de par m. qejclierÂt. membre...

18
9c,'2 L) SUR UN ANNEAU SIGILLAIRE DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE PAR M. QE'JClIERÂT. membre résiilaet. Extraii du XXJ'IIe volume de-s Mernoires de la Societé imperiale des Antiquaires de France.) L'année dernière M. Calixte de Tusseau, ama- teur d'antiquités domicilié à Moiré (Deux-Sè- vres), acheta d'un orfèvre d'Àirvault une bague d'or à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu d'un homme de la campagne. File avait été trouvée dans im champ où elle gisait à peu de profondeur, et sans accompagnement d'autres objets, comme un bijou qui aurait été perdu. Le lieu dela découverte touche au terrain sur lequel fit livrée, en 1569, la bataille (le Moncontour. M. de Tusseau, qui s'attache particulièrement à la recherche des vieilles poteries, n'avait jamais VU de bague à monogramme. Il montra la sienne à plusieurs personnes pour savoir à quelle épo- que elle se rapportait. Lorsqu'il eut acquis la cer- Document il il il il I III III il 1 I il il -' 0000005721689

Upload: others

Post on 14-Oct-2019

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

9c,'2 L)

SUR UN

ANNEAU SIGILLAIREDE

L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

PAR M. QE'JClIERÂT. membre résiilaet.

Extraii du XXJ'IIe volume de-s Mernoires de la Societé imperialedes Antiquaires de France.)

L'année dernière M. Calixte de Tusseau, ama-teur d'antiquités domicilié à Moiré (Deux-Sè-vres), acheta d'un orfèvre d'Àirvault une bagued'or à monogramme, que celui-ci tenait depuispeu d'un homme de la campagne. File avait ététrouvée dans im champ où elle gisait à peu deprofondeur, et sans accompagnement d'autresobjets, comme un bijou qui aurait été perdu. Lelieu dela découverte touche au terrain sur lequelfit livrée, en 1569, la bataille (le Moncontour.

M. de Tusseau, qui s'attache particulièrementà la recherche des vieilles poteries, n'avait jamaisVU de bague à monogramme. Il montra la sienneà plusieurs personnes pour savoir à quelle épo-que elle se rapportait. Lorsqu'il eut acquis la cer-

Document

il il il il I III III il 1 Iil il-'0000005721689

Page 2: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

SUR UN ANNEAU SIGILLAIRE

titude quelle était mérovingienne, il la céda àM. Benjamin Fillon. C'était ait moment mêmeoù cet habile antiquaire rétablissait, à l'aided'une riche sépulture mérovingienne découverteà Grues (Vendée), la véritable position del'insuia Cracuta , patrie du comte Leudaste .M. Fillon, ayant examiné avec attention le mo-nogramme de la bague, fut tellement surpris dusens qu'il y trouvait, qu'il m'envoya l'empreinte,satis me (lire quelle avait été sa lecture. 11 con-sulta de la même manière M. Redet, archivistedu département de la Vienne. M. Redet et moi,nous ne lûmes pas autre chose que M. Fillon.Le mot du monogramme était pour nous Rade-gondis.

Ce iiotn inscrit sur un bijou qui a tous les ca-ractères d'un ouvrage tin vie siècle, qui n'a puappartenir qu'à une personne d'un rang élevéqui venait de se retrouver en Poitou, ce nomdonnait aux conjectures une direction presqueforcée. Comment, en effet, ne pas songer sur-le-champ à sainte Radegonde? Sainte Radegondefut princesse et reine; après avoir été mariée auroi Clotaire elle se retira à Poitiers pour yfonder le monastère tic Sainte-Croix, et se vouerdans cette maison à la vie religieuse. La conve-nance y était: clone l'anneau lui avait appartenu.

4. Bulletin de la société des antiquaires de France, au-née 4863.

Page 3: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

Et s'il lui avait appartenu, il l'avait accompa-gnée dans le cercueil, conformément à un usageobservé dans les temps barbares. Il devenait alorsl'un des deux anneaux que Jean Bouchet raconteavoir été trouvés encore à leur place, lorsque leduc de Berry, oncle de Charles VI, fit ouvrir letombeau de sainte Radegonde, en 1412 1; il étaitcelui de ces deux anneaux dont le duc fut empê-ché de se saisir, parce que (toujours au témoi-gnage du même Jean Bouchet) le doigt auquel ilétait passé se replia. Nécessairement il avait étévolé en 1562, lorsque les protestants, maîtres dePoitiers, brûlèrent les reliques et firent main-basse sur les objets de prix. Retiré de terre prèsdu champ de bataille de Moncontour, c'est qu'ilétait une épave de cette bataille : quelqu'un l'a-vait perdu, soit en luttant pour défendre sa vie,soit en tombant blessé ou mort.

Tel est 1 enchaînernentqui m'avait séduit et quifut cause 1e j'acceptai (l'abord comme très-pro-bable l'attribution du bijou à sainte Radegonde.La discussion , ainsi qu'une étude plus attentivedes documents et des textes, ont changé depuislors ma manière de voir. De toutes les conjec-tures auxquelles je m'étais associé, il n'en est plus

1. L'Histoire et cronicque de Clotaire, premier de ce nom,,jje ro des François et monarque des Gaules, et de sa très-illustre espouse Madame saincte Radegonde, estraiete au erarde plusieurs cronicques antiques et modernes, fol. 88 (in—V,Poitiers, Engilbert Marnef, 152 7).

Page 4: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

' SUR UN ANNEAU S1GlLLPttK

une seule que j'oserais hasarder maintenant.Avant d'exposer le motif de mes doutes, il est né-cessaire que je donne connaissance du monu-ment.

La bague dont il s'agit consiste en un anneausur lequel est assujetti un châton de forme ronde.L'or est très-pur, et de cette belle couleur quele latin exprime par l'épithète de fulruïn. Le poidsest de 11 grammes 60 centigrammes, et les me-sures sont, pour le diamètre du chàton, 42 milli-mètres, pour celui (le l'anneau, 2 centimètres, etpour celui de la verge qui forme l'anneau, 3 mil-limètres. La verge est ouverte sous le chAton.Afin d'offrir plus de prise à la soudure, ses deuxbouts ont été fendus, aplatis et recourbés en de-hors comme les yeux de nos agrafes. En blason,on dirait qu'ils sont resercelés. Indépendammentde cela, il y a, aux deux extrémités de l'axe ho-rizontal du châton, trois pois assemblés en trian-gle, entre lesquels est passé un fil d'or grené quirevient par plusieurs tours s'enrouler sur la verge.

Le dessin ci-joint, qui représente l'objet VU

par dehors et par dedans, fera mieux com-

Page 5: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE. 5

prendre la disposition que je viens d'essayer dedécrire.

Le mode d'attache a cela de remarquable,qu'il réunit les deux systèmes employés pour lamonture d'autres bagues mérovingiennes q''l'on Connait.

Ainsi, sur la bague au monogramme J1gne-1111'arnnus, n° 2640 du Cabinet des antiques de labibliothèque impériale ' , on retrouve les troispois et le fil d'or qui assujettit le cb(iton h laverge; mais celle-ci n'est pas interrompue, elleforme un anneau plein.

La bague n° 2638, de la même collection, surle châton de laquelle est gravée une tète avec lesdeux initiales S. R, présente les pois au ck'itonet la verge interrompue avec ses deux bouts re-sercelds, sans qu'il y ait de fil d'attache 2, 11 en estde même pour le n° 2639, qui est un sou d'orarlésien au nom de Clotaire, monté en bague.

L'anneau de M. Fillon s'adapte donc parf'ai-

1. Chabouillet, Catalogue général et raisonné des carnéeset pierres gravées de la Bibi. Jmp., p. 389. Le dessin a étédonné par M. Combroitsc, puis par M. Le Blant, Inscriptionschrétiennes de la Gaule, t. I, fig. 137, et an dernier lieu parM. l'abbé Cochet, le Tombeau dc Chi ldéric378,

2. Chabouillct, Catalogue, etc., p . 389. Le dessin estdans l'Histoire de France, de MM. Bordier et Charton, t. I,p. 150, et dans le Tombeau de C/iildiric, de l'abbé Cochet,p. 379.

3. De Longpérier, catalogue Rousseau, n° 93.

Page 6: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

fi SUR UN ANNEAU SIGILLAIRE

ternent dans la série des bijoux mérovingiens.Comme ouvrage d'orfévrerie, il n'offre pas uneseule circonstance qui ne se justifie par desexemples. Le monogramme porte également aveclui tous les caractères d'une incontestable au-thenticité. Les lettres par leur forme annoncentle vt siècle. Elles sont assemblées sur les deuxmontants et sous le cintre d'une espèce d'arcade.C'est un mode de combinaison dont l'épigraphieet la numismatique fournissent un assez grandnombre d'exemples, particulièrement pour laGaule méridionale. 11 faut seulement remarquerque, tandis que (laits les monogrammes de cegenre qui ont déjà été signalés, le groupe est sur-monté d'une croisette, ici la croisette est placéetout au bas.

Les lettres ont été gravées dans leur positionnaturelle, de sorte qu'elles se présentent àI'enverssur l'empreinte. C'est le cas de la bague cheva-lière au monogramme que M. Cliabouillet lit lia-ricui/iis, n° 2642 (lu Cabinet de la bibliothèqueimpériale. Le nom liera, tracé eu toutes lettres,se présente (le la rnèmne manière sur l'anneau duchef barbare dont la sépulture fut trouvée il y aquelques années à Pouan, dans le départementde l'Aube.

1. Pcign-DeIacourt, Recherches sur le lieu de la batailled'Auila, pi. I, fig. 10; Cochet, le Tombeau de Childéric P',p. 378.

Page 7: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE. 7

Arrivons maintenant à la lecture.On ne peut pas contester la présence des let-

tres R, G, D, A, E, O. L'[ est au moins facultatif,s'il n'est pas imposé par l'élévation où se trouvela traverse inférieure de I'E sur le jambage à droitede l'arcade. UN et l'S font difficulté. Est-on au-torisé à admettre la présence de ces lettres?

Pour moi, qui lisais Radcgoiu/v, je trouvaisl'S dans la combinaison du D avec le trait figurédessous, et qui s'en rapproche tellement que,même à la loupe, il est impossible (le voir un in-tervalle entre les deux. M. Le Blaut, plis exercéque moi à la lecture des inscriptions barbares,objecte qu'un pareil trait, combiné avec la hasted'où il se détache, a ordinairement la valeur d'uneL, et que SOU extrême rapprochement d'uneautre lettre dans notre monogramme peut n'êtrequ'une faute du graveur.

Quant à EN, que je trouvais représentée parl'enveloppe du monogramme, notre docte con-frère y résiste de tout son pouvoir. Il invoque lemonogramme des iriens (le Lyon à l'effigie deJustinien et à la légende DE OFF'ICLA MARETI ,lequel monogramme présente la figuration del'N, indépendamment de son enveloppe eu formed'arcade, de sorte que celle-ci n'est p1s à comp-ter pour autre chose que pour un double sup-

1. B. FilIon, Lettres a M. Dagast-Me:ifaçi- su) plusica.rs,noflflaies francaises inédites, pi. I, fig. 14 et 45.

Page 8: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

SUR IN ANNEAU SIGILLAIRE

port réuni par une ligature. Les deux supportsservent pour compléter les lettres qui s'appuientdessus; la ligature n'a pas d'autre emploi que deconstituer le groupe.

Quoique les triens de Lyon n'aient pas encoreété déchiffrés, quoique certaines légendes moné-taires de l'époque mérovingienne fournissentdes N formées absolument comme l'enveloppedes monogrammes, cependant après avoir revuun certain nombre (le CCS monogrammes et sur-tout ceux des monnaies de la Septimanie, je nierends i l'observation de M. Le Blant. Je ne con-clus pas d'une manière absolue que le cintre desmonogrammes disposés comme l'est celui denotre bague n'a jamais de valeur; je (lis seule-ment qu'il Faut attendue, avant de lui en attri-buer une, qu'on produise tics monuments d'oùelle ressortira avec autant de probabilité qu'elleest exclue par les monuments déjà connus.

Arrivé l, je n'ai plus d'opinion arrêtée sur lesigne incertain dans lequel j'avais trouvé une S,car l'S me paraissait commandée surtout par laprésence de I'N. Il petit y avoir dedans 1), L aussibien que D, S, et peut-être faut -il y voir 1), L, S.Dès lors conviendraient indifféremment les lec-tures RADEGODIS, AREGOI)IS, RADEGOLDÎS,AREGOL1)IS, AREGOLDA, RADLGOLI)A, DRU-GESILA. Et comme le module de l'anneau peutavoir convenu à un homme aussi bien qu'à uneFemme, je ne disputerai 1a5 contre ceux qui

Page 9: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

croiront devoir lire un nom masculin terminéen o, comme EIIGADILO, ARDEGILO, voiremême GRDELO.

Voilà bien des concurrents suscités à sainteRadegonde, et je ne doute pas qu'en s'y prenantautrement que moi on ne lui en suscite d'autresencore. Je ne prétends cependant pas la mettretout à fait hors de concours. De plus hardis qùemoi se croiront peut-être autorisés à revendi-quer en sa faveur la lecture RADEGODIS. Maisce à quoi je suis d'opinion qu'il faut entièrementrenoncer, c'est à établir un rapport quelconqueentre notre bague, eût-elle appartenu à sainteRadegonde, et la bague qui resta dans le tombeaude Poitiers, après la visite racontée par JeanBouchet. On va voir pourquoi, si l'on veut bienme suivre clans l'histoire que je vais essayer defaire du corps de la bienheureuse reine.

Nous possédons de ses funérailles un récitétendu et véridique, car il est (le Grégoire deTours , qui fut présent à la cérémonie.

Sainte Radegonde avait élu sa sépulture dansla basilique de Sainte-Marie, fondée par elle-même hors des murs de Poitiers. Lorsqu'ellemourut, l'édifice n'était point achevé, par consé-quent le lieu n'avait pas encore reçu la consé-cration. L'évêque de Poitiers était absent; onappela Grégoire qui, vu l'urgence du cas et les

4. De gloria confessorum, cap. 106.

Page 10: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

10 SUR UN ANNEAU SIGILLAISE

instances de la multitude, s'acquitta d'une con-sécration partielle en bénissant un autel dans lacellule où devait reposer la défunte'. Je m'em-presse de dire que cette circonstance ne se rap-porte à aucune des parties de l'église actuelle deSainte-Radegonde, laquelle a succédé après cinqou six reconstructions, à la basilique primitive deSainte-Marie. La cellule dont parle le vieil his-torien doit être entendue d'une confession sem-blable à celles qu'on voit dans la plupart desanciennes églises de Rome.

La consécration terminée, on alla chercher lecorps. Celui-ci avait été embaumé et enfermédans un cerceuil de bois par les soins de l'ab-besse de Sainte-Croix. En cet état, il fut trouvébeaucoup trop petit pour la fosse qu'on avaitfaite immense. Il fallut aviser à un expédient. Onprit deux sarcophages à chacun desquels onabattit un de ses longs côtés, et on les appliqual'un contre l'autre par le côté abattu'. C'est dansl'auge de pierre qui résultait de cet arrangementque le cercueil fut déposé.

Ceci suffit déjà pOUF renverser l'hypothèse tantde fois émise, que le tombeau qu'on voit dansla crypte de Saiute-Radegonde serait celui où la

1. c Et sic ab illis injunctus, altare in cellula ipsa sa-cravi. »

2. « Fossa sepu1tura spatiosior erat, ita ut ablatis duorumsepiilebroruin singulis spondis, ac de latere juncta (lis.junctis), capsa cum sanctis artubus Iocaretur.

Page 11: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

DE L ' ÉPOQUE MÉROVINGIENNE. 11sainte a toujours reposé. Je reviendrai tout àl'heure sur ce tombeau. Tâchons de suivre lesfaits dans leur ordre chronologique.

La chose n'est pas facile. 11 y a des lacunesdémesurées dans l'histoire du monastère deSainte-Croix, et encore plus dans celle de l'égliseannexe de Sainte-Radegonde. Pour l'une commepour l'autre la notice du Gallia ciiristiana estmuette entre les années 600 et 814, 840 et 876.Or, ces époques sont précisément celles où seplacent les invasions des Sarrasins et des Nor-mands, qui furent si funestes pour les corps saintspartout où pénétrèrent ces barbares; et l'on saitqu'ils pénétrèrent à Poitiers.

De ce que le propre des offices de Sainte-Croix,au commencement du dix-septième siècle, neconsignait aucune translation des reliques de lafondatrice, Jean Filleau avait conclu que celles-ci n'avaient jamais été changées de place'. Ceraisonnement n'était pas rigoureux, car il pou-vait se faire qu'il y eût eu des translations dontla mémoire s'était perdue; il était même admis-sible que les souvenirs qui faisaient défaut àSainte-Croix eussent été conservés dans d'autreséglises. Les grands travaux dont l'hagiographiea été l'objet depuis Jean Filleau ont démontréqu'il en était ainsi. Les Bollandistes ont recueilli

t. Preuve historique des litanies de sainte Radegonde,P. 360.

Page 12: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

12 ÀNNEL(,iIrÀ1II

la mention de quatre translations marquées surdivers nécrologes ait et au 27 février, au7 juillet et au 24 octobre , . L'une des quatre eutlieu à l'abbaye de Quinçay, en Poitou. On ignorel'itinéraire (les autres. Je conjecturerais volon-tiers que la fuite fut poussée une fois jusque dansle Rouergue, car entre Poitiers et Rhodez onvoit s'étendre comme une file d'églises au 'voca-ble de sainte Radegonde'. Mais laissons-là lesconjectures. Ce qui est un fait certain, attestépar l'une des chroniques les plus digues de foi,c'est qu'en l'an 1001, lorsqu'on fit les fouillespour la fondation de la célèbre rotonde de Saint-Bénigne, à Dijon, on trouva dans un cercueil debois une toile cirée contenant des os qu'uneinscription gravée sur une feuille de plomb indi-quait être ceux de sainte Radegonde : wl hochaid longe reperta e.çl sancta Radegundis, habensad caput tituium sui nominis in lamina piUI//bea;cujus ossa cerato involuta linteo sunt inventa in

f. Acta senctorzun, t. III d'août, p. 6!i.2. Sainte-Radegonde (Charente-Inférieure, canton de

Saint-Porchaire); Sainte -Rade (Charente, canton deBaignes); Sainte-Radegonde (Gironde, arrond. de Libourne;Sainte-Radegonde (Dordogne, canton d'Issigeac); Sainte-Radegonde de Pépincs (Lot-et-Garonne, commune de Bonen-contre); Sainte-Radegonde-sur-Lot (Lot-et-Garonne, com-mune d'Aiguillon); Sainte-Radegonde (Lot-et-Garonne,commune de Villeneuve-sur-Lot); Sainte-Radegonde (Gers,commune de Saint-Larry); Sainte-Radegonde (Aveyron,canton de B..hodez).

Page 13: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

DE L'ÉPOQUE MEROVINGIENNE. 13

capsa lignea in terra reconclita 1, Or, c'est àSaint-Bénigne de Dijon que se célébrait la trans-lation du 7 juillet, consignée comme se rappor-tant à sainte Rwleçontie, reine; et plusieurséglises du diocèse d'Autun eurent des reliquesde la même sainte Radegonde, entre autres Vé-zelay qui possédait une touffe de ses cheveux'.

Quoi donc? Le corps ne serait-il pas revenude l'une de ses pérégrinations, et la ville de Poi-tiers aurait-elle adressé pendant plusieurs sièclesses hommages à des reliques qui n'étaient pointcelles qu'elle cro yait? Le savant jésuite qui arelevé le fait s'est abstenu de se prononcer. Il adit seulement : « Que les Poitevins produisentleurs preuves à l'encontre des Dijonnais'.

Eh bien, les Poitevins n'ont pas d'autres preu-ves à produire que leur tombeau, une inscriptionignorée des , Bollandistes, mais qui n'aurait pasdissipé leur incertitude s'ils l'avaient connue,enfin le récit de la. visite faite en 1412.

Le tombeau est un monument qui déroutel'archéologie. Par sa l'orme on peut le faireremonter jusqu'au huitième siècle; par le style

t. ('hro,zicon S. BeaiEni dipioneasis, dans le Spicilége deDachery, t. II, p. 383.

2. Acta Sa,UtOlUllI, J. C,3. Quod si Pictavenses his monumenhis non acquiescant.

ipsi antiquiora proférant et monacliis Divionensibus inten-tent litem, quam nos defectu certioris notitiae jam aliter(tecidere non possuinus.Acta sanctorum, 1. e.

Page 14: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

Iii SUR UN ANNEAU SIGILLAIRE

d'un bandeau sculpté qui décore sa base il seplacerait à l'époque romane

L'inscription, la voici. Elle est en deux pièces,grave'e sur la base (l'un pilier, dans l'église deSainte-Radegonde. Obstruée par des boiseries,elle fut découverte seulement en 1849, et pu-bliée par M. l'abbé Auber

ANIS MILLE DEI CARNIS BISSEXQVE PERACTISOMMEYS IGNOTA RAI)EGVNDIS SANCTA MANEBATSCROBIS IN ABSCONSO flMVIXS TEGEBATYR IN VMOAVLA SVO VENERABATVR DE NOtIINF. SANCTOABBATISSA S4CRIS SCRVTA1NS BEJJIARDIS

• KALENDARVM MARCH PATEFECBIPTAMQVE.... EItNIS 1-IONESTE F

LE BELIARDSS Tyro..... SERBERTVS REX DVXQVE PICTAV1S WIL

S APEX GISLEBEL'LTO REG ENTE E

Malgré le mot qui manque à la fin du derniervers de la première partie, malgré les nombreuseslacunes de la seconde, le sens ne saurait faire dedoute. Ou a voulu apprendre à la postérité queles restes de la sainte, enfouis dans la crypte deson église, où personne ne soupçonnait leur pré-sence, furent retrouvés au mois de février 1 01 2,

t. 'Soir le dessin donné par M. de Caumont, Bulletinmonumental, t. IX, P. 619.

2. Bulletin de la société des antiquaires de l'Ouest,56 série (18 1 9), p. 361 et 541.

Page 15: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

D

DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE, 15

à la suite d'une recherche exécutée par les ordresde Béliarde, abbesse de Sainte-Croix. Mais corn-ment peut-il se faire qu'à onze ans d'intervalle,le même corps ait été découvert de la même ma-nière à Dijon et à Poitiers? Avant qu'on possédâtlinscription , on pouvait à la rigueur accorderles choses, en supposant que par un dernierdéplacement les reliques, exhumées à Dijonen 1001, auraient été rapportées plus tard àPoitiers. L'inscription S'oppose à toute tenta-tive de conciliation. Il fàut absolument (luel'un des deux corps n'ait pas été celui de sainteRadegonde.

Quant au récit de la visite, il n'a d'instructifpour la question que la très-courte phrase danslaquelle Jean Bouchet décrit l'état du corps Etsi estoit entier, voylé, couronné et ses mainsjomctes. Entier! pouvait-il l'être après un sigrand nombre de ces voyages où l'on sait quel'hospitalité se payait par l'abandon de quelqueossement? Couronné ! aurait-on mis l'emblèmede la fausse grandeur sur la tête de celle qui n'a-vait recherché que la couronne céleste, dontl'application constante, pendant sa retraite, futd'eIfcer jusqu'au souvenir (le SOli origine; Polirqui l'humilité consista non-seulement à refuserle coin nianclement dans l'abbaye qu'elle avaitfondée, mais à s'y rendre la servante des ser-vantes?

Voilà ce qui m'apparaît d'un côté, et réfléchis-

Page 16: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

16 SUR UN ANNEAU SIGILLkIME

sant de l'autre que le roi Pépin d'Aquitaine futinhumé dans l'église de Sainte-Marie, que plusd'une reine mérovingienne put également yrecevoir la sépulture, j'appréhende une de cesconfusions qui furent si fréquentes lorsque, aprèsun siècle et demi de ruine et d'anéantissement,sous le sol des églises plusieurs fois détruites,rebâties à la hâte, dépouillées (le leur antiquesplendeur, des personnes enthousiastes cherchè-rent des patrons pour les autels qu'elles voulaientrelever.

Quoi qu'il en soit, la certitude, qui seule peutservir de base aux déductions historiques, tuait-que absolument ici. il n 'y u aucun parti à tirerpour la science de ce qui se trouvait dans le tom-beau de Poitiers avant la spoliation de 1 562.

La conclusion de tout ce qui précède sera queje mets sous les yeux du public une pièce pré-cieuse par la matière et par le travail, d'une es-pèce rare , d'une vénérable antiquité. Je saisquand elle a été trouvée, mais non pas quand etencore moins comment elle a été perdue. Je lisce qui est écrit dessus de plusieurs façons c'estdire que je ne le lis pas dit et que je le livre àla sagacité (le plus habiles. Si maintenant quel-qu'un est tenté de me reprocher, comme parle lepoéte, qu'après avoir mis sous le tour la ma-tière d'une jarre, il ne sort tic mes mains qu'uneécuelle, je répondrai que ce qui est un défaut enlittérature ne l'est pas en érudition; que la cri-

Page 17: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

il

DE L' ÉPOQUE MÉROVINGIENNE. 17

tique a précisément pour objet d'éliminer et deréduire, et que le résidu le Plus mince, lorsqu'ilest la vérité, vaut mieux que l'agrément d'unelongue histoire échafaudée sur de fausses Suppo-sitions.

Page 18: DE PAR M. QEJClIERÂT. membre résiilaet.bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/450590ca771029ce29a3257c81... · dor à monogramme, que celui-ci tenait depuis peu dun homme de

'V