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  • 7/31/2019 de Soto_cole autrichienne

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    JESS HUERTA DE SOTO

    LCOLE AUTRICHIENNEMARCH ET CRATIVIT

    ENTREPRENEURIALE

    Traduit de lEspagnolpar

    ROSINE LTINIER

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    TABLE DES MATIRES

    INTRODUCTION7

    Chapitre 1 : PRINCIPES ESSENTIELS DE LCOLE AUTRICHIENNE 9

    1.1. Thorie autrichienne de laction et thorie noclassique de ladcision

    1.2. Subjectivisme autrichien et objectivisme noclassique1.3. Entrepreneur autrichien et homo economicus noclassique1.4. Possibilit derreur entrepreneuriale pure (autrichiens) etrationalisation a posteriori de toutes les dcisions (noclassiques)1.5. Information subjective autrichienne et information objectivenoclassique1.6. Processus entrepreneurial de coordination autrichien etmodles dquilibre (gnral et/ou partiel) noclassiques

    1.7. Caractre subjectif des cots chez les autrichiens et cotobjectif des noclassiques1.8. Formalisme verbal des autrichiens et formalisationmathmatique des noclassiques1.9. Connexion de la thorie avec le monde empirique : sensdiffrent du concept de prdiction 1.10. Conclusion

    Chapitre 2 : CONNAISSANCE ET FONCTIONENTREPRENEURIALE 27

    2.1. Dfinition de la fonction entrepreneuriale2.2. Information, connaissance et entrepreneuriat2.3. Connaissance subjective et pratique, non scientifique2 4 Connaissance personnelle et parpille

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    2.10.Le principe essentiel

    2.11.Concurrence et fonction entrepreneuriale2.12.Conclusion : le concept de socit de lcole AutrichiennedEconomie

    Chapitre 3 : CARL MENGER ET LES PRCURSEURS DE LCOLEAUTRICHIENNE43

    3.1.Introduction3.2.Les scolastiques du Sicle dOr espagnol, prcurseurs de

    lcole Autrichienne3.3.La dcadence de la tradition scolastique et linfluence ngativedAdam Smith3.4. Menger et la perspective subjectiviste de lcole Autrichienne:la conception de laction comme ensemble dtapes subjectives, lathorie subjective de la valeur et la loi de lutilit marginale3.5. Menger et la thorie conomique des institutions sociales3.6. LaMethodenstreit, ou polmique des mthodes

    Chapitre 4 : BHM-BAWERK ET LA THORIE DU CAPITAL.63

    4.1. Introduction4.2. Laction humaine, ensemble dtapes subjectives4.3. Capital et biens dinvestissement4.4. Le taux dintrt4.5. Bhm-Bawerk contre Marshall4.6. Bhm-Bawerk contre Marx4.7. Bhm-Bawerk contre John Bates Clark et son conceptmythique du capital4.8. Wieser et le concept subjectif du cot dopportunit4.9. Le triomphe du modle dquilibre et du formalisme positiviste

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    Chapitre 5 : LUDWIG VON MISES ET LA CONCEPTION DYNAMIQUEDU MARCH.85

    5.1. Introduction

    5.2. Brve notice biographique5.3. Thorie de la monnaie, du crdit et des cycles conomiques5.4. Thorme de limpossibilit du socialisme5.5. Thorie de la fonction entrepreneuriale5.6. Mthode de lconomie politique : thorie et histoire5.7. Conclusion

    Chapitre 6 : F. A. HAYEK ET LORDRE SPONTAN DU MARCH101

    6.1. Introduction biographique6.2. Recherches sur le cycle conomique : lincoordinationintertemporelle6.3. Polmiques avec Keynes et lcole de Chicago6.4. Le dbat avec les socialistes et la critique de lingnieriesociale

    6.5. Droit, lgislation et libert

    Chapitre 7 : RENAISSANCE DE LCOLE AUTRICHIENNE.125

    7.1. Crise de lanalyse de lquilibre et du formalismemathmatique7.2. Rothbard, Kirzner et la renaissance de lcole Autrichienne7.3. Programme actuel de recherche de lcole Autrichienne et saprvisible contribution lvolution et au dveloppement futur de laScience conomique7.4. Rponses quelques critiques et commentaires7.5. Conclusion : une valuation comparative du paradigmeautrichien

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    Introduction

    Le prsent ouvrage se propose dexpliquer de manire synthtique, maisavec la profondeur ncessaire, le contenu et les caractristiques les plusimportantes de lcole Autrichienne dconomie, par rapport au paradigmequi a domin jusquici dans notre science. Il analyse galement lvolutionde la pense de lcole Autrichienne depuis ses origines jusqu nos jours,et indique dans quelle mesure il est prvisible que la contribution de lcole

    Autrichienne puisse rendre plus fconde lvolution future de la Scienceconomique.

    Comme, en gnral, les lments essentiels de lcole Autrichienne sontmal connus, le chapitre premier explique de faon comparative quels sontles principes essentiels de la conception dynamique du march quedfendent les autrichiens, ainsi que les diffrences importantes existantentre leur point de vue et celui du paradigme noclassique qui, jusqu

    maintenant, et malgr ses dficiences, est celui quon tudie, de maniregnrale, dans nos universits. Le deuxime chapitre expose lessentiel dela tendance coordinatrice qui, sous limpulsion de la fonctionentrepreneuriale, explique, au dire des autrichiens, dune part, lapparitionde lordre spontan du march, et deuximement, lexistence de la srie delois de tendance qui constituent lobjet de recherche de la Scienceconomique. Au troisime chapitre, commence ltude proprement dite delvolution de lhistoire de la pense conomique de lcole Autrichienne.Elle dbute officiellement avec Carl Menger, mme si les thoriciens delcole de Salamanque, durant le Sicle dOr espagnol, peuvent treconsidrs comme prcurseurs dans de nombreux domaines chers auxautrichiens. Le quatrime chapitre est entirement consacr la figure deBhm-Bawerk et lanalyse de la thorie du capital, dont ltude est, tort,absente des programmes de thorie conomique de nos universits. Leschapitres quatre et cinq traitent respectivement des contributions des deux

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    lcole Autrichienne. Cette renaissance est due la crise du paradigmedominant et linitiative dun groupe important de jeunes chercheurs desdiffrentes universits europennes et amricaines. Notre livre sachve la fois par un expos du programme de recherche de lcole Autrichienne

    moderne et de son apport prvisible lvolution et au dveloppement futurde notre Science, et par la rponse aux critiques les plus communes qui sontadresses lcole, le plus souvent par ignorance et incomprhension.

    Il convient de prciser quil nest pas possible de prsenter ici une visioncomplte et dtaille de tous les aspects qui caractrisent lcoleAutrichienne. On prtend seulement offrir de faon claire et suggestive, unrsum de ses principaux apports. Cest pourquoi, le prsent ouvrage ne

    doit tre considr que comme une simple introduction faite pour tous ceuxqui sintressent lcole Autrichienne ; sils dsirent approfondir certainsde ses lments concrets, ils devront avoir recours la bibliographie choisieet incluse la fin du livre. Cest aussi pour cette raison quon a limin lescitations, innombrables, qui auraient pu tre incorpores au texte pourlargir, illustrer et expliquer mieux encore son contenu. Lobjectifprioritaire de lauteur est de prsenter de faon attrayante le paradigmeautrichien toute une srie de lecteurs potentiels probablement peu

    familiariss avec lui, afin quils puissent, partir de cette lecture, se dcider approfondir un point de vue qui leur paratra certainement aussi novateurque passionnant.

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    Principes essentiels de lcole Autrichienne

    Une des principales carences des programmes de nos Facults dEconomieest de navoir pas offert, jusqu prsent, aux tudiants espagnols et

    franais une vision complte et intgre des lments thoriques essentielsqui constituent les apports de lcole Autrichienne moderne dconomie.Le prsent chapitre prtend combler cette importante lacune, et prciser lesdiffrences entre la thorie autrichienne et la thorie de lcoleNoclassique de lquilibre. Sa lecture prparera ltude des dcouvertesinities par les principaux conomistes de lcole Autrichienne. Le tableau1.1 prsente, de faon claire et simple, les diffrences essentielles entrelcole Autrichienne et le paradigme dominant (noclassique) enseign de

    manire gnrale dans nos universits. Il permet de saisir dun simple coupdoeil les diffrences dapproche et dorganiser la prsentation desprincipaux concepts forgs par lcole Autrichienne. Il sagit dutiliser laconnaissance des rsultats de lcole Noclassique pour sintroduire parcontraste la pense autrichienne.

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    Tableau 1.1

    Diffrences essentielles entre lcole Autrichienne et la noclassique

    Points de comparaison Paradigme autrichien Paradigme noclassique1. Concept dconomie(principeessentiel)

    Thorie de laction humaine entenduecomme processus dynamique(praxologie)

    Thorie de la dcision :maximisation restreinte (conceptstrict de rationalit ).

    2. Point de vue mthodologique : Subjectivisme Strotype de lindividualismemthodologique (objectiviste) etnaf.

    3. Protagoniste des processussociaux :

    Entrepreneur cratif. Homo economicus

    4. Possibilit derreur a priori desacteurs et nature du profitentrepreneurial :

    On conoit la possibilit derreursentrepreneuriales pures que plus deperspicacit quant aux opportunitsde gain aurait permis dviter.

    On ne conoit pas derreurs que lonpuisse regretter, car toutes lesdcisions passes se rationalisent entermes de cots et de profits. Lesprofits de lentreprise sontconsidrs comme le revenu dunfacteur supplmentaire deproduction.

    5. Conception de linformation : La connaissance et linformation sontsubjectives, se trouvent disperses etchangentconstamment (crativitentrepreneuriale). Distinctionradicale entre connaissancescientifique (objective) et pratique(subjective).

    On prsuppose une informationcomplte (en termes de certitudeou de probabilit) sur les fins etles moyens, objective et stable.On ne distingue pas entreconnaissance pratique(entrepreneuriale) et scientifique.

    6. Domaine de rfrence : Processus gnral tendance coordi-natrice. Pas de distinction entre lamicro et la macro : on tudie tous lesproblmes conomiques en relationles uns avec les autres.

    Modle dquilibre (gnral oupartiel). Sparation entre micro etmacroconomie.

    7. Concept de concurrence : Processus de rivalitentrepreneuriale. Situation ou modle de concurrence parfaite .8. Concept de cot : Subjectif(dpend de la perspicacit

    entrepreneuriale pour dcouvrir denouvelles fins alternatives).

    Objectif et constant (on peut leconnatre par un tiers et lemesurer).

    9. Formalisme : Logique verbale (abstraite etformelle) qui admet le tempssubjectif et la crativit humaine.

    Formalisme mathmatique(langage symbolique propre lanalyse de phnomnesatemporels et constants.

    10. Relation avec le mondeempirique :

    Raisonnements aprioristiques-

    dductifs : Sparation radicale et, lafois, coordination entre thorie(science) et histoire (art). Lhistoirene peut pas servir vrifier desthories.

    Vrification empirique des

    hypothses (du moins de faonrhtorique).

    11. Possibilits de prdictionspcifique :

    Impossible, car ce qui se produiradpend dune connaissance entre-preneuriale future encore inexistante.

    La prdiction est un objectifdlibrment recherch.

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    Tableau 1.1 (suite)

    Points de comparaison Paradigme autrichien. Paradigme noclassique

    12. Responsable de la prdiction : Lentrepreneur Lanalyste conomique(ingnieur social).

    13. Etat actuel du paradigme : Renaissance importante durant les 25dernires annes (en particulier aprsla crise du keynesianisme et la chutedu socialisme rel).

    Situation de crise et dechangement acclr.

    14. Quantit de capital humain investi :

    Minoritaire, mais croissant Majoritaire, montrant signes dedispersement et de dsagrgation.

    15. Type de capital humain investi :

    Thoriciens et philosophesmultidisciplinaires. Librauxradicaux.

    Spcialistes en interventionsconomiques (piecemeal socialengineering). Degr trs variabledengagement envers la libert.

    16. Apports les plus rcents : - Analyse critique de la contrainteinstitutionnelle (socialisme et inter-ventionnisme).

    - Thorie de la banque libre et descycles conomiques.

    - Thorie volutive des institutions(juridiques, morales).

    - Thorie de la fonction entrepreneu -riale.

    - Analyse critique de la Justice

    Sociale .

    - Thorie des Choix Publics- Analyse conomique de lafamille- Analyse conomique du droit- Nouvelle macroconomieclassique- Thorie conomique del information (economics ofinformation).- Nouveaux keynsiens.

    17. Position relative de diffrentsauteurs

    Rothbard, Mises, Hayek, Kirzner. Coase, Friedman, Becker,Samuelson, Stiglitz.

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    1.1. Thorie autrichienne de laction et thorie noclassique de ladcision

    Les thoriciens autrichiens conoivent la Science conomique comme une

    thorie de laction plus que de la dcision, et cest l une descaractristiques qui les sparent et les distinguent le plus de leurs collguesnoclassiques. En effet, le concept daction humaine contient et dpasselargement le concept de dcision individuelle. En premier lieu, le conceptimportant daction comprend, pour lcole Autrichienne, non seulement leprocessus hypothtique de dcision dans un contexte de connaissance donne des fins et des moyens, mais surtout, et cest le plus important, la perception mme du systme de fins et de moyens (Kirzner, 1998 :

    48) au sein duquel se produit lassignation conomique que lesnoclassiques tendent tudier de faon exclusive. Dautre part, ce quiimporte aux autrichiens nest pas la prise dune dcision, mais que celle-cise fasse sous la forme dune action humaine dont le processus (qui peutventuellement se terminer ou pas) suppose une srie dinteractions etdactes de coordination, dont ltude constitue prcisment, pour lesautrichiens, lobjet de la Science conomique. Cest pourquoi, la Scienceconomique, loin dtre un ensemble de thories sur le choix ou la

    dcision, est, aux yeux de lcole Autrichienne, un corpus thoriqueconcernant les processus dinteraction sociale ; ceux-ci peuvent tre plus oumoins coordonns selon la perspicacit dmontre par les acteurs impliqusdans lexercice de laction entrepreneuriale.

    Les autrichiens critiquent spcialement la conception troite de lconomielie Robbins et la fameuse dfinition quil en donne, la considrantcomme une science qui tudie lutilisation de moyens limits susceptiblesdutilisations alternatives pour la satisfaction des besoins humains(Robbins, 1932:12). La conception de Robbins suppose, de manireimplicite, une connaissance donne des fins et des moyens, de sorte que leproblme conomique se trouve rduit un problme technique de simpleassignation, maximisation ou optimisation, soumis des restrictions quelon suppose galement connues. Autrement dit, la conception delconomie chez Robbins correspond lessentiel du paradigme

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    de Kirzner et des autres conomistes autrichiens, qui considrent que,plutt que dassigner des moyens donns des fins galement donnes,lhomme, en ralit, cherche constamment de nouvelles fins et de nouveauxmoyens, tout en apprenant du pass et en usant de son imagination pour

    dcouvrir et crer (par laction) le futur. Cest pourquoi, lconomie, pourles autrichiens, se trouve absorbe ou intgre lintrieur dune sciencebeaucoup plus vaste et gnrale, une thorie gnrale de laction humaine(et non de la dcision ou du choix humains). Si un nom est ncessaire pourdsigner cette science gnrale de laction humaine, Hayek estime que leterme de sciencespraxologiques, dfini par Ludwig von Mises, est le plusappropri (Hayek, 1955 : 209).

    1.2. Subjectivisme autrichien et objectivisme noclassiqueIl y a pour les autrichiens un deuxime aspect dimportance capitale : lesubjectivisme. Pour lcole Autrichienne, la conception subjectiviste estessentielle et consiste prcisment essayer de construire la Scienceconomique toujours partir de ltre humain fait de chair et dos,considr comme acteur cratif et initiateur de tous les processus sociaux.Cest pourquoi, pour Mises, la thorie conomique ne porte pas sur des

    choses et des objets matriels ; elle traite des hommes, de leursapprciations et, par consquent, des actions humaines en drivant. Lesbiens, marchandises, les richesses et toutes les autres notions de la conduitene sont pas des lments de la nature, mais des lments de lesprit et de laconduite humaine. Qui dsire entrer dans ce second univers doit oublier lemonde extrieur et concentrer son attention sur la signification des actionsque poursuivent les hommes (Mises, 1995 : 111-112). Ainsi,contrairement aux noclassiques, les thoriciens de lcole Autrichienneestiment que les restrictions en conomie ne sont pas imposes par desphnomnes objectifs ou des facteurs matriels du monde extrieur (parexemple, les rserves de ptrole), mais par la connaissance (la dcouvertedun carburateur qui parviendrait doubler lefficience des moteurs explosion aurait le mme effet conomique que la duplication du total derserves physiques de ptrole). Cest pourquoi, la production nest pas,pour lcole Autrichienne un fait physique naturel et externe mais au

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    1.3. Entrepreneur autrichien ethomo economicus noclassiqueLa fonction entrepreneuriale, dont traite une grande partie du chapitresuivant, est centrale dans la thorie conomique autrichienne alors quelle

    brille par son absence dans lconomie noclassique. Elle nexiste que dansun monde rel qui est toujours en dsquilibre et ne peut avoir aucun rledans les modles dquilibre noclassiques. De plus, les noclassiquesconsidrent que cest un facteur supplmentaire de production qui peut treaffect en fonction des profits et des cots esprs, sans se rendre comptequ en analysant ainsi lentrepreneur, ils tombent dans une contradictionlogique insoluble : demander des ressources entrepreneuriales en fonctionde ses profits et cots esprs implique de croire que lon dispose dune

    information aujourdhui (valeur probable des profits et des cots futurs)avant que celle-ci nait t cre par la propre fonction entrepreneuriale.Cest--dire que la fonction principale de lentrepreneur, comme on le verraplus loin, consiste crer et dcouvrir une nouvelle information quinexistait pas auparavant et, en attendant la ralisation de ce processusdinformation, celle-ci nexiste ni ne peut tre connue, de sorte quil estimpossible de prendre au pralable aucune dcision dassignation de typenoclassique sur la base des profits et cots esprs.

    Dautre part, presque tous les conomistes autrichiens considrentaujourdhui quil est faux de croire que le profit entrepreneurial dcoule dela simple prise de risques. Le risque, au contraire, nengendre quuneaugmentation du cot du processus de production, qui na rien voir avecle profit entrepreneurial pur se produisant quand un entrepreneur dcouvreune occasion de gain quil navait pas encore remarque et agit de faon en tirer parti (Mises, 1995 : 953-955).

    1.4. Possibilit derreur entrepreneuriale pure (autrichiens) etrationalisationa posteriori de toutes les dcisions(noclassiques)

    On ne remarque habituellement pas le rle trs diffrent que joue le concept

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    auteurs noclassiques, au contraire, il nexiste jamais de vritables erreursentrepreneuriales dont on ait se repentir a posteriori. Et cela parce que lesnoclassiques rationalisent toutes les dcisions prises dans le pass entermes dune prtendue analyse cot-profit faite dans le cadre dune

    opration de maximisation mathmatique sous contrainte. On comprendainsi que les profits entrepreneuriaux purs naient pas de raison dtre danslunivers noclassique et que ceux-ci, quand on les mentionne, soientsimplement considrs comme le paiement des services dun facteur deproduction de plus, ou comme le revenu dcoulant de la prise dun risque.

    1.5. Information subjective autrichienne et information objectivenoclassique

    Les entrepreneurs engendrent constamment de nouvelles informations, duncaractre essentiellement subjectif, pratique, dispers et difficilementexprimable (Huerta de Soto, 1992 : 52-67 et 104-110). La perceptionsubjective de linformation est donc un lment essentiel de lamthodologie autrichienne. Elle est absente dans lconomie noclassique,qui a tendance toujours traiter linformation de faon objective. Il fautdire que la majorit des conomistes ne se rendent pas compte que lorsqueautrichiens et noclassiques utilisent le terme information, ils parlent deralits radicalement distinctes. En effet, linformation, pour lesnoclassiques, est quelque chose dobjectif qui, de mme que lesmarchandises, sachte et se vend sur le march par suite dune dcisionmaximisatrice. Cette information , stockable sur des supports divers,nest nullement linformation dans le sens subjectif dont parlent lesautrichiens : connaissance pratique, importante, interprte subjectivement,possde et utilise par lacteur dans le contexte dune action concrte.

    Cest pourquoi les conomistes autrichiens reprochent Stiglitz et dautres thoriciens noclassiques de linformation de navoir pas tcapables dintgrer leur thorie de linformation la fonctionentrepreneuriale. Lentrepreneur gnre et initie pourtant cette information,comme les lignes qui suivent vont le montrer. De plus, pour les autrichiens,Stiglitz narrive pas comprendre que linformation soit toujours

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    march (Thomsen, 1992).

    1.6. Processus entrepreneurial de coordination autrichien et

    modles dquilibre (gnral et/ou partiel) noclassiques

    Les conomistes noclassiques ignorent gnralement dans leurs modlesdquilibre la force coordinatrice que possde pour les autrichiens lafonction entrepreneuriale. Celle-ci, en effet, non seulement cre et transmetde linformation mais, et ceci est encore plus important, elle favorise lacoordination entre les comportements dsordonns qui se produisent ausein de la socit. Comme on le verra au chapitre suivant, toute

    discoordination sociale se concrtise en une occasion de gain qui demeurelatente jusqu ce quelle soit dcouverte par les entrepreneurs. Quandlentrepreneur se rend compte de cette occasion de gain et agit de faon en profiter, celle-ci disparat et il se produit un processus spontan decoordination ; celui-ci explique lexistence de la tendance lquilibre danstoute conomie relle de march. De plus, le caractre coordinateur de lafonction entrepreneuriale est le seul qui permette lexistence de la thorieconomique comme science, entendue comme un corpus thorique de loisde coordination constituant les processus sociaux.

    Ce point de vue explique que les conomistes autrichiens sintressent ltude du concept dynamique de concurrence (entendu comme unmcanisme de rivalit), tandis que les conomistes noclassiques seconcentrent exclusivement sur les modles dquilibre propres la statiquecomparative (concurrence parfaite , monopole, concurrence imparfaite ou monopolistique). Pour les autrichiens, il est donc insensde construire la Science conomique sur la base du modle dquilibre, en

    supposant que toute linformation importante pour construire les fonctionscorrespondantes doffre et de demande est considre donne . Lesautrichiens tudient, par contre, de prfrence le processus de marchconduisant ventuellement un quilibre qui nest finalement jamaisatteint. Et on en est mme arriv parler de modle du big bang social, quipermet la croissance illimite de la connaissance et de la civilisation dune

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    ncessairement la perception gnrale dobjectifs et de moyens de tous lesacteurs impliqus dans la socit. Cela donne lieu son tour lapparitionde nouveaux dsajustements qui supposent de nouvelles occasions de gainentrepreneurial tendant tre dcouvertes et coordonnes par les

    entrepreneurs. Ce processus dynamique ne finit jamais, stendcontinuellement et promeut la civilisation (modle de big bang socialcoordonn) (Huerta de Soto, 1992 : 78-79).

    Le problme conomique fondamental que se pose, par consquent, lcoleAutrichienne est trs diffrent de celui quanalysent les conomistesnoclassiques. Il consiste tudier le processus dynamique de coordinationsociale au cours duquel les diffrents tres humains crent et diffusent de

    nouvelles informations (qui ne sont donc jamais donnes ), enrecherchant les fins et les moyens les plus appropris au contexte de chaqueaction, et en tablissant ainsi inconsciemment un processus spontan decoordination. Pour les autrichiens, le problme conomique fondamentalnest donc pas de nature technique ou technologique, comme le conoiventhabituellement les thoriciens du modle noclassique, en supposant queles fins et les moyens sont donns, et en posant le problme conomiquecomme sil sagissait dun simple problme technique doptimisation. Pourlcole Autrichienne, le problme conomique fondamental ne consiste pasen une maximisation dune fonction objective connue soumise desrestrictions galement connues, mais il est, au contraire, strictementconomique : il apparat quand les fins et les moyens sont nombreux,rivalisent entre eux, que leur connaissance nest pas donne, mais setrouve parpille dans lesprit dinnombrables tres humains qui,constamment, la crent et lengendrentex novo et ne peuvent donc mme

    pas connatre toutes les possibilits et les solutions alternatives existantes,ni lintensit relative avec laquelle on veut rechercher chacune delles.

    Il faut bien comprendre que mme les actions humaines qui nous semblentntre que de simples actions maximisatrices et optimisatrices prsententtoujours une composante entrepreneuriale, car lacteur qui y est impliqudoit stre rendu compte auparavant que tel droulement daction, siautomatique mcanique et ractif est le plus convenable tant donn les

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    Les thoriciens de lcole Autrichienne estiment de plus que la conceptionnoclassique habituelle na pas de sens. Il est prfrable dtudier lesproblmes conomiques conjointement, en interrelation les uns avec lesautres, sans faire de distinction entre leurs parties micro et macro. La

    sparation radicale entre les aspects micro et macro de la Scienceconomique est une des insuffisances les plus caractristiques des livres declasse et des manuels dintroduction modernes dconomie Politique ; aulieu de fournir un traitement unitaire des problmes conomiques, commeMises et les conomistes autrichiens sy efforcent constamment, ils necessent de prsenter la Science conomique divise en deux disciplinesdistinctes (la micro et la macroconomie ) qui manquent deconnexion entre elles et peuvent donc tre tudies sparment. Comme

    lindique Mises, cette sparation vient de lutilisation de concepts qui,comme le niveau gnral des prix, ignorent lapplication de la thoriesubjective et marginaliste de la valeur la monnaie et restent ancrs dansltape prscientifique de lconomie o lon essayait encore deffectuerlanalyse en termes de catgories globales ou ensembles de biens, plusquen termes dunits supplmentaires ou marginales de ceux-ci. Celaexplique pourquoi on a dvelopp toute une discipline malheureuse fonde sur ltude des relations mcaniques supposes entre ensemblesmacroconomiques dont la connexion avec laction humaine est trsdifficile ou impossible comprendre (Mises, 1995 : 482).

    Les conomistes noclassiques ont donc mis au centre de leur recherche lemodle dquilibre. Dans ce modle, toute linformation est supposedonne (en termes de certitude ou de probabilit). Il thorise alors lesconditions dexistence dun ajustement parfait entre les diffrentesvariables de chaque modle. Du point de vue de lcole Autrichienne, leprincipal inconvnient de cette mthode modle est quen supposant

    lexistence dun ajustement parfait entre les variables et les paramtres dechaque modle, lon peut facilement aboutir des conclusions errones surles relations de cause-effet existant entre les diffrents phnomnesconomiques. Ainsi, daprs les Autrichiens, lquilibre agirait comme uneespce de voile ; il empcherait le thoricien de dcouvrir les vraiesrelations de cause et effet existant entre les faits autrement dit les lois

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    1.7. Caractre subjectif des cots chez les autrichiens et cot

    objectif des noclassiques

    La conception purement subjective des cots est un autre lment essentielde la mthodologie de lcole Autrichienne. De nombreux auteursconsidrent que cette ide peut sinsrer sans grande difficult dans leparadigme dominant noclassique. Nanmoins, les thoriciensnoclassiques nincluent le caractre subjectif des cots quen paroles etfinalement, quoiquils mentionnent limportance du cot dopportunit ,ils lincluent toujours dans leurs modles de faon objective. Pour lesautrichiens, le cot est la valeur subjective que donne lacteur aux fins

    auxquelles il renonce quand il dcide dagir. Cela signifie quil nexistepas de cots objectifs, mais que ceux-ci devront tre continuellementdcouverts dans chaque circonstance suivant la perspicacitentrepreneuriale de chaque acteur. En effet, il se peut que beaucoup depossibilits alternatives passent inaperues. Une fois dcouvertes par unentrepreneur, elles changent radicalement ses conceptions subjectives descots. Il nexiste donc pas de cots objectifs tendant dterminer la valeurdes fins. Le contraire, en revanche, est vrai. Les cots, en tant que valeurssubjectives, sassument (et sont donc dtermins) en fonction de la valeursubjective que les fins rellement poursuivies (biens finals deconsommation) reprsentent pour lacteur. Cest pourquoi, pour lesconomistes autrichiens, ce sont les prix des biens finals de consommationqui, comme concrtisation sur le march des valuations subjectives,dterminent les cots quon est dispos assumer pour les produire, et nonpas linverse, comme les conomistes noclassiques lont si souvent laissentendre dans leurs modles.

    1.8. Formalisme verbal des autrichiens et formalisationmathmatique des noclassiques

    La position diffrente des deux coles lgard de lutilisation duformalisme mathmatique dans lanalyse conomique est un autre aspect

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    1884 : Comment pourra-t-on parvenir connatre lessence, par exemple,de la valeur, du revenu de la terre, du profit de lentreprise, de la divisiondu travail, du bimtallisme, etc., par des mthodes mathmatiques ? (Walras, 1965 : vol. II, 3). Car le formalisme mathmatique est

    particulirement propre recueillir les tats dquilibre qutudient lesconomistes noclassiques, mais il ne permet pas dinclure la ralitsubjective du temps (dure), et moins encore la crativit entrepreneuriale,caractristiques essentielles du discours analytique des thoriciens delcole Autrichienne. Hans Mayer a peut-tre rsum mieux que personneles insuffisances de lutilisation du formalisme mathmatique en conomieen crivant qu en essence, il se produit au coeur des thoriesmathmatiques de lquilibre une fiction immanente, plus ou moins

    camoufle : en effet, toutes mettent en rapport, au moyen dquationssimultanes, des grandeurs non simultanes, qui napparaissent que dansune squence gntique causale, comme si elles coexistaient toutmoment. Ainsi, le point de vue statique synchronise les vnements, alorsque ce qui existe en ralit est un processus dynamique ; cependant, on nepeut pas considrer un processus gntique en termes statiques sansliminer prcisment sa caractristique la plus intime (Mayer, 1994 : 92).

    Les considrations prcdentes expliquent que, pour les membres delcole Autrichienne, beaucoup des thories et des conclusions de lanalysenoclassique de la consommation et de la production manquent de vritablesens conomique. Ainsi, la loi dite de lgalit des utilits marginalespondres par les prix , par exemple, a des fondements thoriquesdouteux. En effet, cette loi suppose que lacteur est capable dvaluersimultanment lutilit de tous les biens sa disposition, ignorant que touteaction est squentielle et crative, et que les biens ne svaluent pasensemble en mettant sur un pied dgalit leur utilit marginale suppose,

    mais lun aprs lautre, dans le contexte dtapes et dactions diffrentes,pour chacune desquelles lutilit marginale correspondante non seulementpeut tre diffrente, mais nest mme pas comparable (Mayer, 1994 : 81-83). En somme, pour les autrichiens, lusage des mathmatiques enconomie est mauvais parce que celles-ci unissent synchroniquement desgrandeurs qui sont htrognes du point de vue temporel et de la crativit

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    nest que pendant la centime de seconde que dure lexpos du problmedans son propre raisonnement). Car, pour les conomistes autrichiens, lescritres noclassiques de rationalit confondent le concept de constanceavec celui de cohrence (Mises, 1995 : 123-124).

    1.9. Connexion de la thorie avec le monde empirique : sensdiffrent du concept de prdiction

    Enfin, le modle de lcole Autrichienne soppose radicalement celui delcole Noclassique, enseign de faon gnrale dans nos universits, propos de la relation avec le monde empirique et des possibilits de la

    prdiction. En effet, pour les autrichiens, le fait que le scientifique observateur ne puisse pas obtenir linformation subjective, que lesacteurs-entrepreneurs observs et initiateurs du processus social crentet dcouvrent continuellement de manire dcentralise, justifient leurcroyance en limpossibilit thorique de faire des dmonstrationsempiriques en matire conomique. En fait, les autrichiens considrent queles raisons qui dterminent limpossibilit thorique du socialisme,analyses aux chapitres 5 et 6, sont les mmes que celles qui expliqueraientque lempirisme aussi bien que lanalyse cot-profit ou lutilitarisme dansson interprtation la plus stricte ne soient pas viables dans notre science. Ilimporte peu que ce soit un scientifique ou un gouvernant qui essaie en vaindobtenir linformation pratique importante dans chaque cas pourdmontrer des thories ou donner un contenu coordinateur leurs ordres. Sicela tait possible, on pourrait aussi bien utiliser cette information pourcoordonner la socit par des ordres contraignants (ingnierie socialepropre du socialisme et de linterventionnisme) que pour dmontrerempiriquement les thories conomiques. Cependant, pour les mmes

    raisons, primo, cause du volume immense dinformation dont il sagit ;secundo, de la nature de linformation importante (parse, subjective ettacite) ; tertio, du caractre dynamique du processus entrepreneurial (on nepeut pas transmettre linformation non encore engendre par lesentrepreneurs dans un processus de cration innovatrice constante) ; etquarto de leffet de la contrainte et de la propre observation

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    Ces mmes arguments, analyss en dtail un peu plus bas avec lhistoire dela polmique sur limpossibilit du calcul conomique socialiste, sontgalement applicables pour justifier la croyance des autrichiens enlimpossibilit thorique de faire desprdictions de dtail (cest--dire se

    rapportant des coordonnes de temps et de lieu dtermins et ayant uncontenu empirique concret) en matire conomique. Ce qui aura lieudemain ne peut pas tre scientifiquement connu aujourdhui, car celadpend en grande partie dune connaissance et dune information pasencore dcouvertes par les entrepreneurs. Elle nest pas disponibleaujourdhui et lconomiste ne peut tout juste faire que des prdictions deprincipe de caractre gnral, quHayek appelle pattern predictions. Cesprdictions seront de natures exclusivement qualitative et thorique et

    relatives, tout au plus, la prvision des dsajustements et des effets dediscoordination sociale que produit la contrainte institutionnelle (socialismeet interventionnisme) exerce au sein du march.

    De plus, il faut rappeler linexistence de faits objectifs directementobservables dans le monde extrieur. Cela est d au fait quen accord avecla conception subjectiviste, les objets de recherche en Science conomiquene sont que les ides que dautres possdent sur ce quils prtendent et font.Ces ides ne sont jamais observables directement, mais ne peuvent treinterprtes quen termes historiques. Pour interprter la ralit sociale quiforme lhistoire, il faut avoir une thorie pralable, et aussi un jugementnon scientifique (verstehen ou comprhension), lequel nest pas objectifmais peut varier dun historien un autre et transforme sa discipline(lhistoire) en un art vritable.

    Enfin, les autrichiens considrent que les phnomnes empiriques sontcontinuellement variables, de sorte quil nexiste ni paramtres ni

    constantes dans les vnements sociaux, et quil ny a, au contraire, que des variables ; cela rend trs difficile, sinon impossible, lobjectiftraditionnel de lconomtrie et le programme mthodologique positivistedans nimporte quelle de ses versions (depuis le vrificationnisme le plusnaf jusquau falsificationnisme popprien le plus sophistiqu). Face lidal positiviste des noclassiques les conomistes autrichiens prtendent

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    parce que personne na pu les contester sans sautocontredire (Hoppe,1995 ; Caldwell, 1994 : 117-138). Cet arsenal thorique est ncessaire,selon les autrichiens, pour interprter convenablement ce magma dephnomnes historiques compliqus et sans rapports apparents que forme le

    monde social, de mme que pour faire une histoire vers le pass ou uneprospection dvnements vers le futur (mission propre de lentrepreneur)avec un minimum de cohrence, de garanties et de possibilits de russite.On comprend maintenant la grande importance que les autrichiens engnral donnent lhistoire comme discipline, et leur effort pour ladistinguer de la thorie conomique, tout en la mettant correctement enrapport avec elle (Mises, 1975).

    Hayek nomme scientisme (scientisme) lapplication indue de lamthode propre aux sciences de la nature dans le domaine des sciencessociales (Hayek, 1955). Ainsi, il existe, dans le monde de la nature, desconstantes et des relations fonctionnelles permettant lapplication dulangage mathmatique et la ralisation dexpriences quantitatives enlaboratoire. Cependant, pour les conomistes autrichiens, dans la Scienceconomique, et la diffrence de ce qui se passe dans le monde de laphysique, du gnie et des sciences naturelles, il nexiste pas de relationsfonctionnelles (ni, donc, de fonctions doffre, de demande, de cots, niaucune autre). Rappelons que mathmatiquement, et selon la thorie desensembles, une fonction nest quune correspondance ou une projectionentre les lments de deux ensembles dits ensemble dorigine et ensemble image . Or, tant donn la capacit crative inne de lhomme,qui engendre et dcouvre continuellement une information nouvelle danschaque circonstance concrte o il agit en ce qui concerne les fins quilpoursuit et les moyens quil croit sa porte pour les atteindre, il estvident quen conomie on ne trouve aucun des trois lments ncessaires

    pour quapparaisse une relation fonctionnelle : a) les lments delensemble dorigine ne sont ni donns ni constants ; b) les lmentsformant limage densemble ne sont ni donns ni constants , et c) et cela estle plus important, les correspondances entre les lments de lun ou delautre ensemble ne sont pas non plus donnes, mais varientcontinuellement par suite de laction et de la capacit crative de ltre

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    quil est parfaitement possible dlaborer tout le corpus de la thorieconomique de faon logique et en introduisant le temps et la crativit(praxologie), cest--dire, sans besoin dutiliser de fonctions ni dtablirdhypothses de constance qui ne saccordent pas avec la nature crative de

    lhomme, qui est la vritable et unique cause de tous les processus sociauxformant lobjet de recherche de la Science conomique.

    Mme les conomistes noclassiques les plus illustres ont d admettre quilexiste dimportantes lois conomiques (comme la thorie de lvolution etde la slection naturelle) qui ne sont pas vrifiables empiriquement (Rosen,1997). Les thoriciens autrichiens ont spcialement insist sur lesinsuffisances des tudes empiriques en ce qui concerne le dveloppement

    de la thorie conomique. En effet, les tudes empiriques peuvent fournirtout au plus quelque information, historiquement contingente, sur certainslments des rsultats des processus sociaux qui se sont produits, mais nefournissent pas dinformation sur la structure formelle de ces processus,dont la connaissance constitue prcisment lobjet de recherche de lathorie conomique. Cela signifie que les statistiques et les tudesempiriques ne peuvent fournir aucune connaissance thorique (lerreur otombrent les historicistes de lcole allemande du XIX sicle et querefont, dans une large mesure, les conomistes de lcole Noclassiqueconsistait prcisment, comme on le verra plus loin, croire le contraire).De plus, et comme la soulign Hayek dans son discours dinvestiturecomme Prix Nobel, les ensembles mesurables en termes statistiques nontsouvent pas de sens thorique, et linverse, de nombreux concepts ayantun sens thorique transcendant ne sont pas mesurables et ne permettent pasun traitement empirique (Hayek, 1976b : 9-32).

    1.10. ConclusionLes principales critiques que les conomistes autrichiens font auxnoclassiques sont les suivantes : premirement, le fait de sen tenirexclusivement des tats dquilibre travers un modle maximisateur quisuppose donne linformation ncessaire aux agents en ce qui concerne

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    morales, habitudes et traditions, institutions, etc.) ; troisimement, saxersur des modles dquilibre qui utilisent le formalisme des mathmatiqueset cachent les vritables rapports de cause et deffet, et quatrimement,lever au niveau de conclusions thoriques de simples interprtations de la

    ralit historique qui peuvent tre importantes dans quelques circonstancesconcrtes, mais dont on ne peut pas admettre quelles aient une valeurthorique universelle, car elles ne comportent quune connaissancehistoriquement contingente.

    Les considrations prcdentes ne signifient pas que toutes les conclusionsapparues jusqu maintenant dans lanalyse noclassique soient errones.On peut en rcuprer une grande partie et la considrer valable. Les

    thoriciens autrichiens prtendent seulement souligner que la valeur desconclusions des conomistes noclassiques noffre pas de garantie, de sortequon peut aboutir de faon plus profitable et plus sre celles qui sontvalables par lanalyse dynamique que prconisent les autrichiens et quipermet, en plus, disoler les thories errones (trs nombreuses aussi) ;celle-ci met en lumire les vices et les erreurs actuellement cachs par lamthode empirique base sur le modle dquilibre quutilisent lesconomistes du paradigme dominant.

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    Connaissance et fonction entrepreneuriale

    Nous expliquerons dans ce chapitre le concept et les caractristiques de lafonction entrepreneuriale. Lentrepreneur a une importance fondamentalepour lcole Autrichienne. Il est le pivot de son analyse conomique. Do

    la grande importance quil y a expliquer son essence et son rle dans laproduction et la diffusion de connaissance. On pourra seulement ainsicomprendre la tendance la coordination qui existe sur les marchs, ainsique lapport de lcole Autrichienne la pense conomique.

    2.1. Dfinition de la fonction entrepreneurialePour les autrichiens, la fonction dentrepreneur, au sens large, concide

    avec laction humaine elle-mme. En ce sens, on pourrait affirmerquexerce la fonction dentrepreneur toute personne agissant en vue demodifier le prsent et datteindre ses objectifs dans le futur. Bien que cettedfinition puisse, premire vue, sembler trop large et non conforme auxusages linguistiques actuels, il faut tenir compte du fait quelle estabsolument conforme au sens tymologique originel du mot entreprise. Eneffet, lexpression espagnole empresa (entreprise) tout comme lesacceptions franaise et anglaise entrepreneurviennent tymologiquement

    du verbe latin in prehendo-endi-ensum, qui signifie dcouvrir, voir,percevoir, se rendre compte de, saisir; et lexpression latine in prehensacontient clairement lide daction, voulant dire prendre, saisir. En somme,entreprise est synonyme daction, et ainsi, en France, le mot entrepreneursemployait depuis trs longtemps, au Moyen ge, pour dsigner lespersonnes charges deffectuer des actions importantes lies gnralement

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    certains ordres de chevalerie qui indiquaient lengagement, pris sousserment, de raliser une certaine action importante. Or, le mot entrepriseentendu comme action est ncessairement et inexorablement li uneattitude entreprenante, consistant prcisment essayer sans cesse de

    chercher, de dcouvrir, de crer ou de voir de nouveaux objectifs et denouveaux moyens (tout cela en accord avec le sens tymologique dj vude in prehendo).

    La fonction entrepreneuriale, au sens strict, consiste essentiellement dcouvrir et apprcier (prehendo) les occasions datteindre un but ou, silon veut, dobtenir un gain ou profit qui se prsente, en agissant de faon les saisir. Kirzner dit que lexercice de lentrepreneurialit implique unevigilance (alertness) particulire, cest--dire un tat dalerte continu, quipermet lhomme de dcouvrir ce qui se passe autour de lui et de senrendre compte (Kirzner, 1998 : 49 et 79). Kirzner utilise peut-tre le motanglais alertness parce que le mot entrepreneurship ( fonctionentrepreneuriale ) est dorigine franaise et nimplique pas immdiatementdans la langue anglo-saxonne lide de prehendo quil a dans les languesromanes continentales. De toutes faons, en espagnol, le qualificatif

    perspicaz (perspicace) est tout fait adapt pour la fonctionentrepreneuriale, car il sapplique, selon le Dictionnaire de lAcadmie

    Royale Espagnole, la vue ou regard trs perant qui va loin . Demme, le mot spculateur, vient tymologiquement du latin specula, termeutilis pour dsigner des tours do les sentinelles pouvaient voir de loin cequi venait. Par consquent, ces ides saccordent parfaitement aveclattitude de lentrepreneur quand il dcide quelles seront ses actions, quilvalue leur effet dans le futur et quil les entreprend. Lexpression tre entat dalerte dfinit bien lentrepreneur car elle implique lide dattentionou de vigilance, mais elle semble un peu moins adapte que celle qui

    comporte le qualificatif perspicace , peut-tre parce que cette dernireimplique nettement une attitude un peu moins statique.

    2.2. Information, connaissance et entrepreneuriat

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    suppose une modification de la connaissance de lacteur, en ce sens quildcouvre une information nouvelle, quil navait pas auparavant. Dautrepart, cette dcouverte modifie toutes les donnes ou contexte dinformationou connaissance que possde le sujet acteur. Or, il doit se poser la question

    suivante : quelles caractristiques importantes prsente linformation ouconnaissance pour lexercice de la fonction dentrepreneur ? Nous allonstudier maintenant en dtail les six caractristiques fondamentales de laconnaissance entrepreneuriale du point de vue de lcole Autrichienne : 1)cest une connaissance subjective pratique, non scientifique ; 2) cest uneconnaissancepersonnelle ; 3) parpille dans lesprit de tous les hommes ;4) cest une connaissance en grande partie tacite et, donc, pas exprimable;5) elle se cre ex nihilo, partir de rien, prcisment par lexercice de lafonction entrepreneuriale ; 6) elle est transmissible, en grande partie defaon non consciente, au travers de processus sociaux trs complexes, dontltude, daprs les autrichiens, constitue prcisment lobjet de recherchede la Science conomique.

    2.3. Connaissance subjective et pratique, non scientifiqueEn premier lieu, la connaissance que nous analysons, la plus importante

    pour lexercice de laction humaine, est avant tout une connaissancesubjective pratique et non scientifique. Connaissance pratique signifie toutce que quon ne peut pas reprsenter dune manire formelle, mais que lesujet acquiert ou apprend par la pratique, cest--dire partir de l actionhumaine elle-mme, exerce dans ses contextes correspondants. Il sagit,comme le dit Hayek, de la connaissance importante concernant toutessortes de circonstances particulires de temps et de lieu. (Hayek, 1972 : 51et 91). Nous parlons, en somme, dune connaissance portant sur des

    estimations humaines concrtes, cest--dire aussi bien des buts quepoursuit lacteur, que de sa connaissance des buts quil croit poursuivis pardautres acteurs. Il sagit aussi dune connaissance pratique des moyens quelacteur croit avoir sa porte pour atteindre ses buts, et, en particulier, detoutes les circonstances, personnelles ou pas, que lacteur considreventuellement importantes dans le contexte de chaque action concrte

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    centralise , celle faite par Michael Polanyi entre connaissance tacite et connaissance explicite (Polanyi, 1959 : 24-25), et celle de Misesentre la connaissance d vnements uniques et la connaissanceconcernant le comportement de toute une catgorie de phnomnes

    (Mises, 1995 : 130-137). Lapproche de ces diffrents types fondamentauxde connaissance, partir des points de vue de ces quatre auteurs, peut sersumer dans le tableau 2.1.

    Tableau 2.1

    Deux types diffrents de connaissance

    Type A Type B

    Oakeshott Pratique(traditionnel)

    Scientifique (outechnique)

    Hayek parpille Centralise

    Polanyi Tacite Explicite

    Mises D vnementsuniques

    De catgories

    CONOMIE

    (connaissances type B sur

    connaissances type A)

    Les relations entre ces deux types diffrents de connaissance sontcomplexes. Dune part, toute connaissance scientifique (type B) a une base

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    le risque principal de lconomie comme science rsulterait du fait quellefinisse par croire que ses spcialistes ( scientifiques de l conomie ou ingnieurs sociaux ) puissent, en quelque sorte, arriver possder lecontenu spcifique des connaissances pratiques du type A, constamment

    cres et utilises par les hommes niveau entrepreneurial. Ou, ce qui estpire encore, que lon en arrive ignorer compltement le contenuspcifique de la connaissance pratique, comme la si justement critiquOakeshott, pour qui le rationalisme, dans sa version la plus dangereuse,exagre et errone, consisterait croire que ce que jai appelconnaissance pratique nest absolument pas une connaissance, cest--direquau sens le plus propre, il ny a pas dautre connaissance que laconnaissance technique (Oakeshott, 1991 : 15).

    2.4. Connaissance personnelle et parpilleLa connaissance pratique est une connaissance de type personnel etparpill. Cela signifie que chaque homme-acteur ne possde, pour ainsidire, que des atomes ou bits de linformation qui se cre et setransmet globalement au niveau social, mais que, paradoxalement, lui seulpossde, cest--dire que lui seul connat et interprte de faon consciente.

    Par consquent, tout homme qui agit et exerce la fonction entrepreneurialele fait dune manire strictement personnelle et unique, puisquil essaiedatteindre des fins ou objectifs daprs une vision et une connaissance dumonde quil est seul possder dans toute sa richesse et sa varit denuances, et dont on ne peut trouver une rplique identique chez personnedautre. Cest pourquoi, la connaissance dont nous parlons nest pasquelque chose de donn, de disponible pour tout le monde dans un moyenmatriel de stockage dinformation (comme les journaux, les revues

    spcialises, les livres, les statistiques, les ordinateurs, etc.). En revanche, laconnaissance importante pour laction humaine est une connaissancenettement entrepreneuriale de type pratique, quon ne trouve quedissmine dans lesprit de tous et de chacun des hommes et des femmesagissant entrepreneurialement, qui forment lhumanit.

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    effectuer certaines actions (know how), mais ne sait pas quels sont leslments ou parties de ce quil fait, ni sils sont vrais ou faux (know that).Ainsi, par exemple, quand quelquun apprend jouer au golf, il napprendpas un ensemble de normes objectives de type scientifique qui lui

    permettent de faire les mouvements ncessaires comme rsultat delapplication dune srie de formules de physique mathmatique, mais leprocessus dapprentissage consiste plutt acqurir une srie dhabitudes

    pratiques de conduite. On peut galement citer, comme Polanyi, lexemplede celui qui prtend monter bicyclette et de maintenir lquilibre enbougeant le guidon du ct o il commence tomber, et en crant ainsi uneforce centrifuge qui tend maintenir la bicyclette debout, et tout cela sansque presque aucun cycliste ne connaisse les principes physiques surlesquels se fonde son habilet, ni nen soit conscient. En revanche, lecycliste utilise plutt son sens de lquilibre , qui lui indique comment ildoit se comporter tout moment pour ne pas tomber. Polanyi va jusquaffirmer que la connaissance tacite est, en fait, le principe dominant detoute connaissance (Polanyi, 1959 : 24-25). Mme la connaissance la plushautement formalise et scientifique est toujours le rsultat dune intuitionou dun acte de cration, qui ne sont rien dautre que des manifestations dela connaissance tacite. Sans compter que la nouvelle connaissanceformalise que nous pouvons acqurir grce aux formules, aux livres, aux

    graphiques, aux cartes, etc., est importante surtout parce quelle aide rorganiser tout notre contexte dinformation pratique entrepreneuriale partir de diffrents points de vue, de plus en plus riches et fconds, ce quiouvre de nouvelles possibilits pour lexercice de lintuition crative.Limpossibilit darticuler la connaissance pratique se manifeste nonseulement statiquement , en ce sens que toute affirmation apparemmentexplicite ne comporte dinformation que dans la mesure o elle estinterprte grce un ensemble de croyances et de connaissances

    pralables non exprimables, mais aussi dynamiquement , car leprocessus mental utilis pour faire un essai darticulation formalise estessentiellement, en lui-mme, une connaissance tacite et non exprimable.Un autre type de connaissance non exprimable et qui joue un rle essentieldans le dveloppement de la socit est lensemble des habitudes, destraditions, des institutions et des normes juridiques et morales qui forment

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    des cots, quutilise lentrepreneur pour faire le calcul conomique quiguide son action ; celle-ci nest quun ensemble de connaissances outechniques pratiques qui, utilis dans un certain contexte dconomie demarch, sert de guide daction gnralise aux entrepreneurs pour les aider

    atteindre leurs objectifs, mais sans que ceux-ci, pour la plupart, soientcapables de formuler une thorie scientifique de la comptabilit ni encoremoins dexpliquer comment elle peut aider dans les processus compliqusde coordination qui rendent possible la vie conomique et sociale. On peut,donc, conclure que lexercice de la fonction entrepreneuriale, telle que laconsidrent les thoriciens de lcole Autrichienne (capacit inne pourdcouvrir et apprcier des occasions de gain en adoptant un comportementconscient pour en profiter), consiste en une connaissance de typefondamentalement tacite non exprimable.

    2.6. Caractre essentiellement cratif de la fonctionentrepreneuriale

    La fonction entrepreneuriale na besoin daucun moyen pour se raliser.Cest--dire que laction entrepreneuriale ne suppose aucun cot et est doncessentiellement crative. Ce caractre cratif de la fonction entepreneuriale

    se concrtise en ce quelle donne lieu des profits qui, en un certain sens,naissent du nant et peuvent donc sappeler profits entrepreneuriaux purs.Pour obtenir des profits entrepreneuriaux, on na, par consquent, pasbesoin de disposer dun moyen pralable quelconque, mais il est seulementncessaire de bien exercer la fonction dentrepreneur.

    Cela dit, il faut spcialement souligner que se produisent, commeconsquence de tout acte entrepreneurial, trois effets dune extraordinaire

    importance. Dune part, la fonction dentrepreneur cre une informationnouvelle, inexistante auparavant. Deuximement, cette information setransmetdans le march. Et, troisimement, comme consquence de lacteentrepreneurial, les agents conomiques impliqus apprennent agirchacun en fonction des besoins des autres. Ces consquences de lactionentrepreneuriale telles quelles ont t labores analytiquement par les

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    2.7. Cration dinformationTout acte entrepreneurial implique la cration ex nihilo dune nouvelleinformation ou connaissance. Cette cration a lieu dans lesprit de la

    personne qui exerce, la premire, la fonction dentrepreneur. En effet,quand une personne C se rend compte quil existe une possibilit degain, il se cre dans sa tte une nouvelle information quelle navait pasauparavant. Mais, en plus, une fois que C entreprend laction et prendcontact, par exemple, avec A et B , achetant bon march B unbien quil a en trop et le vendant plus cher A qui en a un besoinurgent, une nouvelle information se cre galement dans les ttes de A et de B . Ainsi A , par exemple, se rend compte que ce bien, dont ilmanquait et dont il avait tant besoin pour atteindre son but, est disponibleailleurs sur le march en plus grande quantit quil ne limaginait et que,par consquent, il peut entreprendre sans problmes laction quil necommenait pas par manque dudit produit. De son ct, B saperoitque ce bien, quil avait en si grande abondance, et auquel il nattachait pasde valeur, est trs recherch par dautres personnes et quil doit donc leconserver et le garder car il peut le vendre un bon prix.

    2.8. Transmission dinformationLa cration entrepreneuriale dinformation implique sa transmissionsimultane dans le march. En fait, transmettre quelque chose quelquuncest faire que cette personne engendre ou cre dans son esprit une partie delinformation qui avait t pralablement cre ou dcouverte par dautrestres humains.

    Dans lexemple antrieur, non seulement lide que son bien est importantet ne doit pas tre gaspill est transmise strictement B , et lide quilpeut poursuivre le but quil se proposait et ne pouvait raliser par manquede ce bien est transmise A , mais les prix respectifs de march, quisont un systme de transmission trs puissant car ils transmettent beaucoupdinformation un cot trs bas communiquent par vagues successives

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    capables de linterprter ou de la dcouvrir, de sorte que ce sont toujoursles tres humains qui crent, peroivent et transmettent linformation.Lide errone selon laquelle linformation est quelque chose dobjectifvient en partie du fait que linformation subjective cre par les

    entrepreneurs se concrtise objectivement en signes (prix, institutions,normes, signatures , etc.) ; ceux-ci peuvent tre dcouverts et interprtssubjectivement par beaucoup dans le contexte de leurs actions particulires,ce qui facilite la cration de nouvelles informations subjectives de plus enplus riches et compltes. Cependant, et malgr les apparences, latransmission dinformation sociale est fondamentalement tacite etsubjective, cest--dire ni exprime ni explicite, et, en mme temps, trsrsume, car, en fait, elle ne fait que se transmettre et capter subjectivementle minimum ncessaire pour coordonner le processus social ; cela, permet,par ailleurs, de profiter le mieux possible de la capacit limite de lesprithumain crer, dcouvrir et transmettre constamment une nouvelleinformation de type entrepreneurial.

    2.9. Effet apprentissage : coordination et adaptationIl faut enfin souligner comment les agents sociaux apprennent agir en

    fonction les uns des autres. Ainsi, par exemple, par suite de lactionentrepreneuriale engage par C , B en vient ne pas dilapider ougaspiller le bien dont il disposait, mais, obissant son intrt particulier, legarde et le conserve. A , de son ct, disposant de ce bien, peut atteindreson objectif et entreprendre laction quil ne ralisait pas auparavant. Lunet lautre, par consquent, apprennent agir de faon coordonne, cest--dire modifier et discipliner leur comportement en fonction desncessits de lautre. Et, de plus, ils apprennent de la meilleure faon quon

    puisse imaginer : sans se rendre compte quils apprennentet de plein gr,cest--dire volontairement et dans le contexte dun plan o chacunpoursuit ses objectifs et ses intrts particuliers. Cest l la base duprocessus, aussi merveilleux que simple et effectif, qui rend possible la vieen socit. On doit enfin remarquer que ladoption de la fonctiondentrepreneur par C permet non seulement une action coordonne

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    entendu comme tout jugement destimation de la valeur des diffrentespossibilits ou courants daction, peut se raliser prcisment grce linformation engendre dans le processus entrepreneurial. Autrement dit :si lexercice de la fonction entrepreneuriale ne seffectue pas librement

    dans une conomie de march, linformation ncessaire pour que chaqueacteur puisse calculer ou estimer correctement la valeur de chaque courantdaction possible ne se cre pas. Cest--dire que sans entrepreneur, il ny a

    pas de calcul conomique possible. Cest l une des conclusions les plusimportantes auxquelles aboutit lanalyse conomique de lcoleAutrichienne, et elle se trouve au coeur du thorme de limpossibilit ducalcul conomique socialiste, tel que lont dcouvert Mises et Hayek, et surlequel nous reviendrons dans les prochains chapitres.

    Les observations prcdentes constituent, la fois, les enseignements lesplus importants et les plus lmentaires de la science sociale, et permettentde conclure que la fonction dentrepreneur est, sans aucun doute, lafonction sociale par excellence, puisqu en adaptant et en coordonnant lecomportement individuel de ses membres, elle rend possible la vie ensocit. Sans fonction entrepreneuriale, lexistence de la vie en socit nestmme pas concevable.

    2.10. Le principe essentielCela dit, ce qui importe vritablement, du point de vue de la thorie delcole Autrichienne, nest pas de savoir qui exerce concrtement lafonction entrepreneuriale (quoique ce soit prcisment le plus importantdans la pratique), mais le fait que, nexistant pas de restrictionsinstitutionnelles ou lgales son libre exercice, chaque homme puisse

    exercer le mieux possible ses dons entrepreneuriaux en crant uneinformation nouvelle et en profitant de linformation pratique de typepersonnel quil aura pu dcouvrir chaque moment. Que les thoriciens delcole Autrichienne soient, dans le domaine politique, de faon gnrale etmajoritaire, des philosophes libraux profondment engags dans ladfense de lconomie de march non intervenue nest donc pas une

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    maintenant, que de souligner le principe essentiel suivant : ltre humaintend dcouvrir linformation qui lintresse, de sorte que, si la libertdatteindre ses objectifs et de satisfaire ses intrts existe, ceux-ci agirontcomme stimulants, et permettront que celui qui exerce la fonction

    entrepreneuriale motive par ces stimulants peroive et dcouvre sanscesse linformation pratique importante ncessaire lobtention des finspoursuivies. Au contraire, si, pour une raison quelconque, on restreint ouon ferme le domaine dexercice de lentrepreneur dans un certain secteur dela vie sociale ( par des restrictions de type lgal, institutionnel outraditionnel, ou par des mesures interventionnistes de ltat en matireconomique), les hommes ne considreront mme pas la possibilit derussir atteindre des objectifs dans ces secteurs interdits ou limits, desorte que, lobjectif ntant pas possible, il nagira pas comme stimulant,et, en consquence, on ne percevra ni ne dcouvrira linformation pratiquencessaire son obtention. Et en plus, les personnes affectes ne serontmme pas conscientes, dans ces cas-l, de la valeur norme et du grandnombre dobjectifs qui cessent dtre accessibles par suite de limpositionde cette situation de restriction institutionnelle (interventionnisme ousocialisme).

    Enfin, il faut considrer que chaque homme-acteur possde des atomes

    dinformation pratique quil tend , comme on la vu, dcouvrir et utiliserpour atteindre un objectif ; information que, malgr son importance sociale,il est seul avoir ou possder, cest--dire que lui seul connat etinterprte consciemment. Nous savons que nous parlons de la connaissanceexplicite dans les revues spcialises, les livres, les journaux, lesordinateurs, les statistiques, etc. La seule information ou connaissanceimportante sur le plan social est celle que quelquun connat consciemment chaque moment historique, bien que, le plus souvent, ce soit seulement de

    faon tacite. Ensuite, chaque fois que lhomme agit ou exerce la fonctionentrepreneuriale, il le fait dune manire caractristique, particulire, cest--direpersonnelle et unique qui nat de lessai datteindre des objectifs ouvision du monde qui agissent comme stimulants et que lui seul possdedans leurs diverses caractristiques et circonstances. Cela permet chaquetre humain dobtenir des connaissances ou informations quil ne dcouvre

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    moins considres socialement, ou les moins formes du point de vue de laconnaissance explicite, possderont en exclusivit (au moins) des petitsfragments ou parcelles de connaissance et dinformation qui peuvent avoirune valeur dcisive dans le droulement des vnements sociaux. De ce

    point de vue, le caractre essentiellement humaniste de la conception delentrepreneur, que nous expliquons, et qui fait de lconomie, telle quelcole Autrichienne lentend et la cultive, une science humaniste parexcellence, parat vident.

    2.11. Concurrence et fonction entrepreneurialeLe terme concurrence (en espagnol competencia) procdetymologiquement du latin cum petitio (concidence de demandes multiplesportant sur une mme chose, laquelle il faut attribuer un propritaire)form de cum, avec, et petere, demander, attaquer, chercher. Le

    Dictionnaire de lAcadmie Royale Espagnole dfinit la concurrencecomme la rivalit entre au moins deux personnes aspirant obtenir lamme chose . La concurrence consiste donc en un processus dynamiquede rivalit et non pas dans le modle dit de concurrence parfaite ,dans lequel de nombreux offrants font la mme chose et vendent tous au

    mme prix, cest--dire, dans lequel, paradoxalement, personne ne fait deconcurrence (Huerta de Soto,1994 : 56-58).

    La fonction entrepreneuriale, de par sa nature et sa dfinition, est toujoursconcurrentielle. Cela signifie quune fois que lacteur a dcouvert uneoccasion de gain et agit de faon en profiter, cette occasion de gain tend disparatre, de sorte quelle ne peut tre ni value ni utilise par dautresacteurs. Et de mme, si loccasion de gain ne se dcouvre que

    partiellement, ou si, dcouverte en totalit, lacteur nen profite quepartiellement, une partie de cette occasion restera latente jusqu sadcouverte et son utilisation par dautres acteurs. Le processus social estdonc nettement concurrentiel, en ce sens que les diffrents acteursrivalisent les uns avec les autres consciemment et inconsciemment, pourvaluer et mettre profit avant les autres les occasions de gain

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    aucun autre entrepreneur. On pourrait penser tort que le processus socialmu par lentrepreneur pourrait arriver par sa propre dynamique sarrterou disparatre, une fois que la force de la fonction dentrepreneur auraitdcouvert et puis toutes les possibilits dajustement social existantes.

    Cependant, le processus entrepreneurial de coordination sociale nesarrte et ne spuise jamais. Et cela parce que lacte coordinateurlmentaire consiste essentiellement crer et transmettre uneinformation nouvelle qui doit modifier obligatoirement la perceptiongnrale dobjectifs et de moyens de tous les entrepreneurs impliqus. Celadonne lieu, son tour, lapparition illimite de nouveaux dsajustementsfaisant apparatre de nouvelles occasions de gain entrepreneurial, et ainsi desuite, au cours dun processus dynamique qui ne termine jamais et faitavancer sans cesse la civilisation. Cest--dire que la fonctionentrepreneuriale non seulement rend possible la vie en socit encoordonnant le comportement dsajust de ses membres, mais aussifavorise le dveloppement de la civilisation, en crant continuellement denouveaux objectifs et des connaissances nouvelles qui se rpandent parvagues successives au sein de toute la socit ; de plus, et cela est trsimportant, elle permet galement que ce dveloppement soit aussi correct etharmonieux que possible dans chaque circonstance historique, car lesdsajustements qui se crent constamment au fur et mesure du

    dveloppement de la civilisation et de lapparition dune nouvelleinformation entrepreneuriale, tendent, leur tour, tre dcouverts etlimins par la propre force de laction humaine. Cest--dire que lafonction entrepreneuriale est la force qui donne cohsion la socit etpermet son dveloppement harmonieux, tant donn que lesdsajustements, quun tel processus de dveloppement produit forcment,tendent tre galement coordonns par elle.

    Le processus entrepreneurial produit donc une espce de big bang socialcontinuel qui permet la croissance illimite de la connaissance. Ainsi,comme on la vu, face au modle dquilibre gnral ou partiel desnoclassiques, Lcole Autrichienne propose, comme solution alternative,un paradigme fond sur le processus dynamique gnral ou, si on leprfre big bang social en expansion continuelle et tendant la

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    humaine possdant une base de lancement pourrait tendre sa connaissance,sa richesse et sa population de faon illimite.

    Tous deux sappuient sur les principaux apports de lcole Autrichienne engnral et de Hayek en particulier ; ils ont conclu que les physiciensignorants en conomie ont crit de nombreuses sottises sur les limitesphysiques de la croissance conomique. Une analyse correcte des limitesphysiques de la croissance nest possible que si lon considre lacontribution de Hayek ; daprs elle, un systme conomique ne produit pastant des choses matrielles quune connaissance immatrielle (Tipler,1988 : 4-5).

    2.12. Conclusion : le concept de socit de lcole Autrichiennedconomie

    En somme, on peut conclure en dfinissant la socit comme un processus(cest--dire une structure dynamique) de type spontan, cest--dire,consciemment dessin par personne ; trs complexe, car il est form demillions et de millions de personnes, prsentant une varit infiniedobjectifs, de gots, de jugements et de connaissances pratiques,

    changeant tous continuellement ; dinteractions humaines (ce sontfondamentalement des relations dchange souvent concrtises en prixmontaires et se ralisant suivant des normes, des habitudes, ou des rglesde conduite) ; toutes stimules par laforce de la fonction entrepreneuriale,qui, sans cesse, cre, dcouvre et transmet information et connaissance, enadaptant et en coordonnant de faon concurrentielle les planscontradictoires des hommes, et en permettant leur vie en commun avec unnombre et une richesse de nuances et dlments toujours croissants.

    Prcisment, lobjet de la Science conomique consisterait tudier ceprocessus social tel quil a t dfini. Ainsi, les conomistes autrichiensconsidrent que lobjectif essentiel de lconomie consiste analysercomment nous tirons profit, grce lordre social spontan, dun volumenorme dinformation pratique qui nest disponible nulle part sous forme

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    vie en socit. Le problme conomique fondamental est celui-l et pas unautre, de sorte que nous devons faire une critique spciale de ltude dumodle dquilibre des spcialistes du paradigme dominant noclassique etqui, pour Hayek manque dintrt scientifique, car on y part de lhypothseque toute linformation est donne et que le problme conomiquefondamental a donc dj t rsolu (Hayek, 1972 : 51 et 91).

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    Carl Menger et les prcurseurs de lEcole Autrichienne

    3.1. Introduction

    Bien quon admette gnralement que lcole Autrichienne dconomie

    soit ne en 1878, avec la publication du livre de Carl Menger (1840-1921)intitul Principes dconomie politique (Menger, 1997), en ralit leprincipal mrite de cet auteur consiste avoir su recueillir et promouvoirune tradition de la pense catholique de lEurope continentale qui remonteaux origines de la pense philosophique en Grce et, avec plus dintensitencore, la plus ancienne tradition de la pense juridique, philosophique etpolitique de la Rome classique.

    En effet, la Rome classique a dcouvert que le droit est fondamentalementcoutumier et que les institutions juridiques (de mme que les linguistiqueset les conomiques) manent dun long processus dvolution ayant permisdamasser une quantit considrable dinformation et de connaissances quidpasse de loin la capacit mentale de nimporte quel gouvernant, si savantou si bon soit-il. Ainsi savons-nous, grce Cicron (De republica, II, 1-2),que, pour Caton, la raison pour laquelle notre systme politique futsuprieur ceux de tous les autres pays est la suivante : les systmes

    politiques des autres pays avaient t crs en introduisant des lois et desinstitutions suivant lopinion personnelle dindividus particuliers tels queMinos en Crte et Lycurgue Sparte... Par contre, notre rpublique romainenest pas due la cration personnelle dun homme, mais de beaucoup. Ellene sest pas fonde pendant la vie dun individu particulier, mais au coursdune srie de sicles et de gnrations Parce quil ny a jamais eu dans le

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    constituera la base de largument de Ludwig von Mises propos delimpossibilit thorique de la planification socialiste ; elle dure et serenforce au Moyen ge grce lhumanisme chrtien et la philosophiethomiste du droit naturel conu comme un corps thique antrieur etsuprieur au pouvoir de chaque gouvernement terrestre. Pierre Jean Olivi,Saint Bernardin de Sienne et Saint Antonin de Florence, entre autres,thorisent sur le rle essentiel de la capacit entrepreneuriale et crative deltre humain comme moteur de lconomie de march et de la civilisation(Rothbard, 1999 : 31-209). Mais le tmoin principal de ce courant depense sera repris, suivi et perfectionn par ces grands thoriciens quefurent nos scolastiques du Sicle dOr espagnol et que lon doit, sans aucundoute, considrer comme les principaux prcurseurs de lcoleAutrichienne dconomie.

    3.2. Les scolastiques du Sicle dOr espagnol, prcurseurs delcole Autrichienne

    Selon Friedrich A. Hayek, les principes thoriques de lconomie demarch, de mme que les lments fondamentaux du libralismeconomique, nont pas t conus, comme on le croit gnralement, par les

    calvinistes et les protestants cossais, mais sont, au contraire, le rsultat deleffort doctrinal des dominicains et des jsuites membres de lcole deSalamanque au cours du Sicle dOr espagnol (Hayek, 1988 : 288-289).Hayek est mme all jusqu citer deux de nos scolastiques, Luis de Molinaet Juan de Lugo, dans son discours de rception comme prix Nobeldconomie en 1974 (Hayek, 1976c : 19-20). Cet conomiste autrichiencommena croire lorigine catholique et espagnole de lanalyseconomique autrichienne partir des annes cinquante, grce linfluence

    du professeur italien Bruno Leoni. Leoni convainquit Hayek que les racinesde la conception dynamique et subjectiviste de lconomie taient doriginecontinentale, et quon devait, donc, les chercher dans lEuropemditerranenne et dans la tradition grecque, romaine et thomiste, plus quedans la tradition des philosophes cossais du XVIII sicle (Leoni, 1995 :95-112) Hayek eut en outre la chance que durant ces annes-l lune de

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    moderne dconomie? La plupart dentre eux furent des dominicains et desjsuites, professeurs de morale et de thologie dans des universits qui,comme celles de Salamanque et de Combre, furent les centres intellectuelsles plus importants lpoque du Sicle dOr espagnol (Chafuen, 1986).Analysons maintenant, de manire synthtique, quelles furent leursprincipales contributions ce qui plus tard seraient les lmentsfondamentaux de lanalyse conomique autrichienne.

    Il faut, peut-tre, citer en premier lieu Diego de Covarrubias y Leyva.Covarrubias (1512-1577), fils dun clbre architecte, devint vque de laville de Sgovie (il est enterr dans sa cathdrale), et fut plusieurs annesministre du roi Philippe II. En 1555, Covarrubias exposa, mieux quepersonne ne lavait fait jusque l, lessence de la thorie subjective de la

    valeur, sur laquelle se base lanalyse conomique de lcole Autrichienne,qui affirme que la valeur dune chose ne dpend pas de sa natureobjective mais de lapprciation subjective des hommes, mme si cetteapprciation est insense ; il ajoute pour illustrer sa thse qu aux Indesle bl a plus de valeur quen Espagne parce que les hommes ly apprcientdavantage, et cela malgr que la nature objective du bl soit la mme auxdeux endroits (Covarrubias, 1604 : 131). Covarrubias a crit galementun ouvrage sur lvolution historique de la diminution du pouvoir dachat

    du maravedi ; il y anticipa sur beaucoup des conclusions thoriquesconcernant la thorie quantitative de largent quexposrent plus tardMartn de Azpilcueta et Juan de Mariana, entre autres. Louvrage deCovarrubias contient de nombreuses statistiques sur lvolution des prix ausicle qui prcda le sien ; il fut publi en latin sous le titre Veterumcollatio numismatum. Cette oeuvre de Covarrubias est trs significative,non seulement parce quelle a t cite et loue dans les sicles suivants parles italiens Davanzati et Galiani, mais surtout parce quelle est lun des

    livres cits par Carl Menger dans ses Principes dconomie Politique(Menger, 1997 : 325).

    La tradition subjectiviste amorce par Covarrubias est continue par unautre scolastique clbre, Luis Saravia de la Calle, le premier avoirclairci la vritable relation existant entre prix et cots sur le march en ce

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    de la Calle a crit dans son Instruccin de mercaderes, publie en espagnol Medina del Campo vers 1544, que ceux qui mesurent le juste prix de lachose daprs le travail, les frais et les risques de celui qui fait le commercede la marchandise ou la fabrique se trompent beaucoup ; parce que le justeprix nat de labondance ou du manque de marchandises, de marchands etdargent, et non des frais, des travaux et des risques (Saravia de la Calle,1949 : 53). En outre, tout le livre de Saravia de la Calle est ax sur lafonction de lentrepreneur, quil appelle marchand (mercader), suivantainsi, en ce qui concerne le rle dynamisateur de lentrepreneur, la traditionscolastique mentionne plus haut et qui remonte Pierre Jean Olivi, SaintAntonin de Florence et surtout Saint Bernardin de Sienne (Rothbardd,1999 : 113-211).

    Il faut noter une autre contribution importante de nos scolastiques :lintroduction du concept dynamique de la concurrence (en latinconcurrentium) entendue comme processus entrepreneurial de rivalit quianime le march et favorise le dveloppement de la socit. Cette ide, quiallait devenir le coeur de la thorie du march de lcole Autrichienne, esten parfait contraste avec les modles dquilibre de concurrence parfaite, deconcurrence de monopole et de monopole quanalysent les noclassiques,et a amen aussi les scolastiques conclure que les prix du modle

    dquilibre (quils appelrent prix mathmatiques ), que les thoriciensnoclassiques socialistes ont prtendu utiliser pour justifierlinterventionnisme et la planification du march, ne pourraient jamais treconnus. Ainsi, Raymond de Roover attribue Luis de Molina le conceptdynamique de la concurrence entendue comme le processus de rivalitentre acheteurs qui tend lever le prix , et qui na rien voir avec lemodle statique de concurrence parfaite , dont les thoriciens dusocialisme de march ont cru navement, notre sicle, quils pourrait

    tre simul dans un rgime sans proprit prive (Raymond de Roover,1955 : 169). Cependant, cest Jernimo Castillo de Bovadilla qui expose lemieux cette conception dynamique de la libre concurrence entreentrepreneurs dans son livre Poltica para corregidores, publi Salamanque en 1585, et o il indique que lessence la plus positive de laconcurrence consiste essayer de rivaliser avec le concurrent (Popescu

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    parvenir connatre les prix dquilibre et autres donnes dont ils ontbesoin pour intervenir sur le march, ou crer leurs modles, lon doit noterles contributions des cardinaux jsuites espagnols Juan de Lugo et Juan deSalas. Le premier, Juan de Lugo (1583-1660), conclut dj en 1647, sur laquestion de savoir quel peut tre le prix dquilibre, quil dpend de tant decirconstances spcifiques que Dieu seul peut le connatre ( pretium iustummathematicum licet soli Deo notum ) (Lugo, 1642 : vol. II, 312). Et Juande Salas affirme en 1617, propos des possibilits dun gouvernantdarriver connatre linformation spcifique qui se cre dynamiquement,se dcouvre et sutilise sur le march, que quas exactae comprehendere etponderare Dei est non hominum , cest--dire que Dieu seul, et pas leshommes, peut arriver comprendre et juger exactement linformation etla connaissance que les agents conomiques utilisent dans le processus de

    march avec toutes leurs circonstances particulires de temps et de lieu(Salas, 1617 : 4, n 6, 9). Nous verrons quaussi bien Juan de Lugo queJuan de Salas devancent de plus de trois sicles les contributionsscientifiques les plus raffines des plus clbres penseurs autrichiens (enparticulier Mises et Hayek).

    Le principe de la prfrence temporelle daprs lequel, dans les mmescirconstances, les biens prsents ont plus de valeur que les biens futurs est

    un autre lment essentiel de ce qui sera plus tard lanalyse conomique delcole Autrichienne. Cette doctrine fut redcouverte par Martn deAzpilcueta (le clbre docteur navarrais) en 1556 ; lui-mme lemprunta lun des meilleurs disciples de Saint Thomas dAquin, Gilles de Lessines,qui affirma dj en 1285 que les biens futurs nont pas autant de valeurque les mmes biens disponibles dans limmdiat, et ne prsentent pas nonplus la mme utilit pour leurs possesseurs. Cest pourquoi il faut rduireleur valeur pour respecter la justice (Dempsey, 1943 : 214).

    Les effets de distorsion de linflation, celle-ci tant entendue comme toutepolitique tatique daccroissement de loffre montaire, ont t galementanalyss par les scolastiques. Dans ce domaine, on remarque, en particulier,le travail du pre Juan de Mariana intitul De monetae mutatione, que sonauteur a ensuite traduit en espagnol sous le titre Tratado y discurso sobre la

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    inconnu, il explique comment celle-ci engendre une augmentation des prixet la dsorganisation gnrale de lconomie relle. Mariana critique aussila politique dtablissement de prix maxima pour lutter contre les effets delinflation ; il considre que cette politique est non seulement incapable deproduire des effets positifs, mais en outre trs nocive pour le processusproductif. Ainsi samliore lanalyse beaucoup plus simpliste, parcequexclusivement macroconomique, ralise auparavant par Martn deAzpilcueta en 1556, et, avant lui, par Copernic dans son livre Monetaecudendae ratio ; ceux-ci exposrent pour la premire fois la versiongrossirement simplifie et mcaniciste, caractristique de la thoriequantitative de largent si rpandue aujourdhui (Azpilcueta, 1965 : 74-75).

    Les contributions de nos scolastiques la thorie bancaire sont galement

    importantes (Huerta de Soto, 1997-1998 : 141-165). Ainsi, par exemple, lacritique faite par le docteur Saravia de la Calle au systme bancaire derserve fractionnaire est trs claire, en ce sens que lutilisation, pour leurpropre compte, par les banquiers de largent dpos vue, en accordant desprts des tiers, est illgitime et suppose un pch grave, doctrine quiconcide pleinement avec celle que fondren, ds lorigine, les auteursclassiques du droit romain, et qui mane naturellement de lessence, de lacause et de la nature juridique du contrat de dpt dargent irrgulier

    (Saravia de la Calle, 1949 : 180-181, 195-197). Martn de Azpilcueta etToms de Mercado ralisrent aussi une analyse trs rigoureuse delactivit bancaire qui, sans atteindre le niveau de critique de Saravia de laCalle, prsente un traitement impeccable des exigences respecter dans lecontrat de dpt bancaire de monnaie, si on veut quil soit conforme la

    justice. Les uns et les autres, par consquent, exigent implicitement quelexercice de la banque se ralise avec un coefficient de caisse de cent pourcent ; cette proposition deviendra un des pivots fondamentaux de lanalyse

    autrichienne concernant la thorie du crdit et des cycles conomiques(Huerta de Soto, 1998). Lanalyse de Luis de Molina et de Juan de Lugo estmoins rigoureuse et, donc, plus comprhensive lgard du systmebancaire de rserve fractionnaire ; quoique, comme le dit Dempsey, si cesauteurs avaient connu en dtail le fonctionnement et les implicationsthoriques du systme bancaire de rserve fractionnaire comme les

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    Il faut, cependant, souligner que Luis de Molina fut le premier thoricien signaler que les dpts et, en gnral, largent bancaire, quil appelle enlatin chirographis pecuniarum, fait partie, comme largent en espces, deloffre montaire. En effet, Molina exprima en 1597, bien avant Penningtonen 1826, lide essentielle que le volume total de transactions montaireseffectues dans une foire ne pourrait pas tre pay avec la quantit dargenten espces qui y change de mains, si ce ntait grce lutilisation delargent que crentles banques par les annotations de leurs dpts et par leschques que les dposants tirent sur eux. De sorte que lactivit financiredes banques a pour rsultat la cration, partir du nant, dune nouvellequantit dargent, sous forme de dpts, qui est utilise dans lestransactions (Molina, 1991 : 147).

    Enfin, le pre Juan de Mariana crivit un autre livre intitul Discurso sobrelas enfermedades de la compaa, publi titre posthume en 1625. Marianaapprofondit dans ce livre lanalyse nettement autrichienne concernantlimpossibilit pour un gouvernement dorganiser la socit civile aumoyen dordres coercitifs, et cela par manque dinformation. Il est en effetimpossible ltat dobtenir linformation ncessaire pour pouvoircoordonner ses ordres, et cest pourquoi son intervention tend crer le

    dsordre et le chaos. Ainsi, Mariana dit, propos du gouvernement, que cest une grande btise que laveugle veuille guider celui qui voit , et ilajoute que les gouvernants ne connaissent ni les personnes, ni les faits,tout au moins avec toutes leurs circonstances, dont dpend la russite. Il estforc que lon tombe dans de nombreuses erreurs, et graves, et que celamcontente les gens et quils mprisent un gouvernement aussi aveugle ;Mariana conclut que le pouvoir et le commandement sont fous , et que quand les lois sont beaucoup trop nombreuses, comme on ne peut pas

    obir toutes, ni mme les connatre, on nen respecte plus aucune (Mariana, 1768 : 151-155, 216).

    En somme, les scolastiques espagnols de notre Sicle dOr furent djcapables darticuler ce qui deviendrait par la suite les principes thoriquesles plus importants de lcole Autrichienne dconomie et plus

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    concept dynamique de la concurrence entendue comme un processus derivalit entre les vendeurs (Castillo de Bovadilla et Luis de Molina) ;cinquimement, la redcouverte du principe de la prfrence temporelle(Martn de Azpilcueta) ; siximement, le caractre de profonde distorsionexerce par linflation sur lconomie relle ; septimement, lanalysecritique du systme bancaire de rserve fractionnaire (Luis Saravia de laCalle et Martn de Azpilcueta) ; huitimement, la dcouverte que les dptsbancaires font partie de loffre montaire (Luis de Molina et Juan deLugo) ; neuvimement, limpossibilit dorganiser la socit au moyendordres coercitifs, cause du manque dinformation ncessaire pour lescoordonner (Juan de Mariana), et diximement, la tradition librale selonlaquelle toute intervention injustifie sur le march viole le droit naturel(Juan de Mariana).

    Il existe, par consque