déjà la neige !

22
DÉJÀ LA NEIGE ! Le visage des saisons Droits réservés : Yves Vianney Copyright : novembre 2013

Upload: yves-vianney

Post on 30-Jun-2015

241 views

Category:

Documents


4 download

DESCRIPTION

Voici un extrait de "La Retraite sentimentale" de COLETTE. Colette est à la campagne, entourée d'animaux familiers, le bull Toby, un chien de cinq ans et la chatte Péronnelle, autoritaire et turbulente comme un chien. Et ce sont non seulement ses propres impressions en cette première journée de neige, qu'elle va nous confier, mais aussi celles de ses compagnons, qu'elle interprète avec une sympathie pleine de compréhension.

TRANSCRIPT

DÉJÀ LA NEIGE ! Le visage des saisons

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

DÉJÀ LA NEIGE !COLETTE est à la campagne, entourée d’animaux familiers, le bull Toby, un chien de cinq ans et la chatte Péronnelle, autoritaire et turbulente comme un chien. Et ce sont non seulement ses propres impressions en cette première journée de neige, qu’elle va nous confier, mais aussi celles de ses compagnons, qu’elle interprète avec une sympathie pleine de compréhension.

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

DÉJÀ LA NEIGE !

D’où le dialogue muet de l’auteur avec Toby-Chien, qui nous révèle cette demi-intelligence de la bête, encore tout embrumée d’instinct, plus lente à comprendre que celle de l’homme et par suite moins bien armée contre la peur, parce que la peur vient souvent de l’ignorance.

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Un froissement doux, un chuchotement monotone, mais expressif, presque syllabé, contre les volets clos, m’éveille progressivement… Je reconnais le murmure soyeux de la neige. Déjà la neige ! Elle doit tomber en flocons lourds, d’un ciel calme que le vent ne bouleverse pas…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Verticale et lente, elle aveugle l’aube, elle suffoque les enfants qui vont à l’école et qui la reçoivent nez levé, bouche ouverte, comme je faisais autrefois… Il neige.

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

O beau jardin immaculé ! Le bleu des sapins seul le tache, et la rouille d’un fagot de chrysanthèmes, et le jabot mauve d’un ramier qui a faim…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Jaune, grise, fauve, rayée, tachetée, les yeux en lanternes, Péronnelle, enivrée, se métamorphose en panthère, pour s’engraisser de pierrots imprudents, mais sa couleur la dénonce, encore qu’aplatie sur la neige, les oreilles nivelées, les sourcils joints et la queue vibrante…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Elle n’a jamais dû regretter autant de n’être point caméléon : « Oh ! Que je voudrais être féroces… Toby-Chien, noir et ciré, suit mes talons en éternuant, et on jurerait qu’il s’applique à imprimer, entre les traces longues de mes semelles, le dessin naïf de quatre petites fleurs creuses. Tu t’accroches à moi comme une ombre trapue, petit chien divinateur, toi qui sais que je ne te quitterai pas…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

L’air suffoque, un air lourd de neige suspendue, sans un souffle de vent. J’appelle Toby-Chien, et ma voix sonne court, comme dans une chambre étouffée de tentures. Tout est si changé que je marche avec la certitude délicieuse de m’égarer. L’odeur de la neige, ce parfum délicat d’eau, d’éther et de poussière, engourdit toutes les autres odeurs. Le petit bull, inquiet de ne plus sentir sa route, m’interroge fréquemment.

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Je le rassure et nous descendons la route à peine souillée d’une double marque de roues, et d’œufs de crottin vert que cerne un vol de mésanges… « Plus loin, Toby, dans le bois ! »

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

- Si loin ! Répondent les yeux de Toby. Tu ne crains donc pas ce royaume étrange de la forêt sous la neige, où glisse un jour d’église triste ?... Et quel silence ! dieux ! on a remué… - Mais non, Toby, c’est une feuille jaune qui est tombée, lentement, toute droite, comme une larme.

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

- Une feuille… c’était une feuille au moment où tu l’as regardée, mais… avant que tu la regardes, qui peut dire ce que c’était ? Elle a frôlé comme un pas, et puis comme une respiration… Viens ! j’ai peur. Je ne vois plus le ciel sur nos têtes, car les sapins se joignent par leurs cimes…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Tout à l’heure, je contemplais un univers enseveli, mais sous ce manteau ondulé se modelaient des formes familières : la montagne ronde qui gonfle son dos en face de notre maison et quatre peupliers nus qui me servaient de points de repère. Viens ! On a crié tout près…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

- Mais Toby-Chien, c’est ce gros geai roux qui s’en va là-bas, avec sa frange d’azur à chaque aile…- Un geai ?... Oui. A présent c’est un geai, mais tout l’heure, quand il a crié, qu’était-ce ? Tu ne connais qu’un aspect des choses et des êtres, celui que tu vois. Moi j’en connais deux : celui que je vois et celui que je ne vois pas, le plus terrible…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Ainsi nous dialoguons, car Toby-Chien plein de crainte et de foi, puise dans mes yeux ce qu’il lui faut de courage pour avancer de quinze mètres, s’arrêter, me regarder et repartir encore…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Foi des bêtes en nous, foi accablante et imméritée ! Il y a des regards d’animaux devant lesquels on détourne les siens, on rougit, on veut se défendre : « Non ! non ! je n’ai pas mérité cette dévotion, ce don sans regret ni réserve, je n’ai pas assez fait, je me sens indigne… »

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Léger comme un elfe, un petit écureuil vole au-dessus de nous de branche en branche. Sa queue rousse s’éparpille en fumée, son ventre floconneux ondule au vent de son élan. Il est plus dodu, plus capitonné, plus riche qu’un angora et se penche pour me voir, les bras écartés, ses mains onglées cramponnées à la branche. Ses beaux yeux noirs palpitent d’une effronterie craintive et je souhaite très fort le saisir, palper son corps minuscule sous la toison fondante, si douce à imaginer, que j’en serre un peu les mâchoires…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Tout d’un coup, c’est presque nuit… A cause du sol blanc, on ne prend pas garde que la nuit peut venir, et on y pense quand elle est là. A mes pieds le petit bull tremble, pendant que, debout, les yeux fatigués, je cherche ma route au sortir du bois noir… Rien ne bouge sous le ciel fermé, et l’oiseau sombre qui me fuit semble se taire exprès…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

J’hésite, égarée, privée du reflet de feu qui devrait teinter l’ouest et me guider vers le gîte. Toute petite angoisse, factice, mais que je nourris, que j’exagère avec un plaisir de Robinson enfant…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

COLETTE : LA RETRAITE SENTIMENTALE

C’était un extrait de :

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Et n’oubliez pas de visiter les blogs et audioblogs de l’auteur…

Merci pour votre lecture attentive…

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013

Yves Vianney Cherchez sur internet en tapant :

Droits réservés : Yves VianneyCopyright : novembre 2013