démonologie Étrusque

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D. Anziani Démonologie étrusque In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 30, 1910. pp. 257-277. Citer ce document / Cite this document : Anziani D. Démonologie étrusque. In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 30, 1910. pp. 257-277. doi : 10.3406/mefr.1910.8383 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1910_num_30_1_8383

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Quelques petites choses utiles à savoir pour qui s'intéresse aux folklore des anciennes civilisations

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  • D. Anziani

    Dmonologie trusqueIn: Mlanges d'archologie et d'histoire T. 30, 1910. pp. 257-277.

    Citer ce document / Cite this document :

    Anziani D. Dmonologie trusque. In: Mlanges d'archologie et d'histoire T. 30, 1910. pp. 257-277.

    doi : 10.3406/mefr.1910.8383

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1910_num_30_1_8383

  • DEMONOLOGIE ETRUSQUE

    Les anciens nous ont parl du caractre superstitieux des Etrusques et des monstres que crait leur imagination tourmente. Mais il est fcheux que sur ces questions nous n'ayons conserv que de rares et vagues tmoignages. Faute de textes prcis, l'archologue reste embarrass devant les reprsentations artistiques les plus v

    ivantes. On dit que les monuments figurs parlent, mais c'est par nigmes. Si la comparaison de scnes analogues permet d'entrevoir des solutions, elle ne saurait conduire des interprtations sres, et les conclusions qu'on en tire, fruits de notre imagination, restent comme elle incertaines.

    Toutefois, comme nous n'avons pas trop de moyens de connatre l'Etrurie antique, il est permis de ne pas mpriser ces demi-connaissances, .le voudrais aujourd'hui, en examinant une srie de reliefs d'urnes cinraires, essayer de jeter un peu de lumire sur quelques-uns des symboles dans lesquels L'art trusque a exprim sa conception du monde infernal.

    Ces reliefs, au nombre de cinq, reprsentent tous essentiellement un monstre tte de carnassier, corps d'homme ou d'animal, sortant d'un puits pour attaquer divers personnages dont les uns semblent le fuir, les autres le combattre. Mais dans le dtail les divergences se font nombreuses.

    I. Urne d'albtre. X ^50 de la collection du Muse Guarnacci Volterra (fig. 1 ). Au centre, un puits rond, rebord assez lev. On

    Mlange/! ' Arch, et d'Hist. 1910. 17

  • 258 DBMONi LOUIE TJUS^UE

  • DEMONOLOGIE ETRUSQUE 259

    en voit sortir jusqu' mi-corps un monstre corps et pattes de cheval, mais ces pattes se terminent par des griffes de lion. La tte, chevaline, est cependant garnie d'une denture de loup l : les oreilles

    courtes et droites font aussi songer au loup. Le cou est enferm dans une grosse chane de fer dont les deux extrmits sont tenues par deux hommes accroupis. Ceux-ci s'efforcent visiblement de refouler le monstre, mais il a dj saisi celui de gauche, appuyant Tune de ses pattes sur sa tte et de l'autre abaissant son bouclier. Plus gauche un homme nu, le manteau rejet sur le dos (la tte manque), se couvrant d'un bouclier rond, brandit contre le monstre une arme qui doit tre une hache double tranchant. Tout gauche un homme debout avec un bouclier rond. A droite du puits, derrire l'homme accroupi qui tient la chane, un prtre barbu, le couteau du sacrifice dans la main gauche, tend le bras droit et se prpare faire une libation sur la tte du monstre avec une patere qu'il tient lgrement incline 2. Tout droite, un autre homme avec un bouclier rond, dans ime pose belliqueuse !.

    II. Autre m-ne d'albtre. X" :>51 de la mme collection (tig. 2). Scne analogue. Le monstre qui sort du puits jusqu' mi-corps est diffrent : le corps est couvert de longs poils ; les pattes comme les griffes sont d'un lion : la tte peut tre d'un griffon ou d'un ours '. Il a galement une chane autour du cou ; l'homme

    1 Ce dtail, peu visible sur la reproduction ci-contre, est encore trs .sensible sur l'original.

    5 C'est la patere protubrance centrale et huit rayons, objet essentiellement rituel chez les Etrusques: on la trouve, vue de face on de- dos, dans la main des trois quarts des statues accoudes que supportent les couvercles des urnes cinraires et des sarcophages.

    :i Reproduite dans Cori. Muh e. am itrusnum, t. , diss. ITT, pi. X la tte du monstre n'est pas trs exactement rendue.

    4 Le museau a tout fait disparu, et j'avoue qu'aprs avoir longuement examin l'original il m'est impossible de me prononcer : au reste on verra que pour ce monstre composite la question n'a qu'un intrt secondaire.

  • 260 DMONOLOft-lE TRUSQUE

  • DMO NOLO* TRUSQUE 261

    assis droite qui. tient le bout de cette chane s'arc-boute pour rsister. Celui de -anche qui tenait l'autre bout, trop rapproch pour tirer sur la chane, se. relve sur les genoux pour s'loigner ; mais le monstre le saisit la ceinture. On ne voit pas de guerrier menaant le monstre; seul l'homme que je viens de dcrire parat tenir un marteau de la main droite. Tout gauche un gnie ail, debout, regarde. A droite on voit encore le prtre faisant sa libation, comme sur l'urne prcdente, et un personnage drap avec un bouclier rond, qui devait tenir un glaive. Ce relief est fort abm: sauf l'homme arc- bout droite, tous les personnages ont perdu leur tte l : le bras droit du prtre est bris, sa patere aussi: cependant le geste est encore visible.

    ill. Urne en terre cuite. X :W>7 du Muse trusco-romain de Pro use, (fig. '>). Du meine puits rond on voit sortir non plus un monstre, niais un homme , ligure jeune, aux bras vigoureux. Quatre puissantes grilles an mains et, une tte de carnassier

  • 262 DEMONOLOGIE TRUSQUE

    longs cheveux, coiff du pileus, versant sur l'apparition une libation avec sa patere protubrance centrale. Remarquons que la patere est tellement incline qu'on la voit de face; donc la libation doit tre acheve: ce dtail a son importance. A droite du

    Fig. 3.

    prtre un homme debout, la main leve en signe d'pouvant. Le groupe de gauche est form de deux personnages debout: une divinit fminine aile, le corps nu, et un homme symtrique du prcdent, mais qui s'apprte lancer une pierre sur le monstre qui est venu troubler l'assemble *.

    IV. Urne N 107 du Muse trusco-romain de Prouse (fig. 4). Au centre, une sorte de puits rond au rebord trs bas. Il en sort jusqu' la ceinture un homme nu tte de loup. Cette fois

    1 Reproduite dans (Jonestabile, Mon. di Perugia, pi. LXXV. et dans (t. Bellucci, Guida alle collezioni del Museo di Perugia, p. H4. Ce relief et le suivant ont t dessin ici d'aprs les excellentes reproductions de Conestabile.

  • IJMONOLOM-IJE KTJUfSQliE lit).'

    les mains sont celles (V mi homme: pai1 contre le cou est trs gros, couvert (le longs poils, le museau' fort allong, et le monstre semble serrer les dents dans un mouvement de fureur. De sa main droite

    il saisit par le poignet un guerrier qui s'avance contre lui, enjambant un personnage tomb la fare contre terre. Ce guerrier, barbu, chevelu, coiff d'un casque rond, porte un bouclier rond et une cuirasse ; de la main droite celle que le monstre essaie de lui paralyser il devait tenir un glaive qui. manque. A droite, un autre guerrier, coiff et cuirass de mme, mais imberbe, sans bouclier, s avance galement en enjambant un homme tomb la renverse qui porte la main son front en signe d'effroi. De la main g'auche il tire sur une corde qu'il a serre autour du cou du monstre (la main mme et la moiti attenante de la corde ont

  • 264 DEMONOLOGIE TRUSQUE

    disparu, mais le mouvement du bras ne laisse aucun doute) : de la main droite il brandit un glaive dont il s'apprte frapper. Entre les deux guerriers, une divinit fminine, debout, torse nu, ailes dployes, une torche sur l'paule droite fie bras gauche manque), contemple le combat *.

    V. Urne N 955 du Museo Civico de Chiusi. Sujet analogue ; malheureusement le ct gauche est fortement abm. Le centre est occup cette fois par un petit autel carr. Le monstre sort directement de terre, gauche de l'autel ; il est un peu plus enfonc que le prcdent, mais lui ressemble de tout point; le museau est peut-tre encore plus dmesurment allong. A gauche, un homme genoux saisit le monstre comme s'il voulait le retenir ou le refouler en terre ; derrire lui un autre tombe d'effroi les bras la renverse. Au-dessus de ce dernier, au second plan, un homme arm d'un bouclier rond, qui devait menacer le monstre d'un glaive. Au-dessus du monstre mme on voit une femme qu'un homme emporte dans ses bras pour la soustraire la morsure. A droite de l'autel on retrouve le prtre des reliefs I, II et III, le bras tendu, commenant avec sa patere protubrance centrale la libation sur la tte du monstre ; toutefois sa robe au lieu de tomber jusqu' terre comme dans les reprsentations prcdentes ne descend que

    1 Cette urne a t reproduite par Inghirami, Monumenti Etruschi, t. VT, pi. E5, n 4, d'aprs Vermiglioli, dont la description (ibid., t. I, part. LI, p. 501) comme le dessin manquent d'exactitude. Le guerrier de droite est reprsent avec sa main et la corde tout entire: on pourrait se demander si le dessinateur a vraiment vu l'urne avant la mutilation; mais je ne le crois pas. car le liras de la divinit manque, et il est visible qu'il touchait cette main et est tomb avec elle. 11 y a d'ailleurs d'autres fautes de copie ; les proportions sont mal gardes. Vermiglioli dans sa description fait du guerrier de gauche un vieillard, ce qui est au moins exagr, et du personnage tomb face contre terre une jeune fille : je ne puis dcouvrir ce qui justifie cette dernire assertion. - La reproduction de Dempster, Dp. itrurid regali, t. , pi. XXV. sans tre impeccable tait plus exacte. ( .'onestabile, Mon. di Perugia, pi. XL Vili.

  • DEMONOLOGIE TRUSQUE 265

    jusqu'aux genoux. Plus droite on voit encore un homme assis relevant le bras droit en signe d'effroi ; puis deux personnages debout, moins distincts, mais qui semblent n'tre l que pour remplir le cadre : aucun d'eux ne parat avoir d'armes et leur attitude convient plutt des spectateurs l.

    A part cette dernire, que personne ma connaissance n'a signale, toutes ces urnes ont dj t dcrites et tudies, et la sagacit des archologues s'est exerce les dchiffrer. Pour expliquer les motifs des urnes trusques, on commence naturellement par recourir la mythologie grecque. Il ne semble pas que les recherches poursuivies dans ce sens aient donn un rsultat positif.

    Un homme tte de loup fait penser aussitt au mythe area- dien de Lycaon. Quelle que soit l'origine de ce mythe 2, il se rsume ainsi l'poque classique: Lycaon, roi d'Arcadie, clbre par sa cruaut, est chang par Zeus en loup pour avoir fait manger de 1m, chair humaine an dieu qui tait venu l'prouver en lui demandant l'hospitalit. Mais la mythologie grecque reprsente cet homme-loup comme errant par les bois et les campagnes ' ; on ne le voit pas sortir de terre; il n'a rien d'une divinit chtho-

    1 .Je n'ai malheureusement pas pu me procurer une reproduction de cette urne. Au reste les figures ont souffert plus (pie ma description ne le laisserait croire : si l'on ne connaissait les urnes prcdentes, il serait difficile de comprendre celle-ci.

    2 La question est rsume et discute par (t. Fougres, art. Jjykaia dans le dictionnaire de D arein Werg et Saglio. Cf. l'art. Lykaon dans Koscher. '' Ovide, Met, l, 232-280:

    Terri tus ipse rugit nactusque silentia ruris exululat

    solitaeque cupidine caedis uertitur in pecudes et nune quoque sanguine gaudet.

  • 266 DEMONOLOGIE TRUSQUE

    nieiine. Il parait donc difficile de rattacher au mythe de Lycaon les scnes sculptes sur nos urnes. On l'a pourtant essay, et l'on a trouv L pour IV cette trange explication: Lycaon sort d'une ciste mystique comme on en voit dans les mystres d'Isis, de Cy- ble, de Crs ou de Bacchus. A ct de la ciste sont deux cadavres de ses victimes ; il est aid par Mars, cependant qu'un homme l'a enchan et se prpare le frapper mortellement. La divinit aile serait Minerve prsidant au combat un flau sur l'paule. Il suffit de regarder la figure 4 pour voir que le monstre et le personnage de gauche loin de s'entr'aider sont. en lutte; que ce personnage n'a pas le type de Mars ; que la divinit aile n'a rien d'une Minerve. L'ensemble reprsenterait le passage du soleil dans la" constellation du Scorpion, quand il se trouve au-dessous de celle du Loup. On ne s'attendait gure voir le soleil dans notre mythe, qui si obscur qu'il reste, se rvle au premier abord comme un mythe chthonien. Je ne parle mme pas de la situation bizarre o se trouverait Lycaon, sur le point d'tre tu par un homme malgr l'aide du dieu de la guerre. On peut s'tonner qu'In- ghirami hsite repousser cette interprtation et s'efforce de l'adapter I en supposant que le prtre aurait t introduit pour rappeler le sacrifice humain accompli sur le mont Lyce.

    Dans son Guide du muse de Prouse, le professeur G. Bellucci donne sans hsiter de III une explication qui pour vraisemblable qu'elle paraisse d'abord n'en est pas plus solide. Le sujet serait: Ulysse rendant la forme humaine ses compagnons transforms en pourceaux par Oirc. M. Bellucci voit dans le monstre qui sort du puits un des compagnons d'Ulysse en train de reprendre sa figure naturelle: je comprends qu'il interprte la tte d'animal comme une tte de pourceau, mais je me demande comment, en prsence de ces pattes de lion qui terminent les deux bras, il a pu crire qu'elles

    1 Intimami, Mon. .Mtr., t. [, part. II, p. OOH, cite l'opinion com mu ayant t ('mise da un moderno dotto archeologo .

  • DMONOLOU LE TRUSQUE 267

    ont la forme des griffes du pore >> (sic). Et puis comment expli- que-t-il les gestes hostiles de ceux qui entourent le puits t II est exact que la tte du prtre sur notre relief rappelle celle d'Ulysse sur d'autres urnes trusques dont le sens n'est pas douteux 1 ; mais qu'est-ce que cela prouve? Tout simplement que pour les hros, les prtres et autres grands personnages les artistes trusques adoptaient un type conventionnel qui comportait la tte avec barbe fournie et longs cheveux. Et en effet si la tte de notre relief rappelle celle d'Ulysse, on peut aussi bien dire qu'elle rappelle celle

  • 2 68 DEMONOLOGIE TRUSQUE

    Comme l'ont bien vu Brunn l et Conestabile '. le vice fondamental de ces interprtations, c'est de s'attacher d'abord un seul relief, au lieu de considrer la srie entire. De phis il semble bien qu'il faille chercher l'explication en-dehors de la mythologie grecque, puisque ni le mythe de Lycaon ni les rcits troyens ou odyssens ne peuvent tre invoqus. Aussi Buonarroti s'est-il avis que le sujet pouvait tre rapport une lgende purement trusque, et il a propos de voir dans l'homme-loup le monstre Volta qui au tmoignage de Pline tait autrefois sorti de terre pour ravager le territoire de Volsinii. Cette opinion, plus acceptable, soulve cependant une grave objection : sur nos reprsentations, il est visible qu'on veut conjurer le monstre au moyen d'une libation; or Pline dit formellement qu'il fut conjur par la foudre qu'voqua le roi Porsenna : Exstat annalium memoria sacris quibusdam et precatio- nibus uel cogi fulmina uel impetrari. uetus fama Etruriae est impetratimi Volsinios urbem depopulatis agris [far: Volsinii s et urbe et agris depopulatisj siibeunte monstro quod uocauere Oltam 4 euo- catuni a Porsina suo rege, et ante eum a Numa saepius hoc facti- tatum in primo annalium suorum tradidit L. Piso grauis auctor. quod imitatum parum rite Tullum Hostilium ictum fulmine . On pourrait il est vrai dire que l'artiste embarrass pour reprsenter la foudre a substitu un autre rite de conjuration, ou qu'il s'agit d'une lgende analogue celle de Pline, quoique distincte ; mais ce compte on peut appliquer les textes n'importe quelle reprsentation : autant avouer qu'on renonce expliquer.

    Une dernire tentative a t faite par Passeri ', au moyen d'une lgende oenotrienne rapporte par Pausanias ''. Kuthymos de Locres,

    1 Bull deU'Ist, 1859, p, 184. - Mon. di Perugia, t. IV, p. 218. :i Add. ad, Mon. FJtr. operi Dempster it mo, il, $ XVIII. p. 24. 4 Leon adopte, par Maylioif (Teubner 1906); les m ss. ont oltaw,

    uo tiara, team. 5 Paralipom. ad JJempste.r., t. [II, p. ^e

  • DEMONOLOGIE TRUSQUE 269

    pugiliste clbre, quatre fois vainqueur aux jeux Olympiques, passant Tmse, apprit que les habitants taient obligs d'offrir chaque anne la plus belle tille du pay en sacrifice un monstre ((ili dsolait le territoire. Ce monstre n'tait autre que le iato v d'un compagnon d'Ulysse. Ulysse au cours de ses voyages s'tait arrt Tmse, et un de ses compagnons pris de vin fit violence une vierge ; il fut lapid par les habitants, et Ulysse repartit sans plus s'en soucier. Mais le aiv.ojv du mort sans spulture commena tourmenter si bien les habitants de Tmse qu'ils voulurent abandonner l'Italie. Un oracle de la Pythie les en empcha, et leur conseilla d'apaiser chaque anne le monstre par le sacrifice d'une de leurs plus belles vierges. Or Euthymos arrivait Tmse le jour mme o ce sacrifice devait avoir lieu : il demanda entrer dans le temple: vit la jeune fille, l'aima, et ayant obtenu d'elle une promesse de mariage, il attendit le monstre de pied ferme, le vainquit, le chassa du pays si bien qu'il disparut eu plongeant dans la mer. Les noces d'Euthymos furent ensuite clbres magnifiquement1, --fie serait le combat d'Luthymos contre le monstre que les artistes trusques auraient reprsent sur leurs urnes. Il est noter que Passeri, lorsqu'il proposait cette interprtation, et (lori, lorsqu'il, s'y ralliait ~, ne connaissaient pas V : c'est pourtant cette dernire que l'explication s'adapterait le mieux.

    1 La lgende, est, aussi raconte par Suidas, ad. . I/~'j;./.g:, qui n'a, vraisemblablement l'ait que, compiler Pausanias. et par Elien. Var. Ilixl.. Vili, .1^. qui endorme une version diffrente-, selon lui Euthymos aurait, attaqu le hros de, Tmse parce que celui-ci pillait le territoire de Lucres: il aurait, escalad une montagne inaccessible et ayant vaincu le hros dans son temple mme l'aurait forc restitution. Cette lgende- doit tre l'origine de la fable de Pausali ia,s. puisque celui-ci dsigne encore, son .-/ par le mot ,.. Elle pourrait au reste avoir un fondement historique, et se rattacher une, guerre entre Locres et Tmse allie de C roto ne (Cf. E. Pais, Ricerche stanche, (jeoyrafiche sull'Italia //dica, p. 43 sqq.). Je ne considre ici que la version de Pausanias parce que seule elle peut servir l'interprtation de nos urnes.

    2 Museum .Etrnscum, vol. ITT, p. 1H0-162.

  • 270 DMONOLOCHE TRUSQUE

    puisque c'est la seule o l'on voie une jeune fille qu'un homme emporte dans ses bras pour la mettre l'abri. A vrai dire, l'accord n'est pas parfait mme pour celle-l entre la reprsentation figure et le texte de Pausarli as: pour les autres il est encore plus difficile: toutes quatre nous montrent non pas un homme, mais un groupe d'hommes combattant le monstre; et de jeunes filles exposes il n'y a pas trace. Pausanias ajoute qu'il a vu de ses yeux Tmse une peinture, copie d'une autre plus ancienne, reprsentant la scne du combat: on y voyait /j.o; ~ 1 ; quant au monstre il tait ~/~>y.v '.voi v~y.i

  • DEMONOLOGIE TRUSQUE 271

    Oonestabile rappelle l'opinion de G-alien suivant laquelle les ly- canthropes taient fies fous qui sortaient la nuit pour violer les spulcres. Mais ceci est une ide de savant : dans la croyance ancienne les lycantliropes taient des hommes qui pour avoir mang de la chair humaine taient changs en loups pour neuf ans s'ils s'en abstenaient pendant ce temps, pour toji jours s'ils y gotaient de nouveau '. Le mythe de la lycanthropie ne rendrait pas compte des diverses reprsentations de nos urnes; il n'expliquerait surtout pas pourquoi nos monstres sortent tous de terre ou d'un puits, ce qui est le point essentiel.

    Puisqu'on ne peut trouver aucun texte qui donne de notre srie une explication satisfaisante, il reste en chercher les lments dans les monuments eux-mmes, par la comparaison des dtails.

    Le monstre sortant du puits est-il partout le mme? Non. Si, comme il a dj t dit, la tte de loup domine, les artistes de , et III semblent avoir hsit entre le loup et le cheval, l'ours ou le porc. Mais il y a plus. Au lieu que, sur les trois premires urnes le monstre a des -riffe de lion, qu'il -arde, encore sur III quand il a dj repris figure humaine, sur les deux dernires, ou la tte de loup est plus nette et plus allonge, il a les bras et les mains d'un homme. Donc, il existait dans imagination, trusque deux types: le monstre corps de cheval, avec griffes et tte, de carnassier ", et l'homme, tte de loup.

    Les diffrences d'attitude ou d'armement entre les guerriers des cinq urnes n'ont pas grande porte. Mais regardez le prtre. Il se voit, faisant sa libation sur L, II, ITI et V, c'est--dire, part cette

    1 Pausali., VITI, ii, : Plin., VITI, 22 (84). 2 J'emploie ce terme de curnassier. faute de mieux, pour dsigner

    ce type animal assez variable, o domine cependant l'ide, du loup, (pii s'exprime toujours au moins par la denture acre.

  • 272 DEMONOLOGIE TRUSQUE

    dernire, sur les urnes o est reprsent le premier type du monstre, le plus composite. Et quel est son rle ? Il consiste faire revenir le monstre la forme humaine pour permettre aux hommes de le vaincre. A cet gard le rapprochement de I et de III est convaincant. Sur le prtre incline peine sa patere : la libation n'est pas faite, le monstre est encore tel qu'il est sorti de terre. .Sur fil, comme il a dj t not, la patere est renverse, la libation est faite : le monstre a repris figure humaine, ne gardant encore que ses griffes et la tte de carnassier qui lui cache les cheveux.

    Je crois donc qu'on peut distinguer deux motifs : 1 le monstre composite sortant du puits, exorcis par le

    prtre, que les hommes attaquent ensuite ; 2 le combat entre l'homme tte de loup et deux guer

    riers. Le premier motif est particulirement net sur I, le second

    sur IV. Quant V, c'est une contamination : la figure du prtre a t introduite dans le second motif par un artiste qui ne comprenait plus nettement le sens des figures qu'il taillait. Il ne faut pas oublier en effet que ces urnes peuvent tout au plus remonter au IIIe sicle: elles sont des derniers temps de l'indpendance trusque, si mme on ne doit pas les rapporter la premire poque de la domination romaine. De plus ce ne sont pas des uvres d'art : toutes ces urnes sont des produits industriels. Les artisans qui les fabric] liaient, aprs sept sicles de contact avec les peuples italiques, aprs deux sicles d'influence hellnique, taient bien excusables de ne plus se rappeler les sombres lgendes qui hantaient les esprits de leurs rudes aeux.

    Plus ignorants qu'eux de ces croyances primitives, nous ne saurions aujourd'hui les reconstituer avec, des monuments muets qui ne nous en prsentent qu'un trouble reflet. Cependant on peut chercher l'explication d'un des traits principaux de cet ensemble de

  • DEMONOLOGIE TRUSQUE 273

    relief's : la tte de loup que portent gnralement ces apparitions .souterraines.

    existe deux reprsentations du dieu des enfers, Hads, coiff d'une tte de loup. Toutes deux sont des peintures murales trusques, l'une d'une tombe d'Orvieto \ l'autre de la Tomba dell'Orco

    C'orneto. l'antique Tarquiuii ~ ifiir. ">). Pour expliquer cette, coiffure insolite, M. Iielbi ;i, propos, d'y voir "; ,), c-e syrn- bole des tnbres (jiii entourent le roi des enfers. La, lgende veut qu'avant la Tita/nomaeliie les Cyclopes ;i,ient donn , Zens la foudre et le tonnerre, Poseidon le trident, Hades l;i, , sorte de coiffure qui. rpand autour d'elle, l'obscurit '":

  • -271 DMON' >L( Xi IK

    >> , signifie primitivement pe,;.ui de chien. Cette tymologie rest- tant claire pour quiconque comprenait le grec, les peintres ont urne, la tte de luto de la peau de chien, afin que le speeta- >> teur en voyant cette coiffure se rappelt '; /. et l'in- >> terprtt en ce sens. Naturellement cette conception fonde sur >> la connaissance du grec ne fut pas invente par les Etrusques, mais leur fut dicte par l'art grec, auquel ce mode d'expression tymologique n'est nullement tranger... Je crois d'ailleurs que cette expression de '' A^o: /. tait propre une priode re- lativement antique de l'art grec, et que. comme beaucoup de conceptions archaques abandonnes dans le dveloppement ult- rieur de l'art grec, elle fut conserve par les Etrusques l. Malgr la grande autorit de M. lielbig en matire d'archologie trusque, je. ne puis ni'empcher de remarquer que toute sa thorie repose sur une tymologie arbitraire. L'exemple de Nmsis qu'il cite, pour prouver que l'art grec connaissait ce mode d'expression tymologique n'est rien moins que convaincant 2. Mme en admettant ce principe, il n'en reste pas moins que toutes les reprsentations archaques- d'Hads. dont plusieurs sont certainement antrieures, et de beaucoup, aux peintures tombales d'Orvieto et de Oorneto, sont de simples modifications du type de Zeus ;!. M. Helbig lui-mme cite un tmoignage d'Achille Tatius l constatant que

    1 W. Helbig, Ann. ell'lat,., lt

  • DEMOXOUH-HE ETKlS'il IE 2:>

    -' ,) tait symbolise par le ~i~koc : ce n'tait doue pas pas une tte (le chien. Si ,) tait ncessairement un driv de ., cette thorie serait souteiiable; mais il n\m est rien1, et je, ne, vois pas comment on justifierait le passage du sens de peau de chien celui de nue obscure, le chien n'tant pas dans laOrce antique le symbole de L'obscurit, du monde infernal. Loin que rtymoloiiie puisse ici suppler l'absence de monuments figurs, ce sont les monuments Heures qui seuls pourraient tablir l'ty- mologie. Enfin il faudrait expliquer pourquoi cette tte de chien est devenue tte de loup: pour des peuples pasteurs ou agriculteurs, chien et loup ne sont pas un mme animal.

    ( Ounaissant bien l'art grec et manquant des con.naissf.inc.es les plus lmentaires sur la civilisation trusque, .les archologues modernes sont naturellement ports expliquer tous les monuments trusques par des modles grecs, ('('pendant, quelle qu'ait t lin- H neri ce de l'art grec en Etrurie, a partir du V sicle, il faut bien admettre que les Etrusques n'ont pas renonc tout fait a reprsenter leurs mythes nationaux. Or, en rapprochant des deux peintures tombales d'Orvieto et de. ( Or ne to les cinq reliefs prcdemment dcrits, je crois qu'on peut saisir une croyance primitive de la, mythologie trusi|iie. : le loup considr comme le symbole du monde souterrain. I animal proprement infernal, ("est coiff l'une tte de. loup que. les Etrusques se reprsentaient le dieu des enfers; c'est avec une tte de loup que leur apparaissaient les monstres qu'ils faisaient sortii' des puits ou des tombeaux ~.

    1 .)c, penserais plutt", la racine de /., enHer , qui fournirait, un point de dpart plus satisfaisant pour le sens de nue obscure. Si cette racine donne une voyelle, longue dans /.5., /., elle donne aussi une brve dans .; : /.-j-r-r, serait l'adjectif forni'; sur un noni primaire suffixe -/-.

    - Je, croirais volontiers que. les margelles de nos urnes figurent des tomlies puits, mais je ne puis l'affirmer : de plus sur V le monstre sort directement de terre ct d'un autel carr. Au reste tombeau ou puits, la question est secondaire.

  • 276 D MO NOLOi- I E TJIU.SQU E

    On pint il est vrai se demander pourquoi en ce cas I, II et .1 prsentent des ttes o le type du loup est assez malais reconnatre. Il ne faut pas oublier que nos urnes, uvres de basse poque, sont dues des artisans qui ne pouvaient plus avoir qu'un souvenir confus des lgendes primitives ; ils se sont abandonns leur imagination. Et s'ils ont modifi le type traditionnel dans les urnes du premier motif, celles o le prtre verse sa libation sur le monstre pour le transformer, c'est vraisemblablement parce que ce monstre composite corps de cheval, pattes de lion appelait innovation et la fantaisie plus que le type net de l'homme tte de loup. Une de ces innovations s'explique mieux que les autres: c'est l'introduction de la tte de porc. Les Etrusques reprsentaient volontiers avec une tte de porc les monstres marins l , peut- tre cause des sangliers qui pullulaient dj dans la Maremme toscane 2.

    Quant aux urnes du second type: combat de deux guerriers contre l'homme tte de loup, il semble qu'elles doivent reprsenter des hros au-dessus de l'humanit moyenne, puisqu'ils sont capables de vaincre un gnie de l'enfer. Or nous connaissons un couple de hros semblables : Ailles et Cels Vibenna, que l'on voit associs sur d'autres reprsentations '''. Avec toutes les rserves ncessaires, et bien que mon interprtation ne repose que sur une comparaison assez subjective, je proposerai d'identifier les deux guerriers de IV avec ces hros.

    1 Cf. les reprsentations (l'Andromde au monstre dans Krte, - Uem..., t. , pi. XXXIX.

    2 Le Tuscus aper tait renomm dans l'antiquit. Fun., .Kpist., 1, fi: luven., I, 22; Mart., VII. 27 ; Stat. Silu., IV, fi, 10.

    ;i C'est un miroir trusque (Klgmann-Krte, Eir, ipie.gd, t. V, . 1.27) c ni pai: ses inscription a permis de reconnatre ce couple hroque sur trois reliefs d'urnes, dont deux ont t publis par Krte, Jiiliem . . ., t. Ili, pi. ('XIX: le second de, ceux-ci reprsente comme notre relief un guerrier barbu et l'autre imberbe.

  • DEMONOLOGIE KTRlISQiTE '27 (

    On voit qu'il no; peut s'unir, pour ces reliefs ;i sujets purement trusques, d'une vritable explication comme pour les scnes empruntes la mythologie grecque. On n'y pourra prtendre que le jour o nous aurons sur cette civilisation mystrieuse des clarts qu'on n'entrevoit mme pas encore. Nanmoins derrire le motif particulier qui reste impntrable, on peut deviner quelques traits des croyances et de imagination trusques. Ainsi le loup nous apparat maintenant comme le symbole du monde infernal, et ce dtail nous fait toucher tout de suite une des diffrences profondes qui sparaient la religion trusque de celle des peuples de langue italique.

    Beaucoup de reliefs d'urnes, jusqu'ici n^li^s, ou sommairement interprts, ou .'Abusivement rattachs des mythes