de l'orthographe...

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DE L'ORTHOGRAP HE ritovjj içii LETTRE A M. ANSELME MATHIEU PAR DAMASE ARIIAIJD Correspondant du Ministère de l'instruction Publique pour les travaux historiques, etc. Grarnraatjcj cerlant. (110E ACE) AIX ACHILLE MAKAHIE, IMPRIMEUR -LIBRAIRE 2. ruu Pont-Moreau, 2 4805 r LftU[QUE Document - - fliiiiliiPiihiiili^ 0000005548200

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DE

L'ORTHOGRAPHEritovjj içii

LETTREA M. ANSELME MATHIEU

PAR DAMASE ARIIAIJD

Correspondant du Ministère de l'instruction Publiquepour les travaux historiques, etc.

Grarnraatjcj cerlant.(110E ACE)

AIXACHILLE MAKAHIE, IMPRIMEUR -LIBRAIRE

2. ruu Pont-Moreau, 2

4805

r LftU[QUEDocument --

fliiiiliiPiihiiili^0000005548200

Quand je publiai , il y a Rois ans, tes Chants

populaires de la Provence je crus devoir suivrel'orthographe adoptée pal les deux hommes qui

ont le plus profondément étudié la langue d'Oc,pal Raynouard et Ilonnorat. L'Almanach pro-vençal critiqua vertement cette détermination.Heureuse men t cette critique était accompagnée,pour mon travail lui-même, d'éloges capables de

satisfaire l'amour-propre le plus exigeant, et cettecirconstance, en dégageantdégageant ma personnalité, me

rendait nnriiberté toute entière; je pouvais dél'n-dre les vrais principes tic notre langue sans crain-

dre d'être accusé d'abriter derrière eux les rancu-

VI

nes d'un auteur sifflé. C'est ce que je fis dans l'in-

troduction du second volume de mon recueil. Je

tâchai de prouver que l'orthographe qu'on inc re-

prochait de n'avoir pas suivie , bien loin d'être

celle des troubadours était au contraire la néga-

lion absolue de cette dernière, et que l'orthogra-

plie étymologique était la seule chance restant à

la langue provencale pour reconstituer une unité(Ii puisse la sauver d'une dissolution prochaine,suite inévitable de cette intinih tic dialectes qu'uneorthographe phonéth1ue ne peut (lue multiplier en-core. L'Almanach de 1865, tout en ayuiil l'air defaire passer la réponse par dessus ma tête, repro-

duit, en les concentrant sous une forme aphoristi-

que,tous les arguments allégués jusqu'ici en Ihveurdes innovations dont il s'est fait l'aplre. Ce sont

ces arguments que j'essaie de réfuter de nouveau,

et pour que le lecteur soit à même de juger en

pleine connaissance de cause , je reproduis inté-

gruleinent, comme je l'avais fait la première fois,les observations de l'almanach. L'attaque a étécourtoise, la réponse sera lo yale. Je veux que mes

VII

honorables eonlradicteurs sachent bien que si j'a-

vais moins d'estime pour leurs oeuvres, je mettrais

moins de tena cité à déiendre contre eux ce que jecrois la vàrité.

Voici donc l'article de M. Anselme Mathieu

« VI. - Arrihen à-n-un omô eni qu'au pousqu'ent M. Damase Arhaud, de Manosco.

Dins la prefàci don segourni voulunie di Chanispo-puiaires de fa Provcwe que vôn de publica (Ais,kaire, 186) M. leu DÔutour Arljand, pèr justiflea sounourlougràfi , qu'avian atacado l'an passa , trato aquelomatèri lougarnen, e trovo forço à dire à la maniero foi-brenco. N'es pas eici leu ho de veni à discussioun bularge manco. Faren qu'uno Ôusservacioun à l'ounourablecounti'astaire.

Es eseri dins sa prefàci : Nous avons scrupuleuse-tuent suivi l'orthographe é!yniologique , celle du Lexi-que roman de Raynouard et du Dictionnaire de la lan-gue d'Or, d'Honnorat; pièi, - une hello provo qu'aquèusistèrno es inaplicable, e que fau se gibla davans la pwu-nounciacioun monderno, - M. D Ai baud, tout-de-longde soun libre, ernplego Po au ho de l'a dins li finale fe-menino, countrarimen à Raynouard, countrarizaon à ion-norat. Aro, un pichet eisômple.

» M. Ai-baud escriéu- Borgiero, se vouriat» m'amar,Auriou encar' uno boursoto.- Carde les moutons qu voudra,Eine bu salant 'au anar.

''Il

n E nautre aurian escli

- Bergiero, se voulias mania,Auriu encaro lino bourseto.- Garde li môuoun qu voudra,Ernd Ion galant vau ana.

n M. Arbaud escritu

Es tres heures passados,Cousin, [au s'embarquar,lA',em la piroulado,Aujourd'hui grand gala.

» E nautre aurian esci'iEs Ires miro passade,Cousin, (au s'embarra;Avèn la pieroulado,Au jour duel grand gala.

» Queto maniero es la plus gèiito, la mai Vertadiero, lamai poupulàri? Leitour, chausisse.

n VII. - Lou gros reproche que fan au Felibrige sicontro-disènt , bu pecatas irrernissible , es l'oumessioundis s dôu plurau ené dis r do l'infinitiéu. S'avian coupal'auriho de Moussu Ion Curat, aurian bessai pas tant ci-greja de coulèro.

» Eh bèn I vouls que vous diguen jierqué motèn gosd'r à Vinfinitiéu ! esc.outas : es per-ço-que

)) 1° Lou pople dÔU Miejour, e tout entié, nous dounoeisèmple, car, d'une mar à l'autre, prounôuncio canta,

brus-i, courre, e noun cantar, brusir. courrer.» 2o Li pu renouma trouhaire despidi 200 an , Gou-

douli, Saboly, Gros, Favre, Pelabon, Il. Motel, Thouron,

(1) Noutas hèn quIlonnoial dis d'cacriiuie embarrer.

IxLafare-Alais , Jasmin, Moquin-Tandon , Benedit, Gelu.Roumanille, Crousillat, Gaut, Mistral, Aubanel, etc., etc.,an rejita l'r.

» 3° Li diciounàri li pu vièi de nosto lengo , tau queDoujat, Sauvages, Pellas , e dins li mouderne , Abriéu,Couzinié, Azais, an peréu oumés aquéu viéi chichibèlli.

» io Li Latin escrivien mûri, palé, nasci, pasci, cou-me nautre fasèn mouri, pal!, naisse, paisse. . . E vou-

lés qu'escriguen mourir, naisser?o Enfin, li lrouvençau soun pas soulet d'avé alisea

si verbe counle acô, e Ii Valaque - que comton coumenautre au nouinbre di sêt pople rouman - an coumenautre escampa l'r de-long dén camin.

» VIII. - Venen à Us dôu pluran e voici li resounque nous l'an facho rebuta

» 1° Dins li cinq despartamen de la Pronvèno , Ionpople n'en fai ges senti , ro que rènd nosto lengo mai-que-mai couladisso.

» 2° La granmalico di troubadour espiico e autoi'isonosto prounouneiacioun,car l's éro autre-tèms signe dôusingulié, noun dôu plucau: « Lo noininatius singulars,» quan es masculis , vol s en la fi, cl' noPli?lûtiu$plo-

rais nol' vol (Donatz Proensals). » Es verai que, dinsde cas, courue à l'acusatiéu, l's rede'enié la marco déupinrau. e acé-d'aqui espiico la prounounciacioun de Leu-gadô et (le Gascoiigno , qu'es tant sihiarello. Aquésti angarda l'acusatiéu, e naulie bu noumiiiatiéu.

3° La p:ovo que l's, courne signe plurau, es pas n' y-

cite, e qui, leu sèns e lis article sutison pèr acé, es qu'l:ifiancés, couine en italian, i'a grand noumbre de mot in.

X

declinable tôuti li mot en as, ais, aix, eux, û, ois, os,oux, ours, etè. 7 coume repas, palais, faix, gueux ris,fois, dos, jaloux, cours, n'an pas bu niendre signe pèrla plu ralita... E tambèn passon

» !o La generalita dis escrivan de la Prouvènço, e dipoun li pu divers , an . dins aqueste siècle, segui aquelorèglo d'esperéli , ten)ouifl I3enedit e Gelu , de MarsihoGaut e Vidai, de-z-Ais, Pelahcjn e Thouron, de Toulon,Ciousillat, de Seloun , Rancher, de Niço , Ileyband , deCarpentras , Castil-Blaze, de Cavaioun , Roumanille , deS'-Etonmié , Adolphe Dumas , de Cabano , Mistral , deMainno Auhanèu Martin , Brunet , Cassan e Boudind'Avignoun , l'abat Aubert, d'Ar)e , l'abat Lambert, deWu-Caire Tavan, (le Gadagno Atitheman, de l'lsIo, laFelibresso (tau Cauloun , Roumieux e Bigot, de Nimes,Trusssy, de Lorgo, etc.

» 5° Enfin , pèr la gràci de Diéu e la voulounta dôuPople , li pouèto soun rèi dins la lengo qu'escrivon : coque fan es bên fa, co que dison dernoro.. ..... »

A MONSIEUR

ANSELME MATHIEU

MONSIEUR,

Je regrette que le plaisir de trouver un adversaireen contradiction avec lui-même vous ait empêchéde lire jusqu 'à la finla phrase que vous cilez dansl'Armana prouvençau de 1865. Un peu moins deprécipitation nous eût épargné, à vous une petitemalice qui croule d'elle-même faute de base, ù moil'obligation d'y répondre. Je rétablis dore mon lexiedans son intégrité, tel qu'on peut le lire à la page XL

(le l'introduction du premier olume (les Chantspopulaires de la Provence.'

(t) A. MLaiie, éditeur, Aix, 186.

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« Nous avons scrupuleusement sui' j I'orthogra-» plie étymologique, celle du Lexique roman de» Raynouard et du Dictionnaire de la langue dOc» d'Honnorat.Nous ne nous sommes permis qu'une» correction : nous aoiis remplacé par Po la ter-» mmaison a caractéristique des féminins ; et en» cela nous n Iuuoi ions pas, car cc changement re-» monte à la fin du xv tm ' siècle , et Nostradamus,

juge fort recevable, ainsi qu'il l'assure lui-mê-» me, disait au siècle suis ant : J'advertis en passant» le lecteur que tous les mots proençaux qui se» terminent en a se doient prononcer en o ainsi» que les François prononcent le mais u ri peu plus» ciuement et tout à plain.' »

Vous oyez donc , Monsieur , que ce uest pasl'impossibilité d'appliquer ce système à la pronon-ciation moderne qui m'a fait substituer l'o i l'a em-ployé dans les textes romans et dans les dictionnai-res sur lesquels je m'étayais. Les motifs qui m'ontdéterminé sont d'un autre nature, et sont «ailleursfort simples. U m'a semblé que pour établir un peud'ordre dans cc chaos (le dialectes qui sera toujoursl'apanage d'une laugue sans caractère officiel, il fal-lait remonter jusqnù lepoque où le roman, subis-sant une dernière lrarisfotmation , a'ait reêlu un

(I) C. NOLfl.1AMU5 lIisl. el ehron. de Provence,pag. i43.

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caractère distinct dans chaque proince du Midi,jusqu'au moment où le pro\ençal, le languedocien,le gascon, tous les rameaux enfin de la iieille lan-gue d'Oc, se détachant de la souche mère, avaientvécu de leur ie propre. Or à cette époque les ter-minaisons féminines axaient en Provence reêtu lalivrée de I'o qu'on rencontre déjà dans le LudusSancti Jacobi, dans Antonius Arena, dans les chan-sons du Carrateiron ; je me suis donc permis cettecorrection à l'orthographe de Raynouard et d'ion-norat, après en avoir toutefois, et bien m'en a pris,prudemment averti le lecteur. Ce changement estd'ailleurs bien moins profond que vous paraissez lecroire. Dans les mots féminins l'accent tonique por-tant sur la pénultième la oix s'éteignait forcémentsur la dernière voyelle, de telle sorte que cet a muet(c'est Raynouard qui l'appelle ainsi) sonnait peudifféremment de le muet français. J'ai, pour preuvede ce que j'avance , d'abord les paroles de Nostra-damus assez rapproché de l'époque où le change-ment eut lieu pour a'oir consené la tradition de laprononciation véritable; observez, je vous prie, queNostradamus ne dit pas que ces mots s'écrivent a-vec un o mais bien formellement que les mots quise terminent en a se doivent prononcer o, et enpratique quand il est dans le cas de citer des poé-sies romanes il écrit les féminins en a , la pronon-ciation étant pour lui indépendante de l'orthogra-

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phe 1 La prononciation du catalan moderne , celledes filles de la langue Lémnosine qui ressemble leplus à sa mère, vient de son côté appuyer ma thèse.Je me souiens que lorsque j'apprenais le catalanune des plus grandes difficultés que j'eus à sur-monter fut précisément ta prononciation sourde decet a muet ; et aujourd'hui encore, si je lis la chro-nique de Muutaner ou la Peregrinaciô del venlu-rés pe1egr, je me surprends quelquefois faisant re-tentir bruyamment ces terminaisons féminines qu'ilfaut étouffer. Enfin une preuve irréfutable que Fafinal était sourd c'est qu'il ne comptait pas dansle sers, alors qu'il le terminait ou qu'il était placéà la césure, et il est évident qu'on n'aurait pu pas-ser,sans cri tenir compte,une s y llabe plénisonna rite.J'aurais donc pu, sans m'éloigner de la véiité,écrireles féminins en a comme je les ai écrits en o, car ilimporte peu qu'on représente par une lei treou parune autre une syllabe muette, d'autant qu'ail fond

(I) Sur sa mort toutesfois (de Ravniond comte deToulouse) quelqu'vn fit vu certain eita1he qu'on luyattribue faict en langage (lu pays grandement conformeànostreprouenal quant à l'orthographe, mais non quantà l'accent. Car il approche plus du gascon , et le nostredu gavot des montaignes de Provence. ...En ce vieuxet gofl langage lequel nantmoiris pour estre naïf etvrayeinent prouenal antique, a tres-bonne grace sontla plus part des oeuvres de ces tant celebres et renommeztroubadours......... (C. NOSTBADAMUS , 01). cit. pag.485, D.)

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l'o ne rcpréenIc giire mieux que l'a l'ancien sonterminal des féminins.

Vous mettez en regard de deux Couplets de monrecueil les mêmes couplets écrits suivant Notre or-thographe particulière, puis sous vous écriez: Quetomanero es la plus gnto, la mai ver tadiero , lamai poupulàri? leitour , chausisse 1, - Scipionaccusé (le concussions devant le peuple assemblé,s'écria pour toute défense: Cito yens, je jure que j'aisauvé la République , montons au Capitole et ren-dons grâce aux dieux I Et les Romains convaincussui'.irent le vainqueur d'Anuibal. - Votre défensesemble un sou venir de ce mouvement oratoire ; jedoute seulement qu'elle ait le même succès. Je necontesterai pas la grâce à voire dialecte, et nie gar-derai d'entrer en lutte sur cc point ; je sais trop, etc'est une bien N ieille histoire , je sais trop que leprix de beauté ne fut jamais qu'une pomme de dis-corde, cl mon plus i if désir , cro yez- le bien Mon-sieur, et de nous Noir un jour d'accord ; la récon-

(4) Dans une petite note vous me reprochez d'avoirécrit embarquar au lieu tl'embarcar comme le veut Hon-norat. J'ai eu tort je l'avoue . et j'aurais dû me tenirmieux en garde contre l'hahitu]e d'écrire du français,mais avec un lieu plus de charité vous vous seriez aper-çu peut-être que j'avais écrit detarcar, tom. jer, p. 486,que j'avais écrit harco, tom. II, p. 74, et vous auriez pusupposer alors une simple inattention ou une coquilled'imprimerie.

- G

ciliation sera d'autant plus douce qu'il y aura eud'abord quelques tiraillements ; les fruits qui nais-sent aigres cl âpres sont ceux qui deviennent lesplus savoureux à leur m1uritd. Je vous accordedonc, comme première concession, que votre ma-nière décrire, ou plutôt de parler, est plus gôntoque la mienne. Mais est-elle la plus vraie , la pluspopulaire? Je suppose que par ces mots vous axezentendu qu'elle représentait mieux la langue par-lée. Ici je distingue: s il s'agit de Châteauneuf-Cal-ceruicr. conceclo; si par contre il est question de laPro'euce, nego, et je le prou\e.

M. Mistral, qui n fait déjà deux ou trois fois la to-pographie de la langue proençale, nous apprenddans l'avant-propos de la liresco que celle qi'ilécrit , que vous écris ez , chante sur les bords duRhône et dans le Languedoc oriental. Le Languedocétant ici hors de cause puisqu'il s'agit de la languede Provence, delaveu de l'auteur de Miréio,ire provençalprovcnal «est parlé que dans une étroite lan-gue de terre qui longe la rive gauche du Bhône.Tout le reste du pa y s , la Prouvenço levantescocomme il l'appelle, parte un autre langage. Or, jevous le demande à vous-même, la manière d'ortlio-graphier qui figurerait le (lualecte de l'arrondisse-ment d'Arles et de l'ancien comté (l'As igruon , carje vous prie de croire que je n'admets que de sim-ples distinctions administratives entre la Pro\ence

Il . _, w^ Ff

et le Comtat et vous liens pour un bon et loyal rio-vençal, serait-elle plus vraie, mai vertadiero, quecelle qui figurerait le parler du reste des Bouches-du-Itlrôtre, de la majeure pallie du département deTauluse,de tout celui des B.-Alpes,de tout. le Var,

d'une partie de la Drôme,des 11.-Alpes et des Alpes-Maritimesqui composent cette Provence leva ntesque?Vous le voyez le nombre est pour nous. Contentez-vous donc de la grâce pour caractériser votre ma-nière et laissez-nous la vérité et l'universalité. Jesais bien q 'e 7 1. MsiiaI a cherché à prouver riec'est sur les bords (lu Rhône seulement qu'on parlele vrai provençal. Ce n'est pas ici le lieu de discutercette question l'occasion se présentera probable-ment plus tard ; mais qu'il me soit permis de m'é-tonner qu'un esprit aussi élevé ait pu se Contenterde raisons aussi futiles , d'arguments aussi faibles,de citations aussi incornplèlcs.Triste effet du parti-pris Même sur les intelligences les mieux douées IIl y a bientôt trois siècles que César Nostradamus,bien que né non loin du Rhône, constatait que sonprovençal approchait du gavot des ?nontaignes deProvence; un témoin non suspect, M. Roumanille,affirme que la llannle-Pioence a plus fidèlementconservé les sieillcs traditions ; si donc le vrai liro-\eIlcal est quelque part , c'est chez nous, gavotsdes montaignes de Provence, qu'il faut venir lechercher. S'adresser ailleurs c'est vouloir rompre la

s —

chaîne de la tradition , c'est renoncer à se réclamerde l'exemple des troubadours,dont vous parliez forthaut jadis et que vous me semblez laisser volontiersdans l'ombre aujourd]iui. C'est sans doute pré-somption de ma part, mais je me figure que ma dis-sertation n'est peut-être pas complètement étran-gère à ce changement de front. Quoiqu'il en soitconstatons, d'ores et déjà, que vous nee condamnezpas Pr de l'infinitif au nom des troubadours, et quesi vous leur faites appel contre l's des pluriels, c'est'ur leur emprunter un fragment de phrase dont

us oubliez prudemment la moitié. Je ne suis pashomme de loi, Monsieur, mais je crois savoir qu'endroit l'aveu est indivisible. Or- c'est une espèce deprocès littéraire(lue nous instruisons ensemble, etil ne serait pas hors de propos, je crois, d'appliquerà nos citations cette maxime des jurisconsultes.Mais nous y reviendrons bientôt, quand nous aurons%W la question de l'r, et pesé la valeur des argu-ineuts que vous apportez dans la cause contre cevici chichibelli.

Un trait d'esprit , si piquant soit-il , ne fut ja-mais un argument ; aussi vous ne vous attendezpas, je l'espère, à me voir rechercher curieusementsi cette lettre termine avec grâce nos infinitifs , oui elle ncst qu'un misérable oripeau qu'ils traînent

grotesquement à leur suite pour ameuter les ga-mins. Là n'est pas ta question; et d'ailleurs, pour-

- --

quoi '.ons le dissimulerais-je , je suis de l'ai is deSgaitarelle et je préfère aux élégances , parfois oc-naines, d'une mode fantasque,

Un bon pourpoint bien long, et fermé comme il faut,Qui, pour bien dig&er, tienne l'estomac chaud.

Or une lettre qui dans l'écriture, privée de l'in toua-lion qui aide singulièrement l'intelligence de l'audi-teur, une lettre qui dans l'écriture sert à distinguerles mots de telle sorte que je ne puisse m'y trom-per, est l)OU1' moi ce bon pourpoint bien long quitient l'estomac chaud. J'ai une trop hante o1i.ioiide la rectitude de votre jugement pour supposer unseul instant que vous ne arlagcz pas mou a is surla haute utilité d'un pareil auxiliaire , et , dans cecas, il ne s'agit que de rechercher par quel procédaon peut arriver à différencier l'infinitif des autresmodes du serbe. Tous les peuples de langue roma-ne ont, à cet effet, adopté Ir des infinitifs latins;pourquoi abandonnerions-nous un moyen que nousaxons sous la main, qui est employé par toute no-tre race, pour courir après un autre chichi belli quine remplirait pas mieux le but, si tant est qu'il leremplit aussi bien. Cro yez-m'en , cher monsieur,ne courons pas après les noueaiités, et tenons-nous au bon pourpoint bien long (le nos aïeux.

Mais, ditcs-otis, bu pople dôu Miejour, e tout

(4) MoLuÙE, i'Ecole des maris, act. I, se. i.

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entié , nous douno eisimp1e , car , d'uno mar à.l'autro prounoéncio caii la, brusi, courre, e nouncantar, bru s ir, cou rrer. - Que celle lettre ne seprononce pas, je l'avoue .mais faut-il pour cela nepas Fécrire? la prononce-t-on da'.anlage en fran-çais? « Les personnes nées et nourries à Paris ets 'a la cour, dit Vaiigelas, ont accoustumé de pro-» noncer ces infinitifs , aller , prier , pleurer , ets leurs semblables, comme s'ils n'avoient point d'rs à la fin, et que l'a qui précède Fr fut un e mas-

culin, tout de roesme que l'on prononce le parti-cipe allé, prié, pleuré, etc., sans aucune diffé-

s rence , qui est la raye prononciation de ces sor-s tes d'infinitifs. 1 » Où est donc le mn aleur assezhardi pour biffer Fr des infinitifs français ? J'ai dé-jà fait voir que lestroubadours le prononçaient trèsdoux, fay petit so et suau, et cependant trou' e-t-on chez les troubadours un seul infinitif écrit sansr final. D'ailleurs pourquoi cet ostracisme , pour-quoi traiter celte lettre avec plus de rigueur quetant d'autres qui ont été conservées par vous bienque l'oreille ne les perçoive pas tlaantage?

(1) VAJGLAs, Remarques sur la langue françoise,pag. 318.

() Ainsi le t dans gent, catit, boulet, ainount, de!,filent, brut, vent, etc., et dans Uiis ces diminutifs dontte provençal est si riche, tentante! enfuntounet , tin-cenel, et dans les participes présents; ainsi le d dans

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Mais , ajoutez-vous , li pu renou.'na lroisba&redespièi îOO an, an rejita l'r, et vousaccompagnezcette ohser;ation d'une liste de poètes pro' ençauxet languedociens qui ont écrit leurs infinitifs sans r.Il y aurait bien à retrancher de votre litanie lesnoms de quelques lIo[uln)es qui n'ont abandonné cesigne qu'après avoir été enrôlés SOUS votre ban-nière , mais j'accepte l'objection telle que vous laposez et vous réponds avec Demosthènes e Ne» me dis pas que cela est souent arrisé, mais que» cela est bien. QLoed'alltres aient violé les lois; que» tu aies suis j leur exemple; qu'importe Cc n'est»pas là une raison pour t'absoudre , c'en est une» au contraire pour te punir, car si quelques-uns» de ceux-là aaicnt été punis, tu n'aurais pas faits rendre ce décret ; (le même si tu es puni aujour-s d'hni personne ne sera tenté de t'imiter. » Lespoètes (lIC \OIIS citez sont-ils d'ailleurs des modèlesà suii re pour l'orthographe; plusieurs d'entre euxn'ont-ils pas dans leurs préfaces fait fi de toute rè-gle giaïnmaticale,et accepteriez-sons complètementleur manière d'écrire le pro ençal ? Ou leur oriho-

grand. dans ped, dans .tjou)id: ainsi l's dans teins,dans biais, dans ftis . dans sus, darans - dins, mens;ainsi le g dans long, te e dans inase, etc., et tant (l'autre»exemples qu'on pourrait recueillir facilement dans quel-ques pages (le votre écOle, ne se prononcent pas plus queIr des infinitifs, et cependant vous les écrivez.

- -

graphe était la bonne et alors pourquoi ces innova-tions qui déroutent les provençaux eux-mêmes etles font se plaindre qu'on leur ait changé leur lan-gue cii nourrice; ou elle est sujette à corrections etalors pourquoi ne pas la corriger dans un des pointsles plus défectueux, dans celui qui brouille et cou-fond les temps et les modes du verbe, l'infinitif, leparticipe, le prétérit

Quand sur une personne on prétend se régler,C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressewbler.1

Li latin escrivien mon, pati, nasci, pasci, cou-me neutre fasèn : ninuri, pati , naisse , paisse....e voulès qu'escri9uen mourir, naisser? - L'argu-ment m'était connu je l'avais vii poindre dans uneautre circonstance , mais , je vous le dis en toutefranchise , il a Fallu que je le Nisse reproduire pourcroire qu'on l'aait avancé sérieusement , car il estaussi débile que les exemples sont malheureuse-ment choisis. Débarrassons-nous d'abord de ceux-ci, nous discuterons l'antre ensuite.

Si la langue latine disait mon, elle avait égale-ment la forme naonini , et 0v ide, entre autres, a é-cr11 cupidusque n?onini 2 . Je ne sais si on trouvepatine dans les auteurs latins, mais je sais que Nœ-

(I) Moiiru, Femmnes savantes, act. r, se. u.(2) Metain., lib. xiv, y . 215

I j

vins employé ce serbe avec la forme active popu-.lus pat itur, tu palias modo 1, et qu'une ancienneloi rapporté par Cicéron portait : doceri à magis-tratibus przvatisque patiunlo . Je reiendraibientôt sur nasci. Quant à pasci , il est très-vraiqu'on rencontre parfois cette furme, niais ce qui esttrès-vrai aussi c'est que la forme acti'e , pascereest bien plus usitée in spiendidissimis canistrisoluscu lis nos soles pascere 3 . Ati jus Nav jus quicum propter paupertatem sues puer pasceret 4.

Pteri des vitulatn leclori pascite vos fro.Egi. iii, V. 84).

Tilyre....... pasce capellas.(Viio., Egi. i. y . O).

.... . Spes pascis inanes.(Vnw., iî'Eneid. x, y . 67).

Solatusjussi( sapien 1cm pascere barbam.(HoR., Sa., lib. n, sat. 3, V. 35).

Pavit ovispra(um.(Ovin., Fast., lib.i, Agnaia, y 66).

Vous inc trouerez bien pédant, je le crains; maisaussi pourquoi m'obliger à me rasseoir sur les bancsdu collège? enfin je m'efforcerai d'être bref.

(4) Nvtus, apuil L)ionwd.. lib. i, pag. 395.() Cie., De leqe, lib ni, Cap '.(3) Cie., Ad Allicuni, lit) vi, epist. I(!) Cie., De divin., lib. t, cap. 17.

- 1; -

L'argument , disais-je , n'est pas sérieux. Quiignore en effet que la forme régulière de l'infinitiflatin est la teroinaison re qui a fourni Pr à tous lesinfinitifs des langues romanes. La voix passive n'esten réalité qu'une déri; ation de l'actif, et toits sestemps sont tirés de celui-ci. Quant aux serbes dé-ponents , sur lesquels sous paraissez faire fond ceSont, comme leur nom l'indique, des erbes qui a-aient déposé la terminaison acti e , qu'ils a' aient

primi1iement , pour prendre celle du passif; maisla transformation n'a pas été radicale au point deleur faire perdre Ioule trace de lent origine : le pa-pillon laisse encore deviner la chenille. Ainsi leursupin est en CM, irnitatum , leur participe présenten NS, imitans , leur participe futur en CRUS, inzi-taturus, exactement comme dans l'actif, et si duverbe nasci,que sous citez, on ne connaissait quielesupin natum ou le participe nascitciriis , très-cer-tainement on aurait fait la conjugaison acti' e nas-cere, nasco. D'ailleurs la forme primitie de beau-coup de ces verbes se retrotne encore dans les bonsauteurs : ainsi Sénèque a munerare inani melance rnuneras ',et mi-are: miratit digna ; O idese sert de sacrificare, ig acun sacrificate suem 3;

(4) SEN., epist. 119.()In., epist. 9.(3) Ovin., FaM., lib. iv cerealia, y . 26.

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Jiivenal emploie piqnerare : et loenam pigneratAtreus 1, et Tertrilien dit: qui nos wscel carne '.Or ces verbes et tant dautres,qne je pourrais citersi je n'axais promis d'être bref, ne sont-ils pas au-jourd'hui des verbes déponents? Une autre preuvede l'origine de ces verbes, c'est qu'un grand nom-bre d'entre-eux sont ce que les grammairiens ro-mains appelaient verba co?nlnunia, c'est à direpou\ant être emploés comme actifs et comme pas-sifs en faisant varier le régime; ainsi on troueutor te et utor à te pour je me sers de toi , tu lesers de moi, consolor te et consolor à te, pour jete console et je suis consolé par toi. Virgile, le purVirgile, n 'a-t-il pas (lit

Conjugio Ànchisa Veneris dig4ate superbo(Eneid., in, y . 475).

et Plante:Nam postquam meus rex est potitus ho ,qf ium.

(Cap!., j , 1, V. 24).

employant l'un et l'autre , comme d'ailleurs on letrouve dans Cicéron, dans Salluste, et ailleurs, desverbes déponents avec la signification passive.

La forme primitie (le ces infinitifs était la lermi-naisori cru er. Sans remonter ii la Loi des xn tables,sans fouiller dans le fumier d'Ennius , on la trouve

(t) jur., Sai., vii, V. 73.(2) TERT., Dejejun., cap. 5.

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habituellement employée par les comiques qui,comme vous le savez très-bien, sont un trésor pré-cieux du langage vulgaire. Ainsi Plante a dit dansla Casina:

Eos eo condimento unononutier, omniusquodprœstet(Act, ri, se 3, y , 4).

et Térence dans le Heaztonlimoru7nenos

quam me faW suspiearier.(Act ii. se . 3, V. 7)•

et un peu plus bas dans la même scène

Nam disciplina est eisdetn munerariermeulas primum,

Ce n'est pas qu'on rie trouve quelquefois cetteforme même dans les poètes les plus châtiés. Vir-gile par exemple nous fournit

turni defendier hospitis armis.(.Eneid., viii, V. 493).

HoraceVi,icta verbenis aret immolato

Spargier agno.(iv. (3d., ).

Et ne vous souient-il pas d'avoir vu dans ce Ca-tulle , qui vous inspire trop bien pour que vous nele connaissiez pas à fond

Alqui nec divis hommes componier rqmim est.('Car. LxVIiI, V. 164).

Mais pourquoi ces verbes avaient-ils changé leurforme? Par un de ces caprices de l'usage que les

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grecs appelaient anomalia, contre lesquels les bonsesprits se raidissaient , et contre lesquels le fameuxAristarque a ait écrit six livres. Un passage de Var-ron en fournit à la fois et l'exemple et la preu'.c.« Le passif sentior ne se dit pas ce mot n'aurait» aucun sens; cependant tout le monde dit assen-

tior. Sisenna, en donnant son a IS dans le Sénat,» disait seul assent le. Beaucoup d'antres après luio employèrent la même forme , mais sans pouvoir» triompher (le l'usage.I

Les infinitifs en j n'étaient donc qu'un accident,qu'une anomalie, dans la langue latine; et de bon-ne foi peut-on faire reposer toute une orthographesur un accident , baser une langic sur une anoma-lie? et la preuve que lr des infinitifs était dans legénie du latin , c'est que toutes les langues qui endérivent l'ont religieusement conservé quand ellesl'ont rencontré, et l'ont rétabli dans les verbes quele bel usage en avait privés; que les italiens, pourne pas sortir des exemples que vous avez choisis,

(1) AUL. GEL, Noci. allic., n, 25Cependant, comme pour une foule d'autres déponents,

la forme active ne fut pas entièrement oubliée. On latrouve dans Plaute:

MOi quoque ad8unt testeaQui illud quodd ego dicim assentiant.

Anph., oct. u, sc. t, V. 192).On la retrouve encore dans Quinte-Curce

Omnes ferme Pormenioni assentiehant.(Lib. 1V. cap. 13).

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disent: morire, patire, nascere, pascere; que lesespagnols disent : morir.padcscer, nacer, pczcer;que les troubadours disaient morir, putir, nas-cer, pascer;et vous le savez: consensus omnium...Mais je me trompe peut-être dans ce concert vousavez entendu une note discordante , et bien vitevous vous en saisissez pour rions l'opposer: ii prou.vençau soun pas soulet d'avé alisca si verbe coît-me acà, e li vainque an counze nantre escanipal'r de-long dàu carnin, ici je confesse mon insuffi-sance. Je ne sais du alaque que les dix-neuf motsqui sont à la dernière page de la grammaire com-parée ('E-g r, et ce bagage, bien quun peu l)lusriche que ccliii de Figaro pour l'anglais, est, il m'encoûte peu (le l'avouer, toril à fait insuffisant pourdiscuter le fond d'une langue. Cependant je tenaisà savoir ce que vaut cette autorité ; je me suis doncadressé à plus expert que moi , j'ai ouert Ra y

-nouard, qui assure avoir fait un examen approfondides éléments caractéristiques de idiome alaq ne,et j'y ai lu, comme vous pouez le lire otis-même:

Pour déterminer si cet idiome mérite d'ètre eomp-» té parmi les langues de l'Europe latine , il faut» reconnaître que , formé par la corruption (le la» langue latine dans le; pays de lFnrope orien-

tale où des colonies romaines s'étaient établies,» il doit être examiné à la fois cl dans ses rapports» et dans ses dissemblances avec la languie romane

19

» fennec par la flI(jfle cause dans l'occident de» l'Europe.

Les rapports sont intimes ; r.is n1SsEaRLAN-

» CES SONT EXTRÊMES.

» Voici les principaux rapports.....» 6 La réduction des verbes en trois conju-

» gaisons ARE, EHE, 18E. ii

Raynouard aurait-il, par llasar(l, ramassé Fr é-garée sur la route par la langue valarpie , ou bienauriez-Tous pris par inadertarice , le présent del'indicatif pour celui de Finfinitif? Je l'ignore, maisj'ose vous demander la permission de vous observerque laisser dédaigneusement la France, l'italie,l'Espagne qui nous entourent , la Catalogne qui afidèlement consers é la langue de nos pères, pourcourir jusqu'à Bucharest chercher des autorités,c'est demander bien loin ce qu'on a à sa porte; etcette langue valaque, partie des bords du Tilii e pourse fixer, à lembouchure du Danube , laissant auxbuissons du chemin l'a' de ses infinitifs et bien d'au-tres choses encore, me rappelle malgré moi ces versde Régnier des Ma rosE sur ce même

Dariube inconstant,Qui tantôt catholique et tantôt protestant,Sort Rome et Luther de sou onde,

(1) Cho ir (/f,, poéirs or/gineles dus !roIil?adovrs,tom. vi,ixi ct suiv.

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Et qui, comptant après pour rienLe Romain, le Luthérien,Finit sa course vagabondePar n'être pas même chrétien,itareinent à courir le mondeOn devient plus homme de bien.l

Vous condamnez , Monsieur , l's des pluriels surles mêmes motifs qui sous ont fait proscrire Fr desinfinitifs , vous ne trouerez donc pas étonnant queje les défende l'un et l'autre a'.ec les mêmes argu-ments. Ma réponse eu sera peut-être monotone;mais ce n'est pas à moi que peut en incomber laresponsabilité. Je dois vous suivre pas à pas, parlantje ne suis pas maître de mon terrain.

Dans les cinq départements de la Provence, dites-vous, le peuple ne fait pas sentir Ps des pluriels.-Contrel'r (les infinitifs vous appeliez à votre aide lepeuple du Midi tout entier, de l'une à l'autre met-

-P

ici sous bornez votre ambition , et pour cause , cardu Rhône à l'Océan le peuple fait siffler ses Plu-riels et je sais même plus d'un canton de la Pro-vence où la prononciation est enlachée du mêmedéfaut 2. Or si la langue provençale , telle que sous

(t) R,GN. DES MAR., Voyage de Munick.(2) 11 est bien entendu qu'il s'agit seulement ici du

cas où le pluriel est suivi d'une consonne, car lorsqu'ilprécède une voyelle la liaison révèle t's qui est pronon-cée partout et que vous êtes bien forcé d'écrire ators:

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l'entendez est celle de tout le Midi, nous avons en-core le nombre pour nous que si au contraire elledoit se renfermer, comme je le crois, dans les limi-tes de l'ancien comté de Provence, que vaut l'argu-ment à l'aide duquel vous croyez triompher de nosinfinitifs ? Si Goudonli , si Jasmin , si Moquiii-Tan-don , si tant d'autres sont pour vous des jurés pro-bes ci libres quand ils condamnent Fr, pourquoi lesrécuseriez-vous comme suspects quand ils acquit-tent ls ? Convenez , entre nous , que cc serait unemanière commode d'argumenter. Le hasard fait-ilque d'autres sont d'accord avec vous, ville vous mon-trez triomphalement ce concours comme une preu-ve irréfragable que sous êtes dans le vrai. Sont-ilsd'un ais contraire? Mais c'est là, vous écriez-vous,ce qui constitue notre personnalité, cc qui fait notresupériorité, ce qui rend notre langue mai que maicouladisso - e sempre bene. - Oiseau ou sourisselon que VOUS tombez sous la griffe de l'une oul'autre belette , ramassant des exemples de toutemain, exagérant outre mesure l'importance de ceuxqui 'sous apuyen t, repoussant dédaigneusement du

Lis estello do Diéu dins Li cèu trosanirOn.....Pertout mounto passô l'ange dis cnfa,itOufl.

(IIOUM., 318).E tùuti aquéli grands aubrage.

(M(rèio, 8).Chut! mi bons ami.....

(Id., 10).

- -

pied ceux qui 'iennent à Noire encontre, rudoyantceux-ci , caressant ceux-là , et faisant toujours fu-mer, l'encens de',aut les mêmes idoles , ous voustenez debout sur ce terrain mou' aol de l'ubiquitépar un incroab1e prodige d'équilibre instable.

Mais de bonne foi , ne feriez-vous pas de vosexemples comme de Nos citations ? Tenez, vous re-produisez une phrase , que dis-je? un tronçon dephrase dit Donatz proensals, et il se troue que,pat inad i ertance, s ans oubliez tout juste les quatremois qui sous condamnent. Voyez plutôt la norni-natius singulars , quan es masculis , vol s en lafi, cl' nominatius plzruls nol' vol. 'Voilà ce quevous éctis ez; or oici la phrase entière Nomzna-tius singulars, quan es masculis vol s en la fi, E

1.1 ALTIIE CAS O \'OLEN ; el florninati?4S plural:non Vol, E TUT LI AITRE CAS LO VOIEN AL PLURAL.

Ait du petit commentaire qui suit sotre citationet qui tend à réduire Vs des pluriels à un rôle fortmodeste , n était-il pas plus simple de reproduireintégralement la phrase, laissant an lecteur, si l'es-pace dont sous disposiez était tellement restreintqu'il ne Pût comporter l'un et l'autre ,.laissant aulecteur le soin de faire la glose lui-même? As iez-vous donc besoin de cet espace pour promulguercette décons crIe que le Languedoc cl la Gascogneont gardé la flexion de l'accusatif et la Piosencecelle du nominatif? Mais en ôtes-Nous bien certain?

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Ce serait, sur ma foi, un fait curieux, une exceptionremarquable, car pour tintes les autres langues ro-manes ce sont généralement les cas obliques qui ontprévalu dans la formation du langage moderne.Examinons donc ensemble comment s'est conduitle provençal.

Si nous n'ai ions pour nous décider que les motsqui allongeaient leur régime singulier ,j'avoue quela solution serait difficile et que pour moi la ques-tion resterait en suspens. Mais heureusement la lan-gue romane avait des substantifs qui distinguaientpar des flexions leurs cas directs de leurs cas obli-ques. Ainsi /zorns était le sujet et home le régime;coms et comte, bar et baron, sor et sorre faic etfalco, etc., étaient dans le même cas. Or il est évi-dent que c'est loujours la flexion régime qui a étécoriser ée par le pros ençal moderne; pourquoi pourles autres substantifs aurait-on choisi la forme no-minative ? 1 Mais pourquoi, direz- ous à iotre tour,a-t-on préféré la forme des cas obliques? Je l'igno-re; je me borne à constater des faits salis en souderles causes , trop instinctives , trop intimes souvent

(1) tI est vrai quee pour les noms en aire cire, quifesaient le cas oblique en ado,, c'est souvent la premièrefoi-me (liii a persisté; mais il y a eu une raison d'eupho-nie devant laquelle toute autre considération a dé s'in-cliner. Dans beaucoup de cas aussi les deux formes ontété conservées.

-

pour étre n précies à la distance qui nous séparedes temps ou la langue s'est formée. Peut-être est-ce parce que les cas régimes sont plus fréquents etque l'oreille qui les entendait plus souvent s'étaitmieux familiarisée aec eux. Ainsi il est certainque le roman axait pris pour théine de ses noms lescas obliques latins et le t qui termine une foule deses mots veritat, vertut, fedeltat, font, dent,giflant, libertat, aret, etc., n'a pas d'autre origi-ne. Le provençal en agit de même quand il se déga-gea du roman. Or celui-ci a'vait au singulier une sau nominatif et point d's au régime, au pluriel auContraire l'absence (le Vs indiquait le sujet, sa pré .

-sence le cas oblique, et le provençal, comme le fran-çais, avant adopté celte dernière forme rie dut pointmeure d's au singulier et cii caractériser an con-traire ses pluriels. Cest ce qui arri\a en effet , etC'est tour cela que nous,qui croyons que la seule or-thographe rationelleest Forthographeétymologque,nous con Linuons n en armer prudemment nos plurielspour éviter autant que possible les amphibohgies.

En vain , assurerez-vous , que les articles et lesens suffisent pour distinguer les nombres. - Lesarticles et quand ils manquent, comme aux voca-tifs? le sens I Mais n'est-ce p pour le rendre clairque tes langues ont créé leurs flexions qu'elles ontimaginé les modes, les temps, les personnes des 'ver-bes? Et nOUS irions de gaîté de coeur, pour écono-

- -

miser des s, nous irions nous priver du secours né-cessaire d'un signe distinctif des nombres I

Coustiero bluio de Font-vièio,E vous, colo bausseisco, e vous, piano de Cran,

N'avs pu vist de tan poulido! I

Pourriez-vous me dire,s'il sous plait,eri vous aidantde tout ce que vous voudrez excepté de la traduc-tion, si ce sont là des pluriels ou des singuliers?Faut-il donc vous rappeler encore cette belle deisedont le maréchal Caslellane axait hérité des Adlié-mar

May d'hounonr que d'hounours.

et qui écrite avec votre orthographe,aprôs les titresdont fut honoré le maréchal, deient une sanglanteépigramme? Pourquoi chercher au loin des exem-ples quand vous m'en fournissez sous-même deconvaincants. Sur la coner1nre de votre almanachje Vois: LOL' TAMBOUR [N, istàri de l'estrumen prou-vençau..... ÊR NtCIOONAU DE PROUVÈNCO ...... Qui,sur celte annonce mensongère, soupçonnerait quele livre de M. 'Vidai contient plus de soixante airsproençaux, et qui ne croirait plutôt qu ' il a conser-vé un chant national, quelque God save proven-çal. Ajoutez deux s, toute équioque disparaît, et

(1) Côte bleue de Fontvieille, et vous collines bans-sen que, et vous, plaines de Crau, vous n'en avez plus vud'aussi belle (Mirio. pag. 11 ).

26 -

l'amateur, qu'une seule mélodie n'aurait rias tentépeut-être, affriandé par (es pluriels achète le l'arn-bourin de M. Vidil.

Il est bien rai qu'il y a en français des mots in-déclinables; c'est là une exception, fâcheuse commetoute exception, mais qui o sa raison d'être et qu'onne saurait généraliser pour on faire l'orthographede toute une langue.. Le plus souvent cette s dusingulier est étymologique et le fiançais a préférébroncher à sa règl' générale, plutôt que de romprela filiation de ses flots. Ainsi, pour m'en tenir auxexemples ((ne vous citez, dans repas ne voyez-vouspas te pastus latin d'où il dérive: faix ne vous rap-pelle-t-il pas fascis qui lui a donné naissance ; risest-il loin de risus, et cours de cursus; l'espagnolVCZ ne réèle-t-i1 pas que fois 'dent de vices parle changement si commun du y en f '/ Le grecnous a donné jaloux, et dos, qu'on écrisait quel-quefois dors, est tiré sans aucun doute possible dedorsum '. Reste donc palais. Mais je ne crainspas de reconnaître que dans certains mots françaisl's n'a d'autre raison plausible que la conservation

(1) L'ancien fiançais avait le verbe dorser , romprele dos. V. Due.ang., v ft edorsare. Le roman disait indif-fronim'nt dors et dos, comme les latins dorsiim et dos-sum. - Ad quam rein habeni juuu'nla dossuaria(VARRON, De re ruslicd, lib. II, cap. t O).

- -

exceptionnelle de la forme nominative. « Us duD sujet singulier, dit M. Littré, na laissé que peu» de traces ; on la reconnaît dans fils, bras, doux,» legs, lacs , et sans doute dans quelques antres,» tous mots où elle «aurait aucune raison ('être,» si elle n'y a'.ait été amenée en qualité d'affixe; iln n'y a dans filius, brach.zum, dulcis, legatum,» laqueus, rien qui la justifierait.' » Ainsi ls dansle français , quand ele n'est pas étymologique estune pure exception qui ne saurait rien prouver dansl'espèce, comme on dit au palais. Une langue ne jail-lit pas toute armée du cerveau humain; elle se forme peu à peu des débris de ses devancières; destendances générales , instinctives , inexplicables leplus souvent, comme tout ce qui tient à l'esprit hu-main, amènent les modifications graduelles qu'ellesubit, mais celles-ci ne sont jamais tellement ab-solues ou tellement radicales que l'oeil attentif nedécouvre encore quelque vestige de l'état ancien,témoignage précieux du point de départ et du che-min parcouru.

Pus heureuse que I'r des infinitifs, l's des plu-riels n'a Contre elle que les poètes de ce siècle ; etcombien encore pourrait-elle en compter dans son

(4) LITTRÉ, Hist. de la langue française, toni. i,pag. 453.

camp: Diouloufel, Desanat, Bellol, Morel, Bougrain,Truchet, Dauphin, Bousquet, etc., etc ...... Maisje ne veux pas me départir de la marche que j'aisuivie jusqu'ici. Une justice que vous devez me ren-dre c'est que je n'ai pas cherché à amoindrir vos ar-guments, à éluder vos exemples, et pour cette foisencore je m'en tiendrai aux noms que ious mefournissez. Mais d'abord sur vingt-six loèIes quevous citez, vingt-deux apparlienneni ou ont appar-tenu à votre société, et vous me permettrez, j'es-père, de les récuser puisque c'est eux ou leur écoleque je discute en ce moment. Je crois pou cir misfaire observer toutefois que parmi ceux-ci tous n'o-béissent pas aveuglément au mot d'ordre, et queplus d'un , quand on ne I'obcen e pas , laisse fiirli-vement glisser une lettre proscrite au bout (leses pluriels. Ainsi M. Gaut par exemple , dans leRournavagi deis troubaireS , non seulement écritl's pour son compte, mais il a SOlfl (le la reflij)la-cer par une apostrophe quand il édite les oeuvres decertains poètesqiii l'ont supprimée pour larirne 1.L'honorable M. Thouron, à qui ses hautes études àl'école normale ont rendu toutes ces questions fa-milières et que j'accepterai volontiers pour arbitre,l'honorable M. Thoim ron se laisse patiemment 'cour-ter dans vos almanachs, mais quand il imprime lui-

(1) J-B. Gkur, Rouniat'agi deis (rou?iaires, p. iiv -

- -

même ses scènes provençales si pleines de mtturelet de vérité , bien vite il re\ient aux saines doctri-nes. J'ai là sur ma table une brochure que M. Thou-ron lui-même a bien ouIn m'adresser et qui estdonc, si je puis ainsi parler, l'édition officielle; orj'y lis dès la première ligne : GounseouS d'unpaire a soun flou su bu mariagè. Pastouralo envers prouvençaouS.,. et l'orthographe continue surle même mode, sauf les licences sur lesquelles jevais bientôt m'expliquer 1 Comparez cette publi-cation aec la même pièce imprimée dans l'al-manach de 4861 et qui est là intitulée Counseùd'un paire a soun flieù et sous me direz si c'estavec raison que VOUS ai ez compté M. Thouron par-mi les adversaires du signe distinctif des pluriels.M. Victor Celu est trop énergique et trop irai pourne pas être d'une entière franchise; or écoutez-lelui-même « Mes héros sont marseillais avant» tout. Ils ne pensent point en français pour s'ex-i primer en provençal. Ils parlent le patois (le Mar-

seule et non la langue, si langue il y n , telle» qu'elle doit s'écrire. Leur dialecte est celui (les» rues, des quais et (les halles. Il n'a rien à démê-.» lev ni avec le dictionnaire de l'académie ni aec» la grammaire provençale.....Si, en dépit des pu-

(1) Une pastorale el un dialogue en vers proven-çaux, Toulon, E. Aurel, 186, in-8°.

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s ristes, j'ai, dans plusieurs passages de mes coin-» positions, sauté à pieds joints sur, toutes les règles» de la grammaire , de la prosodie et de lorlhogra-» plie proençale, c'est que l'étude m'a appris que» tel terme ci telle pbrase de l'idiome local , écrits» suivant la règle, perdaient la moitié de leur 'a-» leur, ou ne signifiaient plus rien,' » En bonneconscience peut-on, dons une discussion gramma-ticale, demander des exemples à u u homme qui se-coue aussi résolument toutes les règles de la gram-maire? Je viens de relire Chichois, ce maudit EN requ'on ne saurait plus quitter quand on a eu le mal-lieur de l'ouvrir ; je l'ai donc lu depuis misererejusqu 'à vitulos, et au milieu d'une grande incubé-rence apparente sur la manière d'écrire les pluriels,je crois pouvoir affirmer que dans la pensée de M.Bén&lit ils prennent l's '2; seulement il use large—

(I) VICTOR Gi.0 , Chansons provençales et fran-çaises,pag. II, édit. do 1840.

() En voici quelques exemples pris au hasard dansl'édition de 1853:

Es onsin que pica lecs hommé?Leis hommes si picoun pa' ensui.

(Pag. 43).Oou mittan tloou cicsaccrd

Et deY disr.usntans sens' ega(osDe flOUOStcL'ï 0i15505 Jlroui'eflralo$.

(Pag. 18).Vous sis, dcsuna dépé, dei mensPer nogua quatre cara,05n8.

(Pag. 149).Noun dhrria douna' un eoou de ruanPer vira aquelci earaman.

(Pag. 154).

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ment de la licence poétique qui permet de la sup-primer quand elle gène la rime ou l'élision, licenceadmise en français pour certains mots, licence très-commune dans Molière et dans Coriicille, et dontRacine et Boileau ne se sont pas fait scrupule d'u-ser 1 . Celte licence je l'admets très-volontiers ; jecrois, comme Voltaire , que les poètes , tant gênésd'ailleurs, peuent aoir la liberté d'ôter une smais il y a loin de celte liberté à la prétention d'é-riger en principe absolu cette suppression d'ii:i si-gne distinctif, et M. Bértédit, comme vous le N ovez,

s'est bien gardé d'obéir à une pareille règle. Envoilà donc encore un qu'il faut rayer de vos papiers,et sous restez seuls avec M. Trussy, le réaliste parexcellence, le logicien inflexible ((lii ayant répudiél'orthographe étmologique n'hésite pas à écrire:céladire', quardouro , dooutrés , vangilo, liméro,péhi.

Faut-il vous dire toute ma pensée sur cette sup-pression de l's des pluriels? Votre dialecte plus

(t) Et vire, ui sornnws-iwus? et qu'est-ce que je voi ?(CORN., Le rid, aCE iii, se. 4).

Dites-hui ,eti1eewnt que je rienDe la part de monsieur Tartifle puai' sen bien.

(MOL., Tartuffe, act. V, Sc. 4,Vizir, songez à vous, je vous en averti.

(H,ciN, .uajaet, art. il , se. 3).'tantôt, cherchant ia fin d'un vers que je eonsfrui.

BOil EAU, EJ)it. vi).

4

- 3 22 -

qu'aucun autre conserve encore des flexions pourdifférencier les nombres; de là cette illusion qu'unsigne distinctif n'était pas nécessaire. D'un autrecôté votre réforme orthographique faite par des poè-tes a été naturellement faite pour eux , et ils sesont , de bonne foi, donné des facilités qu'ils pou-aient plus légitimement I t'eus er ailleurs. Et la

preuve, c'est que votre école supprime, conserve,ajoute à volonté des lettres et des sllabes pour lesbesoins de la rime et de la mesure. Ainsi ce qui n'é-tait qu'une licence sous l'avez érigé en règle , desfacilités qu'on aurait toléré pour ne las gêner votreinspiration, vous en aez fait une loi cine sous avezvoulu nous imposer; vous avez été exclusifs, noussommes des cous exigeants ; chacun s'est retirédans son for alors qu'il eût été facile de s'entendreen se faisant mutuellement des concessions raison-nables, et notre pausre langue maternelle, tirailléepar les uns , bousculée par les autres, surchargéepar ceux-ci , mutilée par ceux-là , martyrisée partous, en pâtit misérablement comme si la force deschoses ne suffisait pas pour la faire mourir assezvite. Quand je considère ce qui se passe dans cettelutte, qui n'a que trop duré pour ne procéder qued'un malentendu , quand je réfléchis à ce que rionsfaisons lotis , il me semble soir les filles de Péliascoupant leur vieux père cri morceaux dans l'espoirde le rajeunir et ne trousant enfin au fond de leur

--ne école, Monsieur ; faire des réformes lentes, pro-gressics , en rapport aec le génie des peuples etl'esprit du temps, et non des ré olulions. Si d'ail-leurs les poètes faisaient la langue, pourquoi leuraccorder des licences, des immunités , pour des for-mes qui sortant de leur moule doivent de cuir la loide tous:

Quicquid delirant reges, plectuntnr Achivi,1

Dans la république des lettres, pour emprunter moiaussi au jargon politique une de ses formules lesplus creuses, dans la république des lettres les poè-tes règnent et ne gon\erncnt las.

Où donc est le poète qui a, je lie dis pas créé, maissC(ilCIflClit fi lé sa langue? Entendez-vous dans lapoé.ie d'Homère les vagissements d'une lingue au

contre lequel je défends Jasmin aurait quelque fondement si on se bornait à voir ses premiers essais maisqu 'on compare à la première édition du (]haliôari et deNous senbrnjs l'édition (le 4860, et l'oit verra quel clic-main avait fait l'auteur dans la restauration dosa langue,avec quel amour il avait travaillé à l'épurer avec quelsoin il l'avait débarrassée de tous ces mots hybrides quele framiais y avait infusé , et alors on regrettera peut-être ce reproche injuste adressé dans un e'eôs (le zéle,au poète le plus chàtié , le plus délicat , le plus heureuxdans l'expression, à celui qui mûrissait le plus ses (eu-vies, et (l ui fut toujours sévère pour ltes Que Dieu gar-de donc ses poésies tic l'éditeur intelligent que (]emafldeN. Brunet et qui enrichirait le poète •qascon de l'idiomeavignonais t

(1) IL0RAT., Episl.. lili. m, ep. 2.

I

r

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berceau , et croyez-vous que le latin de César, deCicéron, deVarrori soit moins pur, moins élégant,moins riche, moins correct que celui de Virgile,d'Horace ou de votre Calulle? Je vous entends d'icimurmurer le plus grand nom du moyen-âge , lenom du Dante. Quand l'objclion serait juste, sachezbien que n'est pas Dante qui veut ; et qu'il ne fautpas, généralisant comme vous le faites, transporterce privilège d'un génie extraordinaire , poète , pro-salent' on guerrier , s'imposant par sa force seule,au moindre petit puclLreau alignant de boiteux hé-misiiclies, ou affublant quelques niais substantifsd'épithètes turgescentes. Mais dans le Dante il fautdistinguer deux hommes : l'auteur du traité Devulgari eloquentid, et le poète de la Divine comé-die. Avant lui la muse ne parlait que latin; il voulutse servir de la langue du peuple pour faire connaitresa Béatrix ait monde, pour en parler surloutaux fem-mes, seules capables (le comprendre les choses d'a-matir,

Donne, ch'avele inlellello d'amnore.De profondes études, de longs et consciencieux tra-vaux l'initièrent à cette langue vulgaire qu'il renditsi précise et si sculpturale. Mais cc ne fut que quandle laborieux tra ail du grammairien fut fini, que lepoète le mit en oetnro, et si le glorieux éclat de ce-lui-ci cache le grammairien à nos yeux éblouis, sonoeuvre n'est pas moins réelle et n'a pas moins pré-cédé l'autrequ'ellea Préparée en larendant possible.

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Je connais un poète qui a cru pouvoir faire sa lan-gue, c'est Ronsard. II puise à pleines mains ausources gI'CC(lUeS et latines; il emprunte aux diverspatois tous les mots qui répondent à l'expressionde sa pensée, à la délicatesse de son oreille, ou à lacontexture mécanique de son vers; il demande auxsciences, aux di erses professions, des mots techni-ques , des vocables spéciaux qu'il enchâsse habile-ment dans ses périodes et il finit par arriser à unlangage bariolé, pédant., sans consistance inintelli-gible pour quiconque n'est pas initié, pour qui n'ap-partient las à ces sept compagnons qu'il a groupéautour (le son soleil , constellation brillant dans ceciel de fantaisie, et qu'il dénomma poétiquement Lapleïadc. Connaissez-vous un poète qui ait été ad-miré, adulé, idolâtré comme le fut Ronsard? Char-les IX lui adresse de beaux vers, plus beaux mêmeque ceux du poète; Marie Stuart dit do sa pri-son lui en soie un Parnasse d'ar gent sur lequel elleinscrit A l'Apollo de la source des muses; Mon-taigne déclare sans hésiter la poésie française arri-vée à sa perfection ; Pasquiei' assure que oc les jeu-» nes gens, sitôt qu'ils s'étaient frottés à sa robe,

ils se faisaient accroire d'être de enus Poètes : »de Thon retarde sa naissance de six mois pour lefaire naître le jour du désastre de Paic, Dieu don-nant à la Franco son plus grand poète en compensa-tion du u si grand malheur ; Le Tasse ient à Parislui soumettre sa ,Férusa!en délivrée ; couronné

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aux jeux floraux , les mainleneurs de Toulouse aulieu de la modeste églantine lui enoienL une Mi-nerve en argent massif; la langue qu'a'. aient parléVillon, les deux Marot, Cal'.in, Amyot, fait silencepour l'écouter chante. ...... Et de tout cet enthou-siasme, de tout ce bruit (lue reste-t-il aujourd'hui?Trois vers de Boileau

Mais sa muse, en français, parlant grec et latinVit dans l'âge suivant par un retour grotesqueTomber de ses grands mots le faste pdantcsque.1

et ce n'est pourtant pas le génie qui manquait àRonsard ; ce rie sont pas la grâce et les tours heu-reux qui font défaut dans ses poésies. Mais une lan-gue n'est pas l'oeuvre d'un homme et d'un jour. Unmot s'acclimate plus difficilement encore qu'uneplante il o besoin pour prendre racine (le tNm etdes conditions de climat, de moeurs, d'institutionsqui lui con'. iennenl ; sans elles la fleur d'aujour-d'hui sera fumier demain.

Mais il est une région que hantent les pottes, lé-gion siiblime,inaccessible au profane vulgaire 2 , et

(4) BolIEÀU. Art Poétique, eh. s.La plupart des détails hde ce portrait de Housard sont

empruntés textuellement à l'Histoire de la lillératurefrançaise de Demogeot.

()OU profan'im ..dgus , et(lloRT., u,, Od. r;'.

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que sort et SCS applaudissements peuventseuls atteindre là règnez en maîtres ; gon't erriezsouverainement, nous n'y contredirons pas qIi'im-porte par quel chemin vous arricz à noire âmepourvu que vous la pénétriez tic l'émotion qui vousinspire , pourvu que vous lui fassiez partager l'en-thousiasme qui vous transporte. Que votre pensées'incarne dans une forme limpide et belle, que voscadences s'enchaînent avec harmonie , que vos ri-mes sonnent mélodieusement à nos oreilles , et,censeurs méticuleux, nous n'irons pas demander siquelque malencontreuse consonne, que la pronon-ciation absorbe, aurait dû empêcher une élision quifait votre période harmonieuse ; si des lettres, quela raison nous oblige décrire alors même que l'a-veilla ne les perçoit p, rendent illégitimes vos ri-mes les mieux consortnantes si la rencontre boit-reuse de deux voyelles qui, glissant l'une sur l'an-tre rendent votre vers doux et coulant, est condam-iiée par une règle austère. Ces règles ne dérivantpas de la nature même des choses ne sauraient êtredes lois immuables ; elles sont plutôt des indica-tions, des conseils pour les novices , des exemples,des modèles pour ceux qui n'ont pas le sentiment del'harmonie ; mais ceux-ci ne seront jamais poètespourquoi donc en avoir cure. Puisque la poésie a desailes, laissons-la prendre son essor librement etsans enlrates ; mais qu'à sort tour, quoique la meil-leure part lui soit échue et qu'elle, comme

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Marie, s'asseoir en extase aux pieds du Saueur,qu'à son tour elle ne regarde pas avec dédain Mar-the obligée par devoir de se livrer tonte entière auxsoins prosaïques de la maison.'

Voilà, Monsieur, le terrain de la conciliation, voilànotre radeau de Tilsitt; déjà je vous l'ai indiqué unepremière fois, permettez-moi de vous le montrer u-ne fois encore, permettez-moi de saluer cette terrepromise où nous nous embrasserons cordialementun jour; jour fortuné que j'appelle de mes ceuxles plus ardents parce qu'il consolidera l'oeuvrecommune en reliant en faisceau toutes les forces i i-ves du pays. Le grammairien doit avoir son heure,vous en convenez pourquoi donc n'accomplirait-ilpas sa tache en même temps que le poète fait sonoeu ro ? Croyez-vous qu'il sait juste , qu'il soit rai-sonnable de le réduire au rôle passif d'un tabellionenregistrant, sans contrôle, les volontés d'autrui ?Si la poésie a ses exigences, la grammaire a sa lo-gique ; ne les siihalteunisons pas l'une à l'autre.Que le poète ne voie dans les règles du grammairienqu'un frein qui, s'il modère son ardeur, sert aussià diriger sa marche ; que celui-ci ne fasse pas deses prescriptions une définition dogmatique qu'ilcomprenne que sa syntaxe doit être une eneloppeélastique maintenant la langue sans gêner son éo-

(4) Luc , x, 39 et suiv.

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lulion ; qu'on sache en siii mot qu'il nédicle pasdes lois, mais qu'il fixe une jurisprudence.

Quand vous allez vous promener sur les bords duRhône avez-vous remarqué quelquefois les caillou qu'il entraîne et qui jonchent ses boi'ds.Lorsqu'ilsfurent arrachés (le la montagne ils étaient rudes,grossiers, anguleux ; le frottement les a arrondis,rendus lisses et doux au toucher. Ainsi de nous; audébut rions étions intolérants, exclusifs; la discus-sion, en nous apprenant à nous connaître, a émoussénos angles, nous a rendus conciliants, raisonnables,accomodants ; au début nous nous regardions pres-que avec, menace , et le moment ne me semble pasloin où nous nous dirons d'une voix amie allons autravail ensemble cl donnons-nous la main.

Dans cet espoir, je eus prie d'agréer,

Monsieur,

l'expression de mes sentiments liés-distingués.

DAMASE ARBÀUD,

Manosque, le $ décembre 1864.