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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004 21 De la théorie à une enquête méthodologique originale Luc Arrondel, André Masson et Daniel Verger* La théorie standard de l’épargnant – qui suppose une actualisation « exponentielle » des utilités futures jusqu’au terme de l’existence et qui se réfère, en avenir risqué, au critère de l’espérance de l’utilité ne retient que deux paramètres de préférence pour expliquer les comportements patrimoniaux : l’aversion – relative – à l’égard du risque et le taux de dépréciation du futur. L’inadéquation manifeste des prédictions de cette théorie avec l’observation a conduit à l’élaboration de modèles non standard plus réalistes – utilité non espérée, actualisation « hyperbolique », etc. Cependant, ces modèles doivent multiplier les paramètres de préférence indépendants pour pouvoir s’accorder aux données de laboratoire ou d’enquêtes : cette prolifération aboutit, au plan empirique, à une impasse. C’est pourquoi on adopte une voie moyenne qui privilégie encore deux paramètres de préférence « pivots », l’un par rapport au risque, l’autre par rapport au temps, mais dont les définitions s’éloignent du cadre standard. Le paramètre pour le risque caractérisera l’attitude générale à l’égard du risque plutôt que l’aversion proprement dite ; de même, la préférence de long terme pour le présent se verra bordée de deux autres types de paramètres, mesurant l’un l’impatience sur le court terme, l’autre l’altruisme pour sa descendance. Corrélativement, l’approche empirique adoptée s’avère à la fois qualitative et éclectique. Avertis des déboires qu’ont connus les expériences anglo-saxonnes existantes, on propose des mesures purement ordinales des préférences, baptisées « scores », qui synthétisent les réponses de l’enquêté à une multitude de questions le plus souvent concrètes et de toute nature – comportements, opinions, projets, etc. – et couvrant un large éventail de domaines – consommation, santé, travail, gestion financière, famille, retraite, etc. THÉORIE * Luc Arrondel appartient au CNRS et à PSE (ex-Delta), André Masson au CNRS, à l’EHESS et à PSE (ex-Delta), Daniel Verger à l’Unité Méthodes statistiques de l’Insee. Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article. Les auteurs remercient François Bourguignon, Michèle Cohen, Stéfan Lollivier, Jean-Marc Tallon pour leurs remarques et conseils sur des moutures successives de cet article ou lors de séminaires à Paris-Jourdan ou à la Maison des Sciences Économiques (Université de Paris-I). Les commentaires de deux rapporteurs anonymes leur ont également été très utiles.

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Page 1: De la théorie à une enquête méthodologique originale · données de laboratoire ou d’enquêtes : cette prolifération aboutit, au plan empirique, à ... (l’état de la nature,

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004

21

De la théorie à une enquête méthodologique originale

Luc Arrondel, André Masson et Daniel Verger*

La théorie

standard

de l’épargnant – qui suppose une actualisation « exponentielle » desutilités futures jusqu’au terme de l’existence et qui se réfère, en avenir risqué, au critèrede l’espérance de l’utilité

ne retient que deux paramètres de préférence pour expliquerles comportements patrimoniaux : l’aversion – relative – à l’égard du risque et le taux dedépréciation du futur. L’inadéquation manifeste des prédictions de cette théorie avecl’observation a conduit à l’élaboration de modèles

non standard

plus réalistes – utiliténon espérée, actualisation « hyperbolique », etc. Cependant, ces modèles doiventmultiplier les paramètres de préférence indépendants pour pouvoir s’accorder auxdonnées de laboratoire ou d’enquêtes : cette prolifération aboutit, au plan empirique, àune impasse.

C’est pourquoi on adopte une voie moyenne qui privilégie encore deux paramètres depréférence « pivots », l’un par rapport au risque, l’autre par rapport au temps, mais dontles définitions s’éloignent du cadre standard. Le paramètre pour le risque caractérisera

l’attitude

générale à l’égard du risque plutôt que l’aversion proprement dite ; de même,la préférence de long terme pour le présent se verra bordée de deux autres types deparamètres, mesurant l’un l’

impatience

sur le court terme, l’autre l’

altruisme

pour sadescendance.

Corrélativement, l’approche empirique adoptée s’avère à la fois qualitative et éclectique.Avertis des déboires qu’ont connus les expériences anglo-saxonnes existantes, onpropose des mesures purement

ordinales

des préférences, baptisées « scores », quisynthétisent les réponses de l’enquêté à une multitude de questions le plus souventconcrètes et de toute nature – comportements, opinions, projets, etc. – et couvrant unlarge éventail de domaines – consommation, santé, travail, gestion financière, famille,

retraite, etc.

THÉORIE

*

Luc Arrondel appartient au CNRS et à PSE (ex-Delta), André Masson au CNRS, à l’EHESS et à PSE (ex-Delta),Daniel Verger à l’Unité Méthodes statistiques de l’Insee.Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.

Les auteurs remercient François Bourguignon, Michèle Cohen, Stéfan Lollivier, Jean-Marc Tallon pour leurs remarqueset conseils sur des moutures successives de cet article ou lors de séminaires à Paris-Jourdan ou à la Maison des SciencesÉconomiques (Université de Paris-I). Les commentaires de deux rapporteurs anonymes leur ont également été très utiles.

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004

orsque l’on cherche à expliquer la diversitédes comportements patrimoniaux des

ménages par l’hétérogénéité de leurs préféren-ces, une question préalable s’impose :

En matière de préférences, les enseignements dela théorie de l’épargnant se résument-ils vrai-ment à faire dépendre ses choix d’accumulationet de placements financiers de deux paramètres,le degré

d’aversion pour le risque

et le

taux dedépréciation du futur

?

Selon un cheminement dialectique, on peutrépondre successivement :

- dans une première partie, par l’affirmative :c’est effectivement ce que propose la théoriestandard (c’est-à-dire la maximisation de l’uti-lité additive espérée, actualisée à taux constant),définie plus précisément ci-après ;

- puis, dans les trois suivantes, par la négative :l’inadéquation aux faits des prédictions desmodèles standard conduit à proposer des exten-sions – utilité non espérée, incohérence tempo-relle des choix – certes plus réalistes mais quiengendrent une profusion incontrôlable de para-mètres de préférence qu’il faudrait pouvoir esti-mer indépendamment les uns des autres ;

- enfin, dans la dernière partie, plutôt parl’affirmative, mais avec des réserves : en conju-guant parcimonie et réalisme, il est possible,sous certaines conditions, de se ramener à deuxparamètres principaux, relativement proches deceux de la théorie standard, quitte à introduired’autres préférences à l’égard du temps (impa-tience, altruisme).

L’article comprend ainsi deux volets. Le pre-mier constitue essentiellement une analyse criti-que des développements théoriques des modè-les de cycle de vie et de la littérature afférente,concernant l’identification et la mesure des pré-férences individuelles concernées.

Le second souligne, par comparaison, les spéci-ficités de la démarche adoptée et justifie leschoix méthodologiques effectués. On retientainsi un seul paramètre pour le risque, mais cedernier caractérisera

l’attitude

générale àl’égard du risque plutôt que l’aversion propre-ment dite ; de même, la préférence de longterme pour le présent se verra bordée de deuxautres types de paramètres, mesurant l’un

l’impatience

sur le court terme, l’autre

l’altruisme

pour sa descendance. Corrélative-ment, l’approche empirique adoptée s’avère à la

fois qualitative et éclectique. Avertis des déboi-res qu’ont connus les expériences anglo-saxonnes précédentes, on propose des mesurespurement

ordinales

des préférences, fondées surune multiplicité de questions, le plus souventconcrètes, de toute nature et couvrant un largeéventail des domaines de la vie (1).

Ces mesures se présentent sous forme de

scores

,indicateurs synthétiques représentatifs del’ensemble des réponses fournies par l’enquêtéà la série de questions supposées révéler l’uneou l’autre préférence. La multiplicité des inter-prétations possibles de nombre de ces questionscrée, sur ce point, une difficulté : un soin parti-culier a été apporté à la procédure d’affectationde chacune d’entre elles à tel ou tel indicateur –de « risquophobie », d’impatience, de préfé-rence temporelle, ou d’altruisme – ou encore àplusieurs simultanément, sachant que cetteaffectation relève, pour une large part, de déci-sions

a priori

.

La conclusion annonce les résultats prometteursauxquels aboutit cette étude : certes coûteux, ledétour par l’élaboration de scores dérivés demultiples questions hétérogènes s’avère fruc-tueux. Le revers de la médaille est que l’analyseperdrait beaucoup de son intérêt si l’on tentaitun raccourci intempestif, en voulant fonderl’évaluation des préférences sur un nombreminimal d’informations

c’est-à-dire sur quel-ques questions que l’on espérerait judicieuse-ment choisies.

La théorie

standard

de l’épargnant sur le cycle de vie

omment la théorie microéconomique

stan-dard

, représentée par l’hypothèse de cyclede vie, traite-t-elle de l’influence des préféren-ces propres de l’épargnant sur ses comporte-ments d’accumulation et de placement au coursde l’existence ? On qualifie de

standard

les for-malisations, reposant sur des préférenceshomothétiques, qui retiennent comme critères àmaximiser : en situation de certitude, unesomme actualisée, sur la durée de l’existence,des utilités (cardinales) instantanées –critère DU (

discounted utility

) ; en avenir incer-tain, l’espérance de l’utilité – critère EU(

expected utility

).

L

1. Voir le questionnaire méthodologique reproduit à la fin de cedossier.

C

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Encadré 1

COMMENT INTERPRÉTER LES PROPRIÉTÉS

STANDARD

DU COMPORTEMENT D’ÉPARGNE ?

L’hypothèse (i) d’autonomie des préférences de l’épar-gnant fait de ce dernier une « île de souveraineté », unêtre asocial et notamment (ii) « égoïste », c’est-à-direqui ne se préoccupe que de lui-même et pas du sortde ses enfants. Venu de nulle part, cet agent a desgoûts exogènes, qui ne sont soumis à (iii) aucune for-mation d’habitudes ou d’addictions. Pleinementrationnels, ses choix sur le cycle de vie se doiventd’être (iv) temporellement cohérents. Enfin ses préfé-rences sont (v) homothétiques, et donc indépendantesdu niveau de ses ressources.

Historiquement, le caractère autonome et prospectif

(i) et (iii)

du comportement d’épargne s’opposedirectement aux théories du revenu relatif, ou plutôt dela « consommation relative », dont Duesenberry (1949)est le représentant le plus connu : l’épargnant du cyclede vie ne regarde ni sur les côtés, ni derrière lui, maisuniquement devant lui. Il n’y a pas d’effets de démons-tration, d’imitation, ou d’émulation entre semblables,auxquels renvoie la formule connue

keep up with theJoneses

(1) : l’agent est auto-centré, son identité nedépend pas d’autrui, ne se fonde pas sur l’apparte-nance à un groupe de référence plus ou moins res-treint. Les modèles de cycle de vie ignorent égalementla genèse sociale des besoins qui explique l’inertie deshabitudes de consommation et l’existence d’

effets decliquet

asymétriques, selon la hausse ou la baisse desrevenus (2).

Un horizon décisionnel de long terme mais borné parla durée de vie restante (ii) fait que les arbitrages del’épargnant seront d’abord soumis à la

contrainte debudget vital

, qui impose de ne pas dépenser jusqu’à safin plus que ce que l’on possède. En temps continu,dans un monde certain, avec des revenus de travail oude transfert

Y

(

t

)

en

t

supposés exogènes, et des mar-chés des capitaux parfaits

permettant librement leplacement ou l’emprunt au taux d’intérêt

r

, cettecontrainte s’écrit à la date

s

(pour une durée de vie

T

) :

(A)

A

(

s

) désigne l’actif net et

W

(

s

) le montant total desressources disponibles à la date

s

.

Cette hypothèse (ii) est sans doute la plus caractéristi-que et déterminante des modèles de cycle de vie

notamment par rapport à la théorie friedmanienne durevenu permanent. C’est également la plus contestée :l’horizon de vie a été jugé soit

trop

court

pour lesauteurs qui prêtent à l’agent une visée dynastique(Becker, 1991) ; soit au contraire

trop long

pour lesauteurs qui prétendent que le lissage de la consomma-tion n’est que partiel et n’opère que sur le court terme,la consommation épousant d’assez près les variationsplus systématiques du revenu sur le cycle de vie(Deaton, 1992) (3). (1) (2) (3)

La propriété (iv) de cohérence temporelle constitue laréférence naturelle pour juger de la rationalité deschoix

dynamiques

, comme l’existence d’un pré-ordretotal et continu l’est dans un cadre statique. L’agentest censé se représenter à l’avance toutes les consé-quences futures – certaines ou aléatoires – de seschoix successifs

depuis aujourd’hui jusqu’au termede l’horizon (ici

T

) qu’il s’est fixé

, et ne pas changerde système de préférences au cours du temps : cellesqui gouvernent ses choix en

t

sont la restriction, sur lapériode [

t

,

T

], de ses préférences initiales condition-nées, de manière appropriée, par les consommationset autres expériences passées pertinentes (l’état de lanature, les risques encourus et non réalisés, etc.).

1. Expression populaire qui signifie rivaliser de standing avecses voisins (Joneses = les Dupond, les Martin).2. Les théories de la consommation qui empruntent, commele modèle de Duesenberry, à la tradition sociologique, se con-centrent sur la demande des biens qui confèrent un statutsocial

(positional goods)

et sur la structure des dépenses deconsommation à court/moyen terme : l’effet de cliquet traduitune aversion à la perte de statut qui conduit, en cas de baissedes ressources, à conserver provisoirement des biens de« standing », quitte à rogner sur les biens de nécessité. Leshypothèses (i) et (iii) apparaissent d’autant plus acceptablesque l’on envisage des choix relatifs aux montants globaux deconsommation à chaque période du cycle de vie (Modigliani etBrumberg, 1954, pp. 407-408 et 427-428).3. On reproche souvent à l’horizon de cycle de vie d’être à lafois trop court et trop long. Friedman (1957) envisage ainsi unhorizon théoriquement in(dé)fini, admettant l’existence demotifs de transmission, mais adopte en pratique, dans les testsagrégés, une période beaucoup plus courte (de l’ordre de3 ans).

Les propriétés que ces modèles de cycle de vieconfèrent à la fonction d’utilité intertempo-relle,

U

i

, que l’agent

i

, supposé rationnel, estcensé maximiser, permettent en substance dese ramener à

deux

paramètres individuels,

a priori

indépendants : le degré d’aversion– relative – à l’égard du risque, soit encorel’inverse de l’élasticité intertemporelle desubstitution ; et la préférence temporelle pourle présent, qui réduit d’autant l’horizon déci-sionnel de l’épargnant.

Introduisons tout d’abord ces propriétés de lafonction d’utilité qui découlent des caractèresdistinctifs prêtés au comportement de l’épar-gnant du cycle de vie ; elles sont justifiées plusamplement dans l’encadré 1, notamment dansune perspective historique (2).

2. Selon les circonstances, on adoptera librement la formalisa-tion jugée la plus commode, en temps

t

discret ou continu, laconsommation de la période/date

t

étant respectivement notée

C

t

ou

C(t)

.

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Les caractéristiques de base attribuéesau comportement d’épargne

Le postulat préalable propre aux modèles decycle de vie veut que les décisions de consom-mation et d’épargne soient relativement sépara-bles des arbitrages familiaux ou professionnels,voire, dans une moindre mesure, des décisionsd’offre de travail ou d’investissement en capitalhumain. Dans cette optique, la tradition, depuisBöhm-Bawerk et Fisher, fait l’hypothèse sim-plificatrice supplémentaire d’un bien uniqueconsommé au cours du temps, si bien que les

objets de choix peuvent être limités aux volu-mes agrégés de consommation – en termes réels– à chaque période

t

,

C

t

: la structure des dépen-ses de consommation n’intervient pas directe-ment dans la fonction d’utilité. La théorie stan-dard suppose, en outre, qu’il en va de mêmepour le montant ou la composition de la richesse– les actifs patrimoniaux ne sont pas sourcedirecte, présente, de satisfaction.

Les choix intertemporels de l’agent se confon-dent alors avec son comportement d’épargne :ils se limitent à l’allocation des ressources, sur

Cette condition de stabilité se comprend bien par soncontre-exemple le plus connu : Ulysse, tenté par lessirènes, est obligé d’arbitrer le

conflit

entre ses préfé-rences (sages) d’aujourd’hui et celles (impulsives) dedemain. Elle correspond à une forme

récursive

despréférences et permet, en principe, de déterminer lastratégie optimale par « induction arrière ».

À titre d’illustration, si on considère un épargnant quine retirerait satisfaction que des montants globauxconsommés à chaque période, dans un monde certaincette forme récursive s’écrit alors, en temps discret :

(B)

U

t

désignant la fonction d’utilité à la période

t

, et latrajectoire des consommations passées jusqu’en

t

. Sile comportement est prospectif (iii), le conditionne-ment par la trajectoire passée n’a pas lieu d’être et l’onobtient la relation (2) du texte

dite de récursivité forte.

Dans le cas plus général où les préférences sontinfluencées par des phénomènes d’habitudes, la spé-cification (B) garantit que l’agent se référera toujoursaux différents âges (

t

,

t

+ 1... ) à la

même

fonction d’uti-lité

U

s

pour la période à venir

s

>

t

, et qu’il prend bienen compte, dans ses choix présents, le fait que leniveau de sa consommation actuelle

C

t

va influer surses préférences futures (à travers ) (4).

L’hypothèse (v) d’homothétie des préférences garantit

en situation de certitude

que si l’on double initiale-ment tous les revenus

Y

t

, les consommations

C

t

leseront également ; elle conduit plus précisément à unerelation de proportionnalité entre consommation etressources globales à la période

t

:

(C)

k

t

représente la propension marginale à consom-mer la richesse – soit la valeur d’annuité d’une unité derichesse. On voit que cette fonction de demande (C)permet, dans une perspective quasi friedmanienne,d’identifier l’

horizon

décisionnel de l’agent à (1/

k

t

), soitl’inverse de la propension marginale à consommer unrevenu d’aubaine (

windfall

). Ce dernier est ainsi caracté-risé par son terme (

T

) et par le taux de dépréciation dufutur

δ

: plus ce taux augmente, et plus l’horizon (1/

k

t

)diminue à

T

donné (5).

Également postulée par le modèle de revenu perma-nent, cette proportionnalité est conforme à l’idée quel’épargne constitue simplement une réserve de con-sommation différée mais ne procure aucune utilité parelle-même. Présentée par Friedman et Modiglianicomme une simple hypothèse auxiliaire, la relation (C)est cependant loin d’être anodine au plan historique,puisqu’elle oppose, historiquement, les modèles derevenu permanent et de cycle de vie à toutes les autresthéories de la fonction de consommation ainsi qu’àune longue tradition pré et post-keynésienne (incluantKeynes et même Fisher), théories et tradition pour les-quelles l’épargne est définitivement

un bien de luxe

(6).

La théorie standard retient généralement une forme

temporellement additive

(3), qui introduit, par rapportà la récursivité forte (2), une restriction significative(Deaton et Muellbauer, 1980, chapitre 5). Mais cetteadditivité est la seule propriété que l’on rajoute auxconditions (i) à (v) pour obtenir une fonction d’utilitéintertemporelle à deux paramètres de préférence,

γ

et

δ

. (4) (5) (6)

En fait, il apparaît difficile d’expliciter toutes les fonc-tions d’utilité qui sont fortement récursives

satisfai-sant à la relation (2)

et en outre homothétiques. Unexemple archétypal de telles préférences non additi-ves est celles de Léontief (ou maximin), correspondanten temps discret à :

(D)

Ces préférences vérifient bien l’ensemble des condi-tions (i) à (v) requises.

Ct

Ct

4. Un cas d’habitudes « myopes » (incohérentes) est : U

t

= u(C

t

– aC

t-1

) +

α

u(C

t+1

– aC

t-1

) +

α

2

u(C

t+2

– aC

t-1

) + ... ;d’habitudes « rationnelles » (cohérentes) : U

t

= u(C

t

– aC

t-1

) +

αu(Ct+1 – aCt) + α2u(Ct+2 - aCt+1) + ...5. Pour r = δ = 0, kt vaut (T – t) et l’horizon se confond effecti-vement avec la durée de vie restante.6. Selon ces auteurs, l’épargne serait un bien de luxe du fait dela saturation relative des besoins de consommation qui crois-sent moins vite que le revenu, ou parce que la richesse maté-rielle serait source propre d’utilité, ou encore parce que lesgoûts pour l’épargne augmenteraient avec le niveau des res-sources ou le long de l’échelle sociale.

Encadré 1 (suite)

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004 25

l’horizon considéré, entre les « biens » quereprésentent les consommations globales auxdifférentes périodes – Ct étant affecté du« prix » escompté 1/(1 + r)t-1, avec r le tauxd’intérêt réel (3).

L’apport de l’hypothèse du cycle de vie, initiéepar Modigliani et Brumberg (1954), est d’avoirintroduit une figure intermédiaire entre les deuxhéros opposés par les modèles post-keynésiens :le consommateur-travailleur, agent passif sou-vent contraint par la liquidité, qui épargne peu etsurtout sous forme d’encaisses de transaction oude précaution et de biens durables ; et le capita-liste-investisseur, qui accumule pour différentsmotifs – entreprise, pouvoir, rendement, pres-tige ou transmission, etc. –, mais dont les biensseront, pour une large part, transmis à la généra-tion suivante. Cette figure est celle de« l’épargnant du cycle de vie » qui accumule demanière significative mais seulement pour lui-même, c’est-à-dire pour sa consommationfuture : la fonction du patrimoine est de fairecoïncider ex post les échéanciers divergents deses recettes et de ses besoins – plus réguliers –au cours de l’existence. L’épargne accumuléesert à pallier les variations systématiques durevenu avec l’âge – sa baisse au moment de laretraite – aussi bien que ses fluctuations acci-dentelles à plus court terme, afin d’obtenir le lis-sage intertemporel désiré de la consommation(Modigliani, 1986).

Plus précisément, le comportement d’épargned’un agent i censé vivre T années se voit attri-buer cinq propriétés distinctives qui vont per-mettre de déterminer la forme de la fonctiond’utilité Ui (indice i souvent omis). Ce dernierest supposé :

- (i) autonome, dans la mesure où il ne dépendque des caractéristiques propres de l’agent, etnon des préférences ou des choix d’autrui – ycompris de ses enfants : égoïsme – ;

- (ii) établi en référence à un horizon décision-nel dont le terme se confond avec celui del’existence de l’agent, soit T, mais ne va pas au-delà ;

- (iii) purement prospectif, c’est-à-dire fonc-tion des seules données présentes et anticipées,non de l’histoire ou des habitudes de l’agent ;

- (iv) temporellement cohérent, c’est-à-direcorrespondant à un système de préférencesstable : si tout se passe comme prévu, la con-sommation planifiée au départ par l’agent pourla période t, soit E1(Ct), sera bien celle qu’il réa-lisera à cette date, soit E1(Ct) = Et(Ct) = Ct ;

- (v) conduire, dans les cas simples, à une rela-tion de proportionnalité entre consommation etressources globales, ce qui requiert en fait despréférences homothétiques.

Pour un économiste peu féru du lien social, ladiscussion rapide de (i) à (v) menée dansl’encadré 1 pourrait donner l’impression queces cinq propriétés sont naturelles et peu con-traignantes. Impression doublement fausse : onva voir qu’elles suffisent, en fait, à caractérisertrès précisément la fonction intertemporelled’utilité, mais aussi, dans un second temps,qu’elles engendrent des prédictions clairementdémenties par l’observation.

Modèle DU (discounted utility) : un seul paramètre de préférence à l’égard du temps

Si on se place tout d’abord dans un mondecertain avec des marchés des capitaux parfaits,les propriétés (i) et (ii) assurent alors que le con-sommateur maximise une fonction d’utilité dela forme : (3)

U [C(0) ... C(t) ... C(T)] (1)

qui dépend seulement de ses flux de consomma-tions globales jusqu’en fin de vie T.

La cohérence temporelle (iv) et le comportementprospectif (iii) imposent alors à cette fonction Uune forme récursive, analogue à la relation (B)de l’encadré 1 lorsqu’il y a indépendance parrapport aux consommations passées :

Ut(Ct ... CT) = Ft [Ct, Ut+1 (Ct+1 ... CT)] = Ft {Ct, Ft+1 [Ct+1, Ft+2 (...)]} (2)

L’écriture par emboîtements successifs des fonc-tions d’utilité Ut, Ut+1... garantit que le futur, prisglobalement, est toujours – faiblement – sépara-ble par rapport au passé ou au présent.

Les propriétés (i) à (iv) attribuées au comporte-ment d’épargne sont équivalentes à la classe desfonctions d’utilité vérifiant (2). On va désor-mais requérir un peu plus : la séparabilité tem-porelle forte des préférences, à savoir des fonc-tions d’agrégation temporelle Ft additives (4).

3. Fisher (1930) aurait, le premier, tracé et exploité formellementle diagramme d’indifférence correspondant sur deux périodes,entre la consommation actuelle et la consommation future.4. En fait, imposer l’additivité des fonctions Ft limite sensible-ment la classe des fonctions d’utilité satisfaisant aux propriétés (i)à (v) – voir la fin de l’encadré 1.

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En temps continu, plus commode, la fonctiond’utilité Us à la date s prend alors la formesuivante :

(3)

Le paramètre α(t) − ou plutôt α(t)/α(s) – estcensé représenter le facteur d’actualisationtemporelle : typiquement, la préférence accor-dée au présent conduit à retenir une pondérationassociée au flux d’utilité instantanée u(t,.)décroissante selon t.

Plutôt que le facteur α(t), on considère alors letaux de dépréciation du futur, δ(t), qui en est ladérivée logarithmique :

(4)

soit finalement :

(4’)

Les relations (4) ou (4’) caractérisent une actuali-sation exponentielle, où δ peut varier avec l’âge àvenir t ; mais la cohérence temporelle des choiximpose que δ ne dépende pas de (t - s), soit de ladistance au présent.

Dans un modèle à deux périodes, avec une fonc-tion d’utilité U(C1, C2) additive et à « goûts »constants : u(t, C) = u(C), α vaut 1/(1 + δ) et letaux d’actualisation subjectif δ s’interprète sim-plement en fonction du taux marginal – inter-temporel – de substitution (TMS) lorsque lesconsommations présente C1 et future C2 sontégales. Il se différencie ainsi du taux d’actuali-sation objectif, soit le taux d’intérêt réel r, quicaractérise le taux marginal de substitution àl’optimum – du moins dès que l’utilité margi-nale u′(C) est décroissante en C :

1 + δ = TMS (C1 = C, C2 = C), indépendant de C ;

1 + r = TMS (C1*, C2*) (5)

Sous l’hypothèse de goûts constants, la littéra-ture identifie le système de préférences (3)-(4’)avec le modèle DU (discounted utility), intro-duit par Samuelson dès 1937. Le survey récentde Frederick et al. (2002), où le lecteur trouveratoutes les références voulues, présente un exa-men critique détaillé, théorique et surtout empi-

rique, de ce modèle, en s’appuyant tant sur desétudes expérimentales que sur l’économétriedes données d’enquête. Le reproche essentielporte sur la possibilité de rendre compte deschoix intertemporels à l’aide d’un critère unidi-mensionnel – la somme actualisée des utilitésinstantanées u(t,.) – et surtout d’un seul tauxd’actualisation positif, δ, propre à l’individumais indépendant de toute autre considération– type de choix, montant de la consommation C,distance au présent, etc.

Ce caractère idiosyncratique du paramètre δpermet, en revanche, de caractériser complète-ment l’horizon décisionnel de l’épargnant : pourune même durée de vie, plus δ est élevé, et pluscet horizon est court (cf. encadré 1).

Préférences iso-élastiques : l’utilité instantanée dépend d’un seul paramètre

L’hypothèse (v) d’homothétie des préférencesfait que la parcimonie affichée par la théoriemicroéconomique standard de l’épargnant vaencore plus loin, jusqu’à représenter les fonc-tions d’utilité instantanées, u(t,.), par un seulparamètre. Un théorème important implique eneffet que, sous certaines conditions de régula-rité, des préférences additives (3) et homothéti-ques sont à goûts constants et iso-élastiques(Deaton et Muellbauer, 1980, p. 146) :

(6)

avec donc :

(6’)

Le paramètre γ représente le degré de concavitéde la fonction d’utilité u, ou de manière équiva-lente, au signe près, l’élasticité de l’utilité mar-ginale supposée décroissante (u′ = C−γ).

En situation de certitude, deux paramètres δi etγi suffisent ainsi à caractériser les préférences del’épargnant i et à dicter son comportement. Enparticulier, γ est égal à l’inverse de l’élasticitéintertemporelle de substitution, notée σ, et larésolution du programme de maximisation sousla seule contrainte de budget vital (A) del’encadré 1 montre que le taux de croissance

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004 27

instantané de la consommation, g(t), vérifie larelation :

(7)

où σ mesure le degré de sensibilité aux varia-tions des deux taux d’actualisation, « objectif »r et « subjectif » δ : une augmentation du tauxd’intérêt r incite à surseoir à la consommationprésente pour bénéficier des rendements plusélevés de l’épargne ; de deux individus, celuiqui aura le taux de dépréciation du futur δ leplus élevé consommera davantage dans l’ins-tant, toutes choses égales par ailleurs.

L’égalité entre γ, qui traduit la décroissance del’utilité marginale, et 1/σ, qui mesure le degréd’aversion aux fluctuations temporelles de laconsommation, constitue sans doute la caracté-ristique la plus contestable de ces modèles dechoix en univers certain. Elle découle directe-ment de l’additivité (3) de la fonction U : si l’onveut distinguer le désir de lisser sa consomma-tion 1/σ du degré de saturation des besoins γ, ilfaut donc se résoudre à introduire des non-sépa-rabilités temporelles dans les préférences.

Modèle EU (expected utility) :un seul paramètre de préférenceà l’égard du risque

On suppose maintenant un futur incertain ou aumoins risqué, la distribution des probabilitésétant connue de l’agent. La théorie standardsuppose de manière générale – selon lemodèle EU dont l’axiomatique a été développéepar von Neumann et Morgenstern (1947) – quel’agent maximise l’espérance de son utilitéintertemporelle U : comme cette dernière estsupposée de forme (3) additive, la fonctionobjectif est donc doublement linéaire, vis-à-visdes probabilités et des satisfactions retirées desconsommations de chaque période t.

Si on garde tout d’abord l’hypothèse d’un revenud’activité certain : le risque porte seulement surle rendement des actifs. Le paramètre γ s’inter-prète alors également comme le degré ρ d’aver-sion relative pour le risque (γ = ρ = - Cu″/u′).Sous certaines conditions, Merton (1971) a mon-tré que les choix intertemporels de portefeuillesont indépendants des choix de consommationet se ramènent à une succession de choix stati-ques – répondant au critère moyenne-variance –

entre deux placements, l’un sûr, l’autre risqué(portefeuille du marché). Dans le cas le plussimple où les ressources de l’agent se limitent àson patrimoine financier, les choix de porte-feuille entre un actif sûr, de taux de rendementégal au taux d’intérêt r, et un actif – composite –risqué, de taux de rendement d’espérance m > ret d’écart-type s, conduiront ainsi à une part duportefeuille risqué ω dans le patrimoine égale à :

(8)

avec les égalités suivantes :

(8’)

Cette part ω peut être supérieure à l’unité sil’emprunt sur l’actif sûr n’est pas limité.

Le point clé est cependant que tous les compor-tements ou attitudes à l’égard du risque nedépendront que du seul paramètre γ dès que l’onmaintient l’hypothèse standard (S), soit des pré-férences additives et iso-élastiques, actualiséesà taux constant sur la durée de vie T(modèle DU), et la maximisation de l’utilitéespérée (modèle EU). En résumé :

Standard ≡ [DU * T * Homothétie * EU] (S)

Si on considère à présent un revenu futur du tra-vail incertain, le montant de l’épargne de pré-caution générée par cet aléa va dépendre dudegré de prudence (soit de la dérivée troisièmeu′′′ : cf. Kimball, 1990). Mais ce paramètre n’estfonction que de γ si u est iso-élastique : le coeffi-cient de prudence relative, soit π = - Cu′′′/u″,vaut ainsi (γ + 1). Aussi, l’équation d’Euler,généralisation de l’équation (7), s’écrit-elle enpremière approximation et en -temps discret :

(9)

avec les égalités suivantes :

(9’)

et , indiquant le caractèrealéatoire de la variable X à l’instant t. Là aussi,dans le membre de droite de (9), le même para-mètre γ contrôle à la fois (la résistance à) la

X t

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28 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004

substitution intertemporelle (1er terme) et lemotif de précaution qui conduit à différer laconsommation en augmentant le taux de crois-sance de la consommation (2e terme).

Il en va pareillement de la gestion simultanée deplusieurs risques – supposés indépendants – :confronté à un risque exogène et inassurable(background risk) sur son revenu d’activité,l’individu réduira d’autant plus sa demanded’actifs risqués − ou augmentera sa demanded’assurance – qu’il est tempérant (propriétéimpliquant la dérivée quatrième de u), maiscette préférence ne dépend encore que de γ(Kimball, 1993 ; Gollier et Pratt, 1996).

Il n’en reste pas moins que cette gestion multi-risques complique beaucoup l’estimation duparamètre γ : prendre peu de risques dans seschoix de portefeuille peut correspondre aussibien à une forte aversion pour le risque γ qu’à lavolonté de contrebalancer un aléa exogène élevésur son revenu. Dans le second cas, tout se passecomme si les choix de portefeuille dépendaientd’une aversion pour le risque induite, d’autant supérieure à γ que l’agent est tempérantet que le degré anticipé d’exposition au risquesur le revenu est élevé. Mais cette dernière con-clusion, elle-même, ne tient plus et le problèmese complique encore si l’exposition au risquesur le revenu est pour partie endogène, c’est-à-dire évitable, résultant de choix professionnelspréalables ou actuels (5).

L’incertitude de la durée de vie, quant à elle, necrée pas de problème théorique particulier (onremplace T par dans l’équation de définition(S)) tant que l’épargnant maximise l’espérancede l’utilité en fonction de ses probabilités – sub-jectives – de survie, s(t) : tout se passe comme sises choix étaient déterminés par le paramètre γ etun taux de dépréciation du futur, δ(t), augmentédu quotient de mortalité, q(t) = - ds(t)/dt/s(t),à l’âge t considéré. La difficulté sera cependant,au plan empirique, de démêler dans l’horizondécisionnel de l’agent ce qui revient respective-ment à la préférence pure pour le présent (δ) etaux probabilités de survie anticipées.

En outre, le profil d’accumulation dépendrabeaucoup de l’existence ou non d’un marchéparfait de l’assurance vie. En cas d’absence derentes viagères, l’épargne de précaution généréepar une durée de vie aléatoire peut conduire àdes legs accidentels considérables, qui dimi-nuent d’autant le rythme de consommation dupatrimoine sur les vieux jours (6).

On doit ainsi reconnaître la remarquable parci-monie de la théorie du cycle de vie standard,capable de résumer par un seul paramètre lesdimensions temporelles des choix de l’épar-gnant, et encore par un seul paramètre l’éventailde ses attitudes à l’égard des risques de l’exis-tence – fût-ce au détriment, dans un cas commedans l’autre, d’un réalisme minimal.

Toutefois, dès que l’on revient sur l’hypothèse Set que l’on abandonne les critères dedécision DU et EU pour obtenir des prédictionsplus conformes aux données d’enquêtes ouexpérimentales, les choses se compliquentrapidement : tout gain en réalisme semble sepayer très cher en termes de complexité desmodèles et de paramètres de préférence supplé-mentaires à estimer indépendamment pour cha-que agent. (5) (6)

Vers un comportementplus réaliste à l’égard du risque

armi les prédictions les plus contre-intuitivesdu modèle EU, la plus critiquée a été le fait

qu’un même paramètre, γ = 1/σ, caractérisantaussi bien l’utilité marginale décroissante de larichesse que le désir de lissage intertemporel dela consommation, représente encore l’aversionrelative pour le risque ρ − c’est-à-dire le désirde lissage de la consommation entre les diffé-rents états de la nature. L’identité est particu-lièrement gênante lorsque l’on considèrel’énigme de la prime de risque (equity pre-mium puzzle) : l’écart élevé entre les taux derendement à long terme des actions et des obli-gations – ou, de manière équivalente, lademande limitée d’actifs risqués malgré undifférentiel aussi important – conduit à desvaleurs trop élevées de l’aversion relative pourle risque et, par ricochet, à des valeurs tropfaibles de l’élasticité intertemporelle desubstitution σ.

γ

T

5. Les résultats précédents supposent, en outre, des risquesindépendants ; ils doivent être adaptés dans le cas d’une corré-lation – positive ou négative – entre risques professionnels etfinanciers (cf. Arrondel et Calvo-Pardo, 2002).6. Les legs accidentels apparaissent la réponse optimale en casd’absence de rentes viagères ou si l’agent répugne à en acquérirparce que ce produit souffre de nombreuses imperfections bienconnues (sélection adverse, aléa moral, non-indexation sur l’infla-tion, etc.), ou encore parce que sa détention risque d’être perçuecomme un acte délibéré visant à spolier les enfants de leur héri-tage.

P

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004 29

Le critère d’utilité espérée maintenupour les paris statiques

En situation de risque – lorsque les probabilitésdes événements aléatoires sont connues –, ladéviation minimale de la théorie standard quipermet − contre (8’) − de déconnecter l’élasti-cité de substitution σ de l’aversion pour lerisque ρ, tout en préservant les propriétés cano-niques (i) à (v), s’obtient à l’aide de préférencesrécursives d’une forme particulière, proposéepar Kreps et Porteus (1978 et 1979).

Dans le cas général, ces préférences s’écriventen temps discret (Epstein et Zin, 1989) :

(10)

avec :

(10’)

où α est le facteur d’actualisation temporelle – àδ constant –, F l’agrégateur intertemporel qui apour arguments la consommation courante Ct etune fonctionnelle µ représentant l’équivalent à lacertitude de l’utilité aléatoire future . Larécursivité forte (10), transposée de la relation (2)en situation d’incertitude, garantit un compor-tement prospectif et temporellement cohérent ; laforme F iso-élastique (10’) conduit à des préfé-rences homothétiques, σ correspondant toujoursà l’élasticité intertemporelle de substitution.

Reste à préciser la fonctionnelle µ qui gouverneles comportements à l’égard du risque. Kreps etPorteus adoptent la formulation la plus simple,soit l’espérance conditionnelle de l’utilité(µ = Et) pour une utilité marginale décroissantede la forme C−γ. Autrement dit, ils conservent lecritère de l’utilité espérée EU pour les choix sta-tiques, atemporels, tout en déconnectant γ, asso-ciée à µ, de σ, associée à F.

Sous ces hypothèses, les relations (8) et (9) con-cernant les choix de portefeuille et d’épargne deprécaution sont conservées, mais les égalités(8’) et (9’) sont remplacées par :

(11)

En particulier, dans le membre de droite del’équation d’Euler (9), le premier terme qui ren-

voie aux choix en univers certain ne dépend quede σ, mais le second qui représente l’épargne deprécaution dépend à la fois de σ et de γ (ou ρ) (7).

Au total, les choix d’épargne dépendent mainte-nant, outre du taux de dépréciation du futur, δi,de deux autres paramètres individuels de préfé-rence indépendants : σi, l’élasticité intertempo-relle de substitution ; γi, l’élasticité de l’utilitémarginale décroissante et le degré d’aversionrelative pour le risque.

L’encadré 2 indique l’interprétation que l’onpeut donner à la différence entre γi et 1/σi.

« Anomalies » : transformationdes probabilités et aversion à la perte

Le critère de maximisation de l’espérance de l’uti-lité apparaît cependant contredit par l’expériencemême dans le cas de choix statiques. Outre lesdonnées expérimentales (8), nombre de comporte-ments observés, en particulier dans le domainepatrimonial ou financier, s’inscrivent en faux con-tre les prédictions du modèle EU – cf. Starmer(2000) et références ; Cohen et Tallon (2000).

Contrairement à l’observation courante, lemodèle EU prédit ainsi une demande d’assu-rance seulement partielle si la prime à payern’est pas actuarielle, du fait de coûts de charge-ment par exemple. Il implique, à tort, une aver-sion limitée aux assurances probabilistes −lorsqu’il existe une probabilité donnée que lesinistre, s’il a lieu, ne soit pas remboursé (9). Ilne rend pas compte de l’énigme de la prime derisque (cf. supra). Il attribue à un agent, déjà ris-quophobe pour des paris sur de petits montants,des degrés d’aversion pour le risque trop élevéspour des enjeux importants (Starmer, pp. 363-366). Pour remédier à ces « anomalies », lesmodèles – statiques – non EU introduisent desparamètres de préférence supplémentaires.

Les choix intertemporels en univers certainrequièrent donc déjà deux paramètres : δ, taux

U t+1

7. À titre d’exemple, on peut prendre, sur deux périodes, σ = 1et γ = 0 – neutralité à l’égard du risque –, correspondant auxpréférences : log C1 + α log C2 ; bien que neutre au risque, l’indi-vidu pourra souhaiter s’assurer afin de lisser sa consommationdans le temps (cf. Weil, 2002).8. S’appuyant sur des choix entre loteries composées, le para-doxe d’Allais, par exemple, remet directement en cause l’axiomed’indépendance.9. Si q est la probabilité de non-remboursement, l’individu quimaximise l’espérance de son utilité ne réduira la prime qu’il estprêt à payer que d’un pourcentage de l’ordre de q, alors que lesdonnées d’enquête américaines montrent que les individus exi-gent, en pratique, des réductions de prime beaucoup plus impor-tantes.

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de dépréciation du futur, et σ, élasticité de subs-titution. L’abandon du critère d’espérance d’uti-lité pour les choix dynamiques risqués en intro-duit un troisième, indépendant, γ (Kreps etPorteus). Le rejet de ce même critère pour leschoix statiques risqués oblige maintenant àséparer, au moins, γ (concavité de u) de l’aver-sion relative pour le risque ρ. Vu sous cet angle,le problème est de savoir combien de paramè-tres de préférence ajouter pour engendrer suffi-samment de flexibilité dans les choix en incer-tain, le but étant de rendre compte desanomalies précédentes et de la diversité descomportements individuels : en plus de γ, unseul – par exemple ρ – ou plusieurs ?

Sans entrer dans les détails, on peut montrer queles anomalies relatives aux données expérimenta-les et à la demande d’assurance, notamment, con-tredisent la dépendance linéaire en probabilitésdu modèle EU − cf. la relation (A) de l’encadré 2− impliquant que les « agents seraient approxi-mativement neutres au risque pour de petitsrisques » (Starmer, 2000, p. 364). Le remèdeconsiste alors à revenir sur l’axiome d’indépen-

dance en introduisant une fonction ϕ de transfor-mation non linéaire des probabilités objectives :

(12)

Ces modèles, à pondération des probabilités,conservent les deux premiers axiomes dumodèle EU – pré-ordre total et continuité,cf. encadré 2 –, mais la fonction objectif n’estplus, pour une loi discrète {pj, xj},

, mais maintenant de la forme

avec des poids wj qui dépendent

de la fonction ϕ et des probabilités pj.

Le ϕ-modèle qui explique le plus d’anomalies– et vérifie la propriété souhaitable de monoto-nie (10) – est dit d’utilité dépendante du rang

10. La propriété de monotonie signifie que la loterie L sera tou-jours préférée à L′ si L domine stochastiquement L′ à l’ordre 1 : siles conséquences x1, ..., xn sont ordonnées par ordre croissant,

on aura pour tout j compris entre 1 et n : .

Encadré 2

AVERSION POUR LE RISQUE ET ÉLASTICITÉ INTERTEMPORELLE DE SUBSTITUTION

Lorsque l’on abandonne le critère d’espérance de l’uti-lité, comment interpréter la différence entre le degréd’aversion relative pour le risque γ et l’inverse de l’élas-ticité intertemporelle de substitution 1/σ, en termes depréférence ou de comportement ? Le cas le plus sim-ple possible a été proposé par Kreps et Porteus (1978).

Le modèle EU est équivalent à une relation de préfé-rence sur les décisions ou « actes » − de loi par exem-ple discrète, {pj, xj}, avec des notations évidentes − quivérifie trois axiomes : (i) elle constitue un pré-ordretotal ; (ii) elle est continue ; (iii) elle satisfait à l’axiomed’indépendance (1).

Les deux premiers axiomes font que cette relation depréférence peut être représentée par une fonctiond’utilité continue V sur les actes : on parle alors demodèles conventionnels. Le troisième implique quecette fonction V est additive :

(A)

Les fonctions d’utilité récursives à la Kreps et Porteusdéfinissent une relation de préférence qui constitue unpré-ordre total et continu ; elles correspondent donc àdes modèles conventionnels. Dans ce cadre, pourgénérer une différence entre γ et 1/σ, il faut forcémentremettre en cause l’axiome d’indépendance. Or on peutmontrer que cet axiome est équivalent à la propriété deconséquentialisme (Hammond, 1988 ; Machina, 1989) :comme dans le cas des loteries composées, l’agentprend seulement en compte les conséquences finales

de ses choix (ou « actes »), mais non la structure del’arbre de décision − c’est-à-dire la manière dont onarrive à ces paiements finaux par une suite de choix etde réalisations d’aléas probabilistes.

Comme les préférences récursives (10)-(10’) ne satis-font plus l’axiome d’indépendance, même lorsqueµ = Et (cas de Kreps et Porteus), les arbitrages del’agent vont dépendre des risques encourus mais nonréalisés, c’est-à-dire des branches mortes de l’arbrede décision. Plus précisément, Kreps et Porteus mon-trent que γ > 1/σ correspond à une préférence pourune résolution précoce de l’incertitude sur de telsarbres, alors que γ < 1/σ correspond à une préférencepour une résolution tardive. Le critère EU d’espérancede l’utilité, correspondant à γ = 1/σ, satisfait, lui, àl’axiome d’indépendance et au conséquentialisme, quiimpliquent bien l’indifférence par rapport à l’échéan-cier de résolution de l’incertitude (2). (1) (2)

1. Axiome d’indépendance : si la loterie L est préférée à L’,alors la loterie composée pL ⊕ (1 - p)L″ sera préférée à la lote-

rie composée pL′ ⊕ (1 - p)L″ pour toute probabilité p et loterie

L″ – le choix entre L et L′ ne dépend pas de la nature des ris-

ques encourus et non réalisés, soit ici (1 - p)L″.

2. On notera que 1/σ prenant des valeurs limitées, le cas leplus favorable pour résoudre l’énigme de la prime de risqueserait celui où γ > 1/σ, correspondant à une préférence pourune résolution précoce de l’incertitude.

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004 31

– cf. par exemple Quiggin (1982). La fonction uétant représentée par γ, il reste à déterminer lenombre minimal de paramètres susceptibles decaractériser la fonction de transformation ϕassociée, qui indique aussi le degré de pessi-misme ou d’optimisme de l’agent – partout pes-simiste si ϕ(p) < p (11).

Résumant une série d’études empiriques,Starmer (2000) indique que la fonction ϕ, nonlinéaire, doit être plus précisément « en formede S inversé » pour rendre compte d’une plusgrande sensibilité aux probabilités faibles ouélevées qu’aux probabilités moyennes ; maissurtout, « la flexibilité permise par une spécifi-cation à deux paramètres permet de mieuxexpliquer les différences de comportementsentre individus » (p. 360).

Cependant, les modèles considérés jusqu’icisont dits conventionnels parce qu’ils admettentencore, comme le critère EU, un pré-ordre totalet continu sur les décisions ou actes(cf. encadré 2). Or ils ne parviennent toujourspas à rendre compte de certains faits significa-tifs, aussi bien réels qu’expérimentaux – l’utilitédépendante du rang n’explique ainsi qu’une partde l’énigme de la prime de risque.

L’approche non conventionnelle la plus fécondeest celle des modèles à la Kahneman-Tversky(1979) − prospect theory − qui permettent derépondre à plusieurs de ces anomalies réfractai-res. Les individus se déterminent en fonctiond’un niveau de référence − la richesse initialepar exemple − par rapport auquel ils évaluentdifféremment les gains et des pertes en termesd’une fonction d’utilité : celle-ci présente, dansles deux cas, une sensibilité décroissante, maisdécroît plus rapidement pour les pertes qu’ellen’augmente pour les gains de même montant.Appelé aversion à la perte (loss aversion), cephénomène semble jouer un rôle crucial dansl’explication de certains comportements patri-moniaux hétérodoxes (12).

Pour obtenir des prédictions plus réalistes, lesmodèles à la Kahneman-Tversky incorporent,en outre, une fonction ϕ de transformation desprobabilités. Il faut donc deux paramètres pourcaractériser la fonction d’utilité dépendante dusigne − l’un pour l’aversion à la perte et l’autre,γ par exemple, pour la sensibilité décroissante −et un troisième pour spécifier ϕ. Mais c’estencore insuffisant : des raisons tant théoriquesqu’empiriques conduisent soit à introduire une« procédure d’édition » préalable (13), soit à

adopter une fonction ϕ à deux paramètres,comme c’est le cas dans les modèles à utilitédépendante à la fois du rang et du signe (combi-nant transformation des probabilités et aversionà la perte) (14).

Six paramètres de préférencepour caractériser les choix risquésde l’épargnant

Quatre paramètres seraient donc nécessairespour expliquer les attitudes à l’égard du risque.C’est un minimum : les « théories du regret »,par exemple, rendent compte d’autres anoma-lies systématiques, expérimentales ou obser-vées. En outre, on a ignoré les comportementsdans l’incertain non probabilisable. Lemodèle EU généralisé, reposant sur des proba-bilités subjectives additives à la Savage rendmal compte de tels comportements, dont le plusconnu est sans doute l’aversion à l’ambiguïtérévélée par le paradoxe d’Ellsberg (15). Lesmodèles de décision dans l’incertain qui remé-dient le mieux à ces insuffisances montrent« qu’un décideur peut à la fois avoir du goûtpour le risque, du pessimisme, et de l’aversionpour l’ambiguïté » (Cohen et Tallon, 2000,p. 663). (11) (12) (13) (14) (15)

11. Cohen et Tallon (2000) (pp. 647 et 653) rappellent que lesmodèles à utilité dépendante du rang peuvent générer une aver-sion – faible – pour le risque avec une utilité convexe – chez unindividu suffisamment « pessimiste » – ou, à l’inverse, un goûtpour le risque avec une utilité marginale décroissante – chez unindividu très « optimiste ». Gayant (2004) montre, dans unmodèle de choix de portefeuillle, que l’aversion probabiliste pourle risque ρ conduit à minimiser le risque alors que l’attitude rela-tive aux gains et aux pertes (c’est-à-dire γ) incite à rechercher lemeilleur compromis entre risque et rendement.12. L’aversion à la perte des ménages contribuerait notammentà expliquer le rejet de produits comme la rente viagère ou l’assu-rance temporaire décès, dont l’acquisition comporte un risqued’investissement à fonds perdus (si l’on décède trop tôt ou troptard, resp.), et cela en faveur de placements « sous-optimaux » àfonctions multiples : assurance décès vie entière ; épargne quisert à la fois pour la retraite et la transmission du patrimoine.13. La « procédure d’édition » comprend, pour Kahneman etTversky (1979), un certain nombre d’opérations heuristiques :détermination subjective – selon le contexte – du niveau de réfé-rence par rapport auquel les résultats seront codés en termes degains ou de pertes ; élimination d’entrée des loteries dominées(propriété de monotonie), etc.14. Plusieurs explications – partielles – de l’énigme de la primede risque peuvent donc être proposées au niveau des seulespréférences : l’aversion pour le risque plus élevée induite par unbackground risk dans le cadre EU ; les préférences à la Kreps etPorteus (ρ > 1/σ) ; les modèles d’utilité dépendante du rang ;l’aversion à la perte si les agents sont suffisamment myopes(cf. Starmer (2000), p. 365).15. Le « prix » que la majorité des individus est prête à payerpour un tirage d’une boule d’une couleur donnée dans une urneest toujours plus faible lorsque les proportions de boules de cha-que couleur sont inconnues que quand il y a équirépartition ; oraucun ensemble de probabilités subjectives ne peut rendrecompte de tels choix.

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32 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004

Si la théorie standard du cycle de vie n’a besoin,avec le modèle EU, que de deux paramètres depréférence individuels − γ et δ − pour caractéri-ser les choix de l’épargnant face à un futurincertain, les modèles non EU les plus perti-nents en utilisent donc au moins six :

- deux en certain : δ (dépréciation du futur) et σ(substitution intertemporelle) ;

- quatre supplémentaires en incertain − y com-pris γ (concavité de l’utilité).

Une gageure pour une analyse empirique quivoudrait incorporer toutes les conséquences desdéveloppements précédents (16).

Vers un comportementplus réaliste à l’égard du temps

n examine maintenant la dimensiontemporelle des choix et les critiques,

tant théoriques qu’empiriques, adressées àun modèle DU qui résume l’effet des préfé-rences individuelles par un seul paramètre δ− cf. Masson (1995 et 2000) et Frederick,Loewenstein et O’Donoghue (2002), notédésormais FLO. La plupart de ces critiquess’appliquent déjà dans un monde certain. Con-trairement aux approches non standard du ris-que, elles remettent en cause les propriétés debase (i) à (v) attribuées au comportement del’épargnant, notamment les caractères pros-pectif (iii) et temporellement cohérent (iv) deschoix d’épargne.

Obtenu tant sur données expérimentales quedans les enquêtes auprès des ménages, un pre-mier constat, empirique, concerne l’extrêmevariété des estimations du taux de dépréciationdu futur – parfois à l’intérieur d’une mêmeétude – ainsi que leur forte sensibilité à de mul-tiples dimensions du choix considéré − sanscommune mesure avec les variations mesuréesdans le cas de l’aversion pour le risque. SelonFLO, les mesures s’étagent de - 6 % à plusieurscentaines de pour cent, et l’éventail ne se réduitpas dans les études les plus récentes, les valeursélevées demeurant la majorité. En outre, lesdonnées – expérimentales – aboutissent à destaux d’actualisation plus élevés pour les gainsque pour les pertes, pour les petits que pour lesgros montants, ou lorsque l’on diffère unerécompense plutôt qu’on la rapproche, etc. Cestaux varient encore selon la nature des optionscommunes non pertinentes offertes, et peuvent

même être négatifs, en faveur de séquences degains croissantes – où l’on privilégie le meilleurpour la fin – ou de profils de pertes décroissants.

Comment expliquer une telle dispersion desestimations ? Une première cause vient de ceque ces mesures intègrent de multiples facteurspolluants (confounding factors) qui n’ont rien àvoir avec la préférence pure à l’égard du pré-sent. C’est notamment le cas des études relati-ves aux comportements observés sur le terrain.Les mesures trop élevées fondées sur les arbitra-ges entre le prix d’achat et les coûts à terme debiens durables ne tiennent pas compte du man-que d’information des agents, de leur confiancemitigée dans les gains futurs procurés par desappareils plus chers à l’achat, des coûts cachés− commodité, esthétique, etc. − (FLO, pp. 384-386). Même l’étude de Viscusi et Moore (1989),qui considère l’arbitrage entre des métiers à ris-que mieux rémunérés mais diminuant l’espé-rance de vie, et les estimations d’équationsd’Euler sur données de panel (Lawrence, 1991)surestiment, elles aussi, la préférence pour leprésent, notamment parce qu’elles ignorentl’existence de contraintes de liquidité et n’intè-grent pas – ou qu’en partie – les effets del’incertitude de la durée de vie (17). (16) (17)

Les expériences naturelles où des individus sevoient offrir le choix entre un paiement uniqueen capital ou une rente viagère (indemnisation,produit d’assurance vie, etc.) sont entachées debiais comparables : plutôt que de refléter uneforte préférence pour le présent, le rejet fréquentde la rente peut s’expliquer aussi bien par sanon-indexation sur l’inflation, l’existence decontraintes de liquidité ou à l’emprunt, lesopportunités d’investissement manquées, l’aver-sion à la perte – c’est-à-dire le risque d’investir àfonds perdus en cas de mort prématurée –, l’effetd’assurance procuré par la retraite publique, laprésence d’un motif de transmission ou d’autresraisons familiales, etc.

Outre ces facteurs polluants, une seconde raisonexpliquerait les valeurs trop élevées et l’instabi-lité des mesures : elle tiendrait à la nature des

O

16. Et encore, ce compte suppose des préférenceshomothétiques : autrement, même dans le cadre EU, il faudraitdistinguer entre l’aversion pour le risque, la prudence, la tempé-rance, etc. au lieu de ne considérer qu’un seul paramètre γ.17. Ces études, qui obtiennent des taux d’actualisation plus rai-sonnables (entre 1 et 14 %) et décroissants selon le niveaud’éducation, souffrent encore d’une formalisation théoriquerigide, imposant la séparabilité entre loisirs et consommation, untaux δ constant selon l’âge, et surtout une aversion relative –constante – pour le risque γ identique pour tous les individus(cf. Masson, 1995).

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choix proposés qui, surtout dans les étudesexpérimentales, portent sur le court terme.L’hypothèse serait qu’un seul taux d’actualisa-tion (δ) pourrait bien rendre compte de ladimension temporelle des décisions à l’échelledu cycle de vie ; à plus court terme, d’autres fac-teurs individuels, de préférence ou autre,devraient être introduits pour corriger maintesanomalies du modèle DU.

Actualisation hyperbolique :futur proche et futur éloigné

Ces biais de mesure sont d’abord analysés sur lecourt terme. Les données expérimentales suggè-rent effectivement que le taux de dépréciationdu futur ne conduirait pas à une actualisationexponentielle de type (4), mais serait, au con-traire, décroissant selon la distance au présent,étant beaucoup plus élevé pour le futur procheque pour le futur éloigné. Cette propriété génèredes inversions de préférences, soit intuitivement :aujourd'hui, je préfère recevoir 1 maintenantplutôt que 2 demain, mais aussi recevoir 2 dansun an et un jour à 1 dans un an ; or, dans un an,je ne serai plus d’accord avec ce second choix,préférant recevoir 1 tout de suite. Ce conflitentre les préférences du moi présent et celles dumoi futur engendre une incohérence temporelledes choix.

Une formalisation simple, en temps discret, decette attitude à l’égard du temps est l’actualisa-tion (quasi) hyperbolique. À côté du taux dedépréciation du futur de long terme, δ, est intro-duit un nouveau taux de préférence temporelle,β (cf. Laibson, 1997) :

(13)

Le taux de dépréciation du futur entre la périodeprésente t et la période suivante t + 1 est (1 - β)δ ;entre deux périodes futures adjacentes (t + 1 ett + 2 par exemple), il reste égal à δ. Dès que βest strictement supérieur à zéro, il y a incohé-rence temporelle des choix ; β = 1 correspond àla « myopie » complète.

La littérature économique propose deux inter-prétations, non exclusives, de ce paramètre β.La première invoque un déficit d’imaginationou de clairvoyance : le présent accapare trop

l’esprit (le mot anglais est salience), et l’indi-vidu présente une tendance à la procrastination− mañana effect −, soit à remettre sans cesse aulendemain les tâches ou résolutions désagréa-bles (cf. Akerlof, 1991). L’autre interprétationfait intervenir un déficit de volonté, un manquede maîtrise de soi qui pousse le sujet à succom-ber à ses passions contre son propre intérêt àl’image d’Ulysse en route pour Ithaque qui seretrouve attaché au mât, hurlant pour rejoindreles sirènes sans plus se soucier de son avenir.

Qu’elle soit d’origine cognitive ou volitive,l’incohérence temporelle limite d’autant la sou-veraineté de l’agent. Alors qu’une rationalitépleine et entière conduirait à des choix opti-maux, l’individu incohérent peut faire mieux sises options sont réduites ou ses choix contraints.S’il est suffisamment « sophistiqué » (FLO,pp. 367-368) pour anticiper ses incohérencestemporelles, il peut trouver par lui-même unesolution à travers une stratégie de pré-engage-ment qui fait souvent appel à des tiers – Ulyssese fait attacher au mât. Sinon, l’interventionpublique et même la fonction tutélaire de l’Étatsont justifiées.

Utilité du loisir, allocation du temps, habitudes, phénomènes d’anticipation, etc.

Le modèle DU modifié (13) revient finalement àdistinguer deux taux d’actualisation, β sur lecourt terme, et δ sur le long terme (18). À suppo-ser que l’on puisse contrôler les sources de biaisles plus évidentes (incertitude du futur, contrain-tes de liquidité, etc.), on considère maintenant lesautres attitudes à l’égard du temps dont les étudesmenées en laboratoire et les données d’enquêtesont montré qu’elles pouvaient largement affecterles mesures des taux d’actualisation ; la situationrêvée serait qu’elles polluent surtout le degréd’incohérence temporelle β mais peu le taux δ depréférence pour le présent.

La plupart de ces attitudes à l’égard du tempsproviennent, au plan théorique, du fait que l’uti-lité instantanée ut dans les relations (3) ou (13)dépend d’autres arguments que de la consom-mation courante C(t) ou Ct : temps de loisir ;goûts ou besoins du moment ; état de santé ;

18. En faveur de cette interprétation court terme/long terme,FLO (pp. 361-362) montrent que la décroissance « statistique »des taux d’actualisation avec l’éloignement au présent, qu’ilsobtiennent en reportant sur un même graphique les estimationsdes différentes études, disparaît dès que l’on se limite à celles quienvisagent des horizons de choix supérieurs à un an.

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habitudes (ut dépend de Ct-1), phénomènesd’anticipations (ut dépend de Ct+1, etc.).

Une première série de ces facteurs perturbateurs(confounding), souvent ignorée, renvoie au temps-ressource rare : en particulier, l’utilité instantanée,u(C, l), ne dépend pas seulement de la consomma-tion mais aussi du temps consacré au loisir, l(t),dont l’utilité relative conditionne les décisionsd’offre de travail et les efforts de formation.

Sur le court terme, les effets de ces facteurs sontsouvent confondus avec ceux du paramètre β,qui concerne, lui, le temps-horizon. L’agentpeut ainsi préférer un aujourd’hui à deuxdemain uniquement parce qu’il déteste attendre,« son temps étant compté » : toutes choses éga-les d’ailleurs, son coût d’opportunité augmen-tera avec sa propension au loisir, le taux desalaire, le temps consacré aux enfants ou encoreà la gestion du patrimoine – notammentprofessionnel –, etc.

Sans plus de précision, on note β′ le paramètrequi mesure à quel point l’individu est ainsipressé. Les comportements d’une personnepressée ressemblent beaucoup à ceux d’un sujetimpulsif ou impatient (c’est-à-dire à β élevé), àla différence essentielle, toutefois, qu’ils sonta priori temporellement cohérents. Plus généra-lement, β est susceptible d’engendrer des com-portements quasi pathologiques − addiction ousurconsommation de produits nocifs, refusd’acquérir une information même sans coût(ignorance stratégique) − totalement étrangers àun sujet pressé : ce dernier hésitera plutôt à déte-nir des actifs rentables si leur gestion requierttrop de temps (FLO, p. 367) (19).

La préférence pure pour le présent δ devra doncêtre séparée des comportements de court termequi renvoient aussi bien au taux d’actualisation β– incohérence temporelle – qu’au paramètre β′– coût du temps − phénomènes divers dont onessaye de rendre compte à l’aide d’une seulepréférence, qualifiée d’impatience à courtterme (voir infra).

L’analyse des effets de revenus du travail endo-gènes ne peut malheureusement pas se limiter àce cadre statique : elle doit envisager l’alloca-tion des biens et du temps sur le cycle de vie, etincorporer aussi le fait que certaines consomma-tions sont elles-mêmes chronophages. Leschoix de l’agent sur le long terme vont alorsdépendre de nouveaux facteurs ou préférencesqui peuvent biaiser l’estimation du taux dedépréciation du futur δ.

Une formalisation théorique simplifiée peut sui-vre Ghez et Becker (1975) : l’utilité instantanéeà la période t ne dépend plus directement de Ctmais de la demande finale Dt = F (Ct, lt, Kt),elle-même produite à partir de la consommationglobale Ct, du loisir lt − réinterprété comme letemps de la période t consacré à cette productiondomestique, plutôt qu’au travail ou à laformation −, mais aussi de Kt, représentant unvecteur de stocks de capitaux : santé, éducation,information, capacités diverses, etc. Les con-traintes à la maximisation comprennent cellesde budget et de temps, voire de disponibilitéintellectuelle (20), ainsi que les équations devariation des stocks. Hors tout effet de préfé-rence temporelle, les activités les plus consom-matrices de temps vont alors être repoussées− ou avancées − à des périodes de moindre tauxde salaire – ou de plus de temps libre –, leschoix dépendant encore de multiples paramètresindividuels comme le degré de substitution – oude complémentarité – entre consommation etloisir.

On voit les biais que peuvent engendrer ces fac-teurs lorsque l’on cherche à mesurer δ directe-ment en comparant un plaisir aujourd’hui à unautre − accru − demain (cf. [Temps]). Tel indi-vidu qui privilégie fortement le présent, peutnéanmoins décider, s’il est aujourd’hui trèsoccupé, de remettre à des jours plus tranquilles– à la retraite par exemple – des vacancesrêvées, quitte même à épargner dans l’intervallepour les financer ; tel autre, prévoyant, avan-cera, au contraire, ces mêmes vacances parcequ’il craint de ne plus avoir la santé nécessairepour les apprécier pleinement dans 10 ans oud’être pris par ses petits-enfants. (19) (20)

Le survey de FLO montre cependant que les cri-tiques les plus virulentes adressées au modèleDU, sous la forme (13) avec β = 0 et ut = u, ontporté sur les propriétés de constance des goûts etd’additivité des préférences (ou « indépendancedes besoins »). Or l’observation la plus banalesemble contredire ces hypothèses d’invariancequi pourraient introduire des biais importantsdans la mesure des taux d’actualisation tempo-relle (cf. encadré 3).

19. Cependant, une impatience ne rime pas forcément avecimprévoyance. Un fort taux β′ peut aller de pair avec un faible tauxδ : le sujet est prévoyant à long terme mais pressé à court terme.Une configuration analogue entre β et δ est également possibleet conduit souvent au pré-engagement, comme dans le casarchétipal d’Ulysse.20. Contraintes liées aux limites cognitives du cerveau(cf. Herbert Simon : « mind as a scarce resource »).

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Encadré 3

VARIATIONS DES GOÛTS ET NON-SÉPARABILITÉS TEMPORELLES :BIAIS DE MESURE DU TAUX DE DÉPRÉCIATION DU FUTUR

Il s’agit ici de mieux spécifier ces facteurs qui polluentl’estimation du taux de dépréciation du futur δ afind’expliciter les moyens de les contrôler ou d’apprécier,à défaut, la nature des biais de mesure introduits.

Les goûts et les besoins varient au cours du temps

L’utilité courante du ménage dépend de variablesdémographiques, Zt, qui affectent la désirabilitéde la consommation aux différentes périodes del’existence :

(A)

Une mesure non biaisée de δ supposerait que l’oncontrôle les estimations en tenant compte des varia-tions systématiques ou prédictibles de ces taste shif-ters Zt au cours du cycle de vie.

On pourrait, pour ce faire, s’inspirer de la méthode uti-lisée par Attanasio et Browning (1995) dans leur test dumodèle du cycle de vie. Les auteurs conditionnentl’équation d’Euler par l’âge, l’éducation, la composi-tion familiale, le statut relatif à l’emploi (si la personnede référence est employée ou chômeur, si la femme aou non un emploi, etc.). La conclusion de leur étudeest favorable à la théorie du cycle de vie : censéesreprésenter des changements de goûts ou de besoins,les variables de contrôle expliqueraient la corrélationobservée entre consommation et revenu (c’est-à-direle lissage seulement partiel de la consommation).Autrement dit, un célibataire à qui il n’arriverait « rien »sur son cycle de vie aurait un profil de consommationtrès régulier.

La formation d'habitudes...

Contrairement au modèle DU, le bien-être dérivé de laconsommation présente Ct est supposé dépendre desconsommations passées (effets d’habitudes) ou atten-dues (phénomènes d’anticipation), en particulier decelles des périodes adjacentes : Ct–1 et ( : anti-cipée).

La formation d’habitudes remet en cause le caractèreprospectif des comportements mais préserve la cohé-rence temporelle des choix – habitudes rationnelles –si l’individu prend correctement en compte le fait quele niveau choisi de sa consommation actuelle va influersur ses préférences futures. Les habitudes rationnellessont souvent introduites, là encore sous forme d’unevariation des goûts au cours du temps, en faisantdépendre l’utilité instantanée du stock d’habitudesdéjà accumulé, St :

(B)

la variation du stock dépendant des « investissements »,Ct+1, et de sa dépréciation, supposée s’effectuer autaux constant ε. Le modèle d’addiction rationnelle deBecker et Murphy (1988) est fondé sur une formulationde ce genre.

Une spécification linéaire u(κCt − λSt) correspond àune formation d’habitudes lorsque κ et λ sont positifs :plus l’habitude est prégnante, c’est-à-dire plus lestock St est important, et plus la consommation Ct doitêtre élevée pour générer le même niveau de satis-faction. Un exemple simple est obtenu en posantκ = 1 − λ, λ = − a/(1 − ε), puis en supposant une dépré-ciation totale (ε = 1) ; on aboutit alors à la spécification(Deaton, 1992, p. 30) :

(C)

où le paramètre de préférence a indique le degré depersistance des habitudes, dont l’effet est supposé icise limiter au niveau de consommation de la périodeprécédente.

La non-séparabilité introduite dans les relations (B) ou(C) implique que le taux marginal de substitution entreles consommations de deux périodes t et t′ ne dépen-dra plus seulement du niveau de ces deux consomma-tions mais également de celui d’autres périodes. Ils’ensuit que l’élasticité intertemporelle de substitutionσ n’est plus l’inverse de γ, l’élasticité – au signe près –de l’utilité marginale.

Dans (C), par exemple, l’effet d’habitude aboutit à ceque l’agent ne retire du bien-être que de (Ct – aCt–1),soit de « l’excès » de sa consommation courante surcelle – pondérée – de la période précédente. L’agenttemporellement cohérent va alors chercher, autantque faire se peut, à diminuer la portée de cet effet decomparaison nocif : pour éviter de devenir blasé troptôt, il va différer quelque peu sa consommation. Autre-ment dit, les habitudes augmentent le taux de crois-sance anticipé de la consommation g (dont la valeurstandard est donnée par (7)), et induisent un biais enfaveur du futur. Les mesures du taux de préférencetemporelle δ qui ignorent ce biais seront donc sous-estimées (1).

Comment alors interpréter le fait que Fisher (1930,pp. 83-84) cite les habitudes parmi les facteurs per-sonnels qui augmentent, au contraire, l’impatience desindividus ? Son analyse se comprend le mieux en casde choc négatif imprévu : face à une baisse inopinéedes ressources, les habitudes − auxquelles on est atta-ché et auxquelles on ne veut pas renoncer − créent, àcourt terme, une résistance à la réduction de la con-sommation – voir l’effet de cliquet asymétrique deDuesenberry – et peuvent donner l’illusion d’un com-portement imprévoyant. Fisher poursuit la même idéedans un cadre intergénérationnel : une origine socialeélevée prédisposerait, en cas de revers de fortune, àun comportement de fils prodigue.

Ct 1+ X

1. En avenir risqué, le fait qu’il se réfère au différentiel (Ct - aCt-1),présentant une plus grande variabilité relative que le montant dela consommation lui-même, conduirait par ailleurs l’agent à seprotéger davantage, ce qui contribuerait à expliquer l’énigme dela prime de risque (cf. Deaton, 1992, pp. 68-70, et références).

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... et les phénomènes d'anticipation :savoring et dread

Ce même biais en faveur du futur est engendré par lesphénomènes d’anticipation, tel le désir général d’amé-lioration dans l’avenir et, plus particulièrement, le plai-sir de l’attente (savoring) d’un événement heureux quel’on diffère, ou l’appréhension (dread) d’une corvée oud’une expérience douloureuse dont on cherche aucontraire à être débarrassée au plus vite (2).

Ces phénomènes correspondent, cette fois, à desnon-séparabilités prospectives : dans le cas du savo-ring, l’individu tire satisfaction non seulement de saconsommation présente mais aussi de l’anticipationd’une consommation future élevée, par exemple. Uneformalisation – trop – schématique, donnée ici seule-ment à titre d’illustration, pourrait être la suivante :

(D)

où le paramètre de préférence individuel b caractérisela propension au plaisir de l’attente, b′ celle àl’appréhension ; ∆+ représente, lorsqu’il est positif,l’écart de la consommation prévue en t + 1 à un niveaude référence (« événement heureux ») et ∆− ce mêmeécart, en valeur absolue, lorsqu’il est négatif (les phé-nomènes d’anticipation sont censés, à tort, ne durer iciqu’une période).

On admet, en général, que les comportements de plai-sir de l’attente sont plus anecdotiques et moins pré-gnants que les comportements d’appréhension quipourraient s’observer même sur le long terme (FLO,p. 364). En fait, les deux attitudes obéiraient à desdéterminants différents, et les phénomènes d’appré-hension justifieraient donc l’introduction d’un paramè-

tre de préférence indépendant, b′, qui serait le plussouvent supérieur à b (Parfit, 1984).

Le comportement reste prospectif mais n'est pluscohérent temporellement, le futur n’étant pas globale-ment séparable du présent. L’incohérence des choixengendrée apparaît, en outre, symétrique de celleobtenue avec l’actualisation hyperbolique : dans cedernier cas, l’individu remettait toujours au lendemainla décision raisonnable, d’épargner par exemple ; ici,l’individu pourrait ajourner régulièrement sa décisionde consommer le lendemain pour éprouver encore unedernière fois le plaisir de l’attente (FLO, p. 371). (2)

À rebours d’une priorité accordée au présent, la préfé-rence pour les séquences croissantes de gains ou desatisfactions observée sur les données expérimentalespeut donc s’expliquer aussi bien par les habitudes,l’aversion à la perte – l’effet de cliquet – ou le plaisir del’attente ; en revanche, la préférence pour des séquen-ces décroissantes de pertes ou d’expériences doulou-reuses tiendrait, elle, surtout à l’appréhension (3).

2. La préférence pour le présent implique, au contraire, quel’on refuse de sacrifier un plaisir actuel pour un plaisir futur plusgrand et, parallèlement, que l’on repousse au lendemain lestâches désagréables (procrastination).3. Les habitudes rationnelles préservent la cohérence tempo-relle, les phénomènes d’anticipation sont compatibles avecdes choix prospectifs. Caplin et Leahy (2000) reviennent sur lesdeux propriétés à la fois : les individus actualisent le passé à untaux différent de celui utilisé pour l’avenir. Une actualisationexponentielle du futur va alors souvent de pair avec une inco-hérence temporelle rétrospective : l’agent regrette aujourd’hui– à 50 ans – ses choix passés – d’avoir trop consommé, de sonpoint de vue actuel, pendant sa jeunesse –, mais s’il avait lapossibilité de recommencer sa vie, referait les mêmes choixaux mêmes âges.

Encadré 3 (suite)

L’évolution des goûts et des besoins au cours ducycle de vie peut être prise en compte, a priori,en faisant dépendre l’utilité de la période,ut = u(Ct, Zt), de variables Zt propres au ménage− taille ou composition démographique, le faitque la femme travaille ou non, le fait que le marisoit au chômage ou non, le niveau d’éducation,l’état de santé, etc. − qui renseignent sur sesbesoins courants.

Reconnaître que le bien-être dérivé de la con-sommation Ct, à la période t, n’est pas indépen-dant des consommations des autres périodes,passées ou à venir, remet davantage en cause lesprésupposés des modèles du cycle de vie : ladépendance par rapport au passé correspond à laformation d’habitudes ; celle vis-à-vis de l’ave-nir traduit des phénomènes d’anticipation, telsle plaisir retiré de l’attente d’un événementagréable (savoring) ou, au contraire, l’appré-hension d’une expérience pénible à venir(dread). L’encadré 3 indique comment peuventêtre formalisés ces différents effets.

Trois nouveaux paramètres de préférence,a priori indépendants, doivent alors êtreintroduits : a, le degré de persistance deshabitudes ; b, la propension au savoring ; b', lapropension au dread, dont les effets porteraientsurtout – heureusement – sur le court terme.

L’encadré 3 analyse les biais d’évaluation de δou β que peuvent engendrer ces différents fac-teurs s’ils ne sont pas contrôlés : on voudraitainsi éviter, par exemple, que le taux de dépré-ciation du futur estimé mesure seulement ladiminution des capacités de jouissance avecl’âge.

Extension de l’horizon(motif de transmission altruiste)

Dans le modèle DU, l’horizon sur lequels’effectue la somme actualisée des utilités ins-tantanées a pour terme celui de l’existence del’agent, T. Cette propriété (ii) des modèles de

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cycle de vie exclut, de manière irréaliste, toutmotif de transmission de nature tant soit peualtruiste (cf. Arrondel et Masson, 2003 et réfé-rences).

La littérature économique offre deux grandesvoies de modélisation des préférences altruistesau plan intergénérationnel. La première, quali-fiée d’altruisme paternaliste ou « joie dedonner », suppose que les parents retirent satis-faction du legs ou du don lui-même, sans consi-dération réelle de l’impact du transfert sur lebien-être de leurs enfants. Par exemple, le legsBT (après impôt ?) intervient comme une con-sommation de la T + 1ième période :

(14)

où le paramètre de préférence θ(n) représente laforce du motif de transmission, supposée engénéral croissante avec le nombre d’enfants n,et la fonction v peut avoir une élasticité plus fai-ble que u pour rendre compte du fait que le legsest un bien de luxe.

La seconde voie, sans doute préférable tant auplan théorique qu’empirique, est celle del’altruisme dynastique à la Becker (1991) : lesparents retirent satisfaction du bien-être de leursenfants, qui lui-même dépendrait du bien-êtredes petits-enfants, etc. Sous forme ramassée,intergénérationnelle, les préférences s’écrivent :

U = V(C) + θ(n) Uenf (15)

où C désigne la consommation propre sur lecycle de vie et Uenf le niveau d’utilité atteignabled’un enfant. Le degré d’altruisme parental θ(n)est le facteur d’escompte de l’utilité procuré parle bien-être d’un enfant par rapport à laconsommation : il joue un rôle analogue au fac-teur α(t) d’actualisation sur le cycle de vie dansla relation (3). Sur le même mode que le taux dedépréciation du futur δ, on peut donc définir untaux d’escompte de l’utilité des enfants, ζ (21).

Ce parallélisme pourrait donner à penser que lestaux δ et ζ sont très fortement corrélés, commele suggérait déjà Aristote dans l’Éthique àNicomaque : « l’amitié » – l’amour – du pèrepour ses enfants, assimilés à des « parties de lui-même », y est conçue comme le prolongementde l’amour de soi (philautie). Or tel n’est pasforcément le cas. Accorder une importancedémesurée à ses projets ou à son parcours devie, à son « destin » (δ nul), peut tout aussibien correspondre à une forme pathologique

d’égoïsme, comme dans le cas d’une avariceextrême (Parfit, 1984). Sans aller plus loin, onretiendra seulement que δ et ζ sont à considérera priori comme des paramètres de préférenceindépendants.

Les anomalies des choix temporels :six nouveaux paramètres de préférence

Les anomalies les plus systématiques du modèleDU, décelées d’abord sur les données expéri-mentales mais aussi dans le monde réel, obli-gent donc à introduire, à côté des deux paramè-tres de base δ et γ – sans compter l’élasticité desubstitution σ –, toute une série d’autres para-mètres de préférence :

- β (actualisation hyperbolique) ; β′ (individu« pressé ») ;

- a (habitudes) ; b (savoring) ; b′ (dread) ;

- θ (degré d’altruisme) ;

soit au moins six nouveaux paramètres de préfé-rence indépendants.

La discussion précédente montre, en outre, qu’ils’agit clairement d’une borne inférieure – voirle cas des activités consommatrices de temps.De plus, les critiques les plus récentes dumodèle DU ont tendance à ne pas se satisfairedes modèles alternatifs proposés jusqu’ici : ellespoussent typiquement à l’introduction de para-mètres de préférence supplémentaires, commele montrent les deux exemples représentatifssuivants. (21)

Peu satisfaits par le caractère unidimensionneldu taux de dépréciation du futur δ, FLO(pp. 390-393) proposent de le diviser en troiscomposantes psychologiques : impulsivité(conduisant à des comportements spontanés,non réfléchis) ; compulsivité (la tendance à fairedes plans et à les mener à bien) ; inhibition (lecontrôle de ses émotions et de ses appétits). Lesauteurs se proposent de mesurer indépendam-ment ces trois composantes.

Certains économistes vont plus loin. Lusardi(1999 et 2002) et Ameriks et al. (2003) lient leniveau de la richesse à une « propension à pla-nifier financièrement » mal définie plutôt qu’au

21. À rebours, α(t) s’interpréterait comme le degré « d’auto-altruisme » du « moi présent » – à la date 0 – pour son« descendant » qu’est le « moi à la date t » (Masson, 2000,pp. 214-216).

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taux de dépréciation du futur stricto sensu.Selon Lusardi, les ménages américains actifsqui « pensent peu ou pas du tout à la retraite »détiendraient significativement moins de patri-moine. D’après Ameriks et al., contrairement àleurs mesures – très approximatives – des préfé-rences standard, le fait de « passer beaucoup detemps à élaborer un plan financier » aurait uneffet positif marqué sur les montants de patri-moine globaux et financiers (22).

Le réalisme, au prixd’une profusion de paramètres de goûts ?

u total, les critiques conjuguées adresséesaux modèles DU et EU et la détection d’un

nombre croissant d’anomalies de ces modèlesont eu deux conséquences.

Tout d’abord, elles ont abouti à une invalidationcomplète des hypothèses (i) à (v) qui dictent leschoix de l’épargnant dans la théorie standard,c’est-à-dire des préférences autonomes, relati-ves à l’horizon de vie de l’agent, prospectives,temporellement cohérentes et homothétiques.La moins critiquée, jusqu’ici, a sans doute été lapremière, imposant des préférences indépen-dantes de celles d’autrui : les économistes ontété, sans doute, moins sensibles que les sociolo-gues aux théories de la consommation ostenta-toire, selon Veblen (1899) ou Duesenberry(1949), bien que Abel (1990), par exemple, étu-die déjà l’effet d’une interdépendance des préfé-rences sur l’énigme de la prime de risque.

La seconde conséquence a trait à la multiplica-tion des paramètres de préférence individuelsqu’il apparaît nécessaire d’introduire pour ren-dre compte de manière un tant soit peu réalistedes comportements observés in vitro et in vivo.L’analyse précédente chiffre, au minimum, àune dizaine le nombre requis de paramètres sup-plémentaires, outre les deux de base, γ et δ.

Or ce double mouvement ne semble pas prêt des’arrêter. L’engouement pour l’économie socio-logique ou psychosociologique et le développe-ment des données, avec des questions directessur les préférences individuelles, risquent dedisqualifier encore plus la théorie standard etd’accélérer le recours à de nouveaux paramè-tres. Les modèles de choix en incertain non pro-babilisable expliquent les comportements finan-ciers par les degrés d’aversion à l’ambiguïté ou

à l’incertitude. Le rejet croissant de l’homothé-tie des préférences signifie qu’un individu plusaverse au risque qu’un autre dans ses choix deportefeuille pourrait être moins prudent dansson épargne de précaution (23). L’absence deréponse à des questions a priori élémentaires− par exemple, « Pourquoi tant de ménagesépargnent si peu ? » (titre de Lusardi, 2002) −pousse même à inventer de nouvelles préfé-rences, telle la propension à planifier, conceptvague pour lequel on ne dispose pas de théo-rie.

On peut alors se demander si la microéconomiede l’épargnant, dans ses tentatives d’explicationde la diversité des comportements d’accumula-tion, ne se dirige pas vers une impasse. La solu-tion semble passer par un retour à davantage derigueur pour éviter, surtout dans le cas de la pré-férence temporelle, tant les risques de confusiondans l’identification des paramètres de préfé-rence que les pollutions des mesures pard’autres facteurs. Elle suppose aussi une plusgrande parcimonie, pour retrouver une démar-che opérationnelle qui concilie des exigencesthéoriques et empiriques nouvelles avec l’esti-mation d’un nombre restreint de paramètres depréférence pas trop éloignés de ceux de la théo-rie standard. (22) (23)

Risques de confusion

On ne considère, dans un premier temps, queles paramètres de la théorie standard – δ, tauxde dépréciation du futur ; σ = 1/γ, élasticitéintertemporelle de substitution ; γ, aversionrelative pour le risque – et le taux marginal desubstitution (TMS) entre deux périodes. Enenvironnement certain, sous l’hypothèse demarchés parfaits caractérisés par le tauxd’intérêt r, on sait d’après les relations (5) quele taux d’équilibre, TMSi* pour l’agent i, estégal à (1 + r), alors que le taux entre deux con-sommations égales, TMSi (C, C), vaut (1 + δi).En même temps, σi mesure la courbure descourbes d’indifférence (maximale pour σ → 0,nulle pour σ → + ∞), et l’élasticité du tauxmarginal de substitution par rapport au ratiodes consommations vaut 1/σi.

A

22. Pour résoudre le problème évident d’endogénéité – une for-tune élevée conduirait à penser davantage à la retraite plutôt quel’inverse –, Ameriks et al. (2003) utilisent comme variable instru-mentale une question relative à la propension à planifier sesvacances.23. Les préférences homothétiques auraient notamment l’incon-vénient d’engendrer des choix de portefeuille statiques du faitd’une tolérance au risque linéaire (Gollier et Zeckhauser, 2002).

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Ces relations entre les paramètres indépendantsr, σi et δi, sont source potentielle de confusion.Le célèbre dicton de La Fontaine – « Un tiensvaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras » –,semble caractériser ce que l’on entend par unepréférence pour le présent, δi. Le dicton peuttout aussi bien s’interpréter comme un arbitragefinancier au taux r : un aujourd’hui, judicieuse-ment placé, rapportera plus que deux demain.La réponse de La Fontaine – « L’un est sûr,l’autre pas » – renvoie, elle, aux choix risquéset donc à γi = 1/σi : le futur est déprécié simple-ment parce qu’il est incertain. La théorie séparebien le taux du marché r des paramètres indivi-duels de préférence, l’un (σi ou γi) concernant ledésir de lissage de la consommation ou l’attitudeà l’égard du risque, et l’autre (δi) caractérisantl’attitude à l’égard de l’avenir. Mais les mesuresempiriques auront du mal à respecter ces lignesde partage : la relation (7), qui fait dépendre letaux de croissance de la consommation g destrois paramètres à la fois : gi = σi (r - δi), résumebien la difficulté.

L’étape suivante, non standard, qui distinguerait1/σi, l’aversion aux fluctuations temporelles dela consommation, de γi, l’aversion aux fluctua-tions de la consommation entre les états de lanature, pose d’autres problèmes. Barsky et al.(1997) proposent de mesurer indépendamment,sur données expérimentales, γi par des choix deloteries ou assimilés, et σi à partir de la relation(7), en comparant les choix effectués, pour dif-férentes valeurs du taux d’intérêt r, entre diffé-rents profils de consommations – croissants oudécroissants – de même montant actualisé. Maisles tentatives de mesures expérimentales de σise sont soldées par un échec. En effet, si leschoix de profils de consommation, g1 et g2 pourdeux taux d’intérêt r1 et r2 permettent biend’obtenir, pour chaque individu – indice iomis –, une estimation de σ par la formule :

(16)

cette mesure n’est pas stable : les choix observéspour r1 et r3 conduiront à des valeurs qui ontpeu à voir avec . Comment alors mesurer lesdifférences individuelles γi - (1/σi) ?

Risques de pollution : le cas d’une préférence pure pour le présent

Lorsque l’on s’éloigne davantage du mondeidéal de la théorie standard, ces problèmesd’identification deviennent rapidement inextri-cables du fait de la multiplication des facteurs à

considérer : faute de pouvoir isoler le paramètrede préférence recherché, on mesure les effetsd’un mélange hétéroclite et variable de ces fac-teurs et du paramètre incriminé. Ce risque depollution, particulièrement important dans lecas du taux de dépréciation du futur δ, explique-rait les mesures trop disparates de ce taux obte-nues dans les études précédentes (cf. FLO ;Masson, 2000). On peut ainsi dresser une listeindicative des facteurs à contrôler si l’on veutévaluer une préférence pure pour le présent, quiconcernerait seulement les poids relatifs attri-bués aux satisfactions des différentes périodesdu cycle de vie, indépendamment de tout effetde l’incertain ou de court terme. Dans la compa-raison entre « un aujourd’hui contre deux plustard », sont susceptibles d’intervenir les facteurssuivants, autres que δ :

1. le taux d’intérêt r (arbitrage financier) ;

2. l’utilité marginale décroissante (γ), dès que lesconsommations présentes et futures diffèrent ;

3. l’élasticité intertemporelle de substitution σ ;

4. l’incertitude des revenus futurs et donc lespréférences à l’égard du risque (ρ, π ...) ;

5. les probabilités de survie s(t) ;

6. l’impulsivité (β) ;

7. le fait d’être « pressé » (β′) ;

8. les changements de préférence, comme labaisse des besoins de consommation à âge élevé(Zt) ;

9. les habitudes (a) ;

10. le plaisir de l’attente (b) et de même...

11. les phénomènes d’appréhension (b′) ;

12. les contraintes de liquidité, qui empêchentd’emprunter aujourd’hui sur ses espérances degains futurs (24).

La plupart de ces facteurs introduisent un biaisen faveur du présent, surtout si l’agent prévoitd’augmenter sa consommation, et vont doncconduire à surestimer les δ s’ils ne sont pas con-trôlés. Les seuls facteurs induisant un biais

σ13σ12

24. La distinction entre préférence temporelle et contraintesd’emprunt est peut-être la plus délicate. Les modèles de buffer-stock (fonds de contingence) - où l’accumulation est limitée àquelques encaisses de précaution contre les chutes inopinées durevenu d’activité - requièrent des individus désireux d’empruntersur leurs ressources futures si celles-ci étaient certaines, soitqu’ils déprécient fortement le futur, soit qu’ils anticipent un profilde gains fortement croissant ; mais les modèles semblent inca-pables de distinguer les comportements d’épargne obtenus dansces deux cas d’impatience (cf. Caroll, 2001 ; Arrondel et Masson,1996).

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systématique en faveur du futur relèvent de phé-nomènes d’anticipation (10 et 11). Les phénomè-nes d’habitudes (9) ont un effet ambigu, pouvantaussi bien surestimer que sous-estimer δ(cf. encadré 3).

Une tâche impossible ?

Pour paraphraser une phrase célèbre, la préfé-rence pure pour le présent, soit l’actualisationdes utilités futures en tant que telles, serait alors« ce qui reste lorsque l’on a modélisé autrementtout ce qui pouvait l’être ». On sait que certainsauteurs comme Ramsey (1928) ou Tobin (1985)pensent alors qu’il ne reste rien − si ce n’est,éventuellement, les effets d’une attitude irra-tionnelle, assimilable à un défaut d’imaginationou de volonté. FLO prétendent aussi qu’uncontrôle adéquat des facteurs de biais devraitconduire à des choix intertemporels révélant des« taux de préférence beaucoup plus bas, à vraidire peut-être même nuls » (p. 389). Ils en vien-nent parfois à assimiler la préférence temporelleà une véritable déficience, lorsqu’ils suggèrentque certains dommages du cerveau conduisent àune myopie extrême ou s’intéressent auxmoyens de contrôler les pulsions et les facteurscompulsifs.

Cette critique de la préférence pour le présent,que l’on ne pourrait notamment distinguer, selonTobin (1985), des effets de goûts ou de besoinsvariables au cours du cycle de vie, peut néan-moins être aisément retournée. Postuler a prioril’absence d’actualisation temporelle aurait, eneffet, un coût symétrique, sans doute plusimportant : les évaluations des changements depréférence ou de besoins (8e facteur), les mesuresdes phénomènes d’habitudes (9e) ou d’anticipa-tion (10e et 11e) risqueraient ainsi d’être toutautant polluées par les taux de dépréciation dufutur, si l’hypothèse se révélait fausse.

Deux solutions extrêmes peuvent être alorsenvisagées. Soit on ne retient aucun paramètrede préférence temporelle (α(t) = 1, ∀ t) : cettehypothèse de traitement « équitable » des diffé-rentes périodes de l’existence peut, certes, sedéfendre dans les analyses normatives ou debien-être, mais elle n’est pas du tout adaptéelorsque l’on veut expliquer l’hétérogénéité indi-viduelle des comportements patrimoniaux. Soiton tente d’estimer simultanément un nombreélevé N de paramètres, au moins une douzaine,en essayant de contrôler les biais de pollutionréciproques, à l’évidence considérables. Autantdire que c’est une tâche impossible.

Pour un nombre restreintde paramètres de préférence

ant pour ce qui est des attitudes à l’égard durisque ou de l’incertain qu’en ce qui con-

cerne les préférences à l’égard du temps, on estdonc incité à adopter une voie moyenne, plusraisonnable. Dans le souci de concilier parcimo-nie et efficacité prédictive, l’approche présentéeici opère ainsi un retour partiel à la théorie stan-dard. Mais celle-ci est prise simplement commeune référence informelle, sans que l’on adopteses spécifications rigides ou l’hypothèse S,démenties par l’expérience. On retient seule-ment que l’action différentielle des préférencesindividuelles sur les comportements patrimo-niaux est censée graviter autour de deux para-mètres de base, convenablement réinterprétés :γ, pour les choix à l’égard du risque, et δ, pourla dépréciation du futur sur le long terme.

Cette relative simplicité aura une contrepartie :γ et δ étant définis de manière plus lâche, éva-luer un γi égal à 3,2 ou un δi égal à 6,8 %, n’auraplus grand sens, seules des estimations pure-ment ordinales de ces paramètres étant accepta-bles. Mais cela suffit tant qu’il s’agit d’expli-quer l’hétérogénéité résiduelle des profilspatrimoniaux ou de contrôler les effets testéspar la diversité des préférences individuelles.En outre, des mesures ordinales permettentd’introduire une flexibilité considérable dans letraitement des anomalies observées (25).

Un seul paramètre d’attitude à l'égarddu risque (variable selon le domaine ?)

Les choix patrimoniaux ne dépendent plusmaintenant que d’un seul paramètre de préfé-rence en matière de risque, que l’on peut encorebaptiser γ à condition de préciser qu’il repré-sente aussi bien l’aversion – relative – pour lerisque que la prudence ou la tempérance, ledegré d’optimisme ou de pessimisme quel’aversion à la perte, à l’ambiguïté ou à l’incer-titude, etc. Il s’agira d’une « moyenne » de cesvariables. Pour rendre compte de cette impréci-sion, on parlera bien d’attitude à l’égard du ris-que en se contentant d’un terme générique (26).

25. Ainsi, ne se préoccupe-t-on pas du fait que l’attitude àl’égard du risque varie selon le montant des enjeux ou les risquesencourus tant que le classement des individus évolue peu d’unesituation à l’autre.26. En l’absence de mesure fiable de l’élasticité intertemporellede substitution σ, ce paramètre γ rendra également compte, àtravers 1/σ, de l’aversion aux fluctuations temporelles de la con-sommation sur le cycle de vie.

T

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Aussi simple et économe qu’elle prétende être,cette approche unidimensionnelle ne peut élu-der une autre difficulté. Celle-ci tient à la varia-bilité des comportements à l’égard du risqueque peut manifester un même sujet d’undomaine à l’autre de l’existence − en matière deconsommation, de santé, de travail, de famille,ou de placements financiers, etc. Jusqu’ici, cethème a été relativement peu abordé par les éco-nomistes, bien que des modèles de choix enincertain rendent compte du fait qu’un individupuisse s’assurer confortablement tout en pariantà des jeux d’argent (cf. Schmeidler, 1989).

La littérature sociologique est plus prolixe. LeBreton (2000) distingue ainsi deux typesd’individus « risquophiles ». Les premiers,adoptent des conduites à risques, voire témérai-res, dans presque tous les domaines (alcool,tabac, absence de soin de sa santé, dettes, retardde paiement, divorce, etc.) : ce serait notam-ment le cas de jeunes en difficulté ou qui man-quent de repères. Les seconds sont, au con-traire, des gens bien installés qui sacrifient àune passion professionnelle, sportive, ou autre :ils ne témoignent d’un goût prononcé pourl’aventure que dans ce domaine privilégié ;ailleurs, ils évitent, à l’inverse, les problèmes etadoptent des conduite prudentes pour sauvegar-der leur passion.

Ainsi, la pratique de sports dangereux semble-t-elle à première vue caractéristique d’un indi-vidu qui aime les défis et devrait donc, parallè-lement, adopter des stratégies patrimoniales ris-quées. Or il peut aussi bien s’agir d’un casse-cou, aux comportements financiers effective-ment imprudents, que d’un sportif professionneltrès organisé, qui gérera ses placements en bonpère de famille (27).

C’est pourquoi il pourrait être nécessaire de fairedépendre l’attitude à l’égard du risque γ dudomaine étudié : consommation, loisir, santé, tra-vail, famille, etc. Cette variabilité s’avèred’autant plus complexe à étudier qu’elle peutrésulter d’effets d’interférence − de substitutionou de complémentarité − entre l’exposition aurisque dans un domaine et l’attitude face au ris-que dans un autre. Si le premier risque est inévi-table (background risk), on sait que l’attitude àl’égard du risque induite, , sera plus élevée queγ dès que l’individu est tempérant – substitution.Mais l’exposition au risque peut être davantagedésirée que subie – complémentarité – : s’ildevait renoncer à sa passion, ce sportif profes-sionnel en viendrait sans doute à adopter un com-portement patrimonial plus risqué (28).

La préférence pour le présent entre impatience de court terme et altruisme

Les difficultés que pose la préférence pour le pré-sent paraissent, en partie, symétriques de cellesrencontrées dans le cas de l’attitude à l’égard durisque. Il semble cette fois impossible de fairedépendre les choix temporels d’un seul paramè-tre de préférence, δ, en raison notamment desparticularités des comportements observés sur lecourt terme, source de nombreuses anomalies dumodèle DU. Par contre, on a davantage de rai-sons de supposer qu’une fois débarrassé de cesphénomènes parasites, le taux δ traduise bien uneattitude globale à l’égard du temps, une disposi-tion intrinsèque de l’individu qui dépende peu dudomaine de l’existence considéré : un sujet pré-voyant au regard de sa santé ou de sa carrière, leserait dans des proportions comparables enmatière de patrimoine (29). (27) (28) (29)

Reconnaître la pluralité des préférences gouver-nant les décisions dans le temps éloigne certes dela théorie standard ; contrairement au courantdominant (reflété par FLO), le souci sera ici deminimiser la distance introduite. La préférencepure pour le présent sur le long terme, représen-tée par δ, sera supposée conserver un rôle centraldans l’explication des choix patrimoniaux, et onlimitera, autant que faire se peut, le nombre desautres paramètres de préférence recensés.

Un traitement à part sera ainsi réservé aux élé-ments de la fonction d’utilité qui induisent unepriorité pour le présent sur le court terme, soitnotamment le degré d’incohérence hyperbolique,β, et le degré de rareté du temps disponible, β′.Responsables d’anomalies caractéristiques, cesderniers contribuent largement à l’instabilité desmesures de préférence temporelle, fortementsurestimées et variables selon le contexte. Onrendra compte de ces facteurs hétéroclites par unseul paramètre, le taux η d’impatience à courtterme − c’est-à-dire de « surdépréciation » dufutur proche. Dans la mesure où un comporte-

γ

27. La connaissance de la préférence pour le présent de l’indi-vidu δ et de son degré d’incohérence temporelle β offrirait lemoyen de lever l’ambiguïté : le casse-cou correspond, en géné-ral, à des valeurs élevées de δ et de β, le sportif de haut niveauprobablement à des valeurs beaucoup plus faibles.28. Une part de la variabilité de γ selon le domaine pourrait aussin’être qu’un artefact : l’attitude de l’individu dépendrait plutôt del’importance des enjeux qui ne seraient pas comparables d’undomaine à l’autre (les risques de consommation seraient plussouvent anecdotiques, les aléas en matière de santé plus impor-tants, etc.).29. Il ne serait d’ailleurs pas commode de repérer d’éventuellesvariations de δ selon le domaine de la vie, dans la mesure où lespratiques de consommation, par exemple, relèvent plus rarementdu long terme – et donc de δ –, tandis qu’à l’inverse les choixfamiliaux incorporent souvent une dimension altruiste.

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ment « impulsif » (β) a peu à voir avec un com-portement « pressé » (β′), cette préférence pré-sente certes un caractère composite qui peutdiminuer son pouvoir explicatif des choix finan-ciers. En fait, seul β paraît influer, plus qu’à lamarge, sur les comportements de l’épargnant.S’il a conscience de son incohérence temporelle(β > 0), un individu prévoyant (δ limité) voudrase discipliner : il cherchera à se pré-engager enrecourant à l’épargne contractuelle − même si lerendement de cet argent immobilisé n’est passupérieur à celui de placements libres (Laibson,1997) ; un autre, plus insouciant (δ élevé), ris-que, du fait de cette même incohérence tempo-relle, d’éprouver des difficultés à boucler sonbudget, à rembourser ses emprunts, etc. (30).

À l’autre bout de l’échelle de temps, le taux δsera séparé du degré d’altruisme intergénéra-tionnel θ : en dépit d’affinités superficielles, ona vu qu’il était préférable de considérer cesparamètres de préférence comme indépendants.Il semble, en outre, pertinent de distinguer deuxformes d’altruisme, souvent confondues dansdes modèles intergénérationnels trop abstraits :l’altruisme familial, représenté par le tauxd’escompte θf, et l’altruisme non familial (ousocial), représenté par le taux d’escompte θnf.L’altruisme pour les siens peut aller ainsi de pairavec un souci mitigé pour le sort des générationsfutures ou, plus généralement celui de la planète(cf. Masson, 2003) (31).

La mesure du taux δ portera sur les phénomènesde long terme, qui concernent spécifiquementles rapports de soi à soi au cours de l’existence.Jointe aux probabilités de survie, cette préfé-rence temporelle couvre un horizon comprisentre celui de l’impatience de court terme, η, etles temps familiaux ou dynastiques des degrésd’altruisme θf et θnf.

Au total, on cherche donc à mesurer cinq para-mètres de préférence individuels : l’attitude àl’égard du risque ou de l’incertain, γ, qui peutvarier d’un domaine de la vie à l’autre ; la pré-férence pour le présent, δ, et trois autres para-mètres secondaires : l’impatience de courtterme, η, et les degrés d’altruisme θf et θnf.

La méthode utilisée pour estimer les préférences retenues

omment mesurer ces cinq paramètres depréférence, notamment les deux princi-

paux, γi vis-à-vis du risque et δi vis-à-vis du

temps, pour chaque individu – ou ménage – id’un échantillon représentatif de la populationfrançaise ? La discussion théorique précédenteet les hypothèses simplificatrices retenues − unseul paramètre d’attitude à l’égard du risque, γi,indépendance de la préférence temporelle δi parrapport au domaine considéré − conduisent à sedistinguer des approches habituelles à la foispar :

- l’objectif poursuivi : des mesures ordinales,qui visent seulement à classer les individus lesuns par rapport aux autres ;

- les moyens utilisés : une multiplicité de ques-tions de toute nature (opinions, intentions, prati-ques), et couvrant une multitude de domaines,avec le souci de confronter les sujets à des situa-tions concrètes ou réalistes, même si des scéna-rios fictifs et des questions abstraites – choix deloteries – sont également proposés ;

- la méthode d’estimation : l’élaboration descores synthétiques, sortes de moyennes desréponses apportées par l’individu à des ques-tions autorisant souvent des interprétations mul-tiples, sans que l’on sache toujours celle qu’aretenue l’intéressé (effets de contexte, etc.).

Évoquer au préalable les écueils rencontrés parles tentatives antérieures permettra de mieuxjustifier les choix opérés. (30) (31)

Les difficultés des autres mesuresde préférences face au risque et à l’avenir

La littérature propose deux types de mesure despréférences à l’égard du risque ou du temps : lespremières se fondent sur des données d’enquê-tes effectuées sur le terrain – les comportementsobservés dans la réalité –, et donnent, le plussouvent, lieu à des estimations économétriques ;les secondes sont de nature expérimentale. Sil’on cherche à expliquer la diversité des com-portements patrimoniaux à partir de l’hétérogé-néité des préférences individuelles, ces évalua-

C

30. C’est pourquoi on assimilera souvent les effets de l’impa-tience η avec ceux de l’incohérence temporelle β. Reste quel’épargne contractuelle pourrait également attirer certains indivi-dus pressés (β′) si elle leur permet d’économiser sur le temps degestion du patrimoine.31. L’importance de cette distinction au plan patrimonial appa-raît clairement dans la législation successorale américaine, plusen faveur de l’altruisme social que familial : la liberté de tester yest presque totale, les droits de l’enfant-héritier réduits auminimum ; les legs familiaux trop élevés y sont socialement malconsidérés, et d’ailleurs lourdement taxés, alors que les donscaritatifs ou créations de fondations effectués par les plus richessont fortement encouragés, y compris et d’abord sur le plan fis-cal. La législation successorale française, fondée sur le droit dusang, semble bien introduire un biais opposé.

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tions des paramètres γi et δi souffrent de l’un ou del’autre des maux suivants − en général de plusieursà la fois – : (a) elles ne portent que sur l’un oul’autre paramètre de préférence, exclusivement ;(b) concernent des moyennes de ces paramètresselon les caractéristiques observées ; (c) onttrait à des populations trop spécifiques (étu-diants, par exemple) ; (d) incluent d’autresdimensions − confounding factors − que le ris-que ou le temps, ou mélangent ces deux dimen-sions sans parvenir à séparer le futur lointain et lefutur incertain ; (e) dérivent de questions oud’expériences trop isolées, anecdotiques, ou arti-ficielles − problèmes d’incitation ou effets decontexte – ; (f) ne sont fondées que sur une oudeux questions, souvent plus concrètes, mais cen-sées révéler, à elles seules, l’aptitude ou la préfé-rence recherchée ; (g) s’appuient enfin sur dessources statistiques qui renseignent peu, ou pasdu tout, sur les comportements patrimoniaux desenquêtés.

Les mesures économétriques ont l’inconvénientde se référer à une spécification théoriquerigide, en général proche de la théorie standard− utilité espérée ou actualisation exponentielle.Focalisées le plus souvent sur l’estimation d’unseul paramètre (a), elles ne fournissent que desmoyennes selon les caractéristiques observées(b) et surtout contrôlent mal les biais introduitspar les facteurs non pris en compte (d). Les esti-mations moyennes de l’aversion pour le risque,disparates d’une étude à l’autre, s’étagent ainside 0,75 ou moins jusqu’à 5 ou plus : typique-ment, les mesures fondées sur les investisse-ments en actifs risqués confondent portefeuillesdésirés et réalisés et ignorent les biais créés parl’énigme de la prime de risque (cf. Friend etBlume, 1975, par exemple). Les évaluations dutaux de dépréciation du futur, faites dans lesdomaines de la santé, des risques professionnels– arbitrage entre un supplément de revenu et unrisque de mortalité accru –, ou de la consomma-tion – équation d’Euler –, ont tendance à mesurerplutôt des taux marginaux de substitution inter-temporels, qui incorporent, à tort, les effets descontraintes de liquidité et de l’incertitude dufutur. Si l’on excepte le cas anecdotique des biensdurables, le taux de dépréciation du futur variequand même, selon les cas, de 1 ou 2 % jusqu’à10 ou 20 %, voire beaucoup plus (cf. FLO).

Les études expérimentales ont d’abord eucomme objectif le test de la théorie standard.Les choix proposés aux sujets entre différentesloteries ont mis en évidence tout une série dedéviations par rapport au modèle de l’utilitéespérée : surestimation des événements de pro-

babilité faible comme dans le paradoxe d’Allais(1953) ; aversion à l’ambiguïté révélée par leparadoxe d’Ellsberg (1961) ; asymétrie du com-portement entre le gain et la perte, etc. Les choixentre des gains ou des pertes à différentes datesont révélé pareillement de multiples anomaliesdu modèle DU : actualisation hyperbolique ;habitudes ; phénomènes d’anticipation ; effetsde contexte – dont l’asymétrie entre gains etpertes –, etc. Par rapport aux données d’enquê-tes, ces expériences de laboratoire ont le doubleavantage de ne pas se référer à des formalisa-tions trop étroites et de pouvoir éliminer nombrede facteurs parasites – information imparfaite,contraintes de liquidité, etc. A priori, elles per-mettraient même un accès direct à telle ou tellepréférence des individus, en plaçant ces derniersdans des situations hypothétiques conformes auchamp d’application de la théorie : par exemple,un futur certain dans le cas de la préférence tem-porelle.

Le prix à payer tient cependant au caractère arti-ficiel du protocole expérimental (e), qui contri-bue pour beaucoup à la très forte instabilité desmesures − surtout lorsque les cobayes sont desvolontaires, recrutés parmi les étudiants desexpérimentateurs (c) et donc sans réelle accu-mulation patrimoniale (g). Mais est-il vraimentsurprenant que les réactions d’individus sélec-tionnés face à des petits jeux – de loteries – pro-posés en laboratoire ne soient pas identiquesaux choix de vie qui gouvernent les décisions de« Monsieur Tout le monde » au fil de sa viequotidienne ? La solution ne consiste pasdavantage dans la tendance manifeste à mesurerla préférence temporelle à partir de choix mieuxcontrôlables parce qu’ils portent sur le courtterme : cet intervalle est en effet celui où se con-centrent nombre d’anomalies du modèle DU quireprésentent autant de nouveaux facteurs pol-luants (d).

Pour remédier aux défauts propres à chaqueapproche, les contributions les plus récentestentent un compromis salutaire en incorporant,dans des enquêtes transversales ou de panelmenées auprès des ménages, des modules dequestions, de type expérimental ou plus concrè-tes, sur les préférences individuelles. Le recueilde l’information recherchée a ainsi l’avantagede s’effectuer sur des échantillons représentatifsdes populations nationales concernées – États-Unis, Pays-Bas, Italie, etc. –, pour lesquels ondispose, par ailleurs, de renseignements sur lemontant et la composition du patrimoine, lerevenu, etc. Autrement dit, les objections (a) à(c), mais aussi (g) sont levées d’emblée.

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L’étude de référence, qui a fortement inspiré lesautres, est celle de Barsky et al. (1997) sur don-nées américaines (HRS). Elle vise bien à estimersimultanément, pour chaque enquêté, l’aversionau risque et la préférence pour le présent, en pri-vilégiant parfois les mesures ordinales. Enmatière de risque, Barsky et al. utilisent unchoix hypothétique sur une série enchaînée deloteries concernant le risque de revenu profes-sionnel pour estimer directement l’aversionrelative pour le risque (cf. [Présentation],encadré 1). Cette mesure de γi est analysée dansla suite du dossier, dans l’article [Risque].Comme elle suppose − hypothèses standard peuréalistes − des préférences homothétiques et lamaximisation de l’utilité espérée, elle n’échappemalheureusement pas à l’objection (d) concer-nant la pollution par d’autres facteurs. Elle pré-sente aussi l’inconvénient de reposer sur unequestion unique (f) et, qui plus est, largementartificielle (e).

Cette dernière objection apparaît encore plussérieuse pour les mesures des mêmes auteursrelatives à la préférence temporelle δ ou à l’élas-ticité de substitution σ, ce qui explique qu’ellesaient été moins souvent reprises par les étudesultérieures. Ces mesures sont en effet fondéessur le choix entre des profils de consommationsur le cycle de vie, à partir de la relation (7) dansle cas de δ et de la relation (16) dans le cas de σ.Or les conditions quasi expérimentales auxquel-les sont confrontés les enquêtés peinent à repro-duire le déroulement du temps et les spécificitésde la temporalité humaine. Les individus inter-rogés échouent à se projeter ainsi dans unmonde fictif et abstrait où ils se retrouvent trans-portés à un âge donné, avec une durée de vie res-tante certaine et parfaitement connue, commeon pourrait le formuler, en forçant le trait, de lafaçon suivante : dans l’amorce typique suivante,qui semble extraite d’un énoncé d’examenscolaire : « Supposons que vous ayez actuelle-ment 50 ans et que vous allez vivre jusqu’à80 ans exactement... ». Ou dans le même ordred’idée, suis-je capable de déterminer commentserait modifié mon comportement d’épargne sij’apprenais que je dois mourir, quoi que je fasse,le 14 janvier 2015 à 17 heures 30 précises, niavant, ni après ? (cf. Masson, 1995).

Un objectif limité : classer les individuspar des mesures ordinales

La démarche adoptée ici évite d’emblée lesécueils (a) à (c) et (g) grâce à un montaged’enquêtes, décrit plus amplement dans la pré-

sentation générale ([Présentation]). L’enquêtenationale Insee Patrimoine 1998 fournit desrenseignements détaillés, d’ordre patrimonial etautres, sur chaque ménage concerné. Les ques-tionnaires recto verso et méthodologique, repro-duits respectivement dans l’encadré 1 et en finde dossier, concernent différents sous-échan-tillons de l’enquête mère, eux-mêmes représen-tatifs de la population française (32) ; ils visent àobtenir des indicateurs de préférence à l’égarddu risque ou du temps pour chaque enquêté.

Le questionnaire recto verso reproduit les figu-res imposées des études antérieures les plusrécentes. S’inspirant directement de l’étude deBarsky et al. (1997), il propose un choix analo-gue entre des loteries sur le revenu pour déter-miner l’aversion relative pour le risque dans uncadre standard. Cet exercice de style n’a pas étépoursuivi dans le cas de la préférence tempo-relle, au vu de l’échec manifeste rencontré icipar Barsky et al. et leurs successeurs.

Viennent ensuite les figures libres, plus origina-les. Le questionnaire méthodologique, beau-coup plus étoffé (85 questions), vise à estimerles préférences individuelles à l’égard du risqueet du temps dans un cadre élargi, non standard.Comportant peu de choix de loteries, peu d’arbi-trages entre des quantités d’un même bienaujourd’hui et demain, il ne cherche cependantplus à évaluer la valeur d’un paramètre de pré-férence bien déterminé, quitte à se référer à unespécification théorique particulière ou à placerles sujets dans des situations abstraites. Sonobjectif est plus modeste : la batterie de ques-tions proposées, beaucoup plus concrètes, surles opinions et les pratiques dans différentsdomaines cherche seulement à classer lesenquêtés, à les ordonner selon des indicateursqualitatifs qui caractérisent globalement leurattitude à l’égard du risque (γi) et leur degréd’imprévoyance à terme (δi), ainsi que leursdegrés d’impatience ou d’altruisme – familialou non.

Le questionnaire ne cherche donc pas à évaluerdirectement le bien-fondé des modèles DU ouEU comme dans les expériences précédentes,mais seulement à rendre compte de l’hétérogé-néité individuelle des cinq paramètres de préfé-rence retenus : les tests n’interviendront quedans une seconde étape, concernant les effetsrelatifs de ces paramètres sur l’accumulation

32. Voir l’encadré 2 de [Présentation] pour le sous-échantillon del’enquête méthodologique (1 135 ménages).

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patrimoniale. Ainsi, peu importe que le classe-ment d’ensemble obtenu en matière d’attitude àl’égard du risque fasse davantage intervenirl’aversion au risque, la prudence ou l’aversion àla perte tant que les hiérarchies évoluent peu, unindividu plus risquophobe étant également plusprudent – cas de préférences homothétiques –,et de même plus averse à la perte.

Multiplier les questions concrètesde toute nature...

À ce stade toutefois, la démarche adoptée ici nese distingue pas fondamentalement de certainesétudes récentes : sur données américaines,Lusardi (2002) et Ameriks et al. (2003) se con-tentent aussi de mesures qualitatives, établies àpartir de questions relativement concrètes, con-cernant à la fois les préférences à l’égard du ris-que et du temps, ainsi que la « propension àplanifier ». La principale différence vient de ceque les études citées n’utilisent jamais qu’uneou deux questions subjectives, en supposantqu’elles sont suffisamment bien posées pourpouvoir cerner le paramètre de préférence enquestion et éliminer autant que possible l’inci-dence de facteurs polluants non contrôlés (33).

Le questionnaire utilisé dans l’enquête balaie,au contraire, un grand nombre de situations etde domaines avec des questions de toute nature,sans prétendre à chaque fois cibler très précisé-ment le paramètre incriminé ni éliminer lessources de biais. L’enquête méthodologiqueexplore ainsi une voie novatrice. L’expérienceacquise lors de multiples enquêtes françaises surle patrimoine, les placements financiers etl’héritage instruit de la difficulté qu’il y a àinterpréter et à utiliser les questions d’opinionou d’intention posées de manière isolée en ques-tionnaire fermé. Prenant acte de la quasi-impos-sibilité de supprimer, dans ce cadre, les effets decontexte, on tente d’en limiter la portée en mul-tipliant les domaines abordés, et en s’intéressantà un large éventail de comportements, certainsrelatifs à des décisions importantes, mettant enjeu de fortes sommes ou engageant le longterme, d’autres ayant pour objet des microdéci-sions, sans conséquences majeures ou durables,voire même anecdotiques.

Chaque domaine est ainsi couvert par des ques-tions factuelles ou objectives – par exemple,« Avez-vous réduit votre consommation deviande suite au problème de la “vache folle ” » –par des questions d’opinion ou subjectives – parexemple, « Êtes-vous sensible aux problèmes de

financement des dépenses de santé » –, maisaussi en demandant à l’enquêté de réagir à desscénarios fictifs – par exemple, options de retraiteà la carte –, ou encore en l’invitant à se position-ner, plus globalement, sur des échelles graduéesselon la perception qu’il a de son comportement– par exemple, « prudent » ou « aventureux »pour le risque ; « vit au jour le jour » ou« préoccupé par l’avenir » dans le cas de la préfé-rence temporelle.

En résumé, cette approche se distingue par soncaractère non seulement qualitatif mais aussiéclectique. Ni test des modèles, ni tentatived’évaluation quantitative des préférences, elleessaie seulement de hiérarchiser les individusselon leurs attitudes à l’égard du risque et dutemps. Au lieu de cibler l’analyse sur quelquesquestions clés, elle tente, par ailleurs, une sortede moyen terme ou de compromis entre lesexpériences menées en laboratoire et les étudeseffectuées sur le terrain : elle combine des ques-tions abstraites, proches des conditions d’appli-cation idéale de la théorie, à d’autres concernantles projets de l’individu, ou tente encore uneévaluation directe des préférences (échellesauto-déclarées) ; mais elle renseigne égalementsur les pratiques effectives – de sports risqués,par exemple – ainsi que sur les stratégies effec-tivement mises en œuvre pour réduire le risque– acquisition d’information, etc. (33)

... pour en inférer des scores, indicateurs synthétiques des préférences individuelles

Reste le problème central : cette approche per-met-elle, mieux que d’autres, de limiter les biaisintroduits dans la mesure des préférences par leseffets de contexte et les facteurs non pertinents ?Autrement dit, un portrait établi par petites tou-ches successives est-il plus ressemblant quebrossé à grands traits stylisés ? L’enjeu con-cerne la multiplicité des interprétations possi-bles ou polysémie des questions posées dansl’enquête méthodologique, d’autant plus impor-tante potentiellement, que celles-ci revêtent uncaractère concret, les questions abstraites soule-vant plutôt des problèmes d’incitation ou decompréhension.

33. Pour compenser le nombre réduit de questions, ces étudesse contentent d’introduire une gradation détaillée dans les répon-ses. Chez Ameriks et al. (2002), à la question clé « I have spent agreat deal of time developing a financial plan », les réponses sontainsi codées en six rubriques de 1 = disagree strongly à 6 = agreestrongly.

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Cette polysémie a une double dimension(cf. questionnire en fin de dossier). L’individuqui déclare ne jamais garer son véhicule en zoneinterdite (question I.Q5) peut le faire, soit parcequ’il n’est pas trop pressé ou accepte d’attendrede trouver une place libre (impatience η faible) ;soit parce qu’il est prudent ou a peur du gen-darme (γ élevée) ; soit encore parce qu’il a unsens du civisme élevé. La première polysémieconcerne l’interprétation possible en termesd’une préférence ou d’une autre, ou encore desdeux à la fois (η et/ou γ) : elle relève d’une déci-sion a priori − dans le cas présent on n’a retenuque la prudence, soit γ. La seconde forme, crééepar un facteur non pertinent, n’est pas contrôla-ble au seul vu de la question posée : sans autreinformation, l’individu peut aussi bien être unamoureux du risque qui possède un sens civiquetrès développé.

Ces polysémies doivent être assumées. Cellesdu premier type tiennent notamment aux inter-férences entre δ et γ : démêler, dans les compor-tements, les effets de l’incertitude du futur et dusimple éloignement temporel est un défi pres-que impossible à tenir, tant les deux phénomè-nes sont imbriqués ; de même, imaginer un futurqui soit certain tient de la gageure, hors certai-nes situations limites. Les facteurs polluants,quant à eux, incluent notamment des considéra-tions de morale ou de civisme, de sensibilitéspolitiques, de désir de distinction ou d’innova-tion, qui offrent des marges d’interprétationconsidérables.

L’approche repose alors sur l’hypothèse suivante :pour les questions que l’on attribuera à tel ou telparamètre de préférence, ces différents biais secompenseraient plus ou moins au niveau d’unindicateur synthétique ou score, « moyenne »aussi représentative que possible de l’ensembledes réponses apportées par chaque enquêté. Plusprécisément, il en sera ainsi pourvu que l’on aitmultiplié suffisamment ces questions, en faisantvarier leur domaine, leur genre et les situationsconsidérées. L’intuition sous-jacente est que sices réponses relèvent bien d’une composantecommune liée à la préférence incriminée, lesfacteurs de biais incorporés par chacune d’ellespourraient s’interpréter comme des « erreurs »,d’importance limitée et relativement peu corré-lées entre elles du fait de la variété des questions(Spector, 1991, pp. 10-12).

Comme le montrent les développements de lathéorie et les acquis économétriques ou expéri-mentaux, cette hypothèse d’une cohérenceinterne minimale des questions associées à cha-

que préférence est loin d’être anodine et nepourra être validée, statistiquement, qu’ex post,par la méthode de l’alpha de Cronbach ou l’ana-lyse en composantes principales, par exemple.Elle est toutefois moins forte qu’il n’y paraît, dufait que les mesures ne portent que sur des éva-luations relatives, destinées à hiérarchiser lesindividus : ainsi, n’a-t-il pas été nécessaire dedistinguer deux scores de risquophobie, l’unpour les « petits » risques et l’autre pour les« gros » risques (34).

La procédure d’affectation de questions polysémiques aux indicateurs de préférence

Comme les tests statistiques ne peuvent juger dela validité des scores élaborés qu’après coup, ettoujours imparfaitement, la pertinence de cesindicateurs synthétiques dépendra surtout dusuccès de deux opérations préalables, supposéeslimiter le problème de la polysémie des ques-tions posées.

La première concerne le choix et la formulationdes questions. Les résultats seront d’autant plusprobants que l’on aura pris soin d’éliminerd’emblée les questions susceptibles de présenterune trop forte polysémie. Un seul exemple : lechoix offert, lors de certaines expériences natu-relles ou à la sortie d’assurances vie, entre unpaiement unique en capital ou une rente viagère,est censé révéler, pour certains auteurs, la préfé-rence pour le présent des individus (FLO,p. 395) ; mais on a vu que l’arbitrage entre capi-tal et rente faisait intervenir, hors cette préfé-rence, beaucoup trop de facteurs non contrôla-bles (non-indexation sur l’inflation, contraintesde liquidité, aversion à la perte, motif de trans-mission, etc.) pour que l’on puisse retenir unequestion sur ce thème.

La seconde a trait à la procédure d’affectationde chaque question à tel ou tel paramètre depréférence − ou à deux d’entre eux simultané-ment. Les idées directrices qui ont guidé ce pro-cessus de décision a priori sont exposées dansArrondel et al. (1997 et 2002). Les choix effec-tués sont indiqués à la fin de ce dossier(R = risque ; I = impatience ; T = préférencetemporelle ; A = altruisme, familial ou non).

34. S’agissant de la priorité accordée au présent, en revanche,la distinction introduite entre impatience de court terme et pré-voyance sur le long terme a d’abord été suggérée par l’hétérogé-néité des réactions recueillies lors d’un test préliminaire, lesraisons théoriques étant venues après.

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On prend l’exemple de la question I.Q16, soitle fait d’avoir (eu) des difficultés à bouclerson budget pour cause d’endettementexcessif : cette expérience peut traduire del’impatience/impulsivité – on veut tout toutde suite, sans prendre le temps de réfléchiraux conséquences –, ou révéler une forte pré-férence pour le présent – le bien-être aumoment de l’achat importait davantage queles problèmes créés à terme –, mais aussitémoigner d’une faible aversion pour le risque– on a tenté sa chance sans trop se préoccuperdes aléas pouvant affecter des ressources irré-gulières. On a choisi ici de ne retenir que lesdeux premières possibilités : la question nefigure pas dans le score de risque (35).

À suivre...

ette analyse clôt l’article désigné dans cedossier par [Théorie]. Les trois autres

sont consacrés pour l’essentiel aux traite-ments statistiques. Les deux suivants abor-dent la mesure des préférences individuelles,à l’égard du risque − article [Risque] − et àl’égard de l’avenir − article [Temps]. Le der-nier [Patrimoine] constitue une première ana-lyse des effets de ces scores de préférence surl’accumulation patrimoniale et tire les leçonsde l’expérience.

Construction et validation des scoresde préférence à l’égard du risqueet du temps

Dans [Risque] et [Temps], les tableaux desencadrés fournissent une vue synoptique descodages (- 1, 0 ou + 1) adoptés pour chaquemodalité de réponse aux questions retenuespour le score concerné, ainsi que les effectifscorrespondants (en %). En faisant la somme des« notes » ainsi obtenues par un individu, onobtient la valeur brute de son score, centrée surzéro. La valeur nette réduit la somme des notesaux seuls items qui se sont révélés former untout statistiquement cohérent, selon le critère del’alpha de Cronbach (36) ; seuls les scores netsont été utilisés dans les analyses empiriques.Comme on pouvait s’y attendre, le déchet (ques-tions en grisé dans les tableaux) est relativementplus important pour l’impatience et la préfé-rence temporelle de long terme que pour lesautres paramètres (37).

Déterminants individuels des scores :qui aime le risque ? qui voit loin ?

Les deux articles médians [Risque] et [Temps]sont construits de la même manière :

- rappel plus littéraire, et sous un angle plusopératoire, des enjeux et problèmes théoriquesdéveloppés dans cet article pour permettre aussiune lecture indépendante ;

- exposé des difficultés empiriques spécifiquesposées par l’approche retenue dans le cadre dece dossier et les questions de l’enquêteméthodologique ;

- élaboration des mesures des paramètres depréférence : score global de risque dans un cas,score relatif à l’impatience de court terme, à lapréférence pure pour le présent, et aux degrésd’altruisme, familial et non familial, dansl’autre ;

- déterminants observables de ces indicateursde préférence, envisagés comme variabledépendante dans les régressions : il s’agit dedresser les portraits-robots de ceux qui prennentle plus de risques ou se révèlent les plus pru-dents, de ceux qui sont le plus – ou le moins –prévoyant, impatient, ou altruiste − et de mêmepour les phénomènes d’anticipation (savoring,dread) ou pour ceux qui sont le plus enclins à sepré-engager. (35) (36) (37)

Qu’il s’agisse du risque ou du temps, les scoresapparaissent mieux expliqués − et de manièreplus cohérente − que les échelles auto-déclarées ; mais ces dernières obtiennent elles-mêmes de meilleurs résultats que les questionsindividuelles – y compris le petit jeu de loteriesdu questionnaire recto verso. Pour tous les indi-cateurs de risque – score, échelles, jeu deloteries –, les hommes apparaissent, enmoyenne, plus aventureux que les femmes, etles aînés plus prudents que les jeunes ; en revan-che, hommes et femmes ne se distinguent pas ence qui concernent les indicateurs de préférencetemporelle ou d’altruisme (score, échelle, ou

C

35. On s’arrête, pour chaque question, à deux interprétationspossibles : la question I.Q16 correspond ainsi aux items I5a pourle score d’impatience, et T3 pour le score de préférence tempo-relle.36. Le coefficient de corrélation de chaque item avec la sommedes (n - 1) autres doit être positif et d’au moins 5 % : une corré-lation élevée signifie que tous les facteurs vont dans le mêmesens, c’est-à-dire que chaque item fait partie d’un ensembled’éléments partageant une signification commune (Spector,1991).37. Dans [Patrimoine], les corrélations entre scores sont obte-nues en affectant les items polysémiques à un seul score : lesvaleurs obtenues constituent donc des bornes inférieures – envaleur absolue – des corrélations réelles.

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questions prises isolément), et cela même lors-que l’on restreint l’échantillon aux individus encouple avec enfants.

Les scores en tant que facteurs explicatifs des comportements patrimoniaux

L’article [Patrimoine] inclut les indicateurs depréférence mesurés parmi les variables explicati-ves des comportements patrimoniaux. Les scoresont, toutes choses égales par ailleurs, un effetsignificatif sur le montant et la composition dupatrimoine, et dans le sens attendu, c’est-à-direconforme aux prédictions théoriques. Pour s’entenir au seul montant global, les ménages plusprudents accumulent davantage, probablementen raison d’une épargne de précaution plusélevée ; de même, les ménages plus prévoyantssont plus fortunés que les autres, du fait d’unhorizon plus long – épargne retraite –, et lesaltruistes au plan familial possèdent plus que leségoïstes, signe de l’existence de motifs de trans-mission de la richesse. Enfin, l’indicateurd’impatience, qui est censé résumer, pour unelarge part, l’influence de phénomènes perturba-teurs ou épidermiques venant polluer la mesurede la préférence pour le présent, n’exerce effec-tivement aucun effet décelable sur l’accumula-tion patrimoniale.

Ces effets sont loin d’être négligeables, notam-ment en ce qui concerne la préférencetemporelle : entre individus « extrêmes » (entrele plus « myope » et le plus prévoyant del’échantillon, par exemple), les écarts de patri-moine estimés peuvent être quantitativementimportants − de l’ordre de 1 à 10 −, quand bienmême le gain de variance expliquée reste finale-ment modeste du fait de l’extrême concentrationdu patrimoine.

Certes, ces corrélations ne préjugent pas du sensde la causalité et n’auraient qu’une portée limi-tée si elles signifiaient, par exemple, qu’unerichesse plus importante engendre un taux depréférence temporelle plus bas (Becker et Mul-ligan, 1997) (38). Le recours à des instrumentsdont la qualité a été statistiquement validéemontre cependant que, dans les régressions depatrimoine, les scores – à l’exception de celuid’impatience – peuvent être considérés comme

exogènes : leurs effets sur le patrimoine sontdonc robustes (39).

Une autre conclusion, d’importance, est que lesscores se révèlent beaucoup plus performantsque les échelles auto-déclarées. Les corrélationsentre scores et échelles ont le bon signe, mais leséchelles ont un pouvoir explicatif des comporte-ments patrimoniaux sensiblement plus faible etpas toujours cohérent. Tout semble se passercomme si, livrés à leur spontanéité et sans réfé-rence précise sur le comportement des autres oude l’individu moyen, les répondants privilé-giaient certains contextes particuliers, pas forcé-ment représentatifs des déterminants de leurschoix ou pratiques d’accumulation. Mais lemême constat vaut, en plus marqué encore, pourles questions prises individuellement : à une oudeux exceptions près − telle la question(VII.Q10) sur les projets à 10 ans, 20 ans,30 ans ou plus −, celles-ci ont un pouvoir expli-catif des comportements patrimoniaux négli-geable, ou du moins bien inférieur à celui deséchelles, et a fortiori à celui des scores.

La leçon de l’expérience s’impose d’elle-même.La procédure exposée dans les deux articles sui-vants, [Risque] et [Temps], aussi ardue que soitl’entreprise de construction et de validation desscores, s’avère fructueuse. Se contenter du der-nier module du questionnaire méthodologique,sur les échelles de préférence auto-déclarées, oufonder l’analyse sur quelques questions jugéesa priori les plus pertinentes ou les plus confor-mes à la théorie, risque de mener à une impasseou à des déboires importants. L’approche éclec-tique suivie ici, qui conduit à balayer avecl’enquêté tout un spectre de situations variées etplus concrètes sans que l’on sache toujours,a priori, ce que chaque question posée permetde mesurer, s’en trouve d’autant confortée. ■

38. Becker et Mulligan (1997) proposent un modèle à préférencetemporelle endogène : un peu comme il le ferait en matière desanté, l’agent, conscient de son défaut de perception du futur,peut investir dans un capital qui allonge d’autant son horizondécisionnel. Mais ces « investissements » – efforts d’apprentis-sage, d’éducation, d’information, etc. – ont un coût, en temps ouen argent, que les plus riches supporteront plus facilement.39. Ce résultat positif des tests d’exogénéité n’a rien desurprenant : du fait de la multiplicité des domaines abordés et dela variété des questions posées, les scores peuvent eux-mêmess’interpréter comme une collection d’instruments.

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 374-375, 2004 51

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