de la rade de saint-malo jusqu’aux îles lofoten · pays à peine effleuré du regard. ......

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Carnet de voyage De la rade de Saint-Malo jusqu’aux îles Lofoten Texte et photos de Michel Sacco La petite ville portuaire de Reine (prononcer Reïna), la perle des Lofoten, dans le sud-ouest de l’archipel. On en parle volontiers comme l’un des plus jolis paysages de Norvège. Ce petit bijou serti dans son écrin de montagnes est bâti sur une péninsule. Au fond à gauche de l’image, le vaste bassin intérieur du Kjerkfjord. Le pic au centre s’élève à plus de 700 m d’altitude. À ses pieds se trouve la passe qui communique avec l’océan.

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Carnet de voyage

De la rade de Saint-Malojusqu’aux îles LofotenTexte et photos de Michel Sacco

La petite ville portuaire de Reine (prononcer Reïna), la perle des Lofoten, dans le sud-ouest de l’archipel. On en parle volontiers comme l’un desplus jolis paysages de Norvège. Ce petit bijou serti dans son écrin de montagnes est bâti sur une péninsule. Au fond à gauche de l’image, le vastebassin intérieur du Kjerkfjord. Le pic au centre s’élève à plus de 700 m d’altitude. À ses pieds se trouve la passe qui communique avec l’océan.

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Les guillemots nous suivent depuis la radede Saint-Malo. Un ballet ininterrompu de

11 jours. Ils viennent jouer avec l’air dugénois, survolent notre étrave avant de repar-tir dans une longue courbe planante au ras desflots. Voilà quelques jours, nous avons aperçul’extrémité ouest de la côte norvégienne aupetit matin. Des filets de brume s’accrochaientsur les pentes abruptes du littoral tandis que depetits bateaux de pêche portant un tape-culrouge croisaient au large. Image fugitive d’unpays à peine effleuré du regard.

Onze jours de navigation depuis Dinard, l’élégante voisine de Saint-Malo dansl’estuaire de la Rance. Une rade au tempéra-ment maritime carabiné, parsemée d’îlots, decailloux et de phares juchés sur des tourellesbattues par le clapot. Onze jours pour venir àbout des courants de La Manche dans untemps de demoiselle, traverser la mer du Nordet ses innombrables plateformes pétrolières,encore dans la calmasse, avant de toucher duvent portant pour filer à bonne allure jusqu’enmer de Norvège. Et puis, à 200 milles de l’arrivée, cette longue finale au louvoyageavec un vent pile dans l’axe de la route.

C’est notre dernière journée de naviga-tion, nous toucherons le port de Svolvær tardce soir, si le vent tient. Le soleil s’est levé vers3 h 30, il ne nous avait quittés que quatreheures seulement. L’été, au-delà du cerclepolaire (66°33’ N), la nuit est inconnue. Partemps clair, le rouge du couchant ne disparaîtpas. Il se déplace lentement sur l’horizon versl’est et il annonce maintenant le début d’unelongue journée radieuse.

Nous voici à l’entrée du Vestfjord, levaste détroit qui sépare le continent del’archipel des Lofoten. Tout à l’heure, nousavons aperçu le glacier de Bodø briller dans lalumière pâle qui précède le lever du soleil. La

terre nous arrivecomme une appari-tion, ou devrait-ondire, une hallucina-tion. Au fur et àmesure de notre pro-gression, nous décou-vrons un panoramagrandiose qui semblesorti tout droit dequelque conte fantas-tique. Tout autour denous se dresse uncortège de montagnessombres aux sommets

acérés. Une interminable succession de picsdéchiquetés, de près de 1 000 m d’altitude,s’élevant brutalement au-dessus de la merpour composer un paysage d’une étrangebeauté, à la fois mystérieuse et inquiétante.Un paysage originel où la présence de lanature se fait presque écrasante.

Sous un ciel immense maintenant envahid’une lumière éclatante, l’équipage incréduley va de commentaires volubiles entrecoupésde séances de contemplation muette. On sesaoule de cette lumière, pure comme l’eaud’un ruisseau, on en abuse pour absorber toutel’énergie de ces journées qui ne finissentjamais. Nous goûtons un brin d’extase arcti-que dans un ciel saturé de bleu.

Heureux dénouement, voilà encore deuxjours nous pataugions dans le cockpit, battuspar une pluie drue et interminable. Mouillésvous dites? Reconnaissons malgré tout que jem’étais attendu à pire. J’avais imaginé une

navigation aux conditions quasi polaires dansun froid mordant. Cette course en Norvège nes’est finalement révélée pas plus rigoureusequ’une bonne excursion sur la côte nord duSaint-Laurent par une journée de nordet. J’en suis encore à remercier la dérive nord-atlantique, cette branche du Gulf Stream quivient terminer sa course au-delà du cap Nordet réchauffe au passage les eaux du littoralnorvégien.

Nous vivons les dernières heures de larégate dans la bonne humeur et l’enthou-siasme. La course, c’est la deuxième éditionde la Dinartica, une épreuve de 1 300 millesau départ de Dinard, Bretagne Nord, à desti-nation de l’archipel des Lofoten, juste au norddu cercle arctique. Avec Walter et monhomonyme Michel, Georges Leblanc nous aoffert de composer l’équipage d’Océan, unmonocoque de 65 pieds. Une invitation qui nese refuse pas. Les îles Lofoten! Je ne les man-querai pour rien au monde. La Norvège, lesfjords, les orques, les sommets enneigés au-dessus de l’océan, mon sac a été vite bouclé.

Nous tirons des bords toute la journéepour remonter le Vestfjord qui s’étire sur plusde 120 milles nautiques jusqu’à Narvik. Lesîlots qui pointent comme des têtes d’épinglesur la carte se révèlent être des pitons rocheuxau relief vertigineux. Le soleil finit par dis-paraître derrière les montagnes. Nous nesommes plus qu’à quelques milles de la ligned’arrivée. Impossible de discerner une quel-conque présence humaine sur cette muraillede montagnes côtières. Nous cherchons envain les taches colorées des toits, la flèche

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d’une église, la tourelle d’un phare. Rien, pasun amer sur les parois sombres. Juste la ligneininterrompue des falaises de granit auxarêtes vives, sculptées comme des pierres pré-cieuses.

Le vent mollit, adonne, refuse, puisressort en furie d’une vallée étranglée entredeux sommets. Les trolls sont peut-être encolère. Ils nous expédient des risées tourbil-lonnantes avant de nous laisser complètementtomber. Nous finis-sons par distinguerune jetée, le bateaudu comité de course,la ligne est là. Noussommes les premiersà la franchir. Top 50,le monocoque de 50 pieds de LucCoquelin, nous adépassés après la mi-course et a pris unebelle avance, mais ilest resté encalminépendant des heuressous les montagnespendant que nousprofitons au larged’une interminableadonnante. Il finirapar nous devancer entemps compensé,mais nous aurons aumoins sauvé l’hon-neur de l’équipage.

Sur un promon-toire rocheux, l’im-mense statue représentant une femme auxmains tendues accueillant son mari de retourde pêche signale l’entrée du port de Svolvær.Surprise! Le paysage de désert minéral cèdetout d’un coup la place à une petite villecoquette et colorée blottie au pied de deuxéperons rocheux qui s’élancent vers le ciel.Quelle surprise nous aurons deux jours plustard de découvrir sur les îles des vallées ver-doyantes où paissent chèvres et moutons et oùl’on pratique l’agriculture sur chaque parcellede terre disponible. Il est minuit passé, il ferajour toute la nuit et les bars servent encore de la bière. Profitons-en car les restos sontfermés et il faudra encore se taper des rationspour souper.

Le lendemain matin, le soleil illumine leport de Svolvær et les Norvégiens jouent lesmarmottes sur les terrasses des cafés. Ils se

gavent de soleil sans retenue. Il fait beau etchaud, on en reste tout surpris et le bateaudétrempé redevient sec en quelques heures àpeine. À la question «Il fait toujours beaucomme ça chez vous», les habitants desLofoten vous répondent, avec un petit sourireentendu, «d’en profiter pendant que ça passe,car il peut pleuvoir tout un mois sans arrêt enplein été». Georges remettra le cap sur Dinarddans trois jours pour sa qualification à la

Route du Rhum. Nous avons 48 heures pourfaire un peu de tourisme, satisfaire notrecuriosité et profiter de la lumière éclatanteque le ciel nous envoie.

Lars Erik Karlsen, peintre et plaisancier,nous a accueilli hier soir sur les quais deSvolvær. Il vit à bord de Sulla Bassana (Foude Bassan), un magnifique Sweden Yachts de36 pieds avec lequel il a déjà poussé une bordée jusque dans l’archipel du Spitzbergau-delà du 75e degré de latitude nord. Ensuivant ses indications, nous griffonnons unitinéraire sur la carte routière. Rendez-vousdans quelques jours pour une excursion àbord de Sulla Bassana.

Ces deux journées de vagabondage sousla lumière arctique resteront probablementgravées pour la vie dans ma mémoire de pho-tographe comme de purs moments d’extase

visuelle. Les plages de sable blanc plongeantdans les eaux turquoise, les façades rouge vifdes ports de pêche, le vert tenace de la végé-tation accrochée sur les socles de granit, lebleu profond de la mer de Norvège, lescoques de bois verni se reflétant dans les eauxcalmes, les plaques de neige encore logées àl’ombre des parois, toute la palette descouleurs et des textures chante la beauté desîles Lofoten.

Entre la visite des nombreux ports depêche et des prairies alpines encerclées demontagnes, nous aurons le temps pour unebaignade dans des eaux glacées, une après-midi instructive au musée des Vikings,quelques rencontres inattendues sur la routeavec des troupeaux de moutons et de chèvres,des dégustations de hareng mariné au petit-déjeuner, de ragoût de morue pour le déjeuneret d’un délicieux jambon de baleine pour ledîner. Sans oublier l’étrange saucisson derenne et le savoureux agneau local. Le soir, aubout des quais ou sur les terrasses, nous ren-controns parfois des familles norvégiennessilencieusement réunies autour d’une table,dégustant lentement un verre de vin, le nezplongé dans la lecture. L’antithèse parfaite dela famille italienne. Les Norvégiens sontgénéralement des gens calmes et réservés,

Les couleurs contrastées du littoral des Lofoten où l’on ne compte plus les kilomètres de côte sauvage.

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peut-être faut-il y voir un trait culturel scan-dinave.

Les nuages finissent par nous rattraper.Ils s’accrochent sur les sommets, puis se mettent à défiler rapi-dement à flanc demontagne. Nous ren-trons à Svolvær poursaluer le départ ensolitaire de SuperGeorges qui quitte laNorvège sous un pla-fond bien bas. On nevoudrait pas être dansses bottes. Le cieln’en finit plus decrever ses eaux et levent de NE gifle lesvisages. L’excursionau Trollfjord estremise au lendemaincar, comme nous l’ex-plique Lars Erik, aux

Lofoten on espère sans cesse «que le tempssera meilleur demain». Peine perdue, la navi-gation de 15 milles se fera sous un cielmenaçant et dans une humidité perçante. On

se croirait au Saguenay, si ce n’était de laneige qui tapisse le fond des ravins escarpés.Le pique-nique bière et crevettes sous la pluiefait demander aux équipiers grelottants de

Top 50 «si l’épreuvecompte comme stage de survie». Il est tempspour notre Viking deskipper de ramener lestouristes à la maison.Sous la cascade quidéboule de je ne saisplus combien de cen-taines de mètres, unerafale qui sembletomber du ciel fait don-ner de la bande à SullaBassana, pourtant à secde toile. «Sentez-vousmaintenant le souffledes trolls?» nous lanceLars Erik avec un petitsourire en coin.

Bateau de pêche dans le petit port de Sund. Les pêcheurs apportent un soin jaloux à leurs embarcations. Ce petit chalutier porte un tape-cul,comme la plupart des unités artisanales encore en activité aux Lofoten.

En route vers le Trollfjord à bord de Sulla Bassana sous un ciel menaçant.

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Å ÅÅ, le dernier village au bout de la route à l’ouest de l’archipel. Unpetit village de pêcheurs blotti au pied des parois rocheuses,comme il y en a tant aux Lofoten. Nous y avons passé une pre-mière nuit dans un rorbu, loué probablement au seul Norvégienqui ne parlait pas anglais dans tout l’archipel. La photo a été prisele matin de bonne heure depuis le balcon de notre cabane depêcheurs. Les montagnes ont souvent pour effet de stopper nettoute manifestation éolienne. Pas un souffle ne vient dérider leseaux calmes des bassins portuaires dont les reflets composent demagnifiques paysages maritimes.

J’ai un peu triché avec ce å (prononcer Ô), qui se trouve être enfait la dernière lettre de l’alphabet norvégien.

B Bateaux norvégiens Les Norvégiens semblent très fidèles à leur tradition de construc-tion maritime. Toutes les petites unités de pêche présentent encorela fameuse poupe arrondie, connue dans le monde entier comme«l’arrière ou le tableau norvégien». On y voit aussi beaucoup decoques de bois verni, entretenues avec soin, arborant parfois untape-cul à l’arrière pour adoucir les effets du roulis. Le célèbrearchitecte Colin Archer (1832-1921) a en quelque sorte immorta-lisé le ketch norvégien dont la réputation par mauvaise mer n’estplus à faire. On rencontre régulièrement des unités de plaisancerécentes qui reprennent volontiers ces lignes traditionnelles, parfois grées en ketchs auriques.

Les très belles barques de pêche, bordées à clin, constituent uneautre solide tradition scandinave. On les appelle communémentNordland boats, Nordland désignant une partie du territoirenorvégien qui inclut les Lofoten. La filiation avec le drakkar desVikings paraît évidente. On utilisait les plus petites unités pourpratiquer la pêche côtière de la morue diurne, tandis qu’on trans-portait vivres et passagers sur des bateaux d’une quarantaine depieds (12 à 13 m). La finesse des extrémités permet à ce typed’embarcation de soulager facilement à la lame et de survivreainsi au mauvais temps. D’une grande maniabilité, mais récla-mant un barreur expérimenté, les Nordland boats étaient conçuspour naviguer à la rame et à la voile.

C Chasse à la baleineOn trouve aux Lofoten plusieurs équipages de chasseurs debaleines. On en capture environ 900 par année, le troupeau del’Atlantique Nord en compterait plus de 110 000. Le déchar-gement a lieu sur la petite île de Skrova. LesNorvégiens osentà peine en parleraux touristes,mais ils ne segênent pas enrevanche pouroffrir de la viandede baleine dansles restaurants. On la mange en steak, en jambon ou en saucisson.J’ai été surpris par la délicatesse du jambon, particulièrement raffiné. La baleine fait traditionnellement partie de l’alimentationdes Norvégiens depuis des lustres et ils n’ont nullement l’inten-tion de s’en priver.

D DrakkarLe musée des Vikings de Borg sur l’île de Vestvågøy est installésur un vaste domaine qui communique avec la mer. Le site n’arien d’artificiel puisque des fouilles archéologiques ont permis derestituer divers éléments de ce qui fut jadis l’un des hauts lieux dela civilisation viking. À partir de vestiges, on a reconstruit uneétonnante longue maison de chef de 83 m de long. On s’y fami-liarise avec de nombreuses techniques d’artisanat, mais la salle

UN ABÉCÉDAIRE DES ÎLES LOFOTENUN ABÉCÉDAIRE DES ÎLES LOFOTEN

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de restaurant, où la soupe chauffe dans un immense chaudron,laisse un souvenir impérissable. On connaît les qualités de marinset de combattants des Vikings, mais on est moins familier avecleur vie d’agriculteurs, d’éleveurs et leurs habiletés manufactu-rières. Ce musée à ciel ouvert, où travaillent de nombreux figurants, est le plus intéressant de l’archipel.

E Églises L’architecture des édifices religieux norvégiens se démarque à lafois par son raffinement et sa diversité. Les formes, les matériaux

utilisés et les élancements enfont un phénomène unique enEurope et l’une des contribu-tions les plus importantesqu’ait apporté la Norvège à l’architecture mondialedepuis le Moyen-Âge. Lebois constituait le matériauprincipal en raison des abon-dantes ressources forestièresdu pays. Encore aujourd’hui,les architectes norvégiensaffectionnent particulière-ment ce matériau qu’ilsutilisent fréquemment dansles constructions modernes.

F FerryLorsqu’on découvre le littoral montagneux de la Norvège, oncomprend rapidement la raison pour laquelle il est plus facile devoyager par mer que par terre. La Norvège est un pays d’arma-teurs et tout un réseau de ferries relie les villes côtières depuisOslo et Bergen jusqu’à Narvik et au cap Nord. Tous les jours, unbateau quitte Bergen pour le cap Nord, un voyage de 11 jours. Lesîles Lofoten sont naturellement desservies, notamment par lesnavires des lignes du conglomérat Hurtigruten.

G Gulf StreamLa dérive nord-atlantique constitue la branche du Gulf Stream qui,à partir du sud du Groënland, infléchit sa course vers le nord-esten direction de l’Écosse puis de la mer de Norvège. Ce courantchaud empêche la formation des glaces jusqu’à l’archipel duSpitsberg, au-delà du 70e parallèle. La dérive nord-atlantiqueréchauffe les zones côtières où il fait beaucoup plus doux qu’àl’intérieur du continent. La mer ne gèle donc pas aux Lofotenpuisque la température moyenne au plus fort de l’hiver est de -1°C. Les étés restent cependant plutôt frais avec des moyennes de 12° à 15°C. Le mercure peut monter à 25°C les journéesensoleillées, mais la température de la mer en plein été resteautour de 12°. Les Lofoten font partie de l’une des régions les plus humides d’Europe. L’air chaud charrié par le Gulf Stream secondense en passant au-dessus des montagnes côtières, condensa-tion qui génère d’abondantes précipitations.

H Henningsvær

La ville d’Henningsvær abrite l’un des plus importants ports depêche de l’archipel. Le grand canal qui traverse toute la ville et oùviennent s’amarrer les chalutiers lui a valu le surnom un peu facilede «Venise des Lofoten». Oubliez les gondoles et le palais desDoges, Henningsvær se démarque plutôt comme une capitale dela morue séchée. Le poisson y sèche sur de grandes claies de boisun peu partout autour de la ville. L’odeur du poisson séché flotteencore dans l’air longtemps après qu’on l’ait décroché. Son caractère très maritime fait finalement tout son charme.

I IsbreIsbre, le mot norvégien pour glacier. Les profondes vallées et lesfjords qui composent le paysage des Lofoten sont d’origineglaciaire. La disparition de la calotte glaciaire a permis la forma-tion d’une chaîne de montagnes au relief particulièrement escarpéque l’on a surnommé les Alpes de la mer. Ces montagnes culmi-nent à 1 161 m.

J JordJord, la terre en norvégien. Vue depuis la mer, la chaîne de mon-tagnes côtières des Lofoten semble impénétrable et totalement

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stérile. Derrière les montagnes se trouvent pourtant des pâturagespropices à l’élevage de chèvres et de moutons. Les Lofoten exportent donc de la viande et des produits laitiers sur le conti-nent. Le plus souvent, les animaux se promènent en liberté et iln’est pas rare de se retrouver nez à nez avec un troupeau en pleinmilieu de la route.

K Lars Erik KarlsenNous avons ren-contré l’artiste etnavigateur LarsErik Karlsen surles quais deSvolvær. Il utilisel’une des plusvieilles techni-ques d’impres-sion du papier,apparue voilà plusieurs siècles en Europe. Il sculpte ses sujets surdes plaques de bois et les imprime ensuite lui-même au moyend’une presse. La navigation et les paysages maritimes des Lofotenconstituent ses deux source d’inspiration. Ses œuvres, remplies

de couleurs tran-chantes et delumière arctique,racontent la vienordique avecbeaucoup devivacité.

L LofotenAu nord de la côte norvégienne, les îles Lofoten s’étirent sur unecentaine de milles vers le sud-ouest à la hauteur des 67e et 68e

degrés de latitude nord. L’archipel se compose de quatre grandesîles (Austvågøy, Vestvågøy, Flakstad et Moskenes) reliées par desponts et des tunnels et de nombreux îlots isolés au large, maisnéanmoins quelquefois habités. 25 000 personnes résident dansl’archipel qui reçoit près de 250 000 touristes chaque année. Lespâturages sont plus abondants dans le nord et l’est de l’archipel.Au sud et à l’ouest en revanche, le relief est de plus en plusescarpé et les paysages de plus en plus sauvages. La quasi-totalitédes localités sont installées sur le littoral.

M MorueLa morue ou l’or séché des Lofoten. «Il existe au moins 40 recettes différentes de séchage», nous a expliqué Lars Erik,«comme pour le vin, chacun a sa spécialité.» La Norvège exportesa morue séchée dans une trentaine de pays, mais les Italiens sontles premiers clients depuis fort longtemps puisque la recette dupoisson séché à l’air libre est millénaire. Partout dans les ports, ontrouve des échafaudages de bois à environ 3 m du sol sur lesquelson suspend le poisson. L’air salin, l’absence de gel, le taux d’humidité et le vent créent des conditions parfaites aux Lofotenpour mettre en œuvre avec succès ce type de séchage dès les premiers jours du printemps et jusqu’au mois de juin.

Le poisson séché estclassé en trois grandescatégories définissant saqualité: prima, sekunda etafrica. Nous avons visité àReine un vaste entrepôt oùl’on empilait des palettesde morue séchée jusqu’au

plafond, ce qui donnait une bonne idée de la place qu’occupe cecommerce aux Lofoten. Les restaurants proposent très souvent lebacalao, mot d’origine portugaise qui désigne un ragoût préparéavec de la morue séchée. Il existe de multiples variantes dubacalao, qui se révèle tout à fait délicieux lorsqu’il est bien préparé.

On retrouve un peu partout ce poisson séché, jusqu’au bout desbômes de certains voiliers. Peu après notre arrivée dans le port deSvolvær, un plaisancier du coin a sorti sa hache pour nous débiterquelques tranches et nous les offrir en guise de bienvenue!

N NusfjordUn très joli petit village de pêche que l’on présente aux visiteurscomme «l’un des plus anciens et des mieux préservés de toute laNorvège». On a conservé l’urbanisme du XIXe siècle de manièrequasi intégrale et l’on ne peut y circuler qu’à pied. Le village n’estpas pour autant qu’un musée vivant, on continue d’y entreposer etd’y faire sécher du poisson.

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0 Oméga 3Au début duXXe siècle, lesv i t a m i n e sprésentes dansl’huile de foiede morue ontfait grimacerde dégoût desmillions d’en-fants dont on voulait favoriser la croissance. Les îles Lofoten s’étaient fait une spécialité de la fabrication de cette substanceque l’on obtenait en faisant bouillir les foies avant de les presserpour en extraire la fameuse huile à l’odeur si prononcée, pour nepas dire désagréable. Aujourd’hui, on redécouvre les vertus de lafameuse huile de foie de morue en raison de sa forte teneur engras de type oméga 3. Heureusement pour les enfants, les gélulesont remplacé l’indigeste cuillère à soupe de liquide visqueux.

P Pêche La pêche constitue encore la principale activité économique del’archipel. À la différence des Canadiens, les Norvégiens ont sugérer leurs stocks de poissons et la morue est encore très abon-dante. Cette très lucrative – et très réglementée – pêche à la moruese fait principalement de janvier à mars, période à laquelle denombreux équipages venus de tout le pays migrent vers lesLofoten. On vient pêcher aux Lofoten depuis le XIIe siècle. À partir du XVe siècle, l’archipel approvisionne abondammentl’Europe catholique. Au XIXe siècle, on recensait jusqu’à 20 000patrons pêcheurs à Svolvær. Au moment de l’ouverture de la sai-son, il était possible de traverser le port à pied sec en passant d’unbateau à l’autre. Les Norvégiens semblent avoir réussi à préserveren partie la pêche artisanale. On compte encore un bon nombre depetites unités actives dans les différents petits ports de l’archipel.Peut-être est-ce là aussi la fin d’une époque car les gros bâtimentsdament de plus en plus le pion aux petites unités.

Q Pietro QueriniOn rencontre beaucoup de touristes italiens aux Lofoten, maisl’un des premiers d’entre eux à faire escale dans l’archipel n’étaitpas un touriste, mais un naufragé. Le marchand vénitien PietroQuerini et le reste de son équipage débarquèrent sur l’île de Røstdans l’hiver de 1432 après des semaines de dérive sur une barquedans l’océan. Sauvé d’une mort certaine par les habitants de l’île,Querini raconta plus tard son aventure dans un journal de voyageque la tradition orale conserva vivante jusqu’à nos jours.L’équipage fit voile vers l’Italie au printemps avec de bonnes pro-visions de poisson séché, ce qui fit de Querini probablement l’undes premiers importateurs de morue séchée en Italie. Aujourd’hui,30 % des 4 000 tonnes de morues séchées norvégiennes venduesen Italie proviennent de l’île de Røst. Ce qui fit dire au maire deRøst au cours d’une cérémonie protocolaire en Italie: «Que Dieubénisse les ménagères italiennes et leur cuisine.»

R RorbuLe rorbu, habitat traditionnel des pêcheurs, date du XIIe siècle.

Pour loger l’abondante main-d’œuvre venue des quatre coins dela Scandinavie pour la saison de la pêche, on a commencé à cons-truire des maisons rudimentaires en bois sans fondation. De sim-ples pilotis de bois plantés sur les rochers suffisent à supporter ceshumbles cabanes que l’on louait aux pêcheurs. On entrepose lesagrès de pêche à l’entrée du rorbu et l’on vit dans l’autre moitiéoù se trouve juste assez de place pour loger une table, un poêle etdes lits superposés. Au Musée des Lofoten de Storvågan, on peutvisiter une de ces très austères demeures. Les dures conditions devie et le système économique imposés aux pêcheurs scandinavesne sont pas sans rappeler ceux des pêcheries gaspésiennes. Aujourd’hui, on construit des rorbus très confortables pour logerles touristes. Ces nouvelles constructions ont un aspect extérieurà peu près identique à celles d’autrefois et s’intègrent parfaite-ment dans le paysage maritime des Lofoten. Respect du patri-moine et développement durable sont des règles que lesNorvégiens appliquent sans difficulté. L’industrie de la pêche etcelle du tourisme cohabitent harmonieusement pour le bien detous.

Quant aux façades invariablement rouge des rorbus, elles évoquent inévitablement une parenté avec celles des régionsatlantiques canadiennes de Terre-Neuve ou de Nouvelle-Écosse.

S Soleil de minuitDu 27 mai au 17 juillet, le soleil ne se couche pas aux Lofoten.Encore faut-il que les nuages accordent la grâce de l’admirer. Lesmois d’avril à juin seraient ceux où il pleut le moins…

T Toitures végétalesLes toits de tourbe recouverts de gazon s’avèrent d’excellentsisolants thermiques, été comme hiver, et sont complètementimperméables à l’eau. Cette méthode de construction fait depuislongtemps partie du patrimoine architectural scandinave. Cesséduisantes toitures végétales séduisent par leur côté rustique,mais elles gagnent aussi de plus en plus la faveur des urbanistescontemporains en raison de leur contribution positive à l’environ-nement.

U UtakleivLa magnifique plage de sable blanc d’Utakleiv sur l’île deVestvågøy fait face à la mer de Norvège. L’eau verte d’une extra-

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ordinaire limpidité n’a rien àenvier à celle de la Méditerranéeou des Antilles. Sa températureréclame en revanche une bonnedose de courage pour tenter des’y baigner. Ce qui ne semblepas gêner le moins du monde lesenfants norvégiens qui y passentvolontiers de longs moments àtraquer le poisson avec uneépuisette.

V VestfjordCe vaste détroit qui sépare lesLofoten du continent constituel’un des meilleurs sites de pêchede l’Atlantique Nord. La moruey migre en grand nombre pourfrayer depuis la mer de Barents.La température de l’eau (4° à 6°C), la salinité, les courantsmarins, la nourriture et la naturedes fonds se conjuguent pouroffrir de parfaites conditions à la reproduction du poisson. En2005, les pêcheurs ont prélevé 37 000 tonnes de morue autour desLofoten. Ils ne sont pas les seuls à profiter de l’abondance du

poisson. Dès la fin du mois d’octobre et jusqu’en janvier, les troupeaux d’orques viennent pourchasser les bancs de harengsdans le Vestfjord.

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Îles Lofoten

Å

Reine

NusfjordSund

Værøy

Mer deNorvège

UtakleivHenningsvær

SvolværTrollfjord

Bodø

Vers Narvik

Île de Moskenes

Traversiers

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