de l’endettement au surendettement des entreprises · de l’endettement au surendettement des...

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Colloque organisé en partenariat avec l’Association française des juristes d’entreprise l’Association nationale des juristes de banque la Fédération nationale pour le droit de l’entreprise DE L’ENDETTEMENT AU SURENDETTEMENT DES ENTREPRISES DES RÉALITÉS FINANCIÈRES AUX CONTRAINTES JURIDIQUES COLLOQUE DU 16 DÉCEMBRE 1998 sous le haut patronage de M me Elisabeth GUIGOU Garde des Sceaux, Ministre de la Justice sous la présidence successive de M. Guy CANIVET, Premier Président de la Cour d'appel de Paris M. Pierre BÉZARD, Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation Les actes de ce colloque ont fait l’objet d’une publication dans La Gazette du Palais (n os 265-266 du 22-23 septembre 1999)

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Page 1: DE L’ENDETTEMENT AU SURENDETTEMENT DES ENTREPRISES · De l’endettement au surendettement des entreprises sommaire ALLOCUTIONS D'OUVERTURE M. Michel FRANCK, Président de la Chambre

Colloque organisé en partenariat avec

l ’Association française des juristes d’entreprise l ’Association nationale des juristes de banque

la Fédération nationale pour le droit de l ’entreprise

DE L’ENDETTEMENT AU SURENDETTEMENT DES ENTREPRISES DES RÉALITÉS FINANCIÈRES

AUX CONTRAINTES JURIDIQUES

C O L L O Q U E D U 1 6 D É C E M B R E 1 9 9 8

sous le haut patronage de Mme Elisabeth GUIGOU Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

sous la présidence successive de

M. Guy CANIVET, Premier Président de la Cour d'appel de Paris M. Pierre BÉZARD, Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation

L e s a c t e s d e c e c o l l o q u e o n t f a i t l ’ o b j e t d ’ u n e p u b l i c a t i o n

d a n s L a G a z e t t e d u P a l a i s ( n o s 2 6 5 - 2 6 6 d u 2 2 - 2 3 s e p t e m b r e 1 9 9 9 )

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De l’endettement au surendettement des entreprises

sommaire

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE M. Michel FRANCK, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris .................... 4 M. Guy CANIVET, Premier Président de la Cour d’appel de Paris ................................................ 6 Mme Dominique de LA GARANDERIE, Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris.............................................................................................................................. 6 M. Gilles MAUDUIT, Président de l’Association française des juristes d’entreprise ...................... 7 M. Francis CRÉDOT, Président de l’Association nationale des juristes de banque ...................... 8

DE L'ENDETTEMENT ... Sous la présidence de M. Guy CANIVET, Premier Président de la Cour d’appel de Paris ............ 9

LE POINT DE VUE DE L'ÉCONOMISTE M. Christian de BOISSIEU, Directeur scientifique du COE, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ..................................................................................................................... 9

LE POINT DE VUE DU JURISTE M. Yves CHAPUT, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ..................................................................................................................... 13

ENDETTEMENT ET FINANCEMENT DE L'ENTREPRISE M. Alain COURET, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Avocat associé (Francis Lefebvre) .......................................................................................................................... 17

Des PME ... M. Michel LÉCUYER, Directeur central des engagements à la Banque populaire de l’Ouest ....... 26

... Aux groupes de sociétés M. Jean-Pierre MATTOUT, Directeur des affaires juridiques de PARIBAS, Professeur associé à l’Université Paris II (Panthéon-Assas) ............................................................................................ 30

ENDETTEMENT ET DÉTECTION DU RISQUE M. Éric PAGET-BLANC, Responsable de la notation des entreprises – Fitch-IBCA, Maître de conférences à l’Université d’Evry.................................................................................................... 38 Mme Mireille BARDOS, Responsable de l’Observatoire des entreprises – Banque de France...... 46

DÉBAT.............................................................................................................................................. 51

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... AU SURENDETTEMENT Sous la présidence de M. Pierre BÉZARD, Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation ................................................................................................................................... 54

Propos liminaires

M. Olivier DOUVRELEUR, Sous-Directeur à la Direction des Affaires civiles et du Sceau, Ministère de la Justice.................................................................................................................... 68

LE TRAITEMENT DU SURENDETTEMENT, GÉNÉRATEUR DE RESPONSABILITÉS

TABLE RONDE animée par M. Jean-Jacques Daigre, Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Président de la FNDE ................................................................................ 58

avec la participation de :

M. Jean COURTIÈRE, Membre de la CCIP, Président du Comité technique du CREDA M. Édouard LEDUC, Président honoraire de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris, Membre du Conseil national des commissaires aux comptes MME Pierrette PINOT, Président de Chambre à la Cour d’appel de Paris M. le Professeur Jean-Louis RIVES-LANGE, Avocat à la Cour

DÉBAT.............................................................................................................................................. 66

LES ASPECTS INTERNATIONAUX DU SURENDETTEMENT

TABLE RONDE animée par M. le Conseiller Jean-Luc VALLENS, Magistrat ......................... 68

Particularismes des droits anglais et allemand de l'insolvabilité M. Alan PERRY, Solicitor (Londres), Membre du Conseil de l’Association européenne des praticiens des procédures collectives M. Michael GRAAFF, Rechtsanwalt, Konkursverwalter (Hanovre)

Le droit français et les situations d'insolvabilité internationale – les réponses du droit international privé

M. Bertrand ANCEL, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) .................................... 78

La reconnaissance et l’exécution des jugements en matière de faillite – les solutions proposées par l’Union européenne et les Nations Unies

M. Jean-Luc VALLENS, Magistrat ................................................................................................ 93

OBSERVATIONS CONCLUSIVES M. le Recteur Jacques BÉGUIN, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ............ 97

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ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

M. Michel FRANCK, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris

C’est pour moi une tâche particulièrement agréable que de vous souhaiter, à tous, la plus cordiale bienvenue en cette maison. Ce colloque, notre Centre de recherche sur le droit des affaires l’a organisé avec le concours de partenaires prestigieux, partenaires avec lesquels le CREDA entretient, depuis longtemps, de fructueuses relations : la Cour d’appel de Paris, le Barreau de Paris, l’Association française des juristes d’entreprise et la Fédération nationale pour le droit de l’entreprise, auxquels se joint aujourd’hui pour la première fois l’Association nationale des juristes de banque.

Conformément à une coutume désormais bien établie, le colloque qui nous réunit aujourd’hui fait suite à une étude de grande ampleur menée par le CREDA. Son thème, toujours d’actualité, est celui de l’endettement. Cette étude a donné lieu à la rédaction de deux ouvrages dont la publication est toute récente (1). Cette recherche, je tiens à le rappeler, a été initiée par Alain Sayag, qui fut le Directeur scientifique du CREDA jusqu’à sa disparition prématurée en 1995, et dont le souvenir reste bien vivant dans l’esprit et le cœur de tous ceux qui l’ont connu.

« De l’endettement au surendettement » : tel sera donc le thème de nos travaux. Le rapprochement suggéré s’impose d’évidence, en ce sens qu’il existe un lien logique autant que chronologique d’une situation à l’autre. Mais on mesure aussi ce qu’il y a d’irréductible entre l’endettement, situation normale de toute entreprise, et son versant pathologique, le surendettement, qui ne touche heureusement qu’un nombre limité d’agents économiques.

La matinée sera donc consacrée à l’endettement. Chacun sait que toutes les entreprises n’ont pas un égal accès à des financements adaptés à leur dimension, à leur activité ou à leur structure juridique. C’est d’ailleurs un des axes majeurs de la politique de la CCIP que de contribuer à améliorer le financement des entreprises françaises. C’est notamment dans cette perspective que nous avons donné un avis très favorable à la proposition de directive communautaire visant à réduire les délais de paiement et à sanctionner efficacement les dépassements abusifs.

La question de l’endettement présente des spécificités remarquables pour deux catégories d’opérateurs au demeurant fort dissemblables : les PME d’un côté, et les groupes de sociétés de l’autre. Les PME tout d’abord, dès lors qu’elles ne peuvent, en pratique, accéder aux marchés financiers, ni même aux marchés monétaires désintermédiés. La CCIP, dans un rapport publié il y a quelques mois, a pu regretter qu’il n’existe pas, comme aux États-Unis, de mécanismes permettant de collecter l’épargne de proximité et d’orienter les fonds ainsi disponibles au financement des PME qui en ont un besoin vital. S’agissant des groupes de sociétés, la gestion de l’endettement peut également se révéler particulièrement délicate. La difficulté est ici de gérer au mieux les flux de trésorerie entre les diverses composantes du groupe ; ce qui sous-tend des enjeux financiers souvent considérables. À cela s’ajoute la

(1) CREDA, L’endettement, Mode de financement de l’entreprise, sous la direction de A. Sayag et M. Jeantin, Litec,

1997 ; L’apurement des dettes, Solution au surendettement, sous la direction de Y. Chaput, Litec, 1998.

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menace, toujours présente, de l’abus de biens sociaux, susceptible de mettre à néant les constructions les plus inventives, tout comme les conceptions extensives de l’Administration fiscale en matière d’acte anormal de gestion.

Ceci étant, l’endettement n’est pas simplement un instrument de financement, un instrument de gestion à la disposition du chef d’entreprise. Il est aussi un indicateur, particulièrement précieux, de la situation réelle de l’entreprise et donc du risque qu’elle représente pour ses partenaires. Encore faut-il disposer d’outils suffisamment fiables pour donner une évaluation pertinente et objective de la réalité de l’entreprise. Au reste, ces outils de mesure, de « notation », ne doivent pas servir uniquement aux opérateurs extérieurs, tant il est vrai que de trop nombreux chefs d’entreprise n’ont pas suffisamment conscience de la réalité de leur situation. Beaucoup le savent, les chambres de commerce, et singulièrement la CCIP, ne ménagent pas leurs efforts pour aider les entreprises à se doter d’instruments capables de détecter, le plus précocement possible, d’éventuelles difficultés futures.

Vient toutefois le temps où la prévention ne suffit plus. Il faut alors suivre une logique toute différente et envisager un traitement curatif des difficultés de l’entreprise surendettée. On connaît les délicats impératifs qu’il importe alors de concilier : préserver l’entreprise, c’est-à-dire sauvegarder son activité, son savoir-faire, ses emplois ; mais préserver aussi les intérêts de ses partenaires économiques. Le surendettement, on le sait, est une maladie éminemment contagieuse. Aussi bien, c’est sur les répercussions du surendettement pour les divers partenaires de l’entreprise que nous vous inviterons à réfléchir pendant cet après-midi.

Tout d’abord, le surendettement avéré est souvent générateur de responsabilités : à l’encontre de ceux dont l’action, imprudente ou frauduleuse, a conduit à une telle situation, comme à l’encontre de ceux qui auraient dû agir et dont la carence a favorisé le développement du surendettement.

Néanmoins, les effets néfastes du surendettement ne se limitent pas à la périphérie immédiate des entreprises touchées. À l’heure de la mondialisation, le surendettement d’une entreprise déploie fréquemment ses effets à l‘extérieur des frontières. Dans ce contexte, les politiques de traitement du surendettement n’ont de sens que si elles dépassent les étroites limites des territoires nationaux. Elles doivent nécessairement coordonner leurs efforts, notamment dans le cadre de conventions internationales. C’est pourquoi nous appréhenderons aussi la dimension internationale du surendettement : question aux enjeux pratiques considérables comme nous le démontre l’actuelle crise frappant l’ensemble du système bancaire russe.

Sur chacun des thèmes que je viens ainsi d’évoquer, des spécialistes de tout premier plan, issus d’horizons variés apporteront le fruit de leur expérience. Et je veux dire à chacun d’entre eux toute notre reconnaissance pour avoir obligeamment accepté de prêter leur concours à ce colloque.

Sans plus attendre, je cède la parole à M. le Premier Président CANIVET.

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M. Guy CANIVET, Premier Président de la Cour d’appel de Paris

À l'invitation de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris, la Cour d'Appel de Paris s'est associée très volontiers à la réalisation de ce colloque à la préparation duquel j’ai, personnellement, pris beaucoup d'intérêt.

Le projet consistant à examiner de manière globale et pluridisciplinaire le financement des entreprises et des groupes à travers leur endettement, d'en rechercher la logique, les perversions, les pathologies et leurs remèdes est tout à la fois original et fécond. Il ne peut, en tout cas, manquer d'intéresser la Cour d'Appel de Paris en tant que juridiction chargée, par la voie de l'appel ou des recours contre les décisions des autorités de marché, de réguler par le droit l'activité économique et financière.

Toute démarche consistant à replacer dans une cohérence d'ensemble les litiges individuels soumis aux juridictions ne peut, en effet, qu'éclairer le juge, rendre ses décisions plus réalistes, plus efficientes les solutions et plus pertinente la jurisprudence. Il est évident que le juge des affaires, informé des réalités économiques et pratiques, rendra une justice plus appropriée, plus crédible, et que meilleure sera la qualité du service judiciaire.

Situé en contrepoint de deux magnifiques ouvrages publiés par le CREDA sur l'endettement et le surendettement, notre colloque donnera sans doute une profondeur économique et financière, une dimension nationale et internationale aux contentieux nés du mode de financement des entreprises et liés à leur surendettement et à leurs défaillances. Sur la base de cette problématique, d'une préparation sérieuse et d'un débat si clairement posé, nos débats seront, sans aucun doute, fructueux, et je souhaite à chacun d'y prendre le plus grand intérêt.

Mme Dominique de LA GARANDERIE, Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, je me réjouis de me retrouver dans ces lieux. Nous avons un partenariat étroit entre la Chambre de commerce et l'Ordre des Avocats de Paris et je pense que c'est essentiel, notamment par l'excellence de la coopération entre le CREDA et l'IFC (l'Institut de Formation Continue du Barreau de Paris) qui mettent leur sixième colloque en commun.

Nous voilà, aujourd'hui, réunis pour traiter de l'endettement et du surendettement. C'est une question qui est, hélas, d'actualité. Il est véritablement important de constater que nous allons traiter ces sujets tous ensemble avec des professeurs, des banquiers, des magistrats, des entrepreneurs, des avocats (j'ajouterai, bien sûr, que la place des avocats est indispensable). Plus encore, il faut relever – et c'est toute la dimension de nos rencontres –, que dans tous les domaines de réflexion, il existe une nécessité de concertation entre l’ensemble de ces professionnels : nous ne pouvons plus réfléchir les uns sans les autres.

Pour ce qui concerne le Barreau de Paris, nous avons aussi initié la Conférence du droit et de l'économie, considérant qu'il y avait une interpénétration entre l'économie et le droit, ou le droit et l'économie – l'ordre des facteurs importe peu. Nous avons désormais la nécessité de penser l'un et l'autre ensemble.

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Vous avez dit un mot, Monsieur le Président, dans le domaine économique, de la directive européenne sur le recouvrement des créances. Permettez-moi d’apporter une précision. Les avocats sont eux aussi convaincus que le recouvrement rapide des créances est une nécessité. Toutefois, étant très attentifs à ce texte, nous nous sommes rendu compte que le seuil de procédure simplifiée, c'est-à-dire – pour préciser les choses – sans avocat, était de 20 000 écus, soit 130 000 francs. Cela n'a plus rien à voir avec les taux de recours actuels. Par conséquent, nous avons suggéré un article supplémentaire qui respecte les seuils de compétence de chacun des pays.

Nous avions été entendus par la Commission mais le Parlement a supprimé cet article (l'article 6 bis). Nous sommes de nouveau repartis en campagne pour que ces seuils soient respectés, non pas qu'il y ait là la volonté d’imposer l'intervention des avocats mais il nous semble important, en revanche, que tant les créanciers que les débiteurs puissent être conseillés et assistés. Or le seul moyen d'éviter certains abus, dont vous devez avoir, les uns et les autres, quelques exemples présents à l’esprit, est de donner cette garantie au justiciable et de laisser la possibilité à chaque pays de la rendre possible.

Je voulais vous dire aussi que les avocats ont évidemment un rôle préventif de conseil dans le domaine de l'endettement et du surendettement. Vous avez cité, Monsieur le Président, la matière économique, les conséquences sociales et l'analyse des carences. Il ne fait pas de doute que le volet juridique de ces trois domaines est rigoureusement indispensable et les avocats sont prêts à assurer ce rôle absolument nécessaire.

Les avocats ont un rôle préventif de conseil mais aussi un rôle pour assister ces acteurs de la vie économique, qu'il s'agisse de la responsabilité au sens économique touchant à la survie de l'entreprise ou de la responsabilité au sens juridique touchant au risque d'erreurs que les acteurs peuvent commettre.

Il ne m'appartient pas de vous exposer les chapitres des sujets si importants qui vont être examinés au cours de cette journée mais simplement de vous remercier de nous accueillir dans vos locaux et de vous dire à quel point la fructueuse collaboration entre toutes les professions concernées pour ces très importants problèmes d'actualité et de société rend les liens que nous tissons entre nous à l'occasion de tels colloques irremplaçables.

M. Gilles MAUDUIT, Président de l’Association française des juristes d’entreprise

Monsieur le Président, Monsieur le Premier président, Madame le Bâtonnier, Mesdames et Messieurs, la journée va certainement être dense. Elle est construite sur un thème dont l'intérêt est évidemment fondamental pour l'entreprise. Or, l'entreprise, c'est ce lieu où la pratique mêlée du droit et de l'économie, dont parlait à l'instant Madame le Bâtonnier, est quotidienne et permanente.

Je voudrais simplement dire combien l'Association française des juristes d'entreprise, honorée d'être un partenaire habituel de la CCIP, est particulièrement heureuse aujourd’hui de co-parrainer avec elle l’organisation de ce colloque. Il faut souligner, en effet, combien les travaux du CREDA sont remarquables et d'une très grande utilité pour les praticiens d'entreprise. Les interventions de cette journée et les documents qui seront distribués vont, une fois de plus, le confirmer.

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Monsieur le Président Franck évoquait tout à l'heure l'importance du sujet de ce jour, notamment pour les PME. Il se trouve que l’AFJE dispose en son sein d'une commission permanente qui s'appelle « juristes de PME » et qui regroupe un nombre important de l’ensemble des 2 000 adhérents que nous représentons. Le hasard veut que cette commission se réunisse ce soir. Je vais donc me trouver dans une position privilégiée pour me faire votre messager et donner, dès ce soir, à nos membres la primeur de la richesse de vos travaux.

Je vous en remercie et je vous souhaite une excellente journée.

M. Francis CRÉDOT, Président de l’Association nationale des juristes de banque

Messieurs les présidents, Madame le Bâtonnier, j'ajouterai peu de mots aux propos qui viennent d'être tenus, sinon d'abord pour dire tout le plaisir – qui est aussi, bien entendu, celui de l'Association nationale des juristes de banque – d'avoir contribué à l'organisation de ce colloque dont le thème intéresse également au premier chef les banques. En effet, qui dit endettement dit aussi crédits bancaires en direction des PME mais aussi – bien que celles-ci recourent beaucoup plus que les PME à des financements dits désintermédiés – crédits bancaires aux grandes entreprises et aussi aux groupes de sociétés.

Lorsqu'on parle de responsabilité en matière de surendettement des entreprises mais aussi de traitement de ce surendettement, les banques se sentent également concernées, le sujet étant pour elles particulièrement sensible. On connaît la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation à cet égard, jurisprudence sage et raisonnable. Certains aspects de cette responsabilité restent sans doute encore à préciser en matière de groupe de sociétés, lorsque la banque n'a financé que telle ou telle de ces sociétés et que le groupe en son entier vient à défaillir.

Plus généralement, il importe de bien savoir jusqu'où il est permis d'aller en matière de redressement amiable, c'est-à-dire contractuel, d'une entreprise, tant chacun sait que c'est là la voie d’intervention privilégiée, de préférence à celle de la procédure collective, lorsque les difficultés de l'entreprise n'apparaissent pas irrémédiables et sa situation sans issue.

Il est aussi, en effet, de la responsabilité des partenaires de l'entreprise et notamment de celle de sa ou de ses banques, responsabilité non plus tellement juridique mais plutôt citoyenne – puisque le mot est aujourd'hui à la mode –, d'aider celle-ci à surmonter ses difficultés lorsque c'est raisonnablement possible, ce qui implique, bien entendu, des relations empreintes de confiance et de transparence de part et d'autre. C'est dire tout l'intérêt de cette journée également pour les banques et les juristes de banque.

DE L'ENDETTEMENT ... M. Guy CANIVET.– En introduction à cette table ronde, je n'ai rien trouvé de mieux,

Monsieur le Professeur Chaput, que de vous citer dans la préface de l'ouvrage que nous avons évoqué tout à l'heure sur l'endettement, ouvrage publié par le CREDA et sous la direction

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d'Alain Sayag et Michel Jeantin, dans la pensée desquels nous poursuivrons ces travaux puisque l'un et l'autre nous ont récemment quittés.

Vous écrivez dans la préface de cet ouvrage, Monsieur le Professeur : « L'endettement est un phénomène devenu universel, que ce soit dans les relations internationales entre États ou entre agents économiques, que ce soit en France en raison de l'endettement des collectivités publiques, des entreprises ou des particuliers ». Et vous ajoutez : « Au droit traditionnel mais statique des obligations et des groupements se substitue une vision dynamique : être endetté ne se confond pas avec la seule accumulation des dettes, mais trouve sa réalité juridique dans la prise en considération de flux financiers qui permettront ou non de faire face, à l'avenir, à des remboursements échelonnés ». Et vous concluez : « À une approche individualiste des relations commerciales s'ajoute une réflexion sur les influences collectives de l'endettement, soit à travers des procédures de redressement judiciaire, soit à travers la protection d'intérêts généraux, économiques et sociaux ».

On ne pouvait mieux poser, et de manière plus magistrale, la problématique de la table ronde de ce matin. Cette table ronde se propose d'aborder ce phénomène du point de vue du juriste, du point de vue de l'économiste et du point de vue des hommes d'entreprise, banques ou petites et moyennes entreprises. Sans plus attendre, je vais donc céder la parole à M. Christian de Boissieu qui développera ce thème du point de vue de l'économiste.

LE POINT DE VUE DE L'ÉCONOMISTE

M. Christian de BOISSIEU, Directeur scientifique du COE, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Ce n'est pas le point de vue de l'économiste en général que je vais proposer, c'est le point de vue d'un économiste. Je ne prétends pas traiter tous les aspects économiques du sujet.

D'abord une remarque. En France – mais c'est vrai pour d'autres pays –, le couple endettement/surendettement doit être aujourd'hui élargi vers un débat qui intègre un troisième concept lié aux deux premiers : celui de désendettement. Il est clair que le désendettement est, en quelque sorte, la réponse à des phénomènes de surendettement mais on ne comprend pas bien la réalité française depuis quinze ans si on n'introduit pas ce troisième élément par rapport à ce couple, non pas infernal mais à ce couple de travail, endettement/surendettement.

Toutes les entreprises, même les activités de service public, sont aujourd'hui exposées à la concurrence internationale ou européenne ; ce n'était pas tout à fait le cas il y a quinze ans. Les économistes faisaient alors une séparation entre les secteurs exposés et les secteurs abrités de la concurrence internationale. Ce clivage avait certainement des conséquences importantes sur la structure de financement et sur le rythme d'accumulation du capital de la part des entreprises.

Le désendettement a été, pour de nombreuses entreprises françaises mais aussi étrangères, la réponse nécessaire à des phénomènes de surendettement.

Je veux dans ma présentation aborder successivement quatre points.

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I – L’identification de la dette du point de vue économique

Proudhon, qu'on n'ose plus trop citer en France, avait commencé un de ses chapitres de La philosophie de la misère en affirmant : « Le comptable est le véritable économiste auquel une coterie de faux littérateurs a volé son nom ». Cette phrase, même si je ne reprends pas à mon compte le reste de l'ouvrage, amène à réfléchir sur les relations entre l'économiste et le comptable.

Le comptable est-il le véritable économiste comme le dit Proudhon ? Il s'en prenait à ce qu'il appelait les faux littérateurs, les économistes qu'il critiquait, en particulier ceux du début du XIXe siècle. Même s'il va – de manière brillante – un peu loin, je dois m'incliner devant l'approche comptable du concept de dette.

A) La délicate frontière entre dette et capital

C'est là un paradoxe : au moment où à la fois du point de vue économique et comptable et du point de vue de l'analyse financière, nous aurions besoin de déterminer précisément la frontière entre la dette et le capital, entre la dette et les fonds propres, nous avons de plus en plus de difficulté à le faire.

Lorsqu’une agence de notation donne une note à une entreprise ou à une banque, elle doit pouvoir tracer sans trop d’hésitation la frontière entre le capital et la dette pour calculer, par exemple, des ratios de solvabilité. Depuis quinze ans, nous avons vu se multiplier les produits financiers hybrides, non pas à mi-chemin mais intermédiaires entre le capital et la dette. Je pense en France aux titres participatifs, certificats d'investissement, titres subordonnés, actions à dividende prioritaire sans droit de vote... il y en a d'autres, qui ne sont pas tous analysés de la même façon sous l’angle juridique, comptable, économique ou financier.

Il faudrait peut-être réfléchir aux raisons pour lesquelles ces produits financiers hybrides se sont multipliés depuis quinze ans dans tous les pays, la France n'ayant pas ici de situation particulière. Le seul particularisme de l’expérience française, c'est la loi Delors de 1983 qui a introduit, par la loi plutôt que par le marché, des produits hybrides destinés à deux catégories d'entreprises spécialement importantes chez nous : d'une part, les entreprises publiques, auxquelles on a surtout destiné les titres participatifs, même si les entreprises à statut coopératif (les banques coopératives par exemple) étaient légalement visées ; et, d'autre part, les PME, privées par définition. L’objectif dans les deux cas était de créer des produits qui permettent de « découpler » les droits pécuniaires et les droits de vote.

Quand on fait aujourd'hui l'analyse financière d'une entreprise ou d'une banque, ces produits hybrides posent un problème spécial. Travaillant en particulier sur les banques, je vois bien les contorsions des organismes de régulation et de supervision bancaire quand il s'agit, par exemple, de calculer le ratio Cooke d'une banque. La Commission bancaire et le Comité de Bâle se sont demandés comment il fallait analyser les titres participatifs, les certificats d'investissement, etc.

B) La fonction de la dette

La dette n'est pas uniquement définie par son contenu, elle peut aussi être approchée par son objet, sa fonction. Dire cela choque peut-être les juristes mais, ce qui intéresse les

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économistes, c'est la finalité de l’endettement. On ne peut parler de dette sans aborder les problèmes d'investissement. S’agissant de la France depuis dix ans, on ne peut pas ne pas relier l'effort de désendettement et la faiblesse de l'investissement des entreprises, jusqu'au début de l'année 1998 en tout cas.

La dette, a priori, est utilisée par les entreprises pour de l'investissement plus que pour de la consommation ; éventuellement, pour financer des opérations de croissance externe. Parfois, en France comme ailleurs, la dette a aussi servi – et cela a été vrai pour les ménages comme pour les entreprises – à faire des placements financiers dans un contexte où les taux d'intérêt réels sont avantageux. On a connu des entreprises qui se sont endettées pour faire des placements financiers.

II – Les effets de la mondialisation

Les évolutions intervenues depuis dix à quinze ans en France et à l'étranger donnent le sentiment qu'il y a une certaine convergence des structures de financement des entreprises dans les pays développés. Je ne parle pas des pays émergents, qui posent des problèmes particuliers. Dans les années 70 et au début des années 80, on distinguait deux types d'économies : les économies de fonds propres ou les économies de marchés financiers – on pensait aux pays anglo-saxons, en particulier aux États-Unis –, et les économies d'endettement, en particulier d'endettement bancaire – on pensait à la France.

Le clivage entre ces deux types d’économies s'est sensiblement atténué depuis dix ans. Les entreprises françaises ont eu tendance à développer leurs fonds propres et les entreprises américaines, pour certaines d'entre elles, à développer leur endettement.

Certes aux États-Unis, les fonds propres dans le total du bilan des entreprises représentent un pourcentage encore plus important qu'en France mais on observe un net rapprochement. Quelles en sont les causes ? Il y a certainement le phénomène de globalisation. Il y a sans doute, par delà ou derrière ce phénomène, la question de la norme de rentabilité dont les économistes parlent peut-être à outrance aujourd'hui. On a tendance à dire que la globalisation impose pour les grandes entreprises une sorte de return on equity, de rentabilité des fonds propres. On a cité le chiffre de 15 %. Je n'y crois pas complètement aujourd'hui, parce que même les plus grandes entreprises américaines n'affichent pas toujours des return on equity de 15 %. Il est clair néanmoins que les phénomènes d'arbitrage de la part des investisseurs – je pense aux fonds de pension mais aussi aux fonds d'investissement et à tous ceux qui sont susceptibles de déplacer des fonds rapidement d'une place à l'autre, d'un titre à l'autre, en fonction des différences de rendement constatées ou anticipées entre les différentes entreprises –, et la globalisation poussent à l’émergence d'une norme internationale de rendement. Et l'existence de cette norme pour toute une catégorie d'entreprises, celles, en tout cas, qui affrontent la concurrence internationale, a forcément des conséquences sur les structures de financement et sur le degré avec lequel une entreprise est en mesure, ou pas, d'utiliser l'effet de levier de la dette. En effet, pour l'économiste, il y a, avec la dette, l'effet de levier et la possibilité d'augmenter le rendement des fonds propres par l'endettement, mais sans aller trop loin car utiliser trop loin l'effet de levier, c'est passer en situation de surendettement.

Compte tenu du phénomène de globalisation, nous sommes aujourd'hui dans une situation où les divergences du point de vue de la structure financière sont plus grandes à l'intérieur de

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chaque pays qu'entre les pays eux-mêmes. Ainsi, les différences dans les structures de financement sont sans doute plus fortes entre telle ou telle PME française et telle ou telle grande multinationale française qu'entre des grandes multinationales de nationalité différente.

On tend peut-être à durcir le trait quand on dit que les PME ont, par définition, des structures financières mal adaptées et fragiles. Il existe de grosses PME-PMI qui sont dans la concurrence internationale et qui sont obligées de s'aligner sur certaines normes : pas toujours des normes de rendement, mais au moins des normes de financement. Se pose alors partout – peut-être encore plus en France – la délicate question de l'endettement dans ses relations avec le financement de la création d'entreprises.

Car il ne faut pas uniquement s’interroger sur l'endettement d'entreprises existantes. Il faut aussi aborder le thème de la part respective du capital et de l'endettement au moment de la phase de démarrage de l'entreprise. Et cela débouche sur le débat, qui est aussi en toile de fond de cette journée, du capital-risque et du rôle respectif des banques, des marchés et d'autres voies dans le financement du capital-risque.

III – La dynamique de l’endettement

Il y a ici deux sujets qui intéressent spécialement les économistes : le premier a trait à l'articulation entre la dynamique de la dette privée et celle de la dette publique. Quand on parle de la dette des entreprises privées dans un pays, on ne peut faire abstraction du déficit budgétaire et de la dette publique. Pourquoi ? Parce que nous savons qu'il y a des liaisons entre le déficit, la dette publique, le niveau des taux d'intérêt et donc les conditions de la dette privée. Les sujets doivent, ici, être, non pas globalisés, mais articulés.

Le second aspect a trait à la dynamique de la dette privée (ainsi d’ailleurs qu’à la dynamique de la dette publique de l'État). Il concerne l'écart crucial entre le taux de croissance de l’économie et le ou les taux d'intérêt réels (autrement dit, les taux d'intérêt hors inflation). C'est de cet écart entre le taux de croissance de l’économie et les taux réels, qu'ils soient à court, moyen ou long terme, que va découler soit une dynamique vertueuse soit une dynamique inverse où la dette appelle la dette à travers le poste « charges d'intérêt ». La dynamique vertueuse interviendra en général quand le taux de croissance est supérieur aux taux d'intérêt réels sur la dette. Elle s'oppose à la dynamique vicieuse de l'endettement qui fait passer très rapidement à des situations de surendettement dans lesquelles les taux réels sont systématiquement supérieurs au taux de croissance de l'économie. Je fais référence ici à quinze ans d'économie française depuis 1982 ou 1983, où la désinflation s'est accompagnée d'une montée des taux réels, et ce d'autant plus rapidement que l’on a assisté dans les années 1980 à une montée du déficit public.

Donc montée du déficit public plus désinflation, cela fait une sorte de cocktail qui a des vertus (la désinflation), mais qui a généralement pour conséquence, du point de vue de la dynamique de la dette, de faire monter les taux réels, ce qu'on a constaté à partir de 1982-1983 dans la plupart des pays développés, y compris en France. Nous vivons depuis quinze ans dans un contexte où, s'il y a tant de phénomènes de surendettement, à la fois pour les entreprises et les ménages, c'est sans doute parce que, pour de nombreux emprunteurs, le taux réel de la dette est nettement supérieur au taux de croissance de leur activité.

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Cette question va être aussi au cœur du fonctionnement de la zone euro. Nous avons sans doute un potentiel de baisse des taux réels dans les mois qui viennent dans la zone euro et nous avons en même temps, compte tenu de la crise internationale, des menaces sur notre croissance. Comment va se présenter cet écart critique dans les deux ou trois ans qui viennent entre les taux d'intérêt réels et les taux de croissance ? Le débat est, on l’aura compris, crucial.

IV – Relations entre dette et pouvoir

Il y a, en économie, un résultat qui m'a toujours paru à la fois très brillant et très spécieux mais il a valu à ses auteurs le prix Nobel d'économie. Le théorème de Modigliani et Miller (1958) débouchait sur l'idée que, sous certaines hypothèses de concurrence parfaite et d'efficience des marchés, il y aurait une sorte de neutralité de la structure financière de l'entreprise et que la valeur de la firme, sous ces hypothèses, était indépendante de sa structure financière.

C'est un résultat très curieux parce que tout à fait contre-intuitif. Ce résultat ne vaut que sous certaines hypothèses, et je défendrai ici le point de vue inverse, la thèse de non-neutralité de la structure financière de l'entreprise, c'est-à-dire le contraire du théorème Modigliani-Miller.

S’agissant des relations entre dette et pouvoir (et gouvernement d'entreprise) il me semble que la question posée à tous (économistes, gestionnaires, juristes...), est la suivante : dans quelle mesure la relation entre créanciers et débiteurs, par exemple entre banque et entreprise, se présente-t-elle de manière fondamentalement différente de la relation entre actionnaires et dirigeants ? On trouve ici le problème de la frontière entre la dette et le capital vu sous l'angle du gouvernement d'entreprise : qui a véritablement le pouvoir ?

Il faudrait donc comparer les pouvoirs des créanciers et des actionnaires.

Les juristes ont des réponses extrêmement précises à cette question, je l'imagine. Nous, les économistes, nous n'avons pas toujours de réponse. Nous avons des analyses sur le système de gouvernement d'entreprise. Il faudrait arriver à travailler plus et mieux ensemble pour essayer d'articuler nos analyses sur cette question, qui me paraît essentielle, sur la liaison qui peut exister entre la structure financière de l'entreprise et les systèmes de gouvernement dans l'entreprise.

LE POINT DE VUE DU JURISTE

M. Yves CHAPUT, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le point de vue immédiat du juriste paraîtra paradoxal. Les juristes vont s'exprimer pendant toute la journée, la présence d’un économiste était donc indispensable pour qu’il pose les vrais problèmes d'économie et, du même coup, de vraies questions aux juristes.

Si nous avons parfois le même vocabulaire et si nous parlons les uns et les autres de lois, il y a des lois économiques et des lois juridiques. Elles n’ont pas la même structure, alors qu’elles peuvent avoir le même objet d’analyse. Leurs finalités incontestablement divergent. La difficulté

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est là. Le droit n'existe pas par lui-même. Il n'y a pas un droit pur qui serait détaché de toute réalité. Le droit est donc toujours obligé de s'appuyer sur une réalité qui lui est extérieure, que ce soient les réalités familiales ou que ce soient plus largement des « réalités micro ou macro-économiques ». Le droit serait apparemment en position de faiblesse par rapport à l'économie s’il n’intervenait qu'à partir du moment où les économistes auraient déterminé une « problématique » et posé les questions auxquelles on demanderait aux juristes de répondre.

Situation à ne pas confondre avec celle où le droit lui-même se trouve appréhendé par l'économie. Le droit a un coût. Les procès ont un coût, le recours à des modes alternatifs suppose des choix en matière de risques, financièrement évaluables. La doctrine américaine nous a précédés dans ces recherches. L'économie pourrait appréhender la totalité des phénomènes mais il y a – et nous le savons – une différence fondamentale.

Si nous avons le même objet de recherche, nos sciences ne sont pas les mêmes. Les lois des juristes sont des lois au sens normatif de choix de valeurs. Vous remarquerez le sous-titre de cette journée : « les réalités économiques » mais « les contraintes juridiques ». Ne demande-t-on pas la plupart du temps au juriste, une fois éclairé par les autres spécialistes, de prendre position sur un certain nombre de valeurs ? Aussi, pour défendre ces valeurs, se doit-il de ne pas hésiter à dire non. Dès lors, il peut y avoir des lois au sens normatif excellentes en fonction d'une analyse économique ou des lois mauvaises parce qu'elles viendront contredire les souhaits de certains économistes. Chaque fois qu’il intervient un juriste ne saurait se contenter de réaffirmer dans son « jargon », ce que disent les autres sciences. Nous serions nécessairement à la traîne des économistes, des médecins, des sociologues, des psychologues... Ce qu'on nous demande malheureusement, c'est de choisir et de choisir immédiatement. Ce qu'on demande à une Cour d'appel ou à la Cour de cassation, c'est immédiatement de dire oui, de dire non, de donner tort ou raison à quelqu'un, même si les sciences annexes ne se sont pas suffisamment développées.

Comment pouvons-nous dire oui ou non ? Quel est notre rôle ? Vous avez cité Proudhon. Je citerai « le » Sartre des extraits scolaires ! : « Le droit n'est pas existentiel », en ce sens que l'existence du droit précède l’essence juridique. On lui demande de prendre parti sans toujours connaître exactement les conséquences et de porter un jugement de valeur. Montesquieu s’orientait dans une autre voie avec son exemple du cercle existant avant que n’en soient tracés les rayons. Les juristes porteront ce jugement de valeur a priori. L’objet de notre réunion nous en donne immédiatement un exemple.

En matière de dette vont apparaître des « qualifications », nécessaires à la découverte de la solution.

Les juristes le font d'abord quand il s'agit de mettre en place un organisme, de faire exister une institution.

Elle peut, à certaines conditions, devenir une « personne ». Il y a un paradoxe étonnant. On découvre actuellement ce qu'on appelle endettement et même surendettement. Or les juristes – et ce depuis l'Antiquité – font naître ce que nous appellerons la personnalité à partir de dettes, c’est-à-dire du lien entre l'actif et le passif. Ce qui est l'essentiel. L'essence précède l'existence. Pour les juristes, il n'y a de personnalité que s'il y a des dettes même potentielles. Un « être » sans endettement envisageable n'est pas, pour les juristes, une personne. Et les juristes répondent immédiatement aux préoccupations des économistes : la personnalité morale est la

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possibilité d'identifier des actifs qui permettent de payer des dettes « localisées » dans un « patrimoine », lui-même synonyme de personne au sens juridique.

Mais nous avons comme fil directeur un jugement moral, autrement dit un « idéal ». Les créanciers (donc ce passif) ont un droit de gage général sur les actifs du débiteur. Dans notre conception qui est immédiatement morale, nous affirmons qu’une personne doit prendre des responsabilités et n'a pas la possibilité de fractionner son capital, son actif. Actif qui doit répondre de l'ensemble de ses dettes. Il y a donc un choix qui a été fait. On ne nous demande pas simplement d'identifier des actifs, on nous demande alors de leur donner une structure « juridique » qui réponde à des besoins.

Un système se met en place. Regardons-le fonctionner.

Vous nous posez une question « diabolique » en ce qu’elle en perturbe la bonne marche : qu'est-ce qui différencie un actionnaire d'un créancier ? Pendant longtemps il était très facile de répondre, même si l'actionnaire est à tout prendre un créancier du remboursement de ses apports (le capital est au passif tout le monde le sait). Ce qui les différencie, c'est que leurs droits ne sont pas les mêmes, même si l’instrument, la valeur mobilière, est analogue pour des actions et pour des obligations.

L'actionnaire est un associé qui a des pouvoirs spécifiques, qui participe à la vie sociale. À travers les assemblées générales, il peut donc participer à des décisions. Il détient une parcelle de pouvoir sur l'activité de l'entreprise. Le créancier en théorie n'en aurait pas d’équivalent, juridiquement si ce n’est sociologiquement ou psychologiquement, autres problèmes... non « juridiques » ; et même ces créanciers intimes que sont les banques ont un devoir de ne pas s'immiscer dans la gestion. En théorie la séparation est tracée entre celui qui est associé et celui qui n'est qu'un créancier. Mais avec de nouvelles structures financières, nos classifications sont contestées. Les juristes aussi sont habitués à hybrider. Il y a des produits financiers hybrides mais ils sont également juridiquement hybrides. Doit-on reconstruire l’édifice juridique ou simplement, par quelques retouches, le mettre « aux normes » économiques ? Un choix est encore à opérer, juridique... politique.

Que se passe-t-il actuellement ? On est en train d’identifier deux types de groupements : il y a ceux qui sont fermés, la société anonyme fermée, et il y a ceux qui sont ouverts au public. La loi de 1998 change la notion d'appel à l'épargne publique. Mais, du même coup, il pourrait y avoir un changement dans les classifications, dans les catégories juridiques. Un nouveau mécanisme est à « inventer ». La recherche juridique et ses « découvertes » ne sont pas des mots vides de sens.

Comment s'expriment les droits de créance, comment s'expriment les droits d'associés apparemment opposés ? Dans les grandes sociétés, par des valeurs mobilières et, dans les valeurs mobilières, la forme finit par l'emporter sur le fond. Pour l’épargnant, peu lui importe que ce soit une action ou une obligation, c'est plus souvent le rendement qui le guidera. La liquidité de ce type de titres – on les vend très rapidement –, et la forme finit par l'emporter sur le fond. Certains n’opposent donc plus les obligations et les actions. D’où la création de produits intermédiaires. Mais à une condition, c'est qu'on aille de la créance vers la qualité d’associé, c'est-à-dire qu'on peut transformer des obligations en actions mais pas l'inverse. D’où, en fond de raisonnement, une résurgence de la distinction initiale.

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Il y a bien là un jugement de valeur des juristes. On pourrait considérer qu'on peut progressivement quitter la société et devenir créancier. Ce serait alors échapper progressivement à ses responsabilités. Or, celui qui est entré dans une société a des responsabilités qu'un créancier n'a pas. Même si la « forme » conduit à mélanger les genres, le droit impose des responsabilités.

Les mêmes remarques valent pour l'activité et non pas seulement la structure. Endettement, surendettement, désendettement... Les juristes ont à trouver des qualifications, autrement dit à bien définir ce qu'ils entendent par ces mots. Pourquoi ? Parce que dès qu'en droit vous employez un terme, vous êtes prisonnier d’un concept et d’un système. La notion juridique entraîne des conséquences. Il nous faut être très prudents dans le choix de notre vocabulaire, non pas pour un plaisir linguistique mais pour déterminer quel est le régime juridique Une notion clairement définie permet d’éviter que les régimes juridiques se chevauchent. Il y a des « régimes » nationaux, européens, mondiaux. Or, chaque système juridique a ses références. Toutefois, les linguistes savent que la « noèmie » permet de dégager des concepts universels. Des choix politiques n’en subsistent pas moins.

Je ne prendrai qu'un exemple en matière de dette : l'affaire actuelle des Ateliers Mécaniques du Havre. C'est une entreprise dont les intérêts nationaux et maritimes sont vitaux. L’État est donc intervenu par une « aide publique » (1,8 milliard) considérant qu'il était de son devoir, national, de sauver une entreprise en difficulté. Et notre ordre public de direction, national, est bien de maintenir son activité. Mais il y a l'ordre communautaire. La Commission répond, le 28 octobre 1998 : « Par des aides publiques, vous faussez de façon " illégitime " la concurrence ; vous avez l’obligation d’en obtenir la restitution par les Ateliers Mécaniques du Havre ».

Si la créance est exigible, les Ateliers sont en état de cessation des paiements. On devra ouvrir un redressement judiciaire. Le Trésor public déclarera sa créance de 1,8 milliard ! La liquidation judiciaire menace l’avenir de l’entreprise et les chances de remboursement, situation qui devient cornélienne. Si l’État ne fait pas rembourser les Ateliers Mécaniques du Havre, il sera condamné, en recours en carence pour ne pas avoir respecté le droit communautaire.

Les finalités des deux ordres de normes ne sont pas les mêmes. Dans notre droit de la faillite, sauver les entreprises et les emplois est essentiel. Mais le « bien commun », finalité de l'article 3 du Traité de Rome, se réalise par une prétendue libre-concurrence. Les économistes nous expliqueront les conséquences de l'un et de l'autre ; le juriste devra dire oui ou non. L'ordre public peut ainsi évoluer. L’économique – et je vous renverrai la balle – retrouve son empire. Le coût du droit doit être intégré dans les analyses économiques. Les progrès mondiaux de la communication offrent des guides permettant d’indiquer à toute entreprise intéressée quels sont les droits impératifs dans un sens ou dans l’autre, et les droits les plus souples. Selon qu'on est créancier ou débiteur, on peut ainsi être tenté de déplacer géographiquement l'ensemble d'un litige. On sait comment les banquiers, qui ne sont pas sûrs de certaines propriétés fiduciaires, déplacent des « écritures » parce qu'ils pourront en cas de difficulté opposer à une faillite, qui sera une faillite locale, un droit local alors que le droit initialement applicable refuserait d'admettre ce type de garantie.

D’où ma réponse en forme de question : ne faut-il pas davantage, dans les analyses économiques, intégrer le phénomène juridique ?

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M. Guy CANIVET.– Merci, Monsieur le Professeur, d'avoir posé le débat juridique en termes fondamentaux et de l'avoir conclu en renvoyant la question aux économistes sur le rapport efficience/coûts d'un système juridique.

ENDETTEMENT ET FINANCEMENT DE L'ENTREPRISE

M. Alain COURET, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Avocat associé (Francis Lefebvre)

L’endettement est une variable naturelle dans la vie des entreprises. Il s’agit d’un mode de financement usuel qui fait l’objet de développements dans tous les bons ouvrages de gestion financière et les ouvrages intitulés « droit civil du crédit ». L’entreprise est au demeurant un partenaire privilégié des banques dont l’offre en matière de crédit est considérable sinon excédentaire aujourd’hui. Tout semble ici tellement connu que l’on hésite quelque peu à aller plus loin dans l’étude d’une relation claire et dont les contours sont bien et tellement connus.

Pourtant, diverses évolutions sont intervenues depuis quelques années. Ces mutations sont de deux ordres. D’une part, il ne fait guère de doute que les pratiques ont évolué et ces évolutions doivent être signalées. D’autre part, l’approche théorique du phénomène d’endettement a connu des développements significatifs. La théorie financière est à l’origine d’avancées spectaculaires revendiquées tant par les économistes que par les spécialistes des sciences du management ; l’analyse juridique de l’endettement a été l’objet d’un intérêt sensible des juristes, les ouvrages publiés récemment par le CREDA constituant un moment important de la réflexion mais sans doute pas le seul (2). Ces mutations amènent à réfléchir à nouveau sur les trois questions essentielles qui émergent naturellement de l’étude de la relation entre endettement et financement des entreprises.

La première question est bien évidemment de savoir pourquoi l’on s’endette. Les causes de l’endettement ont évolué et l’on a assisté au cours de la dernière décennie à des mutations spectaculaires. Cette question a été partiellement traitée précédemment par Monsieur Christian de Boissieu sous l’angle de l’économiste. La deuxième question concerne le comment : comment s’endette-t-on aujourd’hui lorsque l’on est une entreprise ? Monsieur Yves Chaput a ici encore partiellement abordé la question sous l’angle du juriste. La troisième question est celle de savoir à quel prix on s’endette.

La vocation de cet exposé est d’ouvrir la voie. Nous allons répondre successivement à ces trois questions avec le souci essentiel d’introduire les exposés qui vont suivre et non bien entendu d’épuiser la matière.

I – Pourquoi les entreprises s’endettent-elles ?

L’interrogation pourrait sembler bien banale mais on va voir qu’elle l’est moins que ce que l’on pourrait penser. Deux grandes finalités s’imposent à l’évidence : l’endettement est tantôt au

(2) Cf. par exemple les travaux de l’Association Henri Capitant sur L’endettement, Journées argentines t. XLVI, LGDJ,

1997.

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service du développement normal de l’entreprise ; tantôt au service d’opérations exceptionnelles dans la vie de l’entreprise.

A) L’endettement au service du développement normal de l’entreprise

L’endettement a une fonction double dans l’approche la plus classique : il finance l’exploitation, il finance les investissements. Cette dualité se traduit par des classifications dans les types d’endettement, classifications qui se sont un peu érodées avec le temps.

S’agissant de financer les investissements, l’endettement a connu des variations considérables. Il faudrait sans doute utiliser ici des documents statistiques pour suivre avec précision ce que furent ces variations.

Remontons à quelques années à peine. Il y a de cela trois-quatre ans, le recours à la dette n’était pour beaucoup d’entreprises qu’un « financement d’ajustement ». Le taux d’autofinancement des investissements était très élevé. Aujourd’hui, on relève une décrue globale de l’autofinancement et une remontée de l’importance de l’endettement, malgré le fait d’un gonflement spectaculaire de certains trésoriers.

Le taux d’intermédiation bancaire semble s’accroître depuis quelques mois et non régresser. Un tableau publié récemment dans la presse économique montre de manière éclairante un changement de tendance à partir de juin 1997.

Plusieurs facteurs sans doute expliquent ce renouveau de l’endettement : la confiance retrouvée, la baisse des taux. Mais il est peut être un autre facteur qui est digne de retenir l’attention car il est l’envers d’une médaille dont la face brille peut-être excessivement.

La question se pose en effet des rapports entre endettement et création de valeur. On sait combien ce dernier thème est sensible aujourd’hui. La théorie financière classique avait largement développé l’effet de levier de l’endettement (3). Elle nous enseigne qu’un certain niveau d’endettement est de nature à accroître la rentabilité des capitaux propres comme cela a été rappelé ce matin.

(3) Pour un exposé, v. G. Depallens et J.-P. Jobard, Gestion financière de l’entreprise, SIREY, 1997, p. 500 sq.

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Aujourd’hui, les exigences de création de valeur rendent les fonds propres coûteux. Au début des années 90, l’exigence de retour sur fonds propres avant impôt était selon certains de 7,5 % ; désormais ce chiffre se rapprocherait de 15 %. L’endettement était créateur de valeur. L’entreprise aujourd’hui recherche l’endettement pour freiner les coûts inhérents à cette création de valeur : on s’endette pour faire face à la cherté des fonds propres.

L’endettement ne saurait au demeurant être entendu seulement comme un endettement auprès des banques. Les grandes entreprises multiplient les émissions de titres de créance sur les marchés selon des modalités que l’on précisera tout à l’heure. Car la dette a aussi pour véhicules des valeurs mobilières et ce phénomène a vocation à s’amplifier.

Si l’on passe de l’observation empirique à la réflexion théorique, on constate que la théorie financière néo-classique relève des motivations pour l’endettement qui ne s’imposent pas a priori mais qui constituent aujourd’hui des hypothèses de réflexion presque banales. La théorie des signaux s’attache à montrer notamment que la valeur de l’entreprise est positivement corrélée à la hausse de l’endettement. Par ailleurs, la théorie de l’agence montre pour sa part que le recours à l’endettement peut être une solution aux conflits entre les actionnaires et les dirigeants. En effet, l’endettement augmentant les risques, il a un pouvoir d’incitation à la performance : les dirigeants sont contraints pour limiter les risques de faillite de maximiser les profits et la valeur de l’entreprise (4).

On citera encore un auteur qui illustre assez bien la problématique (5) « Un dirigeant est d’autant moins incité à fournir des efforts qu’il détient une faible part du capital. La valeur de l’entreprise évolue en conséquence de façon inverse au pourcentage de capital détenu par le dirigeant. La perte de valeur entraînée par l’ouverture du capital, par rapport à une situation où le dirigeant est l’unique propriétaire, représente un coût d’agence. Le comportement opportuniste des dirigeants pouvant être anticipé, les nouveaux actionnaires appliquent une décote au prix des titres, qui reflète la baisse de valeur résultant de la diminution anticipée des efforts du dirigeant. Les coûts d’agence sont ainsi supportés par le dirigeant-actionnaire qui est le vendeur des titres. L’intérêt de ce dernier est de rassurer les actionnaires sur son comportement, de façon à réduire la décote, en acceptant des contrôles (participation au conseil d’administration, reporting comptable...) ou des dispositifs incitatifs appropriés, par exemple, une indexation de sa rémunération sur la valeur de la société.

L’existence des coûts d’agence liés au financement par capitaux propres complique la détermination de la structure de financement optimale en redonnant un avantage comparatif à l’endettement. Les coûts d’agence de la dette sont à minorer de l’économie faite en évitant d’avoir à ouvrir le capital et à subir les coûts d’agence associés au financement par capitaux propres ».

B) L’endettement au service d’opérations exceptionnelles de la vie des entreprises

Au-delà de sa fonction de financement de l’investissement, l’endettement est devenu un outil de création de fortunes. L’analyse financière classique enseignait la nécessité de respecter

(4) V. l’article de G. Hirigoyen et J.-P. Jobard, Financement de l’entreprise : évolution récente et perspectives

nouvelles, in Encyclopédie de Gestion, t. 2, Économica, 1997, p. 1357 sq. (5) G. Charreaux, Gestion financière, Litec, 1996, p. 202.

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de sacro-saints ratios qui confinaient l’endettement dans une fonction nécessairement restreinte. Rappelons ces ratios qui sont parfois qualifiés avec des termes imagés et qui traduisaient ce que l’on appelle encore parfois « l’orthodoxie financière ». Cette orthodoxie financière fixe deux principes relatifs à l’endettement (6) : la règle de l’endettement maximum tout d’abord, qui postule que le montant des dettes à terme ne doit pas dépasser le montant des capitaux propres et que le montant des dettes à terme ne doit pas dépasser trois années d’autofinancement ; la règle du financement maximum, ensuite, en vertu de laquelle, pour chaque opération d’investissement décidée par l’entreprise, le recours à l’endettement à terme ne doit pas dépasser un certain pourcentage du montant de l’investissement prévu.

Aujourd’hui les financements modernes à effet de levier ont largement rendu désuets ces ratios (7). L’endettement permet alors le rachat d’entreprises, donc la constitution de patrimoines industriels en dehors de toute fortune personnelle.

Ce type d’endettement est largement légitimé par deux idées sous-jacentes. D’abord, l’idée que la dette favorise la promotion sociale d’individus : après tout, Bernard Arnault, Vincent Bollore, François Pinault et quelques autres n’ont-ils pas une réussite bâtie sur la dette ? Ensuite, l’idée que la dette permet la sauvegarde du tissu industriel au moyen d’une action dynamique des banques, idée séduisante mais dont l’expérience a montré combien elle était dangereuse, dès lors que les banques se trouvaient être investies de missions de sauvetage par trop hardies. Au-delà d’une finalité économique immédiate, la collectivité pressent un intérêt supérieur qui a pu justifier certaines faveurs fiscales.

Les opérations à effet de levier n’ont sans doute pas l’ampleur qu’elles ont connu : dans le fameux Montage MOULINEX la super-holding d’acquisition avait 10 F de fonds d’emprunt pour 1 F de fonds propres (8). Ceci n’est plus guère concevable aujourd’hui.

Enfin, indépendamment du jeu des divers effets de levier, la multiplication des opérations de fusion-acquisition d’entreprise a par ailleurs conduit les acteurs économiques et notamment les groupes à s’endetter considérablement.

II – Comment les entreprises s’endettent-elles ?

Beaucoup de choses ont changé sur lesquelles on ne peut que passer très rapidement dans un exposé introductif. On retiendra tout de même trois grandes évolutions : le profil des créanciers a évolué (A), la dette a vu sa nature profonde se modifier (B), de même que son régime (C).

(6) G. Depallens et J. -P. Jobard, op. cit., p. 531-532. (7) Ces ratios, qui se voulaient avoir une valeur quasi « normative », n’ont, semble-t-il, jamais eu d’influence sur les

décisions de jurisprudence amenées à apprécier l’excès d’endettement. Toutefois, on relèvera qu’un certain nombre de décisions font aujourd’hui référence à la disproportion entre fonds empruntés et fonds propres d’une entreprise. La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 1991 (RJDA 1991, n° 1052, p. 884) rejette le pourvoi formé contre une décision de Cour d’appel qui avait retenu la faute d’une banque ayant accordé à une société civile immobilière des avances trop importantes eu égard à ses fonds propres. La Cour d’appel de Grenoble a également sanctionné une banque qui avait octroyé à une société des crédits exagérés et inopportuns eu égard à ses fonds propres (Grenoble 14 mai 1992 : JCP éd. E 1992, Pan., 826).

(8) Voir ici l’ouvrage du CREDA, L’endettement, Mode de financement des entreprises, Litec, 1997, p. 297 sq.

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A) Le profil des créanciers a évolué

À l’origine, la dette était souscrite auprès des associés (compte courant d’associés) ou auprès du banquier. Aujourd’hui les prêteurs peuvent être des concurrents par le biais du crédit interentreprises.

Certes, la pratique du crédit commercial interentreprises n’est pas nouvelle et son importance en France est traditionnellement considérable. Si considérable d’ailleurs que les pouvoirs publics ont œuvré souvent pour limiter ce type de crédit dont les excès pesaient par trop sur beaucoup de relations interentreprises. Toutefois il ne faut pas réduire à l’excès le sens de l’évolution législative. Des textes sont venus « entretenir » d’une certaine manière le phénomène. On notera de ce point de vue l’intérêt des dispositions de la loi du 2 juillet 1998 qui, en autorisant les entreprises commerciales à titriser leurs créances, facilite d’une certaine manière ce crédit. Toutefois, la nouveauté réside pour les grandes entreprises dans l’apparition (9) du crédit financier interentreprises véhiculé par des billets de trésorerie ou des bons à moyen terme négociables. Mais le prêteur qui se substitue le plus souvent aux banques est le Marché, par le biais des titres de créances revêtant la qualité de valeurs mobilières.

Enfin on relèvera que le banquier moderne a changé dans ses comportements. De prêteur ponctuel qu’il était trop souvent, il entend passer au stade du partenaire, certaines banques affichant cette volonté par l’offre du produits à forte charge symbolique comme par exemple le contrat de développement proposé par le CEPME et issu des travaux du Conseil économique et social (10). Dans le cadre de ce partenariat, une expression comme le crédit global d’exploitation peut commencer à trouver sa traduction.

D’autres produits, au demeurant moins usités que ce que l’on espérait, traduisent une volonté d’offre globale : les crédits assortis de facilités multiples (MOFS) sont un exemple convaincant, même s’ils sont passés quelque peu de mode. Les « REVOLVING CREDIT FACILITY » constituent une formule comparable plus répandue aujourd’hui.

B) La nature profonde de la dette se modifie : mutation apparente ou réelle ?

La nature profonde de la dette semble se modifier dans deux ordres de réflexion : à la fois dans l’ordre de la classification traditionnelle fonds propres/fonds d’endettement et dans l’ordre de l’analyse du rapport d’obligation.

• La classification traditionnelle fonds propres/fonds d’endettement est mise à l’épreuve. Comme l’a indiqué le Professeur Christian de Boissieu, les véhicules qui servent de support à la dette sont des véhicules hybrides dans nombre de cas. La dette est proche des fonds propres d’où la terminologie de quasi fonds propres. Parfois au demeurant la relation entre le prêteur et l’entreprise n’est qu’un rapport provisoire de créance : le porteur d’une obligation convertible choisira en fonction de ses intérêts de demeurer créancier ou de devenir actionnaire. L’analyste financier reclasse ces fonds en fonds propres ou en dettes à long terme sur la base d’une estimation des chances de voir la conversion réalisée. De manière plus

(9) Loi du 14 décembre 1985. (10) Rapport Conseil Économique et Social 1997, n° 4 : JO Avis et rapports du Conseil Économique et Social 28

février 1997.

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subtile, les titres hybrides peuvent donner lieu à des jeux fiscaux qui naissent de l’ambiguïté : certains titres comme les ORA passeront pour des capitaux propres aux USA tout en bénéficiant de la déductibilité des intérêts en France.

La frontière entre capitaux propres et fonds d’emprunt est donc devenue poreuse. Là encore il suffit de se laisser aller à la lecture d’ouvrages financiers pour constater combien règne une certaine confusion : les fonds propres semblent plus se définir par rapport à la stabilité de leur mise à disposition au service de l’entreprise que par l’identité et le statut juridique de leurs fournisseurs (11). Il est vrai que la théorie financière est plus sensible au degré de permanence des fonds dans l’entreprise qu’à leur origine de propriété. Il est vrai aussi que la théorie micro-économique moderne propose des modélisations de l’entreprise qui singularisent assez peu le rapport actionnaire/entreprise eu égard au rapport créancier/entreprise : il ne s’agit jamais que de deux rapports d’agence et nous ne pouvons que faire écho à la question soulevée précédemment par Monsieur de Boissieu.

La culture de chacun éclaire ce phénomène qui trouve une expression culminante dans la loi du 13 juillet 1978 à l’origine en France des prêts participatifs : « Ils sont, au regard de l’appréciation de la situation financière des entreprises qui en bénéficient, assimilés à des fonds propres » (12). Si le Parlement britannique dispose de tous pouvoirs sauf celui de transformer un homme en femme, le Parlement français s’est arrogé pour sa part un pouvoir d’alchimiste de la finance.

Encore faut-il toutefois ne jamais oublier que l’analyse financière ne doit jamais l’emporter sur la rigueur du raisonnement juridique. La jurisprudence a justement rappelé par exemple qu’une obligation remboursable en actions est une dette jusqu’à son remboursement, une action ensuite : le fait d’être en devenir ne modifie pas la nature profonde (13). De même un prêt participatif pourtant assimilé à des fonds propres par la loi du 13 juillet 1978 ne résiste pas à l’épreuve du calcul de la perte de la moitié du capital (14).

• Dans l’ordre de l’analyse du rapport d’obligation, la dette n’apparaît plus comme définitivement ancrée dans l’entreprise jusqu’à son complet désintéressement. La dette peut faire l’objet d’un processus d’éviction du patrimoine du débiteur. Il existe des mécanismes de transfert de l’endettement, voire même des mécanismes d’effacement de l’endettement. Bien sûr, ceci ne correspond qu’à des schémas de très grandes entreprises. Mais l’idée s’insinue

(11) Voir par exemple un « classique » largement utilisé dans les centres de formation bancaire, G. Rouyer et

A. Choinel, La banque et l’entreprise, Éditions de la Revue Banque, 1996, qui semble ranger les concours à long et moyen termes parmi les fonds propres p. 160 sq.

(12) Article 25 de la loi n° 78-741 du 13 juillet 1978. (13) Cf. Cass. com. 13 juin 1995 : Bull. civ. IV, n° 181, p. 168 ; Bull. Joly Bourse 1995, p. 320 ; Versailles

17 nov. 1994 : Bull. Joly Bourse 1995, p. 37, n° 6, note T. Bonneau ; Trib. com. Nanterre 13 sept. 1994 : Bull. Joly Bourse 1994, p. 590, § 117, note F. Peltier ; F. Peltier, À propos de la nature juridique de la créance présentée par l’O.R.A. : Bull. Joly Bourse 1996, p. 23 sq. ; P. Le Cannu, Obligations remboursables en actions : les enseignements de l’arrêt Metrologie International : Bull. Joly Bourse 1995, § 50, p. 251 sq. ; voir encore : H. Hovasse, Les obligations remboursables en actions : Mélanges Percerou, Vuibert-Gestion, 1994, p. 105 ; F. Peltier, La nature juridique des obligations remboursables en actions : JCP éd. E 1992, I, 155.

(14) Cf. Lamy Droit du Financement 1998, n° 533.

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que la dette, dès lors qu’elle peut être gérée, est moins engagement (15) personnel d’exécuter une prestation qu’une valeur patrimoniale négative « dont l’effacement assure à l’endetté une "virginité patrimoniale" indispensable à son redressement financier » (16).

Il s’agit là en fait de l’aboutissement d’un processus d’objectivation du rapport d’obligation bien connu des juristes.

C) Les modalités essentielles de la dette ne correspondent plus aux schémas classiques

• La notion d’horizon de la dette est à relativiser. La confusion des horizons est devenue maximale. Court et moyen termes se confondent même dans la pratique bancaire : des lignes de crédit connaissent des durées singulières. Les obligations s’émettent à trois ans. On ne retrouve plus les horizons classiques de l’endettement.

Ce phénomène perturbe au demeurant les logiques du pouvoir : un directeur financier peut procéder seul à l’émission d’un billet à moyen terme négociable d’une durée de cinq ans, alors même que l’émission d’une obligation à trois ans suppose la réunion d’une assemblée générale ordinaire. C’est donc avec une certaine pertinence que le Sénateur Marini a proposé, dans son fameux rapport, l’introduction d’une véritable cohérence à ce niveau.

• Les garanties attachées à la dette ont évolué dans leur nature et leur consistance. L’idée se développe, surtout dans la pratique internationale de crédits sans recours, de crédits garantis par le seul bien financé. On est ici bien entendu à la limite extrême d’un processus de réduction des prises de garantie infiniment plus modeste lorsque l’emprunteur est une PME.

On a assisté à la promotion d’un principe de proportionnalité dans la prise et la réalisation des garanties, plus particulièrement dans le domaine des sûretés personnelles. La Cour de cassation, par un arrêt en date du 17 juin 1997 (17), a étendu à tous les cautionnements la règle contenue dans l’article L. 313-10 du Code de la consommation interdisant à un établissement de crédit de se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus de celui qui couvrent ce contrat (18). Plus généralement c’est en fait un principe de proportionnalité qui tend aujourd’hui à caractériser le cas du contrat du crédit avec contribution de garantie.

Ce principe de proportionnalité n’est sans doute qu’un des avatars d’un principe plus vaste qui se rattache à l’obligation générale de discernement et de loyauté du dispensateur de crédit. Un récent arrêt de la Cour d’appel de Versailles (19) éclaire parfaitement les choses :

« Qu’en effet si la présomption de compétence pesant sur le chef d’entreprise est absolue, en ce qui concerne les activités qu’il développe à titre principal, en l’espèce la « MECANIQUE

(15) Voir en ce sens la démonstration intéressante de Monsieur Fabrice Rizzo, Le traitement juridique de

l’endettement, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1996, Préface Jacques Mestre. (16) F. Rizzo, op. cit., p. 497. (17) Cass. com. 17 juin 1997 : JCP éd. E 1997, II, 1007, note D. Legeais ; Bull. Joly 1997, p. 868, note P. Le Cannu. (18) Cf. D. Legeais in Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ? : Petites Affiches, n° spécial

30 septembre 1998, p. 38 sq. (19) Bull. Joly février 1999, note A. Couret.

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DE PRECISION, EXECUTION DE PROTOTYPES OU D’ENSEMBLES » (extrait K bis, pièce n° 1, SCP Lissarrague Avoués), le dispensateur de crédit doit, dans le cadre de son obligation générale de discernement et de loyauté, s’assurer que celui qui engage la société cliente tout en concédant sa garantie personnelle a conscience de la portée et des risques financiers qui pourraient résulter de l’octroi de concours, au vu de l’état de sa société au moment où la demande est formulée ; « Que la Banque X... ne rapporte pas la preuve qu’elle a mis en garde M. R... tant en sa qualité de gérant que de celle de future caution, sur la disproportion de l’endettement déjà accumulé et du défaut de rentabilité évident des nouveaux prêts, découlant de la situation de la SARL emprunteuse à l’époque de l’octroi des crédits ; « Que la banque a ainsi manqué à son devoir de conseil et de mise en garde ; « Qu’en l’espèce, constitue une faute d’imprudence le fait pour la Banque X d’avoir accordé des crédits excessifs à la société Y, plus en considération des garanties concédées, à sa demande, par M. R... que de la sanité de la situation ou des perspectives d’avenir de la débitrice principale étant relevé qu’un crédit ne peut être justifié par le seul fait qu’il est garanti ; « Qu’il apparaît en l’espèce que la banque, à défaut d’avoir accompli son devoir de prudence, de discernement et de renseignement, a octroyé les crédits querellés en multipliant les garanties ».

Mais nous savons aussi que le financement des entreprises a été la terre d’élection de ce que certains – dont le Doyen Yves Chaput – ont appelé les antiprivilèges, les sûretés négatives. La dette connaît en effet des rangs de remboursement variables. La dette a eu longtemps un rang naturel de remboursement. Aujourd’hui, la nature des choses s’impose avec moins d’évidence. Un arbitrage rendement/risque conduit à hiérarchiser les débiteurs qui acceptent des rangs de remboursement constituant de véritables antiprivilèges. À l’extrême limite, ne peut-on pas concevoir un remboursement qui se situerait sur la même ligne que les fonds propres ?

• On peut au demeurant se demander si la dette ne perd parfois pas une de ces caractéristiques essentielles qui est d’être remboursable. Faut-il rappeler l’article 1902 du Code civil « L’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu » ? On a vu des titres subordonnés à durée indéterminée ; on a pu s’interroger sur les obligations remboursables en actions : restituait-on la même quantité et la même qualité (20) ?

La dette obéit aujourd’hui à un régime de plus grande transparence. La jurisprudence sévère de la Cour de cassation concernant notamment les intérêts du crédit conduit les banques à une exigence de plus grande clarté.

La dette connaît, plus particulièrement dans les groupes de sociétés, des points de localisation nouveaux, comme Monsieur Jean-Pierre Mattout nous le montrera tout à l’heure. Ceci est vrai également dans les montages à effet de levier. L’endettement obéit à des considérations de géométrie dans l’espace.

III – À quel prix s’endette-t-on ?

La question peut être abordée sous deux angles différents. L’endettement a des coûts directs et des coûts indirects.

(20) V. F. Peltier, La nature juridique des obligations remboursables en actions : JCP éd. E 1992, I, 155.

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A) Les coûts directs de l’endettement

La problématique du coût de l’endettement est complexe et l’on sait que les conditions de négociation de l’endettement entre entreprises et banques ont évolué au profit des entreprises sous la pression conjuguée des trois D : despécialisation, désintermédiation et déréglementation.

Globalement le coût de la dette a baissé. Les conditions bancaires se sont longtemps articulées sur le taux de base bancaire. À partir de la moitié de la décennie 80, les opérations se sont traitées aux conditions du marché, et ce pour le plus grand bénéfice des entreprises (21). Corrélativement, les banques ont enregistré en 1994 une baisse de leur produit net bancaire, et cela pour la première fois depuis cinquante ans (22). Mais le phénomène qui est le plus intéressant est celui qui naît de la « marchéisation » de la dette. Le coût de la dette sur un marché est fonction de la notation de celle-ci, ce qui nous sera exposé tout à l’heure.

Une des composantes de coût direct est inévitablement constituée par la fiscalité. Le traitement fiscal de l’endettement est une variable classique de la décision d’investissement, variable généralement plus favorable aux fonds d’emprunt qu’aux fonds propres.

B) Les coûts induits

On pourrait recenser toute une série de coûts auxquels l’observation immédiate fait songer et qui ne s’expriment plus seulement en agios ou en commissions. Prenons trois exemples.

– Les opérations à fort effet de levier créent des situations de pouvoir artificielles, les dirigeants ne détenant le contrôle qu’au moyen d’artifices juridiques du type cascades de holdings. Ces cascades ont un coût considérable, tant et si bien que le souci des fondateurs est de supprimer le plus vite possible quelques étages de la construction, c’est-à-dire quelques niveaux d’endettement.

– Les apporteurs de fonds d’emprunt de type obligations convertibles en actions dans des sociétés non cotées revendiquent souvent des droits et prérogatives qui ne sont pas consubstantiels à leur condition. Le pacte signé avec les investisseurs impose un certain nombre d’exigences qui sont autant d’atteintes au pouvoir des dirigeants : l’endettement a donc des incidences sur le pouvoir dans l’entreprise comme le montrent bien les opérations dites de capital-risque.

– Le prêteur, lorsqu’il est un banquier, veut affirmer un « partenariat » – associé à des opérations à risque, il veut plus que le remboursement d’une dette. Il veut être associé à la bonne fortune de l’entreprise qu’il a aidée à se développer : un prêt assorti de bons de souscription d’action n’est pas chose rare.

Ici encore, c’est la dilution de son pouvoir à terme qu’accepte le chef d’entreprise.

(21) F. Vidal, Tout ce que vous pouvez négocier avec votre banquier : Option Finance 18 mai 1998, n° 500, p. 8 sq. (22) Voir G. Rouyer et A. Choinel, La banque et l’entreprise, préc., p. 3.

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La théorie financière moderne a beaucoup mis l’accent sur divers coûts qu’elle présente comme des limites à l’endettement (23). Ainsi les coûts dits de faillite sont les coûts liés à la menace d’une cessation des paiements (24). « Les coûts de faillite comprennent des coûts explicites, se traduisant par des sorties de trésorerie, tels que les coûts légaux ou administratifs liés aux procédures de règlement judiciaire ou de liquidation (honoraires, coûts de transaction encourus pour liquider les actifs...), mais également des coûts d’opportunité associés, par exemple, à la perte de confiance des fournisseurs ou des banquiers, ou encore aux conflits d’intérêts opposant les créanciers aux actionnaires ».

Les coûts de faillite sont naturellement à rapprocher des avantages fiscaux de l’endettement. Les gains fiscaux issus de l’endettement sont à partir d’un certain stade compensés par des coûts de faillite. La théorie du « STATIC TRADE-OFF » étudie ainsi la relation entre coûts de faillite et avantages fiscaux de l’endettement (25).

* * *

Cette tentative modeste de mise en parallèle de plusieurs modes de raisonnement était dictée par le souci de montrer l’extraordinaire richesse qui caractérise la relation Endettement/Financement de l’entreprise. Quelle que soit la grille de lecture, on voit apparaître un centre majeur d’intérêt. Elle était aussi et surtout dictée par le souci d’introduire les exposés des spécialistes qui vont prendre maintenant la parole.

Des PME...

M. Michel LÉCUYER, Directeur central des engagements à la Banque populaire de l’Ouest

Le témoignage que je vous propose est celui d'un observateur et d'un acteur du financement de la PME depuis plus d'une vingtaine d'années. Mon exposé ne s'appuie sur aucune documentation statistique ; il est la synthèse, au demeurant très succincte et probablement approximative, de ce qui se passe sur le marché du financement de la PME et portera essentiellement sur deux aspects : les spécificités du marché du financement de la PME, telles qu'on peut les appréhender aujourd'hui ; les évolutions récentes des modes de financement. Et enfin, je conclurai sur financement bancaire et endettement de la PME.

Commençons par une observation préliminaire : le secteur de la PME se porte bien depuis quelques années et enregistre une baisse sensible de sa sinistralité. Les enquêtes conduites régulièrement par la Banque de France attestent de cette bonne santé.

À cela, plusieurs raisons :

(23) On trouvera un intéressant exposé dans l’ouvrage du Doyen G. Charreaux, Gestion financière, préc. 1996,

p. 196 sq. (24) G. Charreaux, préc., p. 196. (25) G. Hirigoyen et J.-P. Jobard, Financement de l’entreprise : évolution récente et perspectives nouvelles, préc., p.

1359.

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1. Un facteur conjoncturel et exogène à l'entreprise : l'embellie économique qui profite à notre pays et plus globalement à l'Europe depuis deux bonnes années, embellie qui doit se poursuivre en 1999 mais à un rythme de progression du PIB plus lent, nous disent les conjoncturistes.

2. Des facteurs propres à l'entreprise et j'en citerai trois.

– Le premier, c'est la progression à peine perceptible sur le court-terme, mais régulière, de la concurrence franco-française mais également européenne et même mondiale qui constitue un élément moteur de la performance industrielle et financière, mais qui n'est pas sans nourrir une certaine inquiétude à différents titres, puisqu'il faut toujours mieux faire que l'autre.

– Le deuxième, c'est le souci qu'ont les chefs d'entreprises de renforcer les fonds propres, même si la capitalisation des entreprises françaises reste en moyenne en retrait par rapport à celles des entreprises allemandes ou anglo-saxonnes.

– Le troisième c'est la définition de choix stratégiques (le chef d'entreprise veut moins subir), le renforcement des compétences et l'instauration de tableaux de bord qui permettent à l'entreprise de prévoir et de suivre ses différents indicateurs d'activités et de résultats. L'interlocuteur du banquier est dorénavant le directeur administratif et financier, à la formation généralement pointue et connaissant bien les termes de l'offre bancaire.

Après ces quelques considérations de départ, venons-en au premier thème de mon intervention.

I – Les spécificités du marché du financement de la PME

A) La première qui me vient à l'esprit est l'excès d'offre par rapport à la demande. Cet excès d'offre, qui a pris naissance dans les années 85 avec la déréglementation bancaire et le désencadrement du crédit, va probablement et durablement s'amplifier avec la naissance de la zone EURO, naissance qui va engendrer un nivellement des taux d'intérêts et la disparition du risque de change. Ce déséquilibre de marché fait que la PME reçoit plusieurs offres pour financer ses besoins et est à même de les comparer et de négocier le plus avantageusement en sa faveur.

B) Autre nouveauté, la négociation banque-entreprise porte sur l'ensemble des composantes de l'offre, montant, durée, garanties, frais de dossier, indemnité de remboursement par anticipation et surtout sur le prix (taux fixe, taux variable, taux révisable et, le cas échéant, la couverture du risque de taux).

C) Autre particularité : la disparition, ou à tout le moins, le recours moins fréquent et limité en montant, à la caution solidaire du dirigeant. Pourquoi cette évolution ? Plusieurs explications peuvent être avancées :

– les fonds propres se renforcent régulièrement et sont un gage de pérennité de l'entreprise.

– Les montants prêtés sont bien souvent sans rapport avec la solvabilité du dirigeant.

– Le chef d'entreprise est incité par ses conseils à ne pas donner sa caution.

– L’existence de la Sofaris ; il s'agit là d'une heureuse initiative des pouvoirs publics que d'avoir créer la Sofaris. Cette garantie est d'autant mieux acceptée par les chefs d'entreprises

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que la commission de contregarantie est prise partiellement en charge par les conseils généraux.

D) Un autre point marquant découlant de l'excès d'offre réside dans la difficulté, pour le banquier, de vendre le crédit à un prix supérieur au coût normatif de manière à dégager une marge. Les banques se sont donné les moyens de connaître leurs coûts et notamment le « point mort » pour les crédits accordés à leurs différents types de clientèle, point mort auquel il convient d'ajouter la marge commerciale. Bien souvent cette marge est faible et même inexistante. Alors le banquier se rassure en estimant qu'il gagne ou qu'il va gagner de l'argent sur les offres de services qu'il fait par ailleurs à la PME. Mais ce raisonnement est dangereux car les services peuvent être vendus en tout ou en partie par une autre banque et donc le produit net bancaire attendu de la vente de ces services, ne sera pas à la mesure de l'objectif escompté.

Une dernière observation sur le problème de la marge : que se passera-t-il pour le compte d'exploitation des banques si la sinistralité venait à s'accroître ?

Aujourd'hui la banque « vit à l'étroit » avec la PME. Il faut souhaiter que l'application du 97-02 dans son article 20, viendra mettre un terme aux excès que l'on observe sur ce marché.

E) Une autre perception que l'on peut avoir du marché du financement de la PME, c'est la transparence croissante des relations, liée à la volonté exprimée par la PME, de tout négocier, et donc de connaître l'ensemble des modalités de l'offre, mais transparence de plus en plus partagée par le banquier qui confirme, généralement par écrit, son offre pour les financements d'exploitation et les services. C'est, en tout cas, un choix délibéré de la Banque Populaire de l'Ouest.

II – Les évolutions récentes des modes de financement de la PME

Au risque d'être simpliste dans ma présentation, je m'en tiendrai à esquisser les grandes tendances que l'on observe aujourd'hui dans le financement de la PME et, m'appuyant sur la typologie généralement utilisée par les analystes financiers, j'évoquerai tour à tour les évolutions constatées : dans le financement du cycle d'exploitation, puis dans le financement des investissements.

A) Le financement du cycle d’exploitation

• Le crédit global d'exploitation est dorénavant le mode de financement usuel utilisé par la PME en bonne santé. Couvrant l'insuffisance de trésorerie née d'un excédent de besoin en fonds de roulement sur le fonds de roulement, il se présente soit sous la forme d'une autorisation de découvert, soit sous la forme d'un crédit de trésorerie mobilisable par billet, le cas échéant adossé partiellement, ou totalement, à une balance de créances commerciales ou à un encours d'effets à l'encaissement, ce montage donnant lieu à la signature d'une convention cadre répondant aux dispositions de la loi Dailly.

Ce mode de financement présente un double intérêt tant pour la PME que pour la Banque :

– une simplicité de mise en œuvre et d'utilisation en substitution d'une articulation de concours obéissant pour chacun d'entre eux à des spécificités propres. Ce sont des gains de productivité pour les deux partenaires,

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– une clarification des relations avec une négociation plus aisée, portant sur une offre simplifiée.

• Deuxième composante de l'offre bancaire exerçant une attraction croissante sur la PME : l'affacturage. Alors que les encours de financement classiques à court-terme tendent à stagner, pour ne pas dire régresser, l'affacturage se développe à concurrence de 20 % l'an sur les encours. C'est près de 300 Mds de francs de créances inter-entreprises qui seront achetées en 1998 par les sociétés d'affacturage.

Pourquoi ce succès de l'affacturage ? L'affacturage remplit une triple fonction sur laquelle je ne m'étendrai pas : le financement des créances commerciales, le risque de non-paiement et le recouvrement des créances.

La concurrence, à laquelle se livrent les factors, a engendré une baisse des prix et rend le coût de l'affacturage largement compétitif par rapport aux autres solutions de financement. Par ailleurs, et c'est une conséquence induite de l'affacturage, les délais clientèle de l'entreprise affacturée se réduisent dès lors que le recouvrement est assuré par le factor : ce dernier use de méthodes autrement plus efficaces et se montre moins sensible aux aspects commerciaux. Autre intérêt de l'affacturage, certaines PME utilisent ce mode de financement pour réduire leurs délais fournisseurs et pour ainsi faire un gain de marge substantiel, entre les ristournes obtenues des fournisseurs et le coût de l'affacturage.

B) Le financement des investissements

En ce domaine, il est possible de mettre en exergue l'utilisation de plus en plus répandue de deux modes de financement.

• Tout comme pour le globex (crédit global d'exploitation), la PME opte bien souvent pour l'enveloppe de financement, prenant appui pour exprimer son besoin, sur le tableau de financement annuel ou pluri-annuel, cette enveloppe se met en place sur une durée maximale de 5 à 7 ans en faveur des entreprises affichant des performances financières correctes et des fonds propres substantiels. Je ne reviendrai pas sur les apports de ce mode de financement, étant proches de ceux du globex.

• Venons-en maintenant à la location financière qui connaît un fort développement. La location financière est, vous le savez bien, une opération par laquelle une société (le loueur) met à la disposition d'un tiers (le locataire) un bien dont elle est propriétaire pendant une durée déterminée et irrévocable et, ceci, moyennant versement de loyers. À la différence d'un crédit-bail, la location financière est une location sans option d'achat.

Si ce financement est un peu plus complexe que le crédit-bail, car il fait intervenir en fin de location le fournisseur qui rachète le matériel, bien souvent pour le recéder au locataire, la location financière présente le gros avantage, pour la banque, de ne pas être considérée comme une opération de crédit et, ainsi, d'échapper aux exigences du ratio européen de solvabilité.

Pour la PME, outre la souplesse qu'elle peut procurer dans la courbe des loyers, la location financière donne lieu à une réduction sensible de taxe professionnelle comparativement à l'option crédit-bail.

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Conclusion

Si le financement bancaire est facteur d'endettement de la PME, je voudrai en préciser les limites sans pour autant me lancer dans une présentation de méthode d'analyse financière et de ratios qui participent à l'évaluation de la solvabilité et de la pérennité des entreprises.

Pour la majorité de celles qui disparaissent, l'étranglement de trésorerie est la cause immédiate de leur mortalité. Mais il est des causes plus profondes, multiples au demeurant, soit exogènes soit propres à la PME, causes parfois interdépendantes les unes des autres. Ce que je veux dire, c'est que la PME doit être en état de veille permanente à la fois pour exploiter ses forces et résorber ses faiblesses, et pour saisir les opportunités et prévenir les menaces.

Dans un tel contexte, le chef d'entreprise doit, à tout moment, se ménager une double sécurité financière que j'exprime dans son principe. La première c'est, pour chaque période à venir, un surcroît d'autofinancement par rapport à l'encours de dettes amortissables exigible. À l'inverse, une insuffisance d'autofinancement détériore, toutes choses égales par ailleurs, le fonds de roulement et conséquemment la trésorerie de l'affaire. Cette détérioration progressive, pas toujours perceptible dans le court-terme, détruit l'assise financière de la PME. La seconde sécurité, indépendamment de la première que je viens d'évoquer, c'est la capacité de la PME, dans le fonctionnement de son cycle d'exploitation, à dégager en permanence de la liquidité émanant d'actifs dits circulants, réalisables à court terme, pour faire face immédiatement aux engagements souscrits auprès des créanciers.

Si, dans cette circonstance, le problème de trésorerie peut apparaître de manière plus brutale et manifester plus d'ampleur, il peut néanmoins trouver sa réponse avec des financements bancaires adaptés. Aussi, l'élaboration du tableau de financement annuel ou pluri-annuel et du plan de trésorerie, deux outils de gestion prévisionnelle et leur suivi régulier, sont en mesure, non seulement d'anticiper toute insuffisance de trésorerie, mais également de faire face aux aléas de la vie d'entreprise.

... Aux groupes de sociétés

M. Jean-Pierre MATTOUT, Directeur des affaires juridiques de PARIBAS, Professeur associé à l’Université Paris II (Panthéon-Assas)

Devant un groupe de sociétés, mais y-a-t-il aujourd’hui parmi les sociétés autre chose que des groupes de sociétés (26), le juriste se sent un peu schizophrène ! En effet, il ressent bien la réalité de la notion et l’observe chaque jour, et cependant son arsenal principal de règles fonctionne sur la base de l’individualité de chaque personne juridique. Personne en effet n’a, au sens précis, prêté d’argent à un groupe de sociétés, celui-ci ne pouvant contracter. S’il est réducteur d’affirmer qu’il n’y a pas en France de droit des groupes, il est cependant exact de dire qu’en terme de responsabilité financière, le droit a une position binaire : soit il y a plusieurs sociétés et chacune ayant son propre patrimoine n’est alors responsable que de ses propres dettes, soit la pluralité de sociétés n’est qu’une apparence et alors, la fictivité ou la confusion

(26) G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, par M. Germain et L. Vogel, t. 1, 17e édition, LGDJ, 1998,

n° 1997.

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des patrimoines conduit à ne les traiter que comme constituant une seule société et un seul patrimoine à cet égard. Devant un groupe de sociétés géré dans le respect des règles juridiques, le seul moyen d’établir une passerelle entre les patrimoines des différentes entités, est de recourir aux sûretés ou à leurs succédanés (27).

La structure sociétaire est le plus souvent utilisée comme une technique efficace d’organisation commerciale ou de gestion. À l’intérieur des groupes, les sociétés ayant une personnalité affirmée à l’égard des tiers sont minoritaires. Et pourtant, le droit les traite, en principe, de la même façon au regard de leur patrimoine et dans leurs rapports avec les tiers. C’est sans doute le corollaire de la liberté des conventions qui autorise la création de nouvelles structures sociales quasiment sans limite et sans contrôle et qui contraint le législateur à appliquer un modèle unique de responsabilité, que la société soit « sur le papier » ou très « active », autonome ou au contraire très intégrée dans un groupe plus vaste.

Les comptes consolidés et l’importance qu’ils ont pris dans l’appréciation et l’anticipation de la solidité financière du groupe, du fait qu’ils sont devenus l’instrument quasi-unique de communication financière, ont conduit le gouvernement à souhaiter franchir un pas et à faire approuver lesdits comptes par l’assemblée des actionnaires de la maison-mère. Là encore, si le citoyen-juriste comprend, le juriste tout court s’émeut et craint la terra incognita. Quelle sera la responsabilité des administrateurs qui auront arrêté de tels comptes ? Les règles de consolidation sont-elles suffisamment sûres et établies pour ne pas être contestées a posteriori dans le cadre d’un débat judiciaire... ?

À une période où le loyer de l’argent est redevenu relativement peu élevé – encore que les taux réels soient encore non négligeables – les charmes de l’endettement redeviennent évidents. On notera que l’un des verrous traditionnels du droit français qui posait le principe de l’interdiction pour une société d’acheter ses propres actions est tombé à ce moment précis (28). Cette profonde modification est intervenue à une période où il est devenu économiquement plus judicieux de rembourser les actionnaires de plus en plus exigeants sur la rentabilité des fonds propres et de recourir à l’emprunt à des taux à long terme généralement inférieurs au taux de distribution de dividendes qu’une société doit pratiquer pour fidéliser son actionnariat devenu si sensible aux courants de la « corporate governance » (29).

La redécouverte de l’effet de levier avec son coefficient multiplicateur pousse, parfois au-delà de toute raison, les groupes à s’endetter, comme on a pu le voir avec les hedge funds dans le cadre de la crise financière asiatique de l’été 1998, où certains ont emprunté jusqu’à trois cents fois leurs fonds propres ! De nombreux pays ne connaissent pas la source de responsabilité que constitue pour le banquier français le soutien abusif du crédit (30). Le mélange détonnant d’un groupe situé dans un pays à faible réglementation ne contrôlant pas le ratio d’endettement sur fonds propres, plus une utilisation exponentielle de l’effet de levier combiné à une certaine opacité comptable et financière aboutit à des affaires comme LTCM ! Si

(27) On peut aussi songer à la technique du co-emprunt dans laquelle deux ou plusieurs entités se portent

directement co-emprunteuses à l’égard de la banque. Cette technique est utilisée à grande échelle en Belgique, par exemple.

(28) A. Couret et J.-Y. Mercier, Le nouveau régime du rachat par une société de ses propres actions : Banque et droit septembre-octobre 1998, p. 13.

(29) P. Bissara, Les véritables enjeux du débat sur « le gouvernement de l’entreprise » : Rev. Sociétés 1998, p. 5. (30) J.-M. Daunizeau, Les entreprises en difficulté, pratique bancaire et juridique, Banque éditeur, 1996.

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les effets macro-économiques de cette affaire ont été maîtrisés, semble-t-il, les effets micro-économiques sont éloquents : les prêteurs ont dû prendre le contrôle de l’emprunteur en convertissant leurs créances en capital avant d’accepter de recapitaliser. La porte de sortie du surendettement s’appelle souvent perte de l’indépendance et du contrôle pour les actionnaires initiaux !

L’arrivée de la monnaie unique va constituer un bouleversement géographique de grande ampleur. Parmi les conséquences importantes que nous allons vivre, le changement de dimension de nos économies et sa cohorte de rapprochements d’entreprises seront les plus notables. En effet, le marché national, désormais situé à l’échelle du continent, va pousser à une redistribution des cartes avec une recherche de la taille critique des entreprises, c’est-à-dire des fusions et acquisitions, c’est-à-dire encore plus de groupes de sociétés ! Ces concentrations vont s’accompagner nécessairement d’une réorganisation visant à favoriser les économies d’échelle. Au plan des relations bancaires, on peut raisonnablement penser que cela signifiera la recherche par les emprunteurs de fournisseurs d’argent moins nombreux – pourquoi avoir un banquier mark et encore un autre lire et un troisième franc. La puissance de négociation sera d’autant plus grande qu’un groupe saura recentrer ses besoins généraux et négocier avec un petit nombre de banquiers. La centralisation financière pour n’emprunter qu’au niveau de la maison mère, une bonne allocation pour convoyer les fonds à l’intérieur du groupe dans la filiale qui en aura besoin, la méthode, déjà largement utilisée, devrait faire florès.

Dans ce cadre évolutif, l’endettement des groupes va mettre en contact un ou des prêteurs et un ou des emprunteurs. Il peut être utile d’examiner quelques aspects de l’environnement juridique de chacun des protagonistes.

I – L’environnement juridique du fournisseur d’argent

Afin d’assurer le financement d’un groupe, le banquier doit examiner plusieurs variables particulières.

A) Qui prête et qui emprunte ?

Plusieurs affaires ont montré que la façon de prêter pouvait être déterminante pour les prêteurs. En effet, il n’est pas égal de prêter à une holding qui elle-même reprêtera à ses filiales mais sans que le prêteur ait un recours sur lesdites filiales dont il aura pris soin généralement de recevoir les actions en nantissement de la part de la maison-mère emprunteuse, ou bien de prêter directement aux filiales opérationnelles avec la garantie de la maison-mère. En cas de procédure collective ouverte envers toutes les sociétés du groupe, les titres des filiales se dévalorisent instantanément et le créancier de la maison-mère aura peu de chance d’être remboursé. Le créancier de filiales opérationnelles sera, même chirographaire, en meilleure position. En fait, il est préférable de prêter là où sont les actifs plutôt que là où est le pouvoir. La distinction, si elle est simple au plan juridique, est souvent difficile à mettre en œuvre en pratique. Le banquier est souvent contraint de se conformer à la politique que son client-emprunteur entend suivre quant à la localisation de son endettement.

La technique de financement utilisée influe nécessairement sur le montage juridique de l’opération d’endettement. Le recours aux marchés de capitaux modifie le rôle du banquier. De prêteur, il se transforme en arrangeur, en placeur de valeurs mobilières. La présentation du

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prospectus et le « due diligence process » sont une source de responsabilité aggravée. Là aussi, le choix de l’emprunteur est important. Généralement, seule la maison-mère aura la visibilité nécessaire pour faire appel au marché financier, sur la base de ses comptes consolidés. La déconvenue peut cependant venir d’une filiale. Un réseau étroit d’obligations strictes imposées à l’emprunteur peut limiter les risques, à la condition toutefois de ne pas tomber dans le piège de l’immixtion dans la gestion.

L’organisation des prêteurs n’est pas moins importante. Les tours de table de prêteurs sont de composition variée et différencient grandement les types de relations juridiques entre les banques et l’emprunteur. La syndication sous forme de prise de participation occulte pose des problèmes souvent difficiles : confidentialité des engagements souscrits envers le client et qui doit se concilier avec le nécessaire devoir d’information dû par le chef de file aux membres de son pool, bonne volonté des participants dans les opérations de restructuration de la dette de l’emprunteur avec la recherche parfois mesquine de la « petite bête » pour obtenir le rachat de sa part par le chef de file... Du point de vue de l’emprunteur, le montage de son endettement via un tour de table dont il ne connaît contractuellement parlant que le chef de file lui donne un confort certain, en diminuant le nombre de ses interlocuteurs directs. En revanche, il affaiblit sa capacité d’influence sur les décisions prises par les banques sous-participantes.

B) Les sûretés

Il est rare de mettre en place des sûretés réelles pour accompagner les concours consentis à des groupes de sociétés. Soit le banquier sera en position de chirographaire, renforcé par un faisceau d’obligations contractuelles contraignantes (obligation de respecter une série de ratios notamment, appelés dans la pratique « covenants »), soit il bénéficiera de sûretés personnelles.

Une des formes de sûreté personnelle largement utilisée dans les groupes est la lettre d’intention de la maison-mère pour soutenir l’une de ses filiales. Cette forme d’engagement est souvent une des formes les plus achevées de l’hypocrisie commerciale où chacun, prêteur et « garant », fait semblant de satisfaire l’autre sur le fond en sacrifiant la forme ; le résultat le plus fréquent est que le fond est tout autant sacrifié que la forme ! La formulation ambiguë de ces lettres et l’absence d’autorisation préalable des organes compétents étant la règle en pratique, le paiement sera rarement au rendez-vous en cas de difficulté (31).

Le cautionnement ou la garantie à première demande est aussi utilisé. Le contentieux nombreux auquel il donne lieu et les multiples chausse-trappes parsemées sur le chemin qui va de la rédaction appropriée à la mise en œuvre de ce type d’engagement ont montré aussi ses limites. L’une des questions délicates qui se pose dans le cautionnement de groupe est celui de l’intérêt social de la caution, lorsque celle-ci n’est pas la maison-mère.

Une forme plus rare et plus pernicieuse de difficultés existe dans la pratique internationale : le concours de prêteurs différents à différentes entités d’un même groupe emprunteur. Dans les pays de common law, il est assez fréquent de prendre une sûreté générale sur l’ensemble des actifs tant présents que futurs d’une société et de ses filiales, soit sous forme de floating charge, soit sous forme de general assignment of receivables. La constitution de nouvelles

(31) Pour une illustration récente, Cass. com. 9 déc. 1997 : Rev. sociétés 1998, p. 561, obs. P. Delebecque.

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filiales qui emprunteraient ailleurs qu’auprès de ce pool initial de prêteurs peut alors être fautive pour le nouveau prêteur qui pourra être primé par les prêteurs initiaux et devoir ainsi restituer des paiements reçus avant la faillite de l’emprunteur. La même difficulté peut survenir dans les opérations lourdes de financement qui peuvent, par le biais des « covenants » imposés à l’emprunteur, restreindre ses capacités d’emprunt ou l’empêcher d’effectuer des opérations entre sociétés du même groupe.

C) Le remboursement

La parenté entre sociétés n’est pas inscrite dans les gènes. Elle est évolutive et, à l’exception des filiales cotées en bourse qui sont une espèce rare, cette évolution ne se fait pas dans la transparence immédiate (32). Le faible contrôle externe de l’évolution de l’actionnariat nuit en soi à la possibilité de se fier à l’appartenance à un groupe comme critère de dignité à l’obtention d’un crédit. Dans les lettres d’intention, il est fréquent de rencontrer une clause au terme de laquelle le signataire s’oblige à informer le bénéficiaire de la cession de sa filiale, sous entendant ainsi que la rupture du lien, dont il décide seul du moment et des modalités, entraîne la rupture de son soutien, quelle qu’en ait été la force. En cas de violation, ces engagements sont rarement sanctionnés en pratique, et ce d’autant qu’il sera parfois difficile d’établir un lien de causalité entre la perte du contrôle de la filiale par la maison-mère et le non-remboursement du crédit à la banque, que les termes mêmes de la lettre d’intention n’auront « garantis » que très allusivement (33).

La pratique a révélé une autre source d’aggravation du risque bancaire dans les rapports avec les groupes. L’existence même d’un groupe facilite parfois la commission de certaines infractions pénales comme la cavalerie de chèques ou d’effets de commerce. Elle peut entraîner pour le banquier un risque de responsabilité pénale par ricochet comme certaines affaires l’ont démontré. En effet, la cavalerie finit nécessairement par être découverte et le groupe de sociétés mis en liquidation. Le procédé ruineux de la cavalerie employé pour retarder la constatation de la cessation des paiements est constitutif de banqueroute frauduleuse et les banquiers sont alors condamnés comme complices.

II – L’environnement juridique de l’emprunteur

A) Les facilitations et les contraintes

L’emprunteur est maître de sa structure qu’il fait évoluer au gré de ses besoins dans ses contours, en achetant ou vendant des titres, en faisant entrer un partenaire, en vendant des actifs... mais aussi en choisissant la localisation géographique et ainsi l’environnement juridique immédiat qui lui sera applicable. Des formes juridiques d’une extrême souplesse sont à sa disposition. De la société unipersonnelle (34) à la SAS (35), dont il peut organiser librement le mode de fonctionnement, sans évoquer les paradis juridiques qui laissent une extrême liberté

(32) V. le colloque organisé par le CREDA, L’information légale dans les affaires : quels enjeux ? quelles évolutions :

JCP éd. E 1994, I, 387. (33) Pour une illustration récente, Cass. com. 9 déc. 1997, préc. (34) Article 34 de la loi du 24 juillet 1966. (35) Articles 262-1 à 262-20 de la loi du 24 juillet 1966.

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et une grande opacité à la discrétion des actionnaires. En pratique, il sera facile à un groupe de créer une étanchéité entre les différentes parties de son patrimoine, de créer de véritables patrimoines d’affectation. Cette liberté d’agir est neutre, au sens où elle ne constitue ni un bien ni un mal au regard de l’endettement. Elle peut être utilisée soit comme technique de garantie particulièrement efficace d’une catégorie de prêteurs, soit comme moyen, au contraire, d’isoler une bonne partie de la richesse du groupe de la poursuite de ses créanciers.

Aussi, les opérations entre sociétés liées sont-elles d’une extrême importance et les modalités de passation et de publicité de ces conventions indispensables à la moralisation des affaires. De nombreuses conventions interviennent entre sociétés du même groupe de façon habituelle. Elles sont des opérations courantes en soi, encore qu’il faille vérifier tout de même la nature de la convention passée pour se prononcer pleinement sur cette question. Il est par nature courant de contracter entre sociétés d’un même groupe et une sorte de présomption simple joue en faveur de la qualification « d’opération courante » (36) au sens de l’article 102 de la loi du 24 juillet 1966. Reste toutefois à s’assurer que les conditions pratiquées sont des « conditions normales ». Il est sain à cet égard que la réglementation s’applique y compris dans les relations avec des filiales à 100 %.

Le droit pénal pose aussi une limite protectrice des intérêts des prêteurs dans les relations des sociétés d’un même groupe et ainsi un contrepoids à la liberté de principe. En effet, la jurisprudence sur l’abus de biens sociaux dans les groupes, en fixant pour limite l’interdiction des opérations de groupe qui aboutissent à une absence de contrepartie pour l’un des protagonistes ou rompent l’équilibre entre les engagements respectifs des différentes sociétés ou encore excèdent les possibilités financières du contributeur, limite utilement les excès (37).

B) La multiplication des techniques de financement et de couverture (38)

Outre les libertés structurelles des groupes de s’organiser et qui peuvent aboutir à rendre plus difficiles à cerner les conditions de la sécurité juridique de leur endettement, les techniques opératoires à leur disposition peuvent aussi jouer un rôle qui, pour être plus nouveau, n’en est pas moins important en terme de liberté accrue de manœuvre pour les emprunteurs.

Trois exemples illustreront ce propos : la titrisation, l’utilisation des dérivés de crédit et les financements sans recours.

1° La titrisation

Instrument initialement réservé aux groupes bancaires et d’assurance et désormais ouvert sans restriction aux entreprises (39), elle est une source de refinancement moderne (40). En se

(36) V. l’étude complète faite par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes : Bull. CNCC

septembre 1990, p. 289. (37) Arrêt Rozenblum, Cass. crim. 4 fév. 1985 : JCP éd. E 1985, II, 14613, obs. W. Jeandidier ; Rev. sociétés 1985,

p. 649, obs. B. Bouloc ; D. 1985, jur., p. 478, obs. D. Ohl ; Gaz. Pal. 1985, I, 377, obs. J.-P. Marchi. (38) L’endettement, Mode de financement des entreprises, ouvrage collectif sous la direction de A. Sayag et

M. Jeantin, Litec, 1997, chapitre 4, p. 183, Les techniques juridiques de gestion de l’endettement. (39) Articles 34 et suivants de la loi du 23 décembre 1988, modifiés par l’article 34 de la loi du 2 juillet 1998. (40) T. Bonneau, Les fonds communs de placement, les fonds communs de créances et le droit civil : RTD civ. 1991,

p. 1.

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déchargeant d’une partie de ses actifs dans un fonds commun de créances, le cédant reconstitue ses marges de manœuvre financières. En cédant ces créances, il transfère aux marchés financiers le financement d’une partie de son poste d’actif. Encore limitée, la technique est porteuse à terme de profondes mutations. Elle a introduit une technique de dissociation de fonctions traditionnellement liées : la production d’actifs et leur gestion. Sa version passive pour les entreprises est la défaisance qui permet à une entreprise d’exclure de son passif une dette déjà contractée sans la rembourser par anticipation à ses créanciers (41).

2° Les opérations sur dérivés de crédit (42)

C’est une nouvelle génération d’instruments financiers fondés sur la dissociation entre le maintien des crédits consentis et la gestion des risques qu’ils contiennent. Il est ainsi possible de conserver un risque de crédit à dix ans par exemple et de conclure un default swap au terme duquel votre contrepartie dans le swap s’engage à vous régler le montant convenu en cas de credit event qui peut être aussi bien la défaillance de l’emprunteur que sa dégradation par une agence de notation. La technique peut permettre par exemple à une banque d’accroître ses concours à un client au-delà de ses limites habituelles puisqu’elle transférera le risque supplémentaire sur le marché. La lecture du niveau des engagements pour apprécier le niveau de crédit risque de s’en trouver passablement compliquée.

3° Les financements sans recours

Le financement sans recours, qui d’ailleurs n’est le plus souvent qu’un financement avec recours limité contre l’emprunteur, offre aux groupes de sociétés une autre forme commode d’endettement. L’opération est proche, dans son esprit, de l’escompte de papier commercial sans recours contre le tireur. Elle est appliquée dans le financement de projet à grande échelle : les prêteurs acceptent qu’à une certaine date, seuls les revenus du projet, et non plus la totalité du patrimoine de l’emprunteur et de son garant, répondent du remboursement des dettes.

Il est un épouvantail toujours sous-jacent, dès lors que l’on traite avec un groupe de sociétés, celui de la confusion des patrimoines.

C) Les risques de la confusion (43)

Il est difficile, par hypothèse, de séparer ce qui forme un tout, et un groupe fortement intégré peut ne pas être viable si une partie vient à dépérir. Si l’une des sociétés du groupe est en bonne santé ou tout simplement n’est pas en cessation des paiements alors que les autres sociétés le sont, le principe est que la partie saine ne relève pas de la thérapeutique judiciaire collective. Toutefois, la jurisprudence (44) a établi deux tests cumulatifs pour qu’il en soit ainsi :

(41) A. Pézard, La défaisance : Rev. dr. bancaire et bourse 1989, n° 12. (42) P. d’Hérouville et P. Mathieu, Les dérivés de crédit révolutionnent la gestion du risque de contrepartie : Banque

janvier 1997, n° 577, p. 50. (43) P. Delebecque, Groupes de sociétés et procédures collectives : confusion de patrimoines et responsabilité des

membres du groupe : Rev. proc. coll. 1998-2, p. 129. (44) Cette construction est entièrement jurisprudentielle puisqu’elle s’appuie initialement sur l’article 7 de la loi du

25 janvier 1985 qui est un texte relatif à la compétence : « S’il se révèle que la procédure ouverte doit être étendue à une ou plusieurs autres personnes, le tribunal initialement saisi reste compétent ». Cette procédure doit être distinguée

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la société en question doit être bien réelle et non fictive et son patrimoine ne doit pas être confondu avec celui des autres membres du groupe. Si ces deux tests ne sont pas passés avec succès et même si cette société peut fonctionner seule, elle sera mise en faillite en dépit de l’article 1er de la loi de 1985 qui aurait dû conduire à l’isoler. C’est la logique du système. Dans cet esprit, la Cour de cassation contrôle étroitement les critères retenus par les cours d’appel pour décider de la fictivité ou de la confusion. Elle a ainsi estimé que la société civile propriétaire des locaux qu’exploite commercialement une autre société du même groupe n’est pas nécessairement fictive et ne permet pas d’étendre pour cela la procédure collective de la société d’exploitation à la société civile immobilière (45). Elle a aussi refusé l’extension de la procédure collective dans une situation où l’associé majoritaire d’une SARL reste propriétaire d’un fonds de commerce donné en location-gérance à une autre de ses sociétés mise ensuite en liquidation, en l’absence de flux financiers anormaux entre les différentes sociétés et de fictivité de la SARL (46).

Tout se passe comme si la confusion de patrimoines mettait à néant la personnalité juridique, que celle-ci soit réelle ou bien fictive. Il est dès lors intéressant de savoir qui peut déclencher ce séisme et quel effet cela produit-il.

L’initiative de l’action pour aboutir à la faillite commune ou plutôt unique c’est la demande d’un des créanciers ou de leur représentant ; le débiteur peut aussi faire la demande. Le tribunal peut aussi agir d’office (47). L’effet n’est pas rétroactif mais opère avec une certaine rétroactivité due à l’effet immédiat de la décision. En effet, la faillite étant unique, la jurisprudence, avec esprit de géométrie, en a conclu que la procédure devait être aussi unique en terme de date de cessation des paiements (qui peut ainsi remonter pour certaines sociétés du groupe à plus de dix-huit mois (48)) avec aussi et surtout un sort commun. Pas de redressement judiciaire pour certaines entités si d’autres doivent aller à la liquidation (49). Pas de cession ou de continuation pour les unes et une liquidation pour les autres.

La responsabilité des associés peut par ce biais devenir immense dans la mesure où l’une des sociétés serait une société où la responsabilité est solidaire et indéfinie emportant la procédure collective automatique des associés.

La procédure collective pour tout un groupe, comme son absence, est une situation dont les conséquences varient considérablement d’une affaire à l’autre. En effet, en faisant masse commune de l’ensemble des créanciers et de tous les actifs du débiteur, certains créanciers se trouveront mieux protégés et d’autres moins bien. L’ordre même des créanciers sera bouleversé et ainsi une société sans salariés qui avait consenti une hypothèque de premier rang pourra du fait de la masse commune voir le bien distribué dans le cadre du super-privilège

de l’extension de la procédure aux dirigeants organisée par l’article 182 de la même loi et qui ne réalise pas une « faillite commune ».

(45) Cass. com. 25 nov. 1997 : Rev. sociétés 1998, p. 587, obs. C. Porteron. (46) Cass. com. 3 février 1998 : Bull. Joly 1998, 654, obs. J.-J. Daigre. (47) Une certaine jurisprudence tend à réserver cette action au tribunal, aux organes de la procédure et au ministère

public, C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 1995, n° 360. (48) Il n’est toutefois pas possible d’étendre la faillite si la société contre laquelle la procédure a été initialement

ouverte a fait l’objet d’un plan de continuation ou de cession ou que sa procédure a été clôturée dans le cadre d’une liquidation, Cass. com. 22 oct. 1996 : JCP éd. E 1997, I, 681, obs. M. Cabrillac et P. Petel.

(49) Cass. com. 17 fév. 1998 : Petites Affiches 12 juin 1998, p. 22, obs. B. Soinne.

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des salariés d’autres sociétés du groupe. L’instrument est redoutable parce qu’il déjoue les prévisions des partenaires de l’entreprise.

Conclusion

Le doit positif assure le maintien d’un équilibre délicat. Abandonner le point d’ancrage que constitue la responsabilité financière individuelle de chaque personne juridique – fût-elle membre d’un groupe –, c’est partir sans instrument vers le grand large où souffle la tempête. Pour assurer sa fonction, le droit n’a pas besoin de copier les concepts de l’économie ; il lui suffit de tenir compte de ces réalités économiques et de les intégrer dans ses recherches de solution. Affirmer le principe de l’individualité financière des sociétés qui forment un groupe et corriger les déviations ou les abus par la mise à bas des apparences et une bonne modulation de la règle est suffisant pour remplir efficacement son rôle. L’immixtion caractérisée ou la théorie de l’apparence suffit, en dehors des procédures collectives, à rechercher fructueusement la responsabilité de la maison-mère qui aurait elle-même maltraité l’autonomie juridique de sa propre filiale (50). Pour le reste, il appartient aux prêteurs de structurer convenablement leurs opérations au plan juridique. Il vaut mieux un principe simple et clair et un correctif souple et pragmatique qu’une mosaïque de cas particuliers complexes dont le justiciable et le juge ne voient plus le fil conducteur.

Ce dont le droit des affaires a besoin aujourd’hui ce n’est pas d’un principe général de responsabilité financière de la maison-mère du fait de ses filiales, mais de prendre davantage en compte la dimension internationale dans laquelle les sujets de droit évoluent chaque jour. Gageons que nous aurions bien du mal à expliquer comment se déroulerait une procédure collective avec confusion des patrimoines d’un groupe qui inclurait des filiales importantes à l’étranger !

ENDETTEMENT ET DÉTECTION DU RISQUE

M. Guy CANIVET.– L'ordre des communications appelle maintenant deux exposés sur le thème « endettement et détection des risques », le premier de M. Éric Paget Blanc, responsable de la notation des entreprises, le second de Mme Mireille Bardos, responsable de l'Observatoire des entreprises à la Banque de France.

M. Éric PAGET-BLANC, Responsable de la notation des entreprises – Fitch-IBCA, Maître de conférences à l’Université d’Evry

La notation financière – ou « rating » – constitue un indicateur du risque de défaut d’une entreprise. Aux États-Unis, la quasi-totalité des titres à revenus fixes font l’objet d’une notation par au moins une agence de « rating ». En Europe, la notation a connu un développement rapide au cours des 10 dernières années. Actuellement, en France, la totalité des émetteurs bancaires et la majorité des émetteurs industriels et commerciaux ont recours à la notation.

(50) Cass. com. 5 juin 1993 : Rev. sociétés 1994, p. 730, obs. R. Libchaber ; Cass. 2e civ. 3 mai 1995 : JCP éd. G

1995, IV, 1541 ; Cass. com. 18 oct. 1994 : Bull. Joly 1994, p. 1317, obs. A. Couret.

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Nous nous proposons, dans cet article, de présenter tout d’abord le rôle joué par la notation dans la détection du risque de défaut d’un émetteur. Dans un second temps, nous présenterons les principaux facteurs retenus par les agences de notation, en insistant particulièrement sur le poids prépondérant des critères liés à l‘endettement.

I – Rôle de la notation

Les premières agences de notation ont été créées au début du siècle aux États-Unis. John Moody, qui a laissé son nom à une agence américaine, a publié son premier manuel de notation en 1909. Il avait pour but d’informer les investisseurs sur les risques de défaillance des compagnies américaines de chemin de fer. Par la suite furent créés Poors Publishing company (1916), Standard & Statistics Cie (1922) et Fitch Publishing Cie (1924). Ces agences avaient le statut d’entreprise de presse ; leurs revenus provenaient de leur clientèle d’investisseurs en quête d’informations financières objectives, que ne pouvaient leur fournir les banques d’affaires impliquées dans le placement du papier.

Alors qu’elle est restée absente d’Europe jusqu’aux années 80, la notation a connu un développement rapide aux États-Unis dans la première moitié du siècle, favorisé par l’importance du marché obligataire américain ainsi que par la réglementation concernant la protection des investisseurs. Ainsi, aux États-Unis, les banques sont-elles dans l’obligation de déprécier dans leurs comptes les obligations faiblement notées ; en outre, les fonds de pension, principaux détenteurs de titres obligataires, ne sont pas autorisés à détenir dans leur portefeuille des obligations dont le rating est de catégorie inférieure.

Jusqu’aux années 60, la notation s’adressait uniquement aux obligations. En 1970, le défaut de paiement de Penn central Corporation Cie sur du papier commercial a sensibilisé les investisseurs et les autorités de tutelle sur la nécessité de généraliser la notation. Ceci a contribué à accélérer le développement de la notation à court terme, mais également à renforcer le rôle des agences, et plus particulièrement celui des deux plus importantes, Moody’s et Standard & Poors.

Dans les années 80, la baisse des taux d’intérêt entraîna une croissance soutenue des encours obligataires, ce qui se traduisit par une augmentation de l’exposition globale des investisseurs au risque de crédit ; l’accroissement ainsi induit du besoin en information financière se traduisit par une généralisation de la double notation aux États-Unis. En outre, l’augmentation des liquidités détenues par les investisseurs institutionnels, conjuguée à la baisse du coût du crédit, ouvrit le marché obligataire à des entreprises à faible qualité de signature. Celles-ci parvinrent, moyennant une rémunération plus élevée que le marché, à placer auprès des investisseurs du papier à risque – ou junk bonds. Il s’agit d’obligations notées dans la catégorie inférieure, dite « spéculative ». Le rôle des agences de notation devint alors crucial, le label « spéculatif » des émetteurs dépendant uniquement des notes qu’elles attribuaient.

Le marché obligataire et le besoin d’information, en matière de risque de crédit qu’il induit, ont connu une forte expansion en Europe dans les années 80, favorisés là également par la maîtrise de l’inflation, qui a rendu les taux d’intérêt réels attractifs, et surtout par le mouvement de désintermédiation du financement des entreprises. Les agences de notation américaines Standard & Poors et Moody’s se sont implantées en Europe à la fin des années 80, alors que deux agences à capitaux européens s’étaient créées dans les années 80 : IBCA au Royaume-

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Uni et l’ADEF en France. Suite au rachat de l’ADEF par Standard & Poors, IBCA est devenue la seule agence de notation à capitaux européens. Elle a été reprise par le groupe français FIMALAC en 1992, qui a par la suite racheté l’agence américaine Fitch, afin de créer, en 1997, le groupe FitchIBCA, actuellement seule agence de notation à capitaux européens.

De nos jours, il est pratiquement impossible à une entreprise ou une banque désirant émettre sur le marché international de se passer d’une note. La notation est un service rendu – et facturé – par l’agence de notation à l’émetteur. Cependant, à l’origine, la notation avait pour finalité d’informer l’investisseur sur le risque de défaut d’un émetteur, c’est-à-dire sur sa capacité à honorer le service de sa dette. Bien qu’elles aient pour clients les émetteurs, les agences ont pour vocation première de servir les investisseurs ; comme l’indique, pour certaines, leur raison sociale ; c’est le cas de Moody’s, dont la raison sociale est en fait « Moody’s Investor Service », ou de Fitch qui, avant sa fusion avec IBCA, s’appelait « Fitch Investor Service ». Les agences tirent des revenus de ce service, grâce aux publications diverses (listes récapitulatives des notes avec leurs mises à jour, rapports détaillés sur les émetteurs, etc.) achetées par les investisseurs. Ces revenus, qui représentent une part non négligeable du chiffre d’affaires (environ la moitié pour IBCA avant sa fusion avec Fitch) garantissent l’indépendance des agences vis-à-vis des émetteurs, et, de ce fait, la fiabilité de leurs appréciations.

Les notes sont attribuées selon une échelle, qui opère une distinction entre note à long terme et note à court terme (voir annexe 1 : Échelle de notation). Les émetteurs bénéficiant de la note maximum, AAA, sont rares ; pour la plupart, ce sont des émetteurs souverains. Quelques entreprises – guère plus d’une vingtaine dans le monde – sont notées AAA ; il s’agit de groupes multinationaux possédant des positions dominantes tels que General Electric ou Nestlé. En France, la quasi-totalité des entreprises notées appartiennent à la catégorie d’investissement. Cependant, seules les entreprises du secteur public sont notées AAA, cette note s’appuyant sur le soutien de l’État.

La note BBB- constitue la limite inférieure des notes dites de catégories d’investissement. En deçà de cette limite, les notes appartiennent à la catégorie dite spéculative (ou « junk bonds »). Les notes de catégorie spéculative sont encore peu répandues en Europe. En France, la première émission publique assortie d’une note spéculative a eu lieu en juin 1998; il s’agit d’un emprunt obligataire de Rémy-Cointreau.

Les notes peuvent être attribuées à un émetteur ou à une émission spécifique. La distinction est nécessaire, car les émissions d’une même entreprise peuvent être de rang différent. Ainsi, une émission subordonnée sera notée systématiquement avec au moins un cran de moins qu’une émission senior. Lorsqu’une note est attribuée seulement à un émetteur, l’agence suppose implicitement qu’elle s’adresse à une dette de rang supérieur.

A) Impact de la notation sur les marchés de taux

La notation contribue à l’efficience des marchés d’instruments de taux. En effet, le rendement d’une obligation intègre une prime rémunérant le risque de signature de l’émetteur ; il réagit aux variations des taux d’intérêt mais également aux modifications des notes par les agences. Le tableau ci-dessous illustre la relation existant entre le niveau des notes et le spread d’une obligation.

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Marges par rapport aux prix des émissions de l’État français pour des émetteurs privés

AAA 0 à 30 pb AA 20 à 55 pb A 35 à 90 pb

BBB 60 à 140 pb

La notation a joué un rôle primordial dans la globalisation des marchés financiers. Elle permet en effet à un fonds de pension du Kansas d’arbitrer le risque d’obligations émises par une banque japonaise avec celles d’une entreprise industrielle européenne ou d’une municipalité américaine, et ce en utilisant la même échelle. La notation a permis aux investisseurs institutionnels anglo-saxons de diversifier géographiquement leurs portefeuilles obligataires en leur fournissant une évaluation du risque de crédit d’émetteurs étrangers sur lesquels ils disposaient de peu d’informations.

B) La notation indicateur avancé du risque de défaut.

Le développement rapide de la notation s’explique en grande partie par la fiabilité des notes attribuées par les agences, dont la capacité prédictive demeure importante. Une étude réalisée par Fitch IBCA sur l’historique des défauts constatés sur les obligations américaines s’est attachée à recenser le nombre de défauts constatés pour chaque catégorie de notes sur des périodes de longueurs différentes. Les résultats de cette étude apparaissent dans le tableau ci-dessous :

Probabilité de défaut en fonction de la durée de détention (en %) Fitch IBCA Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5 Année 6 Année 7 Année 8 Année 9 Année 10

AAA 0,00 0,03 0,05 0,10 0,21 0,34 0,46 0,69 0,82 0,98 AA+ 0,01 0,03 0,08 0,23 0,29 0,49 0,61 0,80 0,93 1,05 AA 0,03 0,04 0,11 0,28 0,49 0,66 0,76 0,92 1,03 1,13 AA- 0,06 0,10 0,20 0,33 0,53 0,71 0,88 1,03 1,20 1,36 A+ 0,06 0,12 0,32 0,54 0,73 0,94 1,07 1,22 1,36 1,59 A 0,07 0,15 0,39 0,63 0,85 1,06 1,14 1,25 1,53 1,83 A- 0,10 0,21 0,51 0,82 1,12 1,40 1,69 1,94 2,29 2,65 BBB+ 0,12 0,34 0,63 1,02 1,38 1,74 2,25 2,63 3,05 3,47 BBB 0,15 0,41 0,72 1,25 1,72 2,30 2,80 3,32 3,82 4,29 BBB- 0,42 1,15 1,98 3,04 3,94 4,94 6,67 7,50 8,27 9,00 BB+ 0,75 2,39 4,16 6,39 8,41 10,65 11,38 12,08 12,73 13,71 BB 1,17 3,48 5,92 8,42 10,81 12,97 14,40 15,87 17,19 18,42 BB- 2,61 6,70 10,94 14,77 18,15 21,04 21,88 22,69 23,41 24,08 B+ 3,91 9,35 14,56 18,99 22,88 26,34 27,23 28,09 28,84 29,75 B 6,32 12,42 18,24 22,69 25,70 28,28 29,84 31,78 33,48 35,42 B- 11,69 19,16 24,92 29,26 33,22 35,58 37,54 39,99 42,12 44,57

Ce tableau indique qu’il est statistiquement impossible qu’un émetteur noté AAA fasse défaut dans l’année qui suit ; la probabilité qu’une défaillance se produise sur les 10 années qui suivent est de 0,98 %. La dernière ligne du tableau indique que 11,69 % des émetteurs notés B- ont fait défaut dans l’année qui suivait.

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Ce tableau prouve que les agences de notation commettent relativement peu d’erreurs. Le nombre de fois où un émetteur noté en catégorie d’investissement a fait défaut dans l’année reste faible. Le tableau prouve aussi qu’il existe une forte corrélation entre le niveau de la note et la probabilité de défaut ; elle constitue la véritable signification d’une note. Une note de AAA ne signifie pas qu’un défaut ne surviendra pas ; elle signifie simplement que la probabilité de défaut est plus faible que si l’émetteur était noté AA ou, a fortiori, B. Cette relation peut s’illustrer sous forme de graphe

Fitch IBCA rating curve

0

5

10

15

20

25

30

35

40

AAAAA+ AA

AA- A A-BBB

+BB

BBB

B-BB+ BB BB

- B+ B B-

Sur le plan juridique, les notes attribuées par une agence ne constituent pas une recommandation, ni un avis, comparable, par exemple, à l’avis formulé par un cabinet d’audit sur les comptes d’une entreprise. Il s’agit d’une opinion, propre à l’agence, à laquelle l’investisseur accorde la valeur qu’il souhaite. L’agence ne peut donc être considérée comme responsable, sur le plan juridique, des éventuelles pertes que pourrait subir un investisseur. Cependant, le fonds de commerce d’une agence repose entièrement sur sa réputation. Des erreurs de notation répétées auraient pour effet de ruiner la réputation de l’agence et entraîneraient sa disparition. La nécessité impérieuse pour une agence de maintenir sa crédibilité constitue donc, pour l’investisseur, la meilleure garantie de fiabilité des notes d’une agence.

II – Aspects méthodologiques

A) La démarche suivie

La notation a pour objectif d’évaluer la capacité d’une entreprise à honorer le service de sa dette. Pour cela, l’agence doit évaluer sa capacité de crédit à partir des comptes publiés, mais également de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise et de facteurs internes. La démarche de notation se distingue clairement du « scoring ». En effet, tout d’abord, les notes attribuées par les agences ne sont pas le résultat d’une combinaison de plusieurs ratios financiers ou d’autres facteurs quantitatifs. Bien que fondées sur l’analyse de ratios financiers, elles intègrent également des facteurs qualitatifs, tels que les risques liés à l’environnement, la stratégie suivie, la qualité du management, etc. La décision d’attribution d’une note est prise par un comité de notation, qui examine les conclusions de l’analyste responsable du suivi de

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l’entreprise. Ainsi, à l’agence Fitch IBCA, ce comité réunit l’analyste responsable du dossier, le responsable de la notation des entreprises, ainsi que des analystes basés dans d’autres bureaux – généralement Londres ou New York – possédant une bonne connaissance du secteur.

Les agences appuient leurs notes sur des données prévisionnelles. Les informations passées n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles permettent de prévoir le futur. L’objectif de la note étant de prévoir la capacité de l’entreprise à faire face à ses échéances futures, l’agence se doit d’avoir une vision à long terme, et s’interdit de prendre en compte dans la note l’effet du cycle économique. Par exemple, une entreprise qui voit son chiffre d’affaires et son résultat diminuer en raison d’une crise purement conjoncturelle ne verra pas sa note dégradée ; en revanche, si les facteurs expliquant une contre-performance sont de nature structurelle – une diminution durable de la compétitivité des produits, ou l’entrée du secteur dans une phase de stagnation, par exemple – alors la note sera abaissée.

La notation financière ne s’applique, d’une manière générale, qu’aux grandes entreprises (à l’exception des établissements financiers), alors que le « scoring », et c’est là que réside son intérêt, peut être utilisé pour évaluer les entreprises de toute taille. Cependant, rien n’empêche a priori une petite entreprise d’avoir recours à la notation ; le phénomène est rare car les entreprises de taille petite et moyenne ont rarement recours aux emprunts obligataires.

B) Principaux éléments retenus pour la notation des entreprises

La liste des critères retenus par une agence pour noter une entreprise comprend, d’une part, les facteurs liés à l’environnement de l’entreprise : croissance de la demande du secteur, cyclicité de la demande, intensité de la concurrence, existence de barrières à l’entrée, réglementation, ouverture à la concurrence étrangère, arrivée de produits de substitution, etc. L’essentiel de ces critères sont d’ordre qualitatif.

Sont, d’autre part, retenus les facteurs propres à l’entreprise : position compétitive, diversification sectorielle et géographique, capacité à innover. Cependant, l’analyse de la situation financière de l’entreprise a une importance déterminante. Pour cela, les analystes s’intéressent principalement au niveau d’endettement (mesuré par rapport aux fonds propres ou au cash flow) et à la capacité de l’entreprise à dégager des cash flows sur une base récurrente. La liste des ratios utilisés est longue ; cependant, l’analyse se focalise sur un petit nombre de ratios-clefs : Endettement financier net/fonds propres ; Endettement financier net/CAF (ou l’EBE) ; Couverture des frais financiers/EBE ; Résultat opérationnel/chiffre d’affaires ; Résultat net/fonds propres.

Une place importante est accordée aux ratios liés à l’endettement financier de l’entreprise. Le ratio d’endettement financier net / CAF (ou EBE) est probablement le ratio le plus discriminant, car il associe les deux éléments influençant le plus la note : le niveau d’endettement et la capacité de l’entreprise à générer des cash flows. Une entreprise évoluant dans un secteur cyclique et à forte intensité capitalistique – l’industrie automobile, par exemple – ne peut se permettre d’avoir un ratio d’endettement sur fonds propres supérieur à 30 % ou 40 %, si elle veut se maintenir dans la catégorie A. Rhône-Poulenc, qui intervient dans la pharmacie, secteur peu cyclique et générateur de marges importantes, est noté BBB en raison d’un niveau d’endettement de l’ordre de 80 % des fonds propres.

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Cependant, les facteurs autres que l’endettement ont du poids dans la décision de notation. Ainsi, Carrefour bénéficie d’une note AA par une agence américaine, ce qui en fait l’une des entreprises du secteur privé les mieux notées en France, alors qu’elle affiche un niveau d’endettement de 80 % (après financement de l’acquisition de Comptoirs Modernes). Ceci provient de sa forte rentabilité, de son excellent positionnement concurrentiel et de la faible cyclicité du secteur de la distribution.

Conclusion

On assiste, depuis quelques années en Europe, à une institutionnalisation progressive de la notation. Les notes publiées par les agences sont de plus en plus utilisées par les émetteurs, mais également par les banques afin de gérer leurs risques de contrepartie et leurs risques de crédit. Récemment, des outils de gestion quantitative du risque de crédit se sont développés, avec notamment l’apparition de modèles de quantifications de pertes sur des opérations de crédit, utilisant les notes comme moyen de mesure du risque de crédit (il s’agit notamment de Creditmetrics, développé par la banque JP Morgan). Cette reconnaissance par les investisseurs et les banques constitue la meilleure preuve de l’apport des agences de notation dans la détection du risque de défaut.

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Annexe

Échelle des Notes Long Terme

Niveau d’investissement

de sécurité

Niveau d’investissement

spéculatif

AAA BB+

AA+ BB

AA BB-

AA- B+

A+ B

A-

BBB+ CCC, CC, C

BBB

BBB- DDD, DD, D

AAA : Qualité de crédit la plus élevée. La note « AAA » indique le risque de crédit le plus faible. Elle n’est attribuée que dans les cas où l’aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance est exceptionnellement forte. AA : Qualité de crédit très élevée. La note « AA » indique un risque de crédit très faible. L’aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance est très forte. A : Qualité de crédit élevée. La note « A » indique un risque de crédit faible. La capacité à honorer les engagements financiers est forte. BBB : Bonne qualité de crédit. La note « BBB » indique que le risque de crédit est actuellement faible. BB : Caractère spéculatif. La note « BB » indique une possibilité d’apparition du risque de crédit, en particulier, du fait d’une évolution défavorable des conditions économiques. B : Caractère très spéculatif. La note « B » indique qu’il existe un risque de crédit significatif, bien qu’il subsiste une marge réduite de sécurité. CCC, CC, C : Risque important de défaut. La possibilité d’un défaut de paiement est réelle. L’aptitude à honorer les engagements financiers repose sur la persistance de facteurs d ’exploitation ou de conditions économiques favorables. DDD, DD, D : Situation de défaut de paiement. Les titres sont extrêmement spéculatifs.

Échelle de Notes Court Terme

Niveau d’investissement

de sécurité

Niveau d’investissement

spéculatif

F1+ B

F1 C

F2 D

F3

F1 : Qualité de crédit la plus élevée. Cette note indique la plus forte aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance; Le signe « + » peut souligner une qualité de crédit exceptionnellement forte. F2 : Bonne qualité de crédit. Cette note indique une aptitude satisfaisante à honorer les engagements financiers à leur échéance, bien que la marge de sécurité soit moins élevée que pour la catégorie de notes supérieure. F3 : Qualité de crédit correcte. Cette note indique une aptitude suffisante à honorer les engagements financiers à leur échéance, toutefois, une évolution défavorable, à court terme, de la situation pourrait entraîner un classement dans la catégorie spéculative. B : Caractère spéculatif. Cette note indique une faible aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance, qui pourrait entraîner une évolution défavorable des conditions économiques et financières. C : Risque important de défaut. Cette note indique l’aptitude à honorer les engagements financiers à leur échéance. Elle repose exclusivement sur la persistance de facteurs d’exploitation et de conditions économiques favorables. D : Défaut. Cette note indique un défaut de paiement constaté ou imminent.

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M. Guy CANIVET.– Merci, Monsieur, de cette présentation de l'organisation, du rôle et des méthodes des agences privées de mesure des risques. Nous allons maintenant voir la même question du point de vue de la Banque de France avec Mme Bardos qui est responsable de l'Observatoire des entreprises à la Banque de France.

Mme Mireille BARDOS, Responsable de l’Observatoire des entreprises – Banque de France

M. de Boissieu a décrit le cycle « endettement, surendettement et désendettement ». En effet, au cours des dernières années, les entreprises se sont fortement désendettées dans leur ensemble, comme le montre le taux d’endettement, rapportant l’endettement financier au financement propre, et présenté sur le graphique.

Taux d’endettement (en pourcentage)

0

10

20

30

40

50

60

70

1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997

PME GE Source: « La situation des entreprises individuelles - bilan 1997 » - Banque de France - direction

des Entreprises

Ce ratio décrit la structure du passif. La diminution du taux d’endettement pourrait être due au renforcement des fonds propres qui a été assez spectaculaire en France ces dernières années. Mais si les dettes financières sont rapportées à la valeur ajoutée, la baisse est également très importante. Les grandes entreprises se sont désendettées entre 1984 et 1989, de façon très spectaculaire. Ce mouvement s’est poursuivi par la suite, alors que les PME, elles, n’ont vraiment amorcé leur désendettement qu’à partir de 1990.

La question se pose alors de savoir pourquoi actuellement il reste des entreprises très endettées. Le tableau 1 donne un début d’explication. La typologie présentée permet d’identifier six profils économiques et financiers plus ou moins risqués. On va donc d’une classe très risquée à gauche à une classe performante à droite. Ces classes sont décrites ici par les moyennes de quelques ratios, la moyenne générale de l’échantillon étant indiquée en première colonne.

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Le taux d’endettement apparaît comme très important dans les classes risquées et dans les classes ayant fortement accru leurs immobilisations productives. L’endettement des entreprises qui investissent beaucoup est surtout sous forme d’emprunts puisque les concours bancaires courants de ces entreprises restent modestes comparativement à ceux des firmes risquées.

Tableau 1 : Description des typologies par les moyennes de ratios TYPOLOGIES

Échantillon de 11 470 entreprises

Échantillon total très risqué

risqué décroissance de l’activité

un peu risqué croissance de

l’activité

forte croissance

bonne santé activité

stagnante

très performante

% de firmes dans l’échantillon 100,0 3,6 38,5 9,2 6,4 38,5 3,6 Taux d’évolution de la production 7,12 -16,53 1,28 46,04 8,69 4,58 12,51 Taux d’évolution de l’emploi 2,37 -9,27 -2,04 30,15 6,07 0,25 3,79 Taux d’investissement productif 13,65 13,07 8,73 16,79 62,92 10,47 7,31 Taux de marge 20,83 -39,76 18,39 28,99 27,52 23,82 34,91 Rentabilité nette du capital financier 8,64 23,73 6,26 14,32 5,97 10,20 27,93 Concours bancaires courants/dette financière 37,40 55,30 63,58 41,15 22,74 13,55 13,12 Dette financière / Capital engagé 33,54 56,77 44,01 45,80 47,90 19,19 5,14 Délai crédit fournisseur 109,41 151,05 110,30 125,01 125,41 98,60 103,31

Défavorable Favorable Neutre

Ayant situé le cadre général, je vais présenter les résultats des travaux sur les défaillances d’entreprise par le moyen du crédit scoring. Cette technique d’analyse vise, par une étude statistique, à identifier les ratios sensibles à la défaillance d’échantillons représentatifs, d’une part, pour les entreprises défaillantes, d’autre part, pour les entreprises en bonne santé. Puis le profil multi-critère de la défaillance est synthétisé grâce à un score. À la Banque de France, une formule linéaire très classique a été retenue. La qualité de la fonction est vérifiée grâce à des tests. Celle-ci doit être efficace non seulement dans le passé mais aussi dans le futur ; ses performances doivent donc être stables dans le temps.

Sans rentrer dans des détails trop techniques, je voudrais simplement montrer le niveau de performance qu’on obtient au cours de quelques années. Le score présenté ci-après concerne l’industrie, il est appliqué à des bilans fiscaux standards du fichier comptable Fiben. Les taux de bons classements (tableau n° 2) testés sur des échantillons de près de 40 000 entreprises sont supérieurs à 70 % sur toute la période ; ils sont même encore plus élevés ces dernières années.

Tableau 2 : Pourcentages de bons classements par le score BDFI 1991 1992 1993 1994 1995 D N D N D N D N D N

Nombre d’entreprises 2 635 31 244 2 608 32 758 2 510 34 263 1 827 36 327 875 37 859 % bons classements 70,3 73,4 72,1 73,7 70,0 74,4 71,2 77,1 78,1 77,3

D : firmes défaillantes, N : firmes non défaillantes Extrait de « Le score BDFI du diagnostic individuel à l’analyse du portefeuille » - Banque de France - direction des

Entreprises

Venons-en aux critères qui entrent dans cette formule. Il y avait un précédent score appelé le score Z, qui a été établi sur les comptes des années 1970. Le score récent, appelé BDFI, est établi sur les comptes de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Il est particulièrement frappant de constater que, parmi les ratios qui interviennent dans ce score BDFI, certains n’existaient pas dans la précédente formule, en particulier le taux d’endettement

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financier ainsi que sa structure. Il y avait, dans le score Z, des ratios de croissance qui n’apparaissent plus, non pas – bien évidemment – parce que la croissance serait dangereuse, mais parce qu’une entreprise qui a investi fortement induit un certain potentiel de risque, lequel n’est toutefois pas, en général, excessif. Il est certain qu’on ne peut plus, à l’heure actuelle, le retenir comme symptôme de la bonne santé. Rappelons que le score identifie les situations très risquées comme les situations les plus favorables qui sont d’ailleurs les plus nombreuses.

Autre résultat important : cet outil permet d’estimer des probabilités de défaillance (tableau n° 3). De la même façon que le rating permet d’avoir une information sur le risque de défaillance, on peut, grâce aux travaux statistiques sur de très nombreuses entreprises, établir des classes de risque. Sept classes de risque retenues vont de la classe 1 où la probabilité de défaillance est de 41,4 % jusqu’à la classe 7 où la probabilité de défaillance est de 1 %. L’horizon retenu est un horizon à moyen terme de trois ans.

Le cœfficient de risque de ces classes va d’une valeur très élevée (4,3) à une valeur très faible (0,1). La classe médiane 4 reflète une situation standard qui correspond à peu près au taux de défaillance en trois ans dans l’ensemble de l’industrie (3 x 3,2 % = 9,6 %).

Tableau 3 : Classes de risque et probabilité de défaillance au cours des trois prochaines années Classe de risque 1 2 3 4 5 6 7

Probabilité de défaillance 41,4 31,0 20,1 11,6 5,6 2,3 1,0 Coefficient de risque 4,3 3,2 2,1 1,2 0,6 0,3 0,1

Le diagnostic individuel utilise la probabilité de défaillance pour mesurer l’intensité du risque. Il a aussi été développé de façon à pouvoir analyser pourquoi l’entreprise est risquée : certains graphiques et détails sur les ratios de l’entreprise révèlent les points faibles et les points forts de l’entreprise.

Mais la probabilité de défaillance joue également un rôle pour dresser une analyse de risque sur un ensemble d’entreprises. Connaissant l’endettement Ei de chaque entreprise i, sa probabilité de défaillance pi, ainsi que son coefficient de non-remboursement vi, on va pouvoir évaluer, sur l’ensemble de la population quelle est la perte moyenne μ à un horizon fixé : on calcule le produit pi vi Ei, puis on somme les quantités obtenues sur toutes les entreprises. Si on compare ce résultat à l’endettement total de la population E, on détermine la part risquée moyenne à l’horizon fixé : μ / E.

À la Banque de France, on ignore la valeur du coefficient de non-remboursement. Par prudence, on lui attribue la valeur 1. Par exemple, il n’est pas tenu compte des garanties sur les dettes des entreprises. La part risquée est alors surévaluée, notamment celle estimée pour les dettes bancaires de l’ensemble de la population industrielle (tableau 5), ce qui, dans une optique prudentielle, reste très satisfaisant.

La taille est une variable extrêmement importante. Ainsi, en matière d’endettement et de risque, la part risquée des dettes bancaires décroît selon la taille. La probabilité apparaissant dans le tableau n° 3 ne tient pas compte de la taille. Or, pour aller plus loin dans l’analyse, il est intéressant d’évaluer la probabilité en tenant compte de la taille. C’est ce qui est présenté dans le tableau n° 4. Un phénomène marquant apparaît : certes, pour un certain niveau de classe de risque, quand la taille augmente, le risque diminue ; ceci étant, pour une taille donnée, les situations sont très diversifiées quant au risque et beaucoup de PME sont extrêmement

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performantes. Ainsi une évaluation du risque qui tient compte de la taille permet d’avoir une idée beaucoup plus juste de la situation de l’entreprise.

Tableau 4 : Probabilités a posteriori de défaillance selon la taille de chiffre d’affaires Probabilité de Classe de risque

Taille de chiffre d’affaires

défaillance a priori

1 2 3 4 5 6 7

1MF<CA<5MF 10,2% 33,7 24,1 16,4 9,8 5,0 3,1 1,0 5MF-50MF 7,2% 33,8 24,2 14,8 8,7 4,2 1,9 0,8 50MF-100MF 4,5% 16,4 17,9 13,1 6,7 2,8 0,9 0,3 100MF<CA 2,1% 12,9 8,4 7,9 3,3 1,9 0,5 0,2

Extrait de « Risque et taille des entreprises industrielles » - Banque de France - direction des Entreprises

La part risquée peut être recalculée en utilisant cette évaluation de la probabilité de défaillance diversifiée en fonction de la taille. Que constate-t-on ? D’abord, que la part risquée moyenne diminue quelque peu. Cette évaluation, qui s’interprète comme une prévision des pertes potentielles sur les dettes des entreprises, mérite d’être comparée à ce qui s’est réellement réalisé en terme de défaillance (tableau n° 7). On constate, lorsqu’il est tenu compte de la taille, que la mesure est nettement meilleure et plus proche de la réalité.

Néanmoins, le risque ainsi évalué est le risque de la défaillance. Or, il faut peut-être dire, pour la défense des PME quant au risque qu’elles représentent, que les grandes entreprises ne vont pas, en général, jusqu’à la défaillance. Si elles ont des difficultés, elles ont d’autres moyens à leur disposition : elles se restructurent ou élaborent des plans qui leur permettent de se redresser... Cela ne signifie pas, pour autant, qu’elles ne représentent pas un risque de perte pour leurs différents partenaires. Et c’est un peu ce que montre la différence entre les tableaux 5 et 6. Quand on tient compte simplement du risque de défaillance, c’est le tableau 6 qu’il faut utiliser et, si on veut prendre en compte des difficultés d’ordre beaucoup plus large, c’est certainement le tableau 5 qu’il faut consulter.

Tableau 5 : Prévision à l’horizon de trois ans sans tenir compte de la taille de l’entreprise Part risquée moyenne des différentes variables étudiées

Tranches de taille en millions de chiffre d’affaires

1 à 5 5 à 50 50 à 100 + de 100 Ensemble

Nombre d’entreprises 12,3 9,5 8,4 7,1 9,3 Effectifs salariés 12,5 9,9 9,0 6,6 7,6, Valeur ajoutée 11,2 8,7 7,7 5,5 6,3 Emprunts et dettes 17,2 12,2 11,3 8,3 8,9

Extrait de « Risque et taille des entreprises industrielles » - Banque de France - direction des Entreprises

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Tableau 6 : Prévision à l’horizon de trois ans en tenant compte de la taille de l’entreprise Part risquée moyenne des différentes variables étudiées

Tranches de taille en millions de chiffre d’affaires

1 à 5 5 à 50 50 à 100 plus de 100 Ensemble

Nombre d’entreprises 10,2 7,3 4,6 2,2 6,7 Effectifs salariés 10,5 7,5 5,0 2,0 3,6 Valeur ajoutée 9,4 6,6 4,3 1,6 2,8 Emprunts et dettes 14,0 9,4 6,3 2,5 3,6

Extrait de « Risque et taille des entreprises industrielles » - Banque de France - direction des Entreprises

Tableau 7 : Réalité : poids des firmes défaillantes dont la défaillance intervient au cours des 3 années 1994, 1995, 1996

Année d’observation des variables : 1993 Tranches de taille en millions

de chiffre d’affaires 1 à 5 5 à 50 50 à 100 plus de 100 Ensemble

Nombre d’entreprises 10,7 7,5 4,9 1,8 6,8 Effectifs 12,7 8,4 5,9 0,8 3,2 Valeur ajoutée 10,6 6,8 4,8 0,5 2,1 Emprunts et dettes 10,9 7,7 5,4 0,6 1,7

Extrait de « Risque et taille des entreprises industrielles » - Banque de France - direction des Entreprises

La Banque de France utilise le score de plusieurs façons. Pour le diagnostic individuel, c’est en effet un des instruments du dialogue entre les responsables Banque de France et les chefs d’entreprise. Le diagnostic individuel communiqué à l’entreprise concernée peut permettre d’intervenir quand il est encore temps pour redresser la situation. C’est un premier usage très important. D’ailleurs cet outil de détection du risque permet aussi le repérage des entreprises en bonne santé, qui constituent heureusement la grande majorité. Enfin, l’analyse du risque sur une population va servir non seulement pour étudier la situation de la clientèle d’une banque mais, peut-être, pour apprécier celle des fournisseurs et des clients d’une entreprise, ou encore pour évaluer la situation dans un secteur d’activité. Le fait de disposer d’une description du risque sur une population d’entreprises et de son évolution au cours du temps est extrêmement utile dans un but de surveillance prudentielle.

Je vous décris ici les usages d’ordre interne à la Banque de France. Par ailleurs, nous sommes en train d’en promouvoir l’usage externe grâce à une boîte noire fournie à Francis Lefèbvre pour son CD Rom réalisé à l’intention des commissaires aux comptes.

M. Guy CANIVET.– Merci, Madame, de cette présentation. Vous avez commis l'exploit de nous passionner avec une démonstration technique que chacun a appréciée à son juste intérêt. Nous avons depuis ce matin accompli la moitié du parcours dramatique en matière d'endettement. Après avoir examiné les principes de la dette des entreprises en matière économique, nous avons examiné les diverses phases des procédures de financement pour aboutir à la mesure des risques et vous aurez noté que nous avons respecté le principe hiérarchique en matière de financement puisque c'est la Banque de France qui aura eu la parole en dernier.

Nous avons maintenant à lancer le débat. Toutes les communications qui on été faites jusqu'à présent ont sans doute donné lieu à beaucoup d'interrogations.

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DÉBAT

M. Alain BIENAYMÉ, Professeur à l’Université Paris-Dauphine.– Deux questions courtes : premièrement, pondérez-vous la taille des entreprises par le taux de spécialisation ou de diversification du chiffre d'affaires ? Puisque la taille critique s'explique surtout en raison du lien avec l'activité. Deuxièmement, la recherche d'une fonction « score stable » ne gomme-t-elle pas l'évolution des causes de vulnérabilité des entreprises au cours du temps ? Il y a une vingtaine d'années, le ratio frais de personnel sur valeur ajoutée était un facteur important de discrimination entre les entreprises en difficulté et les autres. Il semble que les choses aient peut-être aujourd'hui changé.

Mme Mireille BARDOS.– Pour ce qui est du taux de spécialisation dans une activité ou dans une autre, on ne peut en tenir compte lorsqu’on élabore un score. Certes, il faut raisonner à un niveau sectoriel, mais celui-ci doit malgré tout être relativement vaste, faute de quoi l’échantillon d'entreprises défaillantes serait insuffisant. On est donc obligé de se situer à un certain niveau de généralités.

La conséquence est que lorsqu'on définit une échelle des risques, celle-ci va en gros de 1 à 40 (41,4 % de risque de défaillance au maximum). Évidemment il serait souhaitable de trouver des classes, peut-être plus restreintes, mais avec des taux de risque soit plus élevés soit plus faibles. Cependant, le niveau de généralité où on se place ne permet pas d’atteindre cette précision. Ainsi, le taux de spécialisation, certes très intéressant, ne peut être intégré dans un score. Par contre, il peut et doit être pris en compte dans un deuxième temps du diagnostic.

Le score n'est pas la seule évaluation du risque. Pour ce qui est de suivre l'évolution conjoncturelle des critères, il faut noter qu’un score est très long à construire. Il ne peut donc pas être réestimé tous les ans, et ne peut pas intégrer des indicateurs qui sont à trop courte vue. Pour que le score ait une certaine pérennité, les indicateurs doivent être stables dans le temps, néanmoins ceux-ci vont quand même refléter des éléments de la conjoncture.

Pour ce qui est des charges de personnel sur la valeur ajoutée. En fait, le score intègre la notion de taux de marge. C’est tout simplement la notion complémentaire. Ce critère est très efficace et il est lié à la rentabilité de l’entreprise.

M. Patrick BAUMANN, Chambre de commerce et d'industrie de Paris.– Ma question ou plutôt ma remarque est destinée à M. Lécuyer. L'engagement personnel du dirigeant, y compris dans votre banque, est en général demandé, notamment pour les PMI-PME que je situerais en-deçà de 400 MF de chiffre d'affaires. Cet engagement comme caution est également souvent demandé à l’épouse du dirigeant et non pas uniquement au dirigeant en titre, ce qui crée des problèmes juridiques qu’on imagine facilement.

M. Michel LÉCUYER.– Premier point : aujourd'hui, ne serait-ce que parce que nous souhaitons obtenir l'intervention de la SOFARIS, celle-ci exclut, dans ses décisions tout engagement du chef d'entreprise en tant que caution. Ce qui est important, si d'aventure des difficultés apparaissent, c'est d'avoir une garantie du chef d'entreprise pour un montant limité, afin de l'associer en quelque sorte à l'analyse des causes de difficultés et à la recherche de solutions. Ils sont donc cautions à hauteur peut-être de 500 000 F ou 1 000 000 MF. Il n'y a pas de montant de principe, mais on sait très bien que les PME qui s'endettent pour des montants très importants, notamment lorsqu'elles sont en phase de développement, et qui s'endettent

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donc au titre des crédits d'investissement et au titre de crédits court terme, ont de tels niveaux d'endettement que le chef d'entreprise ne peut pas tout naturellement contre-garantir. Et je dois vous dire – c'est une évolution qu'on constate dans le temps – qu'il apparaît aujourd'hui de moins en moins la caution des chefs d'entreprise dans les dossiers de PME-PMI.

Attention, il faut savoir ce qu'est une PME-PMI. Dans notre typologie, la PME commence avec un chiffre d'affaires de 7 500 000 F à 10 MF. C'est un critère de marché qu'on retient et dont on se sert en analyse marketing. Nous sommes ici sur la très petite entreprise où le facteur managérial est un critère essentiel de réussite de l'entreprise mais, dès lors qu'on grimpe en taille dans l'entreprise, la PME de 400 ou 500 MF et même au-delà, d'autres critères interviennent qui sont essentiels pour la détermination du risque.

M. Yves CHAPUT.– Mais ma question a trait à la SOFARIS. Vous savez que le ministère des Finances va avoir sa direction des affaires juridiques, ce qui prouve que, contrairement à ce que disait M. de Boissieu ce matin, les économistes et les financiers ne peuvent pas se désintéresser du droit et le prennent de plus en plus en considération. Il y a le projet de créer une nouvelle forme de société anonyme (la SA 21) qui aurait justement pour objectif d'aider au financement des entreprises à risque, sans passer par le biais du capital risque traditionnel. Or, vous semblez – et sans doute à raison – donner à la SOFARIS un rôle considérable dans la garantie des PME mais il semble que c'est tout de même une intervention relativement exceptionnelle en raison même des conditions « d’éligibilité » à la SOFARIS ; ce n'est pas ouvert à n'importe quelle entreprise.

M. Michel LÉCUYER.– La SOFARIS intervient aujourd'hui dans tous les secteurs économiques sauf pour les professions libérales et sauf pour les commerçants dont l'effectif est supérieur à dix salariés. Elle peut même intervenir dans l'agriculture et dans le commerce de détail. Elle ne le fait pas beaucoup, bien sûr, parce que on ne lui a pas alloué les moyens nécessaires, en terme d'études et de collaborateurs, pour prendre en charge ces petits dossiers. Mais la SOFARIS a maintenant un champ d'intervention quasiment total sur l'ensemble des différents secteurs de l'activité économique française.

M. Yves CHAPUT.– La SOFARIS court elle-même des risques. C'est une société anonyme de droit privé. Elle bénéficie évidemment d'une ligne budgétaire mais la SOFARIS pourrait elle-même être en faillite – et ce n'est pas tout à fait une hypothèse d'école – parce que son budget d’État est tout de même limité et, comme elle ne peut pas prendre de risques, elle est obligée de prendre un certain nombre de précautions car elle ne pourrait pas prêter à tout le monde et sans garantie.

M. Ch. MARMORAT-FORBIN, Responsable « entreprise », SOFARIS.– Il était temps que j'intervienne. J'ai à faire différentes remarques par rapport à ce qui vient d'être dit.

D'abord pour ce qui est de la limitation des garanties lorsque la SOFARIS intervient. Une des missions de la SOFARIS est de soutenir le développement des PME tout en essayant de soulager les contraintes pesant sur les dirigeants qui sont sollicités pour apporter leur garantie. Nous protégeons ainsi la résidence principale du dirigeant puisque la banque ne peut pas s'inscrire sur la résidence principale du dirigeant lorsque la SOFARIS intervient. Il est en outre généralement demandé que la caution du dirigeant, qui peut néanmoins être recueillie lorsque la SOFARIS intervient, soit limitée à 50 %, ou du montant de l'intervention, ou de l'encours.

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Deuxièmement, s’agissant du champ d'intervention de la SOFARIS et de son importance en montant, il faut savoir qu'on avait une enveloppe de 1 milliard de francs sur 1998 pour garantir des concours bancaires français. Cela a permis de lever 16 milliards de francs de prêts. 16 milliards de francs ont été prêtés aux PME grâce au milliard de la garantie SOFARIS. C'est un montant non négligeable.

Troisièmement, pour en terminer, on intervient sur tous types d'opérations de financement des PME, que ce soit le financement classique d'investissement de matériel, y compris sur les fonds propres puisqu'il existe un fonds de garantie capital PME qui va garantir les entreprises de fonds propres.

Il faut enfin savoir que la SOFARIS réfléchit actuellement sur sa possible intervention au profit des TPE : c'est une question d'actualité au ministère des Finances et on nous a demandé de réfléchir à cette possibilité.

M. Roger REBUT, Avocat au Barreau de Chambéry, Président de l'Association Droit et Commerce.– J’avais une question à poser au représentant de la SOFARIS : vous nous avez déclaré que vous veilliez à ce que les garanties réelles ne soient pas prises sur la maison d’habitation du chef d’entreprise qui vient à cautionner en totalité ou en partie (non, à 50 % maximum si j’ai bien entendu) l’emprunt. Mais est-il exact qu’on ne touche pas à la maison d’habitation s’il y a défaillance ?

M. Ch. MARMORAT-FORBIN.– C’est exact, car l'interdiction vaut aussi bien pour une inscription à titre conventionnel – au moment où la banque accorde son crédit – que pour des poursuites judiciaires dans le cas d'un recouvrement. J’ajouterais que la sanction peut aller jusqu'à la déchéance de la garantie SOFARIS puisqu'on ne peut évidemment pas empêcher, juridiquement, l'établissement bancaire de s'inscrire sur la résidence principale du dirigeant, voire de vendre la résidence principale du dirigeant, mais il y a alors une alternative entre le maintien de la garantie SOFARIS ou la poursuite du dirigeant.

M. Jean-René MAILLARD Juge au Tribunal de commerce de Paris, Président-Directeur général de la Financière Rear Bull, Professeur au Cours d'études supérieures de banque.– Ma question porte sur la notation. Ne pensez-vous pas finalement que ce système de notation, qui est un aspect bien concret de la mondialisation de l'économie puisque toutes les entreprises dans le monde entier sont notées par les mêmes agences, est un facteur considérable d'accroissement des crises dans l'ensemble du monde ?

Je vais prendre deux exemples : l'immobilier ; à ma connaissance, les agences de notation ne se sont guère intéressées aux risques immobiliers jusqu'aux années 1990. En revanche, dans les années 1993-1995, quand le plus gros risque était passé, elles focalisaient leur attention sur ce domaine, en particulier pour les banques. La notation était fondamentalement faite en fonction des risques immobiliers.

Deuxième exemple : la crise asiatique. Je n'ai pas entendu que les agences de notation se soient beaucoup intéressées aux risques asiatiques. Au contraire, tout ce qui était développement asiatique était considéré comme un avantage dans les entreprises jusqu'à la crise intervenue cet été.

Au lieu de pallier et de lisser les risques, l'intervention des agences de notation n'est-elle pas, au contraire, un facteur d'accroissement des risques ?

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M. Éric PAGET-BLANC.– J'ai cru percevoir une certaine critique dans votre question. Il est clair que les agences de notation ont commis des erreurs mais ces erreurs sont quand même faibles, en pourcentage, par rapport à la totalité des notes qui sont attribuées.

Vous avez mentionné deux événements concrets, la crise de l'immobilier et la crise asiatique. Dans le cas de la crise asiatique – je m'intéresse au sujet personnellement –, il faut bien voir que les agences de notation travaillent, en fait, à partir de documents qui ont reçu l'aval de cabinets d'audit et que, dans le cadre de la plupart des entreprises asiatiques, on s'est rendu compte plus tard que les comptes qui avaient été distribués, sur lesquels travaillaient les agences, de même que la plupart des investisseurs internationaux, étaient parfois quelque peu erronés. Qui en est responsable ? Est-ce les agences de notation, est-ce les comptables, est-ce les cabinets d'audit qui les ont validés ?

Pour la crise de l'immobilier, on retombe un peu sur des problèmes analogues. Les valorisations des actifs immobiliers, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, étaient manifestement erronées dans le bilan de certains établissements financiers immobiliers. Nous avons travaillé à partir de ces documents. Peut-on être tenus comme responsables de la publication de documents quelque peu erronés ? Je répondrai non.

... AU SURENDETTEMENT M. Pierre BÉZARD, Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation

Mesdames et Messieurs, je voudrais simplement vous livrer quelques réflexions générales. Ce matin, vous avez traité de l'endettement. Cet après-midi, nous abordons un domaine difficile, celui du surendettement, qui prolonge malheureusement, dans un certain nombre de cas, les problèmes de l'endettement. Il y a surendettement lorsque l'individu ou l'entreprise ne peut plus faire face à ses dettes et se trouve dans une situation difficile pour des raisons que nous savons diverses : des espoirs déçus, des imprévisions, des erreurs, des fautes, des retournements de situation, des difficultés imprévues... C'est donc pour tous les gouvernements une nécessité de lutter avec force et prioritairement dans ce domaine ; de lutter d'abord par les moyens financiers qui sont, bien entendu, les seuls qu'on connaisse pour résoudre les problèmes essentiels, en apportant des dégrèvements, des aides aux individus, aux entreprises dignes d'être sauvées afin, non seulement que ces personnes physiques et morales ne périssent pas, mais aussi que les régions n'en souffrent pas, que l'économie nationale n'en pâtisse pas.

Mesures économiques mais aussi mesures juridiques, car – et c'est là que nous apparaissons, nous, les juristes – il est nécessaire d'encadrer cette démarche économique et sociale. La liberté sur ce plan – et on s'en félicitera – s'impose à l'heure actuelle dans bien des domaines. La place du contrat se développe et nous espérons qu'il en sera de plus en plus ainsi en droit des sociétés de même que dans d'autres domaines : le contrat, élément essentiel de la liberté. Or, en la matière, il n'a actuellement qu'une place réduite. Nous savons qu'à cet accord entre le débiteur et les créanciers – ce concordat, qu'on débattait relativement librement jusqu'à une époque pas si lointaine – ont été substituées des règles impératives, nombreuses,

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sanctionnées sévèrement. De même, en ce qui concerne les particuliers que j'évoque même si ce n'est pas vraiment le sujet de cet après-midi, l'individu lui-même se voit protégé afin, justement, d'éviter cette précarité et cette exclusion.

Vous me permettrez, pour élargir la problématique, de vous dire d'abord que le juge a été doté de pouvoirs considérables, appliquant des règles d'ordre public. Le juge qui ne se contente pas simplement d’appliquer la loi : le juge véritablement économique, celui qui, par la prévention, va au-devant du débiteur potentiel, du surendetté en « pré-crise », ou appelant déjà quelques mesures curatives, mais aussi le juge déterminant la date de cessation des paiements, le juge pouvant reporter cette date, le juge faisant le choix de la liquidation et du redressement judiciaire, d'un plan de redressement ou d'un plan de cession ; enfin, le juge faisant finalement des choix fondamentaux avec des décisions dont les appels sont très limités, et disposant donc de pouvoirs considérables.

Finalement, si on y réfléchit bien, ce juge a-t-il vraiment tous ces pouvoirs ? En réalité on peut affirmer – comme certains l'ont fait et je pense que c'est en partie faux, mais ce n'est quand même pas dénué de bon sens –, que ce juge n'est pas toujours disponible et qu'en fait, les administrateurs et les autres mandataires qu'il désigne ont souvent une liberté suffisamment large, de sorte que le vrai pouvoir serait là. D'autres diront que les juges n'ont pas les moyens d'arriver à cet objectif qui leur a été fixé.

Il faut remarquer aussi que ce juge économique est de plus en plus un juge juridique. Le droit, dans cette problématique des procédures collectives, n'occulte-t-il pas les vrais objectifs qui ont été fixés ? Une loi contraignante a développé une jurisprudence extrêmement riche et technique. Il se crée ainsi une jurisprudence très détaillée et complexe qui pèse, lourdement semble-t-il, dans le fonctionnement du système de traitement du surendettement.

Je constate, président de la Chambre commerciale, d'une part, que c'est certainement dans le domaine des procédures collectives que nous avons le plus de contentieux (près du quart) et, d'autre part, que nous avons le plus grand nombre de cassations. Il y a donc, peut-être, un problème sur lequel il faut s'interroger : la place du droit n'est-elle pas devenue trop lourde dans ces domaines ? Ne faut-il pas simplifier les choses ?

Et puis qu'est-il ressorti de l’image du juge après des années d'application de cette législation sur le surendettement ? Vous me permettez d'aborder le problème du surendettement des particuliers. Selon cette loi de la fin des années 1980, on a confié au juge d'instance le soin de résoudre le surendettement. Il en a été incapable, il n'en avait pas les moyens. Échec total parce que l'intendance n'a malheureusement pas suivi les textes, comme c'est trop souvent le cas.

Dans ces conditions, on a remplacé le juge par une commission de surendettement. Désormais, le juge n'est plus là que pour consacrer formellement l'exécution de décisions prises par une commission administrative, qui met finalement à mal les contrats. C'est quand même un problème assez grave.

Le juge, quand la commission n’a pris aucune décision, va, bien sûr, retrouver son pouvoir. On voit que le surendettement a quand même ici limité de façon considérable la place et le rôle du juge.

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Sur le plan des procédures collectives, les magistrats, avant tout de l'ordre consulaire ainsi que, dans certains cas, professionnels (certains tribunaux de grande instance ou échevinés), se sont « colletés » avec courage à ce difficile problème. On voit le résultat : des critiques généralisées assez largement injustes, dès lors que le législateur a manifestement voulu faire d'eux de véritables médecins. Et on a donné l'impression qu'ils travaillaient dans l'arbitraire sans appel et sans transparence. Finalement, ils ne pouvaient pas, le plus souvent, arriver à des résultats très positifs car on ne peut, dans ce domaine, faire des miracles avec des moyens médiocres s’agissant de situations qui sont toujours très dégradées.

Je pense que le surendettement est aussi une question qui nous amène à réfléchir sur le rôle des uns et des autres.

Le rôle du débiteur d’abord : nous savons qu'en matière de procédures collectives, le débiteur a été, pendant des siècles, un personnage honni, banni, condamné. On a amélioré son sort, en particulier dans la loi de 1985, en supprimant les dispositions pénales et en supprimant les présomptions de responsabilité qu'il avait bien des difficultés à écarter. En réalité, si on regarde la situation du débiteur, elle n'est pas tellement confortable en l'état actuel. La notion de faute de gestion est sévèrement appliquée. Elle l’est d'ailleurs beaucoup plus sévèrement quand il y a un dépôt de bilan que dans une société in bonis. Il y a donc beaucoup plus d'occasions de prononcer des condamnations pour faute de gestion. Par contre, le débiteur, en matière de surendettement des particuliers, est traité d'une manière plus sociale, plus généreuse.

Je me posais la question de savoir si les frontières sont aussi nettes qu’on le dit entre un commerçant et un particulier. J'ai souvent vu des chômeurs qu'on a poussés à créer des entreprises ; ils se trouvaient très rapidement en difficulté et regrettaient finalement d'avoir fait ce choix en raison des conséquences graves qu'ils subissaient du fait de leur dépôt de bilan.

En ce qui concerne maintenant le créancier, dont le sort est évidemment très lié à celui du débiteur, il faut bien dire qu'il se plaint, souvent avec juste raison, d'être sévèrement traité dans le droit des procédures collectives. Je veux néanmoins faire observer que si on compare son sort à ce qu’il serait dans les procédures de surendettement des particuliers, il peut s'estimer heureux. En effet, depuis la loi de 1994 et sans doute dans le cadre d'une évolution qui doit s'amorcer, je pense que le sort des créanciers en matière de procédure collective peut se rééquilibrer. Je ne suis pas sûr, vu les fonctions sociales qui lui sont confiées dans d'autres domaines et vu l'interprétation qui est donnée à des textes déjà sévères, en particulier en matière d'information et de conseil, que les choses en aillent différemment.

Après ces modestes observations se limitant à lancer quelques idées, et avant que le professeur Daigre anime la table ronde, Monsieur Douvreleur pourrait-il nous dire si cette loi nouvelle en préparation est susceptible d'apporter quelques améliorations et nous rassurer sur un certain nombre de points ?

Propos liminaires

M. Olivier DOUVRELEUR, Sous-Directeur à la Direction des Affaires civiles et du Sceau, Ministère de la Justice.– Merci Monsieur le Président de me donner la parole. Mon propos sera d’autant plus bref qu’il n’était pas prévu que je m’exprime aujourd’hui devant vous. Il aura pour

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seul objet de rappeler que la Ministre de la Justice a annoncé, au mois d’octobre dernier, une réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.

Le contexte et les origines de ce projet sont bien connus : chacun se souvient des vifs débats dont la justice consulaire a été l’objet ces derniers mois. Il en est résulté, le 14 octobre dernier, l’annonce par Mme Guigou d'une réforme du statut des tribunaux de commerce. Les procédures collectives, qui représentent une part importante de l'activité de ces juridictions, ne pouvaient être laissées de côté. Des orientations de réforme, à caractère général, ont donc été tracées : elles doivent être explorées sur le plan technique et, à cette fin, être l’objet d’une consultation auprès de tous les milieux intéressés. C’est à l’issue seulement de ces travaux que seront arrêtées les mesures qui figureront dans le projet de réforme présenté par le Gouvernement.

En l’état, je ne puis donc que livrer quelques indications d’ordre général sur les orientations retenues. En premier lieu, la prévention. Il est évidemment souhaitable que les dispositifs organisés par les textes soient mis en œuvre le plus précocement possible et il convient que les efforts portent dans cette direction. Il est envisagé, par ailleurs, de restituer à la prévention le caractère contractuel qui était le sien à l’origine en retirant des textes la possibilité pour le président de prononcer la suspension provisoire des poursuites. En second lieu, le redressement et la liquidation judiciaires. Dans ce domaine, l’ambition porte d’abord sur l’accélération du déroulement de ces procédures, ainsi s’agissant de la distribution des fonds aux créanciers. Une autre piste doit être explorée, qui consisterait à soustraire les très petites entreprises, celles dont la valeur des actifs serait inférieure à un seuil qui pourrait être fixé à 100 000 francs aux procédures de droit commun. Cette perspective, on le sait, trouve son origine dans l’une des propositions du rapport élaboré conjointement, il y a quelques mois, par l'Inspection Générale des Services Judiciaires et l'Inspection Générale des Finances, mais elle s’en inspire seulement puisque la suggestion d’une « radiation administrative », notion qui mériterait d’ailleurs d’être précisée, n'est pas retenue : il s’agit alors d’imaginer une procédure liquidative plus simple et plus rapide que celle prévue par la loi du 25 janvier 1985, qui pourrait laisser aux créanciers, dans des conditions restant à déterminer, un droit d’action individuel. Plus généralement, une réflexion est engagée sur la situation des créanciers, en ce qui concerne, notamment, les modalités de leur représentation.

Permettez-moi, en guise de conclusion, d’évoquer deux points particuliers d’ordre procédural : la publicité des procédures et les voies de recours. On sait les altérations que, dans ces deux domaines, subissent les principes de droit commun ; mais on sait aussi qu’elles sont au service de l’objectif de redressement poursuivi par la loi de 1985. La réforme de ce dernier texte donnera peut-être lieu, droit européen aidant, à une réflexion sur les équilibres à trouver en cette matière. Je vous remercie.

M. Pierre BÉZARD.– Merci, Monsieur le Directeur. Les intentions sont bonnes, j'espère que les textes qui suivront seront de la même qualité, de même que les moyens pour les appliquer.

Je passe maintenant la parole à Monsieur le professeur Daigre qui va nous faire part de ses réflexions personnelles et qui animera ensuite notre table ronde.

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LE TRAITEMENT DU SURENDETTEMENT, GÉNÉRATEUR DE RESPONSABILITÉS

TABLE RONDE animée par M. Jean-Jacques Daigre, Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Président de la FNDE

M. Jean-Jacques DAIGRE.– Quelques propos liminaires sur deux des termes utilisés dans l’intitulé de notre table ronde : la notion de surendettement, et le traitement du surendettement.

La notion de surendettement vient s’ajouter à de nombreuses notions, plus ou moins anciennes.

D’abord celle d’insolvabilité, très restrictive : lorsque le total de la valeur des biens à l’actif du patrimoine d’un individu ne suffit plus à répondre au total de ses dettes, son passif au sens comptable. Concept global et patrimonial, il se distingue du surendettement, concept plus financier de prime abord.

La cessation des paiements est plus compréhensive : quand l’actif disponible ne suffit plus à faire face au passif exigible. Mais l’on sait que la pratique l’élargit à l’actif disponible et réalisable à court terme et, parfois – avec quelquefois l’aval de la Cour de cassation –, au passif « exigé ». Il s’agit d’un concept financier, un ratio de trésorerie, étroitement délimité.

Pour élargir encore les notions opérationnelles et déclencher plus tôt l’application d’une procédure, l’ordonnance du 23 septembre 1967 puis la loi du 1er mars 1984 ont élaboré des critères préventifs, qui permettent de mettre en œuvre, avant que la situation ne soit trop grave, des procédures aptes à redresser l'entreprise, à la redresser en douceur d'une part, en toute confidentialité d'autre part (ce sont les deux qualités qu'on attend de toute procédure préventive).

Peut-être y a-t-il, en aval cette fois, une autre notion qu'il faudra un jour dégager, qui serait peut-être la notion de surendettement au sens strict, c'est-à-dire un endettement si grave qu'il n'y a véritablement plus rien à faire ; celui qu’aucun moyen présent ou futur ne permettra de résorber. La loi, pour les entreprises, n'y a pas encore prêté la main parce qu'elle n'y a pas attaché de procédure particulière. Même la liquidation judiciaire semble encore permettre la survie de l'entreprise dans certains cas. En revanche, pour le particulier, on voit bien que le législateur a fait un pas vers cette notion, un pas peut-être timide jugeront certains, un pas justement limité penseront les autres. Il en va ainsi en particulier à propos d’une hypothèse étroitement délimitée mais assez courante en pratique : à la suite de la vente forcée ou volontaire – mais une volonté forcée – du logement du débiteur, s'il reste encore un reliquat d'endettement – cet endettement qui avait été constitué pour l'acquisition du logement –, le juge a le pouvoir tout à fait exceptionnel d'effacer partie, totalité de cet endettement résiduel. Ce n’est là rien d’autre, me semble-t-il, que le constat qu'il y a un stade où l'endettement est tel qu'il ne peut disparaître que par une mesure d’apurement judiciaire.

Quelques mots maintenant sur le traitement du surendettement. Le législateur a pris soin, surtout depuis 1967 et 1984, de distinguer deux grandes séries de procédures, préventives d'un côté et celles qu'on dira, malgré leurs résultats, curatives, de l’autre.

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Vous les connaissez bien. Je vais simplement vous proposer une autre distinction. Un auteur a justement écrit que, quelle que soit la gravité du surendettement, il n'y avait que deux manières de le traiter : temporiser ou effacer. Même si les lois successives n'en sont pas venues à une dichotomie aussi manichéenne, on n'est pas très loin, dans le jeu pratique des procédures, d'y arriver.

Temporiser, c'est tout simplement accorder des délais. On voit bien de quoi il s'agit : les procédures préventives sont fondamentalement destinées à permettre de gagner du temps, quelles qu'elles soient : mandataire ad hoc, règlement amiable et toute procédure purement volontaire et amiable. Si la cessation des paiements est déclarée, on voit bien que, s'agissant de temporiser, c'est le redressement judiciaire qui en est le vecteur, mais seulement par l'une de ses issues, le plan de continuation. Dans les deux cas, l'idée est de donner du temps à l'entreprise, faire en sorte qu’elle se sauve elle-même grâce au ballon d'oxygène, qu'on va lui accorder.

Effacer : depuis 1985 en particulier, on voit cette idée s’imposer peu à peu. Dans la liquidation judiciaire, tout d’abord, et on peut le comprendre, parce que, s'il y a liquidation judiciaire, c'est qu'on considère que, dans l'immense majorité des cas, on ne pourra pas sauver l'entreprise dans ses deux aspects : l'entité économique et l'entité sociale ; aussi dans le plan de cession, parce que nous savons bien que nombre de plans de cession ne sont que des liquidations judiciaires déguisées.

C’est ainsi que l'article 169 – dont on n'a pas fini de parler –, permet, à condition qu'il n'y ait pas eu de fautes trop graves, de véritables fraudes ou, pire, des infractions, et à condition que le débiteur ne soit pas en état de récidive, de tout perdre, mais de tout perdre à un instant donné pour pouvoir redémarrer de zéro et tout refaire éventuellement dans l'avenir.

C'est finalement l'idée de la seconde chance, une idée très ancienne en Angleterre, qui a été introduite dans la loi de 1985, moins pour cette raison-là que dans un souci d'égalité. C'est notre génie que d'être très attachés à l'égalité, de rendre égal le sort du débiteur personne physique au sort du dirigeant d'une société anonyme ou d'une SARL.

Quelles en sont les conséquences ? Tout d’abord, on voit bien à l'œuvre, dans les procédures actuelles, un mécanisme d'effacement des dettes : plus de 90 % de liquidations judiciaires et quelques infimes pourcentages de paiement des chirographaires. Je me demande si on n'a pas un peu, sans le vouloir, renversé l'ordre des finalités : les procédures collectives ne fonctionnent plus dans l'intérêt des créanciers – nous le savons bien –, mais elles ne fonctionnent pas non plus dans l’intérêt du sauvetage des entreprises. À vrai dire, peut-on sauver une entreprise par une procédure ?

En fin de compte, dans nombre de cas, on constate que ces procédures sont aujourd'hui surtout faites pour permettre à un certain nombre de débiteurs de voir leurs dettes effacées pour le futur. C’est ainsi que le législateur de 1985 a mis en place toutes les « chausse-trappes », qui existaient en filigrane auparavant mais qui sont poussées au bout de leur logique ; il a fait en sorte que le créancier ait tellement d'obstacles à surmonter que sa créance va souvent disparaître. Or, si vous faites disparaître la créance, vous faites disparaître le passif et vous facilitez le redressement. L'effacement des créances est aussi l'effacement des dettes, au nom du sauvetage de l'entreprise.

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Mais il y a aussi à l'œuvre un véritable mécanisme d'effacement des dettes qui est plus direct et moins hypocrite d'un certain point de vue : l'article 169 dont on vient de parler.

La deuxième conséquence qui est peut-être moins nette – mais les statistiques la montrent à l’œuvre –, c'est une augmentation très forte, ces dernières années, du nombre de condamnations des dirigeants ou des individus, que ce soit en comblement du passif, en extension de procédure ou en faillite personnelle (pour m'en tenir à ces trois principales). Avant la loi de 1985, la précédente étude du CREDA avait démontré qu’elles étaient en vérité peu mises en œuvre (51). On voit aujourd'hui un accroissement très fort du nombre et de la gravité de ces condamnations : je crois qu’il existe une corrélation entre les deux phénomènes.

Autre conséquence, certainement non voulue en 1985 : une disparition beaucoup plus rapide des entreprises qui sont soumises à ces procédures collectives.

Autre conséquence, sans doute plus large et d'ordre macro-économique : un resserrement du crédit. Je crois que sans le vouloir en 1985 et un peu en le voulant en 1988, la législation a contraint les banquiers à délivrer moins libéralement le crédit, tout simplement parce que l'environnement économique avait changé. Cela me paraît assez net aujourd'hui et nous sommes d'ailleurs, peut-être, en train de le payer d'un certain point de vue par les difficultés que connaissent nombre de PME à obtenir du crédit.

Enfin, la dernière conséquence que je citerai a trait à l'extension continue du domaine des procédures collectives. Pendant des siècles, elles étaient demeurées l'apanage des commerçants, la sanction des commerçants et des seuls commerçants, parce que le commerce reposait sur la confiance. On a assisté, en 1967, à l'extension à toutes les personnes morales de droit privé, ce qui comprenait bien évidemment les sociétés civiles mais aussi les associations et les groupements d'intérêt économique, puis, en 1985, aux artisans et enfin, en 1988, aux agriculteurs, ce qui est quand même une révolution. On voit aujourd'hui les professions libérales réclamer, elles aussi, le bénéfice des procédures collectives. Il est également un certain nombre de particuliers qui aimeraient profiter aussi, au terme du redressement judiciaire civil, de l'avantage de l'article 169.

Nous allons maintenant lancer le débat. Je vais vous proposer – ce qui est une immense banalité – de distinguer ce qui se passe avant la cessation des paiements et ce qui se passe à partir de la cessation des paiements, car le rôle et les responsabilités des divers intervenants diffèrent sensiblement dans l’une et l’autre de ces situations.

Pour commencer par la première phase, avant la cessation des paiements, quels sont les rôles et les responsabilités de chacun ? Je m’adresse d’abord au Président Courtière, qui est le représentant des chefs d'entreprise. Quel est, selon vous, le rôle, la responsabilité et quelle doit être la réaction du chef d'entreprise confronté aux premiers indices de difficultés ?

M. Jean COURTIÈRE, Membre de la CCIP, Président du Comité technique du CREDA.– Je crois que c'est avant tout une question de bon sens. Il faut pleurer avant d'avoir mal ou définitivement trop mal. Par expérience, je dirais que la solution amiable ouverte par la loi de 1984 peut fonctionner quand il n'y a pas trop de créanciers. C'est de toute façon une bonne

(51) L’application du droit de la faillite, éléments pour un bilan, Etude sous la direction de A. Sayag et H. Serbat, Litec,

1982, p. 193, n° 295.

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chose, qui a permis de sauver d'une liquidation, sans doute inéluctable à l'époque, certains secteurs d'activité complets de notre industrie.

Je crois que le chef d'entreprise se doit d'avoir conscience des difficultés présentes, qui ne pourraient que s'aggraver, et organiser ce qui pourrait être une solution amiable, entraînant le dégonflement du surendettement, un étalement – ce que vous appelez la temporisation. Mais encore faut-il qu'il en prenne l'initiative.

M. Jean-Jacques DAIGRE.– C'est peut-être cela la difficulté à propos de laquelle je voudrais vous pousser un instant. Tant que l’entreprise n’est pas en état de cessation des paiements, il me paraît absolument naturel, dans une économie qui se veut libérale, que le chef d'entreprise cherche à s'en sortir par lui-même. On sent bien que l'une des difficultés est de le faire passer à l'acte, ce qui suppose, d'abord, qu’il avoue à lui-même que son entreprise est en difficulté et, ensuite, qu’il essaie de prendre les moyens pour la redresser, donc nécessairement d'en parler autour de soi, ne serait-ce qu'avec ses grands créanciers. Comment provoquer le processus déclencheur ?

M. Jean COURTIÈRE.– Il est évident que la vérité est toujours dure à affronter, surtout pour un chef d'entreprise qui a sans doute investi beaucoup de son temps et de sa passion dans son activité professionnelle. Le commissaire aux comptes, le banquier fidèle, l'avocat ou le service juridique sont là pour lui faire prendre conscience qu'il faut essayer de traiter le problème le plus rapidement possible afin de ne pas hypothéquer les chances de survie de l'entreprise.

M. Jean-Jacques DAIGRE.– Cela me permet de me tourner vers le professeur Rives-Lange, qui est également avocat, et qui connaît particulièrement bien le monde bancaire. Toujours dans cette première phase préventive, comment voyez-vous le rôle et les responsabilités du banquier ?

M. le Professeur Jean-Louis RIVES-LANGE, Avocat à la Cour.– Dans la phase de prévention, nous sommes encore au temps de l'espérance. On espère le redressement. Et le banquier a un rôle très important à jouer parce qu'il détient deux clefs primordiales : tout d'abord, c'est lui qui est dispensateur de crédits et, selon qu'il va faire un crédit supplémentaire ou qu'il va aménager les crédits existants, il peut conduire l'entreprise vers ce qu'il est convenu d'appeler le sauvetage.

Une autre clef qui est très importante, c'est la nouvelle notion de l'état de cessation des paiements, l'impossibilité de faire face avec les actifs disponibles au passif exigé. Il suffit donc bien souvent que le banquier exige le paiement de ce qui lui est dû pour entraîner immédiatement l'ouverture de la procédure collective et le sauvetage dans le cadre légal organisé par la loi de 1985.

Il est difficile de dégager des règles de conduite générales, parce que le banquier va se décider en fonction des circonstances. Mais si on tente la synthèse en éliminant les hypothèses trop particulières, on peut dégager quelques préceptes de conduite.

Le premier consiste tout d'abord à ne pas aggraver la situation. Je pense, et les banquiers en sont d'accord, que c'est leur premier devoir. Nous sommes en présence d'une entreprise, qui certes n'a pas encore cessé ses paiements, peut-être parce qu'on n'a pas exigé le remboursement des crédits, mais qui est déjà en état de surendettement, et qui se trouve donc

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dans l'impossibilité de faire face avec ses ressources financières au remboursement de ses dettes si elles étaient exigées. Dans ces conditions, le banquier doit bien réfléchir à ne pas accorder de nouveaux crédits qui ne feraient que creuser l'insuffisance d'actif. Tout cela se déroule sur un arrière-fond de responsabilité. Le banquier est peut-être responsable pour avoir conduit l'entreprise au surendettement par des crédits mal étudiés, inappropriés et il le serait plus encore s'il continuait dans cette voie.

La deuxième phase, qui est très concomitante, voire simultanée, est le choix entre provoquer le dépôt de bilan, ou ne pas le provoquer, aller dans la recherche d'une solution dans le cadre légal ou dans le cadre amiable. Le banquier a la clef. S'il exige le remboursement de ses crédits, c'est le dépôt de bilan et on va négocier une solution dans le cadre légal, plan de continuation ou plan de cession. Si l'entreprise est déjà moribonde et s'il n'y a aucune chance de redressement, c'est bien sûr le choix qui sera fait. Mais même si l'entreprise est susceptible de redressement, le banquier peut hésiter entre le cadre légal ou bien la procédure amiable et confidentielle.

Va s'ouvrir à ce moment-là une troisième phase, très contractée aussi avec les deux premières, c'est la solution qui doit conduire à ce qu'on a appelé le dégonflement du surendettement. Il faut le réduire, soit en temporisant, soit en faisant des remises de dette, soit peut-être en combinant ces deux solutions.

En toute hypothèse, le plan de redressement, quelle qu’en soit la forme, aura toujours pour finalité de redonner à l'entreprise une capacité de remboursement. Il faut qu'elle soit désormais à même de rembourser ses dettes. Si le plan de redressement amiable ne parvient pas à ce résultat, c'est une étape qui va préparer une deuxième difficulté qui ne va pas tarder à surgir. L'objectif du banquier, quand il négocie le sauvetage de l'entreprise, est donc de lui restituer sa capacité de remboursement. Il peut le faire dans trois procédures : soit ce qu'on appelle le plan de rééchelonnement qui est une négociation à deux, débiteur d'un côté et banquier de l'autre ; soit une convention un peu plus large avec déjà le manteau de la justice, le mandataire ad hoc, avec beaucoup de souplesse ; soit enfin un cadre plus rigide, dont on dit qu'il est trop rigide et qu'on va l'améliorer : le règlement amiable.

À ce stade de la négociation, plusieurs difficultés sont ressenties par le banquier, l'objectif étant toujours le même : restituer les capacités de remboursement.

Il y a tout d'abord l'impératif de ne pas s'immiscer dans la gestion. Le fossé, je dirais même le précipice, est très proche. En effet, le banquier qui veut sauver – et c'est son intérêt parce qu'il sera davantage payé par une entreprise redressée que dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire –, ne doit pas se contenter de mesures strictement financières, c'est-à-dire des abandons de créance, des délais accordés... Il faut aussi qu'il y ait une restructuration commerciale et industrielle. Le danger existe alors de tomber dans la gestion de fait de l'entreprise.

Subordonner les délais de paiement et les remises de dettes à telle ou telle condition, ce n'est pas s'immiscer dans la gestion. Mais la frontière est mince. La tentation peut être très grande de la franchir avec des contrôles trop étroits, avec des directives trop pressantes. Le banquier peut ainsi devenir dirigeant de fait avec toute la responsabilité qui peut en résulter.

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Il y a une seconde difficulté, non pas quand on négocie face à face avec le débiteur mais lorsqu'il y a plusieurs autres banques dans la négociation. Or, les situations sont extrêmement diverses. Il y a les banques qui sont très engagées et dont la responsabilité sera peut-être engagée si on ne parvient pas à sauver les entreprises : elles seront souvent plus enclines à accorder des remises de dettes en capital, en intérêts, des délais de paiement ; et, il y a celles qui sont peu engagées et qui veulent obtenir le paiement de leurs dettes. De telles distorsions ne facilitent pas la conclusion de l'accord. Par ailleurs, les banquiers estiment qu'ils ne doivent pas être les seuls à supporter la charge du redressement. De leur point de vue, les principaux fournisseurs, voire les dirigeants d'entreprise devraient intervenir dans la négociation pour apporter leur contribution au sauvetage de l'entreprise.

Mais, je le répète, le point important, pour que le sauvetage soit réussi, c'est que les mesures financières adoptées, les mesures commerciales, les mesures industrielles doivent redonner à l'entreprise la capacité de rembourser le passif tel qu'il apparaîtra à l'issue des négociations. C'est le banquier qui doit aider l'entreprise à trouver ce point d'équilibre.

M. Jean-Jacques DAIGRE.– On vient de parler du banquier, dont on a évoqué la responsabilité au sens négatif et positif du terme. L'autre professionnel vers lequel on a tendance à se tourner très vite aujourd'hui, spécialement en phase préventive, c'est le commissaire aux comptes. Monsieur Leduc, membre de la Compagnie nationale, ancien président de la Compagnie de Paris, voulez-vous nous dire comment vous voyez les rôle et responsabilité du commissaire aux comptes ?

M. Édouard LEDUC, Président honoraire de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris, Membre du Conseil national des commissaires aux comptes.– N’a t-on pas l'habitude de se tourner un peu vite vers le commissaire aux comptes dans les situations de crise ?

Je voudrais plutôt revenir immédiatement sur deux termes dont on débat depuis ce matin : endettement, surendettement. N'y a-t-il pas d'autres termes pour désigner la réalité du surendettement ? Je pense tout simplement à l'insolvabilité ou à l'irrecouvrabilité pour désigner l'impossibilité pour le débiteur de respecter ses engagements à terme ? On voit se profiler l'ombre de la cessation des paiements.

Pour illustrer l'incertitude de la notion d'endettement, je ne prendrai qu'un exemple : les comptes courants d'associés. C'est une technique originale d'endettement parfaitement légale. Toutefois on appelle compte courant d'associés quelque chose qui n'est pas juridiquement un véritable compte courant. Ayant eu l’honneur de participer à une étude sous l’autorité de Monsieur le président Bézard, j’ai gardé en mémoire la célèbre définition de Thaler : le compte courant est un creuset dans lequel on enfourne les créances et, de cette fusion, naît une créance unique qui est le solde du compte courant. Définition dépassée, à mon avis, ne serait-ce que par l’existence d’éléments spécifiques tels que la rémunération des dirigeants.

Ainsi la fonction que je donne au compte courant dans le bilan – participant à la fois des fonds propres et des dettes – change mon approche de l’endettement. Ce qui compte pour définir les fonds propres, réside en ce que le fait générateur du remboursement échappe à la décision du créancier.

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M. Jean-Jacques DAIGRE.– Il est intéressant de terminer par celui qui va superviser l’ensemble de ces démarches, parfois les initier, pour donner éventuellement son onction : le magistrat.

Mme Pierrette PINOT, Président de Chambre à la Cour d’appel de Paris.– Il est important de souligner dès le départ que la notion de surendettement n'est pas essentiellement associée au droit de l'entreprise. Le rôle du magistrat et, partant, la question de ses responsabilités, intervient par hypothèse en aval. Lorsqu'il est saisi, les dettes sont contractées et l'entreprise est surendettée. Si responsabilité il y a, elle ne peut être que secondaire ou subsidiaire, ceci d'autant plus – et c'est une évidence à rappeler – que la force obligatoire des contrats limite sérieusement la marge de manœuvre du juge.

Avant la cessation des paiements, il me semble qu'il peut y avoir un double devoir du magistrat, qui résulte des lois du 1er mars 1984 et du 10 juin 1994. D'une part, il appartient au juge de prendre l'initiative de convoquer le dirigeant. C'est le pouvoir que lui donne l'article 34 de la loi de 1984. Ce pouvoir nécessite une veille juridique du tribunal, en particulier par le biais du greffe. Le respect du dépôt effectif des comptes annuels est déjà une approche dans la prévention du surendettement.

En second lieu, il appartient au juge d'user à bon escient des pouvoirs de suspension des poursuites et d'octroi des délais que lui confère l'article 36 de la loi. L'expérience de l'ordonnance du 23 septembre 1967 montre que les moratoires et les règlements amiables peuvent masquer et aggraver une situation de cessation des paiements. Il est alors de la responsabilité des magistrats, soit d'impulser vigoureusement la conclusion d'un accord, soit au contraire de s'y opposer alors même que les créanciers seraient d'accord. L'usage des pouvoirs que confère l'article 35, c'est-à-dire la mise en œuvre de l'expertise, me paraît déterminant sur ce point.

M. Jean-Jacques DAIGRE.– Nous voilà à la seconde phase : le surendettement est déclaré, l'état de cessation des paiements est avéré. Il a même été constaté judiciairement : les procédures collectives sont ouvertes. Rôles et responsabilités peuvent-ils changer ? Certainement. J'ai le sentiment que, lorsque la procédure est ouverte, tout part du juge et tout revient à lui.

Mme Pierrette PINOT.– L'article 1er de la loi du 25 janvier 1985 donne effectivement au juge un rôle important. La question pour le juge va être celle de savoir s'il faut assurer le paiement des créanciers ou s'il va s'agir d'effacer purement et simplement le surendettement pour que l'entreprise survive. On retrouve alors pour le magistrat le même type de responsabilité.

Il va, soit provoquer l'ouverture de la procédure en se saisissant d'office si nécessaire – première approche –, soit prononcer la liquidation si la continuation de l’activité paraît susceptible d’accroître le surendettement.

Deuxième point : dans sa mission générale de surveillance et à l'occasion des autorisations qu'il est amené à donner, le juge commissaire doit toujours veiller à ce que le but de sauvetage de l'entreprise ne se traduise pas par une aggravation du surendettement. Aussi le juge commissaire doit-il être attentif, dans la mesure de ses possibilités, au gonflement des créances de l'article 40. Il doit également éviter que l'administrateur ne paie des sommes excessives pour retirer les biens grevés d'un droit de rétention. Ce sont les pouvoirs que lui

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confère l'article 33. Le rôle du magistrat est également important pour arbitrer le choix des contrats de travail à conserver ou les licenciements à effectuer.

Dernier point : en ce qui concerne le sort de l'entreprise ou de son passif, le rôle du magistrat est évidemment essentiel pour admettre ou non les créanciers. Rejeter une créance est effectivement un moyen radical de dégonfler le surendettement.

Enfin, la perspective du dégonflement du surendettement peut conditionner le choix de l'issue de la procédure. Les possibilités d'apurement du passif ne sont pas identiques dans le régime de la liquidation, de la cession et de la continuation. C'est ici le moment de revenir sur la dualité entre débiteur et entreprise que l’on a soulignée tout à l'heure en évoquant le problème de la clôture de la liquidation judiciaire. Tant que le débiteur et l'entreprise sont confondus, l'entreprise doit assurer les obligations souscrites par le débiteur. S'ils sont dissociés – et c'est ce qu'a instauré la loi de 1985 –, on peut faire survivre l'entité économique en la débarrassant du surendettement. C'est probablement l'efficacité de la procédure de cession. L'essentiel est de libérer l'exploitation de sa charge.

M. Jean-Jacques DAIGRE.– Il faut incontestablement des professionnels lorsque la procédure collective est ouverte. C'est finalement la pratique qui a suscité la présence de professionnels du traitement des entreprises en état de cessation des paiements puisque – en tout cas dans le code de commerce de 1807-1808 – le syndic n'était qu'un créancier parmi les autres, élu par les autres, et qu'au fil des décennies, ce syndic s'est professionnalisé. La loi a ensuite entériné ce que la pratique avait créé.

M. Édouard LEDUC.– Vous ferais-je un aveu ? Je ne sais plus aujourd'hui très exactement ce qu'est l'état de cessation des paiements. Dans le Code napoléonien de 1807, les critères étaient simples : c'était la fuite du commerçant et la fermeture du magasin. Ce n'était pas forcément très rassurant mais c'était pragmatique. Et puis la Cour de cassation s'est livrée à une analyse très fine à partir de ces fameux trois critères, dont deux étaient jumelés : le premier était le non-paiement d'une dette exigible non contentieuse et les deux autres critères jumelés, le passif exigible supérieur à l'actif disponible et/ou réalisable à court terme et, enfin, l'impossibilité de trouver des crédits à des conditions raisonnables.

Comment sortir de cette situation de cessation des paiements ? Est-ce un phénomène instantané ou durable ? Je crois que c'est un phénomène durable et qui n'est pas photographié à un moment donné parce que les pouvoirs publics peuvent mettre le droit entre parenthèses simplement pour des raisons d'intérêt public. La cessation des paiements dans certains cas est niée. Je ne veux pas parler d’une certaine banque nationalisée qui était manifestement en état de cessation des paiements, mais dans la mesure où le créancier ne revendiquait pas sa créance, aucune procédure n’a été ouverte. De là à dire qu'il y a une différence entre les petites et les grandes entreprises, je vous laisse le soin d'en débattre.

M. Jean-Louis RIVES-LANGE.– La banque a un rôle qui est, bien sûr, beaucoup plus modeste lorsque la cessation des paiements a été constatée. Mais ce n'est pas un rôle nul. Il y a encore quelques initiatives que peut prendre le banquier. Mon inventaire n'est évidemment pas exhaustif.

Il y a tout d'abord la période d'observation pendant laquelle il faut financer la poursuite de l'activité. C'est presque toujours vers le banquier que se tourne l'administrateur pour obtenir des

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crédits complémentaires. Le banquier a ici un peu le droit de vie et de mort sur l'entreprise selon qu'il accorde ou pas les crédits nécessaires à la poursuite de l'activité pendant la période d'observation.

Les banquiers s'imaginent bien souvent que l'administrateur est responsable au cas où, même sous le bénéfice de l'article 40 de la loi de 1985, ils ne seraient pas remboursés des crédits qu'ils ont consentis. C'est un leurre. L'administrateur peut commettre une erreur d'appréciation sans que sa responsabilité ne soit engagée pour autant. Ils doivent donc, avec beaucoup de discernement, apprécier s'ils doivent ou non accorder des crédits.

Ils ont aussi un rôle à jouer lorsque le débiteur sollicite un plan de continuation. Si le banquier reste taisant, la dette bancaire sera remboursée à 100 % (c'est l'article 74) avec un délai qui ne peut pas excéder dix ans. Mais c'est peut-être insuffisant pour sauver l'entreprise. Et le banquier doit veiller, dans le cadre des consultations organisées par l'administrateur (article 24 de la loi de 1985), à accorder les délais et les remises de dettes qui permettront le sauvetage de l'entreprise, c'est-à-dire qui donneront à l'entreprise les capacités de remboursement de son passif.

En cas de plan de cession, le banquier peut aussi avoir un rôle à jouer. Les biens qu'il a financés et qui sont grevés de sûretés spéciales sont acquis par le cessionnaire, mais les crédits sont aussi transmis (article 93, alinéa 3). Et si le banquier se montre intransigeant et exige d’être totalement remboursé des crédits accordés pour le financement de l'outil de production cédé, il se peut très bien que le plan de cession ne soit pas viable. Il y aura alors une négociation à mener pour que le cessionnaire puisse faire l'acquisition à des conditions raisonnables. Le banquier a, là encore, une clef très importante sur la survie éventuelle de l'entreprise.

S'il y a une liquidation judiciaire, le rôle du banquier est nul, il subit tout simplement, et il attend un dividende espéré mais qui vient rarement.

DÉBAT

M. Francis ROUGEOT, Président du Conseil de surveillance de la Société française de factoring, Membre du Conseil de l'Association française des sociétés financières.– Je ne voudrais pas qu'on assimile factoring et surendettement, mais je vais essayer de répondre à votre première question : comment financer des sociétés qui sont en période de redressement ? Dans la plupart des cas, et pratiquement toujours, s'il y a eu un contrat de factoring antérieur au dépôt de bilan, il sera continué ou renouvelé. Lorsqu'aucun contrat d'affacturage n’existait, il est possible de le mettre en place pour financer une vente. Le meilleur moyen pour un administrateur judiciaire de ne pas aggraver un passif, c'est de faire confiance à l'affacturage parce que, ce faisant, on finance les ventes et il est extrêmement rare, sauf exception particulière, que le financement des ventes ne serve pas à payer les fournisseurs.

M. Elie ALFANDARI, Professeur à l'Université Paris-Dauphine (Paris IX).– La comparaison qui est faite entre l'endettement des particuliers et l'endettement des entreprises n'est évidemment pas sans problème, on l'a ressenti. On a parlé pendant très longtemps de la faillite civile. On trouvait qu’il existait des inégalités entre le sort réservé aux entreprises et le sort réservé aux particuliers qui étaient plus maltraités, jusqu'à ce qu’apparaisse la législation sur le

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surendettement. On renverse aujourd'hui complètement en quelque sorte la problématique en parlant non pas de faillite mais de surendettement de l'entreprise.

Mais justement, cette notion de surendettement me fait problème, indépendamment d'ailleurs du passage de l'endettement au surendettement. Comment passe-t-on de l'un à l'autre ? J'ai cru comprendre que l'endettement était relativement facile à définir du point de vue juridique parce qu'on sait ce qu'est une dette et multiplier les dettes ne change rien à la nature juridique de la notion. En revanche, comment passe-t-on de l'endettement au surendettement ? Qu'est-ce qu'ajoute le « sur » ? Il y a là une notion de relativité. Est-ce purement mathématique ? Est-ce le fait d'augmenter son endettement qui crée un surendettement ? Je n'en suis pas persuadé. Bien sûr, vous revenez à la notion de cessation de paiement ; c'est l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. On atteint, à ce moment-là, le surendettement quand on ne peut plus payer ses dettes. Est-ce vraiment toujours cela ? Je n'en suis pas convaincu.

Prenons le chiffre des entreprises qui font l'objet d'une procédure collective. Il est en baisse, c'est vrai, mais il demeure considérable. Or, il semble que le désendettement des entreprises soit très important. On s'aperçoit ainsi que des entreprises se désendettent vis-à-vis de leur banquier et qu'elles demeurent quand même surendettées puisqu'elles tombent en faillite. Il est donc fort difficile de définir le surendettement.

Est-ce uniquement qualitatif ? Est-ce simplement un excès d'endettement ? Je n'en suis pas certain. Cela peut être aussi – surtout quand il s'agit d'investissement – des problèmes qualitatifs, de mauvais investissements. On a voulu évacuer ce matin un peu rapidement la responsabilité des banquiers pour crédits abusifs. Or la jurisprudence nous montre que les crédits abusifs ne portent pas uniquement sur des excès de crédits mais aussi sur des crédits inadaptés, notamment dans le cadre des petites entreprises. Il n'y a pas longtemps, un agriculteur a été autorisé à ne pas payer son banquier car celui-ci lui avait financé un tracteur dont les capacités de production étaient hors de proportion avec son terrain.

Et j'en arrive enfin à la solution de surendettement. Croyez-vous vraiment que c'est en effaçant les dettes qu'on sauve l'entreprise ? Est-ce que cela suffit ? Je n'en suis pas certain. Il y a aussi quand même le sort de l'entreprise sur le marché, la validité de ses produits, etc.

M. Gérard ALGAZI, Avocat à la Cour, SCP Lafarge-Flécheux-Revuz, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre.– Je voudrais parler des oubliés des procédures collectives, c'est-à-dire des professionnels libéraux. Ceux qui exercent à titre individuel n'ont pas accès à la procédure de surendettement, et encore moins aux procédures collectives. Je peux vous dire à titre d'information les solutions qu'on a trouvé au Barreau de Paris. En 1994, nous avons essayé de demander au législateur d'étendre aux professionnels libéraux la loi de 1984. Le Sénat a bien voulu l'accepter mais pas l’Assemblée nationale. On a alors dû innover. On a créé une structure sui generis à l'aide d'un administrateur judiciaire qui était honoraire et qui a sauvé quatre ou cinq cabinets d'avocats. Je dois dire que c'est déjà très bien pour nous.

Cette structure fonctionne toujours dans un cadre, non pas illégal, mais a-légal, sans loi. Nous espérerions que le législateur nous vienne aussi en aide.

M. Yves CHAPUT.– Une simple remarque complémentaire après l'intervention d'Elie Alfandary : pourquoi le terme de surendettement ? Parce que c'est un terme qui a une double

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signification comme très souvent : il peut signifier une procédure, celle qu'on applique aux particuliers, et il peut signifier au contraire un critère financier. Et vous avez remarqué, mon cher collègue, qu'aussi bien la loi de 1984 que la loi de 1989 ont exactement le même critère ; ce critère, c'est le financement qui n'est plus adapté aux besoins de l'entreprise, ce que le professeur Paillusseau a parfaitement décrit dans les termes de continuité d'activité, le going concern. Plutôt que d'employer un terme anglo-américain, il vaut donc mieux utiliser un terme très français, bien que néologisme, qui est celui du surendettement. C'est la raison pour laquelle le terme de surendettement avait été retenu plutôt qu'un terme américain.

LES ASPECTS INTERNATIONAUX DU SURENDETTEMENT

TABLE RONDE animée par M. le Conseiller Jean-Luc VALLENS, Magistrat

M. Pierre BÉZARD.– Nous allons aborder des thèmes très intéressants. En effet, de plus en plus, le droit comparé, le droit européen, le droit international sont des éléments fondamentaux pour nos réflexions et même pour nos pratiques quotidiennes, parce que nos juridictions ont à traiter des problèmes de faillite internationale, de procédures collectives ou de voie d'exécution.

M. Jean-Luc VALLENS.– Je vous proposerai d'aborder les aspects internationaux du traitement du surendettement par une approche comparative, qui nous emmènera en Allemagne et au Royaume Uni, par un rappel des aspects de droit international privé, et enfin par l’évocation des solutions proposées par l'Union européenne et les Nations-Unies dans ce domaine.

Cette approche comparative sera conduite avec le concours de deux praticiens de l'insolvabilité, M. Michael Graaff, Avocat à Hanovre, administrateur de faillite, enseignant et commissaire aux comptes, et M. Alan Perry, Solicitor à Londres, membre du Conseil de l'Association européenne des praticiens des procédures collectives. Chacun d'eux évoquera trois des questions qui ont traversé les débats de cette journée : les privilèges, le droit des groupes en cas d'insolvabilité, et les responsabilités des différents intervenants.

Au préalable, M. Graaff pourrait présenter en quelques mots le droit de l’insolvabilité réformé par le nouveau Code entré en vigueur le 1er janvier 1999.

Particularismes des droits anglais et allemand de l'insolvabilité

I – Le nouveau code allemand de l’insolvabilité

M. Michael GRAAFF, Rechtsanwalt, Konkursverwalter (Hanovre).– En droit allemand, une personne unique, l’administrateur d’insolvabilité, doit assumer les tâches de liquidation et de redressement. Nous sommes dans un sens des médecins de l’économie. Il faudrait être à la fois manager, économiste, juriste, expert fiscal... Néanmoins, cette situation présente certains avantages par rapport à la situation du droit anglais. En effet, le « receiver » s'intéresse avant tout aux banques et aux gages. En Allemagne, nous nous intéressons au résultat final, c'est-à-dire aux incidences de la liquidation éventuelle sur l’entreprise concernée.

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Le nouveau Code de l’insolvabilité, sensible aux influences anglo-saxonnes, cherche à réaliser un redressement de l’entreprise et prend en compte les intérêts de l'actionnaire (ou du dirigeant) et, plus généralement, de l’entreprise et non plus les seuls intérêts des créanciers. Pour autant, la protection des créanciers n’a pas été sacrifiée. Les sûretés demeurent efficaces et, singulièrement, les clauses de réserve de propriété.

Que signifie le sauvetage de l'entreprise ? Une des questions les plus délicates relativement au plan de l'insolvabilité a trait à l’objectif du dispositif. Que cherche-t-on à sauvegarder : les associés, le contrat de travail, les créances fiscales, les sûretés des banques ou des autres créanciers ?

En Allemagne, le crédit fournisseur est très répandu et on assiste même à un accroissement de ce mode de financement. Il est vrai que les droits du fournisseur, grâce au mécanisme de la réserve de propriété, sont chez nous généralement bien protégés.

En ce qui concerne les conditions d’ouverture, il existe en Allemagne deux causes d’ouverture : le « surendettement » et « l'insolvabilité », ainsi que désormais une troisième cause, l'insolvabilité « menaçante », c’est-à-dire imminente. Cette nouvelle cause d’ouverture n'oblige pas les dirigeants à saisir le tribunal. Elle confère seulement la possibilité à une entreprise de déclarer elle-même qu'elle va être insolvable dans un futur prévisible, par exemple de six ou neuf mois.

Par ailleurs, la loi nouvelle instaure, dans un souci de simplification, une procédure unique. Cette procédure poursuit plusieurs objectifs :

D’abord un apurement des dettes, et en premier lieu des dettes pesant sur les ménages. D'après nos calculs, on recense actuellement en Allemagne 2,5 millions de familles qui sont insolvables. C’est la raison pour laquelle une procédure simplifiée, c’est-à-dire plus rapide, a été mise en place avec la possibilité, après clôture de la procédure, de se libérer des dettes résiduelles.

Ensuite, un autre but est de chercher à éviter d’appauvrir la « masse » des créanciers participant à la procédure. En raison de la multiplication des sûretés et des privilèges, les sommes à répartir pour désintéresser les créanciers chirographaires sont dérisoires. Cette situation ne résulte pas uniquement des coûts de la procédure ; une des raisons importantes est qu'il faut payer les créances salariales, y compris celles afférentes aux congés payés, comme la loi le prévoit, avec un maximum de sept mois de salaire par employé. Dans ces conditions, vous pouvez imaginer qu'on a besoin d'une somme énorme. À cause de cela, on a essayé de faire participer les créanciers titulaires de sûretés pour inventorier tous les biens, les distribuer, les vendre, etc.

Enfin, un troisième objectif de la réforme est de renforcer le pouvoir des créanciers. En pratique, le projet de plan d'insolvabilité sera discuté par chaque catégorie de créanciers. Les catégories sont constituées en fonction de la nature juridique des créanciers (créanciers chirographaires et créanciers titulaires de sûretés), de l’origine de la créance (créances salariales) ou du montant de la créance. Sur ce point, la loi n’est pas très précise. Chaque groupe doit décider, à la majorité, et le groupe total doit accepter le plan d'insolvabilité. Si vous ne participez pas effectivement à la discussion et à la décision, vos droits peuvent alors être limités sans que vous puissiez vous y opposer. Dès lors, contrairement à l’ancienne loi, l’intérêt

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du fournisseur, de la banque ou de n'importe quel autre créancier est de prendre part à cette décision.

Quant au désintéressement équitable des créanciers, je doute de l’efficacité du nouveau dispositif. Nous avons déjà parlé de la faillite des consommateurs. On avait essayé de faire en sorte que les ménages insolvables soient libérés de leurs dettes après sept ans en cas de « bonne conduite ». Pourquoi sept ans ? M. Balz, l’auteur de cette disposition, avait indiqué que Dieu avait créé le monde en sept jours, qu'il y avait eu sept mauvaises années et sept bonnes années. On peut argumenter ainsi, mais le « Pape » de la faillite en Allemagne, M. Ulmo, a observé qu'une telle réponse témoignait simplement d’une mauvaise connaissance de la Bible.

Après sept ans, le débiteur bénéficie d’un effacement de ses dettes, à plusieurs conditions : que les créanciers consentent à cet apurement du passif, que le débiteur consente à affecter une part de ses revenus au paiement de ses dettes, et enfin qu’il démontre qu’il n’a dissimulé aucun élément de son patrimoine.

M. Jean-Luc VALLENS.– On voit bien que les créanciers ont un rôle plus prégnant que dans la législation française, puisque le plan d'insolvabilité va être voté par les créanciers, et que le tribunal y joue un rôle secondaire.

II – Les sûretés en cas d’insolvabilité

M. Alan PERRY, Solicitor (Londres), Membre du Conseil de l’Association européenne des praticiens des procédures collectives.– Dans le monde juridique, à travers l’Europe, on parle très souvent du besoin d’harmoniser les divers régimes et systèmes de droit visant l’insolvabilité. Pourquoi cela ? Parce qu’il existe toujours des différences importantes entre les systèmes des divers pays, voire entre les diverses régions d’un seul pays. Au Royaume-Uni, par exemple, il existe plusieurs systèmes juridiques. L’Écosse jouit d’un système de droit civil, l’Angleterre et le Pays de Galles de la common law, l’Irlande du Nord constitue un troisième système. En plus, il y a les dépendances, telles l’Île de Man, les diverses Îles Anglo-Normandes, etc. D’un point de vue juridique, le Royaume-Uni n’est donc point un État unitaire.

Je me limiterai au droit anglais. Dans ce système, le droit de l’insolvabilité est régi par une loi, the Insolvency Act de 1986. Aux yeux de bien de mes confrères français, cette loi peut être considérée comme une législation « typiquement anglaise ». C’est-à-dire que ce n’est pas un code et qu’il n’est ni systématique ni détaillé. Au contraire, il s’agit d’une loi contenant des articles très divers, parfois reprenant d’anciens principes du droit anglais, parfois répondant, de façon assez empirique, aux besoins politiques et commerciaux de l’époque. Très souvent on y retrouve des principes existants aussi dans le droit français ou allemand, comme la notion de « période suspecte » par exemple. Mais en même temps, on y traite de bien des développements propres au système économique anglais, qui ne se traduisent pas facilement en droit français : par exemple, l’importante notion de floating charge, dont le sens n’est pas beaucoup éclairci par sa traduction en français : « une charge flottante » ou un « nantissement flottant ».

Afin d’élargir notre compréhension mutuelle et de souligner les vraies difficultés d’une situation internationale, je me permets d’ajouter que, au moins dans le domaine de l’insolvabilité, il n’existe aucun « modèle anglo-saxon ».

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Certes, il y a un « modèle » commun, partagé dans une certaine mesure par l’Angleterre et par plusieurs des anciennes colonies britanniques, notamment en Afrique, aux Caraïbes, etc. Mais le système américain est tout à fait différent. Il n’y a pas de véritable équivalent anglais au fameux « Chapter 11 » qui permet au « debtor in possession » de continuer, quoique frappé par l’insolvabilité, à poursuivre son propre chemin. De même, en Australie, en Nouvelle Zélande et au Canada, le système d’insolvabilité se rapproche plutôt des droits anglais mais dans ces États, dotés chacun de sa propre infrastructure juridique sophistiquée et moderne, on peut constater à la fois la continuité des normes juridiques de la common law anglaise et d’importantes divergences par rapport au modèle anglais. Parmi nos plus proches cousins, se trouve le voisin de la République d’Irlande, par-delà le chenal de St Georges.

J’aborderai maintenant des questions spécifiques. Considérons en premier lieu, d’une manière quelque peu simplifiée, les diverses procédures qu’il est possible d’ouvrir en Angleterre quand une société rencontre des difficultés financières.

Examinons brièvement la solution ultime : la liquidation, puis les procédures plus souples. En Angleterre, une liquidation ordonnée par décision du tribunal est appelée a compulsory liquidation. Une liquidation décidée par les actionnaires est appelée a voluntary liquidation. Si la société ne peut pas faire face à toutes ses obligations, la liquidation dite « volontaire » est cependant contrôlée par un comité des créanciers.

Il n’y a rien de particulier à signaler dans les fonctions du liquidateur : il doit normalement réaliser tous les biens de la société et payer les frais de la liquidation, les taxes et finalement l’ensemble des créances dans l’ordre de priorité prévu par la loi. Si après tout cela il reste un surplus, il le rend aux actionnaires. Après quoi le liquidateur doit faire enregistrer un rapport auprès d’un organisme unique : le Companies Registration Office for England and Wales. La société est dissoute à ce moment là.

Un créancier dont la facture est restée impayée peut normalement saisir le tribunal qui rend une décision mettant en œuvre la procédure de compulsory liquidation. Les règles du jeu sont décrites de manière détaillée et exhaustive dans l’Insolvency Act de 1986 et les Insolvency Rules.

Voilà pour la liquidation. Mais il existe diverses autres procédures plus souples pour régler les affaires d’une société en faillite. Parfois, il s’agit d’apporter un soutien à la société ou à son activité. Parfois, l’objectif est de permettre au créancier de recouvrer son argent. Dans la première catégorie, il faut noter la procédure dite d’Administration.

L’Administration est une procédure nouvelle introduite en 1985. Elle est désormais régie par l’Insolvency Act. Seul le tribunal peut nommer un administrator, à la demande du conseil d’administration (the Board of Directors), d’un actionnaire ou d’un créancier. L’administrator nommé par le tribunal doit impérativement être un professionnel habilité. Le tribunal nomme l’administrator à des fins très spécifiques, telles que la survie de la société en tant qu’entreprise viable (a going concern), la conclusion d’un accord avec l’ensemble des créanciers, ou encore la réalisation des biens pour un produit supérieur à celui qui pourrait résulter d’une procédure de liquidation.

Un grand avantage de la procédure d’administration est de gagner du temps pour une société qui se trouve confrontée à une situation très difficile. La décision du tribunal impose

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automatiquement un gel sur toute tentative de liquidation et toute action judiciaire à l’encontre de la société. Il y a, cependant, une exception importante, dont bénéficient notamment les banques. Je simplifie un peu, mais, en principe, un établissement de crédit qui bénéficie d’un gage ou d’un nantissement sur tous les biens de la société peut normalement nommer un administrative receiver pour sauvegarder ses droits. Une fois nommé l’administrative receiver, l’Insolvency Act ne permet plus au tribunal de nommer un administrator. Je reviendrai, dans un instant, à la notion d’administrative receiver.

Une seconde arme que peut utiliser une société en difficultés est la procédure de Company Voluntary Arrangement. Si les créanciers représentant trois quarts de la valeur des créances se mettent d’accord sur une proposition de la société, la minorité des créanciers est normalement obligée par l’Insolvency Act de se conformer à la volonté de la majorité. Il est habituel, mais pas forcément nécessaire, qu’une société ayant l’intention de proposer un Company Voluntary Arrangement se rende d’abord auprès du tribunal afin de demander la protection temporaire d’une Administration Order, avant de formuler une proposition de Company Voluntary Administration destinée à ses créanciers.

Considérons maintenant la situation non du point de vue de la société débitrice, la colombe, mais du point de vue du créancier, le faucon « hawks and doves ». En Angleterre, la solution normale pour un créancier bénéficiant d’un nantissement est la nomination (sans recours au tribunal) d’un receiver, chargé de saisir les biens nantis, de les conserver et, généralement, de les vendre. J’ajoute qu’en droit anglais la vente aux enchères n’est que très rarement exigée. Les droits du banquier anglais sont, alors, normalement assez étendus. Il faut préciser, cependant, que le 13 octobre dernier, M. Peter Mandelson, Secrétaire d’État au commerce et à l’industrie, a proposé une modification profonde du régime anglais de l’insolvabilité, dans le but de donner à l’entrepreneur la chance de recommencer. « We need to create and encourage serial entrepreneurs ». Il parait que M. Mandelson admire beaucoup le modèle américain : il a répété son désir « to reduce the stigma of business failure » (de réduire la tache de la faillite) dans une allocution au patronat anglais au mois de novembre 1998. Reste à voir si le gouvernement britannique sera suffisamment courageux pour une telle réforme qui constituerait un véritable défi aux intérêts de la communauté bancaire de la City. Pour l’instant, il s’agit plutôt d’un « ballon d’essai » politique.

Généralement, le banquier anglais exige de toute société emprunteuse a floating charge (charge flottante). De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une charge ou d‘un nantissement sur des biens non spécifiés, qui laisse à l’emprunteur la possibilité d’acheter et de vendre tous ses biens, jusqu’au moment où il ne peut plus faire face à ses engagements. À ce moment là, le gage « se cristallise » : il est converti automatiquement en une charge fixe sur tous les biens des catégories concernées – normalement sur tous les biens de la société, mobiliers et immobiliers. L’établissement de crédit détenteur d’une telle sûreté est en mesure de se protéger à tout moment contre l’intervention du tribunal. La banque n’a qu’à nommer un Adminsitrative receiver, un receveur dont la fonction est bien entendu de réaliser les biens pour le compte du prêteur. Cette nomination est une affaire privée – aucun recours au tribunal n’est exigé, quoique l’Administrative receiver, une fois nommé, soit considéré comme un officer of the Court, et soit donc placé, dans une certaine mesure, sous le contrôle, certes limité, du tribunal. C’est de cette manière que depuis 1986 le banquier anglais a pris l’habitude de s’assurer d’une sûreté pour récupérer sa créance. Ces procédures répondent à la fois à la large liberté contractuelle caractéristique de notre système, et aussi, peut-être, au désir d’encourager les banques à prêter, le cas échéant aux dépens des créanciers ne bénéficiant pas de privilèges.

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En effet, le propriétaire, titulaire d’un privilège, bénéficie de droits assez étendus parce qu’il est, ou est censé être, en vertu de la fameuse equity anglaise, le véritable titulaire des biens grevés. Il se trouve dans une situation comparable à celle d’un vendeur de biens, qui bénéficie du droit de propriété jusqu’au moment où sa facture est payée. Il y a cependant une différence primordiale : les biens une fois vendus sont souvent revendus ou transformés en d’autres biens. La situation du vendeur dépend ainsi presqu’exclusivement de la jurisprudence (case law). Le moins qu’on puisse dire est qu’il existe alors des risques que le privilège du vendeur originaire, bien que prévu au contrat de vente, soit considéré comme nul ou aléatoire par la décision ultérieure d’un tribunal.

Avant de terminer, il faut mentionner les fantassins de cette guerre des créanciers, c’est-à-dire les créanciers qui ne bénéficient ni de privilèges ni de sûretés. Leur situation n’est pas assimilable à celle du débiteur. Un tel créancier n’est pas une colombe. Son esprit est bien revendicatif : il est un véritable faucon. Son problème est qu’il n’a pas de griffes, il n’a que son bec. Sans doute peut-il essayer de faire en sorte qu’une compulsory liquidation ou Administrative Order soit ordonnée. Mais dans toute procédure collective, il aura sa propre place au dernier rang, après les créanciers privilégiés, les frais de la procédure, le fisc et les salaires. Ayant un bec mais aucune griffe, il est normal pour cette sorte de faucon de manquer sa proie et donc de mourir de faim dans notre froid climat britannique. Les mots « aucun dividende » sont souvent inscrits sur leurs tombes.

M. Jean-Luc VALLENS.– Le Professeur Graaff peut-il aborder, à son tour la question des privilèges ? On les connaît un peu mieux en France parce qu'ils sont plus proches, dans leur structure et dans leurs statuts, mais il n'est pas inintéressant de montrer comment le nouveau Code de l'insolvabilité a réduit les privilèges.

M. Michael GRAAFF.– Il faut peut-être commencer en disant que nous opérons une distinction entre les créanciers privilégiés eux-mêmes : les créanciers bénéficiant de sûretés telles que les réserves de propriété échappent aux effets de la procédure. Ainsi, les fournisseurs bénéficiant d’une réserve de propriété ont le droit de retirer les biens qu'ils ont livrés. Sur ce point, le texte nouveau apporte toutefois une modification intéressante. Jusqu’à présent, la clause de réserve de propriété était opposable à la masse dès l’ouverture de la procédure. Désormais, l’administrateur peut maintenir et utiliser les biens revendiqués jusqu’à l’audience de rapport, trois mois après l’ouverture de la procédure. Les effets de la garantie, bénéficiant au propriétaire impayé, pouvaient se faire ressentir jusqu’au consommateur final.

S’agissant maintenant des créanciers soumis à la procédure, le droit allemand connaissait les créances privilégiées contre la masse. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de l’insolvabilité, les privilèges du Trésor, de l’Église, des médecins, de la Sécurité sociale et d’autres encore ne sont plus opposables à la masse.

S'agissant des salariés, la question est plus délicate. Le droit français me semble, à cet égard, assez similaire au nôtre : nous avons un régime d’assurance contre les risques de non-paiement des salaires, la garantie étant limitée aux salaires impayés des derniers trois mois avant la survenance de la faillite.

La déclaration de la faillite correspond maintenant à l'ouverture de la procédure provisoire. Les salariés sont protégés contre la perte des salaires des derniers trois mois. Quant au délai de congé, sous l’empire de l'ancien texte, c'était la loi ou le contrat qui en décidait. La nouvelle

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loi limite le préavis de licenciement à trois mois maximum. Cela constitue, d'une certaine manière, un avantage pour la masse, pour la société en faillite, mais d'un autre côté cela va encore coûter beaucoup, parce que le paiement des congés est une charge relativement lourde pour l’entreprise.

Il y a une autre limitation, concernant le plan social : le texte fixe un plafond maximum d’un tiers de la « masse » pour le plan social, c'est-à-dire un tiers de l’actif qui pourrait être distribué aux salariés sans un plan social.

Enfin, contrairement à ce qui existe en droit anglais, nous n'avons pas, ce qui est heureux, des professionnels spécialisés et nous n'avons pas, ce qui est dommage, de professionnels contractuels à l’image du receiver anglais : ce sont les tribunaux qui décident de l’ouverture d’une procédure. On considère que le travail d'administrateur de la faillite est un service public.

III – Les groupes de sociétés

M. Alan PERRY.– Le principe fondamental du capitalisme moderne, en France, en Angleterre et ailleurs, est la limitation de la responsabilité personnelle – l’actionnaire n’est responsable que pour le montant impayé de son action, y compris dans le cas où la société anonyme est encore solvable. Son seul risque est la somme versée en paiement des actions.

Dans la plupart des pays, ce principe s’applique également quand l’actionnaire est une autre société du même groupe. Si une filiale à 100 % se trouve en difficulté, la société mère a le choix – du côté juridique un vrai choix – ou de laisser mettre en faillite sa filiale ou de payer ses dettes. En effet, il peut arriver que la société mère prenne elle-même la décision, en tant que créancier, de liquider la filiale, dans le but d’empêcher l’accumulation des pertes. Ce calcul impitoyable, qui entraîne le risque d’altérer le bon renom de la société mère, est devenu plus fréquent au cours de l’ère Thatcher.

Voilà une raison de transférer une entreprise en difficulté, de la société mère à une filiale créée spécifiquement à cette fin. Une autre raison est de permettre à un établissement de crédit de prendre une floating charge sur tous les biens de cette filiale, sans acquérir un droit prioritaire sur les biens du reste du groupe.

De pareilles considérations encouragent la formation de sociétés en participation « joint ventures », structures maintenant fréquemment utilisées en Angleterre. Elles sont encouragées par la Private Finance Initiative, une politique gouvernementale de grande envergure, de sorte qu’il existe une variété de regroupements entre le secteur privé et le secteur public, pour des projets tels que la construction de ponts, d’autoroutes, d’hôpitaux ou d’aérogares, etc. Selon le modèle classique, les investisseurs créent une société conjointe pour réaliser le projet. Ici, également, leur risque est théoriquement limité au montant investi dans cette société. Parfois, cependant, on persuade la société mère d’offrir des garanties, mais cela réduit grandement les avantages de cette structure. Dans un tel cas, les risques d’une faillite de la filiale se répercutent presqu’automatiquement sur la société mère.

Il existe cependant deux grandes exceptions à la règle selon laquelle la société mère ne risque que le capital investi. Le premier cas est celui qu’on appelle shadow-director, littéralement, le dirigeant de l’ombre, c’est-à-dire le gérant de fait. Il s’agit d’une personne physique ou morale, qui donne des ordres auxquels la filiale doit obéir. Très souvent, la société

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mère, parfois aussi un établissement de crédit peuvent être considérés comme des shadow-directors. Dans les cas où les administrateurs sont condamnés à titre personnel pour avoir manqué à leurs obligations, il n’est pas rare de trouver la société mère dans la même situation désagréable. Si les obligations sont considérables, la société mère doit, en pratique, les payer pour le compte de tous les administrateurs.

L’autre grande exception est la fraude. En cas de fraude il est souvent possible de persuader le tribunal anglais de « lever le voile d’incorporation », ce que nos confrères allemands appellent le Durchgriff, ou la « société-paravent ». Dans une situation classique, une filiale est établie dès le début des opérations dans le but de masquer des activités frauduleuses, ou d’éviter le paiement de dettes qui sont véritablement celles de la société mère. Le droit anglais n’est pas, cependant, identique à celui des États-Unis. On ne persuade pas facilement un tribunal anglais de lever ce voile mystérieux. Souvent, il est vrai, on prétend dans des plaidoiries que la société X agissait en tant qu’agent de la société Y ; dans ce cas, il ne s’agit pas de lever le voile mais plutôt de constater que le véritable débiteur est la société Y. La position ordinaire des tribunaux anglais reste, cependant, d’accepter la légitimité de la limitation de responsabilité financière par l’interposition d’une société à responsabilité limitée, même au sein d’un groupe.

M. Jean-Luc VALLENS.– Le droit anglais, sous un autre vocabulaire, connaît les notions de gestion de fait et de confusion de patrimoines, sinon même de fictivité des sociétés. Le voile dont vous parliez, nous l'appelons le paravent, mais l'idée est bien la même, entre une société apparente et la société véritable qui est derrière elle et qui dirige tout en coulisse. La notion de groupe peut parfois recouvrir cette idée de fraude.

Il est important de souligner que la recherche des réalités économiques, du véritable dirigeant, du véritable responsable de la gestion, est partagée par les tribunaux britanniques, de la même manière qu'en France, lorsqu'on essaie de définir la confusion de patrimoines, sous le contrôle sévère de la Cour de cassation.

M. Michael GRAAFF.– Je crois que nous avons, d'une certaine manière, la même approche, la même philosophie. Les personnes ou la personne morale qui est responsable de certaines actions doit rester responsable en cas de faillite.

Mais peut-être faut-il commencer par différencier deux types de personnes morales : la société mère et la filiale. Selon que l’une ou l’autre va tomber en faillite, les résultats seront différents.

Le principe général est le suivant : la faillite d’un membre du groupe n'a aucune influence sur la situation des autres membres du groupe, dès lors que ces derniers ne sont pas en faillite. Pour la réalisation des biens, il est évidemment plus facile de vendre une société qui n'est pas encore en faillite. Pourquoi laisser mettre en faillite tout le groupe si seule une filiale ou seule la société mère est tombée en faillite ? On peut sauver des branches d’activité, parce que la synergie de tous les facteurs de production confère une valeur plus grande à l’entreprise que l'addition de chacun de ces facteurs de production considéré isolément.

Toutefois, en pratique, les choses se déroulent autrement. Pourquoi ? Parce qu'il y a des contrats communs, des prestations de transferts, ainsi que les réactions du marché, et les comptes courants entre les deux sociétés du groupe, ou encore des garanties financières vis-à-

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vis des banques. L’ensemble de ces éléments font que lorsqu’une société du groupe est mise en faillite, l’ensemble du groupe, mère, fille, sœur, etc. va également tomber en faillite. Mais cela résulte de stipulations contractuelles et non d’une disposition légale. Aussi faut-il être prudent avec les garanties consenties à l’intérieur d’un groupe. Très souvent, les banques demandent une garantie financière pour une société fille. On accepte de consentir une telle garantie, mais il faut en limiter les effets dans le temps (par exemple, deux ans maximum). A l’issue de ce délai, il conviendra de rediscuter les modalités de la garantie : j'ai vu le cas d’une banque qui bénéficiait d’une garantie, toujours valable, consentie quelque 25 ans auparavant.

En toute hypothèse, si la société du groupe peut survivre, elle aura besoin de liquidités pour faire face aux réactions négatives du marché. J'ai entendu parler d’un cas où un fournisseur qui se trouvait en situation de monopole avait exigé le paiement intégral de toutes les dettes de la société en faillite, par toutes les autres sociétés du groupe qui, elles, qui n'étaient pas en faillite ; faute de quoi, il cesserait toute livraison à ces dernières. Bien sûr, on peut faire intervenir ici les dispositions sanctionnant les comportements anti-concurrentiels.

Par ailleurs, lorsque la filiale est insolvable il existe naturellement une responsabilité découlant du contrat de contrôle qui équivaut à une véritable gestion. Lorsqu’il y a eu gestion de fait, la responsabilité du gérant pourra être retenue. S'il a pris de mauvaises décisions, la société mère peut également être engagée, mais seulement si les décisions prises se sont révélées économiquement négatives pour la filiale. S'il y a eu gestion normale, la société mère ne va pas être responsable, dès lors que les décisions qu’elle a prises n’auraient pas été préjudiciables pour la société dans les circonstances normales. Un des risques qui existe, dans ces circonstances, tient au fait que les sûretés vont perdre beaucoup de leur valeur.

Autre source de responsabilité : le contrat de transfert de résultat. S'il y a des pertes pendant la procédure, faut-il garantir aussi ces pertes ? Je ne le pense pas. S'il y a un contrat de transfert de résultat, la responsabilité éventuelle du cocontractant cesse dès l'ouverture de la procédure. La solution n’est certes pas absolument certaine mais c'est l'opinion majoritaire et la mienne également.

Il existe d’autres cas de responsabilités : que décider lorsque le bilan n’a pas été établi dans les délais impartis ? On peut penser que la responsabilité de la société mère sera retenue, car, très souvent, ce sont les commissaires aux comptes de la société mère qui certifient également les comptes de la filiale.

Le contrat de gestion, évidemment, prend fin au moment de l’ouverture de la procédure de faillite, mais jusqu'à ce moment-là il est générateur de responsabilité.

Lorsque des difficultés surviennent dans un groupe de « fait », la jurisprudence l’assimile en général à un groupe par contrat. Par suite, elle va appliquer les mêmes règles de responsabilité. Si des fautes ont été commises dans la gestion du groupe, la Cour de justice fédérale va élargir la responsabilité, c'est-à-dire va retenir la responsabilité de la personne, physique ou morale, qui contrôle le groupe, dans le cas d’actes de gestion négatifs.

Lorsque le groupe a une dimension internationale, des responsabilités peuvent être retenues dans les mêmes circonstances à l’encontre des membres du groupe. La difficulté est alors de faire appliquer les décisions à l'étranger.

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IV – Les responsabilités

M. Alan PERRY.– La responsabilité de l’administrateur et celle de la société ne sont pas identiques. L’administrateur anglais risque, cependant, d’importantes peines s’il ne fait pas pleinement face à ses responsabilités en tant que tel.

Tout d’abord, l’administrateur anglais ne peut pas dire que la responsabilité dans la gestion de la société incombe principalement au PDG : en droit anglais, la responsabilité de tous les administrateurs est en principe égale ; généralement, le PDG n’est que leur mandataire.

L’administrateur doit agir conformément aux pouvoirs qui lui sont accordés par les statuts de la société (Memorandum and Articles of Association). Les administrateurs engagent leur responsabilité personnelle pour toute décision ou agissement non autorisés par les statuts. Ils doivent aussi s’acquitter de leurs fonctions avec diligence. En termes juridiques, ceci peut se traduire par un devoir d’utiliser un reasonable skill and care, c’est-à-dire de se comporter avec le soin et la compétence d’un cadre bien formé. Tout manquement risque d’entraîner des poursuites de la part du liquidator ou administrator, qui serait désigné par un tribunal.

Il est naturellement permis à une société solvable de ratifier les dépassements de pouvoir de la part des administrateurs, par une décision de l’assemblée générale. Mais la situation d’une société non solvable est tout autre, pour des raisons évidentes.

Il y a des risques pour l’administrateur qui résultent spécifiquement de l’insolvabilité de la société. La situation la plus grave peut être la wrongful trading : quand une société continue à faire appel à des crédits alors qu’il n’existe plus aucune réelle possibilité d’éviter une liquidation, les administrateurs risquent d’être condamnés à titre personnel à réparer le préjudice causé aux créanciers. Les amendes peuvent être très lourdes, même dans le cas où aucune fraude n’a pu être établie. De tels administrateurs risquent aussi une interdiction de gérer toute autre société pour plusieurs années.

Tout liquidator ou administrator bénéficie de plusieurs armes intéressantes. Il peut, par exemple, résilier pour le compte de la société débitrice des contrats jugés onéreux, tels certains baux. Il peut demander au tribunal d’annuler certaines transactions conclues à perte et passées dans les deux années avant la liquidation, ainsi que certaines transactions conclues en vue d’avantager certains créanciers par rapport à l’ensemble des créanciers.

Hormis les cautions, les administrateurs et les associés ou les actionnaires, il est peu probable que d’autres personnes soient responsables des dettes d’une société en liquidation. Quant à l’administrator ou au liquidator, ils ne sont personnellement responsables que s’ils se sont comportés d’une manière illicite ou irrégulière.

De même, une banque ou tout autre créancier est préoccupé seulement de recouvrer sa créance en exerçant ses droits et ses privilèges (s’il en a). Normalement, ces personnes ont peu à craindre, du moment qu’elles veillent à laisser aux administrateurs le soin de prendre les décisions, souvent difficiles, qu’exige la situation de toute société en difficulté.

M. Michael GRAAFF.– Le droit allemand exige de l'administrateur de faillite qu’il se comporte non pas seulement comme un commerçant, mais comme un juriste expérimenté.

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Le texte nouveau envisage la responsabilité de l'administrateur de faillite provisoire. On connaissait déjà la responsabilité de l'administrateur, après l'ouverture de la procédure, pour toutes les dettes qu'il a personnellement contractées ou qui lui incombent, principalement les créances salariales. Maintenant qu'il n'existe plus de procédure préalable de séquestre, l’administrateur est responsable dès l’ouverture de la procédure de toutes les dettes contractées par l’entreprise, et notamment des dettes de salaires. Mais il ne dispose guère que de deux à trois jours pour évaluer si l’entreprise disposera dans le futur des fonds nécessaires pour payer les dettes.

À l’heure actuelle, une réflexion est engagée pour limiter la responsabilité de l'administrateur provisoire, ce qui implique de limiter ses pouvoirs.

Je dirai quelques mots sur les banques. La base de notre droit, est inscrite au paragraphe 18 de notre loi sur le crédit. Ce texte institue une obligation d’information et de prudence, dès lors que le crédit dépasse 250 000 DM. À partir de ce seuil, la banque est tenue de s’informer de la situation financière de l’emprunteur. Cela signifie qu’elle ne peut s’en tenir aux seuls renseignements transmis par l’emprunteur (par exemple, ses comptes annuels). En outre, cette obligation d’information est permanente. De ce fait, il devient quasiment impossible pour les banques d’accorder des crédits. Et ce, d’autant plus que l’obligation d’information existe aussi lorsque l’emprunteur fait partie d’un groupe. La banque doit, alors, se renseigner sur la société qui sollicite le crédit, mais également sur l’ensemble du groupe, ce qui soulève des difficultés en raison du secret des affaires. Le même principe est prévu en cas d’emprunteurs solidaires : il faut s'informer sur la situation de tous les cofidéjusseurs.

Pour conclure, il faut mentionner ici une innovation : la nouvelle loi permet d’accorder un crédit à l'administrateur provisoire moyennant des sûretés, à l’encontre de la masse.

Le droit français et les situations d'insolvabilité internationale – les réponses du droit international privé

M. Bertrand ANCEL, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

1.- Du surendettement (où se fait pressant le souci de ne pas mettre le débiteur hors jeu – de la consommation, s’il est un particulier, de la production et des échanges, s’il est un État ou une entreprise) à l’insolvabilité (qui est un rapport négatif, un rapport d’insuffisance entre l’étendue des ressources mobilisables et l’étendue des engagements dont on doit répondre), la distance n’est pas négligeable. En effet, l’insolvabilité (ainsi définie sans trop de rigueur) ne prend pas parti sur le sort du débiteur et ne montre donc pas de sensibilité à la perspective de sa survie ou de son sauvetage. Elle ne révèle pas les finalités du régime juridique qu’elle oblige à mettre en place.

Cette définition en forme de constat correspond assez bien à l’attitude du droit international privé, chargé de gérer la diversité des systèmes juridiques lorsque l’insolvabilité affecte un opérateur économique, une entreprise dont les affaires, les activités et les rapports juridiques qui les organisent enjambent les frontières. L’insolvabilité s’expose alors aux réactions et aux traitements des différents systèmes au contact desquels évolue l’entreprise ; ces systèmes ne poursuivent pas tous les mêmes objectifs avec la même intensité. Le droit international privé,

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qui doit régler ce concours des ordres juridiques en confiant le soin de cette insolvabilité à l’un d’entre eux, ne paraît pas porté à choisir en fonction du sens et de l’opportunité des politiques législatives qu’ils poursuivent respectivement.

2.- C’est pourtant un lieu commun que celui de l’influence du droit interne sur les solutions du droit international privé et le droit international privé français devrait donc au moins refléter le droit français de l’insolvabilité. Mais cela n’est plus aussi certain dès lors que ce dernier ne propose pas une conception bien homogène des procédures qu’il organise.

Depuis 1985, l’article 1er de la loi sur les procédures collectives décline trois objectifs – d’abord le sauvetage de l’entreprise et le maintien de l’emploi, puis le désintéressement des créanciers – et il suggère ainsi une conception délibérément et théoriquement panachée.

L’élément saillant a sans doute été la publicisation accentuée du droit de la faillite : l’ouverture d’une procédure substitue désormais aux relations de droit privé entre créanciers et débiteur, qui naguère se fondaient et se mutualisaient dans la masse, une double série de rapports parfaitement distincts, entre, d’une part, le débiteur et le tribunal d’État (et les organes qu’il a nommés) et, d’autre part, entre les créanciers et le tribunal d’État. La disparition de la masse s’est accompagnée de l’interposition, entre les particuliers que l’insolvabilité met aux prises, d’un agent d’exécution de la politique économique et sociale de l’État (52). Et si la loi de 1994 s’est montrée plus attentive aux droits des créanciers, elle ne leur a pas restitué le statut ni le rôle décisifs qui étaient les leurs autrefois.

À la fonction répressive aujourd’hui atténuée et nuancée, à la fonction d’exécution repoussée au dernier rang, s’ajoute la fonction économique et sociale que l’État entend donc assumer ainsi en plus des tâches régaliennes traditionnelles.

Cependant si, dans l’ordre de l’exercice, l’insolvabilité ouvre une procédure de droit public (alignant sur le projet économique et social de l’État l’activité de ses agents, ici, un tribunal dont la fonction juridictionnelle n’est pas sollicitée à titre principal), dans l’ordre de la spécification, de la pratique quotidienne et de la mise en œuvre, le législateur lui-même – d’abord sans doute plus par indigence que par timidité, puis semble-t-il par prudence et réalisme – a conservé des critères et des analyses très privatistes, méconnaissant si peu les exigences d’une bonne justice de droit privé qu’il a fait appel à des organes où ne siège et ne s’active pour ainsi dire aucun fonctionnaire (53) ; parmi ces exigences de justice de droit privé, il en est une sans le respect de laquelle l’économie court à sa ruine : c’est celle qui veut que le débiteur exécute du mieux possible, même si c’est peu, l’ensemble de ses engagements et que le créancier obtienne autant qu’il est possible ce qui lui est dû. C’est le problème central du crédit, de la confiance, de la créance...

3.- Cette hétérogénéité des ambitions et des moyens pèse évidemment sur le traitement international de l’insolvabilité.

(52) V. J. Héron, Trav. com. fr. int. pr., 1990-91, p. 65 sq. (53) Dans les faits, le parquet qui pourrait, s’il était doté des moyens adéquats, veiller à ce que le cours de la

procédure s’oriente sur les objectifs de la loi, paraît essentiellement absorbé par sa mission traditionnelle et ne pouvoir se préoccuper que des sanctions personnelles.

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Le caractère publiciste orientera, par exemple, vers la territorialité et la pluralité des procédures – l’imperium s’arrête aux frontières et la saisie collective que réalise la procédure comme l’éventuelle mise à l’index du débiteur relèvent de cet imperium non moins que l’application de la politique économique et sociale de l’État. Si l’insolvabilité se constate en plusieurs territoires, il faut ouvrir plusieurs procédures.

Le caractère privatiste, plus « concordataire », poussera à l’universalité et à l’unité de la faillite, pour assurer à tous les créanciers que fédère l’insolvabilité une vocation égale à la valeur de tous les biens du débiteur où qu’ils se trouvent – comme le prescrit l’article 2092 du Code civil et comme l’impose notre théorie du patrimoine.

Ces thèmes de l’universalité-unité et de la territorialité-pluralité sont remués depuis longtemps par le droit international privé sans qu’on soit parvenu à faire triompher pleinement l’un ni l’autre. C’est que du droit public au droit privé, le balancier oscille non seulement dans le temps mais aussi dans l’espace ; les systèmes juridiques, qui ne sont pas toujours plus stables que le nôtre, mettent le pouvoir de contrainte dont seul dispose l’État tantôt et principalement au service de la justice de droit privé, de la justice dans les affaires, tantôt et principalement au service des fins de politique économique et sociale que l’État croit à propos de promouvoir. Le dosage du public et du privé est variable.

En face de cette diversité, la carence du législateur, les lenteurs et la modestie du droit conventionnel (54) placent encore aujourd’hui la jurisprudence en première ligne dans la formation du droit international privé de l’insolvabilité ; elle doit à la fois trancher les difficultés du jour et élaborer les règles pour demain. Aussi bien, elle avance avec pragmatisme... et paraît ne vouloir professer qu’une religion minimale commune, en quelque sorte œcuménique (peut-être même laïque) à force d’être épurée, amortissant les particularismes locaux et conjoncturels, et semble partant assez peu encline à sacrifier aux dogmes que prétend imposer l’article 1er de la loi de 1985 – disposition dont la fonction se révèle à l’usage essentiellement narrative (55). On ne note pas, en effet, que depuis quelques lustres une territorialisation croissante ni une publicisation dévorante auraient transformé le traitement de l’insolvabilité internationale.

Cette attitude médiane offre au moins l’avantage de conserver à la faillite son âme éternelle et – à peine ose-t-on utiliser l’adjectif – universelle : un traitement de l’ensemble du passif orchestré par l’autorité publique et qui s’efforce d’y appliquer la totalité des ressources du débiteur selon ce que requièrent la justice de droit privé et le crédit public. Corrélativement, plutôt que de fournir à l’action de l’État la matière et les moyens de sa politique économique et

(54) La France est actuellement liée, par convention bilatérale visant la reconnaissance et l’exécution en matière de

procédure collective, avec quatre pays : Autriche, Belgique, Monaco et Italie ; les deux conventions multilatérales européennes, celle d’Istanbul sur certains aspects internationaux de la faillite du 5 juin 1990 (Rev. crit. 1993, p. 121, commentaire J.-L. Vallens) et celle de Bruxelles, de l’Union européenne relative aux procédures d’insolvabilité du 23 novembre 1995 (Com. J.-L. Vallens, D. 1995, p. 307 et ALD 1995, p. 217) ne sont pas encore en vigueur. Pour une présentation synthétique des apports que promettent ces projets d’unification, v. la mise en perspective de J. Béguin, « Un îlot de résistance à l’internationalisation : le droit international des procédures collectives », Mélanges Y. Loussouarn, p. 31 sq.

(55) Cette vue n’est pas propre à la jurisprudence, v. par exemple, professant qu’avec les procédures collectives, « l’organisation politique, économique et sociale du pays n’est pas vraiment concernée », N. Pimblis, La faillite dans les relations internationales d’ordre privé, thèse Paris XI, 1992, p. 88.

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sociale, elle maintient l’intervention de l’autorité publique dans sa fonction instrumentale, subordonnée au règlement des intérêts privés.

4.- La première manifestation de cette position stable est offerte par l’approche du problème de l’insolvabilité internationale que la jurisprudence choisit de pratiquer. Cette approche est celle du droit international privé où jouent les conflits de lois et les conflits de juridictions. Sans doute observera-t-on un certain gauchissement des méthodes qu’on ne peut expliquer autrement que par la nécessité de prendre en compte la spécificité de l’intervention de l’autorité publique. Cette spécificité conduit ainsi à lier définition de la compétence internationale et détermination de la loi applicable car c’est bien nos seuls juges que les règles françaises convoquent pour traiter des cas d’insolvabilité qu’elles considèrent ; pourtant cette spécificité et ce lien inusuel dans le droit international privé ne reçoivent pas un tel relief qu’il faille les faire sortir du domaine du droit privé et les soumettre au régime international des institutions de droit public, lequel est exclusif des conflits de lois et des conflits de juridictions et donc des ingérences transfrontières que ceux-ci autorisent. C’est l’avantage du droit international privé que de disposer des instruments de la circulation internationale des agents et des décisions. Aussi bien, cette solidarité entre les deux compétences, législative et judiciaire, est simplement interprétée comme une application de la règle de conflit relative à la procédure, qui désigne en effet la lex fori ; simplement, il convient de remarquer que cette interprétation conserve un relief décisif aux questions de compétence internationale.

Au demeurant, comme on l’a très justement relevé (56), la faillite étend ses contraintes ou ses exigences dans de trop nombreux secteurs du droit privé (droit des obligations et des contrats, droit des personnes physiques et morales, droit des biens, droit du crédit, droit du travail, et, bien sûr, procédure) pour en être aisément détachée. La théorie des dominos incite ici à contenir les poussées publicistes. Aussi bien pressent-on que l’insolvabilité sera traitée par le doit international privé avec plus de considération pour les droits des créanciers que théoriquement n’en témoignerait ou n’en témoignait le droit interne.

5.- Cette institution est confortée par la formule volontiers rappelée par la Cour de cassation, selon laquelle « le principe de l’égalité des créanciers [...] est à la fois d’ordre public interne et international » (57). L’orientation générale est ainsi fixée. Il lui faudra pourtant composer ; la procédure d’insolvabilité, si attentive qu’elle soit aux intérêts privés, constitue une démarche organisée à laquelle participe une autorité publique dont la mission est définie par l’ordre juridique qui l’institue. Force est de se rendre à cette réalité institutionnelle ; le principe d’égalité des créanciers sera un facteur d’universalité mais d’une universalité inachevée, contrariée, pourrait-on dire, par des nécessités d’intendance.

Cette proposition balancée se vérifie aussi bien lorsque la procédure est ouverte par un tribunal français et place le droit français de l’insolvabilité face aux ordres juridiques étrangers, que lorsque la faillite est ouverte à l’étranger d’où la loi étrangère s’élance vers l’ordre juridique français.

On distinguera donc faillite française (I) et faillite étrangère (II).

(56) P. Didier, La problématique du droit de la faillite internationale : RDAI 1989, p. 203. (57) Cass. 1re civ. 8 mars 1988, Soc. Thinet : D. 1989, p. 577, note J. Robert ; Rev. arb. 1989, p. 473, note P. Ancel ;

5 fév. 1991, Soc. Almira Films : Rev. arb. 1991, p. 625, note L. Idot ; 4 fév. 1992, Soc. de Recherches et d’Études techniques : D. 1992, p. 181, note G. Cas

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I – Faillite française

On envisagera deux questions : celle de l’affirmation des droits du créancier, puis celle de leur exercice dans le cadre de la procédure.

A) Affirmation des droits des créanciers

6.- Par hypothèse un tribunal français administre la faillite. Ceci se produit lorsque l’un ou l’autre des chefs de compétence suivants est vérifié : soit le débiteur a son siège en France et alors (par extension de l’art. 1er du décret de 1985 à l’ordre international) est compétent le tribunal du lieu du siège (qui doit être réel et non seulement statutaire (58)), soit le débiteur ayant son siège à l’étranger a un ou plusieurs établissements en France et alors est compétent, à titre subsidiaire, le tribunal du lieu du centre principal de ses intérêts sur le territoire français (par extension du même décret), soit, enfin, à défaut de siège et d’établissement en France, le débiteur ou encore le créancier qui dénonce son insolvabilité a la nationalité française (art. 14 et 15 C. civ.) et est alors compétent le tribunal choisi par qui prend l’initiative de la procédure dans les limites que fixent les exigences d’une bonne administration de la justice – il s’agit là d’une compétence exorbitante et sous-subsidiaire. Les recueils de jurisprudence offrent des exemples d’autres compétences exorbitantes mais celles-ci ne peuvent plus aujourd’hui se rattacher à un texte ; probablement ont-elles disparu.

Selon qu’elle est principale ou subsidiaire, la compétence ne rencontre pas les mêmes difficultés ni n’a la même portée.

7.- Fondée sur le siège de l’entreprise, c’est-à-dire sur le lieu où sont implantés les organes de direction et de contrôle des activités de l’entreprise, son administration générale, son centre de décision, la compétence de principe paraît si naturelle que nul ne songe à contester sa portée universelle.

La procédure qui s’ouvre au for principal englobe donc tous les biens du débiteur, même ceux qui sont situés à l’étranger. Naturellement, l’effectivité de ce caractère universel quant aux biens pourra se heurter à des obstacles liés au phénomène de la frontière : les biens à l’étranger ne se placent pas spontanément sous la main de la justice française ; il faut que le jugement déclaratif soit reconnu au lieu de leur situation, et donc éventuellement exéquaturé, ce qui n’est nullement inconcevable (et viendrait au passage suggérer, s’il en était besoin, que l’affaire ne relève pas du droit public) mais dépend du droit international privé de l’État étranger (59).

(58) V. Cass. 1re civ. 21 juil. 1987, Soc. Ets Bernard : D. 1988, p. 169, note J.-P. Rémery ; Rev. sociétés 1988, p. 97,

note A. Honorat. (59) Ainsi le droit international privé allemand n’exige pas l’exequatur et reconnaît d’emblée les pouvoirs du

mandataire nommé par le for principal étranger, v. BGH, 11 juil. 1985 : JZ 1986. 97, note Lüderitz ; ZIP 1989, p. 753, note Flessner ; v. également R. Frank, Les effets internationaux de la faillite en droit allemand : RDAI 1989, p. 291, G. Grasmann, Effets nationaux d’une procédure d’exécution collective étrangère : Rev. crit. dr. int. pr. 1990, p. 421. Pour la position du droit international privé anglais, v. M. Elland-Goldsmith, La faillite : le droit international privé anglais : RDAI 1989, p. 207. Le droit italien en revanche reconnaissait de plano le jugement d’ouverture à des fins limitées, mais soumettait l’investiture du mandataire à la condition d’exequatur (v. par exemple, P. Celle, Sentenza estera di fallimento non delibate e convenuto straniero : Riv. dir. int. priv. proc. 1990, p. 301), ce qui était proche de la solution française rappelée infra, n° 22 ; actuellement, depuis la loi de droit international privé n° 218 du 31 mai 1995,

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Cette faillite au for principal englobe aussi toutes les dettes ou tous les créanciers ; le chef de compétence répond au caractère collectif et unitaire du traitement de passif, le siège de l’entreprise est le lieu géométrique des activités et du passif qui en résulte, si dispersés que soient les créanciers... Il n’y a donc pas de distinction entre ceux qui seraient des créanciers nationaux pour avoir traité en France avec le siège et ceux qui seraient des créanciers étrangers pour avoir traité à l’étranger avec des agences ou succursales. La solution s’impose par le jeu combiné du principe de l’unité du patrimoine (et donc du gage général) et du principe d’égalité entre créanciers.

Ainsi quiconque se dit créancier peut et même doit déclarer sa créance puisqu’à défaut le droit français expose à la forclusion. En amont aussi, quiconque se dit créancier peut prendre l’initiative de demander au for principal l’ouverture de sa procédure.

8.- À défaut de for principal, il est possible de saisir un for subsidiaire ; il s’agit, de droit commun, du tribunal du lieu du centre principal des intérêts en France du débiteur dont le siège est à l’étranger. Il est permis et raisonnable de se limiter ici à ce for, les observations relatives aux faiblesses qu’il présente valant a fortiori pour des compétences encore moins attentives aux besoins de la procédure collective comme celles qui résultent de la nationalité, soit du débiteur, soit du créancier demandant l’ouverture.

Ainsi restreint, le propos demande encore à être précisé : le débiteur est une entreprise dont le siège est à l’étranger et qui a des succursales, agences, branches ou autres établissements sur le territoire français, lesquels ne représentent que de simples centres d’activité géographiquement distincts mais non dotés de l’autonomie juridique ni de l’indépendance patrimoniale (60). C’est à partir de cette implantation locale qu’un tribunal français est susceptible d’être saisi et de prononcer un jugement d’ouverture à l’encontre de l’entreprise de siège étranger.

9.- Cette figure de déconcentration est différente et doit donc être distinguée de celle de « l’entreprise multinationale » ou du groupe international de sociétés, que d’ailleurs le droit français n’institutionnalise pas. Un tel groupe rassemble normalement autour d’une société mère une pluralité de sociétés dont, selon des circuits simples ou complexes, elle contrôle le capital et, de manière plus ou moins stricte, la gestion – ces sociétés dites filiales étant chacune érigée en personne morale distincte, disposant juridiquement d’un patrimoine et d’une identité propres. En conséquence, au regard des règles de compétence internationale, il serait inexact de considérer le siège de la société mère comme constitutif du for principal et celui de la filiale comme constitutif d’un for subsidiaire. En vérité, si une filiale du groupe est en situation d’insolvabilité, le tribunal français de son siège est compétent à titre de for principal en ce qui la concerne et la procédure qu’il ouvre n’atteint pas d’elle-même la société mère (qu’elle soit

les décisions étrangères sont reconnues de plein droit en Italie et aucune exception n’est faite pour les jugements de faillite, mais l’attuazione (la « réalisation ») requiert toujours la delibazione, de sorte que la solution ne devrait pas s’éloigner significativement de celle du droit international privé français – sans que cela affecte les rapports franco-italiens régis par la Convention du 3 juin 1930.

(60) Il est devenu classique au sujet de l’établissement local ou centre principal des intérêts en France de se référer à la définition de la Cour de justice des Communautés européennes fixée par l’arrêt Somafer, CJCE 22 nov. 1978 : Rec. 1978. 2183, concl. Mayras ; JDI 1979, p. 672, obs. A. Huet ; DS 1979, IR, p. 458, obs. B. Audit. Il est aussi légitime de citer désormais l’article 2, h) de la convention de l’Union européenne du 23 novembre 1995 : « tout lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens ».

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établie à l’étranger ou en France) dès lors que chaque composante du groupe et spécialement celle qui est en difficulté a la personnalité morale. Certes, la société mère et éventuellement d’autres sociétés du groupe qui détiendraient des participations dans la filiale en faillite en France pourraient elles-mêmes être soumises à procédure collective devant la même juridiction, mais seulement dans les cas où, d’après la loi française, l’associé d’une société défaillante est précipité dans la faillite. Il s’agit de la simple transposition au plan de la compétence internationale des compétences « dérivées » (61) des articles 178 et 181 de la loi du 25 janvier 1985 et des extensions fondées sur la confusion des patrimoines (art. 182) et sur la fictivité de la filiale. Mais toutes ces hypothèses de contamination de l’insolvabilité à l’intérieur du groupe sont confiées au for principal de la procédure parfaitement universelle dont est l’objet la filiale. Il ne s’agit pas du for subsidiaire et fractionnel qui est accessible lorsque la société a un simple établissement, une « antenne », en France à défaut d’y avoir son siège.

10.- Le tribunal saisi en qualité de for subsidiaire est celui du « centre principal des intérêts en France » ; sous cette expression il ne faut chercher que l’établissement principal en cas de pluralité d’implantations sur le territoire français (62). Il faut souligner aussitôt que ce tribunal n’acquiert pas à l’ouverture de la procédure, ni après d’ailleurs, le contrôle global de l’entreprise puisque le lieu où celui-ci s’exerce est le siège, qui par hypothèse est situé à l’étranger.

Or, il n’y a pas, du seul fait de la décision prise en France, ouverture d’une procédure au lieu étranger du siège ; le débiteur y est toujours in bonis et gère librement ses affaires. Le dessaisissement prononcé en France ne l’atteint qu’en France. Aussi l’administrateur que nommerait le tribunal français de l’établissement resterait éloigné des commandes de l’entreprise et étranger à sa gestion ; dans l’impossibilité d’évaluer la situation économique, d’apprécier les concours éventuels et les chances de redressement de l’entreprise dans son ensemble comme de sa dépendance française, il serait sans prise sur leur destin (63). Et on ne peut compter sur un exequatur à l’étranger, dans le pays du siège, car précisément ce pays protégera la compétence de ses juges et de sa loi contre cette espèce d’empiétement que réaliserait l’accueil du jugement français d’ouverture. La faillite de l’établissement en France est une faillite locale. Elle n’appréhendera que l’activité développée et la fraction des actifs situés sur le territoire français.

Autant dire que la procédure sera très imparfaite et qu’elle n’a guère de chance de s’orienter vers le redressement de l’entreprise, la matière et les moyens faisant défaut (64). Cette faillite n’aura que l’utilité de servir les fonctions traditionnelles d’assainissement du commerce local et de liquidation organisée des actifs locaux au bénéfice des créanciers (65).

11.- Dans ces conditions, on concevrait parfaitement qu’une telle procédure s’ouvre à titre universel, c’est-à-dire relativement à la fraction des biens situés en France et dans le seul

(61) H. Synvet, Rép. Dalloz, Dr. int., V° Faillite, nos 25 sq., J.-P. Rémery, La compétence judiciaire pour ouvrir une

faillite internationale : l’exemple du droit français : DPCI 1994, p. 553, et La faillite internationale, p. 31 sq. (62) BCCI, Cass. 1re civ. 11 avr. 1995 : Rev. crit. 1995, p. 742, note B. Oppetit ; D. 1995, p. 640, note M. Vasseur,

JCP éd. G 1995, I, 3871, n° 1, obs. P. Pétel. (63) Il faut ici réserver le cas particulier des établissement bancaires, que la réglementation française de l’exercice de

leurs activités sur le territoire national constitue en entités autonomes « au sens de la loi du 24 janvier 1984 ». (64) Rappr. J. Lemontey, « Actualités du droit international de la faillite », Trav. Com. fr. dr. int. pr., 1986-1987, p. 87. (65) Rappr. Conv. de Bruxelles du 23 novembre 1995, art. 3, § 3 et Conv. d’Istanbul sur certains aspects

internationaux de la faillite, art. 16, 21 et 22.

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intérêt des créanciers qui sont, si l’on peut dire, au contact du territoire français, c’est-à-dire les créanciers ayant des garanties réelles portant sur les biens qui y sont situés et les créanciers des obligations nées des activités de l’établissement français.

Pourtant, le droit français ne fait pas de distinction. Pas davantage ici, il n’y a les créanciers étrangers du siège et les créanciers français de l’établissement. Comme celle ouverte au for principal, la procédure pilotée par le tribunal de l’établissement a une ambition universelle ; quoique incomplète, la faillite qui sera organisée sera bien celle du débiteur et non pas seulement de l’établissement ou des biens situés en France (66). La territorialité résiste sur le terrain de l’actif, elle cède sur celui du passif.

La conséquence en est que tout et n’importe quel créancier est habilité par le droit français à demander l’ouverture de la procédure et, si celle-ci est ouverte, est tenu sous peine de forclusion de produire à la faillite en respectant les formes imposées par la loi française. Ces solutions sont clairement posées par la Cour de cassation échelonnant ses décisions de 1913 (Faillite Nebel) à 1996 (BCCI, 14 mai), au nombre desquelles l’arrêt de la Chambre commerciale du 19 janvier 1988, prononcé dans l’affaire BCT Computer (67).

L’idée d’unité du patrimoine est ici consacrée en dépit des difficultés pratiques que l’application qu’on en veut faire rencontrera inévitablement si l’essentiel, voire la totalité des actifs et des activités du débiteur, est localisé à l’étranger. Cette universalité de la faillite locale n’est pourtant pas un hommage abstrait et, d’une certaine manière biaisé, à la théorie française du patrimoine. Elle procède essentiellement d’une interprétation assez exigeante du principe de l’égalité des créanciers ; quelle que soit la justification du chef de compétence, celui-ci ne peut conduire à des discriminations ou à des préférences que la loi n’octroie pas.

12.- L’argument a été contesté en s’appuyant sur l’idée, décidément vivace, de la solvabilité apparente dans le cas de saisine du tribunal de l’établissement. Peut-être la tendance favorable à la territorialité et au titre universel se réconfortera en constatant que l’affirmation du principe d’égalité par l’arrêt BCCI du 14 mai 1996 est restée toute platonique, puisque les productions des créanciers étrangers ont finalement été rejetées pour n’avoir pas été effectuées dans les formes de la loi française de la faillite. L’exigence de forme (que la loi ne module pas en fonction de l’origine de la déclaration (68)) aurait ainsi opportunément permis de consacrer, sans la proclamer, la priorité des créanciers locaux. En somme, il y aurait avec cette exigence une mesure d’effet équivalent, une entrave technique, mais qui opérerait ici un filtrage justifié et ne compromettant pas substantiellement le principe d’égalité. C’est que les créanciers locaux seraient réputés avoir traité avec l’établissement en France au vu des actifs et activités du débiteur en ce pays, tandis que les créanciers étrangers auraient forgé leur confiance en ne considérant que les actifs et activités dépendant directement du siège débiteur, de sorte que les créanciers ne seraient pas tous dans la même position à l’égard des biens en France et des

(66) J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 44 ; contra, H. Synvet, op. cit., n° 22. (67) Cass. com. 11 mars 1913, Nebel : DP 1914, 1, p. 185, note Pic, JDI 1913, p. 910, note J. Perroud, Rev. dr. int.

1913, p. 543 ; 19 janvier 1988, BCT Computer : D. 1988, p. 565, note J.-P. Rémery, Rev. crit. 1990, p. 527 ; 14 mai 1996, BCCI : Rev. crit. 1996, p. 475, rapp. J.-P. Rémery.

(68) La motivation de l’arrêt paraît pourtant montrer une certaine disposition à admettre des formes équivalentes, dès lors qu’elles livreraient les informations nécessaires au bon fonctionnement de la procédure.

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biens à l’étranger, ce qui légitimerait la différence des traitements (69). Il se peut assurément que le crédit public s’établisse et se soutienne de manière différente selon les pays, il est douteux pourtant que la raison en soit ce qu’exprime l’idée de la solvabilité apparente. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il est excessif de prêter encore aujourd’hui au phénomène de la frontière, dans le domaine des affaires, un effet de cloisonnement, voire d’occultation, si absolu qu’il dispenserait le fournisseur de crédit traitant avec l’établissement français de s’enquérir de l’identité et de la surface économique réelle du partenaire parce que celui-ci a son siège à l’étranger. Et si à l’extrême rigueur, compte tenu de la légèreté naturelle prêtée à notre nation, on pourrait envisager d’avoir quelque indulgence pour les créanciers liés à l’établissement français et victimes de l’ambiance locale et de sacrifier ainsi en leur faveur le principe d’égalité sur l’autel d’une « croyance légitime » acquise à si bon compte, il n’y aurait en revanche aucune raison de penser que les créanciers qui ont traité avec le siège à l’étranger ne se sont, quant à eux, soucié d’obtenir des informations sérieuses que sur les actifs situés dans le pays du siège.

13.- On peut sans doute discuter du caractère adéquat du chef de compétence fondé sur le « centre principal des intérêts en France » (on peut critiquer plus encore dans cette matière les privilèges de juridiction (70)), dont il est clair qu’en l’état actuel du cloisonnement institutionnel qui caractérise la coexistence des ordres juridiques, il ne vaut que pour une fraction de l’actif et qu’il n’est pas, malgré la posture jurisprudentielle, en mesure d’assurer une véritable universalité de la procédure d’insolvabilité. Cependant on ne peut, à partir du moment où cette compétence est reçue par le droit positif, discerner aucun motif commandant de rompre avec le principe de per conditio creditorum.

B) L’exercice des droits des créanciers

14.- À l’ouverture de la faillite, les droits des créanciers passent globalement sous le contrôle de la loi de la procédure : la lex concursus, loi française en l’occurrence, ne se substitue pas en principe à la loi de la créance, elle se superpose à cette loi, comme d’ailleurs elle ne se substitue pas à la loi de la garantie, elle se superpose à celle-ci (71).

Ainsi d’abord si la créance est contestée, le créancier devra pour la faire reconnaître en établir la validité d’après la loi qui la régit : le contrat était soumis à la loi italienne, c’est d’après cette loi que la validité sera appréciée. Ceci fait, la créance est prise en charge par la loi de la faillite ; dès lors, rencontrant les exigences de cette loi, elle pourra encore succomber, si par exemple le contrat – parfaitement régulier au regard de la loi italienne – a été conclu après la date de cessation des paiements ou au cours de la période suspecte et se trouve ainsi exposé par l’article 107 à l’annulation. Et si régulièrement admise à la procédure, la créance n’y est pas payée à la clôture, elle subira la purge prévue par la loi de la faillite (quoique, mais c’est l’effet

(69) V. G. Khairallah, « Les faillites concurrentes », Trav. Com. fr. dr. int. pr., 1993-1995, 157, spéc. p. 163 (revivifiant

l’idée de « gage spécial » autrefois évoquée par Pic : DP 1914, 1, p. 186) et p. 169. (70) V., sous Cass. com. 19 mars 1979, les notes de Y. Guyon : Rev. sociétés 1979, p. 567 et P. Lagarde : Rev. crit.

1981, p. 524 et J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 48. (71) M.-N. Jobard-Bachellier, Quelques observations sur le domaine d’application de la loi de la faillite : DPCI 1995,

4, spéc. p. 12.

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du cloisonnement institutionnel, tout espoir de recouvrement ne soit pas perdu si le débiteur a des biens saisissables en un pays étranger où la faillite n’a pas été reconnue (72)).

15.- S’agissant des privilèges dont bénéficient certaines créances, il y a lieu de distinguer, de manière analogue, l’octroi et l’exercice du droit. Généralement fondé sur la qualité de la créance, l’attribution du droit de préférence dépend de la loi gouvernant celle-ci ; quant à l’exercice de cette préférence, n’ayant de sens que dans le cadre de l’exécution de la dette, il relève de la loi de cette exécution, c’est-à-dire ici de la lex concursus. Comme l’expriment Batiffol et Lagarde (73), « Une répartition, quelque ordre qu’elle suive, suppose un plan qui ne peut être qu’unique. Et puisqu’il s’agit d’un ordre des opérations la loi de la procédure paraît compétente comme telle. On en déduira que les privilèges seront régis en cas de faillite par la loi du lieu d’ouverture de la faillite ».

16.- Cependant, ici deux observations doivent être faites. En premier lieu, les privilèges forment des exceptions ; ils ne sont admis à perturber la distribution en principe égalitaire que s’ils sont expressément établis par un texte, que s’ils figurent dans la liste des dérogations. Cette liste que fixe la lex concursus va alors fonctionner comme un filtre et éliminer tous les privilèges accordés par des lois étrangères qui ne trouvent pas leur exact correspondant sur l’échelle du droit français de la faillite.

En second lieu, plus radicale encore est la réaction à l’endroit des privilèges assortissant les obligations dont le débiteur est tenu envers un État étranger en vertu de la législation fiscale, pénale, douanière, etc. de celui-ci. Bien sûr, ces privilèges dont bénéficie l’État étranger ne figurent pas sur la nomenclature de la loi française qui, en fait de « créances publique », n’a envisagé que celles dont l’État français est titulaire ; surtout, ces créances publiques étrangères et les privilèges qui en sont l’accessoire ne peuvent être exercés en France en raison des « principes du droit international régissant les relations entre États », d’après lesquels « dans la mesure où du point de vue de la loi du for, leur objet est lié à l’exercice de la puissance publique, les demandes d’un État étranger fondées sur des dispositions de droit public ne peuvent être portées devant les juridictions françaises » (74) ; à cet égard le fait que le débiteur soit en faillite ne change rien ; le tribunal français n’est pas un surnuméraire de l’administration étrangère. Mais il faut noter que le motif de la Cour de cassation, à l’instant rappelé, laisse de coté les créances étrangères de sécurité sociale, lorsque du moins, « du point de vue de la loi du for » française, elles ne sont pas des créances publiques et donc peuvent être déclarées dans une procédure ouverte en France ; en revanche, le privilège, qui éventuellement les assortit, sera inopérant dans la faillite française faute de prendre place dans la liste arrêtée, la liste fermée de la loi française qui n’a consenti la préférence qu’intuitu personae aux organismes du recouvrement des cotisations sociales exigées en vertu de la législation française de protection sociale (75).

17.- C’est pratiquement le même schéma qui, d’après la jurisprudence française, fixe le sort un peu moins rigoureux des garanties réelles.

(72) V. inclinant en ce sens, M.-N. Jobard-Bachellier, op. cit., p. 11. (73) Traité, t. 2, n° 540, p. 215. (74) Cass. 1re civ., 2 mai 1990, Rép du Guatemala : Rev. crit. 1991, p. 378, note B. Audit, JDJ 1991. 137 et

chr. Dehaussy, p. 109, Grands arrêts dr. int. pr., n° 74 ; v. F.-A. Mann, L’exécution internationale des droits publics : Rev. crit. 1988, p. 1.

(75) V. Cass. soc. 29 mars 1973 : Rev. crit. 1974, p. 86, note R. Jambu-Merlin.

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Par exemple, s’agissant de la clause de réserve de propriété, il paraît établi que celle-ci, bien sûr, doit d’abord être valable et opposable ; la validité obéit à la loi du contrat de vente stipulant la clause et l’opposabilité aux tiers est organisée par la loi réelle de la situation du bien (76). Mais cette clause de réserve doit aussi, pour que le créancier propriétaire puisse revendiquer le bien dans la faillite, satisfaire aux conditions de l’article 121 de la loi de 1985, lorsque la loi française est lex concursus (77). Il semble qu’on puisse tenir le même raisonnement lorsqu’il s’agit des sûretés réelles (78).

18.- Cependant, il y a souvent une difficulté supplémentaire et pour ainsi dire intercalaire, qui concerne les droits portant sur des choses mobilières corporelles : le conflit mobile, né du déplacement du bien d’un pays à un autre ; la dualité des lieux de situation conduit à désigner successivement deux lois. Cette concurrence est réglée par la formule de l’arrêt Kantoor de mas (79) : « La loi française est seule applicable aux droits réels dont sont l’objet les biens mobiliers situés en France ». Ce motif, qui exclut la loi du lieu de situation primitif, est fatal à tout droit réel acquis sur un meuble à l’étranger selon une loi étrangère et qui n'est pas au gabarit du droit français, qui n’est pas susceptible d’être transposé dans la nomenclature française des droits réels, alors que le bien sur lequel il porte est introduit en France. Cette solution du conflit mobile élève ainsi un obstacle préalable à l’exercice de la sûreté dans la faillite française.

Mais, même à supposer qu’il s’intègre sans difficulté dans le numerus clausus français, le droit réel acquis selon la loi étrangère et, en quelque sorte naturalisé, ne pourra être exercé dans la faillite française que dans les termes que fixe la loi française (80). Le système est toujours le même ; la loi de la faillite vient coiffer la loi propre du droit du créancier. À la vérité, cela ne surprend pas puisque cela correspond au fond à la réaction du droit interne où les dispositions relatives à l’insolvabilité se surajoutent à celles qui régissent les rapports entre le débiteur et les créanciers – étant entendu qu’en cas de désaccord, les dispositions propres à la faillite, édictées pour cette circonstance particulière qu’est la cessation des paiements, l’emportent sur les dispositions du droit commun. La vis attractiva du droit des procédures collectives agit sur le plan international comme sur le plan interne.

(76) P. Mayer, Les conflits de lois en matière de réserve de propriété après la loi du 12 mai 1980 : JCP éd. G 1981, I,

3019 ; Y. Loussouarn, Les conflits de lois en matière de réserve de propriété, Trav. Com. fr. dr. int. pr., 1982-1983, p. 91 sq. ; G. Khairallah, Les sûretés mobilières en droit international privé, p. 254 sq., N. Pimblis, thèse précitée.

(77) Cass. com. 8 mars 1988, Soc. Otto Sauer Achsenfabrik, inédit, cité par J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 83 ; Cass. 1re civ. 8 janv. 1991, Soc. Heinrich Otto : D. 1991, p. 276, note J.-P. Rémery, JDI 1991, p. 991, note A. Jacquemont.

(78) V. N. Pimblis, thèse précitée, p. 281 sq. (79) Cass. req. 24 mai 1933 : S. 1935, 1, p. 253, note H. Batiffol ; Rev. crit. 1934, p. 142, note J.-P. N. ; v. aussi

Cass. 1re civ. 8 juil. 1969 : Rev. crit. 1971, p. 75, note P. Fouchard, JDI 1970, p. 916, note J. Derruppé, JCP éd. G 1970, II, 16182, note H. Gaudemet-Tallon, Grands arrêts, n° 48 ; Cass. 1re civ. 3 mai 1973, Nederlandsche Middenstands Financierings Bank NV : Rev. crit. 1974, p. 100, note E. Mezger, JDI 1975, p. 74, note Ph. Fouchard, Rec. gén. Lois, 1974, p. 453, obs. G. Droz.

(80) Parfois présenté comme contraire à cette jurisprudence, l’arrêt Localease, Cass. com. 11 mai 1982 : Rev. crit. 1983, p. 450, note G. Khairallah, traite en réalité de la revendication exercée par un crédit-bailleur allemand contre la faillite d’une entreprise française ayant pris le matériel financé en sous-location auprès du crédit-preneur qui l’a introduit en France, et n’exige pas dès lors qu’ait été respectée la publicité prévue pour le crédit-bail par la loi française de la faillite ; v. les remarques de M. Rémery, La faillite internationale, op. cit., p. 81 et de Mme Jobard-Bachellier, art. préc. eod. loc.

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19.- Ces solutions ne sont pourtant pas admises unanimement. C’est ce que montre très bien la Convention de l’Union européenne du 23 novembre 1995 ; par exemple son article 7 soustrait à la loi de la faillite les droits du vendeur sur la chose vendue, en cas de réserve de propriété, lorsque le bien se trouve au moment de l’ouverture de la procédure sur le territoire d’un État contractant autre que l’État d’ouverture et l’article 5 adopte la même solution au détriment de la lex concursus en faveur des sûretés réelles.

L’orientation est très différente et ramène vers l’idée de crédit public territorialisé. Mais cette territorialisation ne repose plus sur la solvabilité apparente qui voudrait que l’on se fie naïvement à ce que l’on voit là où on le voit. Cette territorialisation repose sur le caractère national de l’organisation de la circulation des biens et de la réglementation des sûretés et privilèges, par lesquelles chaque État soutient et protège le crédit public.

Par exemple si le vendeur sous réserve de propriété faisait confiance à la loi allemande de la situation du bien vendu au moment de l’ouverture de la procédure, imposer l’application de la loi française de la faillite produirait le même effet ravageur que le transfert sur le territoire français du bien vendu (81). Au contraire, la stabilité du régime de la garantie conforte la confiance du créancier et, si le régime varie d’un État à l’autre, il faut alors maintenir les droits du créancier sous la loi de l’État qui a créé la confiance sur laquelle le crédit a été consenti ou conservé au débiteur. C’est évidemment une bonne façon de faire que la garantie reste une garantie. Mais c’est aussi préférer le crédit public à la discipline collective et au fond à l’égalité des créanciers. Ce n’est pas cette hiérarchie que consacre le droit international privé français des procédures collectives. On se souvient en effet de la considération qu’il marque pour le principe de l’égalité des créanciers.

20.- Cependant, pour apprécier à sa juste mesure le contraste entre la solution conventionnelle et la position de la jurisprudence française, il convient de rappeler aussi que celle-ci manie avec une grande dextérité les mécanismes du conflit de lois et notamment, à l’égard des sûretés et privilèges, celui de la transposition qui lui permet de filtrer et, par conséquent, d’éliminer les préférences concédées en application de lois étrangères ; il en résulte que, si la convention institue des isolats réels en plaçant hors procédure les garanties assises sur des biens localisés à l’étranger, et abrite ainsi les créanciers étrangers, le droit international privé français paraît ne promouvoir l’universalité que pour mieux évincer les sûretés étrangères et ainsi raffermir la situation des créanciers locaux... De part et d’autre, l’extraterritorialité de la procédure est contrariée, mais ici par une interdiction d’exporter (isolat réel) et là par une fermeture aux importations (entrave technique, filtrage). D’une manière comme de l’autre, l’universalité comme le principe d’égalité des créanciers sont malmenés.

II - Faillite étrangère

21.- Dans le cas où un tribunal étranger a ouvert une procédure collective, la participation des créanciers est normalement réglée par la loi de ce tribunal en tant qu’elle gouverne précisément la procédure. C’est donc celle-ci qui déterminera qui peut ou doit prendre l’initiative de demander l’ouverture, et à quelles conditions et contre qui. C’est elle qui déterminera dans

(81) V. supra, n° 18.

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quelle mesure il y a suspension des poursuites individuelles, si la compensation reste possible, comment peuvent s’exercer les droits tirés des garanties réelles, etc.

Il faudra alors éventuellement prendre garde aux « préférences locales » que peut prévoir la loi étrangère, dont le jeu pourrait exclure les créanciers non résidents ou ayant traité à l’étranger... Il est vrai que le plus souvent ces préférences locales opèrent lors de la phase de la distribution des dividendes plutôt que lors de celle de l’enclenchement de la procédure... Mais ce n’est pas une règle absolue.

Cependant à la vérité tout ceci échappe au droit international privé français, ou du moins n’en relève pas directement.

En revanche, indirectement, le droit international privé français a son mot à dire, lorsqu’on envisage les effets que peut produire en France le jugement étranger.

Ces effets affecteront les droits des créanciers en France selon ce que commande la lex concursus étrangère, pour autant du moins que la décision étrangère soit conforme aux conditions de reconnaissance et d’exécution des jugements ; mais ces conditions composent un régime juridique tel qu’inéluctablement, au risque de l’égalité des droits des créanciers, se profile l’éventualité d’une pluralité de faillites.

A) Le régime d’efficacité des jugements étrangers de faillites

22.- Ce régime distingue : il y a des effets bénins, attachés en France de plano par le jugement étranger, il y a des effets plus lourds qui ne s’obtiennent qu’avec l’exequatur du jugement étranger.

À défaut d’exequatur, le jugement de faillite prononcé à l’étranger bénéficie de plein droit d’une reconnaissance en France extrêmement limitée. Il s’agit exclusivement de la reconnaissance de la qualité du mandataire nommé par le tribunal étranger de la faillite. Et cette reconnaissance même est, si l’on peut dire, abstraite car elle ne permet pas au mandataire d’exercer en France les attributions qu’il tient du juge étranger pour exécuter sa mission à l’égard des biens et des activités du débiteur.

Le mandataire reconnu de plano n’a que trois prérogatives : demander en France des mesures conservatoires (effet de titre), saisir un tribunal français pour obtenir l’exequatur du jugement étranger de faillite qui l’a nommé (82) et aussi demander l’ouverture d’une procédure en France s’il y a une compétence française et si celle-ci est utile à l’accomplissement de sa mission.

23.- Avant que ne soit accordé l’exequatur, le débiteur n’est pas atteint par le jugement étranger en France, il est considéré in bonis en ce pays car le dessaisissement réalisant la saisie collective n’a de portée qu’à l’intérieur du périmètre dans lequel l’ordre juridique qui l’ordonne a compétence pour y contraindre.

(82) V. J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 58 ; H. Synvet, op. cit., n° 83. La solution n’interdit pas au débiteur

de former la demande : v. Société Lafarge, Cass. 1re civ., 17 mai 1983 : Rev. crit. 1985, p. 346, note B. Ancel.

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Les droits des créanciers sont aussi intacts : il n’y a pas suspension des poursuites individuelles et la compensation légale peut opérer aussi longtemps que le jugement d’ouverture étranger n’a pas reçu l’exequatur (83). L’effet inhibitoire de la procédure étrangère est neutralisé. Mais si le créancier songe alors à profiter de l’absence d’exequatur et donc de l’inefficacité à son endroit de la faillite étrangère pour se mettre en quelque sorte à couvert, en demandant par exemple au tribunal français du lieu de situation d’un immeuble du débiteur l’inscription provisoire d’une hypothèque judiciaire, il faut tout de même qu’il sache que la sûreté obtenue dans ces conditions, après le jugement d’ouverture étranger et avant son exequatur en France, est fragile. Ainsi en fut-il décidé dans l’affaire célèbre de la Société Kléber : obtenue par un créancier sur un immeuble français du débiteur danois alors que la faillite avait été déclarée par le for principal au Danemark, la sûreté judiciaire est jugée inopposable et son efficacité ainsi réduite à néant rétroactivement en conformité de la loi danoise, dès lors que le jugement du Tribunal commercial et maritime de Copenhague qui mettait celle-ci en œuvre avait reçu l’exequatur (84). La solution ne s’appliquerait cependant, nous dit la Cour de cassation, qu’à certains effets de la faillite étrangère. Mais cette prudence sélective (85) ne l’a pas retenue d’imposer en la cause le respect de l’égalité des créanciers et il est à penser que les effets qui tendent à protéger ou promouvoir ce principe seront assez libéralement reconnus en France.

Aussi bien plutôt que manœuvrer en solo et spéculer sur les chances que la jurisprudence laisse d’échapper à ce principe d’égalité, le créancier qui n’a pas d’intérêt à demeurer indéfiniment dans une situation d’incertitude inclinera sans doute à saisir lui-même le juge français d’une demande d’exequatur comme il en a, semble-t-il, la possibilité (86).

24.- Les conditions de l’exequatur sont celles du droit commun : compétence du tribunal étranger (ce qui ne fait pas difficulté si la décision émane du tribunal du siège), conformité de la loi appliquée au règlement français de conflit de lois (mais minime est le risque de l’application par l’autorité étrangère d’une loi autre que la sienne), respect des droits de la défense (lorsque la décision est contentieuse), absence de fraude et conformité à l’ordre public. Cette dernière condition retient un peu plus l’attention ; c’est qu’elle n’est pas dénuée d’ambiguïté et qu’en cela elle suggère assez précisément les tensions que l’organisation de la procédure collective doit maîtriser et qui naissent de l’implication de l’autorité publique garante du caractère global et forcé du traitement de la situation d’insolvabilité engageant en première ligne les intérêts privés du débiteur et de ses créanciers. Aussi, d’un côté, comme il a déjà été rappelé, la Cour de cassation juge que « le principe de l’égalité des créanciers [...] est à la fois d’ordre public interne et international » (87) et de l’autre, elle incorpore à la même notion d’ordre public l’hypothèse de l’inconciliabilité de la décision étrangère avec un jugement français d’ouverture prononcé avant la demande d’exequatur (et peut-être même inconciliabilité avec une simple demande d’ouverture portée devant un tribunal français, par extension de la jurisprudence

(83) Faillite Richer, Cass. civ. 26 juin 1905 : DP 1905, 1, p. 513, concl. Baudouin, note E. Thaller ; S. 1905, 1, p. 433,

note C. Lyon-Caen ; JDI 1905, p. 1014, concl. Baudouin ; et a contrario, en l’état de la convention franco-italienne, Cass. 1re civ. 6 juin 1990, Anger : D. 1991, p. 137, note J.-P. Rémery, Rev. crit. 1993, p. 425, note M.-N. Jobard-Bachellier.

(84) Soc. Kléber, Cass. 1re civ. 25 fév. 1986 : Rev. crit. 1987, p. 589, note H. Synvet ; JDI 1988, p. 425, note A. Jacquemont ; JCP éd. G 1987, II, 20 776, note J.-P. Rémery.

(85) Sur laquelle, v. H. Synvet, note précitée ; N. Pimblis, thèse précitée, p. 457 sq. (86) H. Synvet, op. cit., n° 83. (87) V. supra, note 6, les arrêts cités.

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Negrotto (88)). Cette solution, qui n’a d’utilité que face à une décision étrangère ayant vocation à l’universalité, c’est-à-dire émanant du for principal (89), défend une faillite locale française et vient ainsi consacrer la pluralité des procédures (90) : coexisteront une procédure française et une procédure étrangère. Autrement dit, l’ordre public associe le moteur de l’universalité-unité à un facteur de pluralité-territorialité.

Mais dans le domaine des idées, il n’est d’antinomie que l’esprit humain ne se propose de surmonter et la jurisprudence s’accommode donc de l’hypothèse des faillites concurrentes – sans pourtant être en mesure de parvenir à une résolution pratique pleinement satisfaisante.

B) Les faillites concurrentes

25.- Dans ce cas de figure se développent deux procédures parallèles, avec deux séries d’organes chacun travaillant de son côté, généralement à l’intérieur de périmètres distincts (à la vérité circonscrits de manière empirique à partir des champs d’efficacité de plano des décisions les investissant de leur fonction (91)) et il est admis que les créanciers pourront alors produire aux deux procédures (92).

Mais évidemment, dans le cas heureux où la réalisation des actifs permet de désintéresser les créanciers, le principe d’égalité est alors en danger, certains, mieux informés ou mieux organisés, recevant deux fois tandis que d’autres, plus discrets ou trop éloignés de l’un des fors, ne sont appelés qu’à une seule distribution – sans qu’au-delà des contingences se laisse discerner une véritable cause de préférence entre les deux groupes. C’est pourquoi, défiant les postulats de la géométrie classique, la jurisprudence tente de faire se rejoindre les deux procédures parallèles. Mais on se doute bien qu’en l’absence de hiérarchie entre les procédures, la chose n’est pas simple, ni assurée du succès.

26.- La jurisprudence a ici expérimenté des techniques du droit des successions, précisément parce qu’elles ont été conçues pour assurer une parfaite égalité entre cohéritiers. C’est ainsi qu’elle a utilisé le rapport : le créancier n’est admis à participer à la distribution de la faillite B qu’à charge de rapporter le dividende perçu de la faillite A ; la déduction était autrefois effective, c’était le rapport à la masse des sommes mêmes qui avaient été encaissées (93) comme il était pratiqué en Angleterre avec la règle du hochepot (Hochpot Rule) ; elle serait

(88) Cass. civ. 10 mars 1914, Negrotto : DP 1914, 1, p. 137, note J. Valéry ; Rev. dr. int. 1914, p. 149. (89) C’était le cas dans l’affaire BCCI, tranchée par l’arrêt de la Cour de cassation du 11 avril 1995 précité. Émané

d’un for subsidiaire étranger, le jugement de faillite, si la demande d’exequatur n’est pas jugée irrecevable, achoppera sans doute avant de rencontrer l’ordre public sur la condition de compétence indirecte : dans son libéralisme, la jurisprudence Simitch pourrait ne pas aller jusqu’à légitimer le for de l’établissement, juste bon à produire une faillite territoriale sans vocation à l’exportation.

(90) V. nettement en ce sens, H. Muir Watt, La réalisation de l’actif en cas de procédures parallèles de faillite : les pouvoirs du syndic étranger de la procédure principale à l’épreuve du droit français des effets des jugements : DPCI 1994, p. 541, spéc. p. 546, n° 7.

(91) Sur cette question, de manière plus détaillée et argumentée, v. H. Muir Watt, art. précité. (92) Cass. com. 11 mars 1913, Faillite Nebel, précité supra, note 13 ; 19 janvier 1988, BCT Computer, et 14 mai

1996, BCCI, précités eod. loc. (93) Paris 22 juil. 1929, Banque Russo-Asiatique : Rev. dr. int., 1930, p. 108, concl. Sevestre, note Valensi ; v. aussi

Trib. com. Seine, 24 déc. 1883, Journ. faillites 1884, p. 202 ; Montpellier 12 juin 1884, Puig et Valls : JDI 1885, p. 85, et 8 août 1884 : Journ. faillites 1884, p. 527.

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aujourd’hui plus probablement comptable, c’est le rapport en moins prenant ou le marshalling, qui conserve la faveur des tribunaux américains (94).

Mais le rapport a des limites bien connues : par exemple, si l’actif net dégagé de la faillite B, augmenté par l’effet du rapport de la valeur des dividendes reçus dans la faillite A par les créanciers ayant produit dans les deux procédures ne devait permettre à la faillite B de fournir qu’un dividende inférieur à celui attribué par la faillite A, les créanciers de celle-ci s’éloigneront de la faillite B de manière à ne pas financer l’amélioration de la situation des créanciers de la faillite B ; ils renonceront à un second dividende qui ne pourrait que diminuer le premier. En vérité, pour que les mécanismes de consolidation aux fins compensatoires assurent l’égalité des créanciers, il faut établir une véritable coordination qui rétablisse l’unité de la procédure en dépit de la pluralité des instances principales et subsidiaires et qui garantisse véritablement l’universalité tant à l’égard des dettes qu’à l’égard des biens. C’est ce que voudraient offrir les projets de conventions européennes avec leur modèle d’administration décentralisée de l’insolvabilité internationale. Ce n’est pas encore le droit positif, et il est douteux que, si préoccupé soit-elle d’égalité des créanciers, la jurisprudence d’un État parvienne unilatéralement à vaincre les résistances qu’oppose l’implication de l’autorité publique dans le traitement international du surendettement des agents économiques.

La reconnaissance et l’exécution des jugements en matière de faillite – les solutions proposées par l’Union européenne et les Nations Unies

M. Jean-Luc VALLENS, Magistrat

Les problèmes évoqués aujourd’hui peuvent être présentés au regard de deux instruments de droit international, adoptés en matière de faillites : la Convention européenne relative aux procédures d’insolvabilité (ci-après : « la convention ») signée en 1995 par 14 des 15 États membres de l’Union européenne, mais non encore ratifiée (95) ; et la loi-modèle sur l’insolvabilité internationale (ci-après : la loi-modèle), adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1997, mais non encore transcrite dans les droits nationaux des États membres (96).

Ces deux instruments ont en commun d’être encore inapplicables, mais ils diffèrent, par leur nature : la Convention est (sera) un traité impératif liant les États membres de l’Union européenne qui l’auront ratifiée, alors que la loi-modèle a vocation à être modifiée et incorporée dans le droit interne des États membres des Nations-Unies qui le souhaiteront. Enfin, entre ces

(94) V. N. Pimblis, thèse précitée, p. 702 sq. (95) Sur la Convention européenne de 1995, v. E. Kerckhove, La Convention européenne relative aux procédures

d’insolvabilité : Rev. proc. coll. 1996, n° 3, p. 277 et J.-L; Vallens, Le droit européen de la faillite : premiers commentaires de la convention européenne relative aux procédures d’insolvabilité : D. 1995,chr., p. 307 et Le droit européen de la faillite : la Convention relative aux procédures d’insolvabilité : Act Lég. Dalloz 1995, p. 217.

(96) Sur la loi-modèle de la CNUDCI, v. J.-L. Vallens, La loi-type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale : D. 1998, chr., p. 157.

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deux instruments, il faut souligner que la Convention prévaudra sur les dispositions de la loi-modèle, dans les rapports entre la France et ses partenaires de l’Union européenne (97).

Pour évoquer les réponses proposées par la Convention et la loi-modèle, nous examinerons trois des questions abordées aujourd’hui : les sûretés, les groupes de sociétés et les responsabilités encourues en cas d’insolvabilité.

I – Les sûretés

Le droit des sûretés, essentiellement territorial, est peu propice à une efficacité internationale : par exemple, l’exequatur d’un jugement de faillite est nécessaire pour contester une sûreté prise, pendant la période suspecte, sur un bien situé dans un autre État que celui où la faillite a été ouverte ; de même, les privilèges invoqués par un créancier ne sont pas reconnus comme privilèges dans une faillite étrangère ; ou encore, l’opposabilité d’une sûreté reste régie par la loi de la faillite, même si elle a été valablement établie selon une autre loi ; de même enfin, certaines sûretés sont connues dans un État et ignorées des droits étrangers, telles les charges flottantes du droit britannique...

A) La Convention a adopté à cet égard plusieurs règles, représentant un compromis entre la théorie de l’universalité de la faillite et celle de la territorialité de chaque procédure : la loi de la faillite est celle de l’État d’ouverture de la procédure. Elle régit notamment les règles de distribution du produit de la réalisation des biens, et les effets de la procédure principale se voient reconnus, de jure, dans les autres États membres (98). Mais il est dérogé à ces principes sur plusieurs points : l’ouverture de la procédure collective n’affecte pas les droits réels sur des biens situés à l’étranger, ni les droits fondés sur une réserve de propriété, lorsque les biens concernés se trouvent à l’étranger. Quant aux biens immobiliers, soumis à publicité, les effets de la procédure collective sont régis par la loi de l’État où cette publicité est assurée, généralement le lien de situation des biens (99).

En outre, si la décision d’ouverture bénéficie, sous ces réserves, d’une reconnaissance immédiate dans les autres États membres, les diverses autres décisions rendues dans la procédure collective sont reconnues et exécutées, selon la procédure simplifiée d’exequatur prévue par la Convention générale du 27 septembre 1968 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires (100) ; ce qui comble le vide laissé par cette convention, qui excluait de son champ d’application les faillites, les concordats et les procédures analogues (101).

Enfin la convention reconnaît le droit de tout créancier de produire sa créance dans toute procédure collective, en visant expressément les organismes sociaux et les administrations fiscales (102).

(97) Loi-modèle CNUDCI, art. 3. (98) Conv. europ. de 1995, art. 4, 28 et 16. (99) Conv. europ. de 1995, art. 5 à 11. (100) Conv. europ. de 1995, art. 25. (101) Conv. de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. I. (102) Conv. europ. de 1995, art. 32 et 39.

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B) La loi-modèle a également adopté plusieurs principes, s’imposant, sous réserve d’adaptation, aux États qui incorporeront ses dispositions dans leurs législations.

Le droit de produire sa créance, qui vient d’être évoqué, est reconnu à tout créancier, y compris ceux résidant à l’étranger, mais la question des rangs de priorité établis par la loi locale est expressément réservée : tout au plus, la loi-modèle invite-t-elle les États à préciser le rang qui sera reconnu aux créances « étrangères », ce qui est une clarification souhaitable pour les créanciers (103). La loi-modèle prescrit par ailleurs l’obligation d’informer tous les créanciers résidant à l’étranger des modalités de production, notamment en ce qui concerne les créances assorties de sûretés (104).

Mais l’apport principal de la loi-modèle est dans l’énumération des conditions et des effets de la reconnaissance d’une procédure collective étrangère : elle précise d’abord les mesures provisoires que le syndic étranger pourra demander ; elle énonce ensuite les effets automatiques de la reconnaissance de la procédure étrangère (l’arrêt des poursuites individuelles et l’interdiction de disposer de ses biens, faite au débiteur) ; elle énumère en outre les mesures complémentaires susceptibles d’être accordées au syndic étranger, tout en réservant par une clause générale les droits des créanciers locaux et l’ordre public de l’État de reconnaissance (105).

Enfin, la loi-modèle prévoit une règle d’égalité de traitement des créanciers, selon laquelle un créancier partiellement payé dans une procédure étrangère ne pourrait être désintéressé, dans l’État ayant adopté la loi-modèle, tant que les autres créanciers « de même rang » n’auront pas reçu un pourcentage équivalent : cette règle, qui reflète la théorie ancienne du rapport, est cependant affirmée « sous réserve des droits des créanciers titulaires de sûretés ou de droits réels », ce qui sauvegarde l’efficacité des garanties prises par les créanciers (106).

II – Les groupes de sociétés

Le droit des groupes reste mal défini, et inégalement réglementé. Peu de pays ont adopté des dispositions organisant les relations entre sociétés d’un même groupe et l’Union européenne n’a pu établir des règles communautaires que dans quelques domaines comme la comptabilité consolidée des groupes ou la représentation des salariés... La coexistence de personnes morales différentes, ayant des patrimoines distincts et des règles de fonctionnement et de dissolution particulières, ajoute à la difficulté d’élaborer un droit des groupes au niveau européen.

A) Rien d’étonnant donc si la Convention n’a pas traité expressément de l’insolvabilité des groupes : la Convention aborde et règle les effets intra-communautaires de la faillite « d’un débiteur », c’est-à-dire de toute personne, physique ou morale, dont l’insolvabilité est constatée dans un État déterminé. Quant aux règles de reconnaissance et d’insolvabilité, elles s’appliquent aux décisions d’ouverture et aux décisions prises dans le cadre d’une procédure ouverte contre la société d’un groupe international sans effet direct sur la situation juridique des

(103) Loi-modèle CNUDCI, art. 13. (104) Loi-modèle CNUDCI, art. 14. (105) Loi-modèle CNUDCI, art. 15 et sq., 6 et 22. (106) Loi-modèle CNUDCI, art. 32.

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autres sociétés du même groupe, alors même que celles-ci peuvent être elles-mêmes sous le coup d’autres procédures collectives, et qu’une solution globale pourrait être élaborée (107).

Mais si la procédure collective ouverte dans un État contre une société fait l’objet d’une décision d’extension contre une autre société, du même État ou d’un autre État de l’Union européenne, cette décision pourra être reconnue et exécutée, contre la société étrangère visée, dans les conditions de l’exequatur simplifié de la Convention générale de 1968, à laquelle la convention renvoie. Deux conditions seront requises : que le centre des intérêts principaux de la société visée soit dans l’État où la décision est rendue, et que la mesure d’extension ne heurte pas de façon manifeste l’ordre public de l’État de reconnaissance. Il en résulte que l’extension de la procédure d’insolvabilité sera possible s’il est démontré que la société visée était dirigée en réalité dans l’État où la procédure initiale avait été ouverte.

B) La loi-modèle pour sa part n’aborde pas non plus la question des groupes de sociétés, son objectif ayant été volontairement limité à proposer des règles de reconnaissance des décisions étrangères en matière d’insolvabilité et des règles minimales de coopération judiciaire, pour faciliter l’exécution des jugements étrangers sur les biens d’un débiteur localisés dans d’autres États. Mais, dès lors qu’une décision serait rendue dans un État, à l’encontre d’une société dépendant du même groupe qu’une société déjà mise en faillite dans cet État, la décision rendue pourrait bénéficier de la reconnaissance dans les États où la société visée posséderait des biens. De même, en cas de pluralité de procédures contre un même débiteur, la coopération judiciaire se trouve encadrée par les règles de la loi-modèle.

III – Les responsabilités

Les actions en responsabilité, engagées contre un créancier ou un dirigeant social, comme les actions dirigées contre les administrateurs et liquidateurs d’une entreprise insolvable ont pour particularités d’être distinctes des procédures collectives proprement dites mais de s’y rattacher, ou, selon l’expression retenue par la CJCE et la Convention de 1995, de « dériver directement » de ces procédures ou de « s’y insérer » (108).

A) La convention prévoit l’application de la procédure d’exequatur instituée par la convention générale de Bruxelles de 1968 pour les actions en responsabilité, sous réserve de règles spécifiques, telle que la compétence internationale de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité et la conformité à l’ordre public de l’État où l’exécution est demandée.

Ce renvoi aux règles de l’exequatur simplifié est de nature à faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions prises en matière de responsabilités, aussi bien à l’encontre des créanciers (banques) qu’à l’encontre des dirigeants sociaux (gérants étrangers par exemple). Au-delà, peut-on étendre ces règles aux jugements prononcés par les tribunaux répressifs ? La condamnation d’un dirigeant social pour banqueroute relève incontestablement de la procédure

(107) Si la Convention européenne reconnait le principe des faillites secondaires, ouvertes parallèlement à la

procédure engagée au centre des intérêts principaux du débiteur (procédure principale), cette reconnaissance ne s’applique qu’aux établissements secondaires ou aux succursales, démunies d’une personnalité morale distincte : il s’agit de la reconnaissance de l’unité du patrimoine et non de celle d’une procédure collective ouverte contre un groupe de sociétés.

(108) Conv. europ. de 1995, art. 25.

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collective et la Convention a pris soin de préciser que les règles d’exequatur s’appliqueraient aux décisions découlant de ces procédures, « même si elles sont rendues par une autre juridiction » (109).

B) Quant à la loi-modèle, elle a pour vocation de s’insérer dans le droit national des États qui l’auront adoptée, et ne traite donc pas expressément des questions liées aux responsabilités. Mais la coopération judiciaire encouragée par la CNUDCI peut s’appliquer aisément aux démarches entreprises pour localiser les biens du débiteur ou du dirigeant poursuivi à l’étranger dans le cadre d’une action en responsabilité. De même, la reconnaissance des décisions étrangères pourrait bénéficier aux décisions rendues, à l’occasion d’une procédure d’insolvabilité, contre un créancier jugé responsable de la déconfiture du débiteur failli ou contre un administrateur judiciaire.

Pour conclure, la Convention européenne de 1995 et la loi-modèle de la CNUDCI de 1997 ont toutes deux comme objectif de traiter les effets internationaux de la faillite d’un débiteur ; mais elles contiennent en germe les bases d’une coopération entre les juridictions de plusieurs États pour faciliter l’exécution des décisions rendues dans le cadre d’une procédure collective déterminée. S’il reste difficile de reconnaître l’efficacité internationale des sûretés, la coordination et la coopération judiciaire, ressenties comme une nécessité par les praticiens, se trouvera encouragée par les instruments internationaux, aussi bien pour la gestion coordonnée de la faillite d’un groupe de sociétés, que pour assurer l’efficacité des actions en responsabilité découlant des procédures collectives. Il est à souhaiter que les législateurs prennent conscience de cette nécessité pour faire entrer ces règles dans le droit positif.

OBSERVATIONS CONCLUSIVES

M. le Recteur Jacques BÉGUIN, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Ce colloque fut d’une grande richesse, non seulement en raison de la haute qualité de toutes les interventions qu’il nous fut donné d’entendre, mais parce qu’il sut nous offrir une approche originale du thème qu’il nous proposait. Cette approche, qui nous a donné le sentiment d’une grande cohérence, se caractérise par trois traits.

Ce fut, tout d’abord, une approche globale. Le rapprochement des deux termes d’« endettement » et de « surendettement » conduisait à étudier les deux notions dans un même mouvement. M. le Premier Président Canivet l’a parfaitement mis en lumière dans son intervention : pour des juristes habitués à raisonner en termes de Droit des obligations, cette approche « gestionnaire » introduit une perspective nouvelle. Elle ne place pas, certes, les juristes en terrain tout à fait inconnu. La notion même de patrimoine repose sur le lien qu’établit entre l’actif et le passif le droit de gage général des créanciers. Mais la démarche qui consiste à envisager l’endettement sous un angle global et les procédures d’exécution collective, non sous l’angle processuel, mais sous celui du mode de traitement d’une situation d’ensemble, est tout à fait stimulante.

(109) Conv. europ. de 1995, art. 25.

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Ce colloque s’est caractérisé, en deuxième lieu, par une approche interprofessionnelle. La cohorte des personnalités appelées à l’introduire – après que nous eussions entendu M. Franck, Président de la CCIP, souligner l’importance du colloque – était, en elle-même, tout un programme. Or les voix des avocats (Mme le Bâtonnier de La Garanderie), des juristes d’entreprise (M. le Président Mauduit) et des juristes de banque (M. le Président Crédot) ont été particulièrement convergentes : les professionnels qui interviennent dans les situations d’endettement ou de surendettement des entreprises ne doivent pas agir comme des intervenants isolés, mais comme les membres d’une équipe. C’est l’une des idées fortes du colloque.

Celui-ci s’est caractérisé, en troisième lieu, par une méthode : faire travailler ensemble des juristes et des économistes. C’est la méthode du CREDA. On le voit dans les deux remarquables ouvrages qui publient les recherches sur lesquelles s’est appuyé ce colloque.

Et nous en avons eu une bien plaisante démonstration à travers les deux interventions jumelles du Professeur de Boissieu et du Professeur Chaput. Ils traitaient le même sujet. Chacun sous son angle du vue. Et il était intéressant de noter, dans leurs propos respectifs, tantôt certaines convergences, tantôt certaines différences.

Le Professeur de Boissieu a évoqué les difficultés de définition que pouvaient rencontrer les économistes pour situer : la notion de « surendettement », le rapport entre dettes et capital, entre dettes et fonds propres, etc. Le Professeur Chaput, en écho, a rappelé que les juristes, eux, devaient s’appuyer sur l’article 2092 du Code civil et qu’ils avaient une définition claire du patrimoine.

L’un et l’autre nous ont entretenu de la prolifération des « hybrides ». Et il était amusant de comparer leurs terminologies. L’économiste a une assez grande liberté de définition, notamment pour accueillir les nouvelles techniques. Le juriste est bien obligé de faire entrer les « hybrides » dans des catégories juridiques. Sa fonction n’est pas spéculative. Il doit qualifier. Pour en déduire les effets de Droit.

Le juriste et l’économiste, enfin, se sont rencontrés sur la notion de globalisation de l’endettement et du surendettement, ainsi que sur l’idée que la problématique de leur gestion était indissociable de la question du pouvoir au sein de l’entreprise.

* * *

Le colloque est, ensuite, entré dans le cœur du sujet que je vais résumer sous la forme de deux questions. Que faut-il faire pour ne pas tirer trop tard la sonnette d'alarme ? Et, si le surendettement apparaît, quels sont les meilleurs traitements?

S’agissant de la première interrogation, l’idée forte qui s’est dégagée du colloque est que l’endettement, en soi, est sain. A condition d’être contrôlé. Les juristes connaissent les limites légales. Les gestionnaires évoquent, de leur côté, les limites prudentielles et les ratios de gestion. Tout ce que nous avons entendu nous a permis de comprendre que ces différentes notions ne doivent être ignorées ni par les uns ni par les autres.

Le Professeur Couret, avec une très grande finesse d’analyse, toujours aux confins du Droit et de la finance, nous a montré avec précision l’importance du phénomène du développement

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de l’endettement ainsi que le lien entre ce développement et la question du pouvoir au sein de l’entreprise. Ce développement s’accomplit sans souci excessif des catégories juridiques. Au juriste, ensuite, de jouer son rôle qui s’apparente parfois à celui de « ramasser les morceaux ».

Puis les participants au colloque ont été conviés à s’intéresser, tour à tour, au monde des PME et à celui des grandes entreprises. M. Lécuyer nous a décrit, avec un robuste optimisme, ce qui se passait à l’échelle des PME. Il nous a expliqué que, dans le rapport entre banques et PME, la tendance était de raisonner de plus en plus, non opération par opération, mais en globalisant. On rejoint ainsi le concept global d’endettement. Le banquier travaille alors sur une vision générale de l’endettement de l’entreprise. Mais M. Lécuyer nous a rappelé les exigences du métier de banquier. Cette globalisation ne fait aucunement disparaître l’absolue nécessité de « gérer » cet endettement et de recourir à des ratios pour fixer les limites au-delà desquelles la banque ne peut aller.

M. Mattout s’est placé au niveau des grands groupes de sociétés. Il a parfaitement su nous montrer la spécificité de leurs problèmes. Au plan technique, l’un des sujets centraux, lorsqu’on est en présence d’un groupe de sociétés, est celui de la « localisation du prêt » par rapport à la structure du groupe. Au plan financier, M. Mattout nous a fait mesurer, par une série d’illustrations frappantes, la dimension des périls inhérents à la gestion des grands groupes. Particulièrement intéressante fut sa réponse de « juriste » aux « économistes ». Il nous a clairement dit, avec toute son expérience : « la réponse juridique doit rester juridique ». Il est nécessaire, en particulier, de considérer les personnes morales qui constituent un groupe de sociétés comme des sujets de Droit indépendants (sauf, bien sûr, immixtion ou fraude). Et M. Mattout a rendu hommage à la Cour de cassation qui tient ferme sur ce principe et le rappelle en chaque occasion.

Cela dit, jusqu’où peut-on aller trop loin ? C’est le défi de la gestion de l’endettement. II faut des critères. La loi nous offre la batterie des critères juridiques et de toutes les procédures d’alerte : mission du commissaire aux comptes, prérogatives du comité d’entreprise, etc. Mais le colloque a fait ressortir que le Droit est, ici, d’une portée limitée. On entre dans le champ d’action du gestionnaire. C’est de lui qu’on attend les critères qui doivent conduire à tirer la sonnette d’alarme. Et à ne pas la tirer trop tard.

Le colloque, à cet égard, a offert à ses participants deux exposés tout à fait passionnants. Ce fut, tout d’abord, celui de M. Paget-Blanc qui nous a montré, avec toutes les précisions nécessaires, comment fonctionnaient les « agences de notation ». On y a vu vivre l’endettement. Il y est considéré comme un facteur important. Mais comme un facteur parmi de nombreux autres. En réalité, quand il faut porter un jugement sur la santé d’une entreprise, il est nécessaire d’aller au-delà de l’approche financière. M. Paget-Blanc nous a appris que les méthodes se perfectionnaient sans cesse. Et l’idée nous est venue que le Droit devra sans doute un jour introduire, dans son dispositif, des modes d’évaluation du risque excessif, des concepts qui tiendront davantage compte de l’avancée des méthodes utilisées par les gestionnaires.

Puis le colloque a entendu la Banque de France elle-même. Mme Bardos nous a fait – tout en étant attentive à ne parler que français – une démonstration de « scoring » et, notamment, du score BDFI. Il ressortait bien de son exposé, précis et illustré, que tout ce travail vise à mesurer quelle est la probabilité d’un dépôt de bilan. Il se place donc délibérément dans la perspective des effets juridiques du surendettement.

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C’était l’objet de la deuxième partie du colloque : le traitement du surendettement de l’entreprise. D’entrée de jeu, dans son introduction, M. le Président Bézard a souligné l’importance de l’enjeu. Les techniciens parlent de cessation des paiements, de procédures d’exécution, d’effet de levier. Mais, au-delà de ces sujets techniques, il s’agit, a-t-il souligné, d’un enjeu de santé de l’économie nationale. C’est cet enjeu qui donnait toute sa dimension au colloque que nous venons de vivre.

Deux questions ont retenu l’attention. Que convient-il de faire dans le cadre juridique actuel pour (bien) traiter le surendettement des entreprises ? Que faudrait-il faire pour améliorer le système ?

Les organisateurs, pour poser la première question, avaient réuni une table ronde sur le thème : « Les responsabilités ». Ils entendaient le mot dans son sens noble : comment les responsables des procédures exercent-ils leur mission ? Quelles sont les responsabilités qui leur sont confiées et comment les conçoivent-ils ?

Le Professeur Daigre a parfaitement animé cette table ronde qui nous a permis d'apprendre beaucoup de choses. Le Président Courtière mit en lumière à la fois l’importance et la difficulté du rôle joué par les professionnels appelés à intervenir dans le traitement du surendettement des entreprises. Il a confirmé, en se fondant sur ce qu’il a nommé de « superbes exemples », l’utilité du règlement amiable. Le Professeur Rives-Lange nous a fait part, dans une intervention très éclairante, de son expérience d’avocat et de conseil. Il a eu, en particulier, cette excellente formule : « l'important, c'est de restituer à l'entreprise sa capacité de remboursement à long terme, et non de lui administrer immédiatement un traitement éphémère ». La présence du commissaire aux comptes est toujours indispensable dans ce type de débat. Le Président Leduc nous a livré son expérience. On a, en particulier, relevé sa réflexion personnelle (et ses interrogations) sur le concept d'endettement. Mme Pinot, avec son témoignage, nous a rappelé que le choix français – il en est d'autres en droit comparé – est de conserver à ces procédures un caractère judiciaire. C'est un choix qui n'est aucunement remis en cause et nous en avons entendu la justification.

À travers les différentes interventions des uns ou des autres, nous avons pris une nouvelle fois conscience de ce qu'une équipe de spécialistes ne peut agir efficacement que si chacun joue son rôle d'une manière complémentaire, en apportant sa compétence. Nous avons compris aussi que les diagnostics étaient toujours relatifs et ce, en dépit des perfectionnements des méthodes de notation et de scoring dont nous avions eu la démonstration dans les minutes précédentes.

Et puis nous nous sommes dirigés vers les perspectives « de lege ferenda ». Est-ce que le droit des procédures collectives doit rester le même dans ce pays, ou est-ce qu'il faut aller vers une énième réforme ? La meilleure manière de le savoir était évidemment d'interroger la Chancellerie. Nous avons eu la chance d'avoir M. Douvreleur. J'évoquerai son intervention ultérieurement, parce que, chronologiquement, elle aurait dû intervenir après, mais nous avons eu la chance de le saisir pendant qu'il était disponible.

Une des manières de préparer la réforme est évidemment de regarder ce qui peut se passer dans les pays étrangers. J'en viens ainsi à la deuxième table ronde, excellemment animée par le Conseiller Vallens. Les exposés du Professeur Graaff et de Maître Perry, respectivement sur le droit allemand et sur le droit britannique des procédures collectives, ont

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été suivis avec une attention toute particulière. Il est juste de leur rendre un grand hommage. Exposer dans une langue étrangère des détails aussi techniques relève de la performance. Ce qu'ils nous ont dit était tout à fait passionnant. Nous avons compris par exemple que la réforme allemande avait un grand souci de simplification. Un exemple à suivre. Nous avons compris aussi que les créanciers, qui, dans l'histoire du droit allemand, n'ont jamais été « évacués », conservent une place importante dans la procédure. La France, comme nous le savons, par la loi de 1985, avait fait aller le balancier très loin et avait failli « évacuer » les créanciers. En 1994, ils ont retrouvé une place plus normale dans la procédure et on a renforcé leurs prérogatives. Si une réforme doit être de nouveau réalisée, soyons à l’écoute des exemples allemand et britannique. N’« évacuons » pas, imprudemment, les créanciers. Comme l’a dit l'un des orateurs, on risque d'« évacuer » les créanciers et de ne pas sauver l'entreprise. Il faut, en réalité, mettre en place un traitement qui tienne compte de l'ensemble des intérêts en présence et qui les concilie de manière positive.

Nos collègues allemand et britannique nous ont apporté sur le droit des groupes dans leurs systèmes respectifs toute une série d’éléments très intéressants. Je n’en retiendrai qu’un : le principe de séparation juridique des personnes morales qui composent un groupe de sociétés semble très solide en droit allemand et en droit britannique. Cette observation rejoint tout à fait la jurisprudence de la Cour de cassation et l'analyse de M. Mattout. Les juristes doivent tenir ferme sur cette position. En revanche, s’agissant des responsabilités encourues par les professionnels, les Français ne paraissent pas avoir à envier leurs collègues allemands. Il semble bien que la tendance, outre-Rhin, aille dans le sens de leur accroissement.

Le Professeur Ancel nous a brillamment parlé du droit international. La matière est directement reliée au sujet d'une réforme possible du droit français. En l’état actuel des textes, la Cour de cassation a une position très claire : c'est une position territorialiste. Le Professeur Ancel s’est demandé si le temps ne serait pas venu, à la faveur d'une réforme législative, de s'interroger sur l’opportunité de maintenir (ou non) une territorialité stricte du droit de la faillite.

Et il est vrai que cette territorialité conduit parfois à des résultats étonnants. Dans l'affaire BCT Computer (110), par exemple, l’entreprise a été parallèlement l’objet de deux procédures collectives : la première en Allemagne, la seconde en France. Est-ce l'esprit de la procédure collective ? Est-ce conforme au souci d’un traitement global de la situation de l’entreprise ?

Quel est l’objectif des procédures collectives ? Une situation grave survient. L’appareil judiciaire va prendre vigoureusement en mains cette situation, et déterminer le traitement le mieux approprié : est-ce que l'entreprise est susceptible d'être sauvée ou pas ? Comment peut-on, le mieux possible et le plus correctement possible, payer les créanciers ? Le raisonnement n'a de cohérence que s'il est conduit à l'échelle de l'unité « entreprise ». Il n'a pas de cohérence si on le tient séparément pour quelques éléments d'actifs qui sont accidentellement dans un pays et, de manière indépendante, pour tels autres éléments d'actifs qui sont accidentellement dans un autre. Il pourrait y avoir place, à la faveur d'une réforme, pour une avancée vers un droit qui serait moins strictement territorial. Une réforme législative serait, en tout état, nécessaire car la position territorialiste de la Cour de cassation trouve un appui solide dans les termes mêmes du décret de 1985.

(110) Cass. com. 19 janv. 1988 : Bull. civ. IV, n° 47, D. 1988, p. 565, note J.-P. Rémery.

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Une autre raison d'avancer dans cette direction serait la Convention européenne. le Conseiller Vallens, qui en est l’un des plus grands connaisseurs, était en charge de la présenter au colloque. Cette convention est prête. On peut espérer, à la faveur de la présidence allemande, la voir déboucher. L'avancée européenne pourrait, éventuellement, favoriser une avancée du droit français vers un peu plus d'universalité, Non vers une universalité incontrôlée. Les raisons pour lesquelles le droit des faillites est un droit territorial sont impérieuses : c'est un droit mêlé de fond et de procédure. On ne peut pas demander à un tribunal d'appliquer un droit processuel qui n'est pas le sien. Le caractère territorial de la faillite ne disparaîtra jamais complètement. Mais on pourrait avancer vers une universalité contrôlée, si toutefois il y avait une convergence en ce sens.

Une nouvelle réforme du droit interne des procédures collectives est attendue. Le 14 octobre dernier – et cela mérite d'être souligné – la conférence de presse qui annonçait cette réforme a été donnée par deux ministres : le Garde des Sceaux et le ministre de l’Économie et des Finances, parlant d'une même voix. À la vérité, ce qui est mis en perspective est, d’abord, une réponse aux attentes concernant l'organisation des tribunaux de commerce et des professions d’auxiliaires de la justice commerciale, La réforme des procédures collectives sera présentée « dans la foulée ».

M. Douvreleur a parfaitement résumé ce que les ministres avaient dit. Il a confirmé qu’une réforme est en cours d’élaboration. Elle ira dans le sens de la simplification, puisqu'apparaîtra une liquidation judiciaire simplifiée pour les très petites entreprises. On note également qu'un effort sera fait – c'est tout à fait dans la ligne de ce colloque – sur la qualité et les méthodes de diagnostic qui détermineront le choix de la procédure de redressement. On entourera, d’autre part, les ventes d'actifs d'un certain nombre de précautions. Le processus de réforme est donc entamé. L’importance du droit des procédures collectives est devenue telle que tous les milieux juridiques et économiques vont le suivre avec beaucoup d’attention.

* * *

Ma conclusion sera, tout d’abord, un remerciement à tous ceux qui ont permis à ce colloque d’avoir lieu et à tous ceux qui y ont participé. Ce fut un colloque vivant, fructueux, animé. Et m’adressant à tous ceux qui, par leurs interventions, ont contribué à lui donner cette densité et ce brio, je leur dirai : « Vous nous avez beaucoup apporté. Nous vous devons beaucoup. Nous sommes donc vos débiteurs. Et, cependant, nous ne nous sentons pas du tout « surendettés ». Nous nous sentons enrichis. Et nous vous en sommes vivement reconnaissants ».

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