pour encadrer des relations contractuelles spcifiquesqui ne correspondent pas la structure partir de laquelle a t difie la thoriegnrale du contrat, enfin pour rsoudre des crises contractuelles par hypothseexceptionnelles. Pas dappel donc linvasion judiciaire du contrat, simplement uneingrence exceptionnelle du juge quand les circonstances lexigent.

    13. Pour prciser le projet solidariste, en rpondant aux critiques qui lui ont tadresses, on reviendra ensuite sur la porte que souhaitaient lui assigner sespromoteurs. Les quelques ouvrages contemporains de droit des obligations qui prtentattention au solidarisme contractuel, ltudient souvent dans une subdivision relative au

    fondement du contrat, laissant ainsi penser que lambition des auteurs solidaristes taitde modifier de fond en combe les fondations du contrat et du droit qui le rgit. Or, telntait pas le cas, il sen faut mme de beaucoup : les promoteurs de ce projet

    contractuel ()ne rvent pas de rvolution contractuelle. Ils sont simplement anims parun souci de rquilibrage des impratifs et des principes qui fondent le modle contractuel

    franais, lui confrent son originalit et expriment sa richesse. Car si, depuis deux sicles,la libert, lgalit et la stabilit contractuelles constituent les mamelles de notre droit des

    contrats, la part laisse la loyaut et lquit, notamment, rduite une peau de chagrin

    jusque dans ces trente dernires annes, reste encore assez largement dficitaire en droitpositif. Or, comme le rvle la lettre de notre Code, dans ses articles les plus

    emblmatiques, ainsi que nombre de constructions jurisprudentielles, depuis deux sicles,la force du modle contractuel franais rside dans lalliance harmonieuse, et donc

    quilibre, entre ces diffrents principes fondateurs. Do le souci notamment duvrer

    pour faire en sorte que les notions souples et flexibles qui irriguent la thorie solidariste nesoient pas simplement considrs comme des mots, des mots , mais comme des pices

    clefs dun droit des contrats qui conjuguerait harmonieusement les ides de libert et de

    loyaut, dgalit et dquit, de scurit et de solidarit, lesquelles peuvent tre concilieset doivent, cet effet, tre rconcilies, plutt qutre apprhends, non sans manichisme,

    dans une logique de confrontation et dirrductible opposition56. CQFD ! Il ne sagissaitdonc pas de modifier de fond en comble notre droit des contrats, mais simplementdaccoupler les principes traditionnels avec des ides et des valeurs nouvelles.

    14. Enfin, il importe de bien prciser le domaine dans lequel les solidaristessouhaitaient que leurs ides se dploient. Sur ce point, en effet, comme on la dj vu, il at reproch ces auteurs de ne pas avoir, linstar de Demogue, procd desdistinctions essentielles entre les diffrents types de contrats et davoir, par consquent,tenu un discours globalisant et indiffrenci57qui, ds lors, le disqualifie. A nen pointdouter, il sagit l de la critique la plus pertinente, adresse aux solidaristes. Il est vraiquil peut nous tre reproch de ne pas avoir dtermin avec prcision, de faonpralable, le domaine spcifique dans lequel les ides qui irriguent le solidarismecontractuel devraient se dployer, et de ne pas avoir, dans cette perspective, distingu,pour les besoins de la cause, entre les diffrents types de contrats.

    56 Note prc., sp. n1.57 Y. Lequette, prc., supran

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    Pour pertinente quelle soit, la critique nous parat tout de mme un tantinetexcessive. En effet, dans son article maintes fois cit, Yves Lequette relve, en citant despassages des articles de Christophe Jamin et de lauteur de ces lignes, que si lexistence

    dune ralit contractuelle spcifique est parfois pressentie, cest toujours travers une

    terminologie singulirement fluctuante et conclut On est bien loin de Saleilles

    identifiant la figure du contrat dadhsion58

    . Cest en cela que sa critique, aussipertinente soit-elle sur le principe, nous parat excessive. Excessive, parce que, dans unde ses articles59, Christophe Jamin a identifi la figure des contrats de sujtion :contrats qui ont pour particularit de sinscrire dans la dure et de ne pas tre seulementle support dun change. Parce quils mettent aux prises des parties de force ingale, ces

    contrats peuvent rserver lun dentre elles le droit de fixer les rgles du jeu au cours de

    leur excution. () Ces contrats ont la particularit de faire de lun des contractants lesujet de lautre, sans que le droit civil, ni dailleurs le droit de la consommation soient

    toujours en mesure de prendre en charge cette situation60. Beaucoup plus modestement,mais nest pas Jamin qui veut, lauteur de ces lignes sest plusieurs reprises attach circonscrire le rayon daction du solidarisme contractuel de faon tout de mme un

    peu plus rcurrente et prcise que le laisse entendre Yves Lequette. Je cite : un desdomaines de prdilection du solidarisme contractuel se trouve dans les contrats de

    distribution qui sinscrivent dans la dure, qui sont sous tendus par un projet commun et

    qui se traduisent par la dpendance, conomique et juridique, dun contractant par rapport lautre61; le solidarisme contractuel a, essentiellement, vocation se dployer dansles relations contractuelles de dpendance, qui sont marques par une ingalit des partieslors de leur formation et de leur excution, ainsi que le rvle le pouvoir accord au

    contractant dominant de fixer unilatralement le contenu du contrat, qui s'inscrivent dans

    la dure, qui se caractrisent souvent par une communaut de clientle et qui secristallisent dans une clause d'exclusivit62.

    Objectivement, ajouts quelques autres, ces crits nous semblent tout de mmervler que les solidaristes avaient assez prcisment cibl le domaine dans lequel ilsentendaient que leurs ides sappliquent, savoir, essentiellement sinon exclusivement,les contrats qui rpondent un triple critre : la dure, lintrt commun et ladpendance dun contractant vis--vis de lautre. Certes, cette figure contractuellenentre peut-tre pas dans une catgorie acadmique prdtermine, mais elle noussemble nanmoins correspondre une ralit contractuelle aisment identifiable, savoir les contrats de distribution, dont, rappelons le ( dessein), le rgime de la rupturea constitu le cheval de bataille principal des solidaristes.

    15. Reste revenir sur ce que certains ont appel le solidarisme moral, variante

    du solidarisme contractuel quYves Lequette a jug plus inquitante encore que lesolidarisme social63. A la rflexion il me semble que cette perception du solidarisme,dont lauteur de ces lignes serait le chef de file, relve pour une part dun malentendu,lequel, je le concde volontiers, procde sans doute dapproximations qui nous sontimputables.

    58N16.

    59 Le procs du solidarisme contractuel : brve rplique , in Le solidarisme contractuel, prc.60 N8.61

    Note prc. n2.62 Note sous Cass. com., 15 janv. 2002 :D. 2002, .63 Bilan des solidarismes contractuels , prc., sp. n37.

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    Dans le prtendu solidarisme moral, coexistent, en ralit, deux lments, commele suggre dailleurs, sans doute pas assez clairement, la structure de notre article publiaux Mlanges Terr64, toujours cit comme creuset de cette variante du solidarisme.

    En premier lieu, et il ne sagit pas l proprement parler de solidarisme, il estpropos dinstiller dans les contrats en gnral, sans aucune limitation de domaine, un

    surcrot de morale et de justice contractuelle via,notamment mais pas exclusivement,ledevoir de bonne foi, tendu tous les stades du processus contractuel. Au nom duneexigence gnrale et accrue dthique contractuelle65, il sagit, notamment dans lesrelations contractuelles dans lesquelles la libert et lgalit contractuelles ne sont quedes leurres, et dans lesquelles le destin du contrat se trouve, en ralit, plac entre lesmains dun contractant, dadapter la thorie gnrale du contrat, dans ce quelle a alorsdinapproprie pour ce type de relations contractuelles, en intgrant dans la gammecontractuelle des valeurs, traditionnellement occultes ou sous-estimes, telles latransparence, la cohrence, la proportionnalit (en fait, labsence de disproportion,dexcs manifeste, de dsquilibre excessif), la dignit. Exceptionnellement, dans dessituations contractuelles de crise, cette exigence dthique contractuelle peut emporter

    une certaine forme daltruisme ou de fraternit, lesquels peuvent notamment conduire,en cas de changements de circonstances emportant un bouleversement profond del conomie gnrale du contrat, sa rengociation, sa rvision ou sa rsiliation

    judiciaires, et en cas de surendettement menaant le dbiteur surendett de prcaritsociale, la modification, voire la suppression des obligations contractuelles.

    On insistera, dune part, sur le fait que cette proposition dintensifier lexigencedthique contractuelle non seulement na pas pour ambition de rvolutionner la thoriegnrale du contrat, mais simplement de ladapter, de lenrichir, pour quelleapprhende la ralit contractuelle contemporaine, mais encore, na pas pour objet desubstituer, de faon gnrale, les ides daltruisme et de fraternit aux principes delibert et de prvisibilit contractuelles. Ce nest que de faon exceptionnelle, pour faireface une situation contractuelle de crise, que le lgislateur ou le juge sont fonds imposer un contractant de prendre en considration les intrts de son partenaire et delui imposer des sacrifices , sous forme de modification du contrat ou de renonciation une crance. En somme, lexigence dthique contractuelle que nous dfendons neconsiste pas exiger de chaque contractant quen tous temps et en tous lieux il aime sonpartenaire, comme un frre.

    Dautre part, on rappellera quil ne sagit pas ici de promouvoir le solidarismecontractuel, mais trs simplement, au fond, de plaider pour plus de justice et de moralecontractuelles dans le droit des contrats, sans pour autant dailleurs prcher pour unmoralisme dbrid qui se traduirait par une application tentaculaire et systmatique du

    devoir de bonne foi, ferment dun pouvoir gnral dingrence du juge dans le contrat.

    16. Paralllement, mais dans le seul domaine des contrats caractriss par lasituation de dpendance dun contractant par rapport lautre, la dure de leurrelations et lintrt commun qui irrigue le contrat qui les unit, savoir pour lessentielles contrats de distribution66, on a mis des propositions qui, elles relvent dusolidarisme, proprement parler et non, donc, dun prtendu solidarisme moral.Propositions qui sinscrivent dans ce contexte contractuel spcifique et qui reposentconceptuellement sur le devoir de coopration qui simpose au contractant dominant auprofit du contractant dpendant. Propositions qui se traduisent par toute une srie

    64

    Prcit.65 Prfrable, la rflexion, celle de civisme contractuel, sans doute trop connote.66 En tous cas, sous notre plume.

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    dobligations qui jalonnent tous les stades du processus contractuel, de la ngociationjusqu la rupture du contrat (information, motivation, rengociation, rparation, aide,etc...) et qui sont fdres autour de lide de solidarit

    Cette clarification sur le prtendu solidarisme moral tant opre, ainsi que sur

    la vritable ambition des solidaristes et sur le domaine dans lequel leurs ides ontvocation prosprer, on peut alors plus prcisment et plus sereinement se demander siil ne subsiste pas des braises de ce mouvement, le solidarisme contractuel, quon a peut-tre enterr un peu trop vite.

    3) Les braises

    17. Le solidarisme contractuel, son esprit, son domaine, sa substance, tantdsormais prcisment rappels, on peut rechercher ses manifestationsde lege lata(a), etrflchir sur ses applicationsde lege ferenda (b).

    a)

    De lege lata

    18. Rechercher les braises du solidarisme contractuel aprs la tempte anti-solidariste qui a souffl sur ce mouvement ne nous conduira pas opposer au bilancalamiteux dress par ses dtracteurs un contre-bilan flatteur. On la dj dit, en faisantdlibrment abstraction de la jurisprudence des juges du fond67, le bilan

    jurisprudentiel du solidarisme contractuel est dune maigreur insigne.Pour le solidarisme de filiation , entendons par l que les arrts dont il sagit

    peuvent tre fdrs sous la bannire du solidarisme, alors que par hypothse, il estcertain que, lorsquelle les a rendus, la Cour ne sest pas abreuve la fontainesolidariste, on ne peut gure voquer que la jurisprudence sur la rengociation

    judiciairement impose en cas de changement de circonstances provoquant unbouleversement de lconomie du contrat68.

    Quant au solidarisme d inspiration , en ce sens que lon peut lgitimementpenser que la Cour de cassation a succomb aux ides solidaristes, on ne peut gure queciter le devoir de cohrence impos au concdant ou au franchiseur qui rompt uncontrat, alors que son comportement avait lgitimement pu engendrer dans lesprit duconcessionnaire ou du franchis, une croyance lgitime dans le maintien du contrat69.Peut-tre, est-il aussi concevable de considrer que le solidarisme nest pas tranger lapetite avance que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rcemment opr

    67 Alors quil est avr que les juges du fond ne sont pas insensibles au solidarisme contractuel, comme en

    tmoignent, en matire de prix abusif, Paris, 24 oct. 2000, prc., en matire dimprvision, Nancy, 27 septembre

    2007 : D. 2008, 1120, note M. Boutonnet, RDC 2008, obs. D. Mazeaud, et en matire de rupture, Paris, 11fvrier et 2 mars 1999 :D.1999, , note J.-P. Chazal.68Cass. com., 3 nov. 1992: Defrnois,1993, 1377, obs. J-L. Aubert ; JCP1993.II.22164, obs. G. Virassamy ;

    RTDciv.1993, 124, obs. J. Mestre ; 24 nov. 1998 : Contrats, conc., consomm, 1999, comm. n56, obs. M .

    Malaurie-Vignal ; Defrnois, 1999, 371, obs. D. Mazeaud ; JCP1999.I.143, obs. Ch. Jamin ; RTDciv.1999, 98,

    obs. J. Mestre et 646, obs. P.-Y. Gautier.69

    En ce sens, v., Cass. com., 5avril 1994 : Contrats, conc., consomm., 1994, comm. n159, obs. L. Leveneur ;

    D.1995, somm.comm., 90, obs. D. Mazeaud ;RTDciv.1994, 603, obs. J. Mestre ; 20 janv. 1998 : Contrats, conc.,

    consomm., 1998, comm. n56, obs. L. Leveneur ; D.1998,413, note Ch. Jamin ; D.1999, somm.comm., 114,

    obs.D. Mazeaud ; JCP 1999.II.10085, obs. J.-P . Chazal ; RTDciv.1998, 675, obs. J. Mestre ; 9 avril2002 :RTDciv.2002, 811, obs. J. Mestre et B.Fages.

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    en matire dimprvision70 Mais, quoiquil en soit, le bilan jurisprudentiel estassurment et nettement ngatif.

    19. En revanche, et sauf nous tromper cet aspect du bilan est gnralementignor, le lgislateur a, dans certaines lois qui composent ce que les spcialistes du droit

    de la concurrence appellent, avec un brin de condescendance, le petit droit de laconcurrence, donn quelques gages de reconnaissance au solidarisme contractuel.

    Depuis prs dun quart de sicles, le lgislateur a, en effet, entrepris de mettre enplace une protection des professionnels qui voluent dans le monde de la distribution 71,notamment72 ceux qui ont conclu des contrats qui sinscrivent dans la dure, quiemportent une situation de dpendance dun des contractants vis--vis de lautre et quiconstituent le creuset dun intrt commun. Cette protection73 sinscrit dans unepolitique au long cours, mene sur fond dordre public concurrentiel, qui tend garantir les contractants professionnels, dpendants et domins, du monde de ladistribution, contre les risques inhrents leurs activits et contre les pratiquesrestrictives imputables leurs partenaires. Certes, le champ dapplication des

    dispositions sur lesquelles nous allons nous arrter nest pas limit aux contractantsprofessionnels qui voluent dans le secteur de la grande distribution, mais il est avrque dans lintention du lgislateur, ce sont bien ceux-ci qui taient les destinataires decette protection contre les abus de dpendance et les pratiques restrictives deconcurrence.

    20. Le lgislateur a, dabord, entrepris dassurer la protection des contractantsprofessionnels contre tous les risques qui peuvent surgir pour ces professionnels contrele risque dentreprendre, en imposant Toute personne qui met la disposition dune

    autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant delle un

    engagement dexclusivit ou de quasi-exclusivit pour lexercice de son activit74 uneobligation dinformation qui permette son futur cocontractant de sengager enconnaissance de cause. A lorigine, il sagissait essentiellement de protger les franchiss,puis le champ dapplication du texte a t tendu notamment tous les distributeurs quisont contractuellement soumis, via un engagement dexclusivit, leurs partenaires,concdants notamment.

    Les distributeurs dpendants et domins sont, ensuite, protgs contre les risquesde dsquilibre contractuels excessifs. Dune part, contre le dsquilibre excessif desprestations contractuelles, via larticle L. 442-6, I, 1 aux termes duquel, Engage la

    responsabilit de son auteur () le fait par tout producteur, commerant, industriel oupersonne immatricule au rpertoires des mtiers,le fait dobtenir ou de tenter dobtenir un

    avantage commercial ne correspondant aucun service commercial effectivementrendu ou manifestement disproportionn au regard de la valeur du service rendu .Autrement dit, Ce texte, dont lobjectif tait de lutter contre labus de dpendance et la

    disproportion des prestations rciproques75, assure la protection des professionnels

    70 Cass. com., 29 juin 2010 :D. 2011, note Th. Gnicon et D. Mazeaud.71

    Via notamment la loi du 31 dcembre 1989 relative au dveloppement des entreprises commerciales et

    artisanales et lamlioration de leur environnement conomique, juridique et social, la loi du 15 mai 2001 sur

    les nouvelles rglementations conomiques et la loi du 4 aot 2008 sur la modernisation de lconomie.72

    Mais pas exclusivement, car la lettre des textes dont il sagit conduit leur accorder un trs large champ

    dapplication ratione personae.73 Protection dont on trouve la quintessence dans larticle L. 442-6 du Code de commerce, lequel est insr dans

    le chapitre relatif aux pratiques restrictives de concurrence.74 Art. 1erde la loi du 31 dcembre 1989, prcite.75 C. Lucas de Leyssac, G. Parleani,Droit du march, PUF, 2002, sp. p. 936.

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    dpendants et domins contre labsence de cause, comme en droit commun, et,contrairement celui-ci, contre la lsion qualifie. Dautre part, ces professionnels sontaussi protgs contre le dsquilibre des stipulations contractuelles, grce larticleL.442-6, I, 2, en vertu duquel Engage la responsabilit de son auteur () le fait de

    soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial des obligations crant un

    dsquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties.Avec ce texte, issu dela loi du 4 aot 2008 sur la modernisation de lconomie, le lgislateur a donc mis enplace un systme autonome de protection des professionnels contre les clauses abusives,et il a, dans cette perspective, import lesprit et la lettre du droit de la protection desfaibles (le droit de la consommation) dans le droit de la concurrence.

    Enfin, le lgislateur protge les distributeurs, notamment, contre le risque derupture brutale qui constitue le risque conomique principal des entreprises

    dpendantes 76. La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles rgulations conomiquesnonce dans une de ses dispositions, devenue larticle L. 442-6, I, 5, du code decommerce, quengage la responsabilit de son auteur le fait de rompre brutalement,

    mme partiellement, une relation commerciale tablie, sans pravis crit tenant compte de

    la dure de la relation commerciale antrieure et respectant la dure minimale de pravisdtermine, en rfrence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels77.Ce contrle de la rupture des relations commerciales tablies a t mis en place pourragir contre les abus de puissance dachat imputables aux centrales dachat des grandsgroupes de distribution qui, grce larme du drfrencement, placent dans unesituation de dpendance leurs cocontractants et psent dun poids excessif sur leuravenir conomique. Lobjectif de ce texte ne consiste pas confrer au fournisseur ou audistributeur, domin et dpendant, un droit la prennit du contrat, mais simplementdviter les abus rsultant de labsence de prise en compte par lauteur de la rupture dela dure des relations ou, le cas chant, de leur nature spcifique qui implique une

    dpendance particulire78.

    21. Sans quil soit ici question de prtendre que le lgislateur ait succomb auxdlices du solidarisme contractuel, il nous semble nanmoins que cet ensemble lgislatifsinscrit parfaitement dans lesprit et le cadre des ides et des valeurs dfendues par lesauteurs qui professent que le solidarisme contractuel nest pas un poison mortel pournotre droit des contrats, mais quil constitue une doctrine susceptible dapprhender desrelations contractuelles dont la spcificit (dure, dpendance, intrt commun) les renddifficilement solubles dans le droit commun des contrats.

    Pas question donc ici de revendiquer un bilan que dautres nous contestent enbrandissant les dispositions lgislatives susvises, car il est plus que probable que le

    lgislateur ignore jusqu lexistence mme du solidarisme contractuel. Simplement, cesdiffrentes rgles lgales rvlent que lesprit solidariste souffle dj sur certains typesde relations contractuelles spcifiques, sans quil en rsulte une onde de choc fatale pournotre droit commun des contrats. Cest dans ce mme esprit quil convient de rflchiraux nouveaux champs contractuels qui pourraient, lavenir, tre investis par cettepense.

    76C. Lucas de Leyssac et G. Parlani,, op. cit., sp, p.944.77

    Sur ce texte, v., entrautres, J. Beauchard, Stabilisation des relations commerciales : la rupture des relations

    commerciales continues , Petites Affiches, 5 janv. 1998, 14 ; M.-E. Pancrazi, La moralisation des pratiques

    commerciales , Droit &Patrimoine, dc.2001, p. 65et S., sp. p.67 et s. ; M. Pdamon, Nouvelles rgles

    relatives la rupture des relations commerciales tablies , Bull. Actu. Lamy droit conomique,dc.2001, n146,p.2 et s.78Ibid., p.946.

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    b)De lege ferenda

    22. Pour, en quelque sorte, envisager lavenir du solidarisme contractuel endehors des relations contractuelles spcifiques dans lequel il est dj dploy via lordrepublic concurrentiel79, sans se perdre dans dimprobables prdictions, on prendra appui

    sur les diffrents projets de rforme du droit franais des contrats80

    qui constituent unterrain dexploration fiable.

    Objectivement, la lecture des trois textes ne laisse pas entrevoir un avenir radieuxpour le solidarisme contractuel, en dehors de sa sphre naturelle entrevue ci-dessus.Tout au plus, peut-on relever deci del quelques traces des propositions mises par lesauteurs solidaristes depuis une quinzaine dannes.

    23. En premier lieu, certains de ces projets font une certaine place lobligationde motivation, apprhende comme un instrument de vrification de la prise en compte

    de lintrt de lautre partie81, dont les auteurs solidaristes ont souvent prnlintgration dans la dtermination du rgime des contrats de longue dure, de

    dpendance et dintrt commun, que ce soit en qui concerne la dtection du prix abusifou les modalits de la rupture. Ainsi, Thierry Revet82, un des rares auteurs avoirpous les thses solidaristes ces dernires annes, avait, en matire didentification delabus dans la fixation unilatrale du prix, plaid pour un contrle judiciaire de lamotivation et pour lrection dune obligation de motivation, la charge du matre du prix. Mais, on sait quau rebours dun arrt rendu par la cour dappel de Paris83,pour laquelle ce pouvoir unilatral devait, au nom de la solidarit contractuelle, trecanalise par une obligation de motivation faute de dgnrer en abus, la Cour decassation a refus, au nom de la libert contractuelle et de la libert de la concurrence,dimposer une telle obligation de motivation84.

    Dans ce domaine spcifique, certains avant-projets de rforme semblent sensibles lopportunit driger lobligation de motivation, comme instrument de contrle dupouvoir de fixation unilatrale du prix contractuel. Dans l Avant-projet Catala , ilest ainsi prvu que si le dbiteur du prix unilatralement fix considre que ce prix nestpas conforme celui habituellement pratiqu sur le march, il peut en contester lemontant en demandant au crancier de justifier le prix quil a fix. Et si, le crancier nepeut pas donner de motifs lgitimes pour justifier le montant du prix quil a fix seul, ledbiteur pourra alors se librer de son obligation en consignant le prix habituellementpratiqu. Ainsi, le matre du prix est donc tenu dune obligation de motivation quicanalise lexercice de son pouvoir et tempre les risques de prix abusif. De mme, dans le Projet gouvernemental une obligation de motivation en cas de contestation du prix

    unilatralement fix est impose la charge du matre du prix.

    24. Cest, en second lieu, en matire dapprhension de la question delimprvision que les auteurs solidaristes peuvent trouver une autre trace de leurs idesdans ces trois projets de rforme, tant entendu quils ont toujours plaid, au nom de

    79 V. supra, n20.

    80 A savoir lAvant-projet Catala (Avant-projet de rforme du droit des obligations et de la prescription, La

    documentation franaise, 2006), lAvant-projet gouvernemental (Sur lequel, v., entre autres, RDC 2009/1) et

    lAvant-projet Terr (sur lequel, v.Pour une rforme du droit des contrats, Dalloz, 2009).81 Th. Revet, eod. loc., sp. p.579.82 Les apports aux relations de dpendance , in La dtermination du prix, nouveaux enjeux, Dalloz, 1997, p.

    37 et s., sp. n17.83 Paris, 24 oct. 2000, prc.84 Cass. civ. 1re, 30 juin 2004, prc.

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    lexigence de solidarit qui simpose en cas de crise contractuelle, pour la rvisionjudiciaire du contrat fond sur le devoir de bonne foi.

    On relvera, dune part, que, dans tous les projets, le devoir de rengocier en casde changement de circonstances provoquant un bouleversement des prvisionscontractuelles initiales, que la Cour de cassation avait dict dans des arrts rendus en

    1992 et 199885

    , a t consacr quasiment lidentique.Mieux encore, en tous cas laune du solidarisme contractuel, les avant-projets

    Gouvernemental et Terr admettent exceptionnellement soit la rsiliation, soitmme la rvision judiciaire pour imprvision. Lavance est de taille car, comme chacun

    le sait, depuis le dernier quart du dix-neuvime sicle le juge judiciaire ne peut pas

    rviser un contrat en dpit du profond bouleversement que son conomie interne a subien cours dexcution la suite dun changement imprvu des circonstances qui avaientprsid sa conclusion. Les raisons sur lesquelles repose cette jurisprudence sontconnues : dune part, la rvision judiciaire pour imprvision serait fatalement, en raisonde lingrence du juge dans le contrat, cause dinstabilit conomique et dinscuritcontractuelle ; dautre part, puisque les contractants sont des individus libres et

    responsables, capables de prvoyance ()Labsence de rvision judiciaire est prfrable,en ce quelle est une puissante incitation ladoption par les parties de clauses qui

    apportent une rponse sur mesure aux difficults nes de linstabilit conomique ou

    montaire 87. En somme, la libert contractuelle est, viades clauses dadaptation ou de

    rvision, le remde le plus lgitime et le mieux appropri pour grer le risquedimprvision.

    25. Connus, les motifs retenus pour rejeter la rvision judiciaire pour imprvisionne sont pourtant pas imparables. Dune part, les risques traditionnellement invoquspour carter lingrence du juge dans le contrat en cas de changement de circonstancesrelve, comme lexamen du droit compar en tmoigne, dune vritable inhibitionculturelle des juristes franais, qui trahit une dfiance congnitale lgard du pouvoir

    judiciaire en matire contractuelle. Dautre part, cest manifestement surestimer larationalit des contractants que de penser que, parce quils sont des individus libres etresponsables, ils sont ncessairement capables, au jour de la conclusion de leur contrat,danticiper et de grer le risque de changement de circonstances via des clausesappropries. Quant largument selon lequel le refus de la rvision judiciaire pourimprvision conduit stimuler la libert contractuelle, il est rversible. On peut, en effet,tout aussi bien soutenir que ladmission de la rvision judiciaire pour imprvisionemporterait une puissante invitation implicitement adresse aux parties, rputes treles meilleurs juges de leurs propres intrts, de prvoir une rvision conventionnelle,

    afin de rester en toutes circonstances les matres exclusifs du destin de leur contrat.Autant de raisons qui conduisent approuver l Avant-projet Terr quiadmet, comme lont toujours propos les solidaristes, quen cas dchec de larengociation conventionnelle du contrat devenu profondment dsquilibr la suitedun changement imprvisible de circonstances, que le juge peut adapter le contrat en

    considration des attentes lgitimes des parties () 88.

    85Cass. com., 3 novembre 1992 :RTDciv.1993, 124, obs. J. Mestre ; 24 novembre 1998 : Defrnois,1999, 371,obs. D. Mazeaud ; JCP 1999. II.12210, obs. Y. Picod; RTDciv.1999, 98, obs. J. Mestre et 646, obs. P.-Y.

    Gautier.86 Cass. civ. 6 mars 1876 : Les grands arrts de la jurisprudence civile,T. II, par H. Capitant, F. Terr, Y.

    Lequette, Dalloz, 2000, n163.87 Y. Lequette, eod. loc., sp. n26.88 Art. 92, al. 3.