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Débat sur la laïcité en Haïti

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Quelques éléments de réflexion pour un débat sur la laïcité enHaïtiLewis Ampidu Clorméus1 

Le présent exposé constitue une réflexion sur la question de la laïcité en Haïti. Il a pour objectif

d’offrir un cadre sociologique pour saisir et comprendre la nature des rapports entre l’Etat et les

religions dans le contexte présent. Dans un premier temps, nous aborderons les caractéristiques du

marché religieux en Haïti. Puis, nous nous interrogerons sur les différentes contributions à la

construction du débat avant d’examiner les dispositions de la Constitution du 29 mars 1987

établissant les rapports entre Etat et religions en Haïti.

1. Caractéristiques du marché du religieux en Haïti :

Cette expression est utilisée pour faire valoir l’idée de l’existence d’une offre variée de religions en

Haïti. Cette dernière est dominée par le catholicisme romain, les différents courants protestants et

le vodou. Les dernières statistiques officielles, bien que douteuses, précisent que les catholiques

représenteraient 54,68% de la population haïtienne2

et sont talonnés par le bloc hétéroclite des

protestants (29%).Quant au vodou, considéré comme la religion populaire, il ne drainerait

seulement que 2,11% de la population. Cette donnée, loin de pouvoir rassembler l’effectif réel des

adhérents au vodou, laisse supposer qu’elle évoque uniquement ceux pour lesquels celui-ci

constitue la religion première. Autre élément significatif : 10% de la population déclare n’avoir

aucune appartenance religieuse. Malheureusement, ces données ne nous permettent pas

d’apprécier le profil de cette dernière catégorie. S’agirait-il majoritairement de ces « chrétiens nonpratiquants » qui déclarent souvent ne s’attacher à aucune religion (believing without belonging )?

Quelle part statistique représenteraient alors les athées ?

Distribution de l’appartenance religieuse au sein de la population haïtienne en 2003

Appartenance religieuse Population %

Aucune religion 855.878 10,22

Catholiques 4.578.842 54,68

Adventistes 248.063 2,96

Témoins de Jéhovah 38.122 0,45

1 L’auteur est sociologue. Il s’intéresse particulièrement à la production du sens religieux, mais également aurapport entre Etat, religion et culture en Haïti. Il travaille actuellement au Ministère de la Culture et de laCommunication comme conseiller en patrimoine culturel immaté[email protected] Ministère de l’Economie et des Finances/ Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique, 4

èmeRecensement 

Général de la Population et de l’Habitat. Résultats définitifs. Ensemble du pays, Bureau du Recensement,mars 2005, pp. 86- 87.

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Baptistes 1.287.742 15,4

Méthodistes 123.944 1,4

Episcopaliens 56.319 0,67

Pentecôtistes 664.860 7,94

Vodouisants 176.976 2,11

Musulmans 2.013 0.02

Mormons 5.683 0,06

Autres religions 335.308 4

∑ 8.373.750 100

Source : Ministère de l’Economie et des Finances/ Institut Haïtien de Statistique et

d’Informatique (2005)

La religion catholique s’est introduite en Haïti dès l’arrivée de Christophe Colomb (6

décembre 1492) qui inaugurait la « rencontre des deux mondes » par l’esclavage des Amérindiens.

Elle était fondamentalement nécessaire au renforcement de la base idéologique de la pensée

coloniale et esclavagiste. Selon l’anthropologue français Claude Meillassoux, l’esclavage se

caractérise par quatre grands aspects : la décivilisation, la désexualisation, la désocialisation et la

dépersonnalisation3. Situation qui va occasionner une perte de repères spatio-temporels chez

l’esclave et la nécessité de bricoler une nouvelle culture4

. Cette réaction de l’esclave génère un

métissage culturel5

qui sera à l’origine d’une religion originale : le vodou.

Le vodou haïtien prend naissance dans cette même condition historique. Reprenant les

idées de Meillassoux, Laënnec Hurbon présente l’esclave comme un « non-né », c’est-à-dire

quelqu’un qui ne se situe dans aucune ou entre deux générations, qui est enfermé dans l’institution

3 Claude Meillassoux,   L’Anthropologie de l’esclavage, Quadrige/ PUF, Paris, 1986, pp. 101- 116. Ladescription de la brutalité de l’esclavage est bien restituée dans Jean Casimir (éd.),   La culture opprimée,Imprimerie Media-Texte, Port-au-Prince, 2006.4 Bastide, tout en plaidant pour la reconnaissance d’une multiplicité d’aires culturelles dans les Amériques,

parle de créolisation. C’est à peu près les mêmes idées que l’on retrouve chez Herskovits. Nous référons lelecteur, sur la question de la créolisation, à un intéressant article de l’historien Carlo Arviel Célius. RogerBastide,   Les Amériques Noires, Ed. L'Harmattan, Paris, 1996 [1967]. Melville J. Herskovits:   Les bases de

l’anthropologie culturelle, Payot, Paris, 1967. Carlo Arviel Célius: «La créolisation. Portée et limites d’unconcept » in Sélim Abou et Katia Haddad (dir.), Universalisation et différenciation des modèles culturels,Montréal/ Beyrouth, AUPELF.UREF/ Université Saint-Joseph, Universités Francophones. Actualitéscientifique, 1999, pp. 49- 95.5 Sur la notion de métissage, lire particulièrement : Laurier Turgeon et Anne-Hélène Kerbiriou, « Métissage,de glissements en transferts de sens » in Laurier Turgeon (dir.) :  Regards croisés sur le métissage, CELAT,Coll. Intercultures, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2002, pp. 1- 20.

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totale de la plantation et qui est acculé à reconstruire le temps6. On peut interpréter la naissance du

vodou, dans le contexte colonial, comme la structuration d’un entre-lieu de mémoire7

et de culture,

mais également comme un mécanisme de réinvention de soi qui intègre l’acceptabilité et la

conscience de la condition de la catégorie sociologique du « nègre ». Ce mécanisme se caractérise

essentiellement par la reconnaissance du caractère hybride de l’identité ethnique qui investit etdépasse la tension entre les visions du monde occidentales et africaines pour donner lieu à une ré-

interprétation du social sans laquelle la créolisation ne serait possible. C’est l’avènement même

d’un paradigme interprétatif religieux particulier puisque lieu de sensibilité et d’expression

langagière nécessaire à la compréhension, l’explication et la conceptualisation du réel.

L’esclave participe, via le vodou, à une dynamique dialectique qui lui donne accès non

seulement à l’expérience imposée et déshumanisante de sa servitude (cadre du réel), mais aussi

paradoxalement à celle de la maîtrise (accès aux catégories légitimatrices de l’esclavage). Et

comme entre-lieu de mémoire et de culture, elle sera combattue par les maîtres-colons qui

banalisent l’esclave, catégorie suspecte, en lui refusant toute humanité. Dès lors se déchaîne une

lutte contre la mixité et contre la migrance identitaire pour refuser tout « mouvement transgressif de

l’Un vers  l’Autre »8

susceptible d’exploser la membrane de l’individualité au nom d’une pensée

manichéenne fondée sur la déclaration dogmatique de Cyprien : « Hors de l’Eglise, point de salut ».

Et faudrait-il, pour comprendre ce refus du « mélange » chez les maîtres-colons, psychanalyser la

Bible pour y trouver les motifs inconscients d’un racisme anti-noir qui lui serait lié9

ainsi que la

tradition philosophique et culturelle gréco-latine10

?

Jusqu’au milieu des années 1960, à la veille de la difficile nationalisation du clergé catholique par le

président François Duvalier11

, un secteur important de l’Eglise considérait le vodou comme un

mélange satanique qu’il fallait combattre à tout prix. Au nom du Concordat de 1860 et, souvent

avec le soutien de l’Etat, l’Eglise catholique se lança dans ses fameuses campagnes anti-

superstitieuses qui, dans la réalité, ne concernait pas spécifiquement le vodou comme tiennent à le

faire croire les historiens. Ces campagnes, à caractère inquisitoire, concernait le vodou, les sectes

6 Laënnec Hurbon, « Religions et génération dans la Caraïbe » in Social Compass, no. 51, 2004b, pp. 177-190.7 Pour une meilleure connaissance de la notion d’entre-lieu de la culture, se référer à Laurier Turgeon,  Les

entre-lieux de la culture, Les Presses de l’Université Laval/ L’Harmattan, Canada, 1998.8 Pierre Ouellet, « Les identités migrantes. La passion de l’autre » in Laurier Turgeon (dir) :  Regards croisés

sur le métissage, CELAT, Coll. Intercultures, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2002, p. 42.9 Christian Delacampagne, Une histoire du racisme. Des origines à nos jours. Librairie Générale Française,Paris, 2000, pp. 132- 138.10 Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le Calvaire de Canaan, PUF, Paris, 1998.11 François Duvalier,  Mémoires d’un leader du Tiers-Monde. Mes négociations avec le Saint-Siège ou une

tranche d’histoire, Ed. Hachette, Paris, 1969. Ce médecin, doublé d’ethnologue, était très sympathique auvodou qu’il considérait comme la religion populaire haïtienne, mais aussi comme un réservoir de sens qu’ilpouvait manipuler pour conserver le pouvoir.

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protestantes12

et la franc-maçonnerie qui, d’ailleurs, constituaient les forces religieuses rivales

connues. La campagne de 1941-1942, dite des rejetés, est la plus importante des campagnes anti-

superstitieuses de l’Eglise catholique. Elle fut décriée par la bourgeoisie urbaine, mais également

combattue par des intellectuels haïtiens13

, dont l’ethnologue Jacques Roumain qui obtint du

Président Elie Lescot la permission d’ouvrir un Bureau National d’Ethnologie (BNE) afin depréserver le patrimoine matériel cultuel du vodou (décret du 31 octobre 1941)

14.

Depuis la chute de Jean-Claude Duvalier (1986), qui eut comme conséquence immédiate une

chasse aux sorcières visant particulièrement les tonton makout (alliés du régime)15

, on peut croire

que les risques d’affrontements religieux tendent à diminuer. Ce qui ne veut pas dire que les

protestants renoncent, par exemple, à leur conception de l’enfer et du paradis, ni à leurs discours

sur le diable ou à la diabolisation des autres religions16

. Ce qui a changé, c’est que l’Eglise

catholique se taille un nouveau leadership en s’orientant vers le dialogue religieux tandis qu’un

secteur influent du protestantisme s’approprie des valeurs œcuméniques. Quant à leur perception

du vodou, il faut noter que beaucoup de chrétiens, catholiques et protestants, tendent à le

considérer comme partie intégrante de leur culture sans pour autant le considérer comme

compatible au christianisme17

. C’est donc par le discours qu’il faut attirer les vodouisants vers ce

dernier et non par la violence qui ne conduirait qu’à une conversion forcée, donc inefficace. Cela

n’empêche par que l’héritage des campagnes anti-superstitieuses se manifeste à travers des

imaginaires religieux pentecôtistes qui modèlent, notamment à travers le mouvement de l’Armée

Céleste, des comportements et discours hostiles au vodou18

.

12 Le protestantisme s’est définitivement établi en Haïti sous le gouvernement d’Alexandre Sabès Pétion en1817. Jusqu’au milieu du vingtième siècle, il ne constituait pas un effectif trop significatif pour influencer lepouvoir politique.13 Gilles Danroc, « La polémique Foisset-Roumain lors de la campagne anti-superstitieuse de 1941- 1942 » inConjonction, no. 217- 218, 2007, pp. 29- 40.14 Elie Lescot Jr., « Une page d’histoire mise à l’endroit ou les dessous de la campagne anti-superstitieuse de1941- 1942 » in Revue de la Société haïtienne d’histoire et de géographie, avril- juin 2004, pp. 35- 38.15 Puisqu’un nombre considérable de prêtres du vodou étaient des alliés déclarés et des représentantspolitiques des Duvalier, ils connurent automatiquement le sort qu’aurait pu vivre n’importe quel autresympathisant à la chute du régime. On comprend difficilement pourquoi, dès lors, parler de persécutionparticulière contre le vodou en 1986. Néanmoins, il faut reconnaître que les circonstances ont probablement

provoqué, dans certains milieux, des passions religieuses au détriment du vodou. C’est à partir durenversement de Jean-Claude Duvalier qu’ont été créées des associations de défense, véritable cellules de« lobby vodou » du vodou comme Zantray, Bodè Nasyonal, etc.16 Lewis Ampidu Clorméus, Représenter et se représenter le diable en Haïti. Le cas d’un « agent du diable »

converti au protestantisme. Mémoire de master 2. Université d’Etat d’Haïti, 2008.17 Rapport du Département d’Etat sur la Liberté de Religion (2008).18 On trouvera dans le livre d’André Corten une intéressante problématisation sur la diabolisation dans lasociété haïtienne où la religion semble une mise en scène souvent tragique du politique. André Corten,  Diabolisation et mal politique.   Haïti : misère, religion et politique, Éditions du CIDIHCA /Karthala,Montréal/ Paris, 2001.

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2. L’affaire Pierre-Louis et la position des intellectuels

L’année 2008 marque un tournant dans le débat autour de la laïcité de l’Etat en Haïti. La

nomination de Michèle Duvivier Pierre-Louis à la Primature a provoqué un remous au sein d’une

grande partie de la population suite à une rumeur selon laquelle l’intéressée serait une lesbienne.

Les parlementaires, divisés sur la question et désireux de se faire renouveler le mandat, durentcontraindre le futur chef du gouvernement à déclarer publiquement son hétérosexualité.

Il ne s’agit pas ici de prendre partie pour la position de la majorité ou d’appuyer l’aile moderniste de

la société, mais plutôt de saisir les conditions et les termes dans lesquelles ont évolué les

discussions sur la laïcité de l’Etat en Haïti19

. Pour comprendre le débat, il faut souligner qu’Haïti est

le pays de l’hémisphère américain où le degré de tolérance pour les droits des homosexuels est le

plus bas20

. Néanmoins, il faut remarquer que les homosexuels jouissent d’une sympathie mesurée

particulièrement durant la période carnavalesque21

et des grands pèlerinages saisonniers du

vodou22. Dans une récente étude sur l’homosexualité masculine en Haïti, des chercheurs ont relaté

les propos d’un parlementaire criant son souhait de voir voter « une loi condamnant l’homosexualité

en Haïti. C’est la meilleure façon de protéger la société contre des pratiques aussi immorales23

».

Au jour de la ratification de l’actuel Premier Ministre par le corps sénatorial, l’une de ses plus

grandes opposantes, la sénatrice Edmonde Supplice Beauzile (Parti Fusion des Socio-Démocrates

Haïtiens) a été la seule à se prononcer ouvertement contre ce choix en agitant la question de

l’homosexualité prétendue de l’intéressée24

. Quelques jours auparavant, le député Laurore Edouard

fut l’un de ceux qui se sont opposés à sa ratification pour ne pas « trahir sa foi chrétienne25

». La

Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) estime que « l'Eglise ne peut en aucun cas cautionner

l'homosexualité qui est un acte tout à fait abominable et immoral condamné par les Saintes

19 Il ne s’agit nullement de « ternir » l’image de l’actuelle Première Ministre qui a fait preuve de courage et desagesse durant cette épreuve. Elle a même publié une note dans laquelle elle déclare s’empêcher d’embarquer« dans un débat axé sur la désinformation et les calomnies ». Michèle Duvivier Pierre-Louis, « Mise au pointde Michèle Duvivier Pierre-Louis » in Le Matin, 3 juillet 2008, p. 2.20 Seulement 9,4% des Haïtiens acceptent que des homosexuels puissent se présenter aux élections publiques.Ce qui fait qu’Haïti occupe le bas de l’échelle en matière de tolérance sociale en Amérique Latine derrière leHonduras (18,6%) et la Jamaïque (19,8%). Mitchell A. Selingson (coord.), Culture politique de la démocratie

en Haïti : 2006 , USAID/ Le Baromètre des Amériques/ LAPOP, Port-au-Prince, 2007, p. 57.21 Lewis A. Clorméus,  Le carnaval national de Jacmel (2009). Rapport au Ministre de la Culture et de la

Communication, Ministère de la Culture et de la Communication, Port-au-Prince, février 2009, p. 8.22 Anne Lescot et Laurence Magloire (réalisatrices),  Des hommes et des dieux, Documentaire audio-visuel,Haïti, 52 minutes, 2002.23 PANOS Caribbean/ Fils-Lien Ely Thélot, Jean-Claude Louis et Henry Bazile Bastien,  Homosexualité 

masculine et VIH/ Sida en Haïti. Dossier de presse de PANOS Caraïbes, no. 16, janvier 2008, p. 924 Jean Pharès Jérôme, « Michèle D. Pierre-Louis, Premier ministre » in  Le Nouvelliste, 31 juillet 2008, p. 3.L’article précise la position de la sénatrice :  « Ma position est claire, le président de la République étantgarant de la bonne marche des institutions n’avait nul droit de désigner un personnage sur qui pèse dessoupçons d’homosexualité comme Premier Ministre ».25 Jacques Desrosiers, « Michèle Duvivier Pierre-Louis : un premier pas vers la Primature ! » in Le Matin, 18-20 juillet 2008, p. 5.

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Ecritures. De même, l'Eglise ne peut et ne doit pas se faire complice des campagnes mensongères,

de dénigrement, de désinformation et de calomnie visant n'importe quel individu26

».Le débat sur la

laïcité de l’Etat s’est donc introduit, à un niveau national, à la faveur de discussions passionnées

sur la moralité des personnages publics et le choix sexuel des individus27

.

D’un côté, des intellectuels haïtiens et étrangers s’élèvent, au nom de la libération individuelle et du

« devoir d’éduquer le peuple », pour combattre « le retour à l’Inquisition28

». Ils se mobilisent à

travers les médias et multiplient des pétitions29

pour exprimer leur refus de l’homophobie et d’une

conception chrétienne de la moralité dont la domination sur le politique serait une atteinte aux droits

de minorités sexuelles. Même en s’attaquant à des « interlocuteurs » qui, à croire les statistiques

sur la durée moyenne de scolarisation en Haïti, ne sont pas en mesure de bien savourer le contenu

des journaux, on sent passer la colère et l’ironie :

Chantages. Tractations. Bigoterie. Hypocrisie. Lâcheté. Cynisme. Passes courtes. Passes 

longues. Dettes. Calculs. Investissements. Que tout cela est laid ! 

Face à l’appel au lynchage au nom de la bigoterie derrière laquelle se cachaient mal des 

intérêts mesquins, des voix s’étaient élevées au nom de la république, au nom des droits 

de la personne. La cause était juste. C’était celle de la modernité contre l’archaïsme, celle 

de l’inclusion contre l’exclusion, celle de la laïcité républicaine contre les vieux démons 

26 Note de presse de la Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) du 9 juillet 2008.27 On notera qu’à la Martinique et à la Guadeloupe, la question de la laïcité suscite souvent des agitationspolitiques. Le Parti Socialiste a été réprimandé par l’association An Nou Allé “pour la campagne homophobequ’il mène en Martinique”. Le 4 septembre 2006, un ensemble de personnalités et de d’associations oeuvrantpour le respect des libertés humaines, ont adressé une lettre ouverte dans laquelle ils expriment leurétonnement de constater que deux doctrines semblent se développer au sein du Parti socialiste sur la laïcité etles droits humains, l'une officielle dans l'Hexagone et l'autre "adaptée au climat tropical".28 Jean-Claude Bajeux : « Retour de l’Inquisition ? » in Le Matin, 11- 13 juillet 2008, p. 2. 29 Lire particulièrement la “Pétition autour de la nomination de Michèle Duvivier Pierre-Louis commepremier Ministre. Pour une refondation éthique” in Le Matin, 1er-2 juillet 2008, p. 2. Cette pétition condamne“la campagne calomnieuse” ciblant la personnalité de la Première Ministre désignée, mais également “lesmanœuvres systématiques visant la perpétuation de la domination masculine, le renforcement de la misogynieet l’exclusion”. Lire également : « L’initiative pour la dynamisation du secteur culturel haïtien approuve ladésignation de Michèle D. Pierre-Louis comme Premier ministre » in   Le Matin, 3 juillet 2008, p. 3. « La

politique entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité. (Note de la communauté universitaire àl’attention des parlementaires de la 48ème législature) » in  Le Matin, 18- 20 juillet 2008, p. 3. Cette dernièrepétition se fonde sur une analyse wébérienne de la société selon laquelle toute action peut s’orienter selon uneéthique de la conviction ou selon une éthique de la responsabilité. Dans le cadre du politique, lesparlementaires n’auraient pas le droit de faire intervenir leur éthique de conviction, acte qui serait un écart auxprescrits constitutionnels. « Dans un Etat démocratique, le sens éthique et moral à promouvoir ne peut êtrequ’une éthique de la responsabilité dont l’expression réside dans la transcendance des particularismes, latolérance, l’ouverture, le respect de la différence et de la liberté, le sens de l’égalité, de l’équité et de l’intérêtcollectif. […] L’Etat a des lois, et ses institutions ont un code de déontologie. Mais l’Etat n’a pas de moraleofficielle fondée sur une religion, des croyances ou une quelconque vérité révélée ».

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fondamentalistes, celle du politique contre la politique : d’une entrée possible au service de 

l’Etat à partir d’un autre lieu que l’appétit de pouvoir 30 

.

Certains argueront tout simplement que l’état du pays est trop macabre pour s’attarder sur une

question de « moralité sexuelle31

». D’autres, faisant référence à l’esprit républicain, prôneront uneséparation entre le temporel et le spirituel. L’écrivain Lyonel Trouillot écrit en ce sens : « Qu’est-ce

que donc cette pensée républicaine qui abandonne le terrain de la politique pour chercher dans la

vie privée, avec l’ardeur des charognards et le sans-gêne du voyeurisme, prétexte à détruire une

personne ? Car, c’est de cela qu’il semble s’agir, détruire par un verbe rageur le travail d’une vie. Et

c’est cela qui est immoral […] Nous payons d’avoir laissé grignoter la sphère publique et la pensée

laïque32

». Marc Damord, quant à lui, estime que « l’orientation sexuelle d’une personne n’a rien à

voir avec la morale. Le pseudo- débat que nos honorables parlementaires sont en train de

“s’infliger” est stérile et n’a aucune commune mesure comparative des problèmes urgents et

importants que ce pays conjugue depuis des années 33». Dans un éditorial du quotidien Le Matin ,

on peut lire :

Il s’agit d’une dérive fondamentaliste qui semble constituer la tendance dominante au sein 

de cultes réformés issus du christianisme. Cette dérive a atteint son comble avec la note de 

la Fédération des églises protestantes qui cite un texte biblique pris à la lettre et propose la 

création d’une commission bicamérale qui interrogerait madame Pierre-Louis à huis clos 

sur sa vie sexuelle.

Il ne s’agit pas ici de défendre madame Pierre-Louis ni des choix de vie et des pratiques 

sexuelles quels qu’ils soient. Il s’agit de mettre en avant des principes républicains en 

accord avec les conventions signées et ratifiées par l’Etat haïtien, en accord avec le 

principe de la liberté individuelle, en accord avec le principe de la laïcité de l’Etat, en accord 

avec les droits de la personne garantis par la Constitution, en accord avec les principes de 

diversité qui régissent les sociétés modernes.

La distinction entre la morale religieuse et l éthique républicaine est la seule option pouvant 

garantir l’harmonie sociale et la libre expression de toutes les religions comme de 

l’athéisme 34 

30 Lyonel Trouillot, « Pourquoi ? » in Le Matin, 31 juillet 2008, p. 2.31 Ogé Beauvoir, « Morale, politique et foi : où est la vérité ? » in Le Nouvelliste, 9 juillet 2008, pp. 20- 21.32 Lyonel Trouillot, « Des moralistes qui font honte » in Le Matin, 1er- 2 juillet 2008, p. 2.33 Marc Domond, « Politique et orientation sexuelle » in Le Matin, 3 juillet 2008, p. 2.34 Claude Moïse, Sabine Manigat, Roody Edmé et Lyonel Trouillot, « Non au fondamentalisme ! » in Le

 Matin, 11- 13 juillet 2008, p. 2.

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Plusieurs associations culturelles, syndicales, patronales35

et de sociétés savantes prirent ainsi

position pour la nomination de Michèle D. Pierre-Louis. Nous reproduisons ici un extrait du

communiqué du 3 juillet 2008 de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, signée par les

historiens Michel Hector et Georges Corvington, respectivement président et vice-président de soncomité :

Cette situation préoccupe hautement la Société haïtienne d’histoire et de géographie.

D’une manière générale et plus particulièrement dans cette période préélectorale (élections 

sénatoriales prochaines…), il faut absolument proscrire les dénonciations, discriminations 

et stigmatisations des citoyens sur la base de leurs croyances et pour des choix relevant de 

leur vie intime.

Madame Michèle D. Pierre-Louis, directrice d’un haut lieu d’activités culturelles fréquenté 

par distinctes couches de notre société, est la première à essuyer un jet d’invectives qui 

empoisonne notre espace public. Il faut arrêter cette dérive outrageante et œuvrer 

véritablement pour la construction d’un futur d’espérance 36

.

D’un autre côté, à travers les rues, on « problématise » sur la légitimation des discours des « élites

intellectuelles » et de l’orientation politique du pouvoir. Dans quelle mesure peut-on légitimer une

autorité politique qui ne peut représenter ses aspirations politiques et ses convictions

personnelles ? Sur le terrain, à travers des émissions radiophoniques de libre tribune et des

manifestations de rue37, on pouvait écouter des discours d’hostilité à l’égard des « intellectuels

haïtiens arrogants, sans moralité et acculturés », aux diplomates étrangers « ethnocentriques et

narcissiques » et des « politiciens monnayés ou en quête d’emploi ». Sociologiquement, cette

situation traduit une grave distance entre l’intellectuel et l’homme de rue, mais aussi entre les

Pouvoirs Publics et la population. Mais l’attitude de cette dernière détient une rationalité que ces

intellectuels tendent à ignorer :

Il n’est pas certain que nous soyons tous réellement prêts à faire face à l’énigme de la vie 

et à la perspective de la mort dans une sereine solitude ; il n’est pas certain que pour 

chacun de nous le désir de cohérence puisse s’articuler à l’univers sans souci de cohésion 

sociale. […] S’il est donc vrai que la préoccupation (ou l’insouciance) religieuse, chez nous,

35 « Le Centre pour la libre entreprise et la démocratie se positionne » in Le Nouvelliste, 7 juillet 2008, p. 4.36 Michel Hector et Georges Corvington, « Arrêtons la dérive ! » in Le Matin, 9 juillet 2008, p. 2.37 Il y eut même une manifestation de rue, convoquée par des organisations populaires pro-lavalas(sympathisants de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide), pour demander au Parlement de rejeter lanomination de la Première Ministre désignée.

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est devenue l’affaire de l’individu, la question n’en demeure pas moins : Qu’advient-il du 

politique lorsque ce qui fait lien, ce qui fait sens déserte l’espace public ? 38

 

Ce sont dans ces conditions que prend forme le débat sur les rapports entre le privé et le public, le

choix sexuel et la politique, la religion et l’Etat. Cette discussion permet parallèlement de mesurer lefossé affectif et l’hypocrisie existant entre l’élite intellectuelle haïtienne, acculée à repenser sa

vocation sociale39

, et le reste de la population qui, dans les faits, ne modèle pas son croire et ses

émotions à l’aune de dispositions constitutionnelles et de conventions internationales.

L’anthropologue Jean-Rosier Descardes a bien montré, dans le cas haïtien, les limites d’une

logique institutionnelle, consacrant les droits de l’Homme et légitimant les appareils idéologiques et

répressifs de l’Etat, par rapport à une logique fonctionnelle qui assure la cohésion sociale40

.

Cette logique fonctionnelle invite également à réévaluer le contenu des notions de « privé » et de

« public » dans une société à forte coloration religieuse, marquée par l’animisme, évoluant à la

marge des théories et idées politiques occidentales adressées aux contextes ultra-modernes41

. Il

faut d’abord qu’il y ait une validation sociale de la pertinence des catégories sociologiques de

« privé » et de « public » avant de leur définir, dans une démarche consensuelle et « juridicisable »,

des contenus distincts42

. Cette attitude nous permettrait non seulement de mieux saisir le sens de

la persistance des actes de colonisation du public par le privé, mais également de réfléchir sur la

question des rumeurs en politique. En communication politique, l’image d’un leader est très

importante pour la population qui est la source de légitimation de son pouvoir43

. Quand une

population est mise à l’écart des informations et contrainte de ne pas exprimer sa citoyenneté, elle

peut réagir en suscitant des rumeurs (elles-mêmes occasionnant des écarts et des manipulations).

La rumeur peut donc être considérée comme l’expression politique des sans-voix. Dans cette

même optique, les commérages ne sauraient être pris comme de simples intrusions dans la vie

privée d’autrui. Ils semblent également l’extension d’une intimité collective opposable à l’esprit

38 Thierry Hentsch,   Introduction aux fondements du politique, Presses de l’Université du Québec, Québec,1993, p. 70.39 Jean Price Mars,   La vocation de l’élite, Edmond Chenet, Port-au-Prince, 1919. Lire également lesconsidérations du sociologue Jean Casimir, Haïti et ses élites. L’interminable dialogue de sourds, Editions de

l’Université d’Etat d’Haïti, Port-au-Prince, 2009, pp. 89- 149.40 Jean Rosier Descardes,   Dynamique vodou et Etat de droit en Haïti : droits de l’homme et diversité 

culturelle en Haïti. Thèse de doctorat de l’Université Paris I – Panthéon- Sorbonne, Droit Privé, 2001.41 Jean-Paul Willaime, Europe et religions. Les enjeux du XXIe siècle, Ed. Fayard, Paris, 2004.42 On ne peut comprendre toute la complexité de la question de la différenciation entre le public et le privésans admettre qu’il s’agit de catégories sociologiques ayant pris naissance en Europe, dans un contexte dereconnaissance légale et de légitimation sociale de certains droits. Dans les faits, leur contenu varie suivant lesespaces déterminés. Ainsi, en France, alors que le religieux relève du domaine privé, dans les Etatsthéocratiques, il s’agit plutôt d’une affaire publique.43 Un Parlement, dans ce cas, ne fait qu’accorder l’investissement étatique à un individu.

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même d’un espace privé ou intime et renforcé dans la conjoncture de l’effritement du lien social et

politique44

.

Il faudrait, dans ce cas, un débat sérieux sur la vie privée des personnages publics. On s’entend

généralement que, dans une « société démocratique », c’est la souveraineté populaire qui est lasource de légitimité. Suivant la culture politique d’une société, la population peut exiger d’éclaircir

tel aspect de la vie d’une personnalité publique. Selon le socialiste Alexandre Medvedowsky :

Les hommes politiques sont des hommes publics, donc leur vie, nécessairement, le 

devient. Il y a des situations différentes suivant où l'on se trouve. Dans les pays anglo- 

saxons par exemple, on voit très bien que les hommes politiques n'ont pas le droit à une 

vie privée. Dès qu'on a l'impression qu'elle déroge aux règles de bonne conduite de la 

société, ils se font placarder, vouer aux gémonies et sont souvent obligés de 

démissionner, de quitter leurs fonctions : on se rend bien compte qu'il y a une imbrication 

complète entre leur vie privée et leur vie publique. En France, de façon générale, il y a 

toujours eu une coupure très forte entre la vie privée des hommes politiques et leur vie 

publique et l'on a toujours considéré qu'ils avaient droit à une vie privée. Je fais remarquer 

que ça déroge aux autres personnes publiques : les acteurs, les gens de la télévision, les 

chanteurs voient leur vie étalée en permanence dans la presse people et ils ont un peu de 

mal à faire respecter leur vie privée. […] Ce qu'on ne supporte pas dans les pays anglo- 

saxons, c'est le mensonge. Le fait de se draper effectivement dans un système de valeurs 

où l'on prône la fidélité, le couple, le mariage, et qu'on se rende compte que ces hommes 

politiques ne le vivent pas. Il ne faut pas mettre en avant un système de valeurs morales 

sur le plan de la famille et du couple quand on n'est pas capable de le pratiquer 45

.

En Haïti, le débat sur la vie privée des hommes politiques n’est qu’à l’état embryonnaire. S’il est

encore hasardeux de croire que la « protestantisation » progressive de la société haïtienne pourrait

faciliter une meilleure réception du point de vue anglo-saxon, nous sommes en train de découvrir le

sacre de l’intime au sein de la société civile. André Corten, en prenant le soin d’esquisser l’état de

promiscuité de nos bidonvilles, en profite pour remettre en question la viabilité de la société civile

haïtienne en ces termes descriptifs: « pas d’associations d’intérêts lorsque l’érosion atteint à

44 La notion d’intimité collective qualifie ici une situation de confusion, sinon une méconnaissance desespaces privé et public, qui rend acceptables les commérages et les rumeurs. Dans ce contexte, s’intéresser àla vie d’un individu, c’est également une manière de participer à la vie collective en sanctionnant descomportements et des attitudes à l’aune de certaines normes sociales.45 « 10 juillet 2006. Alexandre Medvedowsky : gare à l'effet boomerang ! » [En ligne] Url :http://olivierbonnet.canalblog.com/archives/dossier___politique_et_vie_privee/index.html . Consulté le 18

 

mai 2009.

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l’épuisement les volontés […], pas de “publicité” (pas d’opinion publique et d’usage public de

l’argumentation), pas de médiation (pas de porte-parole, tout au plus des prophètes)46

». Donc,

sans cette reconnaissance sociale de la distinction entre le « privé » et le « public », quel sens

accorder à la laïcité de l’Etat en Haïti ? Quel serait son contenu et son champ d’application ?

Faudra-t-il encore nier les spécificités historiques et sociologiques de la société haïtienne pour la juger à travers des lunettes habermassiennes, arendtiennes ou woltoniennes de l’espace public

47?

3. Vitalité du champ religieux en Haïti et propositions de modes de rapport entre religions,

politique et Etat

Pour comprendre le sens de la diversité des propositions de modes de rapport entre religions,

politique et Etat en Haïti, il importe d’effectuer un exercice de sociologie de la connaissance. Quel

lien existe-t-il entre l’appartenance ou le parcours religieux et la conception du théologico-politique

de ceux dont les réflexions sur le religieux font autorité en Haïti ? Notre analyse se limitera

simplement aux intellectuels haïtiens à qui on accorde une large audience dans les milieux

universitaires.

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de souligner que, dans le secteur protestant, les

réflexions sur l’attitude du croyant à l’égard du politique n’est pas encore l’objet d’une réflexion

systématique. Ce n’est d’ailleurs que tardivement qu’une fraction des communautés baptistes et

méthodistes a décidé d’inciter le secteur protestant à se politiser. On ne saurait non plus considérer

les positions politiques de la Fédération Protestante d’Haïti et des associations de pasteurs telles la

Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH), vu leur déficit de légitimité et de représentativité,

comme le point de vue officiel des protestants. L’intention de certains leaders protestants

d’impliquer l’ensemble de leur communauté dans le jeu politique est récent :

Ce n’est certes pas la première fois que des hommes de confession religieuse protestante 

ambitionnent d’occuper les avenues du pouvoir, mais à aucun moment il n’a été question 

de prise de position de l’Eglise protestante dans son ensemble. Par principe, les cultes 

réformés se sont toujours abstenus d’intervenir directement dans la politique haïtienne,

46 André Corten, “Société civile de la misère” in Chemins Critiques, vol. 4, no. 1, septembre 1998, p. 15.47 Nous avons déjà repéré deux travaux portant, en partie, sur l’évolution de la sphère publique en Haïti en seréférant fondamentalement aux travaux du philosophe et sociologue Jürgen Habermas. Hérold Toussaint,Communication et Etat de droit selon Jürgen Habermas. Patriotisme constitutionnel et reconnaissance de

l’autre en Haïti, Imp. Henri Deschamps, Port-au-Prince, 2004. Luné Roc Pierre Louis,  Agir 

communicationnel et démocratie délibérative. Le cas du Nouveau Contrat Social, Mémoire de licence,Université d’Etat d’Haïti, 2006.

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encore moins de manifester la velléité de soutenir un candidat à la présidence sur le critère 

de la confession de foi du candidat 48

.

En ce qui concerne le vodou, sous l’influence d’intellectuels engagés dans la défense des libertés

de conscience et d’association49

, des associations politisent le contenu de leur discours. Mais, ilreste à mesurer l’impact et la recevabilité de certaines orientations politiques promues par ces

associations. Par exemple, à notre connaissance, il n’existe aucune enquête sur la réception et les

conséquences de l’arrêté du 4 avril 2003 portant sur la reconnaissance officielle du vodou. Cet

arrêté « stratégique », décidé pour consolider les assises du pouvoir exécutif50

décrié par plusieurs

secteurs organisés de la société (l’Eglise catholique, la bourgeoisie, les secteurs traditionnels et

actifs de la gauche, les regroupements protestants, etc.), est considéré par certains comme une

atteinte à la concrétisation même de l’idée de laïcité de l’Etat51

. Pourtant, des intellectuels,

originellement catholiques, et qui prêtent aujourd’hui une voix modernisante au vodou, ont saisi

l’occasion pour générer de nouveaux rites52, calqués sur la vision et le modèle chrétiens, tirant leur

fondement et leur origine dans cet arrêté. En ce qui concerne les positions officielles du secteur

vodouisant par rapport au politique, nous ne disposons d’aucune littérature. Mais nous constatons

néanmoins une quête de visibilité politique de certaines associations vodouisantes qui entendent

influencer à tout prix les décisions de l’Etat et, au niveau discursif, l’incapacité à faire le deuil de

l’époque de sa marginalisation (discours victimaire).

C’est particulièrement le secteur catholique qui s’intéresse au rapport entre le temporel et le

spirituel. Ce secteur a généré toute une génération de militants hostiles à son hégémonie sociale et

à ses privilèges concordataires. Nous sélectionnons, dans le cadre de cette communication, deux

grandes personnalités catholiques ayant exprimé des points de vue différents sur la question :

Louis Gabriel Blot et Kawas François. A ces derniers, nous rattachons la position du chercheur

Laënnec Hurbon, ancien jésuite devenu directeur de recherche au Centre National de la Recherche

48 Bob Nérée, « Rév. Frits Fontus : Modération et Culture dans un Ministère de Service » in  Haïtiens

 Aujourd’hui, no. 11, septembre 1999, p. 20.49 Nous avons précisé que les plus grandes associations vodouisantes ont pris naissance suite à la chute duprésident Jean-Claude Duvalier (1971- 1986). Durant les revanches populaires contre les partisans de cedernier, plusieurs prêtres du vodou ont été lynchés dans un moment marqué par la confusion entre le politique

et le théologique. Une enquête du Bureau National d’Ethnologie (BNE), présentant de sérieux problèmesméthodologiques, a pu répertorier 62 cas d’assassinat de vodouisants à travers le pays. Notons que lesrésultats définitifs de l’enquête semblent n’avoir jamais été officiellement publiés.50 Selon des informations que nous avons reçues d’officiels d’Etat, cet arrêté a été élaboré en vue desympathiser les vodouisants à la cause du pouvoir en place.51 Selon Laënnec Hurbon, l’Etat ne peut s’immiscer dans les affaires de la religion au risque de perdre saneutralité. Alterpresse, « Aristide tente de ˝manipuler ˝ le vodou, selon le sociologue Laënnec Hurbon » [Enligne] Url : http://www.alterpresse.org/imprimer.php3?id_article=657. Consulté le 19 mai 2009.52 On peut penser particulièrement aux innovations de l’ancien curé, devenu Ougan Wesner Morency, quivisait jusqu’à transformer le vodou en religion du livre.

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Scientifique (CNRS), devenu célèbre pour ses nombreuses recherches sur le vodou haïtien. Si les

deux premières personnalités partagent l’idée d’une nécessaire redéfinition du rôle de l’Eglise

catholique au sein de l’espace socio-politique haïtien, Hurbon plaide plutôt pour une forme de

laïcité de l’Etat afin de contenir les voix ecclésiales dans le domaine du privé.

1. Louis Gabriel Blot : pour la concorde sans concordat : 

Louis Gabriel Blot s’est, depuis longtemps, intéressé au mode de montage approprié entre le

religieux et le politique en Haïti. Il a consacré une thèse de droit canonique sur le Concordat de

1860 et une thèse de sociologie sur les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat en Haïti qui

analyse la question concordataire.

La position de Blot peut se résumer en une simple phrase : « tant que le Concordat sera considéré

comme nécessaire, l’Eglise ne sera pas adulte53

». En d’autres termes, il faut bien garder la

concorde sans concordat54. C’est d’ailleurs à cette position qu’il donne une forme plus claire dans

sa polémique avec une éditorialiste du quotidien Le Matin . Réagissant à un éditorial qui clamait le

respect de la laïcité de l’Etat en Haïti55

, le prêtre catholique récuse l’idée de considérer celui-ci

comme laïc ou un « pays confessionnel », mais plutôt comme un Etat concordataire.

L’auteure a cru « comprendre qu’Haïti est une république dans laquelle la laïcité de l’Etat 

est une donnée explicite, confortée d’ailleurs par la reconnaissance démocratique de 

plusieurs cultes ». Je dirais que la laïcité n’a rien à voir avec la reconnaissance des autres 

cultes. Pour cela, j’ajouterais même qu’Haïti est loin d’être une république laïque. […] Les 

Etats laïcs expriment clairement dans leur charte-mère cette volonté d’être laïc et prennent 

les dispositions pour que cette expression soit conforme à la vérité. En plus d’être explicite,

les religions, cultes et dénominations ou autres à caractères religieux ont le statut 

d’association ou d’organisation à but lucratif. Ce n’est pas le cas d’Haïti 56

Dans la conclusion de son ouvrage L’Eglise et le système concordataire en Haïti , Blot précise que :

Même si quatre haïtiens sur cinq continuent de se définir comme sociologiquement 

catholiques, l’effondrement de l’impact de la religion catholique se fait sentir et cela peut 

53 Louis Gabriel Blot, L’Eglise et le système concordataire en Haïti. Etude du Concordat de 1860 signé entre

le Saint-Siège et la République d’ Haïti, Imp. Méthodiste, Port-au-Prince, 1991, p. 192.54 Louis Gabriel Blot : « Les relations Eglise-Etat en Haïti : un compromis à renégocier » in   Le Matin, 6septembre 2005, p. 2. Lire également : Louis Gabriel Blot,  L’Eglise catholique dans l’espace socio-politique

haïtien (1980- 2002), Thèse doctorale, Université de Montréal, 2004.55 Sabine Manigat : « Laïcité de l’Etat » in Le Matin, 28 juin 2005, p. 2.56 Louis Gabriel Blot: « Haiti, une laïcité utopique! Pour une mise au point à propos de la laïcité de l’Etat enréponse à un article de Sabine Manigat » in Le Matin, 6 juillet 2005, p. 2.

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être dû à ses modes de relations avec l’Etat qui la présente comme une institution 

cautionnant les actes du gouvernement. A vouloir se défaire de l’Etat de manière 

impromptue, elle joue un rôle improvisé dans la politique, sans structure et sans 

préparation adéquate. Cette improvisation et ce manque de préparation sont peut-être la 

cause de ses échecs en développement, en éducation de masse 57

Cette position va à l’encontre des réflexions du P. Micial Nérestant58

qui estime plutôt qu’il est

nécessaire de maintenir la formule concordataire tout en engageant un autre rapport à l’Etat:

Dans cette perspective, l’Eglise peut se penser comme susceptible d’apporter une aide,

notamment par la formation, la sociabilité, l’éducation au pluralisme, la prise de 

responsabilité du laïcat. De par sa nature, l’Eglise n’est inféodée à aucun système politique.

Mais, mère et éducatrice des peuples, elle a mission de former, d’éduquer les hommes à la 

prise de responsabilité dans la société, d’interroger les consciences individuelles et 

collectives, afin de maintenir éveillé dans le cœur des fidèles le respect de la dignité. […] 

La symbiose entre l’Eglise et l’Etat étant dépassée, l’Eglise doit inventer un autre mode de 

relation. Etant donné qu’il y a un aspect institutionnel qu’on ne doit pas négliger puisqu’il 

existe un concordat révisé qui régit la relation entre l’Eglise et l’Etat, on peut élaborer des 

modèles fondés sur le respect de la pluralité, la collaboration de tous les responsables 

religieux aux actions visant le bien-être de la collectivité 59 

.

Nérestant n’aborde pas la question de la laïcité. Pourtant, à partir du second versant des années

1980, on a assisté à une revitalisation du débat sur la laïcité, notamment dans le cadre de la Ligue

de l’enseignement. Nérestant a probablement préféré ne pas soulever cette question dans l’espoir

d’une re-consolidation du pouvoir ecclésial, en pleine crise depuis l’accession à la présidence de

l’ancien prêtre salésien Jean-Bertrand Aristide, sur l’échiquier politique haïtien.

On peut remarquer toutefois, dans la position de Blot, le choix de penser les rapports entre l’Etat et

la religion catholique dans une démarche privilégiant le singulier. Il évite ainsi de jeter les bases

d’une politique du religieux qui tiendrait compte non seulement de tous les acteurs religieux, mais

également des paramètres socio-politiques qui définissent l’échiquier politique actuel. De plus, cette

quête de liberté de l’Eglise catholique, telle que souhaitée par Blot, pourrait accélérer l’étouffement

graduel de sa voix dans l’espace public et politique à cause de sa perte d’influence sur le social et

la diversification du marché religieux dans la société haïtienne. C’est peut-être à ce moment qu’un

57 Louis Gabriel Blot, L’Eglise et le système concordataire en Haïti, op. cit., p. 192.58 Micial Nérestant est très connu en Haïti pour sa thèse doctorale défendue à l’Institut Catholique de Paris(ICP) qu’il a publiée sous le titre de Religions et politique en Haïti. 59 Micial Nérestant, Religions et politique en Haïti (1804- 1990), Ed. KARTHALA, Paris, 1994, p. 265.

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véritable recul critique et constructif pourrait être adopté pour réfléchir sérieusement sur les

rapports entre les religions et l’Etat en Haïti.

Nous formulons également une réserve sur l’idée de définir l’Etat haïtien par ses seuls attributs

concordataires. Sans réfuter qu’il est encore juridiquement lié au Concordat, nous estimons queparler d’ « Etat concordataire », c’est admettre quelque part la suprématie du catholicisme romain

dans les relations religions/ Etat en Haïti. L’Etat dispose également de bases légales pour traiter

avec les cultes réformés (loi du 16 juin 1971 sur les rapports entre l’Etat haïtien et les cultes

réformés et décret du 18 octobre 1978 réglementant de l’exercice des cultes réformés) ainsi

qu’avec le vodou (arrêté du 4 avril 2003 portant sur la reconnaissance officielle du vodou).

2. Kawas François : pour une laïcité respectueuse de l’histoire et de la culture d’Haïti : 

Kawas François est un jésuite haïtien qui s’intéresse particulièrement à l’évolution historique de

l’Eglise catholique en Haïti. Sociologue, directeur du Centre de Réflexion et de Recherche

Interdisciplinaire (CRI), il enseigne l’histoire de l’Eglise catholique au Centre Inter Institut de

Formation Religieuse (CIFOR) et la sociologie politique à l’Université d’Etat d’Haïti. Il est connu,

dans le milieu catholique, comme l’un des promoteurs du dialogue inter-religieux en Haïti60

.

Dans son ouvrage L’Etat et l’Eglise Catholique en Haiti aux XIXe et XXe siècles (1860- 1980) ,

François précise qu’il est nécessaire de réfléchir en profondeur sur les conventions, dont certaines

dispositions n’ont jamais été appliquées alors que d’autres sont tombées actuellement en

désuétude, qui constituent le cadre de référence dans les relations entre l’Eglise catholique et l’Etat

en Haïti. Il estime que cette posture permettrait également d’aborder la question de la laïcité de

l’Etat :

Ces questions ramènent également à un problème de fond ; celui de la laïcité de l’Etat. La 

laïcité, même si elle n’est pas explicite dans la tradition constitutionnelle, y reste tout de 

même présente. L’Etat reconnaît la liberté de conscience et de culte. Plusieurs chartes 

fondamentales au XIXe. Siècle, ont établi la non reconnaissance par l’Etat haïtien, de 

religion dominante et l’égale liberté pour tous les cultes. Le Concordat ne déclare pas 

explicitement que la religion catholique est la religion de l’Etat ; il ne lui reconnaît qu’un 

statut spécial, pour être pratiquée par la majorité des Haïtiens. Aujourd’hui, la 

transformation du paysage religieux et le statut juridique reconnu au Vaudou par les 

Pouvoirs Publics exigent une redéfinition ou, pour le moins, une actualisation du statut de 

l’Eglise catholique et des religions en général dans l’Etat. Dans cette perspective, la 

60 Kawas François, Vaudou et catholicisme en Haïti à l’aube du XXIè. Siècle. Des repères pour un dialogue,Imp. Deschamps, Port-au-Prince, 2005.

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question du type de laïcité pour Haïti s’impose aujourd’hui de façon urgente. Il ne s’agit 

nullement de répéter de façon mécanique la laïcité française qui est d’ailleurs liée à une 

culture et une histoire politiques étrangères aux nôtres. Il importe plutôt, de façon créatrice 

et intelligente, en fidélité aux principes fondateurs de notre nationalité, à notre tradition 

constitutionnelle et à notre originalité sociale et culturelle, d’inventer un nouveau type de rapport Eglises –Etat en Haïti aujourd’hui 

61. 

Deux éléments importants sont à retenir de cette prise de position. Primo, cette facilité de proposer

la laïcité, d’inviter à l’invention d’un type de laïcité appropriée au contexte haïtien, comme solution

aux transformations qui s’opèrent dans le champ religieux. Pourquoi cette fascination de la laïcité ?

Pourquoi à tout prix la laïcité ? Puisque le modèle français est sévèrement critiqué hors de

l’Hexagone, il serait encombrant de le prendre comme référence. La France doit aujourd’hui élargir

le champ définitionnel et d’application de la laïcité, laquelle fut originellement pensée pour traiter

des rapports entre le catholicisme romain et l’Etat, pour réglementer les nouvelles formes de

religiosité ainsi que les religions des immigrés du vingtième siècle. Il reste certainement clair que

les conditions historiques et sociologiques ayant conduit à l’imposition et à l’évolution de la laïcité

en France, diffèrent du cas haïtien en divers points. Il existe pourtant, à travers le monde, beaucoup

de modèles de rapports entre les religions et l’Etat qui ne reposent point sur le principe de la laïcité.

Secundo, l’inefficacité apparente du mode de rapport entre l’Etat haïtien et les religions ne serait-

elle en réalité qu’un problème de l’Etat ? Nous avons défendu, dans notre mémoire de licence, que

nous faisons face à un Etat faible incapable de justifier sa raison d’être et sa mission62

. L’examen

des rapports actuels entre les religions et l’Etat en Haïti, révèle la fragilité de celui-ci et la

substitution progressive de celles-là par les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) qui les

concurrencent sur plusieurs fronts63

. Désormais, il faut peut-être penser à la problématisation des

rapports ONGs/Etat pour saisir l’ampleur et les enjeux réels de la perte des fonctions sociales du

catholicisme romain en Haïti.

Ceci dit, l’apparence laïque de l’Etat semble découler non d’un désintéressement de la question

religieuse, mais plutôt à la fois de la démission par rapport aux responsabilités publiques et de la

prudence démesurée dans la gestion du religieux. En Haïti, la religion reste la seule institution à

pouvoir mobiliser quotidiennement la majeure partie de la population. Il y a tout juste une décennie,

61 Kawas Francois,  L’Etat et l’Eglise catholique en Haïti aux XIXe et XXe Siècles (1860- 1980). Documents

officiels, déclarations, correspondances, etc., T. 1, Collection « Histoire et Société », Imp. Henri Deschamps,Port-au-Prince, 2006, pp. 504- 505.62 Lewis A. Clorméus, Pour une problématique de la sécularisation et de la laïcisation en Haïti , Mémoire delicence en sociologie, Université d’Etat d’Haïti, 2006.63 Laënnec Hurbon, Religion et lien social : l’église et l’Etat moderne en Haïti, Ed. du Cerf, Paris, op. cit., pp.258- 259.

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une enquête de la America’s Devlopment Foundation  révélait que les Haïtiens accordaient une

grande confiance à l’Eglise catholique et aux autres groupes religieux bien plus qu’aux institutions

publiques64

. Il suffit d’évoquer la contribution particulière de l’Eglise catholique au renversement de

Duvalier65

, de la capacité de mobilisation actuelle du protestantisme et son influence sur l’espace

politique ou de la vitalité et le sens révolutionnaire du mythe du Bois-Caïman pour l’Haïtien pourrappeler aux Pouvoirs Publics que la question religieuse peut conduire à de fortes contestations.

3. Laënnec Hurbon : la perte des fonctions sociales de l’Eglise et le choix décisif de la laïcité de 

l’Etat 

Laënnec Hurbon, en se focalisant particulièrement sur la situation actuelle de l’Eglise catholique

romaine, estime qu’Haïti fait face à une perte des fonctions sociales du religieux. En d’autres

termes, elle ferait l’expérience d’une sécularisation accélérée par la chute des Duvalier. Désormais,

l’Eglise catholique n’est plus la référence en matière sociale ainsi que dans le contrôle de la culture

et de l’éducation. Ce qui implique ipso facto une crise de légitimation de l’Etat qui, durant près d’un

siècle et demi, s’appuyait sur sa collaboration avec l’Eglise catholique pour se légitimer. Il serait

nécessaire, selon le chercheur, de reconstruire la légitimité de l’Etat haïtien en adoptant les valeurs

laïques. En ce sens, il propose une laïcité qui sera « comprise comme ce qui renvoie dorénavant le

religieux dans le domaine du droit privé, sans supprimer pour autant tout impact possible du

religieux dans la vie sociale, culturelle et politique66

».

Nous ne partageons pas totalement ce point de vue. Nous reconnaissons effectivement que l’Etat

haïtien subit un sérieux déficit de légitimité parce qu’il est incapable ou peu intéressé à exploiter la

nouvelle configuration du champ religieux en Haïti. En effet, la religion catholique est surtout

menacée par l’affirmation quantitative du secteur protestant qui s’engage dans une quête de dé-

diabolisation de l’espace public et de la théologisation du domaine politique. En matière

d’éducation, les protestants administrent la proportion la plus considérable du parc scolaire bien

qu’en matière de qualité de l’éducation, les écoles congréganistes catholiques restent les

meilleures. La stratégie protestante entend que, pour promouvoir l’Evangile et faciliter la lecture

fondamentale de la Bible, il faut transformer les structures physiques des églises, à défaut d’ouvrir

64 America’s Devlopment Foundation,   Enquête nationale sur les valeurs démocratiques en Haïti et les

implications pour le développement de la démocratie, Imp. Le Natal, Port-au-Prince, 1998, p. 8.65 Fracilus Petit-Homme, SMM,   L’Eglise dans le combat du peuple haïtien pour sa survie, Imp. HenriDeschamps, Port-au-Prince, 1986. Paul Antoine Bien-Aimé,   Le mouvement du 7 février 86 en Haïti. Une

analyse en termes d’action collective, Mémoire de maitrise, Université de Montréal, 1991.66 Laënnec Hurbon, Religion et lien social, op. cit., p. 264.

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une institution scolaire dans un espace approprié, en lieu d’instruction. Dès lors, se pose un

véritable handicap à toute politique de laïcisation du système éducatif67

.

Répartition des écoles du fondamental (1er

et 2ème

cycles) par milieu selon la catégorie. 

Milieu Rural Urbain EnsembleCatégorie Non Public Public Non Public Public Total

Laïque 2305 757 2024 138 5224

Congréganiste 387 21 410 102 920

Communale 626 --- 75 --- 701

Communautaire 1577 --- 367 --- 1944

Presbytérale 778 --- 133 --- 911

Protestant (Indépendant) 1885 --- 839 --- 2724

Protestant (Mission) 2201 --- 618 --- 2819

Autres 123 --- 63 --- 186

Pas de réponse 11 --- 2 --- 13

Total 9893 778 4531 240 15442

Source : Direction de la Planification et de la Coopération Externe (DPCE) du MENJS,

recensement 2003.

Faudra-t-il fermer, en dépit du haut niveau d’analphabétisme en Haïti, les écoles protestantes

hébergées dans les temples mêmes ? Comment, dans le cas contraire, penser à un enseignement

neutre du fait religieux au sein des établissements scolaires ? Et, pour revenir à l’article 30.2 de la

Constitution de 1987 précisant que « nul ne peut être contraint à faire partie d’une association

religieuse ou à suivre un enseignement religieux contraire à ses convictions », qu’en est-il du

respect de la liberté religieuse ? Finalement, considérant le statut privé de certaines écoles, quelle

attitude adopter à l’égard des écoles confessionnelles, de type congréganiste catholique, dont

certaines n’hésitent pas à rayer de leur liste des élèves protestants ou d’autres confessions en

raison de leur foi ?

4. Le religieux dans la Constitution de 1987

La Constitution de 1987, tout en étant un cadre de référence pour statuer sur certaines situations,ne permet pas de résoudre ces problèmes. La tendance interprétative dominante veut, à la lumière

des prescrits constitutionnels, présenter l’Etat haïtien comme une émanation institutionnelle laïque.

Si le concept est effectivement absent dans toute la « tradition constitutionnelle haïtienne », les

67 On ne peut s’étonner que le Plan National d’Education et de Formation (PNEF) n’ait pas insisté sur la“nécessité” de remettre en question le statut confessionnel de certaines institutions d’enseignementfondamental ou encore leur rapport à la religion.

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partisans de la laïcité croient en avoir repérer l’esprit. C’est d’ailleurs au nom de ce principe, dont la

prétendue sacralité est désormais consacrée par la présente Constitution, que s’organisent des

mouvements visant à neutraliser l’influence du religieux dans la sphère publique. On retrouve une

lecture rapprochée à travers le récent rapport du Département d’Etat sur la Liberté de Religion

(2008) que :

La Constitution prévoit la liberté de religion, et d’autres lois et règlements ont généralement 

contribué à la libre pratique de la religion pourvu que ces cas n’entravent pas l’ordre et la 

discipline […] Historiquement, le Catholicisme Romain a été la religion officielle. Bien que 

ce statut officiel ait pris fin avec la promulgation de la Constitution 1987, ni le 

Gouvernement, ni le Saint-Siège n’ont renoncé au Concordat de 1860 qui continue à servir 

de base pour les relations entre l’Eglise Catholique (et ses ordres religieux) et l’Etat. A bien 

des égards, le catholicisme a gardé sa primauté traditionnelle sur les autres groupes 

religieux. Les fonctions officielles et quasi-officielles se déroulent dans les Eglises 

catholiques et les Cathédrales, comme les Te Deum du Jour de l’Indépendance, de la Fête 

du Drapeau et du Jour des Ancêtres ; cependant, le Gouvernement a reconnu le rôle 

croissant des églises protestantes 68 

Ce point de vue nous parait forcé dans la mesure où la Constitution de 1987 (article 30, 30.1 et

30.2) reprend, presque dans les mêmes termes69

, le contenu de la Constitution de 1983 (article

41) :

Toutes les religions et tous les cultes sont libres. Toute personne a le droit de professer sa 

religion et son culte, pourvu que l’exercice de ce droit ne trouble pas l’ordre public.

Nul ne peut être contraint à faire partie d’une association religieuse ou à suivre un 

enseignement religieux contraire à ses convictions.

La loi établit les conditions de reconnaissance et de fonctionnement des religions et des 

cultes.

68 Ambassade des Etats-Unis en Haïti, « Rapport sur les Droits de l’Homme. Rapport du Département d’Etatsur la Liberté de Religion (2008) » [En ligne] Url :http://haiti.usembassy.gov/rapport_sur_la_libert_de_religion_2008.html . Consulté le 15 mai 2009.

Dans le Rapport sur la liberté de religion (2005), on lit plutôt (le lecteur portera son attention sur lescontradictions formelles que nous soulignons) : « Pendant beaucoup d’années, le catholicisme romain était la

religion officielle du pays. Tandis ce statut officiel a été maintenu avec l’établissement de la constitution de

1987, ni le gouvernement ni le Saint-Siège n’a renoncé au concordat de 1860, qui continue à servir de base

aux relations entre l’Eglise Catholique et l’Etat dans le cadre des opérations religieuses catholiques ».

Ambassade des Etats-Unis en Haïti, « Rapport sur les Droits Humains. Rapport sur la Liberté de Religionpour l’année 2005 » [En ligne] Url :http://haiti.usembassy.gov/rapport_sur_la_libert_de_religion_pour_2005.html . Consulté le 15 mai 2009.69 La Constitution de 1987 modifie légèrement le premier paragraphe de l’article : « […] pourvu que ce droitne trouble pas l’ordre et la paix publics ».

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On ne voit donc rien d’original dans la formulation de cet article de la Constitution de 1987 qui, dans

son traitement de l’exercice du culte religieux, se rapproche des Constitutions du second versant du

vingtième siècle haïtien à l’exception de celle de 1950 dont l’article 20 précise que « la religion

catholique, professée par la majorité des Haïtiens, jouit d’une situation spéciale découlant duConcordat ». Joseph Guerdy Lissade, dans un colloque organisé par le Ministère des Cultes sur le

thème : « Religion et transformations sociales à l’aube du troisième millénaire »*, fait remarquer que

« ce sont les dispositions des Constitutions de 1957, 1964, 1971, 1983 qui sont reprises dans la

Constitution de 1987 à la seule différence que celle-ci introduit la notion de paix publique en ce qui

concerne les différentes manifestations de la foi70

». On ne saisit point ce qui laisse supposer,

comme le perçoit un ancien ministre de la justice71

, que le statut officiel de l’Eglise catholique a pris

fin avec l’adoption de la Constitution de 1987, et qu’il faut désormais accorder notre culture et notre

droit aux valeurs laïques. Pourtant, Mirlande H. Manigat, l’une des plus célèbres spécialistes de la

Constitution haïtienne, note que :

Dans notre histoire, des hommes politiques ont utilisé le sacré pour réussir ou pour faire 

croire qu’ils triomphent grâce à des forces spirituelles ou magiques. La Constitution de 

1987 proclame que l’Etat haïtien est laïc dans ses fondements et par son impartialité à 

l’égard des religions, mais la politique n’est pas affranchie de celle-ci 72

.

Cette position est fort répandue en Haïti. Claudine Michel, membre de Kosanba73

, rejoint ce point

de vue tout en précisant que « la Constitution de 1987 est la première constitution haïtienne qui,

d’une part, ne reconnaît plus une religion officielle en Haïti, et qui d’autre part, fait une brève

mention du Vodou. […] Le Protestantisme n’a reçu dans les constitutions haïtiennes, ni les

privilèges du Catholicisme, ni le cruel traitement de la foi vodou74

». En réalité, les Constitutions

haïtiennes ont été, pour la plupart, favorables à l’hégémonie du catholicisme romain au détriment

de toute autre religion. Par contre, de même qu’il y a eu des textes de lois pénalisant « certaines

pratiques du vodou », le protestantisme a également beaucoup souffert durant les campagnes anti-

 * Ce colloque s’est déroulé à l’Hôtel Montana du 7 au 9 septembre 1999.70 Joseph Guerdy Lissade (éd.), Religion et Constitution en Haïti, Port-au-Prince, septembre 2008, p. 20.71 Bernard Gousse, « La laïcité, un espace de liberté religieuse » in Réflexions pour l’avenir/ Refleksyon pou

demen, Ministère de la Culture et de la Communication, no. 002, mardi 12 juillet 2005, pp. 3-4.72 Mirlande H. Manigat, Considérations sur la réforme de l’Etat en Haïti. Les Cahiers du CHUDAC, vol. 1,no. 3, octobre 1996, p. 3. Notons que Mirlande Manigat, intellectuelle et femme politique haïtienne, estl’épouse de l’historien Leslie François Manigat, qui fut probablement le seul président haïtien qui, depuis lasignature du Concordat de 1860, n’a pas assisté à un te deum au moment de son investiture (1988). Il auraitprétexté que cette tradition doit nécessairement changer vu le caractère laïc de l’Etat alors que, selon certainessources, l’Eglise catholique lui aurait refusé ce privilège en raison des circonstances meurtrières qui l’ontporté à la présidence.73 Une association « qui lutte pour la démystification du vodou ».74 Claudine Michel, Aspects éducatifs et moraux du vodou haïtien, Imp. Le Natal, Port-au-Prince, 1995, p. 18.

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superstitieuses. En témoigne la décision du Gouvernement de s’attaquer ouvertement à des

missions et des églises pentecôtistes établies sur le territoire national. Le journal Haïti-Journal  du

12 août 1941 rapporte que « les agents du gouvernement ont reçu l’ordre de dissoudre

immédiatement toutes les sociétés dites pentecôtistes ou trembleurs, de procéder à la fermeture de

leurs chapelles ou temples, et de disperser toutes réunions75

». Le décret du 5 septembre 1941ordonna la fermeture des églises locales de la congrégation protestante Church of God 

76.

La mémoire protestante retient, pour cette même époque, des cas de persécutions de certains

leaders évangélistes pour une prétendue affinité pour le communisme réprouvé par l’équipe

gouvernementale77

. Jacques Roumain immortalisera, durant la dernière grande campagne anti-

superstitieuse de 194178

, cette difficile épreuve en quelques lignes au cours de sa polémique avec

le P. Foisset de même qu’Elie Lescot, avant sa mort, soulignera les abus que cette campagne

portait aux protestants79

. Le P. Carl Edward Peters, le symbole de la lutte anti-superstitieuse,

considère le vodou comme le principal ennemi, mais n’écarte pas le danger protestant :

La propagande protestante avait laissé entendre que, seule, la religion catholique avait le 

monopole de ces esprits pernicieux ; que les images catholiques les représentaient et 

encourageaient l’adoration des images taillées ; enfin, que la maladie « surnaturelle » ne 

pouvait se guérir que dans le protestantisme 80

.

Une deuxième considération importante à soulever est cette tendance à chercher une laïcité

fantomatique au sein de la Constitution de 1987. Le sociologue Jean Eddy Saint-Paul, spécialiste

de la culture politique des élites haïtiennes et professeur d’Université au Mexique, partage l’avis de

Mirlande H. Manigat selon laquelle la Constitution de 1987 consacre l’Etat laïque :

Así que la Constitución de 1987 defiende algunos principios claves de la laicidad. Aboga 

por la libertad religiosa, la igualdad en el trato a las religiones por parte del Estato, es decir,

el reconocimiento de un espacio sociocultural sin tiranía de la mayorías sobre la minorías,

la disociación entre ley civil y normas religiosas, entre otros […] Si bien es cierto que la 

idea de la laicidad esta incorporada dentro de la constitución [artículos 30 a 30-2,

75 Cité par Gérald Guiteau,  Le pentecôtisme en Haïti. Un mouvement expansionniste et revivaliste, Imp. LaPresse Evangélique, Port-au-Prince, 2003, p. 44.76 André Louis, Le Vodou en Haïti. Le catholicisme, le protestantisme et un modèle de ministère efficace dans

le contexte du vodou en Haïti, Imp. Editions Ministères Multilingues, Québec, 1999, p. 218.77 Catts Pressoir,   Le protestantisme en Haïti. Vol. 2, Fascicule 2, Imp. du Séminaire Adventiste, Port-au-Prince, 1977, p. 294. 78 Référence.79 Elie Lescot,  Avant l’oubli. Christianisme et paganisme en Haïti et autres lieux, Imp. H. Deschamps, Port-au-Prince, 1974, pp. 141- 142.80 Carl Edward Peters, La croix contre l’asson, Imp. La Phalange, Port-au-Prince, 1960, p. 195.

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Constitución de 1987], todavía requiere de una secularización o laicisación a nivel de las 

instituciones. En este país, el proceso de laicidad requiere para su desarollo de une real 

neutralidad del Estado en materia de libertad religiosa y que no haya une religión 

específica que legitime el poder político 81

.

La question de la laïcité de l’Etat en Haïti intéresse divers secteurs. Cette tendance parait plutôt

comme une adoption du modèle français, un rapprochement de la France dont l’expérience, en

matière politique et sociale, a beaucoup servi aux élites politiques et intellectuelles du pays.

Insouciantes des particularités propres à la société haïtienne, ces dernières tentent des réformes

qui, en général, n’aboutissent qu’à la complication de la situation. Tout comme en France, l’école a

servi à l’instauration et la socialisation de la laïcité de l’Etat, les planificateurs du système éducatif

haïtien ont naïvement proposé de le laïciser sans tenir compte de la singularité du terrain :

Non pas au sens où il s’opposera aux confessions religieuses : celles-ci renvoient à 

l’espace privé par rapport à l’espace public dont la valeur sera reconnue sur la base de la 

rationalité et de l’argumentation. Affirmer la laïcité de l’Etat, c’est dire que l’autorité publique 

tire sa légitimité non pas d’un ordre transcendant à l’homme, mais dans l’accord raisonné 

de la majorité des citoyens. C’est devant les citoyens qu’il est comptable à tout instant.

L’Etat, par sa laïcité, respecte les différences de religion, et promeut la tolérance comme 

vertu civique. Et, justement, il lui revient de ne point démissionner devant la responsabilité 

qui lui incombe d’offrir à tous les Haïtiens un type d’école comme lieu de formation à la 

civilité démocratique, au sens de la chose publique, sans lequel le vivre-ensemble n’est pas 

possible 82.

Tout en reconnaissant les diverses appréhensions de la notion de « laïcité », il convient de formuler

quelques remarques par rapport à cette prétendue laïcité de l’Etat haïtien consacrée par la

Constitution de 1987 :

1. Curieusement, c’est toujours à l’esprit, et non à la lettre de la Constitution de 1987, qu’on

se réfère pour parler d’Etat haïtien laïc. On peut s’en étonner puisque nous venons de

montrer que cette Constitution n’invente rien d’original par rapport aux dispositions de

celles qui l’ont précédée. Depuis quand la laïcité est-elle devenue un principe

caractéristique de l’Etat haïtien ? Quelles en sont les véritables causes ? Il convient de

souligner que certaines Constitutions haïtiennes consacrent la liberté des cultes sans faire

référence à une religion dominante (Constitution de 1843, 1846, 1849, etc.) en consacrant

81 Jean Eddy Saint-Paul, « Alcantes y limites de la laicización de la política en Haïti, 1804- 2005 »Source et traduction en français.82 Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports (MENJS), Plan National d’Education et de

Formation. Diagnostic, attentes et principes directeurs, vol. 1, 1996, p. 23.

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notamment le principe d’égalité des religions : « Tous les cultes sont également libres ».

Les Constitutions de 1983 et de 1987 éliminent ce dernier principe tout en précisant que

« toutes les religions et tous les cultes sont libres ».

2. La laïcité ne peut être confondue à la liberté de conscience. Il faut pourtant reconnaître que

cette dernière constitue une dimension indiscutable de la laïcité. Elle suppose que l’individua la capacité de croire, mais également de manifester ses convictions religieuses et

idéologiques dans le respect des normes établies. Malinverni considère la liberté de

conscience comme partie intégrante des droits fondamentaux dont devrait disposer, selon

le vœu de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, tout homme sans

aucune distinction. Bien qu’étant assez souvent l’objet d’intolérance et de discrimination,

son contenu est toutefois bien défini :

Les termes de pensée, de conscience, de religion et de conviction englobant, outre 

les diverses formes de théisme, d’autres convictions, comme l’athéisme ou 

l’agnosticisme. Ils couvrent, d’une manière générale, toutes les conceptions que 

l’individu a de la vie, de la société, de son destin, que celles-ci soient d’ordre 

religieux, philosophique ou politique. […] La liberté de pensée, de conscience et de 

religion est surtout le droit de ne pas penser et de ne pas avoir les mêmes 

convictions que la majorité ou que les détenteurs du pouvoir politique 83

.

En ce sens, on ne peut considérer l’Albanie communiste déclarée « premier Etat athée du

monde » par Enver Hoxha comme un Etat laïc. Le politologue français Maurice Barbier écrit

à ce sujet que :

La laïcité n’est pas un refus de la religion, ni un combat contre elle. […] La laïcité 

n’est pas une simple distinction entre le politique et le religieux, de facon que l’Etat 

soit totalement indépendant de la religion et que celle-ci doit entièrement libre.

[…]La laïcité n’est non plus un pacte, analogue au contrat social […] La laïcité est 

nécessairement une décision de l’Etat et non un pacte entre lui et les Eglises 84 

.

Nous partageons entièrement cet extrait de la note du Conseil des Eglises Chrétiennes de

France adressée au Président Jacques Chirac le 8 décembre 2003. L’extrait précisait que

« la laïcité n’a pas pour mission de constituer des espaces vidés du religieux, mais d’offrir

un espace où tous, croyants et non-croyants, puissent débattre, entre autres choses, du

tolérable et de l’intolérable, des différences à respecter et des écarts à empêcher85

».

3. La laïcité peut être expérimentée partout. Il s’agit avant tout d’un choix politique exprimant

que le pouvoir politique ne tire pas sa légitimation de l’ordre sacré. Ceci dit, elle repose sur

83 Giorgio Malinverni, « L’accès aux droits fondamentaux. La liberté de conscience » in  L’effectivité des

droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone. Colloque international. 29 septembre -1er octobre 1993, Ed. AUPELF-UREF, Montréal, 1994, p. 146.84 Maurice Barbier, La laïcité , L’Harmattan, Paris, 1995, pp. 70- 73.85 Laurent Grybowski, “Les Eglises haussent le ton” in La vie, no. 3041, 11 décembre 2003, p. 51.

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trois principes essentiels : le respect de la liberté de conscience et de sa pratique

individuelle et collective, l’autonomie du politique et de la société civile à l’égard des

normes religieuses et philosophiques particulières et, enfin, la non-discrimination directe ou

indirecte envers des êtres humains86

. Dans cette perspective, l’Etat ne doit pas subir

l’influence de la religion87

ni de quelconque regroupement idéologique pour prendre sesdécisions. Eglises et groupes de pression participeront librement aux débats de la société

civile dont elles feront nécessairement partie et détiendront, de ce fait, le statut

d’association. Cette démarche implique obligatoirement, dans une démocratie libérale, le

renvoi du religieux et des convictions philosophiques au domaine privé.

L’Etat, dans ces conditions, est en mesure d’exprimer sa neutralité en matière religieuse en

s’abstenant d’intervenir dans la sphère privée. Cette neutralité peut également s’effectuer

par le traitement égalitaire des cultes quant aux droits et privilèges dont ils peuvent

disposer dans l’espace public et par sa neutralité dans ses mesures politiques qui ne

pourront référer à aucune conception morale ou religieuse particulière. Mais il faut aussi

souligner qu’une loi peut être neutre dans ses motifs sans l’être pour autant dans ses

effets. Jean Baubérot écrivait déjà qu’une « règle ou une loi, en apparence neutre, qui

s’applique à tous de la même façon, peut produire un effet discriminatoire non intentionnel

en étant implicitement imprégnée par la culture dominante ou appliquée selon des

habitudes non critiquées88

».

4. Il n’y a de correspondance nécessaire, contrairement à ce que croit Jean Eddy Saint-

Paul89

, entre république et laïcité. En Haïti, la république est une fiction constitutionnelle

dont le contenu reste à définir et à socialiser. C’est d’ailleurs ce qui explique que les actions

politiques ne se justifient pas par rapport à l’idéal républicain, mais plutôt par les visages de

la conjoncture. De même il reste encore à démontrer l’existence d’un Etat moderne en Haïti

et à en définir les caractères.

Mais il faut aussi préciser que toute république n’est pas forcément laïque (c’est d’ailleurs la

modalité la moins répandue à travers le monde). On peut relater, à titre d’exemple, la

République théocratique d’Iran qui consacre la totale domination islamique.

Le contenu de la laïcité étant mal défini dans nos milieux intellectuels, cette notion tend à

se confondre et à se résumer, suivant des situations concrètes, à des concepts chargés

86 Ces principes sont tirés du document de projet de Déclaration Universelle sur la Laïcité au XXIème siècle,proposé par le sociologue de la laïcité, de confession protestante, Jean Baubérot en 2005. La Ligue del’Enseignement et de l’Education Permanente, « Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle » [Enligne] http://www.ligue-enseignement.be/default.asp?V_DOC_ID=1648. Consulté le 19 mai 2009.87 Il serait intéressant de questionner la pertinence et les attributions d’un Ministère des Affaires Etrangères etdes Cultes en Haïti.88 Jean Baubérot, Laïcité 1905- 2005. Entre passion et raison, Ed. du Seuil, Paris, 2004, p. 238.89 Jean Eddy Saint-Paul, « Eske yon repiblik dwe pou li layik ? » in  Réflexions pour l’avenir/ Refleksyon pou

demen, Ministère de la Culture et de la Communication, no. 002, mardi 12 juillet 2005, p. 2.

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d’un potentiel mobilisateur. Certains intellectuels en font même une alternative religieuse à

la domination religieuse dans le politique. Selon J.-C. Noël, s’il faut reconnaître le caractère

républicain de l’Etat haïtien, la laïcité doit s’offrir comme une forme de civisme, c’est-à-dire

« cette religion citoyenne, républicaine » qui aidera de distinguer l’individuel du

communautaire. Pourtant, ce même auteur récuse l’idée que la laïcité consiste en unedérive vers l’ontologisation ou la noumenalisation de la République

90.

En France, la loi du 9 décembre sur la séparation des Eglises et de l’Etat a été modifiée

pas moins de huit fois. Aujourd’hui encore, on discute sur les possibilités de s’arrêter sur un

contenu définitif de la notion.

Le contenu de la notion d’éducation morale 91

, telle que précisée dans l’article 32 de la

Constitution de 1987, est également vide de sens. A quelle conception de la moralité fait

référence les dispositifs constitutionnels ? S’agit-il de lui conférer, vu le silence du

Constituant, une connotation laïque ou religieuse ? Dans ce débat, cet article a été utilisé

pour consolider tous les points de vue. Dans un article, paru dans les colonnes du quotidien

Le Matin , on peut lire :

Toujours est-il que ce faux débat donne l’occasion de redéfinir le rôle de la politique 

car ces messieurs les moralisateurs le méconnaissent assurément. Ils devraient 

savoir une fois pour toutes que la politique n’est pas là pour décerner des bulletins 

de moralité, mais pour remplir les tâches civiques pour lesquelles ils ont été choisis 

ou élus. […] Pour donner corps donner corps à leur vision étriquée, d’aucuns se 

réfèrent à l’article 32 de la constitution relatif à l ’obligation de l’Etat de « faire 

l’éducation morale de la population ». […] Le concept d’éducation morale recouvre 

exclusivement les valeurs ayant rapport avec la moralité publique, civique, éthique,

bref celles qui concernent la coexistence pacifique dans une vie en société, le 

« vivre ensemble »92

.

Dans ces conditions, ce vide définitionnel rend difficile toute exégèse constitutionnelle.

Certes, l’éducation morale renvoie à des valeurs sociales, mais lesquelles ? S’agirait-il

réellement de valeurs républicaines, comme certains le prétendent, alors qu’il reste encore

à définir et socialiser l’idée de « république » dans le contexte haïtien ? Ou encore de

valeurs religieuses dominantes ?

90 J.-C. Noël, « Pourquoi la République doit-elle être laïque ? » in  Réflexions pour l’avenir/ Refleksyon poudemen, Ministère de la Culture et de la Communication, no. 002, mardi 12 juillet 2005, pp. 2-3.91 Le communiqué de la Fédération Protestante d’Haïti (8 juillet 2008) recommande « que le Parlement 

 prenne en compte la dimension morale dans l'analyse du dossier, tel qu'on le fait dans beaucoup d'autres

 pays. L'article 157 de la Constitution de 1987 ne retient pas explicitement l'aspect moral pour être Premier 

  Ministre, mais cette même constitution précise à l'article 32: "L'Etat ... veille à la formation physique,

intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population ». L'article 259 stipule: « L'Etat 

 protège la Famille base fondamentale de la Société ». Ces prescrits sont inscrits aussi dans la conscience du

 peuple haïtien ».92 M.V.R., « L’immoralité n’est pas là où l’on croit qu’elle est » in Le Matin, 4- 6 juillet 2008, p. 2.

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5. L’Etat laïque ne reconnaît ni de religion93

ni de culte (manifestation exotérique d’une

religion), c’est-à-dire le législateur ne reconnaît aucune dimension publique au fait religieux.

Le professeur Rivero précise que l’Etat laïque « se situe hors de toute obédience religieuse

et refuse à toute forme d’activité religieuse un régime de droit public94

». D’ailleurs, le terme

même de « reconnaissance » renvoie à la tradition concordataire qui exprime les modalitésd’exercice du culte catholique.

Dans la pratique, la reconnaissance peut exprimer une variété de situations : soumission

du pouvoir politique à tout un protocole légitimant le religieux, droit de recevoir des dons

manuels, exonération de la taxe d’habitation, reconnaissance légales des fêtes religieuses,

approbation et/ ou nomination de chefs religieux, financement du système scolaire

congréganiste par la caisse publique, construction de bâtiments religieux, etc.

Le Concordat de 1860 permet à l’Eglise catholique, dans le cas haïtien, de jouir d’un certain

nombre de privilèges qui ne prendront fin qu’avec sa dénonciation par l’Etat haïtien ou par

le Saint-Siège. D’ailleurs, il fait partie du système juridique national puisque, selon le vœu

de l’article 276-2 de la Constitution de 1987, « les traités ou accords internationaux, une 

fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la 

Législation du pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires ».

La reconnaissance des religions et des cultes en Haïti permet à ceux-ci d’ester par devant

les tribunaux, l’exemption en matière de taxes, la reconnaissance civile à certains

documents ecclésiaux (actes de mariage et de baptême). En aucun cas, la reconnaissance

d’une religion ou d’un culte, contrairement à ce qu’entend Mirlande H. Manigat, ne renvoie

à une ouverture sur la tolérance consentie par le caractère laïque de l’Etat haïtien95

. Et

encore, il est inutile de parler d’une atteinte à la laïcité de l’Etat en ce qui concerne l’arrêté

du 4 avril 2003 portant sur la reconnaissance officielle du vodou bien qu’il s’agisse d’une

réelle manipulation du champ religieux par l’Etat96

. Cette reconnaissance du vodou lui

accorde la capacité « de solliciter de toute autorité constituée aide et protection » (article 3),

la possibilité d’obtenir « un soutien qualitatif de l’Etat » (article 4) et de célébrer mariages,

baptêmes et funérailles (article 5). Au terme de cette analyse, nous devons admettre que la

laïcité n’existe ni sur le plan législatif ni sur le plan constitutionnel97

. L’article 215 de la

Constitution de 1987 précise clairement que « les centres réputés de nos croyances

93 Notons que la Constitution de 1987 ne statue pas sur la situation des sectes dont, d’ailleurs, elle ne soumetaucune définition. Peut-on, dès lors, assimiler ce que, dans d’autres contextes, on présente comme des« sectes » à la religion ? Il y a un vide juridique là-dessus.94 J. Rivero, Cours de Libertés Publiques, Paris, 1964, p. 261. (vérifier édition).95 Mirlande Manigat, Traité de droit constitutionnel haïtien, T. 1, Université Quisqueya, Imprimeur II, Port-au-Prince, 2000, p. 38.96 Cet arrêté n’accorde, par contre, aucun statut juridique au vodou.97 En France, la Constitution de 1958 présente également la particularité de se taire sur la définition formellede la laïcité et d’être incapable de résoudre les difficultés posées par la loi de 1905.

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africaines et tous les vestiges du passé sont placées sous la protection de l'Etat ». En quoi

consiste cette protection de l’Etat ? En quoi ce choix et les stratégies de protection ces

hauts lieux de croyances africaines ne portent-ils pas atteinte à l’idée de pluralisme

religieux et de laïcité de l’Etat98

?

Conclusion

On comprend, à travers ces lignes, que l’Etat haïtien n’est pas laïc et que la Constitution de 1987

n’intègre aucun élément particulier permettant de conforter un tel point de vue. Il existe toutefois,

dans les milieux intellectuels, une fascination pour la laïcité à la française qui semble découler d’un

refus d’une démarche compréhensive et consensuelle envers le religieux dans la société haïtienne.

Est-il souhaitable de laïciser un Etat économiquement faible et en déficit de légitimité ? Ou

simplement d’envisager un nouveau type de rapport qui permettrait à la société civile, dans son

ensemble, de le renforcer tout en tenant à assurer la cohésion sociale. Que resterait-il à un Etat

laïcisé qui ne peut prendre réellement en charge son propre système éducatif et toute sa mémoire

historique99

? Le débat sur la laïcité de l’Etat et sur la laïcisation du politique devrait tenir compte de

ces interrogations et prendre un certain recul par rapport aux solutions toutes faites, élaborées pour

répondre à des préoccupations de contextes sociaux et politiques étrangers.

Il faut bien que ce débat se poursuive et tienne compte de l’histoire et de la spécificité culturelle

haïtienne. Il est impensable aujourd’hui que certains croient encore possible de franciser la société

haïtienne100

ou d’y prôner un intégrisme laïc de même qu’il est intolérable, à l’échelle planétaire,

que d’autres croient pouvoir justement terroriser autrui au nom d’un quelconque principe

transcendant.

98 Plusieurs acteurs qui se sont ouvertement exprimés dans la controverse sur la vie sexuelle du PremierMinistre Michèle Duvivier Pierre-Louis, ont participé à la Commission présidentielle chargée de réfléchir sur

la révision de la Constitution de 1987. Dans ce rapport soumis au président René Garcia Préval, le 10 juillet2009, aucune modification n’a été jugée nécessaire d’être apportée à la section portant sur la liberté deconscience. Donc, aucun souci d’accorder explicitement le caractère laïc à l’Etat haïtien n’est manifesté dansce document.99 La plupart des archives publiques, les plus grandes collections d’ouvrages et de pièces historiques reposentdans les bibliothèques d’institutions catholiques. Nous pensons particulièrement à la Bibliothèque desSpiritains (Petit Séminaire Collège Saint-Martial) et à celle des Frères de l’Instruction Chrétienne (InstitutionSaint-Louis de Gonzague).100 Nous retrouvons cette attitude chez la plupart des intellectuels haïtiens du dix-neuvième et du tout début dusiècle dernier.