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PATRICK CRISPINI : DE L’HARMONIE [HARMONICES MUNDI] © TRANSARTIS PRODUCTIONS - décembre 2015 (© DUINO PRODUCTIONS - septembre 2009) 1 De l’harmonie... par Patrick Crispini chef d’orchestre, compositeur, pédagogue texte extrait de la brochure opusBook : LA VIBRATION ORIGINELLE voir aussi : La vibration originelle Sons et couleurs, des noces inachevées : intégralité de l’article paru dans la revue Terrain N°53

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  • PATRICK CRISPINI : DE LHARMONIE [HARMONICES MUNDI]

    TRANSARTIS PRODUCTIONS - dcembre 2015 ( DUINO PRODUCTIONS - septembre 2009)

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    De lharmonie...

    par Patrick Crispini chef dorchestre, compositeur, pdagogue

    texte extrait de la brochure opusBook : LA VIBRATION ORIGINELLE

    voir aussi : La vibration originelle Sons et couleurs, des noces inacheves :

    intgralit de larticle paru dans la revue Terrain N53

    https://sites.google.com/site/transartisprod/conferences-opus-bookshttps://sites.google.com/site/patrickcrispini/la-vibration-originelle-ou-la-lyre-cosmiquehttp://terrain.revues.org/13768

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    Jai lu dans Platon que nomos (la loi) signifiait aussi mlodie. Anton Webern

    Chaque art son langage propre, cest--dire des moyens qui nappartiennent qu lui, mais les moyens sont identiques puisquils travaillent au mme but : affirmer lme humaine travers un processus spirituel indfinissable, et pourtant dtermin (vibration).

    Vassily Kandinsky, De la composition scnique , LAlmanach du Blaue Reiter, Paris, Klincksieck, 1981, p.249

    Il doit tre clair que les gestes, les couleurs et la lumire ont t traits ici pareillement des sons : quavec eux de la musique a t faite. Qu partir de valeurs de lumire et de tons de couleur particuliers, on peut pour ainsi dire construire des figures et des formes semblables aux formes, aux figures et aux motifs de la musique.

    Vassily Kandinsky, Schoenberg/Kandinsky : correspondance , Contrechamps, n2, avril 1994, Lausanne, LAge dHomme, p.87-88

    Le rythme respiratoire doit correspondre autant que possible au rythme de lacte mme de dessiner.

    Kupka, La Cration dans les arts plastiques, Paris, Cercle dart, 1989, p.171.

    Rduire les contradictions existant entre la vue et le son, entre le monde que lon voit et celui que lon entend ! Les ramener lunit, et un rapport harmonieux ! Quel travail passionnant !

    Serguei Eisenstein

    Toutes les choses visibles se distinguent ou se rendent dsirable par la couleur.

    Jean-Baptiste Colbert, Instruction gnral pour la teinture

    Pythagore coutait l'harmonie de l'univers, car il percevait l'harmonie universelle des sphres & des astres dont les mouvements sont rgls sur elle, alors que nous ne sommes pas capables, nous, de l'entendre, cause de l'troitesse de nos facults.

    Porphyre, Vie pythagorique, 30.

    Des hommes clairs ont, avec des cordes ou des accents humains, imit ces harmonies et, par l, mrit que ce lieu cleste o nous sommes se rouvrt pour eux, comme pour les grands esprits qui, dans une vie humaine, se sont appliqus l'tude des choses divines. Remplies comme elles le sont du bruit de l'univers, vos oreilles se sont assourdies [] Quant la musique produite par la rvolution rapide du systme du monde, le bruit mme en est tel que les oreilles humaines sont incapables de l'entendre, tout de mme que vous ne pouvez regarder le soleil en face et que ses rayons triomphent de votre acuit visuelle et de vos sens.

    Cicron, De la Rpublique, livre VI. 18.

    La terre chante MI-FA-MI afin que tu conjectures, partir des syllabes, que la dtresse et la faim prvalent en ce notre domicile. MIseria FAmes.

    Johannes Kepler, Harmonices Mundi, V. 6.

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    Oui, je le crois, quand je t'coute, L'harmonie est l'me des cieux....

    L'antiquit l'a dit, et souvent son gnie Entendit dans la nuit leur lointaine harmonie.

    Lamartine, Harmonies potiques et religieuses

    Ce n'est pas tout fait exact que la musique adoucit les murs. Je crois mme que l'harmonie, un peu en excs, amne l'homme le mieux constitu un tat d'hbtude et de gtisme tout fait foltre.

    Alphonse Allais

    L'hymne ternel couvrait tout le globe inond, Le monde, envelopp dans cette symphonie,

    Comme il vogue dans l'air, voguait dans l'harmonie. Et pensif, j'coutais ces harpes de l'ther,

    Perdu dans cette voix comme dans une mer.

    Victor Hugo, Feuilles d'automne

    Lharmonie provient toujours des contraires ; elle est en effet lunit dun mlange de plusieurs et la pense unique de pensant spars.

    Philolaos, disciple de Pythagore.

    .

    '

    Ce qui s'oppose sassemble, et de ce qui diffre nat la plus belle harmonie, et la

    discorde qui engendre toutes choses. Hraclite, Fragments, VIII

    Johannes Kepler, modle dunivers partir des cinq polydres rguliers de Platon, in Mysterium Cosmographicum, 1596

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    De lharmonie... par Patrick Crispini

    chef dorchestre, compositeur, pdagogue

    Prambule Durant toute ma vie j'ai pratiqu et enseign cette discipline de la musique que l'on appelle : l'harmonie. On s'y occupe particulirement de lorganisation verticale de l'criture musicale, de lenchanement des accords, des cadences, en complment du contrepoint, pratique qui sintresse plus spcifiquement la conduite horizontale des lignes mlodiques [] Au diapason de mes matres, qui me transmirent ces connaissances avec amour et conviction, mais d'une manire parfois un peu mcanique, abstraite, j'ai mis toute mon nergie nourrir l'imagination cratrice de mes jeunes lves avec ces vieilles rgles, qui pouvaient leur sembler surannes, sans vraiment mesurer quel point les mots et formules de cette matire rsonnaient, au-del de la grammaire musicale et du lexique, l'chelle de dimensions infiniment plus essentielles - cosmiques - en lien avec les canons de lunivers et les principes les plus fondamentaux contenus dans la matire vivante. Il m'a fallu une vie entire de musicien pour pouvoir peu peu librer la sve mtaphysique des consignes et des carcans thoriques, et transmettre mes tudiants la certitude que la pratique musicale, auquel ils envisagent de confier leur destin professionnel, est bien un ART SUPRME, un ssame pour faire de leur tre une caisse de rsonance de l'univers... Dsormais, avec chaque nouvel tudiant qui me consulte, je m'efforce trs vite d'veiller en lui une curiosit propre l'usage bien compris de ce mot harmonie, de cette science, plus que musicale : sur une feuille de papier musique, ce ne sont pas seulement des notes, des lignes mlodiques, des rythmes, des structures qui s'assemblent, c'est une philosophie, une mtaphysique qui s'organise, une architecture invisible, un savoir vibratoire immmorial... Tenter de le mieux comprendre est un bonheur partager : mais le ressentir, travers le chant, l'instrument, la partition musicale, lue de l'intrieur, est une grce vivre !

    Un lexique divin Les mots harmonie, accord, dissonance, consonance, ne sont pas lis par hasard au lexique musical : considre ds l'gypte antique et l'cole pythagoricienne en Grce au VIe sicle avant notre re comme la transcription vibratoire des nombres dans le cosmos - les nombres eux-mmes portant les proportions de lordre universel - la musique est une architecture invisible de lunivers. Accorder, c'est remplir l'intervalle entre deux termes, deux tres ou deux choses. Consonner, pour les Anciens, veut dire demeurer dans lordre divin de lharmonie et du nombre. Dissoner, par opposition, cest installer une discordance, une instabilit, qui va ncessiter un rajustement, ce que lon appelle en harmonie une rsolution . Dans rsolution, on trouve les syllabes R, SOL, UT, qui sont trois notes de la gamme.

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    LHymne de saint Jean-Baptiste

    Ce nest pas par hasard. Le mot alchimique RESOLUTIO, qui dsigne le mystre fondamental de la nature, savoir la dissolution des lments dans la mort pour leur reconstitution ultrieure dans un autre ordre, tait connu des initis aux mystres sacrs, et de beaucoup de religieux rudits. Cest ainsi quun simple chant, remis entre des mains avises, peut contenir lui seul la cosmogonie secrte dun message li lharmonie divine, que lon appelle lHarmonie des sphres. En revanche, pour des oreilles non averties, il devient une simple mlodie agrable, sans plus. En outre, lev la juste frquence sous les votes dun difice capable den propager les rsonances, il peut manifester de faon transparente le message cach.

    Prenons lexemple, de lhymne Ut queant laxis du moine Paul Diacre, ami de Charlemagne, not au VIIIe sicle et consacr saint Jean-Baptiste, dont les premires syllabes forment ce qui deviendra au XIIIe sicle la premire gamme musicale occidentale :

    Ut queant laxis (do) resonare fibris. (r) Mira gestorum (mi) famuli tuorum. (fa) Solve polluti (sol) labii reatum. (la) Sancte Johannes (si)

    que lon peut traduire ainsi :

    Afin que vos serviteurs puissent chanter pleine voix les merveilles de vos uvres, purifiez leurs lvres souilles, saint Jean . Que le Baptiste soit porteur du message nest pas non plus fortuit : il est le rcepteur et tmoin de la lumire divine . En mme temps que lusage de signes musicaux, ou neumes, nots en campo aperto (sans ligne), on trouve ds le VIIIe sicle, notamment Metz ou Saint-Gall, les premires tentatives de notation sur des portes d'une, puis deux, puis trois lignes, par les chanoines en charge du chant liturgique, afin daider les moines copistes conserver des proportions verticales dans leur graphie. Mais cest le moine bndictin italien Guido d'Arezzo (vers 975-vers 1040), qui introduit une quatrime ligne et met au point un moyen mnmotechnique, la main guidonienne , pour reprsenter les notes : tous les degrs de l'chelle musicale y sont assimilables aux jointures et aux phalanges des cinq doigts de la main gauche ouverte.

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    Cette mthode permet aussi de donner des indications aux chanteurs pendant loffice, tout en conservant le silence. Pour son enseignement Guido complte son systme par lusage dune lettre clef (claves) qui indique la valeur d'intonation, qu'il appelle gamma, d'o le nom de gamme .

    Ci-dessus une main guidonienne, daprs Guido D'Arezzo. Oxford University, Bodleian Library , MS Canon. Liturg. 216. f.168 b recto

    Auparavant les notes taient dsignes par les premires lettres de l'alphabet. Guido se sert dsormais des syllabes initiales de chaque vers de lhymne Saint-Jean-Baptiste (UT-RE-MI-FA-SOL-LA), le si tant ajout par Anselme de Flandres la fin du XVIe sicle et l'ut, jug trop dur l'oreille, transform en do par Bononcini en 1673. Quant l'origine du mot solfge, elle proviendra des notes sol-fa. La porte de Guido, tendue cinq lignes, va se gnraliser trs vite dans le monde chrtien et devenir la base du systme de notation musicale occidentale...

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    Si lon coute maintenant lhymne lui-mme on saperoit que la syllabe SOL, qui en latin signifie soleil , est la proportion du nombre dor dans la continuit du chant, avec sa lettre centrale O. Cette lettre est la transcription latine de la lettre grecque omga, dernire lettre de l'alphabet ; jointe la premire lettre alpha (que le Moyen ge orthographie couramment alfa), elle contient la dfinition que Dieu se donne lui-mme dans l'Apocalypse :

    Je suis l'alpha et l'omga . Dans l'hymne, SOL est encadr par les deux syllabes FA et LA, qui, lues en convergence vers l'omga du SOL, forment prcisment le mot ALFA. La syllabe prcdente MI runit les deux lettres M et I qui, dans la numrotation alphabtique latine, reprsentent le plus grand nombre transcriptible (M, mille) et le plus petit (I, un) ; elle est donc une image du macrocosme et du microcosme, reprsentation de l'univers. Les deux syllabes initiales du dernier vers, SANcte IOhannes, runies et lues comme ALFA mais en sens inverse, forment le mot IONAS, nom du prophte qui sortit vivant aprs trois jours du ventre d'une baleine, et pour ce fait fut considr comme la prfiguration de la rsurrection du Christ, image elle-mme de la renaissance printanire aprs le sommeil de l'hiver. Si enfin on runit SOL et IO les syllabes UT et RE, on obtient, dans un autre ordre vertical, le mot RESOLUTIO, dont nous venons de parler. Le groupe RESOLUTIO/ALFA-OMGA forme une croix latine rgulire :

    Cest cette intuition dun lien universel port par la musique qui fera dire un jour Oscar Wilde : La musique met l'me en harmonie avec tout ce qui existe .

    Quant au philosophe rosicrucien Leibniz, dans une lettre Goldbach date du 17 avril 1712, il crit : La musique est un exercice darithmtique secrte, et celui qui sy livre ignore quil manie des nombres .

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    Aux racines du mot : le compromis alchimique

    L'harmonie est universellement le rsultat de contraires : car elle est l'unit du multiple, l'accord des dissonances .

    Nicomaque, in De Arithmetica, II

    Voil une dfinition du mot harmonie, driv du grec harmottein ( assembler ) qu'on peut trouver dans l'Arithmtique du no-pythagoricien Nicomaque, dfinissant aussi la qualit tout autant morale, esthtique, physiologique, qui dcoule de choix mesurs par l'quilibre, satisfaisant aussi les principe de proportion travers la composition des lments qui l'exprime ou la projette, valable autant pour la musique - qui est la transcription vibratoire du nombre - que pour les autres disciplines de la connaissance. Des termes drivs s'en font l'cho : harmonieux, harmonique(s), harmonisation, etc.). Mais le sens global du mot grec est : agrment, union, juste proportion. On peut immdiatement se poser la question : quest-ce qui est juste dans la proportion ? Un idal, en somme, un concept philosophique, abstrait, au cur de la matire. Le premier sens tymologique du mot induit aussi l'ide d'embotement, de joint, de jointure. Il faut donc, pour qu'il y ait cette osmose, au moins deux lments, deux forces qui, en se rencontrant, vont devoir s'ajuster en vue d'une fin. La recherche de l'harmonie se situe ainsi au-dessus de celle de l'quilibre, dont la finalit est la stabilit.

    Franchinus Gaffurius (1451-1522), De Harmonia musicorum instrumentorum opus, Milan, 1518

    Cette gravure illustre lenseignement du compositeur et thoricien padouan Franchinus Gaffurius (1451 1522), dit aussi Franchini ou Franchino Gaffurio, dont Lonard de Vinci fait le portrait en 1490, dlivr 1 tudiants regroups autour de lui. Sur le phylactre, la droite du matre, on peut lire : Harmonia est discordia concors (lharmonie est laccord issu des contraires), reprenant la formule dHraclite : Ce qui s'oppose sassemble, et de ce qui diffre nat la plus belle harmonie, et la discorde qui engendre toutes choses (Fragments, VIII), elle mme relaye par le mathmaticien Nicomaque de Grase L'harmonie est universellement le rsultat de contraires : car elle est l'unit du multiple, l'accord des discordances (De Arithmetica, II). Le principe ORDO AB CHAO (lquilibre issu du chaos) est contenu dans ltymologie du mot harmonie, du grec harmottein ( assembler ), qui signifie la juste proportion, aprs le rassemblement des contraires. Devant ses 12 disciples (douze est le nombre de lquilibre et de lachvement dans les systmes numriques), Franchinus voque les rapports de proportions entre les disciplines de la musique (symbolis par les divisions des tuyaux dorgue, gauche) et de la gomtrie (le compas et la division des droites, droite), le savoir dlivr par le matre reposant sur la lumire et le temps (la lampe gauche et le sablier droite sur la chaire).

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    REISCH (Gregorius), Margarita philosophica, totius philosophiae rationalis et moralis principia XII libris dialoge complectens, Argentorati, 1504, Harvard University

    Le chartreux Gregor Reisch (vers 1467-1525), ami drasme et confesseur de l'empereur Maximilien d'Autriche, publie la Margarita philosophica (La Perle philosophique) en 1496 (rimpression 1504), premire encyclopdie imprime en latin qui rassemble l'ensemble des enseignements du savoirs thorique et pratique, reprenant les disciplines du Trivium et du Quadrivium, le mot margarita , voquant la marguerite, (de margarite, margerie = perle) symbole alchimique de la lumire rvle aprs avoir t dissimule (lhutre). Sur cette illustration de louvrage on peut voir Boethius (Boce, gauche) et Pythagore ( droite) confrontant leurs calculs sous lgide de Dame Arithmetica. Boce effectue ses oprations par lusage des nombres arabo-indiens, issus des graphes smitiques assyriens, alors que Pythagore utilise l'abaque grco-phnicien... Quelle que soit la mthode, le nombre demeure souverain !

    https://fr.wikipedia.org/wiki/1467https://fr.wikipedia.org/wiki/1525https://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_d%27Autrichehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_d%27Autrichehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclop%C3%A9diehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Triviumhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Quadrivium

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    Discordia/concors - concordia/discors LHarmonie exige en plus une convenance entre des parties initialement opposes ou dissemblables qui suscite un bien-tre, une qualit, un panouissement.

    Ce qui s'oppose sassemble, et de ce qui diffre nat la plus belle harmonie, et la discorde qui engendre toutes choses (Hraclite, Fragments, VIII)

    Il n'y a donc pas d'harmonie sans conflit, sans divergence pralable ; la concordia est par essence discors. Ce concept philosophique, dont on trouve des traces fcondes ds Horace, notamment lorsqu'il dcrit la pense d'Empdocle dans son premier livre, voque un monde gnr par d'incessantes luttes entre les quatre lments, o finirait par merger, grce aux vertus de l'amour (Aphrodite), une harmonie discordante, ne de ces conflits pralables.

    ORDO AB CHAO (l'ordre issu du dsordre)

    On retrouve cette notion reprise par les Romains : Vnus (quivalent de la desse grecque Aphrodite), qui symbolise l'amour, la sduction, la beaut, est la mre dros (dieu de lamour), et du hros Ene, ainsi que l'pouse de Vulcain (l'Hphastos grec), dieu forgeron de la mtallurgie qu'elle trompe avec son frre Mars, dieu de la guerre, quivalent d'Ars. L'union, entre Vnus et Mars (l'amour et la guerre) va crer une harmonie discordante, qui ne pourra se rsoudre que dans la paix retrouve. Cest pourquoi le mot HARMONIE, driv du grec harmonia, signifie arrangement, ajustement, et dsigne plus prcisment la manire d'accorder la lyre. Ainsi on peut voir que le principe d'harmonie se distingue de celui d'quilibre (aequus, gal, et libra, balance). Dans la qute de l'quilibre, il n'y a pas d'autre fin que la stabilit, que l'annulation des forces les unes par les autres. On ne recherche pas la fusion intime des lments, mais leur compensation mesure, pese. Si l'quilibre demeure fragile, toujours surveiller, recalculer, dpendant de la pesanteur, l'harmonie, partir du chaos, travaille installer un tat durable, dont l'quilibre n'est qu'une des voies pralables.

    Python , cratre en calice figures rouges, vers 350 - 340 avant J.-C., Sant'Agata de Goti (Campanie), Paestum @ Muse du Louvre, Paris.

    Cadmos, futur fondateur de Thbes, qui combat le dragon ayant tu ses compagnons. est entour de femmes richement vtues (personnification de Thbes et Harmonie, lpouse du hros).

    Dans la partie suprieure du vase, quatre figures : Herms, Aphrodite, mre dHarmonie, Pan et un satyre.

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    Aux sources du mythe Lhistoire du mythe autour dHarmonie, la reine de Thbes, contient beaucoup denseignements. Or les mythes, comme les symboles, contiennent, eux aussi, la mtaphore d'un message subliminal , qu'il faut prendre le temps d'essayer de dcrypter.

    Rappelons, succinctement, lhistoire de la lgende.

    Harmonia, est la fille dAphrodite et dArs. leve chez le roi de Samothrace, elle est accorde au prince phnicien Cadmos, qui passe dans lle, la recherche de sa sur Europe, enleve par un taureau blanc. L'oracle demande celui-ci de trouver une vache portant sur son flanc un signe en forme de lune et de construire une cit l'endroit qu'elle aura choisie pour se reposer. Il trouve l'animal dans les troupeaux de Plagon, le roi de Phocide, qui le conduit prs du fleuve Asopos, l'emplacement de Thbes. Un dragon, enfant d'Ars, dvore les hommes partis chercher de l'eau pour prparer le sacrifice de la vache. Cadmos tue le monstre. Il devra servir Ars pendant huit ans pour se faire pardonner du meurtre de son fils et devient ensuite roi de Cadme grce Athna. Zeus lui donne alors la main d'Harmonie. Des noces somptueuses ont lieu : les Muses et les Grces y chantent le clbre pithalame, dont le refrain dit : otti kalon, filon esti, le beau est aimable . Ainsi les dieux vont assister exceptionnellement au mariage d'un mortel avec une desse et font des cadeaux aux nouveaux poux : Herms offre une lyre Cadmos, Dmter du grain et Hphastos un collier Harmonie. partir de l le couple va rgner en bonne intelligence sur Thbes. Ils enseigneront l'alphabet phnicien, dont drive l'alphabet grec, aux Botiens.

    Tentons une premire analyse entre les lignes : Harmonie est la fille dAphrodite - desse grecque de la Germination, de l'Amour, des Plaisirs et de la Beaut, quivalent de Vnus dans la mythologie romaine et dArs - dieu de la Guerre, de la destruction, lui-mme fils de Zeus et de Hra, assimil Mars chez les Romains. Elle est donc le fruit dune trange fusion entre des forces cratrices, fcondantes, fminines, et des puissances destructrices, masculines. Son mariage avec Cadmos cre une anomalie dans les rgles divines : elle sunit un hros mortel, et non pas un autre dieu. Cest ainsi que lalliage des forces vitale et guerrire doit se fondre avec la ralit de la vie, pour faire natre la connaissance.

    En effet, les Grecs attribuent Cadmos l'invention ou l'importation de l'alphabet et celle de la fonte des mtaux. Pour aider le couple vers ce but, on leur a remis une lyre (la musique), du grain (la fertilit) et un collier, ralis par Hphastos, le dieu du feu et de la mtallurgie. Mais ce collier ne peut tre port que par Harmonie : passant de mains en mains, il va entraner ses possesseurs successifs dans des destins funestes, et mme la ville de Thbes, qui ne sen relvera pas.

    Descendons encore un peu plus dans les entrailles du mythe.

    Il nous enseigne quHarmonie ne peut tre que le rsultat dune dichotomie fondamentale, et que seul le feu crateur, quelle est seule pouvoir porter, est capable de fusionner en elle. Porte par la lyre de la musique, qui est la traduction vibratoire et spatiale du nombre, et le grain de la fcondit et de la germination, elle peut ainsi concrtiser laccs au savoir avec laide de Cadmos, par la transmission de lalphabet. Noublions pas que la racine smitique kad quon trouve dans Cadmos, signifie : celui qui fait briller pour mieux comprendre, et aussi celui qui vient de lorient, qui montre lest.

    Rsumons-nous, une dernire fois : Harmonie ne peut natre que de la matrise dune division initiale (cration/destruction), consolide par le feu de la passion contrle (le collier dHphastos). Mais elle ne peut se suffire elle-mme, tant par dfinition un idal presque inaccessible. Pour accder la transmission et au verbe (lalphabet), elle doit sunir avec laction (le hros, Cadmos) qui lui montre la bonne orientation : vers lorient, tout cela port par la musique (la lyre dHerms), qui est le vhicule secret des proportions parfaites (le nombre). Comme pour lHymne de saint Jean Baptiste, voil comment une jolie histoire peut dissimuler des vrits autrement plus essentielles.

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    Un sens fort sen dgage : chacun de nous doit sefforcer de chercher la crativit dans la transgression et la lutte, et crer sa propre Harmonie partir des contraires.

    L'harmonie invisible est plus que l'harmonie manifeste , dit Platon.

    Voil pourquoi il faut revenir au nombre et sa messagre, la musique, pour bien comprendre o rside le vrai sens du mot harmonie. La musique est une science qui doit avoir des regles certaines ; ces regles doivent tre tires d'un principe vident, et ce principe ne peut gueres nous tre connu sans le secours des Mathematiques : Aussi dois-je avoer que, nonobstant toute l'experience que je pouvois m'tre acquise dans la Musique, pour l'avoir pratique pendant une assez longue suite de temps, ce n'est cependant que par le secours des Mathematiques que mes ides se sont dbrouilles, et que la lumiere y a succed une certaine obscurit, dont je ne m'appercevois pas auparavant .

    Jean-Philippe Rameau, Trait de l'harmonie, 1722

    Pythagore et lharmonie des sphres

    Parmi les mathmaticiens pythagoriciens - (savants), (sotriques) ou sindonites (habills du linceuil, placs de lautre ct du voile), qui sont admis lenseignement par symboles () dispens par Pythagore derrire son rideau, eux-mmes subdiviss en (pieux), politikoi (politiques) ou contemplatifs, qui tudient larithmtique, la musique, la gomtrie, lastronomie, disciplines qui forment le Quadrivium, largement enseign pendant tout le Moyen-ge jusqu la Renaissance - la transposition des lois harmoniques lensemble de lunivers est essentielle, puisque tout le cr procde du nombre (le mot cosmos signifiant ordre). Les Pythagoriciens conoivent un monde achev, organis, structur, partir d'une matire initiale recouvrant l'Inachev, selon la dclinaison suivante : - 1, unit ou monade (1 point, systme ou rythme unitaire) - 2, dualit ou dyade (une droite ou 2 points, systme ou rythme binaire) - 3, trinit ou triade (un triangle ou 3 points, systme ou rythme ternaire) - 4, ttrade (un carr ou 4 points, systme ou rythme quaternaire - 5, pentade (un pentagone ou 5 points, systme ou rythme quinaire). Ensuite viennent l'hexade, l'heptade, l'ogdoade, l'ennade et la dcade. On y trouve clairement nonc l'ide d'un chaos originel qui aspire l'ordre vers une harmonie potentielle, formule par les nombres et leurs proportions projetes dans l'univers, exprime par la transcription vibratoire des sons, de la musique. Il s'en suit que la premire mtaphysique s'labore par la pratique de recherches musicales, les pythagoriciens appliquant l'arithmtique l'tude des phnomnes naturels. Pythagore va mettre les premiers principes de proportions mathmatiques lies aux sons, reprenant des travaux dj entrepris dans des civilisations antrieures, et qui vont se dvelopper du VIe sicle avant notre re, via lastronomie, les systmes gocentriques (la terre est au centre du cosmos), les doctrines hliocentriques (le soleil devient le centre de lunivers) jusqu lactuelle thorie des cordes , dont la physique moderne se proccupe de plus en plus en ce moment. Pythagore dcouvre dans les nombres lexplication de lunivers, et dans la science des nombres laccs au divin, ainsi que lassurance de flicit ternelle que cherchent mystres et cultes orphiques.

    Tout commence, dans la parabole que nous transmet la lgende pythagoricienne, par un passage par le feu (toujours le chaos initial !) : cest, en effet, en passant devant une forge que Pythagore est sduit par un quilibre sonore engendr par la frappe des marteaux des forgerons sur les enclumes.

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    Pythagore notant la cogne des forgerons, dtail, in Speculum humanae salvationis (Miroir de l'humaine rdemption), Augsburg, vers 1472.

    En soupesant les marteaux Pythagore constate qu'ils psent respectivement des poids proportionnels de 6, 8, 9 et 12 et que ces proportions semblent gouverner les intervalles musicaux plaisant l'oreille. Dans la proportion harmonique 12, 8 et 6, le rapport 12/6 = 2 correspond l'octave, le rapport 8/6 = 4/3 la quarte, le rapport 12/8 = 3/2 la quinte. Il s'en suit que la gamme pythagoricienne va tre conue partir des intervalles de quintes justes, dont le rapport de frquences vaut 3/2. Ainsi les frquences pythagoriciennes de la note Do sont les suivantes : 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256, 512, 1024, 2048...

    De l va natre la perception des harmoniques, rsonnant partir d'un son fondamental et formant une srie de frquences, multiples entiers de la frquence du son initial : le 2e harmonique, ou son 2, sonne l'octave suprieure du son fondamental, le nombre de vibrations dans un temps donn tant deux fois plus grand ; le 3e harmonique, ou son 3, sonne la douzime juste du son fondamental, le nombre de variations en tant trois fois plus grand, etc. *

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    Aprs le pre Marin Mersenne [1588-1648] qui, au XVIIe sicle, dcouvrira les harmoniques concomitants, en mme temps quil met au point un clavecin de couleurs, cherchant relier lunivers des ondes lastiques sonores celles lectromagntiques de la lumire, le physicien acousticien Hermann Ludwig Ferdinand von Helmholtz [1821-1894] tablira au XIXe sicle que le timbre des instruments et des voix dcoule de la prsence des harmoniques et de leurs diversit et intensit.

    Voil comment Guido d'Arezzo [~992-~1050], le moine bndictin qui l'on attribuera l'invention des notes de la gamme et de la solmisation, rapporte l'vnement au dernier chapitre de son Micrologus, vers 1025 : Un certain Pythagore, grand philosophe, voyageait daventure ; on arriva un atelier o lon frappait sur une enclume laide de cinq marteaux. tonn de lagrable harmonie (concordiam) quils produisaient, notre philosophe sapprocha et, croyant tout dabord que la qualit du son et de lharmonie rsidait dans les diffrentes mains, il interchangea les marteaux. Cela fait, chaque marteau conservait le son qui lui tait propre. Aprs en avoir retir un qui tait dissonant, il pesa les autres et, chose admirable, par la grce de Dieu, le premier pesait douze, le second neuf, le troisime huit, le quatrime six de je ne sais quelle unit de poids. Il connut ainsi que la science de la musique rsidait dans la proportion et le rapport des nombres .

    Franchinus Gaffurius/Franchino Gafurio (1451-1522), Theorica musiche, Naples,1480. Dmonstration de la lgende de la dcouverte des proportions musicales, de Tubal Pythagore.

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    Avant lui le noplatonicien Boce [470-525], dans son Institutione Musica de 510, avait dj racont la suite de l'exprience : Puis il attacha des cordes (nervis) des poids (pondera) correspondants et discerna loreille leurs consonances ; puis il appliqua des proportions (proportiones) doubles, mdianes ou autres des longueurs de tuyaux (longitudine calamorum) et conut une assurance parfaite dans ces diverses expriences. En les mesurant, il versa des quantits deau correspondantes en poids dans des verres ; et il percuta ces verres, arrangs selon les diffrents poids, avec un bton de cuivre ou de fer, en se rjouissant de constater que, l non plus, rien ne divergeait. Ainsi conduit, il se tourna pour les examiner vers la longueur et lpaisseur des cordes. Cest de cette faon quil trouva la rgle [regulam, au double sens de la norme et de linstrument de mesure en bois quest le monocorde] ; [] ce type de rgle donne une vision (inspectio) tellement fixe et ferme que nul, parmi ceux qui cherchent (inquirentem), ne peut tre induit en erreur Boce est une passerelle essentielle dans la transmission de la culture grecque dans le monde latin, au moment o saccomplit la chute de lEmpire romain dOccident, comme le relve Cassiodore, secrtaire des rois ostrogoths en Italie, dans une lettre quil adresse au consul et philosophe : Nous savons que tu es rempli dune ample rudition, et que tu as puis la source mme de la science les arts que le vulgaire pratique sans les connatre [] Au moyen de tes traductions, on peut lire en Italie Pythagore le musicien, Ptolme lastronome ; larithmtique de Nicomaque, la gomtrie dEuclide sont entendues des Ausoniens, et le thologien Platon, le logicien Aristote, disputent dans la langue de Romulus [] tous les arts et toutes les sciences que des hommes diffrents avaient donns la Grce fconde, Rome les a reus de toi seul

    Cassiodore, Ep. I, 45. (L. J. de Mirandol, La Consolation philosophique de Boce, Paris, Hachette, 1861

    Anicius Manlius Torquatus Severinus Boethius (Rome, ca. 480 Pavie, ca. 524), fils de Narius Manlius Boethius (ca. 487), trs tt orphelin, est recueilli par le platonicien Quintus Aurelius Memmius Symmachus (ca. 525), duquel il reoit lhumanitas [] (eruditio institutioque in bonas artes), ce qui va faire de lui un homme-universit [ ], dpositaire dun vaste savoir [ ], englobant lthique morale, la substantia numeri (science des nombres hrite de Pythagore et de Nicomaque), aussi bien que la summa bona diuina humanaque reposant sur les sept disciplines canoniques des arts libraux [ ], tablies par Aurelius Augustinus (De ordine II, 7, 12) et divises en deux parties distinctes : le Quadruvium (ars arithmetica / ars musica / ars geometrica / ars astronomica) et le Trivium (ars grammatica / ars dialectica-ars logica / ars rhetorica). Devenu en 520 magister officiorum influent la cour du roi des Ostrogoths Thodoric (vers 455-526), il sera dchu de sa position par le souverain paen, la suite du schisme avort entre Rome et l'glise de Constantinople, pendant lequel il est suspect davoir entretenu des liens avec l'empereur byzantin et orthodoxe Justin (vers 450-527). Cette accusation, aggrave par des prsomptions de magie, le conduit la prison de Pavie o, aprs une longue priode de dtention, durant laquelle il rdige son De consolatio philosophicae, il est mis mort en 524. Boce constitue donc lun des traits dunion entre lAntiquit et le Moyen ge et doit tre considr comme le pre entre tous du savoir transmis par les anciens (inter omnes priscae auctoritatis uiros (De institutione arithmetica I, 1). Son uvre, tout au long du Moyen ge et jusquaux prmices de la Renaissance, o Boce jouera un rle fondamental dans les mouvements de rsurgence de la culture antique, notamment travers Dante et Ptrarque en Italie, Jean Gerson en France, Thomas More en Angleterre, se perptuera aussi auprs des courants asctiques et moralistes chrtiens, jsuites de la Contre-rforme, mouvements antitrinitaires aux XVIe et XVIIe sicles, et jusque dans les ouvrages de Saint-Simon ou Chateaubriand aux XVIIIe et XIXe sicles, dont on peut mettre en exergue un hritage certain avec sa Consolation philosophique, la croise de plusieurs genres littraires et philosophiques : consolatio stocienne et courant asctique (Snque), dialogue vise didactique (Platon et Cicron), dialogue intrieur (saint Augustin)

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    Anicius Manlius [Torquatus] Severinus Boethius (Roma, ca.480 Pavia,ca.524), De institutione arithmetica libri duo | De institutione musica libri quinque, ca.1130, MS Ii.3.12, fol. 61v, Cambridge University Library .

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    Il est utile dobserver un instant lenluminure du manuscrit des deux traits de Boce, De institutione arithmetica libri duo et De institutione musica libri quinque, dat autour de 1130 et aujourdhui conserv la Cambridge University Library, provenant de la Christ Church de Canterbury (voir page prcdente). Ce panneau histori en trois cadres pleine page, comment par un texte en hexamtre lonin, comporte un programme philosophique et cosmologique qui illustre admirablement les liens unissant les sommes de savoir reliant travers le temps Boce, Pythagore, Platon et Nicomaque de Grase, le mathmaticien et philosophe no-pythagoricien, travers lart de la musique exprimant la science des nombres et des proportions. Le parcours seffectue de manire circulaire, dans le sens des aiguilles de la montre. Dans le premier cadre (en haut gauche), o lon voit Boce sinitier lart du monocorde, on peut lire le commentaire suivant :

    [Boethius] Consul et eximiae scrutator phylosophyae Vt uideat uocum discrimina per monochordum Iudicat aure sonum percurrens indice neruum.

    Boce, consul et dpositaire (scrutateur) de la plus minente philosophie Pour estimer par le monocorde ce qui se distingue de la parole

    Juge par lcoute du son en parcourant de son index la corde tendue (nerf) Dans le second cadre (en haut droite), on voit Pythagore peser les cognes et tablir les proportions numriques par ltude des vibrations sonores ( partir de lallgorie des forgeons, voir page 6), avec le texte suivant :

    Pythagoras physicus physicaeque latentis amicus Pondera discernit trutinans et dissona spernit. Pulsans aera probat quanta quaeque proportio constat.

    Pythagore, physicien ami des choses caches de la physique Discerne (la vrit) en pesant avec pondration et repousse ce qui est dissonant.

    Il contate ainsi, en faisant vibrer lair, ce que sont les vraies proportions. Dans le troisime cadre (en bas, lire de droite gauche), on voit Platon, dsormais dpositaire du savoir pythagoricien, dialoguer dgal gal avec Nicomaque (les index -doigt doctoral - symtriquement levs), par lintermdiaire de la Musica . Le commentaire illustre ainsi cette transmission du savoir sacr :

    Edocet ipsorum summus Plato phylosophorum Quomodo disparium paritas sonat una sonorum. Obuiat instanti ratione Nichomacus illi.

    Platon, le plus grand des philosophes, qui enseigne lui-mme ces matires Comment de liens disparates (chaos) peut rsonner une seule sonorit (harmonie)

    Rejoint ainsi les raisonnements (calculs) de Nicomaque.

    Transcription et traduction de Patrick Crispini

    Le Consolation philosophicae, rdig lextrme fin de son existence, alors que Boce va tre condamn mort, exalte linanit des biens terrestres et une mditation sur lexistence du mal, ses origines et les moyens humains pour tenter de sy soustraire. La question do vient le mal (unde malum), reprend celle de saint Augustin dans le Livre VII des Confessions. crite sous la forme du prosimetron, elle utilise le prisme du songe, issu de la tradition littraire antant biblique que paenne, et la notion de Fortune, rejete par la conception patristique (saint Augustin), enrichissant ainsi une terminologie apte influencer le langage philosophique et scientifique mdival. Quant linfluence de ses ouvrages thoriques, elle est tout aussi prpondrante. De institutione arithmetic libri duo et De institutione musica libri quinque dveloppent la doctrine esthtique de la proportion, dinspiration no-pythagoricienne, et associent posie et musique dans une vision cosmologique du monde. Sans doute port par la volont de contribuer lunification de lglise chrtienne, pralable une hypothtique restauration de lEmpire, Boce semploie corroborer le bien-fond des notions touchant la Trinit et la nature divine du Christ, fixes par le Premier Concile de Nice en 325, par le truchement de la logique aristotlicienne.

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    La ballade anonyme En la maison Dedalus, in Berkeley Theory Manuscript (US-BEm 744, fol. 31v).

    Jean Gray Hargrove Music Library, University of California, Berkeley.

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    Dans le contexte des disputes christologiques, sa dfinition de la persona, en particulier, deviendra une valeur fondamentale dans lhistoire des dogmes du christianisme. Lenseignement de Boce, bas sur ltude des concepts fondamentaux et mtaphysiques - lanimae generatio [ ] (la gense de lme), en rapport avec lanima mundi (lme du monde), la substantia numeri (lessence du nombre), summa bona (le souverain bien), bas sur le quattuor uirtutes animae (quatuor des vertus de lme, comprenant la matrise du bonheur, de la souffrance, de la justice et linjustice), les principalitas unitatis (principes unitaires), le continuo proportio superparticularis (les proportions des fractions lies aux principes harmoniques), le sensuum perceptio et cognitio (la perception sensitive et cognitive), decem categoriae ou decem praedicamenta (les dix catgories primordiales), les quinque uoces (les cinq universaux) - deviendra un compendium essentiel dans la tradition du savoir scientifico-philosophique carolingien, lalpha et lomga transmis par lrudition monastique et universitaire.

    Lharmonie musicale consiste donc en un rapport de nombres. Aristote, dans sa Mtaphysique, constate que ces philosophes remarqurent que tous les modes de l'harmonie musicale et les rapports qui la composent se rsolvent dans des nombres proportionnels . D'o le dogme pythagoricien :

    les nombres gouvernent le monde, la musique des sphres clestes aussi bien que celle des sons .

    Corps cleste isol dans l'espace, lui-mme enserr au centre d'une sphre, autour duquel gravitent des plantes distantes les unes des autres, poses sur des anneaux circulaires, la Terre fdre ces plantes selon une hirarchie fonde sur la mythologie, dans l'ordre suivant :

    Terre - Lune - Vnus - Mercure - Soleil - Mars - Jupiter - Saturne - Fixes (toiles).

    La premire chelle plantaire est tablie en fonction de sa concidence avec les intervalles musicaux (sept plantes, sept cordes de la lyre) - et donc selon les rapports harmoniques -, en fixant la valeur du ton comme tant gale la distance Terre - Lune. Les orbites des plantes, y compris soleil et lune, tournent autour de la terre vitesse constante suivant les mmes rapports numriques que la gamme. Le cosmos devenant ainsi un gigantesque instrument harmonique d'origine divine, Pythagore associe une note chaque plante :

    - si (Saturne), - do (Jupiter), - r (Mars), - mi (Soleil), - fa (Mercure), - sol (Vnus) et - la (Lune).

    Peut-tre est-il utile de rappeler qu'Uranus ne sera dcouverte quen 1781 par William Herschel [1732-1822], musicien anglais (organiste la chapelle de Bath) et astronome, Neptune en 1846 et Pluton en 1930. Cependant, vers 220 ap. J.-C. le mdecin chinois Koai Yu Tchu expliquait encore lEmpereur jaune Hoang Ti, au chapitre du trait So Ouenn consacr l'tude du Cosmos : selon lexplication de la gense que ma lgue mon aeul de dix gnrations antrieures la mienne, il est dit : dans limmensit de lespace, il existe une nergie essentielle, primitive, qui donne naissance tous les lments et sy intgre [...] partir de cette cration, neuf plantes sont suspendues et brillent dans le ciel : sept tournent au-dessus de nos ttes [...] Au ciel lnergie nest quune substance abstraite, tandis que sur terre, elle se transforme en une substance physique concrte .

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    Jug trop paen dans les manuscrits chrtiens du Moyen-ge on va substituer Pythagore le personnage biblique de Jubal (le musicien), observant Tubalcain (le forgeron). Yabal, Yubal, Tubal : entre le meurtre dAbel et le Dluge ces figures bibliques, dont l'assonance prte confusion (dans dautres acceptions du Livre le musicien Yubal et le berger Yabal sont confondus dans un seul et unique personnage appel Jubal), rassemblent les typologies immmoriales du berger, du musicien, du forgeron. l'poque mdivale on fusionnera son tour Jubal et son demi-frre Tubal-Can, crant ainsi une nouvelle figure : Jubal Can, quivalent celle de Tubal-Can ou Tubal dont il est dit dans nombre d'ouvrages thoriques quil serait le premier ante diluvium inventeur de la musique : Primus autem inventor musicae artis fuit Tubal . La parabole, nouveau, nous indique le chemin : c'est partir de la forge originelle (le feu, les forgeron, Tubal-Can) que nat la conscience d'un possible rajustement, entre l'enclume et le marteau (dont le sens profond exprime prcisment l'tat dune situation ou d'un tre menac par deux partis en conflit, des intrts contraires...), puis sur la corde tendue (le monocorde), la qute d'un quilibre (les proportions des intervalles) pouvant conduire par assemblage et dcantation successifs, la rsurgence harmonique.

    La figure de Pythagore-Jubal-Tubal-Can, qu'elle s'insre dans une tradition laque ou religieuse, permet ainsi la transformation du chaos vers l'sotrisme de la connaissance, du feu vers l'air, comme le mythe d'Harmonie nous le rvlait, travers le collier d'Hphastos, vers la conqute de l'alphabet cadmen. Ds lors on comprend mieux pourquoi, dans les communauts pythagoriciennes, l'imptrant (d'abord postulant, puis nophyte), exprimait dans son serment de silence, qui le conduit aux rangs suprieurs d'acousmaticien, puis de mathmaticien, ces paroles rvlatrices :

    par celui qui a trouv la Ttraktys de notre sagesse, source qui contient en elle les racines de la nature ternelle .

    Robert Fludd (1574-1637), Philosophia sacra & vera christiana seu Meteorologia cosmica, 1626 (Philosophie sacre et vraiment chrtienne, ou mtorologie cosmique)

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    La Ttractys Le monde sensible rvle son unit dans les nombres et les rapports de nombre dont il est la manifestation. La musique en est larchtype, et cest la Ttractys ou Dcade de Quatre qui la projette dans la gomtrie et larchitecture. Elle est constitue par la somme des quatre premiers nombres : 1 + 2 + 3 + 4 = 10. Les Pythagoriciens le reprsentent par le triangle dcadique :

    Le grand quaternaire est de 36 ; il est form de 8 nombres, c'est--dire par l'addition de la somme des 4 premiers nombres impairs la somme des 4 premiers nombres pairs, ce qui donne 36. Le quaternaire exprime pour les Pythagoriciens la clef de leur interprtation du monde.

    Dans les premires chelles de tons les anciens Grecs positionnent les correspondances plantaires selon ce tableau, o les plantes sont positionnes en fonction de leur vitesse de dplacement vues depuis la Terre, puisque nous sommes ici dans le systme gocentrique faisant autorit l'poque. Pythagore fait l'hypothse que tout ce qui est beau dans l'univers, et d'abord l'univers lui-mme dans son ensemble, s'explique par des rapports musicaux entre des nombres.

    Les Pythagoriciens font l'hypothse que l'ensemble des intervalles entre les orbites des astres, quils peuvent observer dans le ciel, sont soumis aux lois de l'harmonie de telle sorte que le tout forme une immense lyre aux cordes circulaires produisant des sons agrables :

    l'harmonie des sphres.

    Johannes Praetorius (1537-1616), le systme de Platon, in De cometis, qui antea visi sunt, et de eo, qui novissime mense novembri apparuit, narratio, Nuremberg, Gerlach et Montanus 1578.

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    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512,

    Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

    La beaut consiste dans une harmonie et dans un accord des parties avec le tout, conformment des dterminations de nombre, de proportionnalit et d'ordre telles que l'exige l'harmonie, c'est dire la loi absolue et souveraine de la nature

    Leon-Battista Alberti (1404-1472), in De re Aedificatoria, IX, 5, 1485

    Ficin et les Careggi : le renouveau no-platonicien 1508 : le peintre Raphal dUrbino - Raffaello Sanzio (1483-1520) - peine g de 25 ans vient dentreprendre la dcoration des quatre stanze (chambres) du Vatican, la demande du nouveau pape Jules II, qui souhaite en faire sa rsidence prive et surpasser en splendeur celle des appartements dAlexandre Borgia, quil excre, et qui se situent ltage infrieur. Juste ct, Michelangelo le tnbreux travaille dj la Chapelle Sixtine. La commande que reoit Raphal est trs prcise : lartiste devra uvrer selon un plan dfini par le pape et ses conseillers (ad praescriptum Iulii), sur la base dun programme inspir par la vision no-platonicienne que dispense depuis 1459 Florence, au sein de son Academia de Careggi, le pote mtaphysicien, nouveau traducteur de Platon, Marsile Ficin - Marsilio Ficino (1433-1499) - mdecin et astrologue de Cosimo de Medicis (1389-1464).

    Nous sommes une poque o linfluence spirituelle en Europe des grandes abbayes connat un dclin au profit de lenseignement des universits, o le dogme chrtien, confront aux nouvelles avances de la science et la remise en cause de certains principes cosmologiques, se cherche un nouveau souffle, o les terribles flaux engendrs par les annes de pestes et de famines ont sem le doute dans les esprits les plus dvots.

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    Ds lors lattrait dun discours philosophique bas sur une interprtation revivifie des textes des anciens grecs trouve auprs des lites intellectuelles, dj imprgnes des ides de lhumanisme de la Renaissance, un cho trs passionnel. Ainsi, dans la villa des Careggi ou Cosimo de Medicis vient dinstaller Marsile Ficin et son cercle no-platonicien de lAcademia platonica rediviva, voit-t-on rapidement affluer de partout des disciples heureux de rejoindre ces banquets de haute spiritualit, o le matre des lieux accompagn de sa lyre blouit les convives par limmensit de son savoir, o rgne une nouvelle harmonie, dans la communion des connaissances et des Arts libraux, avec lappui et la participation de riches protecteurs. On peut y croiser, outre le vieux Cosimo de Medicis puis Laurent le Magnifique - Lorenzo de Medicis, (1449-1492) -, des lettrs comme Cristoforo Landino (1425-1498) le traducteur de Pline, diteur dHorace, Virgile ou Dante, lopulent diplomate Francesco Bandini, bientt nomm rgent de la Table des Banquets (architriclinius), lvque de Fiesole Antonio Delli Agli (1400-1477), le matre de lloquence Bernardo Nuzzi, prieur de la cit, Carlo Marsuppini (1398-1553) homme dtat aim du Vatican et prcieux rhtoricien, le pote sotricien Giovanni Cavalcanti (1444-1509), le socratique Tomaso Benci (1427-1470), ainsi que quelques membres des grandes familles florentines. Plus tard le grand pote et philologue Ange Politien - Angelo Ambrogini (1454-1494) - et Jean Pic de la Mirandole - Giovanni Pico della Mirandola (1463-1493), humaniste syncrtique au gnie universel, fondateur de la kabbale chrtienne, feront le voyage pour se joindre laropage... Toute cette nouvelle dynamique de pense trouve aussi sa source dans lmulation qua suscit lapparition, ds 1415, des premiers manuscrits platoniciens en Italie, transports par les clercs et lettrs dorient fuyant Constantinople et la menace turque toujours grandissante, et la venue en 1439 au concile de Florence drudits byzantins, pour dbattre dun rapprochement des glises chrtiennes dorient et doccident, aprs la crise du Grand Schisme rsolue lors du concile de Constance (1414-1418). Le banquier Cosimo de Medicis est alors fascin par le niveau des connaissances des orateurs dOrient, particulirement par Georges Gmiste, dit Plthon (1355-1452), brillant penseur de lcole platonicienne de Constantinople et adepte de Zoroastre, qui va linciter faire de Florence une nouvelle Athnes. Cosimo, en encourageant notamment leffervescence artistique florentine sinspirer des grands principes noncs par les anciens grecs, impulse ainsi un souffle cratif sans gal jusqualors, dont son petit-fils Laurent le Magnifique sera le grand mcne et la figure la plus reprsentative. En 1453, aprs la chute de Constantinople, Cosimo appelle auprs de lui le philosophe et humaniste Jean Argyropoulos (v. 1395-1487) qui a migr en Italie, et va jouer un rle essentiel dans le renouveau de cette transmission en enseignant la rhtorique, la thologie, la philosophie de Socrate, de Platon et dAristote au Chorus Academiae Fiorentina. Cela prcde de peu la naissance de lAcadmie de Careggi, o se fondent les deux aspirations capitales qui vont mobiliser les foyers de la pense au XVIe sicle : la Restitutio antiquitatis (rgnrescence des antiques) et la Renovatio spirituelle et religieuse. Ds lors, il nest pas tonnant que ce mouvement de pense gagne lEurope entire et, au cur de Rome, la cour du pape o des hommes dinfluence (et dargent !) jouent un rle essentiel : tel le banquier des souverains pontifes, le siennois Agostino Chigi (1466-1520), grand mcne, la tte dun empire financier de plus de cents succursales en Europe et jusquen Turquie, qui ne manque pas de conseiller Jules II dans ses choix esthtiques, sachant aussi, quand il le faut, user de son pouvoir financier pour sadjoindre les artistes dont il souhaite sentourer...

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    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508,

    Esquisse prparatoire sur carton - Biblioteca Ambrosiana, Milano

    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512,

    Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

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    Lesprit par la grce : Raphal au Vatican Raphal est le nouvel lu. Il a fait ses premires armes auprs de son pre Giovanni Santi (v. 1435-1494), petit ngociant devenu peintre et pote qui, aprs avoir reu les enseignements de Piero della Francesca (v. 1412-1492), a t introduit dans les cnacles dUrbino, protgs par le duc Guidobaldo da Montefeltro (1472-1508). Celui-ci a reu les rudiments dEuclide et dAristote par le mathmaticien Luca Pacioli (1445-1517), qui enseigna galement lart des mathmatiques Leonard de Vinci. Le gnie prcoce du jeune Raphal, dans ce milieu drudits, est rapidement dcel. En 1503, la mort du pape Alexandre VI, Borgia aux murs dissolues, succde son ennemi jur Jules II della Rovere, dont les liens avec le duch dUrbino sont patents : cest lui qui a remis Guidobaldo sur le trne du duch, aprs une priode de guerre o celui-ci avait d prendre la fuite et, le sachant sans hritier, lui fait adopter son neveu Francesco Maria della Rovere, le duch passant ainsi entre les mains de sa propre famille. Raphal est devenu lhomme de la situation : la sur du duc la introduit Florence, il y a frquent les nouveaux cercles platoniciens et la mtaphysique dveloppe par Marsile Ficin, a rencontr Michelangelo quil va retrouver bientt au Vatican ; Francesco Maria della Rovere vient de lui commander des portraits pour sa collection prive, le recommandant son tour Agostino Chigi, le banquier et minence grise du nouveau pape. Enfin, cest larchitecte Angelo di Pascuccio, dit Bramante (1444-1514), oncle du peintre, comme lui n Urbino, charg par le pape des plans de la basilique Saint-Pierre, qui accomplira lentremise dcisive. Raphal est donc appel reprendre le chantier des stanze, Jules II n'ayant pas hsit faire disparatre des fresques prexistantes, de la main de Piero Della Francesca et de Luca Signorelli, ayant dj congdi quatre peintres de renom, dont Lorenzo Lotto et le Sodoma Giovanni Bazzi (+1477-1549), ami de Raphal qui vient daccomplir une grande partie de la dcoration des votes. Le pape et Chigi sempressent de confier au peintre le programme philosophique que les fresques doivent reprsenter : en particulier, pour la camera della Segnatura, dune grandeur de huit mtres sur dix environ, le Vrai, le Beau et le Bien devront cohabiter, selon la doxia platonicienne : le VRAI, sous les deux formes de la Thologie, la vrit rvle, et la Philosophie, la vrit naturelle ; le BEAU, sous lgide du Parnasse, par lentremise de la posie et de la musique ; le BIEN, sous les vertus du Droit et la Justice...

    Philosophie et thologie en miroitement Cest ainsi que le Vrai surnaturel sera illustr par la Dispute du Trs Saint-Sacrement, le Vrai rationnel par lcole dAthnes, intitule primitivement La Vrit rationnelle ou naturelle. Le Bien sera reprsent par les Vertus Cardinales et Thologales et par la Loi, le Beau par le Parnasse avec Apollon et les Muses. La justice de Dieu se doit dtre rendue dans un lieu gomtrique o lesprit et les sens concourent une sorte de conciliation entre platonicisme et christianisme, alors qu cette poque les thses no-pythagoriciennes, aristotliciennes, concilies au dogme chrtien, sont prement discutes, les controverses nombreuses et souvent schismatiques, face lvolution des nouvelles spculations astronomiques et de la rvolution copernicienne. Un nouveau monde rationaliste, contestateur du dogme, port par les progrs de la science, est en effet en train dmerger, alors que prdomine lancienne conception gocentrique, avec comme corollaire la figure de Dieu, crateur et moteur de toute chose.

    Il est piquant de constater que cest ce pape aux gots dispendieux, conqurant, belliqueux, mgalomane, fustig par rasme et Martin Luther, qui va faire entrer le corpus esthtique portant les nouvelles ides humanistes de la Renaissance dans le saint des saints de la tradition catholique.

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    Philosophie et thologie se retrouvent face face, dans un miroitement subtil de lune vers lautre. Raphal va instiller dans son uvre de nombreux doubles sens : double identit de certaines figures, double cheminement, de Pythagore Platon, dEuclide Aristote, double appartenance sous les statues symboliques dApollon et de Minerve, double circulation horizontale et verticale, dualit du doute philosophique incarne au centre de lhmicycle des personnages par Hraclite/Michelangelo, le contemplatif pessimiste et Diogne, le cynique dsillusionn. Linnovation du peintre, plus que dans ladmirable facture du dessin, rside dans ces multiples mouvements qui installent une architecture mtaphysique laissant place de nombreux niveaux de lecture et dinterprtation.

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    La figure et son double ou la qute intemporelle La fresque rassemble une soixantaine de personnages, dont une trentaine plus ou moins identifis, penseurs et philosophes de la Grce antique associs des personnalits contemporaines, par lesquelles certaines sont les doubles probables des premiers.

    Ainsi est-il sans doute possible de voir dans le Platon au doigt lev un portrait de Leonardo da Vinci (1452-1519), contemporain du peintre, que celui-ci a pu rencontrer Florence et dont il connat les travaux spiritualistes. De mme la figure dHraclite, au premier plan, ajoute une fois la fresque termine, comme le montrent les raccords d'enduits et le carton prparatoire conserv la bibliothque Ambrosiana de Milan, rappelle les traits de Michelangelo, hommage possible au travail de celui-ci dans la Chapelle Sixtine, que Raphal a pu dcouvrir au moment o il terminait son propre ouvrage. De mme, Euclide ressemble larchitecte Bramante, l'enfant derrire picure Federico Gonzaga, le jeune homme vtu de blanc est le mcne Francesco della Rovere, Zoroatre figure peut-tre Pietro Bombo (1470-1547), le grand humaniste vnitien, devenu cardinal, rencontr lui aussi Urbino...

    La renovatio des valeurs immmoriales transmises par Pythagore, Aristote et Platon, est assur par les acteurs du moment, mcnes, penseurs ou artistes, qui en deviennent les nouveaux dpositaires.

    Lartiste en alter ego et ordo ab chao

    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, Raphal ( gauche), Le Sodoma ( droite), Zoroastre avec le globe cleste, Ptolme avec le globe terrestre, dtail, Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

    Selon lancienne tradition, Raphal lui-mme s'est reprsent dans le jeune homme au bret noir droite. On sait ainsi que ce visage, le seul de lensemble fixer le spectateur, hors de la scnographie de la scne, est une manire de signature pour lartiste.

    Mais une autre signification doit ici tre distingue : pour lune des premire fois peut-tre, lartiste devient lalter ego du personnage historique ou allgorique, il participe de plain-pied lobjet reprsent. Parmi le groupe des empiristes , autour de Zoroastre et de Ptolme qui discourent, globes en main, de leurs systmes, Raphal - et ct de lui, son ami le Sodoma - sont partie prenante du dbat. De mme, en figurant au premier plan sous les traits dHraclite (v. 544-v. 480 av. J.-C.) la personnalit ombrageuse de Michelangelo, volontairement rajoute la fresque (voir plus haut), Raphal cre un contrepoids dimportance la lumire dispense par Platon qui, en loccurrence, se trouve la verticale du sculpteur.

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    Du nombre lme ou le message cach Un autre niveau de lecteur simpose alors : le spectateur, pour accder la comprhension platonicienne, devra passer dabord par la remise en question quincarne la philosophie dHraclite : introspection par la mlancolie (penser la clbre gravure dAlbrecht Drer [1471-1528], Melencolia I, date de 1514 - selon le fameux carr magique du dessin o cette mention apparat - qui impose un ange de mlancolie comme messager dun des moyens essentiels pour accder une nouvelle connaissance) et lacdie, cette maladie de lme que rprouve la thologie, mais que pratique, depuis Ptrarque, la posie et la mditation philosophique, reprise beaucoup plus tard par le spleen romantique que clbrera Baudelaire. Le flottant , l instable , avant la reconqute de lquilibre : ordo ab chao, le dsordre avant lharmonie, pour retrouver lharmonie !

    Albrecht Drer (1471-1528), Melencolia I, 1514, gravure sur cuivre, de la srie des Meisterstiche

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    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, Hraclite/Michelangelo, dtail, Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

    De mme, du ct des empiristes , la verticale dAristote, on trouve la figure de Diogne (v. 413-v. 327 av. J.-C.), elle aussi au premier plan : Diogne de Sinope, dit le cynique , hdoniste, irrligieux, dont lapparente immoralit, lacceptation dune sexualit libre, la recherche dun homme vrai par rapport la figure idalise par Platon, et labandon de toute posture et de tout vtement illusoires, forment un contraste saisissant avec la doctrine aristotlicienne, pourtant voulue pragmatique, comme lindique le geste dAristote tourn vers la ralit terrestre, en contrepoint avec le geste tourn vers le ciel de Platon. L aussi, il est demand au spectateur de franchir cette tape avant daccder aux vertus cardinales. Pour les deux philosophes, Hraclite/Michelangelo et Diogne, Raphal a encore densifi le code symbolique : au pied des marches, Hraclite mdite appuy sur un bloc de marbre, sorte de pidestal dune statue encore crer - prfiguration inconscience des combats de Michelangelo avec la matire, laissant inacheve une partie de son uvre - pendant que Diogne, un peu surlev par rapport lui est vautr, assis sur les marches, sans pouvoir accder au plateau suprieur o se trouvent Platon et Aristote.

    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, Diogne, dtail, Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

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    Une architecture spirituelle En prenant du recul avec la reprsentation on saperoit aisment quelle est traverse par des axes de comprhension qui laissent au spectateur (du moins, celui qui voudra bien ne pas se contenter de la seule belle facture ) le loisir dy prendre un chemin vers la lumire. Dans le cadre architectural, caractris par un dme avec un plafond caissons et des pilastres, motifs qui rappellent l'empire romain, synthse de philosophies paennes et chrtiennes, mais qui s'inspirent aussi des lvations de Bramante pour la basilique Saint-Pierre, on distingue un partage de la scne entre un niveau infrieur (sublunaire, corruptible, instable =discors) et un niveau suprieur (solaire, incorruptible, inaltrable= concors), illustr par la sparation des bas-reliefs : ceux du bas consacrs l'humanit, ceux du haut aux divinits (Apollon et Minerve). Larchitecture voque les strates dune cosmogonie o lon voit lensemble des personnages se dployer comme un double ventail, partir dun axe central et vertical : de bas en haut, ct spectateur, et de haut en bas, ct philosophes (Platon et Aristote en forment la tte).

    Un axe vertical spare les deux groupes essentiels : gauche, les thoriciens, vhicules de la mathmatique spculative, de Pythagore jusqu Platon (de gauche droite), domins au-dessus par la statue dApollon ; droite, les empiristes, disciples de la mathmatique pratique, dEuclide jusqu Aristote (de droite gauche), surplombs de la statue de Minerve.

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    Apollon : dieu grec du chant, de la musique et de la posie, des purifications et des gurisons, des oracles et de la divination, par la connaissance delphique, possesseur de la lyre cosmique et porteur de la lumire.

    Minerve : desse romaine de la guerre, de la stratgie, de l'intelligence, de l'industrie et des artisans, protectrice de Rome, dont le symbole est la chouette. La lyre (lHarmonie cleste, le Nombre, la vibration originelle) face la chouette de la connaissance : voil les deux ples, les deux bannires, sous lesquels penseurs, chercheurs et artistes sont regroups. Selon liconographie mdicenne de la Dame de Julien, figure cre par Botticelli en 1475, Minerve est celle qui tend la main la faiblesse de notre esprit .

    gauche, lventail pythagoricien, par les sons et les nombres, dploy vers le ciel. droite, lventail euclidien, ouvert sur lapprentissage, lartisanat du savoir, la matrise des proportions, la mesure des systmes (les deux globes, cleste pour Zoroastre, terrestre pour Ptolme), o se range Raphal lui-mme : na-t-il pas sign son uvre des initiales RVSM (Raphael Urbinas Sua Manu) dans le cou dEuclide ?

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    Selon liconographie mdicenne de la Dame de Julien, figure cre par Botticelli en 1475, Minerve est celle qui tend la main la faiblesse de notre esprit . Ple masculin, ple fminin, attraction complmentaire, runis par les Arts libraux (Quadrivium, Trivium) dont les deux divinits sont les incarnations mythologiques. cette symtrie rpondent des axes horizontaux, qui dterminent des diagonales significatives : Averros (dans le groupe de Pythagore, gauche), trouve un contrepoids avec Zoroastre (dans le groupe dEuclide, droite) deux spiritualits non occidentales, dont la porte est essentielle et la diffusion croissante la Renaissance.

    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, Pythagore et lpogdoon , dtail, Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

    Le diapason divin Principe pythagoricien concernant les sons et la musique l'pogdoon (du prfixe epi- signifiant au-dessus et ogdoon signifiant le huitime) traduit l'intervalle de 9/8, qui correspond au ton. En vertu des proportions numriques, sur lesquelles se construisent les intervalles de la gamme pythagoricienne (3/2 [hmiolios] associ la quinte, 4/3 [epitritos] avec la quarte...), et des effets harmonieux engendrs, l'pogdoon figure une sorte de diapason mystique qui maintient en quilibre les nombres, moteur de toute chose, devenus sons (les pythagoriciens rejettent, par exemple, le nombre 17, car il spare 16 de son pogdoon 18, ce qui ne peut quengendrer le discors (discorde). Ainsi, en haut du diagramme de Raphal, on peut voir les rapports 6 8 9 12, qui rappellent lallgorie des forgerons, lie la lgende de Pythagore, que relate notamment le moine Guido dArezzo (992-1033), initiateur du nom des notes et de la solmisation, dans son Micrologus :

    Un certain Pythagore, grand philosophe, voyageait daventure ; il arriva un atelier o lon frappait sur une enclume laide de cinq marteaux. tonn de lagrable harmonie [concordiam] quils produisaient, notre philosophe sapprocha et, croyant tout dabord que la qualit du son et de lharmonie [modulationis] rsidait dans les diffrentes mains, il interchangea les marteaux. Cela fait, chaque marteau conservait le son qui lui tait propre.

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    Aprs en avoir retir un qui tait dissonant, il pesa les autres, et, chose admirable, par la grce de Dieu, le premier pesait douze, le second neuf, le troisime huit, le quatrime six de je ne sais quelle unit de poids. Il connut ainsi que la science [scientiam] de la musique rsidait dans la proportion et le rapport des nombres [in numerorum proportione et collatione] [...] Que dire de plus ? En mettant en ordre les notes daprs les intervalles dont on a parl, lillustre Pythagore fut le premier mettre au point le monocorde. Comme ce nest pas lascivit quon y trouve, mais une rvlation rapide de la connaissance de notre art, il a rencontr un assentiment gnral chez les savants. Et cet art sest peu peu affirm en se dveloppant jusqu ce jour, car le Matre lui-mme illumine toujours les tnbres humaines et sa suprme Sagesse dure dans tous les sicles. Amen

    Guido dArezzo, in Micrologus, chap.XX, vers 1026 (trad. Marie-Nol Colette et Jean-Christophe Jolivet, d. IPMC, 1993)

    Franchinus Gaffurius/Franchino Gafurio (1451-1522), Theorica musiche, Naples,1480. Dmonstration de la lgende de la dcouverte des proportions musicales, de Tubal Pythagore.

    On y voit la division (dirse) de l'octave (diapason) en deux quartes (diatessaron) spares par un ton (pogdoon) et les intervalles entre les sons correspondent aux rapports suivants :

    12/6 = 2/1 = 1+1 Diapason () = Octave 12/8 = 9/6 = 3/2 = 1+1/2 Diapente () = Quinte 2/9 = 8/6 = 4/3 = 1+1/3 Diatessaron () = Quarte 9/8 = 9/8 = 1+1/8 pogdoon () = Ton

    Dans cette premire thorie connue des proportions musicales, on obtient loctave en doublant la grandeur, la quinte en ajoutant la moiti, la quarte en ajoutant un tiers, le ton en ajoutant un huitime. Pour les Pythagoriciens, ces rapports numriques harmonieux rgissent aussi les corps clestes (harmonie des sphres = harmonices mundi).

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    Dans le bas du tableau figure la pyramide de la Dcade divine (4+3+2+1=10) : la Ttraktys en qui se trouve la source et la racine de l'ternelle nature. Tout drive de la Dcade et tout y remonte. Le 10 est l'image de la totalit en mouvement .

    Ainsi le diagramme montre-t-il le lien qui unit nombres et vibrations harmoniques :

    Tout est nombre, le nombre est proportion et les proportions forment les intervalles des sons.

    Lunivers est donc vibratoire, et la musique son expression dans lespace !

    Johannes Kepler, Harmonices mundi, 1610, dtail. La mlodie des plantes...

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    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, dtails De Pythagore (pogdoon, le nombre/les proportions) Euclide (hexagramme, la gomtrie/l'espace)

    Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, dtails De l'podgoon de Pythagore l'hexagramme dEuclide (de la cosmologie nombres/proportions/

    harmonices mundi, la projection gomtrique dans l'espace) Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

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    Les deux voies de la connaissance

    Quatre ples dattractions mobilisent lattention du spectateur :

    le groupe de Pythagore, au premier plan gauche , o lon reconnat Boce, Parmnide ou Averros, concentr sur lenseignement pythagoricien, symbolis par la main innocente de Tlaugs, le fils de Pythagore, qui prsente lpogdoon dessin sur un tableau noir, au pied du philosophe ;

    le groupe dEuclide, au premier plan droite, au milieu duquel le mathmaticien trace au compas sur un autre tableau noir presque symtrique la figure gomtrique dune toile six branches (hexagramme) incluant le nombre dor ;

    le groupe de Platon, au centre, en haut gauche, que surplombe le droit dress vers le ciel du philosophe, lautre bras supportant le Time ;

    le groupe dAristote, au centre, en haut droite, nourrissant la dialectique avec les platoniciens, dont la main dirige vers la terre fait contrepoids avec le geste de Platon, qui porte lthique sous son bras.

    Rafaello Sanzio, dit Raphal (1483-1520), La Scuola di Atene (L'cole d'Athnes), 1508-1512, Pythagore dtail, Camera della Segnatura (Chambre de la Signature), Rome, muses du Vatican

    thique contre Time : la main dAristote clairement oriente vers la terre indique un cheminement qui ponctue, tout en le compltant, le geste de Platon montrant le ciel. De gauche droite (mais les choses peuvent se lire aussi dans lautre sens...), de Pythagore le thoricien Euclide lempiriste, cest donc un double parcours philosophique que nous convie la mise-en scne imagine par Raphal. Et, pour que le message soit plus clair encore, les figures philosophiques qui jalonnent le cheminement sont adroitement disposes pour incarner les vertus du savoir scholastique classique transmises par le Trivium (grammaire/rhtorique/dialectique) et le Quadrivium (arithmtique/musique/gomtrie/astronomie), ce quon nomme plus gnralement les sept arts libraux. Des gnrations dtudiants - et Raphal, en particulier, Urbino - les apprenaient par cur par le moyen mnmotechnique de la rcitation des vers suivants :

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    Gram loquitur, Dia vera docet, Rhe verba colorat, Mus canit, Ar numerat, Geo ponderat, Ast colit astra ,

    ce qui signifie, la Gram(maire) parle, la Dia(lectique) enseigne, la Rh(torique) colore les mots, la Mus(ique)chante, l'Ar(ithmtique) compte, la Go(mtrie) pse, l'Ast(ronomie) s'occupe des astres. Tout cela tait synthtis par cet autre vers compos des sept substantifs : Lingua, tropus, ratio, numerus, tonus, angulus, astra. Si lon veut bien, maintenant, considrer lavant-scne de la fresque dans une lecture oblique de gauche droite, on voit se succder : le tableau noir ou figure lpogdoon avec la Ttraktys, chers aux pythagoriciens, puis une pierre pannele sur laquelle repose le pied de Parmnide, le penseur de ltre par excellence, mais aussi celui de la sphricit terrestre et du gocentrisme, puis le socle de marbre, sur lequel est accoud Hraclite, enfin lescalier o Diogne est vautr moiti dnud. Le symbolisme qui en dcoule se lit plusieurs niveaux : il conduit, de la cosmologie du nombre (matire de lenseignement de Pythagore), par la pierre pannele (perception physique/Parmnide), vers la matire restructure par lartiste dans lespace (perception sensible/pierre angulaire), puis vers le scepticisme cynique incarn par Diogne qui, sur les marches de la connaissance, sest arrt en pleine lvation. De mme, du livre/somme o Pythagore reproduit lpogdoon (sous le regard de Boce), au carnet de Parmnide puis, du mince fascicule qui recueille les penses dHraclite au feuillet que lit Diogne, et de la toge doctorale de Pythagore lhabit de lartisan port par Michelangelo/Hraclite, puis au drap dpouill de Diogne, on peut suivre des tapes dun parcours initiatique frquemment repris et pratiqu dans les cnacles sotriques (franc-maonnerie notamment). Ds lors on peut distinguer deux voies de la connaissance qui sorganisent sur la fresque et cette double circulation est illustre par les figures ambivalentes des philosophes :

    la voie mtaphysique, ascensionnelle (on monte les marches !), se dploie partir du groupe de Pythagore, gauche, jusqu Platon, en passant, entre autres, par Boce, Parmnide, Hypatie, Averros, Epicure, Alcibiade, Socrate...). Puis, allant dAristote vers Euclide, la voie redescend progressivement en passant par Plotin, Empdocle, Zoroastre, Ptolme...), formant un demi- cercle dont le centre est le spectateur, lindividu.

    la voie empirique, horizontale, qui conduit de Pythagore Euclide, de la reprsentation de lpogdoon et de la Ttraktys, des Harmonices mundi, la projection dans lespace des principes proportionnels et numriques, travers le dessin au compas dEuclide. Ce parcours passe, lui, par Hraclite, le philosophe pessimiste - incarn par la figure de Michel-Ange, dont on sait les doutes perptuels dans sa propre cration et le nombre important duvres inacheves ou dtruites -, puis par Diogne le cynique , du Je me suis cherch moi-mme dHraclite au Je cherche lhomme de Diogne de Sinope. Tout cela est soutenu par une gradation initiatique suggre par le passage de la pierre brute peine pannele, sur laquelle sappuie le pied de Parmnide, le philosophe de ltre, vers le socle de la pierre taille, sur lequel est accoud Michel-Ange/Hraclite, puis vers llvation progressive voque par les marches sur lesquelles sest arrt Diogne...

    Parcours initiatique, graduel : difficile de ne pas voir, dans cette symtrie du nombre vers la forme, de labstraction numrique vers la concrtisation formelle, une sorte dalpha et omga du savoir, induisant une progressive transformation de ltre, passant du nombre idalis (Spiritualit/pogdoon/Ttraktys) sa transposition dans lespace (Matrialit/Gomtrie).

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    Les deux voies de la connaissance de Pythagore (pogdoon) Euclide (hexagramme) : la voie mtaphysique par les synthses de Platon (avec le Time) et Aristote (avec l'Ethique); la voie empirique par Hraclite (le doute philosophique) et Diogne (la rfutation sceptique).

    ces liens smantiques sajoute un arrire-plan particulirement important : lintgration du monde sonore vibratoire et celui des couleurs et de la lumire. Rappelons-nous la leon de Platon et de Marsile Ficin : pour atteindre le Souverain bien, lhomme doit intgrer dans sa qute le Vrai et le Beau en proportion simultane et quivalente. Les sens y participent donc pleinement (Ficin naccompagne-t-il pas ses oraisons philosophiques avec une lyre ? Orphe, par la musique de Claudio Monteverdi (1567-1643) et le livret dAlessandro Striggio (v. 1573-1630), nincarnera-t-il pas, la naissance de lOpra, les premiers pas dun art apte rassembler toutes les disciplines artistiques, vers la Gesamtkunstwerk (uvre dart total) accomplie par Richard Wagner ? Si lon se place maintenant sur un plan plus global, on peut sapercevoir quune dialectique est installe entre spiritualit et matrialit (le doigt de Platon tourn vers le haut, la main dAristote oriente vers le bas. Platon tient le Time dans sa main gauche, lun de ses derniers Dialogues et la premire cosmologie qui nous soit parvenue dans son intgralit, o le philosophe pythagoricien Time de Locres expose sa conception sur lorigine du monde physique et de lme humaine, alors quAristote porte son thique ( Nicomaque), une qute du Souverain bien par la matrise de la flicit individuelle. Il sagit donc de concilier le vir activus (lhomme matriel) avec le vir contemplativus (lhomme spirituel). Ces deux ouvrages, parfaitement complmentaires, et sans doute interchangeables dans la perspective de cette dichotomie spirituelle/matrielle dploye en deux camps symtriques (thoriciens/empiriques), viennent complter smantiquement le parcours philosophique reprsent esthtiquement.

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    Comme lobserve le critique dart Eugenio Battisti (1924-1989) : Si l'on regarde enfin la clbre fresque de l'cole d'Athnes de Raphal et que l'on examine le titre des ouvrages respectivement tenus par Platon et Aristote, on y voit le philosophe de l'Acadmie tenir le Time, c est--dire le plus aristotlicien et le plus systmatique de ses ouvrages et le stagirite, lthique Nicomaque, c est-- dire la plus platonicienne de ses uvres . De mme, un travail subtil est conduit pour rendre le concept de la lumire et des couleurs en accord avec la qute philosophique : progressive, la lumire blanche de la partie suprieure de la scne rejoint la reprsentation des dieux (Apollon et Minerve) puis se diffuse dans tout lespace ; le travail sur les ombres est maintenu lconomie, les personnages ntant l que pour figurer une pense abstraite et non pas pour imposer une ralit charnelle. Les couleurs du spectre, habilement rparties sur les vtements, reprennent les petits cartouches de la vote, comme une irisation de la lumire venue den haut, et concentrent celles des quatre lments (terre, air, feu, eau) sur les toges recouvrant les deux figures centrales de Platon et dAristote [...]

    Sur le mme sujet voir aussi :

    Patrick Crispini : De lHarmonie (in Blog-notePa

    Patrick Crispini : La qute dHarmonie, vers La vibration originelle ou la Lyre cosmique.

    http://pc-blognote.blogspot.fr/2014/02/de-lharmonie-harmonices-mundi.htmlhttps://sites.google.com/site/patrickcrispini/la-vibration-originelle-ou-la-lyre-cosmique

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    TRANSARTIS PRODUCTIONS - dcembre 2015 ( DUINO PRODUCTIONS - septembre 2009)

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    La lyre d'Herms

    Herms (Mercure, chez les Romains) est fils de Zeus et de Maa, et le messager des dieux.

    Il est donc traditionnellement associ au voyage, l'change (amoib) : il conduit les voyageurs et les marchands dont il est le patron, mais aussi les mes dans l'Hads, et ne manque pas de protger au passage les menteurs et voleurs ! L'ingniosit et l'espiglerie, dont il est dot ds son plus jeune ge, favorisent son habilet : c'est ainsi qu'il va fabriquer une lyre en utilisant une carapace de tortue, puis subtiliser le troupeau d'Apollon qu'il dissimule en le faisant marcher reculons pour brouiller les pistes. Une fois le subterfuge dcouvert, Herms se fera pardonner d'Apollon en lui offrant sa lyre. En change il reoit le caduce, qui deviendra un de ses attributs. L'Hymne homrique Herms rapporte ainsi la cration de la lyre, v. 20-54 :

    Il [Herms] trouva une tortue [...] La prenant deux mains, il rentra avec cet aimable jouet. Alors retournant la bte, avec un burin de fer mat il arracha la moelle de vie la tortue des montagnes. Comme une pense rapide traverse le cur dun homme que hantent de pressants soucis, ou comme on voit tourner les feux dun regard, ainsi le glorieux Herms accomplissait ses paroles et ses actes. Il tailla des tiges de roseau la juste mesure, et les fixa en traversant dans le dos lcaille de la tortue. Puis, avec lintelligence qui est la sienne, il tendit sur le pourtour une peau de buf, adapta deux bras joints par une traverse, et tendit sept cordes harmonieuses en boyau de brebis. Aprs avoir si vite construit laimable objet, il en prouva les cordes tour tour, avec un plectre ; et sous ses doigts la cithare rendit un son merveilleux .

    Apollon citharde versant une libation, mdaillon d'une coupe attique fond blanc attribue Pistoxnos, muse archologique de Delphes

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    Platon, spculations et cosmogonies Platon reprend la thorie harmonique pythagoricienne. Ds Aristote se dessine une dualit entre lide de rgles dharmonie, trs rigoureuses, mathmatiques, qui permettent datteindre la perfection par la raison, et celle dun sentiment, dune exprience vcue de lharmonie qui fait communier avec le divin. Sous linfluence stocienne, la mdecine hippocratique va intgrer elle aussi le principe dharmonie sa doctrine. Le concept d'Harmonie des Sphres est aussi prsent chez les no platoniciens (Plotin et Proclus). Dans le De die natali, dat de 238, lastrologue romain Censorin reprend les principes de Pythagore, en perfectionnant le calcul des distances astronomiques exprimes en tons musicaux :

    - de la Terre la Lune, un ton, - de la Lune Mercure, un demi ton, - de Mercure Vnus, un demi ton, - de Vnus au Soleil, un ton et demi, - du Soleil Mars, un ton, - de Mars Jupiter, un demi ton, - de Jupiter Saturne, un demi ton, - de Saturne aux toiles (fixes), un demi ton.

    Il y a donc trois tons de la Terre au Soleil, soit une quinte, tandis que du Soleil aux fixes (toiles) il n'y a que deux tons et demi, soit une quarte. On retrouve cependant six tons (une octave) pour aller de la Terre aux toiles. Transmise par les Romains, lharmonie du monde va aussi enchanter la tradition chrtienne : Sraphins, anges et chrubins remplacent sirnes et muses pour faire entendre des accents clestes. Lharmonie du monde ne peut tre que luvre de Dieu.

    Lhomme est enserr dans une harmonie universelle des cratures qui rpond une hirarchie, un ordre cleste

    assure le moine irlandais Jean Scot, la suite de Boce. Comme un cho lointain de Mat, le principe dquilibre qui, dans lgypte ancienne, ordonne les forces de la vie et dicte lordre du monde, lharmonie universelle est un modle idal pour toute uvre humaine. Cette qute d'harmonie permet d'lever la musique au mme niveau que l'arithmtique, la gomtrie et l'astronomie, comme l'crit Cassiodore vers 550.

    L'ensemble de ces quatre disciplines constitue le Quadrivium, l'essentiel de l'enseignement classique suprieur profess jusqu' la fin du Moyen-ge. La musique vient en seconde position, aprs larithmtique, dans cet enseignement : toujours le nombre, la proportion, comme Art royal, suivi du son, comme complmentaire cosmogonique.

    Sine harmonia, nulla pulchritudo (sans harmonie, point de beaut) dit la thologie au IXe sicle. Et la philosophe ouvrire Simone Weil renchrira, au XXe sicle, dans son essai La Pesanteur et la Grce :

    La beaut cest lharmonie du hasard et du bien .

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    Macrobius Ambrosius Theo