de la préhistoire à l'atlantide des mégalithes. les leçons...

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DE LA PRÉHISTOIRE... A L'ATLANTIDE DES MÉGALITHES

LES LEÇONS DU RADIOCARBONE

Jean DERUELLE

DE LA PRÉHISTOIRE... A L'ATLANTIDE

DES MÉGALITHES

LES LEÇONS DU RADIOCARBONE

ÉDITIONS FRANCE-EMPIRE 68, rue Jean-Jacques-Rousseau - 75001 PARIS

Vous intéresse-t-il d'être tenu au courant des livres publiés par l'éditeur de cet ouvrage?

Envoyez simplement votre carte de visite aux

ÉDITIONS FRANCE-EMPIRE Service « Vient de paraître »

68, rue J.-J.-Rousseau, 75001 Paris,

et vous recevrez régulièrement et sans engagement de votre part, nos bulletins d'information qui présentent nos différentes collections,

que vous trouverez chez votre libraire.

@ Éditions France-Empire, 1990.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

IMPRIMÉ EN FRANCE

Au Pr A.C. RENFREW

Avec l'espoir que cet essai l'aidera dans son combat pour une Nouvelle Préhistoire.

REMERCIEMENTS

L'auteur doit à Jürgen SPANÜTH l'idée d'uti- liser l'archéologie comme outil de recherche de l'Atlantide, à Robert GRAVES celle de l'identifier au Dogger Bank, à ses amis Pierre CHAVARO- CHETTE, Jean LASSALE, Thibault DAMOUR et à sa fille NATHALIE l'apport d'encourage- ments et de documents qui l'ont conduit jusqu'au point de non-retour.

AVANT-PROPOS

Tout livre est le résultat d'une grande ambition. Le but de celui- ci est véritablement démesuré. Il se propose en effet de réécrire entièrement une Préhistoire bouleversée par les datations qu'impose désormais le radiocarbone, et, imprudence plus grave encore, de montrer que cet ajustement chronologique conduit à identifier la civilisation mégalithique d'Occident à la mystérieuse Atlantide de Platon, dont l'île Royale gît maintenant sous la mer du Nord.

1. La Préhistoire classique

L'archéologie est une science récente. C'est Bonaparte qui, emme- nant des Académiciens en Égypte, ouvrit l'Orient à la recherche. Le soin de plus en plus méticuleux apporté aux fouilles a fourni une base solide à l'Histoire des pays du « Croissant Fertile » que dessinent la vallée du Nil, l'Asie Mineure et la Mésopotamie. Depuis 3000 av. J.-C. d'innombrables textes écrits ont permis d'établir une chronologie assurée à quelques années près.

Avant 3000, et pour les pays « sans écriture », dits « barbares », il restait possible, sur chaque site, d'établir une séquence des cultures successives. On retrouva partout les mêmes étapes : Paléolithique, Mésolithique, Néolithique (début de l'agriculture et de la céramique), Chalcolithique ou Age du Cuivre, Ages du Bronze Ancien, Moyen et Récent. Mais comment mettre des dates sur ces « Ages »?

Émerveillés par les splendeurs qu'ils découvraient sous les sables

de l'Orient, les chercheurs ont adopté un postulat implicite : les progrès culturels s'étaient répandus peu à peu depuis le Proche-Orient vers les pays barbares. « Ex Oriente Lux! » était le leitmotiv, souvent répété encore aujourd'hui, et avec raison dans bien des cas.

C'est ainsi qu'on attribua à chaque étape culturelle des différents sites barbares une date de plus en plus récente au fur et à mesure qu'on s'éloignait. Le résultat fut que les rivages atlantiques n'avaient accédé que tardivement à la civilisation. En 1970 encore, cette chro- nologie « classique» plaçait vers 2100 av. J.-C. les premières cultures européennes

2. La révolution du radiocarbone

Cette conception se voit aujourd'hui bouleversée par une retombée inattendue de la science atomique : la datation par le radiocarbone des vestiges archéologiques.

Les êtres vivants forment le carbone de leurs tissus cellulaires en absorbant le gaz carbonique (C02) de l'atmosphère. Les atomistes remarquèrent que le carbone de ce gaz comporte une proportion extrêmement faible, mais très mesurable, de « radiocarbone », c'est-à- dire d'atomes de carbone contenant 14 neutrons au lieu de 12. C'est là l'effet du bombardement d'atomes d'azote par les rayons cosmiques dans la haute atmosphère. Ce « carbone 14 » est radioactif, c'est-à-dire qu'il perd ses neutrons supplémentaires, suivant une loi très précise, pour redevenir du carbone normal. La moitié du radiocarbone a disparu après cinq mille sept cent trente ans. Il n'en reste que le quart après onze mille quatre cents ans.

En 1949, W. Libby observa que, lorsqu'un être vivant meurt, il ne renouvelle plus son carbone par échange avec l'atmosphère. Son stock de radiocarbone commence à se désintégrer. Il suffit donc de mesurer sa radioactivité résiduelle pour lire, sur la courbe de désin- tégration, l'âge de la mort. Il devient ainsi possible d'attribuer à tout vestige végétal ou animal une « date radiocarbone » absolue, indépen- dante de tout document ou raisonnement.

Les historiens ne furent guère troublés par les premières mesures. Jusque 3000 av. J.-C., les dates classiques tombaient dans la marge d'incertitude des dates radiocarbone. Au-delà, il fallait vieillir l'en- semble des estimations. Mais la position relative des diverses cultures restait souvent acceptable.

En 1966 des chercheurs eurent l'idée de contrôler la méthode sur des échantillons de bois prélevés dans des troncs de séquoias ou de

1. J.-P. Millotte, 105D.

P i n u s A r i s t a t a , ces a r b r e s a m é r i c a i n s q u i v i v e n t d e u x m i l l e o u m ê m é

c i n q m i l l e a n s ! Ils c o n s t a t è r e n t q u ' i l f a l l a i t v ie i l l i r les â g e s r a d i o c a r b o n e

p o u r r e t r o u v e r les « â g e s c a l e n d a i r e s » t r è s s û r s o b t e n u s e n c o m p t a n t

les c e r n e s a n n u e l s d e s t r o n c s . C e s é c a r t s son t d u s a u f a i t q u e la t e n e u r

e n r a d i o c a r b o n e d u g a z c a r b o n i q u e d e l ' a t m o s p h è r e a v a r i é a u c o u r s d e s m i l l é n a i r e s .

Il c o n v i e n t d o n c d ' a j o u t e r a u x d a t e s r a d i o c a r b o n e b r u t e s m e s u r é e s

s u r la c o u r b e u n e c o r r e c t i o n p a r « d e n d r o c h r o n o l o g i e », o u « r e c a l i b r a -

t ion », p a r l a q u e l l e 1 0 0 0 av. J . - C . d e v i e n t 1200 , 2 0 0 0 d e v i e n t 2 6 0 0 , 3 0 0 0 d e v i e n t 3 6 5 0 , 4 0 0 0 d e v i e n t 4 8 0 0 2.

3. Une Nouvelle Préhistoire

C'est là une véritable révolution. Car, malgré l'imprécision des mesures ( ± 50 à + 200 ans), le radiocarbone recalibré reporte les premières cultures occidentales à des époques antérieures de deux cents, cinq cents, mille, parfois deux mille ans aux civilisations du Proche-Orient dont on les croyait médiocrement dérivées. C'est tout l'édifice de la Préhistoire qui s'écroule.

Dix années de recherche ont permis à l'auteur de présenter l'ébauche, qu'on pourra consulter en annexe, d'une nouvelle chronologie générale ajustée aux données récentes. Il a ainsi été conduit à proposer un nouvel enchaînement des civilisations successives. N'étant pas archéologue, il se sent dispensé de cette « obligation de réserve » qui s'impose à tout spécialiste et le fait hésiter à bousculer trop vite les idées reçues.

Que le lecteur ne s'attende pas aux sous-entendus ésotériques qui font le succès de trop de batteurs d'estrade. Une longue carrière d'ingénieur ne porte aucunement l'auteur à l'illusionnisme. Chaque ligne de son texte offre la référence précise de spécialistes réputés.

Un exposé purement technique serait d'un abord bien sévère. Il serait, de plus, incomplet. Car deux siècles d'archéologie ne peuvent exclure deux millénaires d'exploration de la Préhistoire à l'aide des seuls instruments alors disponibles : les textes anciens. Comment ne pas prendre en considération les historiens, ou ignorer les merveilleuses évocations des mythes et légendes de l'Antiquité. C'est ainsi que la poésie elle-même s'introduira dans un sujet qui n'a aucune raison d'être austère.

C'est dans une véritable exploration du passé de l'humanité que l'auteur entraînera le lecteur à sa suite. Ensemble, ils iront de décou-

2. C. Renfrew, 128D, p. 301 ; J. Labeyrie, 85P, p. 266.

v e r t e en d é c o u v e r t e , g u i d é s à la fois p a r les p lu s g r a n d s s a v a n t s d e

n o t r e é p o q u e e t p a r les m e i l l e u r s e s p r i t s d e l ' A n t i q u i t é .

4. L'Atlantide de Platon

Est-ce prendre un risque excessif que de choisir comme premier de cordée dans cette expédition le plus grand penseur de l'Antiquité, Platon lui-même?

Oui, certes! Car le seul texte de Platon qui concerne notre sujet, le passé lointain de l'humanité, est aussi le plus controversé : c'est le récit de l'Atlantide. Comment prendre au sérieux cette description incontrôlable d'un continent perdu, aussi décevant pour ses innom- brables chercheurs que le monstre du Loch Ness?

Rappelons brièvement l'essentiel de ce « mythe de l'Atlantide ». Voici deux mille trois cents ans que le philosophe grec, en

l'évoquant rapidement dans son Dialogue Socratique, le Timée, puis en lui consacrant entièrement le Critias, a proposé aux rêves de l'humanité un fabuleux récit qu'il affirme tenir, par l'intermédiaire de Solon, des prêtres égyptiens.

Autrefois, il y a bien longtemps, neuf mille ans peut-être, disaient ceux-ci, existait, au-delà de Gibraltar, une île immense, l'Atlantide, que la sagesse de ses rois avait, grâce à de gigantesques travaux, portée à un merveilleux état de prospérité. Cette île avait constitué, sur d'autres îles et sur le continent voisin, jusqu'à la Gadirie (Cadix), près de Gibraltar, un immense Empire. Elle avait même conquis, en Méditerranée occidentale, les pays de la mer Tyrrhénienne et de l'Afrique du Nord.

Mais, perdant peu à peu, au cours des siècles, leur sagesse et le respect des lois, les rois d'Atlantide étaient devenus avides et cruels. Un jour ils avaient décidé d'attaquer d'un coup, avec toutes leurs forces, les pays d'Orient. Seule Athènes avait résisté, sauvé ainsi l'Égypte elle-même et rendu la liberté aux peuples. En punition des dieux, « dans l'espace d'un seul jour et d'une nuit terribles, l'île d'Atlantide s'abîma sous la mer, ne laissant que des fonds vaseux infranchissables ».

Le récit occupe 6 pages du Timée et 18 pages du Critias. Encore 5 pages concernent-elles le passé de la ville d'Athènes que nous n'aborderons pas dans ce livre. Quel étonnement de constater à quel point nombre de prospecteurs d'Atlantide avancent des hypothèses parfaitement incompatibles avec ce texte si court!

Il est vrai que, jusqu'au XIXe siècle, le seul outil dont on disposât était l'imagination. Aristote, ce logicien, en était parfaitement dépourvu, et fut le premier à qualifier d'invention pure et simple le récit de son

M a î t r e 3. L e s A n c i e n s h é s i t e r o n t e n t r e a l l é g o r i e e t v é r i t é i n c o n t r ô l a b l e 4.

Aristote ayant tranché, le Moyen Age se désintéressa du sujet. C'est à l'époque de l'exploration des mers, et surtout de la découverte de l'Amérique, que l'imagination s'échauffa : Bacon (1628) situe l'Atlan- tide en Amérique, Rudbeck (1675) en Suède, Kirschmayer (1685) en Afrique du Nord, Bailly (1779) au Spitzberg, de Sales en Sardaigne, Bar (1761) en Palestine, Bartoli en Attique, Stallbaum (1838) en Amérique, Cadet et Termier aux Açores, Frobenius au Nigeria, Bor- c h a r t e n T u n i s i e , W e r t h e n I s l a n d e 5.

A j o u t o n s l e T i b e s t i d e P i e r r e B e n o i t , l e L a c T r i t o n i s d e s C h o t t s

t u n i s i e n s , T a n g e r d u g é a n t A n t é e , C a d i x d e G a d i r i e , l e s C a n a r i e s d e s

G u a n c h e s a u x y e u x b l e u s , e n f i n l a m e r v e i l l e u s e T h i r a - S a n t o r i n , c e

v o l c a n e x p l o s é d e s î l e s g r e c q u e s , q u i e n t h o u s i a s m e a c t u e l l e m e n t d e

n o m b r e u x s c i e n t i f i q u e s 6.

Recherche parfaitement vaine, en effet! A laquelle l'archéologie apporta bientôt le coup fatal. Elle ne découvrait, aux confins de l'océan Atlantique, aucune trace de cette grande puissance millénaire dont parlait Platon. La civilisation du Proche-Orient n'avait atteint l'occi- dent que très tardivement, vers 1600 ou 2000 av. J.-C., pensait-on. Encore le mode de vie y était-il resté très primitif, ainsi que l'avaient constaté les Romains au début de notre ère.

Sujet scientifiquement clos, était-il donc admis... Bien à regret! Rares sont, en effet, les traités de Préhistoire qui ne font pas quelque allusion au mystérieux continent!

5. Le radiocarbone ouvre des portes à l'Atlantide

Le radiocarbone change tout. Ces énigmatiques mégalithes d'oc- cident, qu'on pensait mauvaises copies tardives de la tombe à coupole (la tholos) ou des fortifications de la Grèce mycénienne, voici qu'il faut incontestablement en dater les premiers de 4500 av. J.-C., c'est- à-dire de trois mille ans avant leurs « modèles » grecs, et deux mille ans avant les pyramides d'Égypte! Leur construction est certes beau- coup moins élaborée... bien que des reconstitutions, comme à New- grange, en Irlande, donnent des résultats magnifiques. Que dire de la splendeur du temple de Stonehenge, en Angleterre?

Voici les millénaires! Voici aussi d'immenses espaces. Toute la façade atlantique de l'Europe, du Danemark au sud de l'Espagne, est encore couverte de milliers de mégalithes. C'est désormais l'archéologie

3. Strabon, 15,598 4. A. Rivaud, 119A, p. 28. 5. Ibid., p. 29; I. Lissner, 95H, p. 135. 6. Paccale et Cousteau, 113P, p. 153.

e l l e - m ê m e q u i o u v r e à l ' A t l a n t i d e u n e p l a c e a u x d i m e n s i o n s d e la

d e s c r i p t i o n d e P l a t o n . C o m m e n t ne p a s p r e n d r e e n c o m p t e c e r é c i t

qu i , si l ' i d e n t i f i c a t i o n à la c i v i l i s a t i o n d e s m é g a l i t h e s se r é v è l e a c c e p -

t a b l e , se t r a n s f o r m e , d e m y t h e q u ' i l é t a i t , e n u n d o c u m e n t h i s t o r i q u e d e p r e m i è r e i m p o r t a n c e .

C ' e s t a v e c p r u d e n c e , m a i s a u s s i g r a n d e s p o i r , q u e l ' on c h e r c h e r a

d ' a b o r d à s a v o i r si ce t e x t e , si c l a i r , si p r éc i s , t r o u v e c o n f i r m a t i o n d a n s

les f a i t s h i s t o r i q u e s , e t q u e l ' on f e r a e n s u i t e a p p e l à lui p o u r o r i e n t e r

le c h o i x l o r s q u e les d o n n é e s a r c h é o l o g i q u e s l a i s s e r o n t d e v a n t d e s

o p t i o n s d i v e r g e n t e s .

L a r é c o m p e n s e s e r a g r a n d e , t a n t les d é t a i l s d u r é c i t d e P l a t o n e t

les i n n o m b r a b l e s d o n n é e s a r c h é o l o g i q u e s s ' é p a u l e n t m u t u e l l e m e n t p o u r é c l a i r e r d ' u n e l u m i è r e n o u v e l l e la P r é h i s t o i r e d e d e m a i n .

6. P l a n g é n é r a l d e l ' o u v r a g e

O n a cho i s i d e c o m m e n c e r p a r la fin.

U n e p r e m i è r e p a r t i e é t u d i e r a a v e c d e s y e u x n o u v e a u x la m e r -

v e i l l e u s e « é p o q u e h é r o ï q u e » d e s P h a r a o n s R a m s è s , d e s H i t t i t e s , d e la C r è t e m i n o e n n e e t d e s G r e c s d e la G u e r r e d e T r o i e . C ' e s t le

m o m e n t , ve r s 1 2 0 0 av. J . - C . , o ù d e s « P e u p l e s d e la M e r » d ' o r i g i n e

i n c o n n u e r a v a g e n t t o u t le P r o c h e - O r i e n t . O n d é c o u v r i r a l ' e x t r a o r d i -

n a i r e a j u s t e m e n t d e ces é v é n e m e n t s à l ' o f f ens ive f ina le d e l ' E m p i r e

d ' A t l a n t i d e q u i t e r m i n e , e t c o n f i r m e a ins i , le r é c i t d e P l a t o n .

U n e d e u x i è m e p a r t i e r e p r e n d r a la P r é h i s t o i r e à l ' a p p a r i t i o n d e l ' H o m m e m o d e r n e . L e r a d i o c a r b o n e m o n t r e r a l ' a n t é r i o r i t é d e s c u l t u r e s

b a l k a n i q u e s e t la f a ç o n d o n t , c h a s s é e s p a r d e s i n v a s i o n s n o r d i q u e s ,

e l les o n t p u ê t r e à l ' o r i g i n e d e s c i v i l i s a t i o n s m é s o p o t a m i e n n e s . O n

c h e r c h e r a a u s s i à f a i r e p a r l e r les m y s t é r i e u x m é g a l i t h e s d ' o c c i d e n t .

L a t r o i s i è m e p a r t i e m o n t r e r a q u e l ' A t l a n t i d e d e P l a t o n ne p e u t

ê t r e a u t r e q u e l ' E m p i r e m é g a l i t h i q u e , d o n t o n s u i v r a l ' e x p a n s i o n e n

M é d i t e r r a n é e p a r l ' E s p a g n e j u s q u ' à M a l t e , a u x C y c l a d e s e t m ê m e à

l ' É g y p t e p r é p h a r a o n i q u e .

L a q u a t r i è m e p a r t i e o f f r i r a le d é l a s s e m e n t d ' u n e r e c h e r c h e d e

l ' î le R o y a l e d ' A t l a n t i d e , e t p r o p o s e r a , s o u s la m e r d u N o r d , u n e

s u p e r b e s o l u t i o n à la f a m e u s e n o y a d e q u e d é c r i t P l a t o n « e n u n e s e u l e n u i t t e r r i b l e ».

L a c i n q u i è m e p a r t i e , enf in , s ' e f f o r c e r a d e d é g a g e r les o r i e n t a t i o n s

n o u v e l l e s q u ' a p p o r t e le r a d i o c a r b o n e d a n s l ' e n c h a î n e m e n t d e s i n n o m -

b r a b l e s c u l t u r e s d e l ' A g e d u B r o n z e . B i e n d e s r e m a n i e m e n t s s ' i m p o s e n t

a u x idées g é n é r a l e m e n t a d m i s e s . E t l ' on b o u c l e r a a ins i la b o u c l e s u r

l ' a t t a q u e d e s P e u p l e s d e la M e r .

7. C o n v e n t i o n s p r o p o s é e s a u l e c t e u r

Les dates - Toutes les dates sont av. J.-C. sans répétition de cette mention. - Les dates radiocarbone seront suivies d'un astérique (ex. : 2440*).

Elles seront toujours « recalibrées », au besoin par les soins de l'auteur. On n'oubliera pas leur marge d'incertitude : + 50 à + 150 ans.

- Les dates sans astérisque sont la meilleure estimation qu'ait pu trouver l'auteur.

Les références Chaque élément d'information est assorti, directement en bas de

page, de la référence précise où le lecteur peut être assuré d'en trouver confirmation. La liste des documents est donnée en Annexe.

Le numéro d'ordre de chaque document est suivi d'une lettre renseignant sur son niveau scientifique :

A concerne un texte Ancien T concerne un Travail de Recherche de Spécialiste D concerne un Document pour lecteur averti P concerne un texte de Spécialiste destiné au grand Public H concerne une présentation d'Hypothèses moins assurées

Le personnage de Thomas Se risquant à proposer une Préhistoire de demain, l'auteur a dû

souvent recourir à l'imagination. C'est justement le bouleversement des idées reçues qui justifie son intervention. Pour rendre parfaitement clair au lecteur le départ entre les faits assurés et ses propres inter- prétations, qui n'engagent que lui seul, il a choisi de se faire représenter par le personnage imaginaire de Thomas. Il espère éviter ainsi la prétention du « je » et la lourdeur du « nous ».

Le lecteur pardonnera à Thomas ses enthousiasmes, ou la vivacité de ses propos. Thomas n'est-il pas l'apôtre qui tentait à la fois de ne croire que ce qui est prouvé et de garder la foi! Puisse-t-il éviter à ce livre de trop graves erreurs.

Au moment d'aborder d'aussi vastes domaines inconnus, on lui pardonnera d'implorer la protection des Muses.

INVOCATION

Ô Muses du Parnasse, accueillez la requête Qu'en humble suppliant, rongé de mille peurs, Je dépose à vos pieds, craignant qu'au lieu de fleurs Un flot d'imprécations ne fondé sur ma tête.

Astronome ne suis, historien ni poète! Et pourtant je m'en vais, au milieu des Docteurs, Rhétoriser de tout, empêtré des ardeurs Du néophyte impénitent que rien n'arrête.

Filles de Mnémosyne, aidez-moi! Il me faut Votre appui pour guider ma démarche timide Et franchir dans la Science un parcours sans défaut.

Puissiez-vous désarmer la critique perfide, Et vous, dieux de l'Olympe, arbitrant tout de haut, M'ouvrir en souriant les portes d'Atlantide!

PREMIÈRE PARTIE

L'ATTAQUE DES PEUPLES DE LA MER

Chapitre I

L 'ORIENT EN FEU

1. La fin grandiose de la Préhistoire

En 1250 av. J.-C. les grandes civilisations du Proche-Orient étaient marquées d'un caractère d'éternité. L'Égypte et la Mésopotamie connaissaient depuis deux mille ans les plus subtils raffinements. L'Empire hittite, sept siècles après sa fondation, dominait l'Asie Mineure. Depuis 1286, où la grande bataille indécise de Kadesh, en Syrie, avait amené Hittites et Égyptiens à se supporter, la paix suscitait une prospérité sans précédent.

En Grèce, les Achéens de Pélops vivaient la célèbre « époque héroïque » dont Homère laissera un souvenir impérissable.

Et voici que tout s'effondre! En une cinquantaine d'années, de 1230 à 1180, on voit disparaître

entièrement la Grèce mycénienne et l'Empire hittite. Les cités floris- santes de Syrie et du Liban, telles Ougarit et Byblos, sont livrées aux flammes. Le Nouvel Empire égyptien lui-même est attaqué de toutes parts. Il n'échappe qu'à grand-peine au désastre et va sombrer dans l'apathie d'une époque sombre, pudiquement appelée « troisième Période intermédiaire ». C'est donc une véritable catastrophe qui s'est abattue sur le Proche-Orient.

Quels étaient les responsables de cet effondrement? Un ramassis de tribus inconnues, surgies de partout et de nulle part, que les Égyptiens désigneront du terme collectif de « Peuples de la Mer ».

Quel ne fut pas l'étonnement de Thomas 1 de constater que, pas plus que les Égyptiens de l'époque, les historiens d'aujourd'hui ne sont assurés de l'identité et de l'origine de ces peuples! Il décida d'enquêter

1. Rappelons que, par convention (voir Avant-Propos 6), le personnage fictif de Thomas est chargé de présenter les conclusions et hypothèses personnelles de l'auteur. Elles n'engagent que lui.

s u r c e s é v é n e m e n t s , q u i m a r q u e n t la fin d e la P r é h i s t o i r e . 1 2 0 0 es t le

m o m e n t o ù l ' O c c i d e n t v a c o m m e n c e r à p e r d r e son m y s t è r e . B i en d ' a u t r e s i n v a s i o n s se p r o d u i r o n t , m a i s on s a u r a d ' o ù e l les v e n a i e n t . Il

d e v a i t ê t r e p o s s i b l e d e d é c o u v r i r , e n c e p o i n t d ' a r r i v é e , d e s b a s e s s û r e s

p o u r se l a n c e r d a n s l ' e x p l o r a t i o n d u p l u s l o i n t a i n pas sé .

2. L a g r a n d e b a t a i l l e d u P h a r a o n M e r n e p t a h

E n 1 2 2 4 ( l ' i n c e r t i t u d e d e s d a t e s « h i s t o r i q u e s » va d e 1213 à 1229 .

O n a a d o p t é l a « c h r o n o l o g i e m o y e n n e » a v e c , p a r e x e m p l e , N . S a n d a r s 2,

W. Helck 3 ou StrobeI4), Merneptah succède à son père, le glorieux Ramsès II. L'Égypte est alors au sommet de sa puissance.

Et soudain, la foudre tombe. Une inscription de quatre-vingts lignes du temple de Karnak raconte : « Mériaÿ, prince des Libou, fils du Did, descend du pays des Tehenou (la Libye actuelle) avec ses archers... des Shardan, des Shekelesh, des Ekwesh, des Loukou, des Teresh, ayant entraîné l'élite des combattants et des guerriers de son pays. Ils avaient atteint la limite occidentale de l'Égypte dans la région de Périré. »

« Déjà les neuf Arcs (les pays lointains inconnus) ont dévasté les frontières, et les rebelles chaque jour les traversent. Ils ont pénétré à plusieurs reprises jusqu'au grand fleuve (le Nil). Ils ont atteint la colline de l'Oasis coupant le District de Farabra (au sud-ouest du Fayoum) 5. »

Le roi Libou arrivait avec sa famille, son trésor, son bétail. Il ne s'agissait pas d'un raid, mais d'une invasion avec intention de s'ins- taller 6. « Les Ekwesh, Teresh, Shardan, Shekelesh étaient des fuyards qui parcouraient tous les pays... L'ennemi libyen les avait enrôlés 7. » « Ils habitaient les pays étrangers de la mer 8. »

Merneptah rassembla ses troupes. Mais il tremblait de livrer bataille. Memphis et Héliopolis avaient été occupés 9. Il fallut que le dieu Amon lui-même l'assurât en rêve de la victoire. Elle eut lieu en 1221 près de Périré (Létopolis) à 15 km des Pyramides sacrées de Gizeh!

Après six heures de combats acharnés sous l'écrasant soleil de juin, la déroute des assaillants fut complète. Les inscriptions permettent

2. N. Sandars, 135D, p. 203. 3. W. Helck, 66T, p. 147. 4. Strôbel, 145P. 5. C. Lalouette, 89P, p. 270-271. 6. N. Sandars, 135D, p. 105. 7. W. Helck, 66T, p. 133. 8. W. Helck, 65T, 225. 9. Historama, 70P, p. 134.

d ' é v a l u e r l eu r s p e r t e s à 9 0 0 0 m o r t s e t a u t a n t d e p r i s o n n i e r s . L e b u t i n

c o m p t a i t 12 f e m m e s , 12 a t t e l a g e s d e c h e v a u x , 1 3 0 7 b œ u f s , 12 0 0 0

a r c s e t 9 0 0 0 « l o n g u e s é p é e s d e M e s h o u e s h 10 », vo i s ins d e s L i b o u s II.

O n c o m p r e n d q u e M e r n e p t a h a i t f a i t g lo r i f i e r c e t t e a c t i o n d ' é c l a t

p a r de g r a n d i o s e s i n s c r i p t i o n s . M a l g r é l ' e m p h a s e h a b i t u e l l e à ce g e n r e d e l i t t é r a t u r e , la p é n é t r a t i o n d e l ' e n n e m i a u c œ u r d u D e l t a e t le

n o m b r e d e m o r t s e t d e p r i s o n n i e r s ne p e r m e t t e n t p a s d e d o u t e r d e

l ' a m p l e u r d e l ' a t t a q u e . L ' E g y p t e a be l e t b i e n fai l l i ê t r e s u b m e r g é e .

3. U n e p é r i o d e o b s c u r e - L a d a t e d e l ' E x o d e

L a m e i l l e u r e p r e u v e en es t q u ' e l l e s o r t é p u i s é e d e c e t t e é p r e u v e .

M e r n e p t a h s e m b l e a v o i r d û a u s s i r e m e t t r e d e l ' o r d r e à l ' O r i e n t . L a

g r a n d e i n s c r i p t i o n d e K a r n a k c o m m e n c e e n e f f e t p a r d e s a l l u s i o n s à

d e s c o m b a t s « c o n t r e d e s g e n s q u i a v a i e n t p l a n t é l e u r s t e n t e s p r è s d e

Bubastis et atteint le canal d'Iti 12 ». Or Bubastis est plus encore à l'intérieur du territoire égyptien que Pi-Ramsès, la magnifique capitale construite par Ramsès II dans l'est du Delta.

La paix devient anarchie. Amemnès succède à Merneptah en 1214, mais ne fait que passer, remplacé par Siptah 1, puis, en 1210 par Seti II. En 1205 un Siptah II est surtout connu par sa femme, Tausret, qui règne seule un moment.

Tout change en 1197. Sethnackht prend le pouvoir, crée la XXe Dynastie. Il rétablit l'ordre et l'autorité. Deux ans après, en 1195, Ramsès III prend la couronne. Son ambition est de rendre à l'Égypte la splendeur de Ramsès II.

N'est-ce pas dans cette période trouble, pensait Thomas, qu'il faut placer l'Exode, la fameuse sortie d'Égypte du peuple juif? Il lui paraissait peu vraisemblable que, ainsi qu'il est souvent proposé, des Pharaons aussi puissants que Thoutmosis III, vers 1450, ou Ramsès II, vers 1280, aient laissé s'enfuir un peuple d'esclaves. La faiblesse des successeurs de Merneptah correspond bien mieux au caractère du Pharaon de la Bible. La « Stèle d'Israël » rend compte d'un soulèvement manqué dans l'est du Delta. Un peuple Iasirela, où l'on s'accorde à voir la première mention d'Israël, figure parmi les victimes de la répression 13.

Un célèbre document, le Papyrus Harris, avant de chanter la gloire de Ramsès III, décrit l'anarchie qui régnait en Egypte avant l ' a v è n e m e n t , e n 1 1 9 7 , d e s o n p è r e S e t h n a c k h t 14 :

10. W. Helck, 65T, p. 225. 11. N. Sandars, 135D, p. 105. 12. Helck, 65T, p. 224. 13. W. Helck, 65T, p. 224. 14. Papyrus Harris, 1, 75,4.

« Il n ' y a v a i t p lu s d ' a u t o r i t é s u p r ê m e . C h a c u n t u a i t son vois in .

D e s t e m p s s u r v i n r e n t p e n d a n t l e s q u e l s Y a r s o u , u n S y r i e n , f u t c h e f

p a r m i les h o m m e s d ' E g y p t e . Il fit q u e t o u t le p a y s lui a p p o r t a d e s

p r é s e n t s . Il a s s e m b l a ses h o m m e s - l i g e s e t p i l l a les b i ens . Ils f i ren t d e s

d i e u x d e s i m p l e s h o m m e s e t l ' o n ne p r é s e n t a p lu s d ' o f f r a n d e s d a n s les

t e m p l e s e t les vi l les . »

L a « S t è l e d ' É l é p h a n t i n e » p o u r s u i t : « C e l u i q u i a v a i t p r i s l ' É g y p t e

d e v a i t sa p u i s s a n c e à u n e p r o t e c t i o n m a g i q u e . S e t h n a c k h t s a i s i t d e

c r a i n t e l e u r c œ u r e t ils s ' e n f u i r e n t p lu s v i t e q u e d e s p e t i t s o i s e a u x ,

t a n d i s q u e le p r e s t i g e d u f a u c o n les p o u r s u i v a i t . Ils l a i s s è r e n t là l ' o r

e t l ' a r g e n t a p p a r t e n a n t à l ' É g y p t e e t q u e l e u r a v a i e n t d o n n é s c e s

Asiatiques. L'an 2, le 2e mois de la saison sèche, le 10e jour, il ne demeurait plus de rebelles à Sa Majesté Il. »

Le rôle de Yarsou laisse les commentateurs perplexes. Il ne peut s'agir d'un complot égyptien, ni d'envahisseurs, dont le nom aurait, à c o u p s û r , é t é m e n t i o n n é 16.

T h o m a s r e t r o u v a i t p o i n t p a r p o i n t l a d e s c r i p t i o n d e l a B i b l e .

Y a r s o u , c e m a g i c i e n q u i r e n v e r s e l e s d i e u x e t r a n ç o n n e l e s É g y p t i e n s ,

s e r a i t - i l M o ï s e ? V o i c i a u s s i l a f u i t e d ' u n e m u l t i t u d e q u ' o n p o u r s u i t

s a n s l ' a n é a n t i r . L e s É g y p t i e n s f o u r n i r a i e n t - i l s l a d a t e e x a c t e d e l ' E x o d e :

l e 2 9 a v r i l 1 1 9 5 d e n o t r e c a l e n d r i e r ! E t c e S e t h n a c k h t , q u i d i s p a r a î t

s a n s m o t i f a p r è s d e u x a n s d e r è g n e , a u r a i t - i l p é r i n o y é d a n s l a m e r

R o u g e ?

T h o m a s é t a i t f i e r d e s a t r o u v a i l l e . M a i s i l s e t r o m p a i t s a n s d o u t e ,

c a r t o u s c e s t e x t e s s o n t b i e n c o n n u s . I l v a l a i t m i e u x p o u r l u i e n r e v e n i r

à s e s P e u p l e s d e l a M e r .

4 . L ' É g y p t e e n p é r i l m o r t e l

L e n o u v e a u P h a r a o n , R a m s è s I I I , t r o u v a d o n c s a f r o n t i è r e o r i e n -

t a l e d é b a r r a s s é e d e c e t t e f o u l e o r g a n i s é e q u i « r i s q u a i t d e s e j o i n d r e

à s e s e n n e m i s » . I l é t a i t t e m p s ! T o u t l ' O r i e n t é t a i t e n f e u .

E n 1 1 9 0 , u n e n o u v e l l e i n v a s i o n d é b o u c h a d u d é s e r t d e L i b y e e t

m e n a ç a M e m p h i s 17 : « O n v i n t d i r e à P h a r a o n : " l e s T e h e n o u ( g e n s

d u d é s e r t ) a r r i v e n t . I l s o n t c o n s p i r é e t f o r m e n t u n t o u t u n i q u e e t s a n s

l i m i t e s , c o m p r e n a n t l e s L i b o u , l e s S e p e d , l e s M e s h o u e s h . " A l o r s S a

M a j e s t é s ' a v a n ç a . . . p o u r d é t r u i r e l e s T i m i h o u q u i a v a i e n t v i o l é s a

f r o n t i è r e . » L a v i c t o i r e f u t é c r a s a n t e : o n f i t c i n q t a s d e 1 2 5 0 0 m a i n s

o u p h a l l u s r é g l e m e n t a i r e s p r é l e v é s p o u r l e c o m p t a g e d e s m o r t s I l .

15. C. Lalouette, 89P, p. 297. 16. W. Helck, 65T, p. 233. 17. N. Sandars, 135D, p. 117. 18. C. Lalouette, 89P, p. 303-304.

M a i s u n a s s a u t p lu s f o r m i d a b l e e n c o r e se p r é p a r a i t a u no rd . E n

1187 , t ro i s a n s p l u s t a r d , t a n d i s q u ' u n e c o l o n n e d e s c e n d a i t d e S y r i e

p a r la P a l e s t i n e , e n c a d r a n t u n e m u l t i t u d e d e c h a r i o t s t r a n s p o r t a n t f e m m e s e t e n f a n t s , u n e p u i s s a n t e f lo t t e d e c o m b a t r a v a g e a i t les c ô t e s

et , a v e c u n e a u d a c e inou ïe , p é n é t r a d a n s les b r a s d u N i l , d é b o u c h a n t

s u r les a r r i è r e s é g y p t i e n s .

N" 1. Bataille navale. Temple de Medinet Habou

Ramsès III était prévenu : « J'organisai ma frontière. Je fis pré- parer les rives du Nil comme un mur solide, avec des navires de guerre, de transport et de commerce bourrés d'équipages. Les troupes

rameutaient tous les hommes d'Égypte... Les chars étaient montés par tout homme capable d'y combattre 19. »

Sur terre la bataille eut sans doute lieu à la frontière même de l'Égypte. Un bas-relief montre les Égyptiens bousculant un amas terrifié d'ennemis empêtrés dans les attelages de bœufs traînant femmes et enfants. Il s'agit manifestement, non pas d'une armée organisée, ni de bandes nomades, mais d'une population de paysans à la recherche de nouvelles terres 20.

« Quant à ceux qui arrivaient par la mer, le feu les accueillit aux embouchures du fleuve, tandis qu'un mur de lances les entourait au r i v a g e . I l s f u r e n t t i r é s a u g r a p p i n , r e n v e r s é s 21. » U n e s p l e n d i d e g r a v u r e

d e M e d i n e t H a b o u m o n t r e c i n q n a v i r e s a s s a i l l a n t s a t t a q u é s p a r q u a t r e

n a v i r e s é g y p t i e n s . L e s c o m b a t t a n t s d e s d e u x c a m p s , l e u r s n a v i r e s ,

l e u r s a r m e s s o n t d e s s i n é s a v e c m i n u t i e . L e s f l è c h e s v o l t i g e n t , é p é e s e t

p o i g n a r d s s ' a b a t t e n t . O n v o i t u n É g y p t i e n l a n c e r u n g r a p p i n d a n s l a

m â t u r e d ' u n n a v i r e e n n e m i . U n a u t r e a é t é a i n s i r e n v e r s é . S a v o i l e a

é t é d é c h i r é e p a r l a t r a c t i o n 22. A u b a s d u d e s s i n d é f i l e l a c o h o r t e d e s

p r i s o n n i e r s . C h a q u e p e u p l e e s t r e p r é s e n t é a v e c s e s a r m e s , s o n h a b i l -

l e m e n t . L ' i n s c r i p t i o n c i t e l e s P e l e s e t , l e s T j e k k e r , l e s S h e k e l e s h , l e s

D e n y e n , l e s O u e s h e s h 23. D e s S h a r d a n e t d e s T e r e s h a u r a i e n t a u s s i

p a r t i c i p é a u c o m b a t n a v a l 2 4 .

Ramsès III exulte : « J'ai abattu les Denyen dans leurs îles. Les Tjekker et les Peleset ont été réduits en cendres. Les Shardan et les O u e s h e s h o n t é t é a n é a n t i s 25. »

Mais l'affaire n'était pas terminée. Ramsès III, après une incursion d ' e f f e t i n c e r t a i n e n P a l e s t i n e 26, d o i t , e n 1 1 8 4 , f a i r e f a c e à u n e n o u v e l l e

a t t a q u e p a r l ' o u e s t . L e s L i b o u , M e s h o u e s h , T i m i h o u , T é h é n o u e t S e p e d

d i s a i e n t d ' u n e s e u l e v o i x : « N o u s a l l o n s h a b i t e r e n É g y p t e . » V a i n c u s ,

l e s M e s h o u e s h e t T i m i h o u s o n t a m e r s : « C e s o n t l e s L i b o u q u i o n t

c a u s é n o t r e m a l h e u r , d e m ê m e q u e l e l e u r , c a r n o u s a v o n s é c o u t é

l e u r s c o n s e i l s 27. »

L'Égypte triompha dans ses papyrus et sur les murs des temples. Mais la réalité est que tous sortirent épuisés de l'affaire. La mort de Ramsès III sera suivie d'une période obscure de quatre cents ans. Les peuples envahisseurs s'installent ici et là. Les Peleset donneront leur nom à la Palestine. Les Juifs les appelleront Philistins. Les Shardan

19. N. Sandars, 135D, p. 119; W. Helck, 66T, p. 141. 20. N. Sandars, 135D, p. 121, H. van Effenterre, 40P, p. 170; W. Helck, 65T,

p. 228. 21. N. Sandars, 135D, p. 120. 22. Id., p. 126; J. Spanüth, 143H, p. 227. 23. W. Helck, 66T, p. 136. 24. W. Helck, 65T, p. 228. 25. H. van Effenterre, 40P, p. 170; N. Sandars, 135D, p. 133. 26. W. Helck, 65T, p. 229; Kitchen, 81T, p. 101. 27. C. Lalouette, 89P, p. 314.

d e v i e n d r o n t le c o r p s d ' é l i t e d e l ' a r m é e é g y p t i e n n e . D e s L i b o u e t

M e s h o u e s h s e r o n t i n s t a l l é s a u s u d d e l ' oas i s d u F a y o u m 28. S u p r ê m e

r e v a n c h e d e s v a i n c u s , c ' e s t u n e r é v o l t e d e s M e s h o u e s h q u i m e t t r a fin

à la X X I e D y n a s t i e en 9 4 6 e t o u v r i r a la vo ie a u x X X I I e e t

X X I I I e D y n a s t i e s d i t e s l i b y e n n e s . L ' É g y p t e s e r a d é s o r m a i s , p o u r d e s m i l l é n a i r e s , sous d o m i n a t i o n é t r a n g è r e .

5. U n e g i g a n t e s q u e o p é r a t i o n i n t e r c o n t i n e n t a l e a m p h i b i e

M ê m e en f a i s a n t la p a r t d u l y r i s m e p r o p r e a u x i n s c r i p t i o n s ,

l ' a m p l e u r d e ces o p é r a t i o n s , t o u s les a u t e u r s l ' a d m e t t e n t , f u t f o r m i -

d a b l e . L ' E g y p t e fa i l l i t ê t r e s u b m e r g é e . Q u ' i l y a i t e u c o n c e r t a t i o n ,

p l a n d ' e n s e m b l e , c o m m e n t n e p a s le p e n s e r , p u i s q u e les m ê m e s p e u p l e s , L i b o u , M e s h o u e s h , S h a r d a n , T e r e s h , S h e k e l e s h , se r e t r o u v e n t a u

c o m b a t sous R a m s è s I I I c o m m e s o u s M e r n e p t a h 29!

M a i s c ' e s t a u s s i ce q u i se p a s s a i t h o r s d ' É g y p t e q u i déf ie l ' i m a -

g i n a t i o n . U n e i n s c r i p t i o n d e M e d i n e t H a b o u p r o u v e q u e R a m s è s I I I

é t a i t t r è s i n f o r m é d e la s i t u a t i o n : « Q u a n t a u x p a y s é t r a n g e r s , ils f i r en t

u n e c o n j u r a t i o n d a n s l e u r s î les . T o u s à la fois , les p e u p l e s se m i r e n t

en m o u v e m e n t , e n g u e r r e d a n s t o u t e s les d i r e c t i o n s 30. » L e t e x t e

c o n t i n u e : « A u c u n p a y s ne p o u v a i t r é s i s t e r à l eu r s a r m e s . L e H a t t i ,

le K o d é , K a r k e m i s h , l ' A r z a w a e t A l a s h i y a f u r e n t t a i l l é s en p i èces . U n

c a m p f u t d r e s s é e n A m o u r r o u . L e s h a b i t a n t s f u r e n t é c r a s é s . Ils

a v a n ç a i e n t ve r s l ' É g y p t e . L e u r l i g u e c o m p r e n a i t P e l e s e t , T j e k k e r ,

S h e k e l e s h , D e n y e n , O u e s h e s h . I ls m e t t a i e n t la m a i n s u r les p a y s d e t o u t le t o u r d e la T e r r e , le c œ u r c o n f i a n t e t a s s u r é : N o s p l a n s réussiront 31. »

C e t e x t e m o n t r e q u e , e n 1 1 8 7 , les a s s a i l l a n t s a v a i e n t d é j à m i s

ho r s d e c o m b a t l ' E m p i r e h i t t i t e ( le H a t t i , a u c e n t r e d e l ' A s i e M i n e u r e ) e t ses vois ins d u s u d - o u e s t ( A r z a w a ) e t d u s u d ( K o d é o u K i z z u w a t n a ,

en C i l i c i e ) , a t t e i n t a u s u d - e s t la v i l le d e K a r k e m i s h s u r le H a u t -

E u p h r a t e , à la f r o n t i è r e d e l ' A s s y r i e , o c c u p é l ' î le d e C h y p r e ( A l a s h i y a )

e t la S y r i e , a u s u d d e l a q u e l l e ( A m o u r r o u ) ils a v a i e n t i n s t a l l é u n v a s t e

c a m p d e r e g r o u p e m e n t a v a n t d ' a t t a q u e r l ' É g y p t e .

C ' e s t b i e n t o u t le P r o c h e - O r i e n t q u i é t a i t en feu . L e s t e x t e s e t l ' a r c h é o l o g i e c o n f i r m e n t a b o n d a m m e n t c e t t e d e s c r i p t i o n .

28. Id., p. 361. 29. A. Strôbel, 145T, p. 266-267. 30. N. Sandars, 135D, p. 119. 3 1. Id.

Carte n" 1. Triple attaque des Peuples de la Mer sous Ramsès III

1190 par la Libye - 1187 par l'Asie Mineure et la Palestine - 1184 nouvelle attaque en Libye.

6. La fin de l'Empire hittite

L'Empire hittite, fondé en 1900 au centre de l'Asie Mineure (ou Anatolie) dans la région d'Ankara, était, au temps de Ramsès II, au

faîte de sa puissance et entretenait des relations régulières avec l'Égypte.

En 1220, Merneptah « fit charger de blé des navires pour maintenir le Hatti en vie 32 ». Il s'y passait donc de graves événements, car, ensuite, les textes égyptiens ne mentionnent plus ce pays comme une puissance organisée 33.

Que s'était-il passé? Un roi hittite écrit au roi d'Ougarit que l'ennemi se lève devant

lui, qu'il faut lui envoyer des vivres. Il faut mobiliser la flotte et l'armée. Il faut envoyer 150 navires. Il semble que le roi et la reine a i e n t d û q u i t t e r l e u r c a p i t a l e 34.

L a c i t a d e l l e f o r m i d a b l e d e H a t t o u s a , q u i d é f e n d a i t l a c a p i t a l e , à

l ' e s t d ' A n k a r a , a e n e f f e t é t é d é t r u i t e d e f o n d e n c o m b l e .

S u p p i l u l i u m a s I I , d e r n i e r r o i c o n n u , s e p l a i n t d e d é s e r t i o n s : « V o u s

n ' é t i e z p a s à m e s c ô t é s q u a n d l ' e n n e m i a t e n t é d e s ' e m p a r e r d ' u n e

p a r t i e d u p a y s 35. »

L a b a t a i l l e s e d é p l a ç a a u s u d .

L e r o i d e C h y p r e é c r i t a u r o i d ' O u g a r i t : « V o u s m ' é c r i v e z q u e

d e s n a v i r e s e n n e m i s o n t é t é v u s e n m e r . S i c ' e s t v r a i , t e n e z b o n ! O ù

s o n t d o n c v o s t r o u p e s , v o s c h a r s ! F o r t i f i e z v o s v i l l e s , e t a t t e n d e z

f e r m e m e n t l e s t r o u p e s à p i e d 36. »

L a r é p o n s e d u r o i d ' O u g a r i t e s t d é s e s p é r é e : « L e s n a v i r e s e n n e m i s

s o n t d é j à l à ! I l s o n t b r û l é m e s v i l l e s p a r l e f e u e t s e m é l e m a l h e u r

d a n s l e s c a m p a g n e s . M o n P è r e n e s a i t - i l p a s q u e m e s t r o u p e s e t m e s

c h a r s s o n t a u p a y s H a t t i ( a u n o r d ) , e t t o u s m e s b a t e a u x e n L y c i e ? ( à

l ' o u e s t d e C h y p r e ) I l s n e s o n t p a s r e v e n u s e t t o u t l e p a y s e s t a b a n d o n n é .

I l y a d é j à s e p t n a v i r e s q u i f o n t d e s r a v a g e s . D i s - m o i s ' i l y e n a

d ' a u t r e s 37. »

Ainsi Chypre et Ougarit sont directement attaquées par des forces maritimes, qui étaient sans doute apparues sur les côtes de Lycie, aux environs de Rhodes. Ougarit avait donc obéi au roi hittite, et lui avait envoyé soldats et marins.

Suppiluliumas II se défend comme un diable : « Je mobilisai rapidement, et attaquai par mer. Les navires de Chypre surgirent contre moi et livrèrent bataille, trois fois sur mer... Quand j'arrivai sur la terre ferme, l'ennemi vint au combat en multitude. » On pense que l'ennemi avait alors occupé Chypre et y avait établi des bases 38.

Mais le roi hittite disparaît sans laisser de traces. Alalakh, ville

32. W. Helck, 66T, p. 139. 33. Helck, 65T, p. 223. 34. W. Helck, 66T, p. 139. 35. N. Sandars, 135D, p. 13. 36. Id., p. 142. 37. H. van Effenterre, 40P, p. 166. 38. N. Sandars, 135D, p. 142.

s i t u é e a u d é b o u c h é d e l ' A s i e M i n e u r e s u r la S y r i e , t o m b e d a n s la

t o u r m e n t e g é n é r a l e , vers , o u j u s t e a p r è s 1 2 0 0 39. O u g a r i t , la p u i s s a n t e

c i t é , e s t d é f i n i t i v e m e n t d é t r u i t e . R a m s è s I I I n ' e n p a r l e p l u s 40.

C ' e s t a u s u d d ' O u g a r i t , e n A m o u r r o u , q u e les e n v a h i s s e u r s ras -

s e m b l è r e n t l e u r s fo rces . D e u x a t t a q u e s , e n effe t , se c o m b i n a i e n t . L ' u n e ,

p a r l ' i n t é r i e u r d e s t e r r e s , d e s c e n d a i t d u n o r d , d e H a t t o u s a à T a r s e p a r les g o r g e s d u T a u r u s ; l ' a u t r e , p a r la m e r , s u i v a i t la c ô t e s u d d e l ' A s i e

M i n e u r e 4 1 . L e s t r o u p e s s é j o u r n è r e n t s a n s d o u t e q u e l q u e s a n n é e s e n

S y r i e .

E n s u i t e , c o m m e l e d i t W . H e l c k : « L ' a r c h é o l o g i e m o n t r e b i e n

l ' a t t a q u e s o r t i e d ' A m o u r r o u , q u i p é n é t r a s û r e m e n t j u s q u ' à l a f r o n t i è r e

m ê m e d e l ' É g y p t e . L e s d e s t r u c t i o n s d ' O u g a r i t , Q a t n a , K a d e s h f u r e n t

s u i v i e s d e c e l l e s d ' H a z o r , M e g i d d o , J a f f a , G e z e r , A s d o t , D e i r A l l a ,

A s k a l o n , G a z a e n P a l e s t i n e , q u ' i l f a u t d o n c a t t r i b u e r a u x P e u p l e s d e

l a M e r 42. »

A i n s i l ' a t t a q u e d e l ' É g y p t e s o u s R a m s è s I I I a p p a r a î t - e l l e c o m m e

l a v a g u e u l t i m e d ' u n d é f e r l e m e n t q u i a v a i t d é j à r a v a g é l ' A s i e M i n e u r e

e t l a S y r i e .

7 . L e s H é b r e u x a u d é s e r t

C e t t e d e s c r i p t i o n e x p l i q u a i t à T h o m a s p o u r q u o i M o ï s e , c h a r g é d e

c o n d u i r e l e p e u p l e h é b r e u à l a T e r r e P r o m i s e d e C a n a a n , e u t l a

c u r i e u s e i d é e d e l u i i n f l i g e r d ' a b o r d q u a r a n t e p é n i b l e s a n n é e s d a n s l e

d é s e r t d u S i n a ï .

C ' e s t q u ' i l n ' é t a i t p a s q u e s t i o n , e n 1 1 9 5 o ù T h o m a s s i t u a i t l ' E x o d e ,

d ' a l l e r v i l l é g i a t u r e r e n P a l e s t i n e ! L e s P e u p l e s d e l a M e r , m a s s é s a u

n o r d , s e p r é p a r a i e n t à l ' a s s a u t . L a c ô t e é t a i t s i l l o n n é e d e s o l d a t s d e

d e u x c a m p s . M i e u x v a l a i t r e s t e r à l ' é c a r t . L e d é s e r t é t a i t d ' a i l l e u r s

b e a u c o u p m o i n s h o s t i l e q u ' a u j o u r d ' h u i .

Q u e d i t l a B i b l e ?

A p r è s a v o i r q u i t t é l e S i n a ï , o ù Y a h w e h l u i a v a i t d i c t é l a L o i ,

M o ï s e e n v o y a d e s h o m m e s e x p l o r e r l e p a y s d e C a n a a n . V o i c i l e r é c i t

q u ' i l s f i r e n t : « L e p a y s . . . e s t v r a i m e n t r u i s s e l a n t d e l a i t e t d e m i e l , e t

e n v o i c i l e s f r u i t s . ( U n e g r a p p e d e r a i s i n q u ' i l f a l l a i t d e u x h o m m e s

p o u r p o r t e r . ) M a i s l e p e u p l e q u i h a b i t e l e p a y s e s t f o r t , e t l e s v i l l e s

s o n t f o r t i f i é e s . . . T o u s l e s g e n s q u e n o u s a v o n s v u s s o n t d e s h o m m e s d e

h a u t e t a i l l e . E t n o u s y a v o n s v u d e s g é a n t s , f i l s d e A n a c q , d e l a r a c e

d e s g é a n t s : n o u s é t i o n s à l e u r s y e u x c o m m e d e s s a u t e r e l l e s 43. »

39. Kitchen, 81T, p. 100. 40. Kitchen, 82T, p. 59; 81T, p. 101. 41. N. Sandars, 135D, p. 141. 42. W. Helck, 66T, p. 141. 43. Nombres 13-17/32.

Comment mieux dire qu'au lieu des Asiatiques habituels, qu'ils ne craignaient guère, les Hébreux découvraient une race inconnue, de grande taille, armée jusqu'aux dents. Et l'on retourna prudemment au désert.

Ramsès III mourut en 1163, trente-deux ans après l'Exode. C'est seulement huit ans après, l'Égypte étant devenue impuissante, qu'on se risqua à pénétrer en Canaan. W. Helck note l'installation, sur les ruines laissées en Palestine par les Peuples de la Mer, de nomades qui p o u r r a i e n t ê t r e l e s I s r a é l i t e s 4 4 .

44. W. Helck, 66T, p. 142.

Chapitre II

DES PEUPLES VENUS D'OCCIDENT

1. D'où venaient les Peuples de la Mer?

Les spécialistes tombent d'accord sur le déroulement et l'ampleur de ces événements du Proche-Orient. Mais l'origine des assaillants continue de faire l'objet de controverses passionnées.

D'où venaient-ils? Les Égyptiens n'en savaient rien. Ils désignent collectivement ces peuples de termes imagés : « Peuples étrangers de la Mer 1 », « Peuples du Nord 2 », « Peuples étrangers qui viennent de la terre et des îles qui sont au milieu de la mer 3 », « Nordiques venant de tous les pays 4 », « des pays de la mer », « du milieu de la mer 5 ».

L'expression « Iles au milieu de la mer » apparaît déjà dans des textes datant de 1500-1470, et tient lieu d'origine pour les gens arrivant p a r m e r d e s r é g i o n s m y t h i q u e s d u N o r d , a u - d e l à d u m o n d e c o n n u 6.

Au siècle dernier, tout était clair : il s'agissait de migrations parties d'Europe nordique. Cette thèse, résolument « diffusionniste », n'est plus prisée aujourd'hui. Les pangermanistes l'ont discréditée. Et l'archéologie, si elle constate bien les destructions, ne découvre guère le brusque renouveau culturel que suppose l'installation d'une popu- lation d'envahisseurs. C'est seulement vers 1100, et non vers 1200, que de telles novations apparaîtront.

La plupart des auteurs attribuent actuellement l'effondrement des Empires à des causes intérieures : rivalités, faiblesse des rois, révolte des pays tributaires entraînant la ruine économique, le désordre social,

1. W. Helck, 65T, p. 240. 2. W. Helck, 66T, p. 135; Strôbel, 145T, p. 195. 3. H. van Effenterre, 40P, p. 166. 4. N. Sandars, 135D, p. 9. 5. N. Sandars, 135D, p. 157-165. 6. W. Helck, 66T, p. 34.

la désintégration du pouvoir. Les agressions militaires ne seraient, ici e t l à , q u e l e c o u p d e p o u c e q u i a b a t l ' é d i f i c e v e r m o u l u 7.

Un effet particulier aurait été la disparition de toute police des mers, et un puissant essor de la piraterie.

Sentant qu'ils pouvaient tout oser après l'effondrement intérieur des empires hittite et mycénien, les habitants des îles orientales de la mer Égée et des côtes voisines d'Asie Mineure seraient partis sur leurs navires pour piller toutes les régions riveraines de la Méditerranée.

L'histoire aurait une suite. Les assonances Shardan-Sardaigne, Shekelesh-Sicile, et même Teresh-Tyrsènes-Tyrrhénie-Trousci-Étrusques ne peuvent, est-il unanimement admis, relever du hasard. Il convien- drait donc de penser que les Peuples de la Mer, après la défaite, ont cherché refuge en Occident, s'installant ici ou là. C'est ainsi que l'art du bronze aurait été introduit dans l'Occident barbare.

Les spécialistes eux-mêmes reconnaissent bien des faiblesses à ce schéma. L'autodestruction des Empires relève d'un certain romantisme social. Les textes montrent, au contraire, un roi hittite organisant une vigoureuse défense militaire. Débandade peut-être devant un ennemi formidable, mais non révolution. En Égypte, en tout cas, il n'est pas question de subversion, mais d'attaque frontale de tribus organisées et encadrées.

Le cas des Mycéniens est contradictoire : leur activité maritime incite à les associer aux « pirates égéens », à en faire même le point de départ de l'explosion 8. Mais ce sont leurs villes qui ont été les premières détruites!

Ce ne sont certes pas des pirates égéens qui ont campé plusieurs années en Amourrou-Syrie, mais bel et bien des peuples de paysans à la recherche de terres, traînant femmes, enfants et bétail dans leurs chariots 9 après avoir submergé l'Empire hittite, 10. Ce sont aussi des forces terriennes massives qui ont attaqué l'Egypte par l'ouest à plusieurs reprises. Libou, Timihou, Tehenou et Meshouesh n'étaient pas des marins.

Comment donc limiter l'affaire à des raids de pirates! Il s'agit bien de deux offensives continentales simultanées, bénéficiant du sou- tien militaire et logistique de puissantes forces navales opérant tout aussi aisément sur les deux fronts. Une telle coordination ne peut être l'effet du hasard. Un regard sur la carte impose l'idée qu'une opération combinée de cette envergure n'a pu être conçue qu'en Europe. C'est bien du Détroit de Sicile que des flottes pouvaient logiquement surgir pour intervenir au nord comme au sud tout au long des rivages de la

7. Strobel, 145T, p. 265; K. Kontorlis, 83P, p. 15; N. Sandars, 135D, p. 197. 8. A. Strobel, 135T, p. 265. 9. H. van Effenterre, 40P, p. 175. 10. Id., p. 187.

M é d i t e r r a n é e o r i en t a l e . T o u t c o n d u i t à s ' i n t é r e s s e r à l ' h y p o t h è s e inverse ,

s o u v e n t é v o q u é e el le a u s s i q u i f a i t s o r t i r les S h e k e l e s h d e S i c i l e e t

les S h a r d a n d e S a r d a i g n e .

2. D e s S i c i l i e n s

T h o m a s , b i e n s û r , p a r t i t à la r e c h e r c h e d e c o n f i r m a t i o n s .

L e seu l a r g u m e n t c o n c r e t q u ' i l d é c o u v r i t à l ' a p p u i d ' u n e o r i g i n e o r i e n t a l e d e s S h e k e l e s h e s t l ' a s s o n a n c e a v e c le n o m d ' u n e vil le d e

P i s i d i e : S a g a l e s s o s l2, d o n t o n n e s a i t s i e l l e e x i s t a i t a v a n t 1 2 0 0 . L a

c a r t e p l a c e l a P i s i d i e à 1 5 0 k m d e l a m e r , a u c œ u r d e l ' A s i e M i n e u r e ,

à l a f r o n t i è r e d e l ' E m p i r e h i t t i t e e t d u r o y a u m e v a s s a l d ' A r z a w a .

C o m m e n t i m a g i n e r l à u n p e u p l e d e m a r i n s i n c o n n u d e s H i t t i t e s !

U n e d é c o u v e r t e r é c e n t e a n é a n t i t l ' h y p o t h è s e . D a n s u n e l e t t r e a u

V i z i r d ' O u g a r i t , l e G r a n d R o i d u H a t t i , v e r s 1 2 0 0 , d e m a n d e q u ' o n l u i

e n v o i e « u n c e r t a i n L o u n a d o u s o u q u e l e s S i k a l a y o u o n t c a p t u r é , p u i s

r e l â c h é . L e s S i k a l a y o u q u i v i v e n t s u r l e s n a v i r e s . J e v e u x l e v o i r p o u r

l ' i n t e r r o g e r s u r l a s i t u a t i o n d e S i k a l o u 13 » . G . A . L e h m a n c o n c l u t q u e

l e s H i t t i t e s n ' a v a i e n t p a s l a m o i n d r e i d é e d e l ' o r i g i n e d e s S h e k e l e s h

e t a u t r e s P e u p l e s d e l a M e r , e t q u ' i l f a u t d o n c l a c h e r c h e r a u - d e l à d e

l ' É g é e , q u ' i l s c o n n a i s s a i e n t p a r l e u r s v a s s a u x d ' O u g a r i t e t d e C h y p r e .

I l p e n s e à l a S i c i l e , à l a S a r d a i g n e , à l ' I t a l i e d u S u d , o ù l ' o n r e l è v e

b i e n d e s a s s o n a n c e s d u g e n r e S i c u l a t a e , S a r d a t e s , P a l a e s t e .

C e c h e m i n e m e n t p a r a i s s a i t à T h o m a s é v i t e r l e s c o n t r a d i c t i o n s d e s

opinions courantes. L'archéologie constate bien, aux XIVe et XIIIe siècles, en Sicile et Italie du Sud, la présence de poteries grecques des styles contemporains dits Helladique Récent IIIA, puis IIIB. On les attribue au dynamisme des marins mycéniens. Mais, chose curieuse, la critique considère comme des anachronismes les mentions que fait l'Odyssée de la Sicile 14. Ainsi, ces fameux marins auraient ignoré la géographie! Il est de fait qu'Ulysse ne connaît rien des mers qu'il traverse.

Thomas tranchait l'affaire : les Mycéniens avaient entendu parler de la Sicile, mais n'y étaient jamais allés : c'étaient des marins italiens et siciliens qui ramenaient de Grèce des vases pleins de produits d'échange.

L'archéologie montre, aux environs de 1200, une rupture en Sicile. On se réfugie sur les hauteurs et revient à des mœurs antérieures. Les

11. N. Sandars, 135D, p. 100. 12. A. Strôbel, 145T, p. 195; G. Rachet, 126T, p. 747; H. van Effenterre, 40P,

p. 174. 13. G.A. Lehman, 94T, Ugarit Forschungen, 1979. 14. Od., XX 393, XXIV 211, 366, 389.

Carte d' 2. Origine occidentale des Peuples de la Mer Poussés en Tunisie par les Sicanes, les Libou entraînent vers l'Égypte Meshouesh, Téhénou et Timihou. Parallèlement, des continentaux ravagent l'Asie Mineure et attaquent par la Palestine. Teresh d'Étrurie, Shardan de Sardaigne, Shekelesh de Sicile, sur leurs navires, soutiennent les deux offensives.

r e l a t i o n s a v e c l a G r è c e s e m b l e n t c o u p é e s 15. C ' e s t d o n c a u m o m e n t o ù

l e s S h e k e l e s h s o n t c e n s é s a r r i v e r d ' O r i e n t p o u r c i v i l i s e r l a S i c i l e q u ' o n

c o n s t a t e , a u c o n t r a i r e , u n e r é g r e s s i o n .

Thucydide enfin 16 rapporte que les Sicules sont venus d'Italie, refoulant les Sicanes à l'intérieur de l'île. Rassemblant ces informa- tions, Thomas voyait les Sicanes arriver vers 1300, suivis vers 1250 par les Sicules, bien placés pour assaillir la Méditerranée orientale, laissant des contingents en Pisidie, ou, par la Tunisie, devenir les Shekelesh des Égyptiens.

3. Des Sardes en Asie Mineure

Le problème des Sardes est presque identique. Le fleuve Hermos descend des montagnes d'Asie Mineure pour

15. N. Sandars, 135D, p. 97-112-199. 16. Thucydide, VI-2-5. ,

se jeter dans la mer Égée entre Phocée et Smyrne. Sa vallée est une voie de pénétration vers le cœur de l'Anatolie. Or, il est bordé au nord par un massif appelé Sardène. Une ville de Sardessos existait en Mysie, un peu au nord. Mais surtout, à 70 km de la côte, s'élevait Sardes, fameuse capitale de la Lydie. C'est là, admettent beaucoup d'auteurs, que pourrait avoir été la patrie des Shardan Il.

Après la bataille, ils se seraient repliés sur la Sardaigne, car il y a certainement analogie entre l'armement des Shardan et celui des anciens habitants de la Sardaigne 11, tel qu'il apparaît sur des statuettes de bronze typiques, les « bronzetti », datées du VIlle siècle.

L'attitude des Égyptiens, pensait Thomas, rend cette thèse invrai- semblable. Ils connaissaient les Shardan bien avant l'attaque des Peuples de la Mer. Leurs casques à cornes figurent dès 1370 dans la garnison égyptienne de Byblos. On les retrouve en 1286 à la bataille de Kadesh 19. Une inscription glorifie Ramsès II : « d'avoir étendu sa puissance sur l'Océan. Les îles qui y sont le craignent... Les Shardan rebelles... on n'arrivait pas jusqu'ici à les combattre, lorsqu'ils arri- vaient en force, et repartaient au large sur leurs bateaux de guerre... On ne pouvait tenir devant eux ». Ailleurs, Ramsès II se vante : « d'avoir capturé les guerriers de l'Océan, si bien que la Basse-Égypte p e u t d é s o r m a i s d o r m i r t r a n q u i l l e m e n t 2 0 » .

Ces documents présentent les Shardan comme des pirates redou- tables, dotés de navires de haute mer. Apparus vers 1400, ils rava- geaient les rivages du Delta. Mais ils se laissaient volontiers apprivoiser, et constituèrent bientôt dans l'armée égyptienne un corps d'élite, qui sauvera la situation à Kadesh et n'hésitera pas à pourfendre ses compatriotes lors des combats de 1200.

Comment donc imaginer que les Égyptiens ne les aient pas questionnés sur leur origine! Si la réponse avait été : « Sardes, près de l'Arzawa d'Asie Mineure », les Égyptiens, connaissant parfaitement cette région, l'auraient dit. Or, manifestement, ils n'ont pas mieux compris où était la Shardanie que n'eût fait Charlemagne interrogeant un naufragé iroquois sur sa patrie. « Nous venons d'îles au nord, de l'autre côté de l'Océan », voici ce qu'ont retenu les Égyptiens.

D'ailleurs, l'Iliade ne mentionne aucune ville de Sardes, et appelle M é o n i e n s l e s h a b i t a n t s d e l a v a l l é e d e l ' H e r m o s , a l l i é s d e T r o i e 21. P a r

c o n t r e H é r o d o t e r a p p o r t e q u ' a p r è s l a G u e r r e d e T r o i e , e n 1 2 2 0 s i l ' o n

e n c r o i t s e s g é n é a l o g i e s p r é c i s e s , l e p a y s a u r a i t é t é o c c u p é p a r d e s

H é r a c l i d e s , q u i y r é g n è r e n t c i n q c e n t c i n q a n s 22.

17. W. Helck, 66T, p. 134; G. Rachet, 126T, p. 747. 18. A. Strobel, 145T, p. 197; N. Sandars, 135D, p. 199. 19. W. Helck, 65T, p. 226; N. Sandars, 135D, p. 106. 20. W. Helck, 66T, p. 132; N. Sandars, 135D, p. 50. 21. Iliade 11-860. 22. Hérodote 1-7, 1-14, 16, 25, 26, 86.