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De la musique avanttoute chose?

Présentation, choix des textes, notes, dossier et cahier photospar Élise CHEDEVILLE, agrégée de Lettres modernes,

et Bruno RIGOLT, certifié de Lettres moderneset docteur ès Lettres et Sciences humaines,

professeurs de « culture générale et expression » en BTS

Flammarion

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Dans la même collection

1re année – Le manuelCulture générale et expression

2e année – Les anthologies sur les thèmes au programmeÀ toute vitesse !Ces objets qui nous envahissent : objets cultes, culte des objetsCette part de rêve que chacun porte en soiCorps naturel, corps artificielLe DétourL’ExtraordinaireFaire voir : quoi, comment, pour quoi ?La FêteGénération(s)Je me souviensParoles, échanges, conversations et révolution numériqueRire : pour quoi faire ?Seuls avec tousLe Sport, miroir de notre société ?

Les nouvelles intégrales pour enrichir ses référencesculturelles sur les thèmes au programme

Musique, maestro ! (en lien avec De la musique avant toute chose ?)À cent à l’heure ! (en lien avec À toute vitesse !)Histoires de ceux qui oublient… ou pas (en lien avec Je me souviens)Neuf histoires extraordinaires (en lien avec L’Extraordinaire)Des nouvelles de mon corps (en lien avec Corps naturel, corps artificiel)Seuls au monde ? (en lien avec Seuls avec tous)

© Éditions Flammarion, 2020.ISBN : 978-2-0815-1171-2ISSN : 1269-8822No d’édition : L.01EHRN000654.N001Dépôt légal : août 2020

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SOMMAIRE

■ Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

De la musique avant toutechose?

I. LA MUSIQUE : UN LANGAGE UNIVERSEL

1. COMMENT DÉFINIR LA MUSIQUE ? .......................... 161. L’art de combiner les sons 17

Rousseau, article « Musique »2. Une impression d’envol 20

Nina Berberova, L’Accompagnatrice3. Que nous fait la musique ? 22

Francis Wolff, Pourquoi la musique ?4. Un pouvoir envoûtant 26

Homère, L’Odyssée5. Entre le rationnel et l’irrationnel 28

Pierre Boulez, Jean-Pierre Changeux et Philippe Manoury,Les Neurones enchantésZoom sur : Musique et philosophie 31

2. UN AUTRE MODE D’EXPRESSION............................. 336. De l’ouïe au toucher 34

Hugo Boris, Le Baiser dans la nuque

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7. Une temporalité enchantée 36Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé

8. Musique et poésie 37Verlaine, « Art poétique »

9. Un cheminement intérieur 39Michel Leiris, À cor et à cri

3. UN REFLET DE LA DIVERSITÉ DES CULTURESET DES ÉPOQUES ..................................................... 4210. Une géographie imaginaire de la musique 43

Éric-Emmanuel Schmitt, Ma vie avec Mozart11. Un melting-pot musical 45

Nicolas Journet, « Dans le grand tiroir de la world music »12. Un trait d’union entre les êtres et les cultures 48

Fredericks, Goldman et Jones, « Un, deux, trois… »

4. UN MARQUEUR SOCIAL ET GÉNÉRATIONNEL .......... 5213. Rock attitude 53

Maylis de Kerangal, Dans les rapides14. La révolution rap 56

Joy Sorman, Du bruit15. Musique et appartenance sociale 58

Pierre Bourdieu, La Distinction

II. LE POUVOIR LIBÉRATEUR DE LA MUSIQUE

1. UNE FORCE D’ÉVASION ........................................... 6316. Posséder l’instrument ou être possédé par lui ? 64

Jaume Cabré, Confiteor17. Un solo comme un cri dans la nuit 68

Christian Gailly, Be-Bop18. L’âme à son paroxysme 72

Baudelaire, « Lettre à Wagner du 17 février »19. Une étrange ivresse de l’âme 74

Proust, Du côté de chez Swann20. La musique comme instant de grâce 76

Renaud Capuçon, Mouvement perpétuel

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2. D’ÉTONNANTS BIENFAITS ........................................ 7921. Un voyage dans le temps 80

Nerval, « Fantaisie »22. Un « effet Mozart » ? 82

Aline Moussard, Françoise Rochette et Emmanuel Bigand,« La musique comme outil de stimulation cognitive »

23. Guérir par le son 85Suzana Kubik, « La musicothérapie : la connaissons-nousvraiment ? »

24. Une valse avec le monde 88Alessandro Baricco, Novecento : pianiste

25. Le lien musical 91Marco Martiniello et Alessandro Mazzola, « La musiqueadoucit-elle le confinement ? »

3. LIBÉRATION OU SOUFFRANCE ? .............................. 9526. Un apprentissage rigoureux 95

Célia Houdart, Gil27. Une vie d’errance 98

Véronique Sanson, « Vancouver »28. Une vie d’ascète ? 100

Karol Beffa et Cédric Villani, Les Coulisses de la création29. Des artistes fragilisés 104

Charline Lecarpentier, « Industrie musicale : les cachets de ladéprime »

30. Instrument… de torture ? 108Nancy Huston, Les Variations Goldberg

III. AU CŒUR DE LA SOCIÉTÉ : LES ENJEUXCOLLECTIFS DE LA MUSIQUE

1. MUSIQUE MONDIALISÉE, MUSIQUE

STANDARDISÉE ? ..................................................... 11531. Un bruit de fond machinal 116

Jean-Philippe Delhomme, « Des restos à la rue : la musiqueest-elle devenue omniprésente ? »

32. La fin d’un âge d’or 119

Sommaire | 5

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Virginie Despentes, Vernon Subutex33. Le chant des robots 122

Julien Baldacchino, « Musique : votre prochaine idole sera-t-elle une intelligence artificielle ? »

34. Plaisir coupable 125Carl Wilson, Let’s Talk About Love

Zoom sur : Ces musiques qu’on n’écoute pas ! 129

2. LA MUSIQUE, UN INSTRUMENT DE CONTRÔLE ? ..... 13135. La musique au pas 132

Julian Barnes, Le Fracas du temps36. La musique, symbole de la haine nazie 136

Pascal Quignard, La Haine de la musique37. La musique comme arme d’extermination 139

Primo Levi, Si c’est un homme38. Chanter pour résister 142

Claire Andrieu, Introduction au Verfügbar aux Enfers. Uneopérette à Ravensbrück

3. UN POUVOIR DE CONTESTATION ............................ 14539. Voix de femmes noires 147

Angela Davis, Blues et féminisme noirZoom sur : La musique est-elle sexiste ? 150

40. L’identité rock en question 151Nicolas Journet, « Qu’est-ce que le rock ? »

41. Marseillaise provoc ou régénération de l’hymne ? 154Didier Francfort, « La Marseillaise de Serge Gainsbourg »

42. La musique comme une épée 158Lydie Salvayre, Hymne

4. LE POUVOIR RASSEMBLEUR DE LA MUSIQUE ........... 16243. Danser, c’est participer ! 163

Béatrice Mabilon-Bonfils, « Une nouvelle forme de participa-tion politique ? »

Zoom sur : La Fête de la musique 16744. Danser comme un seul corps 168

Virginie Despentes, Vernon Subutex45. La pop : être soi parmi les autres 170

Agnès Gayraud, Dialectique de la pop

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46. Chanter, c’est résister 172Bernard Lavilliers, « Noir et Blanc »

■ Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

Petit glossaire des compositeurs et des genres musicaux 178Recherches lexicales 180Activités d’écriture 181Sujets d’exposés 182Sujets d’entraînement à l’épreuve 184Fiches méthode 189

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■ Concert de l’orchestre symphonique de Vienne au Musikverein de Vienne enAutriche (1970).Un orchestre symphonique ou orchestre philharmonique est un ensemblemusical formé de trois familles d’instruments : instruments à cordes, instru-ments à vent (bois et cuivres) et percussions.

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PRÉSENTATION

« De la musique avant toute chose »… Ce célèbre vers de PaulVerlaine (voir p. 37) nous rappelle combien la musique occupeune place importante dans notre existence. Néanmoins, n’est-ilpas ambitieux de vouloir placer la musique « avant toutechose » ? Faut-il comprendre que la musique serait supérieureaux autres arts ? Voire qu’elle serait ce que nous avons de plusprécieux ? C’est en tout cas ce qu’affirment certains musiciens.Ainsi, dans le film Le Pianiste de Roman Polanski (2002), unmusicien polonais s’adresse en ces termes à des soldats nazis :« Vous m’avez tout pris. Moi, un musicien. Vous avez pris monviolon, vous avez pris mon âme. »

1. La musique au cœur de l’humain

Pour saisir cet étrange pouvoir de la musique sur nos êtres,encore faut-il savoir ce qu’on entend par le terme « musique ».Or celui-ci demeure difficile à définir.

Ainsi, les signaux sonores qui rythment notre quotidiensont-ils de la « musique » ? Nous sommes en effet chaque jourassaillis par les sons les plus divers : vrombissements demoteurs, klaxons, sirènes d’usines, bips d’ordinateurs… Mais ilne nous viendrait en aucun cas à l’idée de qualifier ces sons demusicaux. Car la musique est d’abord un « art des sons ». Par lebiais de sonorités combinées de manière plus ou moins harmo-nieuse, cet art nous touche directement : même les bébés, sansqu’on le leur ait appris, réagissent instinctivement à la musique.

Présentation | 9

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En ce sens, la musique est universelle : on la retrouve danstoutes les sociétés et à toutes les époques, que ce soit dansle cadre de pratiques religieuses ou de grands rassemblementsmusicaux comme le Printemps de Bourges, Les Vieilles Charruesou les Francofolies de La Rochelle et de Montréal. Pourquoi desgamins de Rio ou de Johannesburg tapent-ils sur des boîtes deconserve, des bidons en plastique ou de vieux jerricansd’essence pour en faire sortir des sons ? C’est parce que lamusique est un mode d’expression propre à l’humain. À la diffé-rence de la lecture, par exemple, qui nécessite un apprentissage,la musique nous parle immédiatement. De tous les arts, elle estsans doute le plus répandu parce qu’elle prend sa source dansl’échange primitif entre les hommes.

L’universalité de sa pratique va de pair avec une diversité degenres et de formes : musique classique *, électronique *, jazz *,pop *, reggae * 1… À chacun son style. Reflets de notre éducation,de notre communauté et de notre vision du monde, nos goûtsmusicaux révèlent une part de nous-même et nous permettent,grâce à un langage alternatif commun, de créer des liens avecd’autres individus venus parfois d’horizons les plus divers.

2. La musique est un miroir de l’âme

La transmission d’émotions est à cet égard une caractéristiqueessentielle de la musique. Même lorsqu’elle est conçue par ordi-nateur, elle agit sur notre être et nous procure un sentiment delibération. Elle « ramollit l’âme et ouvre le cœur à tout le sen-sible 2 », écrivait ainsi Bossuet (1627-1704) à propos de l’opéra.

1. Les mots suivis d’un astérisque sont répertoriés dans le glossaire, p. 178-179.2. Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie, XIII, Jean Anisson, 1694,p. 53-54.

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La musique nourrit non seulement les aspirations culturelleset artistiques, mais elle permet de surcroît aux individus des’épanouir tout en les connectant les uns aux autres. Pour lesGrecs par exemple, l’art de chanter et de jouer des instrumentsétait un passage obligé pour devenir un homme et s’accomplir.De même, si l’on parle beaucoup de musicothérapie de nosjours, la guérison par la musique se retrouve dans l’Égypteancienne, chez les Hébreux, chez les Grecs, chez les Chinois etdans bien d’autres cultures.

Mais parfois, l’apprentissage et la pratique de la musiquesont synonymes de souffrance : longues heures passées à répé-ter le même morceau, nuits sans sommeil… La route du succèsest rarement sans embûches.

3. Un art social et politique

On a parfois reproché aux musiques de variétés occidentalesleur formatage sous la pression de l’argent ou de la standardisa-tion des pratiques culturelles. Mais c’est oublier que, dans plu-sieurs pays du monde, danser, faire la fête, écouter de lamusique autre que celle autorisée par le régime est tout simple-ment banni : cela en dit long sur le pouvoir d’émancipationsociale et sur l’influence de la musique dans la construction d’un« vivre-ensemble » démocratique.

En ce sens, la musique n’est pas un art hors du temps : elleporte en elle un imaginaire social dont la résonance politiqueest évidente. Quand, en avril 1962, du haut de ses 21 ans, BobDylan compose « Blowin’ in the Wind », qui deviendra l’hymnecontestataire de toute une génération, sa chanson séduit desmillions de jeunes qui se reconnaissent dans l’idéal libertairequ’elle incarne.

Présentation | 11

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La musique fonctionne ainsi comme un moyen d’expressionvoire de contestation collective : c’est notamment par le blues *et le jazz que des milliers d’opprimés ont lutté contre la ségréga-tion et revendiqué l’égalité raciale. De même, la samba au Brésilpuise ses racines dans les danses des esclaves noirs. Plus prèsde nous, le rap * ou le mouvement hip-hop s’inscrivent dans unetradition d’action de groupe identitaire et politique.

La musique joue donc un rôle de cohésion sociale : les« musiques nationales », dont l’avènement se situe entre le XIXe

et le XXe siècle, ont repris le folklore populaire pour exprimer legénie national. De même, les sociétés modernes ont largementexploité ce potentiel de rassemblement propre à la musique àtravers les hymnes plus ou moins officiels. La ritournelle entê-tante de « I Will Survive », chantée lors de la victoire de l’équipede France de football en 1998, a de nouveau résonné sur lesChamps-Élysées en 2018, rassemblant des millions de Françaisdans un esprit de liesse et d’unité.

Cette dimension relationnelle de la musique est essentielle.N’est-il pas révélateur que, pendant le confinement lié à la crisede la Covid-19, des millions de gens dans le monde aient eubesoin de musique pour adoucir leur quotidien ? De Rome àParis, ambianceurs de balcons, violonistes en herbe, chanteursamateurs ou musiciens prestigieux ont fait de la musique unremède et l’expression d’une solidarité intergénérationnelle sal-vatrice : donner du son pour redonner du sens…

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■ Plantu, Musique-Mozart (août 2005).

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I. La musique : un langage universel

Pendant l’enfance comme à l’âge adulte, la musique accompagneles différents moments de nos existences. Que l’on apprenne àchanter « Au clair de la lune », que l’on joue avec concentration la« Sonate au clair de lune 1 » ou que l’on écoute avec délectation « J’aidemandé à la lune 2 », une grande variété de morceaux trouve placedans nos vies. Avant la naissance, le fœtus est déjà sensible auxsons et, au seuil de la mort ou en plein cœur de la maladie, quandnos forces viennent à manquer, la musique rappelle des jours plusheureux et allège les souffrances. Écoutée aux quatre coins duglobe, pratiquée dans toutes les cultures, la musique semble être lepropre de l’homme.Bien avant les technologies actuelles grâce auxquelles un simple clicpermet d’accéder à un nombre infini d’enregistrements et de pro-duire mille et une sonorités, les sociétés les plus anciennes ont cher-ché à produire de la musique et à façonner des instruments danscette intention. En 2008, des archéologues ont ainsi découvert dansune grotte en Allemagne un os d’ours percé de quelques trousdatant du Paléolithique supérieur, il y a 35 000 ans. Si la musiquesemble bien être de partout et de tout temps, elle n’en est pasmoins difficile à circonscrire : où s’arrête le bruit et où commencela musique ?Savoir-faire pour certains, voyage spirituel ou révélation pourd’autres, la musique nécessite une participation active de l’homme,

1. Célèbre sonate pour piano du compositeur allemand Ludwig van Beetho-ven * datant de 1801.2. Chanson du groupe Indochine datant de 2002.

I. La musique : un langage universel | 15

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car elle est avant tout écoutée, pratiquée, ressentie… vécue, ensomme. Elle supplée parfois les manques de notre langage etpermet de faire comprendre ce qu’on ne saurait dire. Reflet de ladiversité des cultures et des époques, la musique offre en effet despossibilités multiples et une richesse infinie, tant dans son style quedans ses techniques, sa pratique, son répertoire… Cette multiplicitéen fait un véritable marqueur social et générationnel : nos préfé-rences musicales participent à la construction de notre identitéautant qu’elles la révèlent.

1. Comment définir la musique ?

La musique peut se définir comme une matière sonore composéede différents sons, qu’ils soient produits par notre voix, notre corps,ou par des instruments fabriqués ou non dans cette intention. Sides bruits de notre environnement comme le souffle du vent ou leclapotis de l’eau sont parfois qualifiés de « musicaux », c’est seule-ment par analogie, c’est-à-dire qu’ils rappellent la mélodie harmo-nieuse de la musique. Car celle-ci n’est pas seulement unecombinaison de sons, elle est avant tout un art, un mode d’expres-sion qui s’adresse autant à notre âme qu’à notre intellect (Rousseau,p. 17-20). En effet, la grâce d’un simple chant peut nous toucher etnous transporter (Nina Berberova, p. 20-22).Si elle est source d’émotions diverses, la musique est avant toutintimement liée au plaisir : plaisir d’en faire, plaisir de l’écouter etplaisir de sentir, à travers elle, son appartenance à un groupe,comme l’explique Francis Wolff (p. 22-25). Mais son pouvoir est telqu’elle peut parfois nous envoûter et nous faire perdre raison(Homère, p. 26-28). Protéiforme 1, elle reflète la diversité humaineet la variété des émotions qui sont les nôtres, d’où son caractère

1. Protéiforme : qui peut prendre différentes formes.

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irrationnel, ainsi que le mettent en évidence les auteurs des Neu-rones enchantés (Pierre Boulez *, Jean-Pierre Changeux, PhilippeManoury, p. 28-30).

■ 1. Rousseau, article « Musique » (1768)

En 1747, Diderot et d’Alembert confient à Jean-Jacques Rousseau(1712-1778), philosophe mais aussi musicien et mélomane 1, larédaction d’articles sur la musique pour l’Encyclopédie, une vasteentreprise éditoriale qui vise à recenser les savoirs de l’époque surles arts, les sciences et les métiers. En 1768, Rousseau rédige leDictionnaire de musique qui devient une référence pour tous les écri-vains et musiciens de l’époque romantique. Dans l’article« Musique », il définit cette notion comme un art qui mêle sons,rythme, mélodie, connaissances et pratique, capable de produire parce biais des émotions chez l’homme. Cette définition a influencédurablement toute la pensée sur la musique (voir « Zoom sur :Musique et philosophie », p. 31-32).

[L’art de combiner les sons]

MUSIQUE, s. f. 2 Art de combiner les Sons d’une manièreagréable à l’oreille. Cet Art devient une science et même trèsprofonde, quand on veut trouver les principes de ces combinai-sons et les raisons des affections 3 qu’elles nous causent. AristideQuintilien 4 définit la Musique, l’Art du beau et de la décence5

dans les Voix et dans les Mouvements. Il n’est pas étonnantqu’avec des définitions si vagues et si générales les Anciens aient

1. Mélomane : qui aime beaucoup la musique.2. S. f. : substantif (nom) féminin.3. Affections : modifications de l’être, de l’état d’esprit.4. Aristide Quintilien : auteur d’un traité sur la musique datant du IIIe siècle.

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donné une étendue prodigieuse à l’Art qu’ils définissaientainsi. […]

La Musique se divise naturellement en Musique théorique ou10

spéculative, et en Musique pratique.La Musique spéculative est, si l’on peut parler ainsi, la

connaissance de la matière musicale ; c’est-à-dire, des différentsrapports du grave à l’aigu, du vite au lent, de l’aigre au doux,du fort au faible, dont les Sons sont susceptibles ; rapports qui,15

comprenant toutes les combinaisons possibles de la Musique etdes Sons, semblent comprendre aussi toutes les causes desimpressions que peut faire leur succession sur l’oreille et surl’âme.

La Musique pratique est l’Art d’appliquer et mettre en usage20

les principes de la spéculative ; c’est-à-dire, de conduire et dispo-ser les Sons par rapport à la consonance 1, à la durée, à la succes-sion, de telle sorte que le tout produise sur l’oreille l’effet qu’ons’est proposé : c’est cet Art qu’on appelle Composition. […]À l’égard de la production actuelle des Sons par les Voix ou par25

les Instruments, qu’on appelle Exécution, c’est la partie purementmécanique et opérative, qui, supposant seulement la facultéd’entonner juste les Intervalles, de marquer juste les durées ; dedonner aux Sons le degré prescrit dans le Ton, et la valeur pres-crite dans le Temps, ne demande en rigueur d’autre connaissance30

que celle des caractères de la Musique, et l’habitude de lesexprimer.

La Musique spéculative se divise en deux parties ; savoir, laconnaissance du rapport des Sons ou de leurs Intervalles, et cellede leurs durées relatives ; c’est-à-dire, de la Mesure et du Temps.35

La première est proprement celle que les Anciens ont appeléeMusique harmonique. Elle enseigne en quoi consiste la nature duChant et marque ce qui est consonant, dissonant, agréable ou

1. La consonance : l’harmonie des sons.

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déplaisant dans la Modulation. Elle fait connaître, en un mot, lesdiverses manières dont les Sons affectent l’oreille par leur timbre,40

par leur force, par leurs Intervalles, ce qui s’applique égalementà leur Accord et à leur succession.

La seconde a été appelée Rythmique, parce qu’elle traite desSons eu égard au Temps et à la quantité. Elle contient l’explica-tion du Rythme, du Mètre, des Mesures longues et courtes, vives45

et lentes, des Temps et des diverses parties dans lesquelles on lesdivise, pour y appliquer la succession des Sons.

La Musique pratique se divise en deux Parties, qui répondentaux deux précédentes. […]

On pourrait et l’on devrait peut-être encore diviser la Musique50

en naturelle et imitative. La première, bornée au seul physiquedes Sons et n’agissant que sur le sens, ne porte point ses impres-sions jusqu’au cœur, et ne peut donner que des sensations plusou moins agréables. Telle est la Musique des Chansons, desHymnes, des Cantiques, de tous les Chants qui ne sont que des55

combinaisons de Sons Mélodieux, et en général toute Musiquequi n’est qu’Harmonieuse.

La seconde, par des inflexions vives accentuées, et, pour ainsidire, parlantes, exprime toutes les passions, peint tous lestableaux, rend tous les objets, soumet la Nature entière à ses60

savantes imitations, et porte ainsi jusqu’au cœur de l’homme dessentiments propres à l’émouvoir. Cette Musique vraiment lyriqueet théâtrale était celle des anciens Poèmes, et c’est de nos jourscelle qu’on s’efforce d’appliquer aux Drames qu’on exécute enChant sur nos Théâtres. Ce n’est que dans cette Musique, et non65

dans l’Harmonique ou naturelle, qu’on doit chercher la raisondes effets prodigieux qu’elle a produits autrefois.

Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique,Œuvres complètes, vol. XIII, Honoré Champion, 2012, p. 571-574.

I. La musique : un langage universel | 19