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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE À LA RECHERCHE D'UN CORPS DE DOCTRINE Jacques Lauriol Lavoisier | Revue française de gestion 2004/5 - no 152 pages 137 à 150 ISSN 0338-4551 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2004-5-page-137.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lauriol Jacques , « Le développement durable à la recherche d'un corps de doctrine » , Revue française de gestion, 2004/5 no 152, p. 137-150. DOI : 10.3166/rfg.152.137-150 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_bordeaux4 - - 147.210.86.53 - 22/11/2011 14h41. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_bordeaux4 - - 147.210.86.53 - 22/11/2011 14h41. © Lavoisier

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE À LA RECHERCHE D'UN CORPS DEDOCTRINE Jacques Lauriol Lavoisier | Revue française de gestion 2004/5 - no 152pages 137 à 150

ISSN 0338-4551

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2004-5-page-137.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lauriol Jacques , « Le développement durable à la recherche d'un corps de doctrine » ,

Revue française de gestion, 2004/5 no 152, p. 137-150. DOI : 10.3166/rfg.152.137-150

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Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier.

© Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays.

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L’émergence de la notion dedéveloppement durable serévèle aujourd’hui sujette àquelques tensions au niveaude ses finalités et de sescontenus. Au plan desfinalités, le débat s’organiseautour d’une logique fondéesur la théorie des partiesprenantes, et une logiqueconcurrente qui mobiliseune éthique de laresponsabilité commeprincipe téléologique. Parvoie de conséquence, lescontenus du développementdurable font égalementl’objet de controverses :elles semblent devoir êtrerésolues par une dynamiquede normalisation de cescontenus. Néanmoins, cettedynamique est porteuse « d’effets pervers », et ellene peut prétendre, à elleseule, à régler cescontroverses, le problèmerésidant pour l’essentieldans les faiblessesdoctrinales qui caractérisentaujourd’hui ledéveloppement durable.

De rapports en conférences internationales (Rio1992, Kyoto 1997, Davos 2001, Johannesburg2002), le développement durable apparaît

aujourd’hui comme la représentation dominante d’unenouvelle logique du développement économique etsocial. Cette logique devrait autoriser l’instauration d’unjuste équilibre entre des aspirations sociales, considéréescomme nouvelles, et un « développement économiquequi satisfait les besoins de chaque génération, à com-mencer par ceux des plus démunis, sans compromettre lacapacité des générations futures à satisfaire les leurs »(Brundtland, 1987).Le développement durable est généralement présentécomme la résultante d’un jeu de pressions multiformes,crées par des groupes d’acteurs aux motivations diverses.Par exemple, par des mouvements altermondialistes etpar des organisations non gouvernementales très présentes auprès d’institutions internationales. Ces dernières (PNUE, CNUCED, OIT, PNUD, OCDE,Commission européenne, etc.) développent activement,depuis le rapport Brundtland, d’importants dispositifs de sensibilisation et d’information auprès des adminis-trations et des institutions directement concernées.

C O N C E P TPAR JACQUES LAURIOL

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L’émergence de cette notion de développe-ment durable (DD) se révèle néanmoinssujette à quelques tensions tant au niveau deses finalités que de ses contenus.Ces tensions oscillent entre une approchepragmatique, fondée sur la théorie des partiesprenantes (stakeholders), et une approcheéthique ou morale, qui met en avant « un prin-cipe de responsabilité » largement inspiré dela philosophie de Jonas (1990).L’analyse de ces tensions, développée dansla première partie de cet article, permet decomprendre le contexte dans lequel s’ins-crivent aujourd’hui les débats et contro-verses autour du développement durable.S’agit-il d’une nouvelle logique du déve-loppement qui résulterait d’un meilleurarbitrage entre préoccupations court-ter-mistes (fondées pour l’essentiel sur des cri-tères économiques), ou d’une nouvelle défi-nition de la performance élargie à desconsidérations environnementales etsociales? Quels sont les fondements théo-riques sur lesquels s’appuyer pour codifieret déployer le développement durable? Ouencore, et au-delà d’une réflexion sur lacroissance durable, le développementdurable ne nous invite-t-il pas à repenser« la nature de la firme »?Il semble aujourd’hui que ce soit lanotion de responsabilité sociale qui aitvocation à faire émerger un certainconsensus sur ces différents. En tant que« nouveau paradigme » potentiel (Feroneet al, 2001), elle suppose que « l’entre-prise reconnaisse et engage sa responsa-bilité dans des domaines variés : acci-dents, pollutions… turbulences socialesoccasionnées par des décisions managé-riales, impacts civiques et éthiques dechoix stratégiques » (p. 41).

Ce glissement progressif d’une notion àl’autre n’est sans doute pas sans consé-quence, la responsabilité sociale s’inscri-vant clairement dans un champ (l’éthiquedes affaires) aux principes établis (logiquecontractualiste entre parties prenantes),alors que le développement durable faitencore l’objet de controverses très actives.Cette prééminence de la responsabilitésociale comme équivalent aux dimensionssociales du développement durable, se tra-duit aujourd’hui par une tendance forte à lanormalisation de ces dimensions ;d’agences de notation en indicateurs, auditset Stakeholder’s Report, la durabilitésociale tend en effet à s’exprimer sous laforme de référentiels normatifs (EFQM forexcellence, OHSAS 18001, SA 8000, AA1000, etc.), tous concurrents pour s’imposercomme standard de référence.Cette situation instable de la doctrine enmatière de développement durable ne faci-lite guère son institutionnalisation en tantque « nouveau paradigme » managérial. Ilmanque en effet de normes, dogmes et réfé-rents susceptibles d’être constitués en unvéritable système capable de formaliser etde déployer un « corps de doctrine » struc-turé, et légitime pour fonder durablementune pensée et des pratiques renouvelées.Sans doute doit-on se féliciter de cetteinstabilité doctrinale ; elle permet encore deprétendre à influencer les finalités, lescontenus et les modalités de gouvernancede ce que sera le développement durable.En ce sens, elle offre de nouvelles voies dedéveloppement pour des entreprises inno-vantes, ainsi que des avenues de rechercheprometteuses pour des chercheurs intéres-sés par l’émergence de ce champ derecherche.

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I. – LE DÉVELOPPEMENTDURABLE: D’UNE TENSION

À L’AUTRE

Malgré la pluralité des approches enmatière de développement durable, et ladiversité de leurs fondements, une majoritéd’auteurs semblent s’accorder sur le faitque le DD correspond à la recherche d’unnouveau modèle de développement. Il estsitué à l’intersection de trois principes fon-damentaux (Bansal, 2002) :– un principe économique qui requiert uneutilisation raisonnée des ressources « tomaintain a reasonable standard of living »(Bansal, 2002), sans menacer pour autantl’avenir des générations futures ;– un principe environnemental qui spécifieque la société civile doit protéger ces res-sources ;– un principe social qui indique que chacundoit être traité avec équité.L’aspect très général de ces principes, leurcaractère peu contraignant et l’absenced’une « autorité de régulation » qui s’impo-serait à tous, amène à s’interroger sur lesintentions qui soutiennent cette recherched’un nouveau modèle de développement.Les aspects négatifs de « l’ancien » modèlene sont que rarement évoqués, (dimensionsenvironnementales mises à part), et on nevoit pas bien comment procéder pour renou-veler nos principes d’action en matièresociale et économique. Le flou de la notion,la faiblesse des débats autour du principed’équité sociale et l’absence de prescrip-tions ou de propositions structurantes pouragir peuvent légitimement amener à s’inter-roger sur les intentions des champions dudéveloppement durable (Latouche, 1994).Néanmoins, un certain nombre d’acteurs sesont engagés dans cette démarche; au-delà

de quelques pionniers fondateurs (The BodyShop, Ben and Jerry’s, Patagonia, etc.), ilsemble que cette volonté de concevoir diffé-remment efficacité économique, responsabi-lité sociale et vocation écologique ou envi-ronnementale progresse significativementau sein des entreprises, en particulier desgrandes. Pour Laville (2001), on est « ainsipassé en quelques années, d’une logique de“pull” à une logique de “push”… l’en-semble des entreprises devant aujourd’huiévoluer sous la pression conjointe du mar-ché, des investisseurs, des normes et deslois… », et apprendre à « faire des affairesautrement » (p. 8).Cet engagement ne va pas sans poser quelquesdifficultés à ces entreprises. Il exprime le pro-blème de la maîtrise des finalités affectées auDD et, par extension, des critères d’évaluationde la performance durable. Pour Tiberghien(2002), il y a un risque important qui pèse surles entreprises de ce point de vue et qui pour-rait mettre « hors jeu près de la moitié desentreprises du CAC 40 » (p. 70).Cette tension sur les finalités du développe-ment durable s’articule autour de deuxpiliers principaux :– le premier s’inscrit dans la théorie des« parties prenantes » (stakeholders theory)qui semble correspondre aujourd’hui à l’ap-proche dominante en matière de DD(Dejean et Gond, 2002) ;– le deuxième s’appuie sur des référentspuisés dans une philosophie morale quicherche à fonder un principe de responsabi-lité inspiré de H. Jonas (1990) et, dans unemoindre mesure, d’A. Sen (1999).

1. Développement durable et théorie des parties prenantes

Les exigences du développement durablenécessitent, en l’absence de systèmes de

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régulation supranationaux, de définir denouvelles relations avec les individus,groupes et organisations qui peuvent influerou être affectés par la stratégie d’une entre-prise.La présence de ces parties prenantes à la stratégie de l’entreprise amène à consi-dérer le concept de « stakeholder corpora-tion » qui représente l’entreprise « commeune constellation d’intérêts coopératifs etcompétitifs » (martinet et al., 2001) parceque certains de ces intérêts peuvent serévéler contradictoires. Au plan théorique,cette approche par les parties prenantess’inscrit dans la théorie de l’agence (Jen-sen et Meckling, 1979) qui représente lafirme comme un ensemble de contrats fon-dés sur une relation d’agence entre le prin-cipal et l’agent. Ces contrats permettent auprincipal (en tant que partie prenante), decontrôler et d’inciter l’agent à œuvrer dansle sens de ses intérêts. Ces contrats étantpar nature incomplets, le principal (l’ac-tionnaire en particulier) doit mobiliser desprocessus et instruments de contrôle quipermettent d’exercer une corporate gover-nanceappropriée.Cette théorie a fait l’objet de nombreux tra-vaux quand à la nature exacte de ces partiesprenantes et de la relation qu’elles entre-tiennent avec la firme (Persais, 2002). Entreparties prenantes primaires, engagéescontractuellement et impliquées par la réus-site de l’entreprise (actionnaires, employés,fournisseurs, etc.), et parties prenantessecondaires, non directement impliquéesdans le fonctionnement de cette entreprise(groupe d’intérêts, vecteurs d’opinioncomme les médias, etc.), les finalités restentidentiques. Il s’agit d’intégrer des intérêtscontradictoires, et néanmoins tous légi-times, dans un projet commun: ce projet,

fondé sur une capacité d’intégration desstakeholders, doit « stimuler la créationd’une connaissance génératrice de durabi-lité et améliorer la performance durableainsi que les bénéfices compétitifs. »(Sharma, 2001, p. 155).Pourtant, cette approche fondamentale-ment contractualiste pose problème lors-qu’on cherche à la mobiliser pour concep-tualiser la gouvernance du développementdurable. Tout d’abord parce que les struc-tures et systèmes de gouvernance sont,pour le moment, principalement conçuspour des stakeholdersinternes (ou pri-maires). Ensuite, parce que les parties pre-nantes externes (ou secondaires) ne ressen-tent pas nécessairement le besoin decontractualiser leur relation avec l’entre-prise. Dans ce cas, comment intégrer desparties qui ne « veulent pas prendre par-tie »?Par ailleurs, cette théorie des parties pre-nantes repose sur des postulats et desaxiomes contestables et contestés. La rela-tion d’agence s’appuie en effet sur une visionpartenariale et contractuelle de cette interac-tion entre parties prenantes et entreprise: leconflit d’intérêt se résout dans le contrat, cequi permet d’assurer la maximisation desintérêts concernés, pour autant que son exé-cution en soit correctement contrôlée.La dimension morale de ces contrats estfaible (Mitchell et al., 1997), voire inexis-tante, codes éthiques internes mis à part, cequi pose le problème de leur légitimité,dimension essentielle à considérer dès lorsque la contestabilité de ces contrats est pos-sible du fait même de leurs imperfections.C’est sur ces aspects moraux ou éthiques dudéveloppement que se focalise l’autre pôlede cette tension sur les finalités attribuéesau développement durable.

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2. Développement durable et principe de responsabilité

Dans cette deuxième perspective, le déve-loppement durable peut (ou doit) être por-teur pour la théorie économique d’une sortede « retour à la morale ». Il faut en effetdépasser l’approche traditionnelle de l’éco-nomie, qui s’intéresse exclusivement aux« relations des hommes aux choses » pouren revenir « aux relations entre leshommes » (Le Duff et Orange, 2002).Si cette aspiration ne concerne pas unique-ment les supporters du DD, elle en inspirenéanmoins un certain nombre. (Jones,2001). Ces derniers considèrent avec Senque « l’économie est une science morale »(Sen, 1999), fondée sur deux piliers.Le premier est celui de la responsabilitésociale comme exercice d’une liberté indi-viduelle qui « inclut d’abord ces compo-santes positives qui nous rendent capablesde nous comporter en individus autonomeset responsables… comme la liberté et lapossibilité de participer aux processus poli-tiques et sociaux qui affectent notre vie detous les jours. » (Sen, 1999, p. 96). Cettenotion de responsabilité se fonde sur lareconnaissance du fait que la vie des indivi-dus « entraîne des interdépendances, ce quiimplique des obligations réciproques liéesaux relations économiques, politiques etsociales qu’ils entretiennent mutuelle-ment ». Il est donc nécessaire de « confron-ter les exigences conflictuelles de principesdivergents », et qu’on « ne peut y parveniren faisant l’économie de larges débatsouverts à la participation. » (ibid., p. 97et 119).L’exigence de responsabilité nécessite ainsi« liberté dans l’expression de principesindividuels et liberté de participation », de

manière à trancher des dilemmes sociaux autravers « de processus de choix fondés surle dialogue et des débats ouverts. » (ibid.,p. 113).Le deuxième pilier s’inspire de la pensée deJonas (1990) et du « principe de responsa-bilité » qu’il propose comme fondementd’une éthique renouvelée.Cette éthique s’appuie sur le constat sui-vant :L’action de la science moderne a complète-ment transformé le rapport de l’Homme à lanature. La technologie rend maintenant lanature « vulnérable à cause ou grâce audéveloppement du pouvoir de l’homme […]De ce fait celui-ci […] devient non seule-ment maître […] mais aussi responsablepuisque sa survie est menacée par sonaction. » (Pesqueux et alii, 1998, p. 154-155). Cette « heuristique de la peur »(Jonas, 1990) pose ainsi de nouveaux impé-ratifs centrés sur la préservation du futur(« Un devoir de ne pas faire tout autantqu’un devoir de faire… avoir une éthiquecapable d’entraver des pouvoirs extrêmesque nous possédons aujourd’hui… » Ibid.,p. 156).Cette éthique s’impose à tous du fait desmenaces qui pèsent sur la nature etl’homme futur, à cause d’un progrès tech-nique aux potentialités parfois dévastatricessi elles ne sont pas maîtrisées par l’exercicede ce principe de responsabilité.Dans cette perspective, la contestationcroissante des modes de développementactuels se justifie par un devoir éthique quidoit, par l’exercice du principe de responsa-bilité, nous conduire à une meilleure maî-trise des pouvoirs grandissants de l’Hommesur la nature.Les finalités attribués au DD font bien l’ob-jet d’une tension forte entre deux pôles :

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celui de « l’exigence morale » fondé sur unretour à la philosophie morale, et celui desparties prenantes, qui vise à étendre la rela-tion d’agence à de nouvelles catégories deporteurs d’enjeux.Ils se rejoignent néanmoins dans leursincomplétudes : la théorie des stakeholderssouffre d’un déficit manifeste de légitimitéau regard des exigences nouvelles imposéespar le développement durable ; l’approchepar le principe de responsabilité est, elle,handicapée par la rareté de ses propositionsquant à d’autres modes de gouvernance quipermettraient d’assurer une liberté effectivedans l’exercice d’une participation à deschoix collectifs.On assiste aujourd’hui à l’émergence d’unenotion réactualisée, celle de responsabilitésociale ou sociétale, qui pourrait constituerun pôle d’attraction unificateur, à défautd’être consensuel.

II. – RESPONSABILITÉ SOCIALE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Dejean et al. (2002) notent un regain d’in-térêt récent pour cette notion de responsabi-lité sociale dans le monde académique, toutautant que dans le monde des entreprises.Du bilan social à l’entreprise citoyenne, laresponsabilité sociale fait aujourd’hui l’ob-jet d’une réactualisation rendue nécessairepar l’émergence de pressions nouvelles quipèsent sur l’entreprise, et qui présentent uncaractère stratégique (Gond et al., 2003).Dans cette perspective, Pesqueux (2002),positionne la responsabilité sociale en rela-tion directe avec le mouvement de la qualitétotale (1980) et celui de la création devaleur financière (1990) ; cette notionexprime une « continuation-amplificationdu thème de l’éthique des affaires » (ibid.,

p. 156), étroitement articulé avec une repré-sentation de l’organisation fondée sur lathéorie des parties prenantes.Le PNUE (2002) souligne que « le conceptde responsabilité sociale d’entreprise,…malgré son état encore trop embryonnaire,progresse parce que les entreprises perçoi-vent de mieux en mieux les attentes socialesémergentes… et que leur conscience del’aspect social d’un développement durablemondial s’améliore » (p. 5).La Commission européenne (Livre vert,2001) souhaite quand à elle « promouvoirun cadre européen pour la responsabilitésociale des entreprises […] pour […] équi-librer et prendre en compte les intérêts etpréoccupations de toutes les partiesconcernées. »La réactualisation de cette notion souffrenéanmoins, au même titre que la notion dedéveloppement durable, d’une inflationsémantique tant au plan managérial qu’auplan théorique.Au plan managérial, le Business for SocialResponsability(BSR, 2003) considère queparfois, « Corporate Social Responsability(CSR) is seen by […] companies as morethan a collection of discrete practices oroccasional gestures, or initiatives motivatedby marketing, public relations or other busi-ness benefit ». Cette «non-profit organiza-tion», considère que la CSR « is defined asoperating a business in a manner that meetsor exceeds the ethical, legal, commercialand public expectations the society has».(p. 22).Tout le problème consiste à définir avecprécision quel est le «bon» niveau d’enga-gement de l’entreprise (meets or exceeds)dans la responsabilisation, c’est-à-diredans la prise en compte de ces « publicexpectations ». C’est ici qu’apparaissent les

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débats théoriques entre tenants de la Corpo-rate social responsability(CSR) et Corpo-rate social responsiveness(réceptivitésociale). La CSR implique que l’entrepriseprenne en considération des attentes et obli-gations qui dépassent le niveau des obliga-tions légales : la Corporate Social Respon-sivenessmet en avant une dimension plus« pro-active », l’entreprise devant veilleraux problèmes sociaux qui peuvent l’affec-ter et agir sur eux avant qu’ils ne déclen-chent une crise. C’est le cas par exemple deCSR Europe qui souhaite aider les « com-panies to increase employability and pre-vent social exclusion ».Il semble que ces débats convergent sur lanécessaire contingence de ces définitions,en relation avec la spécificité des activités,des secteurs et des parties prenantes. Cecirevient à considérer « la performance del’entreprise aussi bien selon l’angle écono-mique et financier, que selon le respect del’ensemble de ses partenaires et de l’envi-ronnement naturel qu’ils partagent ». (Ferone et al., 2001, p. 271).Cet engagement socialement responsable,bien qu’assez vague dans ses contenusconcrets, est néanmoins porteur de bien desvertus. Il permet, en effet, d’améliorer laperformance financière, par la réduction descoûts opérationnels liée à une meilleure uti-lisation des matières premières et de l’éner-gie, et d’augmenter les ventes, les clientsétant plus fidèles envers une organisationqui dispose de cette image d’entreprisesocialement responsable. De même, la pro-ductivité et la qualité s’améliorent grâce àde meilleures conditions de travail et unengagement accru du personnel dans laprise de décision. De ce fait, il devient plusaisé d’attirer et de conserver les compé-

tences humaines nécessaires à l’activité(BSR, 2003).Enfin, au plan concurrentiel, l’entreprisesocialement responsable peut disposerd’avantages concurrentiels durables parcequ’elle développe « des connaissances dedurabilité » (Sharma, 2001, p. 159-160), etune « imagination concurrentielle » renou-velée, qui lui permettent de déployer uneinnovation perturbante (disruptive) pour lesconcurrents. Elle peut ainsi se développeren combinant « une croissance soutenableavec une responsabilité sociale ». (Hart et al., 2002, p. 51).Ces vertus seraient corroborées par desrésultats de recherche qui postulent un lienpositif entre performance sociale et perfor-mance financière. Le BSR (2002) toutcomme la Global Reporting Initiative (GRI,2002) citent un nombre important d’étudesqui confirment l’existence de cette relationpositive. Dejean et Gond (2002) soulignenteux la trop grande diversité méthodolo-gique de ces études et la faiblesse de leursfondements théoriques. Ceci interdit touteconclusion scientifiquement fondée surcette relation qui reste, à leurs yeux, une« croyance managériale » (p. 8), dont lesaspects idéologiques ne doivent pas êtrenégligés.Cette notion de responsabilité socialecomme vecteur de l’engagement de l’entre-prise dans un développement durable appa-raît ainsi comme la résultante d’une sorte deprocessus de construction sociale.Ce processus devrait permettre de résoudreun certain nombre de tensions sur quelquesdimensions essentielles pour l’élaborationd’un « Triple Bottom Line» (profit, people,planet) satisfaisant pour les parties prenantes,et qui soit actionnable par l’entreprise.

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Il doit ainsi intégrer une double contrainte :tout d’abord, celle des contingences secto-rielles liées à une activité et aux conven-tions diverses qui peuvent la spécifier ;ensuite, celle qui concerne le choix des par-ties prenantes considérées comme légitimespour participer à cette construction collec-tive, et de l’influence qu’elles peuvent yexercer. C’est dans cette tension entrecaractéristiques spécifiques de l’activité etles exigences génériques portées par desparties prenantes, que vont émerger les fac-teurs d’appréciation et de mesure de la per-formance durable.La question qui est en jeu ici est celle de lalégitimité des contenus donnés à la respon-sabilité sociale, et des conditions de leurévaluation dans la mise en œuvre d’unestratégie de développement durable (Capron et al., 2004). Ces contenus définis-sent, en effet, le « modèle économique » dela responsabilité sociale envisagée : Quelssont les enjeux qui doivent être pris encompte? Quels objectifs définir pour obte-nir une performance satisfaisante pour l’en-semble des parties prenantes? Quels sontles plans d’action à envisager et qui doit lesmettre en œuvre? Sur quels critères doit-onapprécier la performance obtenue et quidoit en assurer l’évaluation?C’est ici que l’on retrouve les insuffisancesou les faiblesses doctrinales du développe-ment durable et de la responsabilité sociale.Le corpus théorique actuel ne propose eneffet que peu d’éléments véritablementstructurants pour analyser, définir, diriger etinterpréter l’action en matière de dévelop-pement durable. Ces faiblesses se ressen-tent particulièrement au niveau des élé-ments suivants :– Qu’est-ce qu’un système de gouvernancedurable ? C’est-à-dire, quels sont « les

mécanismes organisationnels qui ont poureffet de délimiter les pouvoirs et d’influen-cer les décisions des dirigeants… qui gou-vernent leur conduite et définissent leurespace discrétionnaire » (Charreaux, 1997,p. 12).– Quelle est la nature de la relationd’agence qui doit s’établir entre les princi-paux (parties prenantes) et les agents (diri-geants) ? Peut-on se satisfaire sur ce pointde l’extension d’une théorie économique (lathéorie de l’agence), à des problématiquesnon exclusivement économiques, et à desacteurs plutôt que des agents, dont la ratio-nalité est bien plus étendue et variée que celle que proposent Jensen et Meckling(1979).– Enfin, quels sont les instruments oumoyens d’action qui vont permettre deconcevoir, de déployer et d’évaluer unestratégie de développement durable? End’autres termes, comment construire un« contexte de justification » du développe-ment durable qui soit crédible pour l’en-semble des parties prenantes?Cette faiblesse doctrinale semble devoirêtre compensée aujourd’hui par l’émer-gence de standards d’évaluation et d’orga-nismes certificateurs porteurs d’une logiquede normalisation du développementdurable.

III. – LE DÉVELOPPEMENTDURABLE EN VOIE DE

NORMALISATION

Pour que le déploiement d’une démarche dedéveloppement durable soit porteuse deperformances accrues, il faut que ces per-formances et les modalités de leur évalua-tion soient clairement définis. Il s’agit alorsd’adopter une « démarche normalisée… qui

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passe par la mise au point de standardsvolontaires (comme la norme sociale SA8000), par le développement d’une compta-bilité sociale avec la mise au point d’unstandard de référence, la Global ReportingInitiative, et enfin par le développementd’agences de notations spécialisées. »(Ferone et alii, 2001).Ce discours est représentatif d’un mouve-ment important de développement de stan-dards et de démarches centrées sur le prin-cipe de l’accountability. Il se traduitaujourd’hui par la prolifération de «Socialand Environmental Reporting Standards »(BSR, 2002.), ce qui fait problème, lesentreprises et leurs parties prenantes ayantquelques difficultés pour faire face à cetteprolifération.Il semble que ce soit la Global ReportingInitiative (GRI) qui ait vocation à devenir lanorme de référence.Cette organisation internationale est née en1997 d’une initiative commune entre uneONG, le CERES (Coalition for Environ-mentally Responsible Economies), et lePNUE. Elle développe, depuis 1999, un« GRI Sustainability Reporting Guidelines »(réactualisé en 2002) dont l’ambition est ledevenir « a globally accepted reporting fra-mework » (GRI, 2002).Ce guide s’appuie sur onze principes d’éla-boration qui permettent de construire le rap-port (transparency, inclusiveness, auditabi-lity), de décider des informations qui doiventy figurer (completeness, relevance, définitionof sustainability context), et d’assurer l’accèsau rapport pour toutes les parties intéressées(clarity and timeliness). Ce rapport, auxnormes GRI, doit devenir un « outil aussi cré-dible que les rapports financiers en termes decomparabilité, d’auditabilité et de pratiquesgénéralement acceptées » (Brodhag, 2000).

Le référentiel OHSAS 18001, né d’unaccord entre un certain nombre d’orga-nismes nationaux de normalisation et d’or-ganismes locaux de certification, vise lui unleadership en matière d’hygiène et de sécurité.On peut également citer l’European Fonda-tion of Quality Management (EFQM), quipropose un « modèle 2000 » dit « d’excel-lence » fondé sur neuf catégoriesd’analyse : il cherche à certifier que lesleviers d’action en matière de développe-ment durable (vision, politique et stratégie,personnel, etc.) sont véritablement conçus,développés et gérés selon les attentes desparties prenantes.Pour faire face à ce foisonnement de réfé-rentiels normatifs, l’AFAQ propose d’inté-grer un certain nombre de ces référentiels(les plus courants) autour d’un système demanagement intégré qui pourrait faire l’objet d’un seul audit de certification(Straczek, 2002). Cette démarche supposede pouvoir disposer d’auditeurs de hautniveau, capables d’apprécier les avantages,inconvénients et limites des référentiels quiveulent se différencier les uns par rapportaux autres. (par exemple, apprécier la perti-nence d’un BS 8800 version 1996 par rap-port à un OHSAS 18001 version 1999).L’imposition de cette logique technique denormalisation dans le champ du développe-ment durable, comme dans d’autres(l’éthique, la comptabilité et la finance)amènent à constater le rôle croissant du sec-teur privé dans l’exécution de certainestâches, notamment de contrôle et d’audit(Descolongues et Saincy, 2004).On en vient ainsi à des considérations denature stratégique. La normalisation consti-tue, en effet, un levier puissant d’insti-tutionnalisation de réglementations nou-

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velles qui peuvent avoir un impact importantsur les conditions d’exercice de la concur-rence; il est donc essentiel de contrôler cetteproduction réglementaire tant au plan natio-nal qu’au plan international.En France, par exemple, l’AFNOR modifiesa stratégie 2002-2005 pour faire face à lamondialisation de la normalisation. Cetorganisme veut « être un acteur influent dela normalisation européenne et internatio-nale » (Chambrolle et al., 2002) ; elle pré-conise une démarche volontariste, fondéesur l’ouverture, la transparence, « la cohé-rence intrasectorielle et internationale… Leconsensus, qui lui confère sa force auregard de tout autre document sans recon-naissance particulière » (Chambrolle et al.,2002, p. 30).La normalisation représente également unmarché global qui offre des perspectives dedéveloppement intéressantes pour toutes lesentreprises concernées. On peut sur ce pointétablir une référence avec les entreprises d’au-dit comptable et financier. Elles se sont déve-loppées sur les marchés de la certificationcomptable selon un double mouvement:– une extension de l’offre de services de lacertification pure (l’audit et le Commissariataux comptes), au conseil en systèmes d’infor-mation et maintenant, pour certaines d’entreelles, à la certification en matière de DD ;– une croissance externe très active, quis’est traduite par un très fort degré deconcentration de cette industrie, qui confineaujourd’hui à la cartellisation.Dans cette perspective, la dynamique denormalisation du développement durables’inscrit dans une problématique straté-gique typique, celle de l’imposition d’unstandard.Sous réserve d’une étude plus approfondie,on peut en effet considérer que le compor-

tement de ces organismes de normalisationvise à imposer leur propre standard de cer-tification comme référence dominante surle marché de la normalisation du dévelop-pement durable. Ils se fondent pour cela surla recherche d’externalités de réseau et uneouverture partielle de leurs droits de pro-priété.Ces effets d’externalités de réseau corres-pondent à l’accroissement de l’utilité quetirent des agents de l’utilisation d’un stan-dard (Shapiro et Varian, 1999). Cette utilitécroît en fonction du nombre « d’adhé-rents », en particulier lorsque ces adhérentsdoivent se coordonner avec d’autres agentsconcernés par ce standard. L’ouverture par-tielle des droits de propriété passe par lacession de licences à des organismes eux-mêmes certifiés, qui ont pour mission d’ac-célérer la diffusion du standard et donc,d’accroître les effets d’externalités deréseau.La mobilisation de ce cadre d’analyse pourdécrire et expliquer l’émergence des conte-nus concrets du développement durable,peut être fructueuse pour comprendre ladynamique de cette émergence et leslogiques d’acteurs qui la fondent.Si cette hypothèse de travail sur les modali-tés d’installation d’un standard pour le DDpouvait être vérifiée, elle résoudrait dansune large mesure la question de ses conte-nus et de ses finalités. L’identification deson corps de doctrine et de sa rationalitépourrait être aisément déduite de l’analysede ces contenus et des logiques d’action deleurs sponsors. On peut sur ce point consi-dérer la norme SA8000, d’origine nord-américaine et son équivalent britanniqueAA1000, qui proposent neuf domaines pourla normalisation sociale, mais qui excluentles questions de liberté d’association (syn-

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dicale, par exemple), et le droit à la négo-ciation collective, qui constituent pourtantune pratique sociale solidement ancrée dansun certain nombre de pays de l’Union européenne.D’une manière générale, on peut considérerque la référence croissante à ces standardsexprime deux faits essentiels :– L’influence de la norme et de l’expert, autravers d’organismes et de référentiels certi-ficateurs, dans la définition et la mise enœuvre d’une politique en matière de déve-loppement durable. On reconnaît ainsi queles lois ou les normes qui énoncent « le biencommun » sont définies par ces experts ; ilsse retrouvent donc dans une situation où ilspeuvent à la fois définir les lois et en assu-rer l’exécution. Ils sont donc juge et partiesans aucun contrôle extérieur si ce n’estcelui de leurs pairs.– Et par ailleurs la substitution d’une logiquetechnique, celle de l’expert, à une logiquepolitique, seule légitime pour prendre encompte la diversité des attentes et en garantirl’expression au travers d’institutions démo-cratiques. Ces institutions sont en effet légi-timement dotées d’un pouvoir législatif etexécutif qui leur permet de trancher lescontroverses qui pèsent actuellement sur ceque pourrait représenter un corps de doctrinepour le développement durable.

IV. – LE DÉVELOPPEMENTDURABLE À LA RECHERCHE D’UN CORPS DE DOCTRINE

Au terme de cette analyse du développe-ment durable comme fondement d’une nou-velle logique du développement écono-mique et social, il apparaît clairement quecette notion souffre, malgré l’engouementdont elle fait l’objet, de faiblesses et d’in-

suffisances doctrinales. Elles s’exprimentau niveau des finalités attribuées au déve-loppement durable, comme dans la défini-tion des contenus qui pourraient lui êtreattachés, ainsi qu’au plan du système degouvernance dont il devrait faire l’objet.La question des finalités du DD peut serésoudre, selon une majorité d’auteurs, parla simple extension de la théorie des partiesprenantes à de nouveaux groupes porteursd’enjeux. Cette logique contractualiste,fondée sur la recherche d’intérêts communsn’est pas véritablement concernée par lesquestions morales et éthiques du dévelop-pement (« aléa moral » et codes éthiquesmis à part). Par ailleurs, on ne voit pas bien,au regard de la rationalité qui la caractérise,comment elle pourrait être en mesure d’in-tégrer les principes de responsabilité, deprécaution et de participation qui présidentà l’élaboration de choix de développementdurable. Enfin, il n’est pas aisé d’envisagercomment elle pourrait permettre l’intégra-tion de nouvelles parties prenantes « nonstandard » au regard de la théorie, et lestemporalités dont elles sont porteuses. Cettedimension temporelle dépasse en effet lesimple arbitrage entre court terme et longterme; elle se situe au-delà de l’horizonstratégique qui caractérise une activité pours’inscrire dans une temporalité de natureintergénérationnelle.Le développement durable est porteur d’une« exigence morale » dont la rationalité sub-stantive dépasse largement celle de la théoriedes parties prenantes. Néanmoins, l’ap-proche par une éthique de la responsabiliténe permet pas, aujourd’hui, d’apporter desréponses concrètes aux questions que cetteéthique soulève. S’agit-il d’élaborer un nou-veau « pacte social » entre l’entreprise et lasociété (Orse, 2003) ou plus largement, faut-

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il réinterroger la question de l’existence de lafirme et donc, de sa nature?Les réponses théoriques et pratiques quiseront apportées à ces questions détermine-ront largement la nature des contenusconcrets du développement durable. Ilsconcernent prioritairement les éléments dedéfinition et d’appréciation de la perfor-mance durable.Quels sont les critères qui la définissent etles indicateurs qui permettent de la mesu-rer? Qui les définit, comment et pourquoi?Comment prendre en compte des exigencesgénériques, valables pour tous, et des exi-gences spécifiques, liées à l’exercice d’uneactivité? Comment articuler global (exi-gences portées par des institutions interna-tionales) et local, au regard des différentielsréglementaires, économiques et sociaux quicaractérisent et différencient des zones géo-graphiques?Ces questions peuvent-elles se résoudre parle choix d’un standard de normalisation etd’un organisme certificateur qui valideraitla conformité du stakeholder report? Etdans ce cas, le choix d’une logique de nor-malisation suffit-il à garantir la légitimitéd’une stratégie de développement durable?Il faut également envisager la question de lapertinence de cette stratégie : peut-onconstruire un modèle économique du déve-loppement durable qui soit véritablementcréateur de valeur, c’est-à-dire fondé surdes avantages concurrentiels durables, etsoutenables par l’entreprise?Ces dimensions stratégiques amènent ainsià s’interroger sur le système qui doit prési-der à la gouvernance du DD. Au-delà de laquestion difficile de la prise en compte des

nouvelles parties prenantes, et de leursenjeux, dans les processus de consultationet de décision, il convient de réfléchir auxsystèmes de surveillance et de contrôle quidoivent être élaborés. Il s’agit ici de défi-nir et d’implémenter de nouveaux disposi-tifs de management (une nouvelle ingénié-rie du management du développementdurable) qui permettent d’animer l’actioncollective et d’en contrôler les résultats. Lapression à la normalisation du développe-ment durable que l’on observe aujour-d’hui, présente de fortes similarités avecce qui se pratique en matière de manage-ment de la qualité totale ; il s’appuie pourl’essentiel, sur la mise en œuvre de pra-tiques et de procédures idiosyncratiquesqui visent à instituer une assurance qualitéfondée sur une rationalité procédurale,dont on connaît maintenant les limites.L’ensemble de ces questionnements permetde conclure sur la fragilité doctrinale dudéveloppement durable dans son étatactuel. Il manque assurément d’un corps dedoctrine, suffisamment élaboré pour êtreconstitué en un système théorique et prag-matique qui soit transmissible, c’est-à-diregénéralisable, à la variété des situationsauxquelles sont confrontées les entrepriseset les différentes parties intéressées.Cette situation doctrinale constitue un han-dicap pour l’institutionnalisation d’unelogique de développement porteuse de biendes potentialités en matière économique etsociale. Elle représente également une for-midable opportunité pour des chercheurs etdes entrepreneurs intéressés par les avenuesde recherche et d’expérimentation que cettesituation autorise.

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