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Marie-Jeanne RENAUT Directrice IFSI DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE DANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS Cette recherche a été présentée lors des journées d’étude de I’ARSI les 28-29 Janvier 1999 Mots clés : autonomie - formation. IF.9 - contexte responsabilité. Au sens littéral, être autonome consiste en la faculté pour une personne de se régir par ses propres lois. Prô- ner l’autonomie des étudiants implique de s’interroger sur la nature et le sens de ce concept ainsi que sur sa réalisation dans une formation professionnelle. Quelle zone de liberté peut s’approprier l’individu qui, en entrant dans une formation, entre aussi dans un pro- cessus d’intégration des savoirs, capacités et comporte- ments inhérents à la profession choisie? La fréquente utilisation du mot révèle l’importance des enjeux mais accroît aussi le risque de le galvauder tout en le banalisant. Les projets pédagogiques des instituts de formation en soins infirmiers ainsi que les articles et les ouvrages écrits par des formateurs donnent à penser que des références diverses sous-tendent le concept. Ne peut- on imputer à une insuffisance de clarification, l’amalgame qui est parfois réalisé entre autonomie et responsabilité ou encore le glissement hasardeux qui consiste à assimi- ler l’autonomie du malade à celle de l’infirmière’ puis de l’étudiant? Chacune découlerait automatiquement de la précédente sans que soient pris en compte les facteurs liés à des rôles sociaux pourtant très différents. En écartant l’attrait suscité par une quelconque mode, nous devons nous interroger sur ce que révèle cette affirmation de l’autonomie maintes fois réitérée. S’agit-i I : * de l’expression de valeurs individuelles? * de la volonté de proposer une pédagogie innovante? * d’une tentative d’affirmation d’un groupe professionnel ? 1. Lire à chaque fois infirmier et infirmière, l’emploi du féminin sera systématique dans le texte. Cette recherche a été réalisée dans le cadre de la Maîtrise de Sciences et Techniques de Gestion de la Formation d’Adultes, option Formateur en Soins, à l’Université Paris - Dauphine. Certains termes bénéficient, à un moment donné de l’histoire des hommes, d’un engouement certain. II en est ainsi de l’autonomie. Jouissant actuellement d’un préjugé d’emblée favorable, le mot a envahi le discours des politiques et des dirigeants. Si la transposition dans les faits reste aléatoire faute d’avoir clarifié ce que recouvre le concept d’autonomie, sa présence incon- tournable dans les propos, rejoint l’aspiration des Fran- çais en général et des jeunes en particulier à disposer d’une plus grande liberté de décision. Chaque individu revendique l’autodétermination et l’exercice de sa liberté dans la négociation des règles qu’il doit respecter. Ces valeurs fortement présentes chez les jeunes de 18 à 25 ans s’accompagnent d’un affaiblissement du sen- timent de culpabilité - l’individu a le droit de se trom- per - et d’une demande relationnelle qui associe le partage, la confiance et l’égalité. Rares sont les personnes qui s’autorisent encore à défendre des projets qui prônent l’obéissance, le res- pect des modèles et la fidélité à la tradition. Ces valeurs dominantes il y a quelques décennies, sont devenues inavouables tant on admet aujourd’hui dans nos socié- tés occidentales que « l’esprit critique et la pensée per- sonnelle sont des valeurs supérieures » 2. Les éducateurs se devaient de participer à cette évolu- tion car « l’autonomie est une fausse évidence qui hante la pensée pédagogique » 3. II est en effet com- munément admis que l’éducation a pour finalité de former le libre arbitre de l’individu et d’assurer son accession à la pratique de sa propre loi en le libérant par la connaissance de ses contraintes internes et externes. La référence fréquente à l’autonomie dans les projets pédagogiques en est une marque évidente 2. La Philosophie de I’Education 0. Reboul 3. Le Travail Autonome - A. Moyne 68 Recherche en soins infirmiers N” 59 - Décembre 1999

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Page 1: DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE …...de formation professionnelle initiale conçue sous la forme de l’alternance. Nous montrerons, en effet, que c’est avant tout de

Marie-Jeanne RENAUTDirectrice IFSI

DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIEDANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

Cette recherche a été présentée lors des journées d’étude de I’ARSI les 28-29 Janvier 1999

Mots clés : autonomie - formation. IF.9 - contexte responsabilité.

Au sens littéral, être autonome consiste en la facultépour une personne de se régir par ses propres lois. Prô-ner l’autonomie des étudiants implique de s’interrogersur la nature et le sens de ce concept ainsi que sur saréalisation dans une formation professionnelle. Quellezone de liberté peut s’approprier l’individu qui, enentrant dans une formation, entre aussi dans un pro-cessus d’intégration des savoirs, capacités et comporte-ments inhérents à la profession choisie?

La fréquente utilisation du mot révèle l’importance desenjeux mais accroît aussi le risque de le galvauder tout enle banalisant. Les projets pédagogiques des instituts deformation en soins infirmiers ainsi que les articles et lesouvrages écrits par des formateurs donnent à penser quedes références diverses sous-tendent le concept. Ne peut-on imputer à une insuffisance de clarification, l’amalgamequi est parfois réalisé entre autonomie et responsabilitéou encore le glissement hasardeux qui consiste à assimi-ler l’autonomie du malade à celle de l’infirmière’ puis del’étudiant? Chacune découlerait automatiquement de laprécédente sans que soient pris en compte les facteursliés à des rôles sociaux pourtant très différents.

En écartant l’attrait suscité par une quelconque mode,nous devons nous interroger sur ce que révèle cetteaffirmation de l’autonomie maintes fois réitérée.S’agit-i I :

* de l’expression de valeurs individuelles?

* de la volonté de proposer une pédagogieinnovante?

* d’une tentative d’affirmation d’un groupeprofessionnel ?

1. Lire à chaque fois infirmier et infirmière, l’emploi du féminin serasystématique dans le texte.Cette recherche a été réalisée dans le cadre de la Maîtrise deSciences et Techniques de Gestion de la Formation d’Adultes, optionFormateur en Soins, à l’Université Paris - Dauphine.

Certains termes bénéficient, à un moment donné del’histoire des hommes, d’un engouement certain. II enest ainsi de l’autonomie. Jouissant actuellement d’unpréjugé d’emblée favorable, le mot a envahi le discoursdes politiques et des dirigeants. Si la transposition dansles faits reste aléatoire faute d’avoir clarifié ce querecouvre le concept d’autonomie, sa présence incon-tournable dans les propos, rejoint l’aspiration des Fran-çais en général et des jeunes en particulier à disposerd’une plus grande liberté de décision.

Chaque individu revendique l’autodétermination etl’exercice de sa liberté dans la négociation des règlesqu’il doit respecter.

Ces valeurs fortement présentes chez les jeunes de 18à 25 ans s’accompagnent d’un affaiblissement du sen-timent de culpabilité - l’individu a le droit de se trom-per - et d’une demande relationnelle qui associe lepartage, la confiance et l’égalité.

Rares sont les personnes qui s’autorisent encore àdéfendre des projets qui prônent l’obéissance, le res-pect des modèles et la fidélité à la tradition. Ces valeursdominantes il y a quelques décennies, sont devenuesinavouables tant on admet aujourd’hui dans nos socié-tés occidentales que « l’esprit critique et la pensée per-sonnelle sont des valeurs supérieures » 2.

Les éducateurs se devaient de participer à cette évolu-tion car « l’autonomie est une fausse évidence quihante la pensée pédagogique » 3. II est en effet com-munément admis que l’éducation a pour finalité deformer le libre arbitre de l’individu et d’assurer sonaccession à la pratique de sa propre loi en le libérantpar la connaissance de ses contraintes internes etexternes. La référence fréquente à l’autonomie dans lesprojets pédagogiques en est une marque évidente

2. La Philosophie de I’Education 0. Reboul

3. Le Travail Autonome - A. Moyne

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ARIATIONDE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE

DANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

même si l’équivoque liée à la possibilité d’appréhenderce concept comme principe, condition ou objectif esttrop rarement dissipée.

Les formateurs en soins infirmiers ont eux aussi cédé àl’attrait d’une telle valeur transcendantale. Leur réflexionpédagogique en est certainement la cause mais d’autresfacteurs accentuent cette orientation. Parmi ceux-ci,nous citerons l’évolution des textes régissant la forma-tion préparant au diplôme d’état d’infirmière, la réfé-rence à des théories de soins dans lesquelles I’autono-mie de l’individu constitue une valeur dominante ouencore l’aspiration du groupe infirmier à se libérer de ladépendance médicale. Ces influences diverses renfor-cent la présence du concept dans la formation et sonacceptation unanime et inconditionnelle.

Cette étude propose d’identifier les composantes duconcept après une mise en perspective de celui-ci avecles thèmes de la liberté, des règles, de la dépendanceet de la responsabilité. Nous analyserons ensuite lamanière dont les étudiants en soins infirmiers perçoi-vent la réalisation de leur autonomie dans un systèmede formation professionnelle initiale conçue sous laforme de l’alternance.

Nous montrerons, en effet, que c’est avant tout de l’or-ganisation en alternance de la formation que peutémerger une opportunité d’autonomie pour l’étudiant.Sa situation d’acteur, allant et venant entre deuxmilieux (une structure de formation et une organisationprofessionnelle), lui donne une position centralepropre à élargir ses zones d’autonomie tant dans sonapprentissage que dans son développement personnel.

Le choix de se distancer des opinions courammententendues sur l’autonomie, par une analyse duconcept puis par une réflexion sur la problématique deson application dans le domaine de la pédagogie,explique que les hypothèses n’ont été formulées qu’àl’issue de ce cheminement.

1 - LE CONCEPT D’AUTONOMIE

1.1 Autonomie et liberté

L’autonomie s’inscrit comme une version moderne duconcept de liberté développé par les philosophesanciens. I I est essentiel de revenir à leurs écrits car laréflexion qu’ils ont menée imprègne toujours une cer-taine appréhension actuelle de l’autonomie.

Pour être libre, l’homme doit combattre l’attrait exercépar les puissances de l’affectivité et se soumettre volon-

tairement au précepts de la raison. Le « connais-toi toi-même » socratique demeure à cet égard le plus belexemple d’invite à l’autonomie. Se connaître, savoir cequi nous enchaîne, conditionne l’accès au bien-faire etau bien-penser.

L’autonomie se conçoit comme la capacité à se confor-mer à l’ordre que nous prescrit notre raison. L’acces-sion à cette liberté raisonnée et raisonnable nécessiteun entraînement difficile et incessant. L’individuconquiert ainsi la libre disposition de soi; il n’obéitqu’aux règles qu’il se donne et ne rend de comptesqu’à lui-même; il est donc, au sens littéral, autonome.

Définir ainsi la liberté pose le problème du libre arbitre etde la capacité de l’homme à prendre conscience de cequi le détermine. Selon J.-L. Guichet, l’individu s’engagedans la réflexion philosophique dès lors qu’il ne confondplus la liberté avec l’intensité avec laquelle il adhère à sesactes et lutte pour supprimer les contraintes qui s’y oppo-sent. II s’interroge alors sur la nature de la volonté quisoutient son action : est-ce que je veux vraiment ce queje veux, est-ce que je suis bien la cause de mon vouloir?

Ce questionnement spécifique à l’être humain le gardepar-là même d’un anthropocentrisme qui consisterait àenvisager le libre arbitre comme une possibilité de déci-sion purement interne à l’individu en l’absence de touteinfluence externe. Rechercher la causalité permet dedépasser l’illusion de liberté que dénonce B. Spinozalorsqu’il affirme que « les hommes se croient libres pourcette seule cause qu’ils sont conscients de leurs actionset ignorants des causes par où ils sont déterminés » 4.

De la pensée antique, nous retiendrons des idées essen-tielles :

* la suprématie de la raison et de la volonté surles penchants du corps et de l’affectivité

* l’existence d’un comportement sage àatteindre, d’inspiration divine ou morale

* la nécessité de connaître ce qui nous déter-mine

* l’importance de s’exercer

L’homme apparaît comme l’auteur de sa propreautonomie mais aussi comme sa plus grande entrave.II s’aliène ou se libère selon l’intensité de la réflexionqu’il mène sur lui-même et sur le sens de son existence.

1.2 Autonomie et règles

L’autonomie ne se conçoit pas sans règles puisqueelle-même est ordre : ordre imposé de soi à soi. Cette

4. L’Ethique - B. Spinoza

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conception rejoint la définition de l’autonomie com- ses stratégies. Cautonomie n’est plus une utopie, ellemunément admise : fonde l’existence humaine.

Comportement d’un individu qui n’obéit qu’aux loisqu’il s’est données lui-même ou aux lois dont il a com-pris et accepté la valeur.

q 1.3 Autonomie et dependance

À l’autonomie envisagée dans son rapport à soi, s’ajoutela dimension des relations avec autrui. L’homme n’estplus seulement appréhendé comme une individualitépensante, il est également un être social. Les règlesqu’il s’impose à lui-même fondent son autonomie.Celles qui régulent les groupes sociaux n’aliènent pasl’individu lorsque celui-ci les intègre après les avoirsoumises à l’examen de sa raison.

Le concept de rétroaction développé par E. Morin permetde dépasser les visions dissociatrices et simplifiantesqui ne conçoivent l’autonomie qu’en l’opposant à ladépendance. Le principe de rétroaction articule dansune même dynamique, l’action de l’homme sur sonenvironnement et son inverse. E. Morin utilise couram-ment l’i l lustration suivante :

Selon J. Piaget5, le respect rationnel des règles apparaîtvers l’âge de dix-onze ans. Auparavant, la règle estconsidérée comme extérieure à l’individu. D’origineadulte, elle apparaît sacrée, intangible. Le sentimentd’obligation est lié au respect que l’enfant éprouvepour l’adulte qui prescrit la règle mais aussi à la craintedes sanctions infligées en cas de désobéissance.

La relation avec d’autres enfants, notamment à I’occa-sion des jeux, transforme la règle-contrainte en règle-coopération. La nécessité de codifier des règles consen-suelles résulte du désir de collaboration des membresdu groupe. La loi émane alors du consentement mutuelet chacun doit la respecter par loyauté. II est permis dela transformer à condition de rallier l’opinion générale.

À l’acceptation inconditionnelle se substitue le respectmotivé. Cette évolution du rapport à la règle est obser-vable lors des jeux car l’enfant est en interaction avecd’autres enfants. La contrainte imposée par les généra-tions plus âgées s’estompe et la coutume peut être remi-se en cause. La coopération entre les membres du grou-pe devient possible car trois conditions sont réunies :

intériorité extériorité

I I

* la réciprocité

* l’égalité intellectuelle

* le respect mutuel

À l’autonomie envisagée comme émancipation, sesubstitue alors l’autonomie qui se nourrit des dépen-dances de l’être humain à l’égard du milieu extérieur.Ceci pose l’individu comme un sujet capable de stra-tégies, apte à util iser les déterminismes et les aléas.Pour parvenir à ses fins, le sujet va grâce au dévelop-pement de son intelligence créatrice, se servir descontraintes et des incertitudes qui ne sont plus subieset vécues comme des obstacles à surmonter, maisdeviennent les nutriments constitutifs de son autonomie;l’individu les assimile, les utilise et les modifie.L’autonomie se construit donc au travers et par lesdépendances auxquelles l’individu est soumis, en rai-son de sa facilité à prendre une distance grandissantedans l’espace, le temps et les significations par rapportaux situations vécues.

Grâce au développement de son intelligence, l’individureconnaît l’autre et affirme sa propre identité. II aspireà l’émancipation vis à vis de ses déterminismes et àl’indépendance intellectuelle. Son existence sociale estrégie par des règles qu’il intègre, auxquelles il s’adap-te ou qu’il conteste de manière rationnelle.

À la conception de l’individu totalement déterminé parses gênes, son éducation ou son environnement social,s’oppose celle du sujet irrévocablement souverain dans

Iautonomie

4

4contraintes

I

5. Le jugement Moral chez l’Enfant-J. Piaget

Comme l’évoque E. Morin, « la liberté (qui se définit àpartir de l’autonomie) se développe non seulement enélargissant et en multipliant ses conditions d’interven-tion/choix/décision (donc en élargissant et multipliantles possibilités d’observation, d’information, deconnaissance), mais aussi en approfondissant lesconditions de choix à des niveaux de plus en plus radi-caux, notamment en constituant des choix de second

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ordre où l’on peut choisir ses conditions de choix,comme le duelliste qui est maître, non seulement de sastratégie de combat, mais aussi du choix des armes » 6.Trois caractéristiques de l’autonomie apparaissent ici :

* la création d’alternatives, c’est-à-dire la mul-tiplication des actions envisagées commepossibles par le cerveau humain

* la possibilité de choisir parmi les alternativesévoquées

* la capacité à opter pour des stratégies modi-fiant les contraintes qui s’opposent à l’actionchoisie

L’être humain se caractérise par sa capacité à utiliser lemilieu extérieur pour approfondir son niveau deréflexion. II se sert de son intell igence afin d’atteindreses propres objectifs. Mais les stratégies employées neseraient que d’habiles tactiques s’il ne s’y associait lanotion de responsabilité.

m 1.4 Autonomie et responsabilité

Les deux termes s’associent souvent dans le discours decelui qui les évoque. II apparaît d’autant plus nécessai-re de préciser la nature du lien qui les unit que leur uti-lisation simultanée appelle le sentiment de culpabilité.L’imprégnation chrétienne renforce la triple associationliberté/responsabilité/culpabilité. En créant l’homme,Dieu lui aurait insufflé une part de lui-même, unevolonté libre le rendant ainsi responsable de son destinet donc potentiellement coupable de ses malheurs. Or,nous avons vu que l’évolution des systèmes de valeursdissocie le sentiment de culpabilité de la revendicationd’autonomie.

Être autonome, c’est choisir et agir avec volonté et dis-cernement.

Être responsable, c’est répondre de ses actes du faitmême de cette liberté de choix et d’action.

La responsabilité apparaît donc comme l’élément quisolidarise le sujet autonome avec ses actes.

La responsabilité n’existe que lorsqu’un choix avisé estpossible. Réciproquement, la liberté de choix n’est réelleque lorsque le sujet se sent responsable des actionsqu’il décide. II s’agit ici du sentiment de responsabilitééprouvé par le sujet et non d’une responsabilité appo-sée à l’individu sans que celui-ci l’ait intériorisée.

6. La Méthode - La Vie de la Vie - E. Morin.

Par ailleurs, si l’environnement social ne peut décréterle sentiment de responsabilité chez l’individu, le sujeta besoin d’un environnement propice pour l’éprouver.Des entretiens menés auprès de jeunes en formation,montrent que se sentir responsable est intimement liéau fait de se sentir reconnu et utile socialement.

m 1.5 I’A ut onomie - Essai d’identification

Après avoir situé l’autonomie par rapport à la liberté,aux règles, à la dépendance et à la responsabilité, nousdevons tenter de la definir pour elle-même. La nécessitéde structurer cognitivement les dimensions qui la com-posent, coexiste avec la volonté de ne pas l’enfermerdans un cadre rigide et mortifère. L’approche concep-tualisante ne doit pas exclure la lecture de l’autonomiecomme valeur et comme processus dynamique.

Cautonomie est une valeur en ce qu’elle apparaîtcomme digne de choix, susceptible de devenir un butqui mérite que l’homme fasse effort pour s’en appro-cher. Reconnue socialement, elle porte les aspirationsactuelles visant à l’authenticité, au dépassement desdéterminismes et au bien-être par l’existence vraie del’individu. Ceci conduit M. A. Hoffmans-Gosset à s’in-terroger pour savoir si l’autonomie ne serait pas « laforme et le moyen que l’homme d’aupurd’hui sedonne de poursuivre son humanisation » .

P Karli propose de considérer l’être humain commeune trinité. A l’intérieur de chaque individu coexiste-raient trois êtres en interaction qui se structurentmutuellement : un individu biologique, un acteursocial et un sujet en recherche de sens et de libertéintérieure. L’acteur social se construit dans les interac-tions avec ses différents milieux de vie en intériorisant,dans un premier temps, les normes. Les situationsd’adaptation successives rétroagissent sur l’individu enaccroissant ses potentialités cognitives et affectives.

C’est par le développement de sa capacité à objectiverles situations vécues et à s’interroger sur les structuressociales que l’individu devient acteur de sa propresocialisation. II peut alors agir de manière conscienteet finalisée sur son environnement voire s’en démar-quer. C’est de ce mouvement évolutif dans la naturedes échanges entretenus avec le monde qui l’entoureque peut émerger une possible autonomie du sujet.

Celle-ci apparaît alors comme un processus dyna-mique car elle s’ancre dans la vie en se construisant et

7. Apprendre I’Autonomie - Apprendre la Soc ia l i sa t ion -M.A. Hoffmans - Cosset.

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en se réalisant dans l’action, au travers de situations deplus en plus variées et de plus en plus complexes.

Elle est à lire comme une transformation toujours per-fectible du rapport au réel de chaque individu. L’auto-nomie se construit et s’éprouve dans la conscience del’acteur (ressenti) mais aussi dans les actions (mise àl’épreuve) présentes et à venir.

Nous emprunterons les réflexions de deux auteurs pourenvisager l’autonomie selon trois dimensions dans les-quelles pourront s’inscrire en cohérence les notionsabordées précédemment.

Selon F. Varela, l’autonomie est la capacité de I’hom-me à recevoir des informations en provenance de sonenvironnement, « non comme des instructions maiscomme des perturbations qu’il interprète et soumet àses mécanismes d’équilibration internes » 8.

En cela, l’autonomie est un rapport au monde car elleconcerne la manière dont l’individu traite les informa-tions venant de l’extérieur.

Selon B. Bettelheim, « l’autonomie se nourrit de laconviction suivante : il est important pour moi que jefasse cela, et c’est pourquoi je le fais, non parce qu’onme dit que je devrais le faire et non parce que, pisencore, je dois considérer comme important ce qued’autres veulent que je considère comme important ».

L’autonomie est donc aussi un rapport à l’autre, en cequ’elle caractérise l’affirmation de l’individu au travers desa réponse décisionnelle aux informations reçues et unrapport à soi par la conscientisation de cette réponse.

UN RAPPORT AU MONDE

Nous avons établi que l’autonomie n’était ni le désordreni la liberté même si le développement de l’autonomieaccroît le sentiment d’être libre. L’individu compose enpermanence avec un réseau de contraintes qui peuventêtre nommées règles, normes, lois ou déterminismes.L’autonomie se construit dans toutes les situations oùl’individu :

* reconnaît l’existence et la nécessité denormes

* les intègre par un processus de discussion -ajustement interne et externe

* les conteste et les fait évoluer lorsque I’ap-propriation est impossible

* objective les zones de contrainte et de non-contrainte et les utilise au mieux

* envisage plusieurs réponses comportemen-tales

8. Autonomie et Connaissance - F. Varela

* choisit l’action qui lui paraît la plus adaptéeà l’objectif poursuivi

UN RAPPORT À L’AUTRE

Comme l’explique M. A Hoffmans-Gosset, l’autonomien’est ni l’indépendance ni l’individualisme ni I’auto-suffi-sance. « Robinson n’est pas autonome malgré les appa-rences. Ce n’est qu’une autonomie de survie et de subsis-tance » g. II lui manque en effet la dimension sociale carl’autonomie prend sa force dans les interactions avec autrui.

Elle s’affirme dans les situations d’écoute, d’échange,de partage et d’entraide lorsque l’individu éprouve :

* la réciprocité* l’égalité intellectuelle* le respect mutuel* la nécessité de règles établies et respectées

collectivement

UN RAPPORT À SOI

L’autonomie n’est pas le libre plaisir. Nous avonsd’ailleurs souligné l’effort nécessaire à son développe-ment. Même s’il ne s’agit plus de soumettre la dimen-sion psychosomatique de l’être humain à la supréma-tie de l’intellect, la distanciation et la prise deconscience réflexive apparaissent indispensables.

L’autonomie ne peut se développer qu’avec :* la conscience de soi* la connaissance de soi* l’affirmation de soi* la prise de responsabilité* la conscience de sa responsabilité

Ces trois dimensions sont indispensables et indisso-ciables, l’existence de chacune étant soumise à celledes deux autres sous peine d’engendrer un fonctionne-ment pathologique de l’être. L’autonomie apparaîtlorsque le rapport au monde, aux autres et à soi se ren-contrent et s’articulent en une organisation cohérenteet satisfaisante pour l’individu.

2 - PROBLEMATIQUE DE LA REALISATION DU

CONCEPT D’AUTONOMIE EN PEDAGOGIE

2.1 Autonomie et courants pédagogiques

L’éducation consiste à développer chez l’élève desfacultés physiques, intellectuelles et morales. Le désir

9. Apprendre I’Autonomie - Apprendre la Socialisation - M. A. Hoff-mans - Cosset

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DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE

DANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

de former un individu libre, à l’image de son professeurou de l’idéal projeté de celui-ci, est ancestral.

La plupart des éducateurs fixe l’autonomie de l’élèvecomme objectif. Les partisans de l’éducation tradition-nelle insistent sur l’autorité du maître, à la fois expert etmodèle, mais c’est toujours avec la finalité de former desêtres libres car « c’est en admirant les modèles qu’onparvient à être soi, à penser et à juger par soi-même » ‘O.

L’éducateur est chargé d’exercer la raison du prétendantà l’autonomie afin de lui rendre celle-ci accessible. Maispeut-on libérer l’individu en lui faisant vivre la contrain-te, en lui imposant modèles, savoirs et méthodes?

Si l’indépendance de l’élève vis-à-vis de son éducateurconstitue une finalité exprimée unanimement, I’autono-mie du sujet éduqué comme principe et condition decette indépendance est apparue avec les expériencesd’enseignement non-directif. « Pour comprendre etapprendre, le sujet doit questionner son environnement,ce qui implique qu’il soit autonome, du moins dans sonaction, par rapport au monde qui l’entoure » “.

Les théories de l’éducation dites humanistes se cen-trent sur le sujet. Elles se fondent sur une conceptionde l’être humain capable de se libérer de ses détermi-nismes et de s’auto-développer dans un mouvementcontinu et volontaire d’accession vers une liberté tou-jours plus grande.

La contradiction apparente signe la complexité duconcept simultanément valeur et finalité mais égale-ment processus dynamique et exercice permanent.

Nous poserons comme principe que l’autonomie nepeut s’enseigner.

Cenvironnement favorise son exercice mais la fixercomme objectif pédagogique, c’est affirmer la toutepuissance de l’éducateur et confronter l’élève à unecontradiction : obéir à l’injonction d’être autonomeformulée par l’éducateur et ainsi se soumettre ou déso-béir, et en cela exercer son autonomie. C’est aussiréduire l’autonomie à un savoir-faire que tout individupourrait acquérir dans un temps et un espace donné, àun moment précis de son histoire.

L’éducateur souhaite alors abandonner un titre impré-gné de principes moraux et de rigueur disciplinaire. IIveut être formateur et former des êtres libres. Commele constatent J. Clénet et Ch. Gérard : « il n’est que debonnes intentions mais il est difficile de réduire l’autreau projet que l’on a pour lui » 12.

10. La Philosophie de I’Education - 0. Reboul11. Le Principe d’Autonomie et I’Education - P. Vayer12. Partenariat et Alternance en Education - J. Clénet & Ch. Gérard

Les courants pédagogiques actuels évoluent globale-ment vers une plus grande participation de l’élève à saformation. L’élève devient un apprenant. Plusieurs ten-dances émergent; elles intègrent l’autonomie à desdegrés divers :

* l’utilisation par le formateur de méthodes quifavorisent l’activité de l’apprenant

* l’accession à des moyens qui permettentd’apprendre à apprendre

* la démarche qui consiste à donner à I’appre-nant la possibilité de diriger tout ou partie desa formation

* l’apprentissage fondé sur la résolution deproblèmes à partir du questionnement

L’ACT/V/TÉ DE L’APPRENANT

Le formateur cherche au travers de ces méthodes àintéresser l’élève. II vise l’intégration des connais-sances en organisant l’accès au savoir par une instru-mentation poussée.

Le fonctionnement du groupe peut en être favorisé etparticiper à l’émergence de règles collectives. Peut-oncependant parler d’autonomie lorsque l’enseignantchoisit les thèmes de travail et conçoit les méthodes 1Le plaisir de la création et l’effort de distanciation sontréservés en amont au formateur. L’apprenant ne s’exer-cera à l’autonomie que s’il perçoit son propre intérêt àréaliser l’activité ainsi que les espaces de décision qu’ilpeut s’approprier.

L’alternative proposée à l’élève est de se montrer parti-cipatif ou de résister. Lorsqu’il fait ce choix, il génère ladéception du formateur. Celui-ci déplore que l’élèven’éprouve pas un désir plus important pour ce savoir sisavamment apprêté mais déterminé de l’extérieur,notamment dans le cadre d’un programme.

APPRENDRE À APPRENDRE

Le processus d’apprentissage devient prioritaire.De la découverte de la manière dont il apprend à I’auto-formation, l’apprenant s’émancipe du formateur pouraccéder seul aux ressources matérielles ou humaines etles utiliser en fonction des projets qu’il poursuit. Les lieuxde formation éclatent. Toutes les expériences vécues parl’individu deviennent source de connaissances lorsquecelui-ci a développé des capacités à apprendre.

Ainsi, selon le principe de rétroaction, le rapport aumonde forme le sujet si celui-ci prend conscience deson pouvoir d’apprentissage et de la possibilité d’inté-grer ce nouveau savoir pour modifier son rapport aumonde. Le formateur intervient alors comme un facili-tateur de cette prise de conscience.

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Le risque consiste à ne percevoir dans le rapport àl’autre qu’une ressource supplémentaire de formationpersonnelle.

DIRIGER TOUT ou PARTIE DE SA FORMATION

L’élève fait l’exercice de la liberté de choix. Le forma-teur cherche à l’impliquer dans sa formation afin queles activités pédagogiques prennent une signification etque l’élève se sente responsable de son apprentissage.L’acquisition des connaissances s’intègre dans lalogique du projet de l’élève. Le projet individueldevient une notion essentielle qui fonde la pédagogie.

Le projet est le fruit de la capacité de projection,laquelle consiste à donner du sens à ses pensées et àses actes à partir de ses propres valeurs. Les formateursplacent les élèves en situation d’autonomie par la créa-tion de « vides institutionnels » 13, reconnaissant ainsileur pouvoir de décision.

Le formateur décide que l’élève doit :* définir un projet* travailler et apprendre en fonction de ce projet* organiser et évaluer son travail* être créatif* prendre des initiatives, des décisions et des

responsabilités

Comme l’explique 0. Reboul, l’autorité du modèle estremplacée par celle du contrat. « Les élèves sont tenuspour libres, mais il va de soi qu’ils doivent aller jus-qu’au bout de leur projet » l4 et respecter le contratétabli avec eux-mêmes et avec les formateurs.

LA RÉSOLUTION DE PROBLÈME À PARTIR DU QUESTIONNEMENT

Le formateur s’efforce de développer la prise de distan-ce de l’élève par rapport à lui-même, aux autres et à sonenvironnement. L’effort pédagogique se centre sur I’élè-ve et vise à accompagner son évolution personnelle.

Le comportement attendu est précisément défini etcomporte des éléments constitutifs de l’autonomie telsque nous les avons préalablement identifiés :

* prise en compte de la réalité* capacité à se questionner* objectivation des situations* perception des possibilités de choix* choix éclairé de solutions* prise de conscience de sa responsabilité dans

les situations vécues* connaissance de soi

13. La Pédagogie du Projet en Formation Jeunes et Adultes -1. Vassileff.

14. La Philosophie de YEducation - 0. Reboul

* prise de conscience de l’action des autres etde l’environnement sur son propre compor-tement

Dans la littérature pédagogique, le rôle du formateurest également défini avec précision. II mêle compé-tences, qualités et méthodes util isées.

À l’élève autonome idéal, correspond le formateurautonomisant idéal. II est celui qui :

* éveil le les motivations et stimule la curiosité* se montre confiant dans les aptitudes de

chaque élève, accepte les erreurs et respecteles rythmes individuels

* guide et anime* crée les conditions qui permettent le choix et

l’expression de ces choix* explique diverses stratégies et facil ite l’accès

aux ressources pédagogiques* encourage l’échange d’informations* démystifie son savoir et son pouvoir, chacun

ayant la capacité d’accéder seul ou engroupe à une certaine connaissance

* privilégie les méthodes actives qui permettentà l’élève de faire pour apprendre

* encourage l’autoévaluation* fait preuve de créativité, se remet en question

et évolue* instaure une relation d’écoute et de respect

L’aspect relationnel occupe une place importante dansles pédagogies qui donnent la priorité à l’autonomiedes élèves.

Comme nous l’avons vu précédemment, 1. Piaget insis-te sur la nature égalitaire des relations pour que soitpossible l’autonomie des acteurs. Nous constatons dansles enquêtes menées sur ce thème, combien les élèvesjugent que leur autonomie passe plus par la nature desrelations éducatives entretenues avec leurs formateursque par les activités pédagogiques mises en œuvre15.

La quête de respect mutuel est toujours formulée maisqu’en est-il de la réciprocité et de l’égalité intellectuelledans la relation pédagogique? N’est-ce pas un leurrepour le formateur que de croire pouvoir neutraliser lacontrainte qu’il exerce de par son statut, sa fonction, sesconnaissances et son expérience? Comment gérer I’évi-dence « qu’un professeur pour l’étudiant est une person-ne nantie du statut d’adulte, du rôle de père, de mère,mais aussi l’incarnation ici et maintenant de l’institutionuniversitaire en tant que capital de savoir, garantie dusavoir officiel, ensemble de rè les, pouvoir de contrôle,d’orientation et de sélection ». P6

15. Le Principe de I’Autonomie dans I’Education - P. Vayer

16. La Mystification Pédagogique - B. Charlot

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DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIEDANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

Le formateur cherche toujours à mener ses élèves versce qu’il juge le meilleur pour eux en fonction de sespropres valeurs. Au-delà de la transmission du savoir, ilprojette l’évolution voire la transformation de chaqueélève. Les philosophes anciens exerçaient le disciple àse servir de sa raison; les formateurs modernes entraî-nent l’élève à se questionner et à analyser.

w 2.2 Autonomie et formation en soins infirmiers

La réflexion des pédagogues sur la place et le rôle del’élève se retrouve dans les préoccupations des forma-teurs en soins infirmiers et imprègne les textes quiréglementent cette formation.

En 1992, les élèves changent de dénomination. Ilsdeviennent des étudiants en soins infirmiers. La volon-té de reconnaître leur participation active dans leur for-mation s’affirme dans les textes législatifs comme uneréponse au reproche d’infantilisation souvent formulépar les étudiants et par les infirmières à l’égard de laformation. Le modèle universitaire semble recueillir lesfaveurs de la profession. Cette demande est prise enconsidération et plusieurs mesures accompagnent lechangement d’appellation des étudiants :

* les écoles d’infirmières prennent le nomd’institut de formation en soins infirmiers

* les cours magistraux sont rendus facultatifs* des choix sont proposés aux étudiants quant

à certains stages et certains modules d’ensei-gnement

* les modules d’enseignement font, dans unpremier temps, l’objet de validation, notionqui sera ensuite abandonnée

Le programme des études conduisant au Diplôme d’Etatd’infirmier” affirme comme principes pédagogiques :

* le développement de la créativité* l’élaboration du projet professionnel

individuel* l’articulation de la formation autour des

aptitudes et des attitudes personnelles del’étudiant

Le suivi pédagogique est officialisé, basé sur I’accompa-gnement et le développement personnel de l’étudiant.

L’accent est mis sur une pédagogie interactive fondéesur la résolution de problème à partir du questionne-ment, courant qui intègre comme nous l’avons vuprécédemment les composantes de l’autonomie.

17. Arrêté du 23 mars 1992 relatif au programme des Etudes Prépa-ratoires au Diplôme d’Etat d’lnfirmier

L’apprentissage se cristallise autour de la notion d’au-tonomie du sujet apprenant.

L’étudiant est reconnu officiellement comme une per-sonne capable d’analyse et de choix éclairé dès ledébut de sa formation.

L’évolution des textes renforce la réflexion pédago-gique qui se développait dans les centres de formation.

Ainsi de nombreux formateurs adhèrent aux théoriesexposées par C. Rogers. Pédagogue et thérapeute, celui-ciaffirme I’éducabilité de l’être humain. Chaque individu aun potentiel qui se développera s’il trouve un espace deliberté suffisant pour qu’émerge son désir d’apprendre.Faisant preuve d’une neutralité bienveillante, le formateurne recherche pas une place privilégiée de commande-ment, ni même de conseil auprès de l’étudiant. II acceptel’individu tel qu’il est dans le but de l’aider à se dévelop-per. Ce projet à la fois pédagogique et thérapeutique ren-contre un écho favorable chez les formateurs en soinsinfirmiers, peut-être en ce qu’il leur permet de concilierleur passé de soignant et leur présent de formateur.

Mais aux difficultés à intégrer l’autonomie dans la rela-tion pédagogique telles que nous les avons précédem-ment évoquées, s’ajoutent des contradictions spéci-fiques à la formation en soins infirmiers.

Nous constatons, notamment dans les projets pédago-giques, que l’autonomie des étudiants est toujours jus-tifiée par celle des infirmières. II s’agit de favoriser I’au-tonomie des étudiants pendant leur formation dans laperspective de former des professionnels autonomes.

L’influence des théories concernant la formation desadultes a été en cela déterminante. Si l’on se réfère à ladéfinition que B. Schwartz donne de l’autonomie, ils’agit : « de rendre capable toute personne de deveniragent de changement, c’est à dire de mieux comprendrele monde social, technique et culturel qui l’entoure;d’agir sur les structures dans lesquelles elle vit et de lesmodifier; d’apporter une prise de conscience de sonpouvoir en tant qu’être agissant; de faire des êtres auto-nomes, capables d’influencer et de comprendre le jeurelatif entre l’évolution de la société et la leur propre, etde riposter à l’évolution de la société et à la mutation ».

Cette conception de la formation permanente se heurteà plusieurs obstacles dans son application à la formationinitiale même lorsque celle-ci est professionnelle.

Tout d’abord, si l’on peut espérer que l’individu, par ledéveloppement de son intelligence et de ses capacitésà se questionner et à utiliser son environnement, vise-ra à une autonomie toujours plus grande, les situationsvécues pendant la formation, notamment lors des

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stages, se renouvellent sans cesse et s’intègrent diffici-lement dans une progression régulière.

De plus, nous retrouvons ici l’idée de l’autonomie poséecomme objectif de la formation, conception que nousavons écartée précédemment. Un individu qui devien-drait autonome le serait définitivement. II s’agirait d’unétat, voire d’une capacité développée une fois pourtoutes. Or, nous avons déterminé qu’il s’agissait d’un rap-port au monde qui évolue simultanément avec les modi-fications de l’environnement. II est donc sans cesse àreconstruire en tant qu’étudiant puis en tant qu’infirmière.

D’autre part, les formateurs en soins infirmiers définis-sent généralement l’étudiant comme un adulte ou unjeune adulte. Les études sociologiques atténuent cettenotion et admettent que dans la société occidentaleactuelle, un jeune de 18 ans appartient plus au groupedes post-adolescents qu’à celui des adultes18.

En particulier, l’étudiant n’a pas encore le statut d’infir-mière à l’intérieur de l’organisation dans laquelle il est sta-giaire. Les contraintes et les aléas qu’il vit en formation nesont guère assimilables à ceux d’une infirmière dans sonexercice professionnel. Les étudiants vivent des règlesliées à leur statut et aux représentations véhiculées par cerôle social. Ils évoluent aussi dans une dynamique d’inté-gration des règles propres à leur future profession. Cettenécessaire adaptation au milieu et au groupe profession-nel est prioritaire. I I s’agit de se percevoir infirmière etd’être reconnue comme telle par ses pairs avant d’envisa-ger l’évolution des règles inhérentes à cette profession.

Aussi, est-il incertain de voir dans l’autonomie profes-sionnelle, un prolongement de l’autonomie individuellede l’étudiant.

Enfin, si nous nous interrogeons sur la nature de I’au-tonomie de l’infirmière, nous la trouvons définie pardes professionnels comme la capacité à « prendre desinitiatives et des décisions de soins infirmiers en fonc-tion des diplômes qui l’y habilitent, de sa compétenceet des textes législatifs régissant la profession » lg.

Au-delà de l’autonomie dont dispose tout individudans son activité professionnelle, l’autonomie de I’in-firmière, lorsqu’elle est évoquée, concerne essentielle-ment l’exercice d’un rôle spécifique, appelé rôlepropre, à l’intérieur duquel celle-ci dispose d’une zonede décision reconnue par les textes.

18. Les Jeunes dans la Société ~ 0. Calland (Conférence du2 décembre 1994)19 . De I ’Autonomie dans l’Apprentissage à l’Apprentissage deI’Autonomie Mémoire Collectif Ecole de Cadres de Santé Assistan-ce Publique Hôpitaux de Paris

La formation vise à développer les compétences cor-respondantes qui vont lui permettre de prendre sesdécisions et de les assumer.

Pourquoi est-il alors nécessaire d’affirmer cette valeurdans les projets pédagogiques ?

Est-ce parce que le rôle propre est trop peu investi parles infirmières elles-mêmes, notamment en raison d’unhabitus de dépendance vis à vis de l’autorité médicaleet d’un savoir infirmier insuffisamment constitué?

La fréquence du terme dans le discours des formateursserait-elle inversement proportionnelle à sa réalité dansl’exercice professionnel ?

Ne s’agit-il pas là d’une mystification pédagogique telleque la définit B. Charlot 20. Les formateurs pensent pou-voir par leur action, transformer la profession dont ilssont issus. En cela, ils confirment que l’éducation est unacte politique pratiqué par des hommes qui sont tou-jours porteurs d’un idéal social. Mais tout faire reposersur l’éducation, c’est réduire le social à l’individuel et« transformer les problèmes sociaux en problèmes péda-gogiques qui ne peuvent se résoudre que dans le temps;c’est repousser idéologiquement les structures socialesactuelles hors de portée de la contestation sociale etpolitique; c’est donc favoriser leur maintien » 21.

En choisissant la profession d’infirmière, les étudiantsfont également le choix d’une appartenance profes-sionnelle dont les représentations sociales relèvent plusdes qualités morales que des capacités décisionnelles.Nous pouvons nous demander dans quelle mesure laformation et l’expérience du milieu professionnel lorsdes stages modifient la manière dont l’étudiant envisa-ge les zones de décision de l’infirmière.

Selon P. Vayer, l’objectif de la structure éducative restetoujours le même. II est « d’apprendre aux élèves, lesmédiums socialisés de communication et de leur trans-mettre des connaissances et des valeurs qui permet-tront à I’éleve de s’insérer au mieux dans le monde dela société et d’y jouer un rôle en relation avec les com-pétences qu’il aura développées » 22.

Les formateurs en soins infirmiers s’inscrivent-ils danscette logique lorsque l’autonomie est affirmée commeréférence dans les projets pédagogiques mais que leprofil du professionnel que l’on cherche à former y estdéfini en termes non seulement de compétences mais

20. La Mystification Pédagogique B. Charlot

21. La Mystification Pédagogique - B. Charlot

22. Le Principe d’Autonomie et I’Education - P. Vayer

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DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIEDANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

aussi de comportements, valeurs et qualités à acquérir?« De fait, i l y a moins d’intell igence et d’initiative là oùprédominent les programmes de comportements » 23.

Les formateurs seraient tiraillés entre deux idéaux, l’und’évolution, l’autre de reproduction : former desinfirmières porteuses de nouvelles compétences,capables de modifier par leur arrivée le groupe profes-sionnel et former des infirmières détentrices de savoir-faire et de valeurs qui leur permettent de s’intégrerdans les organisations de soins existantes. Or, c’est lepositionnement du groupe professionnel dans la sociétémais aussi par rapport aux autres groupes qui fait évo-luer le système de valeurs et le champ de compétencesde l’individu plus que l’inverse.

Au-delà de la difficulté à concilier deux extrêmes demanière cohérente, nous constatons dans un cascomme dans l’autre la volonté d’imposer le type com-portemental que la structure de formation vise à déve-lopper chez l’étudiant.

F’ar ailleurs, la recherche dans le domaine des soins infir-miers n’ayant pas encore permis de constituer un savoirspécifique suffisant, concevoir le rôle propre infirmieruniquement au travers de l’enseignement des diagnosticsinfirmiers laisse peu de place à la pensée personnelle.

Comme l’indique M. F. Collière, « on constate de plus,dans les projets pédagogiques notamment, une contra-diction entre l’affirmation de vouloir former des infir-mières autonomes et le fait de les enfermer dans desmodèles comportementaux lorsque, par exemple, lesthéories de soins se réduisent à des modes de penséesystématique » 24.

L’ambiguïté voire la contradiction entre l’autonomieindividuelle et la constitution d’un groupe profession-nel autonome se retrouve d’ailleurs dans les projetspédagogiques et jusque dans les programmes où I’invi-tation à l’autonomie est toujours immédiatementcontrebalancée par la prescription d’autonomisationprofessionnelle fondée sur la cohésion du groupe et lacompétence des individus. On trouve ainsi associésdans une même phrase :

* Créativité - Faculté d’Adaptation* Aptitudes et Attitudes Personnelles -

Connaissances Professionnelles* Questionnement - Contenu.

Faut-il choisir entre former un individu libre ou uneinfirmière qui fera progresser son groupe d’apparte-nance vers la professionnalisation?

23. Revue Psychologie E. Morin 1980

24. Promouvoir la Vie - M.F. Collière

Ne s’agit-il pas toujours comme l’évoquait J.-J. Rousseau,« non pas d’imposer des valeurs par l’autorité mais deformer la volonté et la raison pour que l’élève se lesdonne par lui-même » 25.

Lorsque l’éducation préconise l’autonomie de l’individu,elle vise à développer sa capacité à choisir par lui-mêmeet en connaissance de cause, « mais elle ne peut choisir àsa place afin que son choix soit le bon. Là est la limite radi-cale pour l’éducation, et le pire danger pour l’éducateur estde l’ignorer, de chercher, soit dans les interdits, soit dans lestechniques, le moyen de dicter une fois pour toutes cequ’on choisira, au lieu d’apprendre à choisir » 26.

Intégrer la dimension de l’autonomie de l’étudiantdans la formation ne garantit pas l’évolution du grou-pe professionnel vers l’autonomie.

Nous ne pouvons ignorer qu’au-delà de la formation desindividus, l’éducation constitue aussi « un processusnaturel et social permettant à des groupes sociaux demaintenir leur existence en recréant les croyances, lesidéaux, les espoirs, les joies, les misères et les savoir-faire » 27. Or, reconnaître l’autonomie des individus, c’estrisquer de leur donner « la possibilité de penser librementà des questions auxquelles on n’a pas demandé de pen-ser, de se distancier du rôle assigné et par là même deve-nir menaçant pour le groupe et l’institution » 28.

L’existence simultanée d’intentions louables mais difficile-ment conciliables apparaît dans le questionnement deséquipes pédagogiques. Choisir entre l’appellation d’ensei-gnant ou de formateur consiste souvent à choisir entretransmettre des connaissances ou aider au développe-ment de l’individu. Mais former, c’est aussi donner uneforme, de préférence une belle forme sous tendue par desvaleurs définies préalablement. Or, le terme de formateurest souvent revendiqué par les défenseurs de l’autonomie.

D’autres contradictions apparaissent encore :* le développement de méthodes participa-

tives coexiste avec une instrumentationpoussée de la pédagogie sous forme deguides, référentiels, procédures.

* L’application du caractère facultatif des coursmagistraux s’accompagne d’une exhortationrégulière à y assister. « Motiver l’étudiant c’estlui permettre de se poser les questions qui lui

25. Emile ou l’éducation -J.-J. Rousseau

26. la philosophie de l’éducation - 0. Reboul

27. quinze pédagogues, leur influence aujourd’hui - SS la directionde J. Houssaye

28. Promouvoir la vie - M.F. Collière

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Page 11: DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE …...de formation professionnelle initiale conçue sous la forme de l’alternance. Nous montrerons, en effet, que c’est avant tout de

donneront envie d’apprendre et d’assister auxcours facultatifs » dira un formateur.* L’utilisation de l’injonction paradoxale « soyez

autonomes, soyez responsables » est inévitable-ment contrebalancée par le constat contraire« vous vous comportez comme des enfants ».

Une étude réalisée dans un IFSI montre que deux dis-cours coexistent chez les formateurs. L’un présente I’étu-diant comme une personne avec un vécu, un projet, unêtre en évolution qui choisit et décide, l’autre le décritcomme passif, ne sachant pas détecter ses besoins, ayantun comportement non responsable et oppottuniste2g.

Afin de dépasser ce constat, nous devons nous interro-ger sur la réalisation du concept d’autonomie dans laformation infirmière car la dimension manquante restecelle de la signification des activités pédagogiques pourl’étudiant. Se sent-il concerné et quel sens leur donne-t-il en regard de l’accession professionnelle visée?

m 2.3 Autonomie et alternance

Nous avons déjà évoqué la présence dans le programmed’espaces décisionnels qui donnent aux étudiants lapossibilité de choisir et de négocier certains aspects dela formation : les modules et les stages optionnels, lethème du travail écrit de fin d’étude. Dans lesInstituts où s’affirme la volonté d’introduire dans laformation des espaces d’autonomie supplémentaires,ceux-ci concernent le choix des lieux de stage, celuides thèmes de travaux et de leurs dates de restitution,la possibilité d’être associé à certains projets (élabora-tion du règlement intérieur.. .), l’accès à des ressourcespédagogiques favorisant l’autoformation.

Mais nous pensons que c’est surtout de l’organisationen alternance de la formation que semble émerger uneopportunité d’autonomie pour l’étudiant.

Nous avons constaté que l’intégration du concept d’au-tonomie des étudiants dans la formation en soins infir-miers se heurte à des difficultés communes à tout sys-tème pédagogique mais également spécifiques à laprofession enseignée.

Nous faisons cependant l’hypothèse que l’alternancesystématique et régulière du début à la fin de la forma-tion, de périodes de théorie et de stage fait évoluer lerapport de l’étudiant avec le monde, les autres et Iui-

29. L’Autonomie de I’Etudiant : une Visée Ethique de la FormationInitiale Infirmière? -Mémoire individuel Ecole des Cadres de SantéCroix Rouge

même différemment de ce qu’il est dans un systèmeéducatif traditionnel.En effet, la participation à la production de soins etl’intégration dans le milieu professionnel lors des stagesfacilitent la prise de responsabilité, l’élaboration du projetprofessionnel et donnent du sens à l’acquisition du savoir.

La variété et la richesse des situations rencontrées favo-risent le non-conformisme et la distanciation lorsquel’insécurité engendrée par les processus répétés d’adap-tation ne constitue pas un obstacle trop important.

Nous sommes en présence d’un double mouvement derelativisation vis-à-vis des procédures prescrites d’unepart, par la découverte de la créativité dans le travailréel et vis-à-vis des situations de production d’autrepart, par un processus d’abstraction.

L’exercice de normes et de zones de liberté fluctuantselon les différents lieux d’apprentissage, facilite la ges-tion stratégique par l’individu en formation, au servicede son développement personnel et professionnel.

« Redonner place à l’expérience en grandeur réelledans la formation, c’est déjà ouvrir un espace de libertépour l’apprenant; c’est lui permettre d’exprimer sa sin-gularité hors de l’imposition collective de l’école etc’est lui permettre d’apprendre à sa façon » 30.

L’impossibilité pour le formateur d’exercer son contrôlesur toute une partie de la formation renforce la possibilitépour l’étudiant d’intégrer des savoirs professionnels endéveloppant des stratégies d’apprentissage personnelles.Les relations avec des interlocuteurs nombreux etvariés, étudiants, soignants médicaux et paramédicaux,formateurs, multiplient les occasions d’échanges etd’interdépendance.

Si l’alternance modifie la relation de l’étudiant avec lesavoir, elle modifie également sa relation avec I’ensei-gnant. En effet, l’étudiant occupe une place centraledans la formation car il est le lien permanent entre lesdifférents acteurs et les différents lieux d’apprentissage.L’autorité traditionnelle du formateur sur l’apprenantqui est liée à la possession unilatérale du savoir et aupouvoir de fixer les normes, est amoindrie dans un dis-positif d’alternance. Le positionnement maître-élèveévolue vers une relation plus égalitaire.

La place de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers etle rôle des formateurs s’en trouvent modifiés. L’Institutn’est plus le seul lieu de diffusion des connaissances. IIdevient un lieu où le formateur favorise la prise deconscience du rapport au monde, aux autres et à soi del’étudiant. II s’agit « d’une pédagogie de la découverte,

30. L’Alternance Educative - A. Geay (article)

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DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIEDANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

du questionnement, de la résolution de problème et dela communication, bref une pédagogie relationnelle etinteractive qui devra être mise en œuvre comme uneinterface entre les situations de travail et le référentieldes savoirs et des connaissances » 31.

Nous avons choisi de présenter l’alternance commeune démarche pédagogique qui vise à développer I’au-tonomie mais nous n’ignorons pas que l’alternancepeut « être pensée et organisée aussi bien comme uneincitation à prendre de la distance jusqu’à la contesta-tion que comme une opportunité à connaître la réalité,d’en accepter les règles et de s’y conformer » 32.

Les hypothèses que nous formulons visent à dépasserles difficultés de réalisation du concept d’autonomiedans la formation. Elles incluent à l’opportunité offertepar l’organisation en alternance, les composantes del’autonomie telles que nous les avons définies dans lepremier chapitre.

Nous étudierons en quoi l’expérience de l’alternancesur une longue durée peut modifier le rapport aumonde, aux autres et à soi de l’individu. II est à noterque dans un système de formation, le rapport aumonde du sujet inclut une dimension supplémentaireimportante qui est celle de son rapport au savoir :

* choix de stratégies d’apprentissage* intégration stratégique des savoirs

La 2e partie de la recherche a fait I’obietd’une synthèse.

La totalité de la recherche est disponible ausecrétariat de I’ARSI

LA PROBLÉMATIQUE

L’élaboration du cadre conceptuel relatif à l’autonomiea enrichi la problématique de sa réalisation dans la for-mation en soins infirmiers.

Cette problématique met en évidence la complexité del’utilisation du concept : l’autonomie peut être à la foisprise comme objectif, condition ou principe, valeur etfinalité, processus dynamique et exercice permanent.

Nous parviendrons cependant à poser certains principes :e L’autonomie ne peut pas s’enseigner mais I’envi-

ronnement peut être organisé pour la favoriser.

31. L’Alternance Educative - A. Geay (article)

32. Point de Vue Pédagogique sur I’Aiternance - A. Bercovitz

= Si les courants pédagogiques actuels évoluentglobalement vers une plus grande participationde l’élève à sa formation, l’approche qui consisteà fonder l’apprentissage sur la résolution de pro-blèmes à partir du questionnement est celle quicomporte le plus d’éléments constitutifs de I’au-tonomie tels qu’ils ont été définis dans le cadreconceptuel.

e La relation éducative est déterminante dans la per-ception que les individus en formation ont de leurautonomie. Cependant, nous pouvons nous inter-roger sur la réalité de la réciprocité et de l’égalitéintellectuelle entre le formateur et l’apprenant.

Nous constatons que le programme des études de1992 conduisant au Diplôme d’Etat d’lnfirmière,reprend la notion d’autonomie de l’étudiant autour delaquelle doit se construire la formation; l’étudiant estreconnu comme une personne capable d’analyse et dechoix motivé dès le début de sa formation.

Aux difficultés à faire l’exercice de l’autonomie dans laformation, s’ajoute un questionnement spécifique à laformation en soins infirmiers quant au glissement hasar-deux déjà évoqué qui consiste à légitimer l’autonomie del’étudiant en soins infirmiers par celle de l’infirmière.

Outre que la position et le rôle de chaque acteur nesont pas comparables, il apparaît nécessaire de s’inter-roger sur le sens à donner à l’autonomie affirméecomme valeur individuelle dans les projets pédago-giques et son articulation avec l’évolution du groupeprofessionnel infirmier vers une plus grande autonomie.

Or, intégrer la dimension de l’autonomie de l’étudiantdans la formation, ne garantit pas l’évolution du groupeprofessionnel vers l’autonomie.

À ce stade du travail, l’avancement de ma réflexion s’estheurté à l’ensemble des contradictions soulevées : laréalisation de l’autonomie de l’étudiant au cours d’unprocessus d’apprentissage était-il finalement possible?

Nous avons alors fait l’hypothèse que c’était I’alternan-ce systématique et régulière du début à la fin de la for-mation, de périodes de théorie et de stage, qui étaitdéterminante pour faire évoluer le rapport de l’étudiantavec le monde, les autres et lui-même, différemmentde ce qu’il est dans un système éducatif traditionnel.

HYPOTHÈSE

l’autonomie des étudiants en soins infirmiers est favori-sée par le rôle que ceux-ci occupent dans la formation.

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Page 13: DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE …...de formation professionnelle initiale conçue sous la forme de l’alternance. Nous montrerons, en effet, que c’est avant tout de

* La multiplicité des lieux, des interlocuteurs etdes situations :l relativise les normes et l’expertisel facilite la distanciation par rapport aux situa-

tions vécues en stage et à I’IFSIl augmente les possibilités de choix et de

décisionl facilite les choix individuels et la négociation

* La participation à la production et la prise deresponsabilité lors des stages :l modifient la demande relationnelle vis à vis

des formateurs et des soignantsl augmentent l’implication dans la formation

* Le contact avec le milieu professionnel lors desstages facilite l’intégration des apprentissagesdans une logique d’accession professionnelle.

* La possibilité d’acquérir des connaissancesdans des situations variées renforce les straté-gies individuelles d’apprentissage.

MÉTHODOLOGIE

La méthode utilisée a été celle de l’entretien. Le choixa été fait d’interroger des étudiants en soins infirmiersafin d’analyser dans quelle mesure les composantes duconcept d’autonomie pouvaient être retrouvées dansleur discours.

L’enquête a concerné quarante étudiants dans trois I.F.S.I.Ces étudiants étaient tous en troisième année, dans ledernier trimestre de leur formation. Les trois I.F.S.I. ont étéretenus en fonction de la place qu’ils accordent à I’auto-nomie dans leur projet pédagogique : l’une ne mention-ne pas l’autonomie dans son projet, la deuxième men-tionne l’autonomie sans que ne soient évoquées lesmodalités de mise en œuvre du concept dans la forma-tion, la troisième mentionne l’autonomie et a envisagéles modalités au niveau des méthodes pédagogiques uti-lisées et des relations entre formateurs et étudiants.

La recherche a eu pour objet de mettre en évidence lescomposantes du concept d’autonomie dans le vécu dela formation en alternance et d’apprécier si l’alternanceengendrait systématiquement l’autonomie de l’étudiantou s’il fallait que cette autonomie ait été réfléchie dansla formation pour que l’alternance la favorise.Pour vérifier l’hypothèse avancée, un premier classementdes propos des étudiants a été réalisé sur les contrainteséprouvées, les moments de négociation, la liberté depenser et d’agir, de choisir et de décider, la responsabili-té et l’affirmation de soi, les relations, les apprentissagesprioritaires et le comportement par rapport à I’environne-ment puis une analyse comparative des propos relatés

par les étudiants a été réalisée en référence aux troisdimensions de l’autonomie définies précédemment.

RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE

I I apparaît difficile de résumer les résultats obtenus etl’analyse qui en a été faite tant les données recueilliesont été denses et instructives. Seuls les éléments les plusmarquants seront donc évoqués dans cette synthèse.

En ce qui concerne les normes, les étudiants s’autori-sent à les contester mais en opposant le plus souventles deux milieux de formation : I.F.S.I. et stage.

C’est lorsque l’autonomie de l’étudiant est faiblementprioritaire que le contraste est le plus important; L’étu-diant recherche dès le début de la formation un posi-tionnement de professionnel et ressent une incomplé-tude qu’il vise à combler. La démarche d’adaptation estdominante : l’étudiant s’efforce d’être conforme à ceque l’environnement attend de lui, ce comportementpouvant aller jusqu’à faire semblant de savoir faire cequ’en réalité il ne maîtrise pas encore.

Les étudiants agissent comme s’ils avaient déjà intégréles normes professionnelles alors que tous leurs effortssont orientés vers cette intégration sans qu’un tempssuffisant soit laissé pour un réel ajustement. L’effort per-manent et renouvelé de soumission entraîne une gran-de souffrance et constitue un obstacle à prendre durecul pour inclure les différentes périodes de la forma-tion dans un même processus d’apprentissage : la pra-tique s’oppose à la théorie, le professionnel-infirmier àl’étudiant, le travail à la formation.

Dans les I.F.S.I. où l’autonomie est moyennement oufortement prioritaire, la place des deux savoirs théo-rique et pratique, l’un par rapport à l’autre, est plusexplicite. La reconnaissance du savoir théoriquecomme référence et du savoir pratique comme réalitévécue par les étudiants donne à l’étudiant la possibilitéde choisir entre plusieurs stratégies d’apprentissage. IIne s’agit plus d’un décalage mais d’une différence,point de départ d’une réflexion sur les pratiques pro-fessionnelles. Lorsque l’autonomie est moyennementou fortement prioritaire, l’évolution de la position del’étudiant pendant la formation, autorise une adapta-tion plus progressive et libère ainsi une énergie plusimportante pour le travail personnel.

L’analyse des résultats obtenus montre que la multipli-cité des l ieux, des interlocuteurs et des situations n’estpas suffisante en elle-même pour que les étudiantsrelativisent les normes et l’expertise et se distancientdes situations vécues.

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Page 14: DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE …...de formation professionnelle initiale conçue sous la forme de l’alternance. Nous montrerons, en effet, que c’est avant tout de

DE LA REALISATION DU CONCEPT D’AUTONOMIEDANS LA FORMATION DES ETUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS

Le rôle des formateurs mais aussi celui des soignantsest essentiel dans l’initiative de la démarche de ques-tionnement et de distanciation. Les étudiants ne par-viennent pas à gérer seuls la différence de normes ren-contrées en stage et à I’IFSI. Ils éprouvent cettecontrainte mais ne sachant pas comment la faire évo-luer, ne la discutent pas, même en fin de formation.

L’impossibilité à dépasser ce constat aboutit chez I’étu-diant à une dissociation des processus apprendre(mémorisation de l’enseignement théorique) et com-prendre (utilisation des savoirs en situation pratique).

Par ailleurs, nous avons pu constater que le contact avecle milieu professionnel facilite l’intégration des appren-tissages mais en laissant de côté tous les savoirs nondirectement utilisables et tous les savoirs nouveaux quis’opposent aux savoirs pratiques utilisés dans le milieuprofessionnel. Le savoir-faire du travail réel représentealors un obstacle à la pédagogie du questionnement aulieu de constituer le point de départ d’une démarche derecherche active de la part des étudiants.

La demande relationnelle à l’égard des formateurs setrouve modifiée par le caractère professionnel de laformation. Les étudiants aspirent à être reconnuscomme des professionnels-infirmiers. En ce quiconcerne le rôle du formateur, dans les I.F.S.I. où I’au-tonomie est moyennement ou fortement prioritaire, cedernier est perçu par les étudiants comme une ressour-ce, un soutien, une aide pour assumer sa position d’in-dividu en apprentissage. Nous constatons d’ailleursque dans la dimension du rapport aux autres apparaîtune notion importante : la demande d’aide. L’utilisa-tion systématique des ressources humaines apparaîtcomme une marque supplémentaire d’autonomie.

L’accession au statut de professionnel-infirmier et laconfiance en soi dans ce rôle semblent passer par unedouble recherche de reconnaissance auprès des infir-mières et des formateurs. Dans les I.F.S.I. où l’autonomieest faiblement prioritaire, cette demande existe en derniè-re intention lorsque l’étudiant ne peut obtenir la recon-naissance attendue de la part du milieu professionnel.

La demande relationnelle à l’égard des infirmières visela collaboration. Lorsque l’étudiant recherche avant toutl’adaptation, il semble paradoxalement parvenir moinsbien et moins fréquemment au stade de collaborationque lorsqu’il se positionne pendant la première partie desa formation comme individu en apprentissage, expri-mant ses limites et demandant de l’aide aux infirmières.

En ce qui concerne la responsabilité, c’est dans la rela-tion directe avec la personne soignée que l’étudiant enéprouve pleinement conscience. Cette perception relèvecertainement de la conjonction de plusieurs éléments :

@ La liberté d’action qui résulte de la situation enl’absence du contrôle direct de l’infirmière

w Le rapprochement de l’exercice professionneldû à l’assimilation de la situation avec cellesque les infirmières vivent quotidiennement

U=T La sensation de répondre seul de ses actes@ Le renforcement de l’affirmation professionnelle

au travers de la prise d’initiative lors de la miseen œuvre de ses capacités

Nous pouvons dire que l’affirmation professionnelle sedéveloppe interactivement avec le sentiment de res-ponsabilité au contact de la personne soignée.

EN CONCLUSION

Au cours de cette étude, nous sommes parvenus à laconclusion que l’alternance favorisait d’autant plusl’autonomie que celle-ci avait été réfléchie dans I’orga-nisation pédagogique.

La rencontre avec le milieu professionnel mais aussi avecune manière d’apprendre différente oblige un posit ionne-ment de l’élève en apprentissage différent de celui del’élève dans un système éducatif traditionnel. La positiond’apprenant dans une formation en alternance autorise leprocessus d’adaptation et de discussion-ajustement parrapport aux normes du milieu de travail, ce qui est unecaractéristique de l’autonomie. Cet exercice de I’autono-mie implique pour l ’ individu une prise de conscience per-manente et renouvelée des normes existantes, de ses pos-sibilités internes et externes de discussions et d’ajuste-ments, des ressources et des soutiens dont il peut disposer.

Un tel exercice, lorsqu’il se réalise dans un environne-ment pédagogique favorable, engendre une satisfactionimportante chez l’individu. L’adaptation à tout prix secaractérise par contre par une grande souffrance en rai-son des renoncements aux valeurs et aux idéaux quiaccompagnent cet effort.

Un paradoxe extrême est mis en évidence : pour sepositionner comme personne en apprentissage dans lelieu de stage, être considéré comme futur professionneldans la structure de formation et utiliser les zones d’au-tonomie ainsi dégagées, l’étudiant a plus que jamaisbesoin du formateur et des professionnels soignants.La dimension cachée de cette réflexion restera I’in-fluence que l’autonomie dans la formation a sur le pro-fessionnel formé. Même si nous avons montré que l’au-tonomie de l’élève ne peut pas être confondue aveccelle d’un professionnel en activité, la question resteposée du positionnement de ce professionnel et de sescapacités d’adaptation dans le milieu du travail lors-qu’il ne pourra plus s’appuyer sur son statut d’élève.

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