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Novembre 03 • no 21

Editorial

L’entreprise, acteur duchangement pour une personnedépendante de l’alcool… etinversement !Michel Graf

La collaboration d’uneinstitution ambulatoire avecle monde du travail :opportunités et limitesPhilippe Vouillamoz

Permettre la liberté de choisirPatrice Meyer

L’expérience du GRAAL ou lesuccès d’un programme deprévention en entrepriseFlorence Burri

Problèmes d’alcool au travail:le point de vue d’un médecind’entrepriseJean-Marc Bellagamba

La réinsertion professionnelle:une nécessité pour tousWilly Chuard

Témoignages

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DES REFLEXIONS, DES PRATIQUES AUTOUR DU CHAMP DES DROGUES LEGALES ET ILLEGALES

Dépendance à l'alcool et vie professionnelle:

quels enjeux?

d ép e n d a n c e s

Revue éditée par

Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies

Groupement romand d’études sur l’alcoolisme et les toxicomanies

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Editorial

démunis, parce que les milieuxde la prévention n’ont pas tou-jours les moyens à dispositionpour accompagner une démar-che préventive au sein de l’en-treprise. Le milieu professionnelpossède pourtant un potentielénorme en matière de dépistagedes situations à problèmes etd’orientation vers un change-ment. Donner le choix de choisir,engager une collaboration avecune institution de traitement,garantir un retour à la vie pro-fessionnelle, autant de démar-ches qui portent leurs fruits etdont ce numéro de dépendancesveut se faire l’écho.Car une telle politique face auxproblèmes d’alcool en milieuprofessionnel ne bénéficie passeulement à la personne concer-née: l’entreprise retrouve lesavoir-faire d’un employémotivé, et de manière plus large,participe à la diminution ducoût social de l’alcoolisme,estimé en Suisse à 6.5 milliardsde francs. A l’heure des coupes budgétai-res, ne serait-il pas judicieuxd’agir en amont?

Corine Follonier, ISPA

Adresse des éditeursInstitut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies, ISPA, Ruchonnet 14, case postale 870, 1001 Lausanne

Groupement romand d’études sur l’alcoolisme et les toxicomanies, GREAT,Pêcheurs 8, case postale 638, 1401 Yverdon-les-Bains

RédactionRédacteurs : Corine Follonier, ISPANicolas Pythoud, GREAT

Comité de rédaction:Pierre-Yves Aubertéducateur, GenèveMichel Grafdirecteur ISPAÉtienne Mafflipsychologue, LausanneJean-Dominique Michel socio-anthropologue, GenèveGérald Proginresponsable Espace Prévention,AigleLouis-Pierre Royenseignant EESP, Lausanne

Administration et abonnementsISPA, case postale 8701001 Lausanne tél. 021 3212985fax 021 3212940

Parution3 fois par an

Abonnement Frs. 45.– par an

Les articles signés n’engagent que leur auteur

Les titres et sous-titres sont de la rédaction

La reproduction des textes est autorisée sous réserve de la mention de leur provenanceet de l’envoi d’un justificatif à la rédaction

Ligne graphique Fabio Favini, Romanel-sur-Morges

Cette année, la 7e journée suissede solidarité avec les personnestouchées par l’alcool est consa-crée à la problématique de l’al-cool au travail et rencontre unvif succès. Peu étonnant, quandon sait qu’en Suisse 5% des per-sonnes actives professionnelle-ment ont un problème dedépendance à l’alcool. Comment cette réalité est-elleperçue et gérée au quotidien?Quelle est la place de la préven-tion des dépendances au sein del’entreprise? Quel est le rôle quepeut jouer l’employeur face auproblème d’alcool d’un collabo-rateur?Depuis vingt ans, la préventiondes dépendances en entreprise afait du chemin. Selon uneenquête de 1999 menée parl’ISPA, plus de 60% des entrepri-ses ont pris des mesures concer-nant notamment l’accessibilité àl’alcool sur le lieu de travail.Pourtant, à peine la moitié deces entreprises disposent dedirectives claires sur ce qu’ilconvient de faire avec les colla-borateurs dépendants de l’al-cool. Trop souvent encore, le déni etl’évitement du problème préva-lent en milieu professionnel. Etcela parfois faute de ressources.Parce que les employeurs sontISSN 1422-3368

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Introduction

La démarche initiale degestion des problèmes liésà l’alcool en milieu pro-fessionnel nous est venuedes Etats-Unis, où elle aété développée et mise enplace dans les plus gran-

des entreprises, alors florissantes,comme General Motors, AT§T, etc. Elles’est propagée sous l’appellation EAP,ou PAE au Canada, comme Pro-gramme d’Assistance aux Employés.Adaptée à la culture suisse par diversorganismes de prévention, elle atrouvé sa place au sein de l’adminis-tration fédérale, PTT en tête, dès la findes années 80. Des entreprisescomme Swissair, Ciba à Monthey, puisla Migros au niveau national et régio-nal se sont lancées tour à tour dans

l’implantation de politiques «alcool».D’autres ont suivi un peu partout enSuisse, y compris des petites etmoyennes entreprises (PME de 50 à500 employés). La liste serait longueici à énumérer, quoique bien souventces employeurs ne souhaitent pas

Michel Graf,directeur del’ISPA

C’est un peu l’œuf de Colomb qui estproposé aux entreprises confrontées àdes problèmes d’alcool chez leursemployés : la solution semble si simplequ’on ose à peine y croire ! Et,pourtant, elle a fait ses preuves depuismaintenant près de vingt ans enSuisse, permettant ainsi à un nombreconsidérable de personnesdépendantes de l’alcool d’entreprendreun traitement. Pour parvenir à aiderses employés à (se) changer,l’entreprise a dû elle aussi modifierquelques-uns de ses(dys)fonctionnements. Une muebénéfique pour tous.

faire publicité de leur démarcheinterne. Qu’est-ce qui fait l’attrait decette approche et de quoi est-elleconstituée?

Des chiffres et des faits accablants

En Suisse, on estime à 300’000 lenombre de personnes dépendantes del’alcool, dont une grande partie sont– heureusement, devrait-on dire –encore insérées professionnellement.L’alcool est la substance psychotropela plus répandue dans notre société,puisque près de 84% de la populationadulte en consomme. Selon un étudede l’ISPA (1999), en sus des nonconsommateurs d’alcool, qui repré-sentent 16.1% de la populationadulte, la grande majorité desconsommateurs (60.1%), boit demanière modérée, de l’ordre de un àdeux verres de boisson alcoolique parjour ; les autres personnes enconsomment soit épisodiquementtrop (17.3%), soit plus de 4 verres paroccasion exceptionnelle ou en sontdépendants (6.4%). Différentes étu-des montrent que, autant dans le sec-teur de la production que dans celuides services, 5 à 7% des collaboratri-ces et collaborateurs ont un problè-mes d’alcool. Or, de toutes les sub-stances psychotropes, c’est incontes-tablement l’alcool qui a le plus deconséquences concrètes dans lemonde professionnel. Ainsi, l’abusd’alcool ponctuel ou chronique estl’une des causes les plus importantesde la diminution de capacité de tra-vail et de l’augmentation du risqued’accident. Une étude (Yersin, 19931)

L’entreprise, acteur duchangement pour une

personne dépendante del’alcool… et inversement!

Absentéismefréquentes absences du poste de travailnombreuses absences de courte duréeabsences prolongées suite à un accidentou une maladie

Comportement au travaildiminution quantitative et qualitativedes prestations professionnelleserreurs fréquentesfiabilité fortement diminuéemise en danger de la sécuriténon respect des délais

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a mis en évidence que l’alcool était enjeu dans 5% des accidents de travailpris en charge dans un service desoins intensifs. On ignore le nombreexact des accidents professionnelsliés à l’alcool, car ce critère n’est paspris en considération lors des investi-gations ; on peut toutefois l’estimer à20% environ. D’autres études menéesautant aux plans nationaux quemondial (BIT) ont montré que les pro-blèmes d’alcool des collaboratrices oucollaborateurs ont des répercutionssur leur capacité de travail. Citons enparticulier :

Au final, et toujours selon ces études,les personnes ayant un problèmed’alcool ne sont plus productives qu’à75% de leurs moyens. Autrement dit :25% de leur salaire est à considérercomme une perte pour l’employeur.Compte tenu du fait que la dépen-dance à l’alcool est une maladie«démocratique», en ce sens qu’ellepeut concerner n’importe quelle per-sonne, quel que soit son niveausocioprofessionnel et culturel, c’estdans l’ensemble des salaires que cetteperte est à prendre en compte.

Ainsi, on peut calculer les coûtsengendrés par les problèmesd’alcool en entreprise à l’aided’une formule simple:

NB employés x 5% x salairemoyen brut x 25%

5% = pourcentage moyen despersonnes ayant un grave pro-blème d’alcool25% = perte salariale moyenneliée à des problèmes d’alcool

Une telle formule ne prend pas enconsidération la souffrance de la per-sonne, ni celle de son entouragefamilial et professionnel ! En effet, lescomportements de réaction des col-lègues sont eux aussi porteurs de dys-fonctionnements et de pertes. Oncitera simplement leur attitude d’évi-tement de la personne concernée, quil’isole ou à l’inverse leur envie ou

besoin de compenser les erreurs etmanquements en agissant à la placede l’autre, en le dépossédant de sesresponsabilités, surchargeant ainsileur propre cahier de charges.L’agacement se fait peu à peu sentir,créant un climat de travail tendu,générateur de problèmes divers.Mais alors, pourquoi personne neréagit-il?

Réagir, voir : pourquoi est-ce sidifficile ?

La dépendance est un phénomène quise développe progressivement, dansla durée. Pour l’alcool en particulier,ce n’est qu’après de nombreusesannées d’alcoolisation excessive quedes signes extérieurs se manifeste-ront. On constate d’ailleurs souventau début du processus une attitudeplutôt positive des personnes concer-nées, qui rejaillit sur l’entouragesocial. C’est particulièrement vraipour celles qui se montrent plussociables et coopératives lorsqu’ellesont absorbé de faibles quantités d’al-cool.

Plus tard, la consommation excessived’un collaborateur ou d’une collabo-ratrice devient la plupart du temps unsecret de polichinelle ; pourtant,même si on peut constater deserreurs inhabituelles, des absencesfréquentes, des retards, tout cela estatténué par une attitude plutôtconciliante qui donne le change aprèschaque faute.

Ainsi, peu à peu, un danger s’installe :l’entourage n’est plus capable de voirles changements dans les performan-ces comme dans la personnalité de lapersonne concernée. Les collègues etles supérieurs s’adapteront au fil dutemps, allant jusqu’à diminuer le seuilde leurs exigences professionnellespour que celles-ci cadrent avec laréalité. La limite de l’acceptable - ondevrait dire de l’inacceptable! - unefois atteinte, l’entourage voudraitalors réagir vite...

A la recherche d’indices révélant unproblème de dépendance, les supé-

rieurs vont se heurter à une difficultémajeure: les personnes dépendantesessaient presque toujours de cacherleur problème aux autres ; ils ou ellesvont dès lors développer des trésorsde stratégie pour que cela ne se voiepas. Dans leur vie professionnelle,cela peut se traduire par des périodesde surcapacité de travail ou des atti-tudes de très grande coopération,qui compensent certains de leurmanques.

Pourtant, au fil du temps, l’entouragede la personne concernée voit, sup-pose, constate des signes que chacuninterprète comme évidents ; on s’at-tache alors aux symptômes phy-siques, comme la couperose, les yeuxbrillants, le manque d’équilibre, lestremblements, par exemple, maisaussi aux symptômes comportemen-taux inappropriés et inattenduscomme l’agressivité ou au contraireune euphorie disproportionnée, sansoublier les «évidences pas claires»comme les cadavres de bouteillesvides ou la certitude qu’il ou elle boiten cachette…

Ce «faisceau de preuves» fait dire auxsupérieurs hiérarchiques qu’ils ont lacertitude que la personne concernéeest dépendante de l’alcool. Or aucunde ces indices, même s’ils sont avérés,ne permettent à eux seuls de poser undiagnostic de dépendance. Qui plusest, et nous touchons là au cœur duproblème, ce diagnostic-là ne peutêtre posé que par un médecin!

De fait, les cadres approchent le pro-blème par le plus mauvais bout: celuidu problème de dépendance à l’al-cool, aspect strictement médical etpersonnel, alors qu’ils ont sous leuryeux les éléments les plus clairs d’unréel dysfonctionnement profession-nel de leur collaborateur. On tient icila clé de la solution: C’est en obser-vant des indices professionnels dechangement dans les performanceset le comportement que les cadrespourront réagir : sur ce terrain-là, ilsont non seulement la compétencepour le faire, mais sont aussi tenusd’agir.

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L’entreprise, acteur du changement pour unepersonne dépendante de l’alcool… et inversement !

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Le repérage des problèmes dedépendance : un devoir des

cadres ?

Parce qu’ils sont en première lignepour constater des modificationsdans les prestations professionnelles,les cadres jouent un rôle central dansla réussite d’une démarche de résolu-tion des problèmes de dépendance.Cependant, il ne suffit pas de lesinvestir de cette mission, car l’appro-che nécessite d’être présentée et cla-rifiée.

Il y a en effet entre leur rôle dedétection d’un problème profession-nel et le rôle des intervenants dudomaine médico-social un passagequ’il faut comprendre, afin de savoiret pouvoir l’accompagner. Par quelmiracle passe-t-on du champ pro-fessionnel strict à un aspect si intimede la sphère privée qu’est la dépen-dance à l’alcool? Pour le compren-dre, il faut analyser pas à pas la pro-cédure proposée aux entreprises,afin d’en décrypter les conceptssous-jacents.

Déceler un problème…professionnel

On l’a vu, toute personne souffrantd’un problème de dépendance à l’al-cool n’a plus toutes les capacités pourfaire face à ses obligations profes-sionnelles. Ce sont ces éléments quidoivent inciter à mener un entretienavec le collaborateur2 concerné. Surles questions de performance, decapacité de travail, de sécurité, d’atti-tude professionnelle, le supérieurhiérarchique a non seulement la pos-sibilité mais le devoir de réagir, alorsqu’il n’a aucune légitimité lorsqu’ils’agit d’un problème aussi personnelque la consommation abusive d’al-cool.

Cette première entrée en matière, parle biais d’un entretien de service, per-met de poser le vrai problème dupoint de vue de l’entreprise : «Vous netravaillez plus correctement, rectifiezcela!» est le message central. Les exi-gences posées par le supérieur hiérar-

chique sont alors strictement profes-sionnelles, elles aussi : retour à unecapacité de travail correcte. Pour lapersonne concernée, cet entretienrésonne alors comme un avertisse-ment: «Ma manière de fonctionnerne marche plus…»; qui plus est,comme le thème de l’alcool n’est pasnommé, les dérobades qui allaientavec sont elles aussi désamorcées.Plus de déni possible face à la réalité !Il ne reste plus qu’à essayer de cor-respondre aux nouvelles exigencesposées.

Mais le miracle ne se produit pas sou-vent… La personne dépendante del’alcool n’a réellement plus la capa-cité à rectifier le tir, et n’arrive pas àatteindre les objectifs fixés. On peutpenser alors que nous sommes dansune démarche dévalorisante, humi-liante pour elle. Cela serait le cas s’iln’y avait pas la volonté claire de l’en-treprise de comprendre et d’aider à larésolution du problème.

Du constat professionnel àl’hypothèse du problème personnel

Durant la phase probatoire, le supé-rieur hiérarchique est invité à analy-ser la situation de son collaborateurde son point de vue professionnel.Cette personne a-t-elle pu bénéficierdes formations continues nécessai-res à l’accomplissement de sestâches? Les bons «outils» lui sont-ilsmis à disposition? Le climat interneest-il bon ou génère-t-il desconflits? Les objectifs sont-ils clairset précis? Ces quelques questionsconstituent la marge de manœuvreet de coresponsabilité du chef dansla résolution du problème profes-sionnel. De fait, si tous ces élémentssont acquis et que le collaborateurconcerné n’arrive pas à faire faceaux exigences, on peut objective-ment penser qu’il est confronté àd’autres difficultés hors du cadreprofessionnel, donc dans sa vie pri-vée. Le schéma ci-dessous illustrecette dynamique subtile entre lasphère professionnelle, représentéepar le toit de la maison et la sphèreprivée, constituée des trois piliers.

Il est dès lors urgent de le lui dire, demanière à la fois franche et respec-tueuse, c’est-à-dire en évoquant leconstat qu’on a fait, l’hypothèsequ’on formule et l’aide que nouspouvons apporter : «Vous n’arrivezplus à travailler correctement, mal-gré que le contexte et vos compé-tences vous le permettraient. Que sepasse-t-il? Il me semble que vousavez des soucis personnels qui vousempêchent de bien travailler…Qu’en pensez-vous? Souhaitez-vousque nous vous aidions à les surmon-ter?»

Nous arrivons ainsi à un moment clédu processus : le lien entre le pro-blème professionnel et le problèmepersonnel est évoqué, parfois demanière très floue, mais parfois, dansun deuxième temps, très clairement,voire crûment: «Vous et moi lesavons bien: vous avez un problèmed’alcool, et cela vous empêche de tra-vailler ! ». Cette approche est à distin-guer très nettement de l’abrupt:«Vous buvez trop!», franchementaccusateur et inapproprié, parce queillégitime de la part d’un chef. Elleapporte en outre une propositiond’aide, qui doit nécessairement êtreassociée au constat d’échec momen-

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tané du collaborateur. Cette appro-che s’apparente en cela aux modèlesde changements de la psychologiesociale.

Bien que l’entreprise propose sonaide, elle ne doit pas pour autantdevenir souple envers les exigencesprofessionnelles fixées. Une tensions’installe alors entre une offre posi-tive, l’aide, et un constat objectif derisque pour l’employé, le licencie-ment… De fait, s’il refuse d’entrer enmatière sur son problème personnelet que ses performances profession-nelles ne s’améliorent pas, il pourraitêtre, selon les situations et lesemployeurs, licencié. Le seul refus duprogramme d’aide n’est pas un motifde licenciement! Cela serait illégal !Non, la tension se passe entre : réussirà rétablir ses compétences profes-sionnelles, avec ou sans aide, et nepas y arriver. Dans ce contexte, l’en-treprise joue le rôle de «motivateurobjectif», en proposant son aide pourla résolution du problème personnel(«motivateur») tout en rappelant lesconséquences d’un non respect ducontrat de travail («objectif»). Cettedynamique vise à motiver au change-ment, à un moment où la personneconcernée est dans une phase de pré-paration avancée. On peut schémati-ser le processus comme suit, en seréférant aux stades de changementde Proschaska et DiClemente:Ce moment clé est aussi à rattacheraux concepts de l’entretien motiva-tionnel, qui met en balance avan-tages et inconvénients à consommer.

Schématiquement, on peut le décrire ainsi :

Autrement dit, face au probableéchec pour retrouver ses capacités detravail, le collaborateur concerné vafaire le choix d’accepter le traite-ment. On pourrait y voir ici unevolonté de contrainte. Il me semblecependant qu’il y a un réel choix : lapersonne concernée peut choisir dene pas accepter le traitement et ten-ter encore de se rétablir seule. Elle esttoutefois confrontée à une offrepositive, qui lui évite d’envisager l’é-chec professionnel. Bien sûr, elle doitpour cela envisager un autre échecpotentiel, pour le moins dans sonvécu de la dépendance: «Je n’y arri-verai jamais…». Cet échec thérapeu-tique, cette fois-ci, est l’affaire des

Avant le constat professionnel

Avec le constat de potentiel échec

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spécialistes du domaine du traite-ment. L’employeur ne peut que moti-ver son collaborateur à croire en laréussite du processus de traitement,sans avoir aucune garantie de succèsni moyen de l’influencer. Je reprendsici le schéma du Dr GottfriedSondheimer, ancien directeur de laForel Klinik, à Ellikon, près de Zürich,pour illustrer le changement que lapersonne concernée va vivre dans lespremiers temps de son traitement,pour passer du choix « imposé» à unedécision personnelle et au rétablisse-ment.L’employeur, dans cette vision, est unacteur très utile pour fixer unecontrainte, perçue comme extérieurepar la personne concernée. Son rôles’arrête là. Mais sans cela, qui d’autreaurait eu autant d’impact sur la déci-sion de se soigner?

Conclusion

L’entreprise a un potentiel très élevépour aider les personnes dépendantesde l’alcool à trouver une motivation etun cadre pour se rétablir. Ce faisant,elle propose une démarche où tout lemonde va devenir gagnant: l’entre-prise, qui retrouve un employé effi-cace, avec son savoir-faire, la per-sonne concernée, qui recouvre lasanté et la sécurité de son emploi, lescollègues, qui vivent maintenant dansun climat plus serein et avec desrépartitions de tâches égalisées, lesproches de la personne concernée,

pour qui la menace du licenciement etles souffrances émotionnelles ontenfin disparu et, finalement, l’ensem-ble de la société, pour laquelle lescoûts de la dépendance alcooliquesont diminués.

Pour atteindre cet incroyable résultat,les entreprises qui ont développé detelles philosophies et de telles appro-ches ont dû d’abord (re) définir leurpropre cohérence en matière de ges-tion des questions humaines. Les cad-res ont appris à définir des objectifsclairs, à être attentifs à leurs collabo-rateurs et collaboratrices autrementque seulement sur le plan des «out-puts», mais aussi au plan de la viequotidienne au travail, où les rôles dechacune et chacun sont clarifiés, pré-cisés. Autour du thème de l’alcool, des

règles sont établies, privilégiant l’in-terdiction de consommer durant letemps de travail ou/et aménageant derares exceptions. Des formations de laligne hiérarchique sont indispensa-bles, pour leur apprendre à réagir demanière adéquate face à un dysfonc-tionnement professionnel. A coup sûr,le débat suscité par la mise en place del’ensemble de ces mesures est difficile,mais fructueux. Pour exemple, lorsqueles PTT ont implanté leur «programmealcool» à la fin des années 80, uneévaluation a été faite 3 ans après(ISPA, 1992) auprès des cadres for-més3 ; elle a montré que les cadresosaient mieux aborder ce problèmeavec leurs collaborateurs, que le pro-gramme était jugé unanimementimportant et que son implantation afavorisé la communication au sein del’entreprise. Un bénéfice secondaireinattendu, mais ô combien positif, àune époque où la promotion de lasanté peine à trouver sa place dans lemonde du travail.

Notes1 Yersin (1993). Epidémiologie des accidentsliés à l’alcool en Suisse : Revue des études descentres d’urgence.2 Par commodité de lecture, le terme sera uti-lisé dans cet exemple au masculin. Il doit êtrecompris comme un terme générique, incluantaussi le féminin, tant il est vrai que ce pro-blème concerne aussi les femmes.3 ISPA (1992). Evaluation du programme del’alcoolisme et des toxicomanies des PTT.Document non publié.

L’entreprise, acteur du changement pour unepersonne dépendante de l’alcool… et inversement !

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Les centres d’aide et deprévention de la LigueValaisanne contre lesToxicomanies (CAP LVT)ont pour mission de lut-ter contre toutes les for-mes de toxicomanies en

agissant dans les domaines de laprévention primaire, secondaire ettertiaire.Ce mandat à plusieurs volets nousamène à considérer la question del’alcool au travail tant du point devue de la prévention que de celui del’accompagnement des personnes endifficulté dans l’entreprise.

Le tissu économique valaisan

«En Valais, seulement 19 entreprisescomptent 250 emplois et plus. Ellestotalisent 11,2% des emplois alorsqu’en moyenne suisse les grandesentreprises occupent plus du tiers despersonnes. Selon l’étude, 99,9% des

13809 établissements «marchands»sont des PME (moins de 250 emplois)et 88% d’entre eux comptent moinsde 10 emplois. On mesure ici l’impor-tance des PME dans le tissu écono-mique…»1

Dans ces toutes petites PME, la hié-rarchie se résume souvent à unpatron et quelques employés, lepatron étant souvent lui-même unpatron-ouvrier. Le domaine des res-sources humaines, tel que nous l’en-tendons habituellement, n’y est pasdu tout développé.

La LVT et la préventionen entreprise

Un peu d’histoire

Dans les années 1980, la LVT a parti-cipé à l’implantation de programmesde prévention alcool sur la place detravail dans quelques grandes entre-

prises valaisannes. A l’époque, toutcomme d’autres organismes romandsà l’instar de l’ISPA, elle s’inspirait desexpériences nord-américaines en lamatière.S’il apparaissait relativement aiséd’introduire un programme de pré-vention au sein d’une entreprise degrande envergure, de sérieux problè-mes de mise en œuvre se posaient auniveau des PME.

Dès 1987, la LVT lançait une démar-che originale de prévention alcooldans les PME en concevant un pro-gramme assez souple pour répondreaux besoins de tout type d’entreprise.Celui-ci offrait un programme «à lacarte» s’articulant autour de 5 volets :– définition de la politique d’entre-

prise face aux problèmes d’alcoolau travail,

– analyse ergonomique permettantd’identifier les situations à risqueet de proposer des mesuresconcrètes

– information aux employé(e)s– formation des cadres pour les ren-

dre plus compétents face à un col-laborateur en difficulté

– aide à la personne concernée

Pour ce dernier volet, la LVT proposaità l’entreprise un programme de priseen charge et à la personne concernéeun appui spécialisé de type médico-social qui intégrait une préparationdu retour au travail.

Un bilan contrasté

Le projet «prévention alcool dans lesPME» a rencontré 2 obstaclesmajeurs :

PhilippeVouillamoz,intervenantentoxicomanieset responsabledu secteurthérapie descentres d’aideet deprévention(CAP) de laLiguevalaisannecontre lestoxicomanies(LVT)

La collaboration d’uneinstitution ambulatoire

avec le monde du travail :opportunités et limites

La collaboration avec le monde dutravail n’intervient pas seulement auniveau de la prévention primaire. Dansun contexte où l’implantation deprogrammes spécifiques est renduedifficile faute de moyens de part etd’autre, il reste un rôle important àjouer pour l’employeur dans le soutienau rétablissement. L’expérience de laLVT. (Réd.)

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La collaboration d’une institution ambulatoire avecle monde du travail : opportunités et limites

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– L’estimation des changementsorganisationnels nécessaires aulancement et à la distribution duproduit PME a été insuffisante. A la fin des années 80, nous avionsl’ambition de participer à l’implan-tation d’une politique de gestionperformante des problèmes d’al-cool au travail. Plus de 500 entre-prises avaient été touchées parune campagne de sensibilisationoccasionnant des dizaines decontacts.Aller plus loin dans le projet PMEaurait impliqué une restructura-tion de la LVT, faute de quoi, nousne pourrions qu’énoncer des desi-derata sans moyen d’action.La capacité de promotion (vente),et de suivi (service après-vente)nous ont fait défaut.

La crise économique du début desannées 1990 a mobilisé toute l’éner-gie des entreprises ne leur permet-tant plus de se soucier de problèmes«secondaires et annexes». Par ailleurs,dans les PME, les collaborateurs pré-sentant des problèmes de dépen-dance se sont retrouvés parmi les pre-miers licenciés lors des restructura-tions. Le problème pour l’entreprises’est alors résolu par lui-même. Par contre, nous avons retrouvé cespersonnes dans le cadre de nos colla-borations avec les ORP quelques moisplus tard.

Les interventions actuelles enentreprises

Depuis 1992, nous nous contentonsd’objectifs minimalistes, à savoirrépondre aux demandes d’entreprisessans les solliciter.

Le type d’entreprise qui fait appel ànous s’élargit désormais. Ces deuxdernières années, nos prestationsdans ce domaine ont surtoutconcerné:– des collectivités publiques (com-

munes d’une certaine envergure), – des associations professionnelles

(dans le cadre de moments de for-mation continue),

– des organisateurs de mesures dumarché du travail pour les chô-meurs,

– des écoles professionnelles for-mant des adultes (agents de main-tenance),

– des grandes entreprises.

L’accompagnement spécialisé detravailleurs ayant des problèmes

d’alcool

Le signalement par les employeurs

Année après année, nos statistiquesmontrent que le signalement par les

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employeurs reste très faible (env.1%).A titre de comparaison, les signale-ments émanant de la personne elle-même ou de son entourage sont del’ordre de 30%, alors que ceux pro-venant des milieux médicaux attei-gnent près de 25% de la totalité dessignalements.

Quelques cas sont répertoriés auprèsdes entreprises où nous avons fournides prestations de préventiondurant l’année. Mais la source designalement «se tarit» rapidement.Faute de pouvoir investir dans unerépétition périodique des messages,dans des séminaires d’évaluation etde remise en situation, le concept deprévention ne demeure pas opéra-tionnel. Cela se vérifie surtout s’iln’est pas intégré organiquement auconcept de formation permanentede l’entreprise. Or ces conditionsfavorables ne se rencontrent quasi-ment pas dans les PME de petitetaille.

La collaboration avec lesemployeurs pendant et après letraitement

C’est certainement là que nousmesurons aujourd’hui les plus grandsbénéfices de la collaboration avec lemonde du travail.

Bien que peu d’employeurs soient àl’origine d’une entrée en traitement,ils ne sont généralement pas dupesde la problématique de consomma-tion de certains collaborateurs. Leurinaction est souvent le résultat demécanismes de complaisance ou de

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co-dépendance. Lorsque ce n’est pasle cas, la non intervention s’expliqueplutôt par le malaise voire la mal-adresse à aborder la question de l’al-cool au travail.

Pour autant que la dégradation durendement professionnel n’ait pasatteint un point de non retour, l’em-ployeur accueille généralement avecsoulagement l’annonce par son col-laborateur de la mise en route d’unprocessus thérapeutique. Notre expérience montre qu’il estrelativement aisé de mobiliser l’em-ployeur lorsque l’usager y consent.Nous le soutenons alors dans lamise en place de dispositifs de pré-vention de la rechute négociés avecet en présence du collaborateurconcerné.L’employeur peut alors jouer un rôleprépondérant, notamment en: – préparant le retour sur la place

de travail (maintien ou change-ment du poste de travail, sensibi-lisation de la hiérarchie et descollègues au respect de l’absti-nence et aux difficultés quipourraient survenir ; évitementdes défis et paris stupides pourtester la résistance à l’alcool, …)

– activant un processus d’alarmeen cas de signes précurseurs ourévélateurs d’une rechute (êtrecapable de détecter les signesprécurseurs, d’en parler rapide-ment, de motiver la personne àrecontacter sans attendre le thé-rapeute voire de le faire à saplace si elle ne réagit pas,…)

– étant le témoin privilégié deschangements intervenus et enparticipant à la restauration del’estime personnelle (ne pas

manquer de relever les efforts,les changements intervenus,…)

En fonction de la petite taille decertaines entreprises, le patron estpresque un proche. A tel point qu’ilnous est parfois nécessaire de cad-rer son envie de bien faire. Les attitudes que nous dévelop-pons dans le travail avec les pro-ches sont alors pleinement appro-priées.

En conclusion

L’investissement en entreprise quenous sommes à même de fournir nesuffit pas à créer les conditions suf-fisantes pour que l’on mesure deseffets en terme d’interventions plusprécoces, plus nombreuses auprèsdes personnes en difficulté avecl’alcool.Par contre, les expériences enentreprise nous aident aujourd’huià mieux utiliser le potentiel d’aidede l’employeur dans le processus derétablissement.

Note1 source: recensement des entreprises valai-sannes réalisé en septembre 2001 par l’Officefédéral de la statistique.

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Le contexte institutionnel

Le Torry, Centre de traite-ment des dépendances,spécialisé en alcoologie,accueille en séjour rési-dentiel des hommes et desfemmes, aussi bien delangue française qu’alle-

mande. Le Torry propose deux pro-grammes de traitement: Le Post-sevrage accueillant des clients pourun séjour de cinq semaines ; LaRéinsertion succédant au Postsevragedans la mesure où le client en fait lademande et que cela s’avère indiqué.Les personnes accueillies ont des profilssocioprofessionnels très variés. Cela vad’une situation où l’aide sociale estimpliquée de longue date, à celle d’unepersonne ayant encore un travail et unevie sociale importante. Des disparitésapparaissent également en ce quiconcerne les cursus de formation. L’étatde santé connaît aussi des différencessignificatives, qu’elles soient directe-ment liées à la consommation d’alcoolou non.

Patrice Meyer,éducateurspécialisé etintervenantsystémique,responsable dusecteurPostsevrage auTorry.

Une pratique de réseau

Les séjours au Torry étant limités dansle temps et la limite supérieure rare-ment atteinte, il s’agit donc le plus sou-vent de séjours d’une durée entre cinqsemaines et quelques mois. La longueurd’un séjour n’est pas le seul critèrefavorisant la réussite d’une démarche.Cela d’autant plus quand le traitementd’une dépendance est conçu commes’inscrivant dans un processus. L’étatd’esprit qui prime au Centre peut serésumer de la manière suivante: aussilongtemps que nécessaire, mais pasplus. Cette perspective invite d’embléeà ne pas complètement couper lesclients avec la réalité quotidienne quiprévaut en dehors des murs du Centre.D’ailleurs l’attention est, dès le premiercontact, tournée vers l’après-séjour etle retour à la vie quotidienne.L’implication du réseau relève de cesouci et fait l’objet d’une réflexiondébouchant sur des entretiens de cou-ple ou de famille, des entretiens avecl’employeur, une participation lors desbilans, une invitation des proches à une

séance d’information Al-Anon, etc. Ence qui concerne les intervenants exté-rieurs impliqués dans l’accompagne-ment, le maintien du contact avec leursclients ou patients est vivement encou-ragé.

Le premier contact avant l’admis-sion

Le premier contact a le plus souventlieu par téléphone. Les personnes endifficulté appellent elles-mêmes ouc’est une tierce personne qui s’encharge (proches, médecin, assistantsocial, etc.). Ce contact porte sur unedemande de renseignement concer-nant les prestations offertes par leTorry et peut déboucher, ou non, sur unrendez-vous (entretien de présentationlibre de tout engagement). Il ne s’agitpas là d’une simple formalité, mais biend’un premier lien comportant diffé-rents enjeux: accueil et écoute, renfor-cement de la motivation, transmissiond’une information de qualité. En cesens, ce premier contact prend tout àfait place dans le processus thérapeu-tique lui-même et donne un aperçu desvaleurs dont Le Torry est porteur. Il estd’ailleurs important de se souvenir, entoute modestie, que le processus théra-peutique est souvent déjà amorcé bienavant que les intervenants du Torry nesoient contactés.Lors de l’entretien de présentation, laprésence de membres du réseau de lapersonne en difficulté avec l’alcool estvivement souhaitée. Cependant, si celan’est pas envisageable, il est malgrétout possible de leur faire une place enévoquant leurs réactions à cet entre-tien et au projet de traitement.

L’orientation de l’accompagnement

Plutôt que d’essayer d’imposer unmodèle de pensée et d’action, il s’agitde créer un contexte permettant auxclients de faire le point quant à leur vie.C’est une invitation active à s’engagerdans un processus de réflexion dont lerésultat ne peut être fixé à l’avance.Leurs projets de vie et la demanded’aide (forme et contenu) sont ainsi aucentre du travail d’accompagnement.

Permettre la libertéde choisir

Dans le rapport de l’employeur àl’employé qui souffre d’un problèmed’alcool, il est question de choix. Lechoix donné ou non de se faire aider,le choix d’accepter cette aide ou non.En présentant l’approche systémiquepratiquée au Torry, Patrice Meyerexplore les conditions qui permettentl’éclosion de la notion de choix, sisouvent symptomatiquement absentechez les personnes dépendantes.(Réd.)

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Les clients et les intervenants partici-pent à une entreprise commune deconstruction débouchant progressive-ment sur la définition du projet propreà chaque personne accueillie. Selon leniveau de maturation, ce projet entredans une phase de concrétisation lorsde l’élaboration des objectifs person-nels et de leur mise en œuvre.

Modèle de référence : de la pre-mière à la seconde cybernétique

Qui dit modèle de référence dit aussi unrapport au savoir. Notre époque estencore marquée par un certain positi-visme et sa prétention à fonder laconnaissance sur les seuls faits. Celasemble à prime abord intéressant, maiscomporte également des pièges.L’intervenant y est perçu comme abso-lument extérieur au phénomène qu’ilobserve ou traite. C’est ce que l’on peutvoir dans le modèle issu de la premièrecybernétique.

«La première cybernétique ou cyberné-tique du premier ordre étudie lesmoyens par lesquels les systèmes main-tiennent et changent leur organisation.L’observateur est extérieur et objectif, iln’a aucune influence sur ce qu’ilobserve, il n’est pas modifié par l’objetobservé. Dans le cas des systèmeshumains, le thérapeute-observateurpeut ainsi juger la dysfonction, lapathologie, le fonctionnement ou lesnormes du système. En se basant sur lesdonnées démontrant l’influence del’observateur dans l’observation scien-tifique, von Foerster affirme que l’ob-servateur fait partie de ce qui estobservé, car il prend part à sa construc-tion. L’observateur et l’observé formentainsi un système auto-observant. C’estce qu’on appelle la cybernétique dudeuxième ordre ou cybernétique de lacybernétique. La récursivité entre l’ob-servateur (le thérapeute) et l’observé(la famille), leur influence réciproque,est ce qui distingue la première cyber-nétique de la seconde.La cybernétique de second ordre vientainsi enrichir la théorie systémique en yajoutant la composante émotionnelleet l’intersubjectivité présentes dans lacircularité des relations humaines. »1

Ce concept de système auto-observant,dans la prise en compte du rapport del’observateur à l’observé et vice versa,ne se limite bien évidemment pas àl’accompagnement des familles. Cettenouvelle perspective, en introduisantl’intervenant dans « l’arène», va avoirun impact sur l’intervention elle-mêmeet la manière de se la représenter. Iln’est plus possible d’en parler tout àfait de la même façon. Ceci n’estd’ailleurs pas sans incidence sur le rap-port à la connaissance ou au fait mêmede savoir.

«Si nous sommes d’accord avec lesauteurs postmodernes pour dire que laréalité que nous «connaissons» est uneinterprétation limitée par nos tech-niques, nos a priori et par la constitu-tion même de notre système nerveux,nous constatons pourtant avecKorzybski qu’il existe bien une réalitéen dehors des cartes que nous utilisonspour nous orienter. «La carte n’est pasle territoire», mais il est utile que notrecarte soit aussi conforme que possible àla réalité dans laquelle nous nous mou-vons. »2

Ce n’est donc pas tant le constat del’impossibilité de tenir un discours surla réalité ou un phénomène que l’impli-cation concrète de celui qui l’énonce etde ses limites qui est à retenir.

La vision systémique du contexte

A la suite de ce qui vient d’être énoncéci-dessus, ce ne sera pas seulement unepersonne ou une famille qu’il fautreprésenter sur un schéma du contextede traitement, mais bien le systèmeauto-observant dans sa complexité sys-témique. Ci-dessous sont représentésles différents contextes impliqués dansune relation d’aide.

«Chacun de nous, en combinant cesdifférents facteurs, peut facilementcomprendre combien de systèmes rela-tionnels ou de croyances individuelleset sociales sont impliqués dans la plussimple consultation.Il est important de les avoir à l’espritdans chaque rencontre et de savoir àquel niveau de la complexité se placerdans chaque rencontre. »3

Dans la relation entre le client et l’in-tervenant, il convient donc de considé-rer les différents systèmes et niveauxen présence.

Il est bien évidemment pas possible d’a-voir en permanence tous ces aspects àl’esprit, mais essentiel d’être capable des’orienter parmi les différents niveaux.Cette vision prenant en considérationle client et l’intervenant donne un nou-veau relief à la relation4.

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L’association langage et contextedans l’élaboration du sens

Les mots et les concepts n’ont pas unsens arrêté une fois pour toutes. Unelangue évolue avec ceux qui l’utilisentet leur contexte. Selon De Shazer, lasignification se dégage d’une négocia-tion entre personnes utilisatrices dulangage dans un contexte donné. Ilprécise sa pensée à partir de certainstermes comme: «dépression», «pro-blème conjugal» et «problème indivi-duel».

«Ce que signifient ces termes est à lafois arbitraire et instable, c’est-à-direque leur sens varie en fonction de ceuxqui les utilisent et de ceux à qui ils sontadressés au sein d’un contexte donné.»5

Cette perspective s’inscrit pleinementdans la seconde cybernétique. Le sensne peut être transmis de façon sûre et

de manière unilatérale. Ceci est valableaussi bien pour une simple discussionque pour un entretien entre client etintervenant.

«Le contexte social, qui inclut le théra-peute et le client (ainsi que le cadredans lequel ils se rencontrent et, enplus, ce qu’ils se disent en réaction l’unpar rapport à l’autre) les aident tous lesdeux à construire ensemble un sens àpartir du dialogue. Selon Bakthine,«aucun énoncé en général ne peut êtreattribué au seul locuteur : il est le pro-duit de l’interaction des interlocuteurset, plus largement, le produit de toutecette situation sociale complexe danslaquelle il a surgi. »6

De Shazer adopte le terme de jeu de lan-gage pour qualifier un système completde la communication humaine. C’estdans les jeux de langage que les mots,les gestes, etc., prennent leur sens.

«Les jeux de langage sont des activitéspartagées et structurées culturellementqui sont centrées sur la façon dont lesgens utilisent le langage pour décrire,expliquer et justifier. Les jeux de lan-gage sont des activités par lesquellessont construites et maintenues lesréalités et les relations sociales. Lessignes (ou les actions) durant le jeuconsistent en phrases (ou signes), quielles-mêmes sont constituées de mots,de gestes, d’expressions faciales, depostures, de pensées, etc. Etant donnéqu’il s’agit ici d’un système complet enlui-même, tout signe particulier nepeut être compris que dans le contextedu modèle des activités qu’il englobe.Ainsi donc, le sens de chaque mot par-ticulier dépend entièrement de la façondont les participants au jeu de langageemploient ce mot. Si le contexte diffé-rait sensiblement, ce jeu-là ne seraitpas joué; il s’agirait d’un jeu totale-ment différent. »7

L’entretien mettant en présence unclient et un intervenant est donc cons-titué de jeux de langage. C’est à partirde ceux-ci que des glissements de senssont possibles. Les certitudes peuventainsi à nouveau être interrogées etdéboucher sur des modifications, ycompris au niveau du comportement.

«En premier lieu, parce qu’une signifi-cation suppose toujours une interpré-tation, les significations peuvent chan-ger. En deuxième lieu, les thérapeutescentrés sur les solutions considèrentque tous les jeux de langage contien-nent des hypothèses tenues commeallant de soi par les « joueurs» eux-mêmes. Une stratégie pour changer nosinterprétations et celles des autres est,dès lors, de rendre explicite ces hypo-thèses allant de soi. Cette stratégietransforme les hypothèses en choix. Il ya maintenant des sujets dont nous pou-vons parler, que nous pouvons laissertomber, modifier ou maintenir. »8

Du langage des problèmes à celuides solutions

Le reproche est parfois adressé auxintervenants de prêter plus d’attentionaux problèmes rencontrés par les

Permettre la liberté de choisir

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clients qu’à leurs ressources et compé-tences. Si cela s’avère être le cas, cen’est pas sans risque.

«En tant que thérapeutes, nousinfluençons fortement, au cours del’entretien, la perception et l’idée quese font les clients de leur situation. Ce àquoi nous choisissons de nous intéres-ser, ce que nous choisissons d’ignorer, lafaçon de formuler nos questions, le faitd’interrompre le client ou de restersilencieux, tout cela participe à l’imageque le client se construit de sa situa-tion.»9

En reprenant la notion de jeu de lan-gage s’inscrivant dans une relation encours, il est évident que de mettre l’ac-cent prioritairement sur le problèmeou sur la solution entraîne un effetdifférent. Il est vrai que dans les for-mations suivies par les différentsintervenants une place importante estfaite à la définition du problème. Cettemanière de procéder induit que leclient a le problème et l’intervenant lasolution sous forme d’une action répa-ratrice. Les tenants de l’approche cen-trée sur la solution pensent qu’il estpréjudiciable de trop attacher d’im-portance aux problèmes, de par le faitmême qu’ils monopolisent ainsi l’at-tention. Si, au contraire, l’intérêt seporte sur les solutions, les problèmesperdent de leur impact. De plus, l’éner-gie est alors disponible pour êtreinvestie dans la recherche de ce quipeut mener à une solution. Cela neveut toutefois pas dire que le choix dese centrer sur les solutions amène àexclure ou encore à nier les problèmes.La définition du problème conserveune certaine utilité. En effet, la visiondu problème que chacun a à l’esprit vafortement influencer ce qui seraentrepris de part et d’autre. L’ex-ploration du problème permet, en plusd’alimenter la réflexion de l’interve-nant, de créer le contact avec le clientà partir de ce qui motive sa démarche.Cela représente l’immense avantagede construire une relation empathiqueet de fournir peut-être déjà des exem-ples où le problème ne s’est pas mani-festé, ou que partiellement.L’exploration du problème peut alors

servir de tremplin à une démarche versdes solutions, c’est là que réside sonintérêt.

L’utilité du repérage des différentsniveaux de la relation

La principale utilité que comporte lefait de repérer un niveau dans la rela-tion, entre le client et l’intervenant, estde permettre d’y adapter l’intervention.

«Nous avons trouvé qu’identifier letype de relation qui existe entre leclient et le thérapeute aide à détermi-ner l’intervention thérapeutique qui ale plus de chance d’aboutir à unecoopération et une participation crois-santes du client dans le processus thé-rapeutique et, par voie de conséquence,à une diminution de la longueur dutraitement.»10

Il ne s’agit pas d’un gadget thérapeu-tique, mais bien de créer les prémices

d’un travail en commun. Prendre encompte le client et l’intervenant dans lecadre de la relation qu’ils établissentest en accord avec le modèle de réfé-rence retenu ici. Un autre aspect inté-ressant de cette perspective est de per-mettre de suivre l’évolution de la rela-tion en continuant à y adapter l’inter-vention.Il convient de préciser qu’il ne s’agit pasde porter un jugement sur les person-nes en présence, mais bien d’évaluerune relation. Mieux savoir où l’on sesitue limite également le risque defrustration de part et d’autre.La présentation des niveaux de la rela-tion sous la forme d’un schéma qui estretenue ici est celle élaborée par CabiéM.-C. et Isebaert L. (1997). Elle pré-sente l’immense avantage de permet-tre d’établir un lien dynamique entreniveau de la relation, la deman-de/besoin/ressources du client et lesréponses possibles de la part de l’in-tervenant.

Arbre de décision

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Problème ou limitation

Quand une difficulté se présente etqu’une solution est envisageable, il s’a-git alors d’un problème à résoudre. Al’inverse, si aucune solution n’est possi-ble, la difficulté peut-être considéréecomme une limitation avec laquelle ilfaut vivre («faire avec»). La recherchede solutions est donc réservée aux pro-blèmes. Dans les faits, la plupart desdifficultés sont composées d’une partde limitations et d’une autre faite deproblèmes.

«Ne pas confondre limitation et pro-blème permet de centrer son attentionet son énergie sur la résolution desconséquences de la limitation, consé-quences qui constituent des problè-mes.»11

Demande d’aide, ou non ?

La relation entre le client et l’interve-nant va être grandement influencéepar la réponse apportée à cette ques-tion. Sans demande d’aide, aucun man-dat n’est confié à l’intervenant, niremise en question envisagée. A vouloirbrûler les étapes et agir comme si lademande existait, il y a risque de blo-quer la situation et même de la voir secristalliser. Il est nécessaire de d’abordposer les premiers jalons d’une relationet seulement ensuite prospecter afin derepérer une éventuelle demande d’aidelatente. Qu’elle que soit la façon deprocéder, il s’agit toujours d’amener leclient à effectuer un glissement de per-spective et à envisager un élargisse-ment des possibilités.

Demande d’aide « travaillable », ounon ?

Une demande d’aide n’est «travail-lable» que si elle peut être convertie enobjectifs opérationnels. Si ce n’est pasle cas, la demande d’aide demeurevague et mal définie (impossibilitéd’obtenir des précisions, accumulationde difficultés, etc.), auto-annulatrice(abandon de sa part de responsabilitéet ressources attribuées à autrui,accent mis sur le caractère inéluctable

et incontrôlable de ce qui survient) ouporte sur un problème imputé à uneautre personne (raisonnement quiconsiste aussi à faire dépendre d’autruila solution). A ce niveau de la relation,il convient de développer une demanded’aide permettant d’aboutir à la défini-tion d’objectifs précis auxquels peu-vent adhérer le client et l’intervenant.

Le bon usage des ressources

A ce niveau de la relation le client a unedemande d’aide «travaillable», mais nesait pas comment s’y prendre. Il a assu-rément les ressources nécessaires sanspour autant être en mesure de s’en ser-vir. S’il est disposé à suivre et à mettreen œuvre ce que l’intervenant conseille,il s’avère par contre dans l’incapacitéd’élaborer sa propre stratégie. A ceniveau de la relation, il s’agit donc destimuler les capacités d’autothérapiedu client.L’étape suivante et dernière étape duprocessus relationnel consiste pour l’in-tervenant à aider le client à appliquersa propre stratégie. Le principal risqueest que l’intervenant accepte mal cetteautonomie et qu’il cherche à modifiercette stratégie. Une telle attitude estdisqualifiante et donc inadéquate.

Affiliation et résistance

C’est à l’intervenant qu’il appartient decréer un climat relationnel lui permet-tant de s’affilier au client. Pour cela, ildoit être capable de se montrerauthentique, empathique et avoir lesouci du bien-être du client. Le respectdes valeurs, des convictions et opinionsde son vis-à-vis, même s’il ne les par-tage pas, s’inscrit dans cette dyna-mique. L’affiliation ne peut d’ailleursjamais être considérée comme définiti-vement acquise, elle doit donc êtrerenouvelée en permanence. Ce climatrelationnel constitue la base même dela coopération entre l’intervenant et leclient, mais il est encore nécessaire quece dernier confie à l’intervenant unmandat (demande d’aide). Une fois cemandat obtenu, il convient d’établir lacircularité des mandats afin que leclient puisse utiliser ses ressources etdévelopper ses compétences.

«D’une part, le thérapeute doit êtreaccepté comme l’expert, celui qui sait,celui qui peut aider, et dont le patientacceptera l’aide. D’autre part, il use decette position pour constamment met-tre le patient en position d’expert,chercher ses compétences et donnerson aval à ses solutions. C’est dans ceva-et-vient, dans cette circularité demandat que le thérapeute se faitconfier pour pouvoir le rendre, que seconstitue la spirale vertueuse qui aug-mente les capacités du patient et dusystème à résoudre leurs propres diffi-cultés. »12

Travailler à obtenir un mandat est doncune tâche essentielle revenant à l’inter-venant. C’est une condition afin d’êtreen mesure d’accompagner le client. Sil’intervenant ne se voit pas confier demandat, faut-il pour autant parler derésistance? Dans cette perspective leterme de résistance est abandonné auprofit de celui d’information pertinentedevant servir à réorienter l’interven-tion.

Choisir de choisir

La position adoptée ici est celle quiconsiste à concevoir l’objectif de l’in-tervention comme étant de rendre auclient sa liberté de choisir. La dépen-dance à un produit est marquée par lenon exercice de cette liberté, aussi bienau niveau du sens que le client attribueà sa situation qu’au niveau de sa façond’agir. Ce non exercice de la liberté dechoisir n’est cependant pas du mêmeordre que les représentations et com-portements attribués au conformismeou aux habitudes. En effet, de par l’é-ducation et les apprentissages, ils sesont mis en place et nous évitent ainside devoir choisir. Il s’agit d’ailleurs làd’une faculté indispensable à la gestiondu quotidien par exemple.

«En quoi ces comportements que nousne choisissons plus sont-ils différentsdes comportements symptomatiques?La réponse se situe à un niveau logiqueau-dessus de celui du simple choix. Cescomportements habituels et automati-sés, nous choisissons de ne plus leschoisir, de ne plus les soumettre au

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choix. Quant aux comportementssymptomatiques, nous les agissons, nonseulement sans avoir l’impression de leschoisir, mais aussi en ayant la convic-tion que nous ne pouvons pas choisirde ne pas les choisir.Vu sous cet angle, l’objectif de la théra-pie est alors d’aider nos patients àpouvoir choisir de choisir, à se sentirlibres à nouveau d’exercer ou non leurlibre arbitre. Telle nous semble être lacondition nécessaire et suffisante pourqu’ils parviennent à abandonner leurssymptômes.»13

«Dès lors, notre objectif en tant quethérapeute n’est pas de changer lespatients mais de les mettre dans uncontexte où ils pourront choisir dechanger. Il ne suffit pas de leur offrir oude suggérer des alternatives à ce qu’ilsvivent. Nous les entraînerions alorsdans une relation de dépendance oùpour toute décision, tout choix, ils sesentiraient obligés de venir nousconsulter. Il s’agit que les patients puis-sent reprendre la direction de leur vieet la mener dans une direction satisfai-sante. »14

Il s’agit de remettre en marche un pro-cessus qui consiste à être placé ensituation de choisir de choisir. Laresponsabilité de l’intervenant est alorscelle de créer un contexte où ce pro-cessus peut voir le jour. Il appartientensuite au client de décider d’exercerou non son libre arbitre. Dans le cas oùil décide de le faire, cela va avoir desrépercutions aussi bien sur la carte qu’ilutilise pour s’orienter dans la réalitéque dans les actes qu’il pose.

Une éthique de la pratique

Il est vain de vouloir faire le bonheurd’autrui contre son gré. Faire sien ceconstat implique des conséquences,aussi bien au niveau du regard que l’onporte que de la pratique profession-nelle. Dans les professions d’aide, ilexiste fréquemment la tentation de se

substituer à autrui et à avoir ainsi laprétention de savoir ce qui convient àune autre personne. Il est toujours pos-sible d’arguer du fait que nous n’allonspas chercher ceux qui font appel à nosservices. Ils viennent de leur bon vou-loir, malgré une pression très variableexercée par le contexte. Il ne fautcependant pas en déduire qu’il s’agitpour autant toujours d’une demanded’aide. C’est un raccourci qu’il faut évi-ter sous peine de méprise quant auniveau de la relation. En effet, cettedemande porte parfois uniquement, audépart, sur le souhait de ne plus subirles inconvénients liés à la consomma-tion. Il s’agit alors plus d’une demanded’intervention extérieure réparatriceayant la faculté d’éliminer quasi magi-quement ce qui dérange et fait souffrir.L’assimilation d’une addiction aumodèle de la maladie somatique s’avèrealors piègeante. Il est donc nécessaireque l’intervenant accepte de reconnaî-tre la diversité des demandes et soitcapable d’en tenir compte.Au Torry, l’intervention va se situer à lacroisée entre une perspective orientéevers la stimulation à choisir de choisiret la prise en compte du niveau de larelation. L’intervenant assume ainsison rôle de créateur de contexte faci-litant la démarche du client tout enrespectant sa situation. S’il est bienl’expert en relation d’aide, il estindispensable qu’il reconnaisse que leclient est assurément celui de sa pro-pre démarche. D’ailleurs, la créationd’un contexte permettant au client dechoisir de choisir ne peut prendreforme de la même manière à tous lesniveaux de la relation. C’est là ques’exerce la compétence de l’interve-nant. S’il y réussit, il y a alors progres-sivement coopération et constructiondébouchant sur des objectifs et leurmise en œuvre.Cette perspective repose sur un choix :celui de considérer le client comme unepersonne ayant des ressources et descompétences, donc comme capabled’être actif dans son propre traitement.

Notes1 Villeneuve Cl., Toharia A. (1997), Lathérapie familiale apprivoisée, Erès,p. 54.2 Cabié M.-C., Isebaert L. (1997), Pourune thérapie brève, Erès, p. 29.3 Laurent M. (2000), La systémique dansle service public : bien plus qu’uneaffaire de thérapie familiale, ThérapieFamiliale, Vol. XXI, no. 4, pp. 365-366.4 Laurent M. (2000), La systémique dansle service public : bien plus qu’uneaffaire de thérapie familiale, ThérapieFamiliale, Vol. XXI, no. 4, p. 367.5 De Shazer S.(1999), Les mots étaient àl’origine magiques, Satas, p. 12.6 De Shazer S.(1999), Les mots étaient àl’origine magiques, Satas, pp. 71-72.7 De Shazer S.(1996), Différence, Satas,pp. 86-87.8 Miller G., De Shazer S. (2001), Avez-vous entendu la dernière à propos de… ?La thérapie brève centrée sur les solu-tions en tant que rumeur, Thérapie Fami-liale, Vol. XXII, no. 3, p. 302.9 O’hanlon W. H., Weiner-Davis M.(1995), L’orientation vers les solutions,Satas, p. 62.10 Berg I. K., Miller S. D. (1998), Alcool,une approche centrée sur la solution,Satas, p. 40.11 Cabié M.-C., Isebaert L. (1997), Pourune thérapie brève, Erès, p. 118.12 Cabié M.-C., Isebaert L. (1997), Pourune thérapie brève, Erès, p. 83.13 Cabié M.-C., Isebaert L. (1997), Pourune thérapie brève, Erès, p. 31.14 Cabié M.-C. (1998), Thérapie systé-mique brève : choix et solutions, Théra-pie Familiale, Vol. XIX, no. 3, p. 286.

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Le nombre de personnesayant une dépendance àl’alcool est évalué par lesorganismes spécialisésentre 5% et 8% de lapopulation adulte. Cepourcentage s’applique à

notre institution.L’alcoolisme a des conséquencesimportantes sur le plan de la santépublique. L’abus d’alcool entraîne àlong terme des problèmes gravespour l’individu et son entourage.Cette maladie touche non seulementla sphère privée de l’individu maiségalement sa sphère professionnelle.En 1990, consciente de ce problème,la Direction Générale de l’HôpitalCantonal a émis le souhait qu’un pro-gramme de prévention et d’interven-tion en matière d’alcool soit élaboré.C’est ainsi qu’est né le GRAAL, Groupede Réflexion et d’Action en matièred’ALcoolisme, nom qui par ailleursfait allusion à la quête allégorique duGraal par les chevaliers de la Tableronde. Ce groupe a comme objectifs majeursde proposer un cadre thérapeutiqueaux collaborateurs malades alcoo-liques et de créer une véritable cul-ture d’entreprise autour de la préven-tion des conséquences de la maladie

Florence Burri,responsabledesinfirmières ensantépubliques auxHUG etprésidente duGRAAL

alcoolique. Il met en place et déve-loppe un programme afin de permet-tre aux collaborateurs malades alcoo-liques de conserver leur emploi, derestaurer leur santé et de diminuer lesrisques d’être victime ou auteur d’ac-cident. Le principe de base du pro-gramme GRAAL s’articule autour de lanécessaire implication de la hiérarchie

directe. Celle-ci doit prendre sesresponsabilités en identifiant les dys-fonctionnements, en les signalant aucollaborateur en difficulté, ainsiqu’aux ressources humaines. Cettedynamique permet d’éviter les com-portements complaisants des équipesvisant à excuser celui qui dysfonc-tionne en exigeant plus des collègues.

L’expérience du GRAAL ou lesuccès d’un programme

de prévention en entreprise

Photo Interfoto

La diversité des approches, l’implication de différents acteurs, larépétition des messages, autant d’éléments qui expliquent lesuccès des programmes mis en place par le GRAAL dans leshôpitaux de Genève. Un site Intranet, où chacun peut s’interrogersur sa consommation d’alcool, est venu récemment compléterl’offre existante. Panorama. (Réd.)

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ment professionnel de la personnealcoolique pour en faire un lieu desoutien en étroite relation avec lesdifférents intervenants, au-delàmême du cadre professionnel. Elle nese substitue jamais à une thérapie,même si elle met au centre de sonintérêt le rapport de dialogue avec lapersonne souffrant d’alcool. Sonaction se manifeste là où le théra-peute n’agit pas ou n’agira jamais, cequi en fait la force du GRAAL.

Si la première raison du succès duGRAAL repose sur la volonté de laDirection d’avoir mis en place unepolitique d’entreprise face à la per-sonne malade alcoolique et de conser-ver cette volonté au fil des ans, il fautinsister sur la cohérence de l’institu-tion qui se veut crédible vis-à-vis descollaborateurs ne souhaitant pas seprendre en charge, en osant aller jus-qu’au licenciement.Que dire du rôle et de la place impor-tants des infirmières de santé publique(ISP)? C’est assurément nécessaired’avoir des rouages en place maisencore faut-il en assurer le mouve-ment. Car, sans ce mouvement, toutepolitique adoptée n’est utile que sur lepapier. En comprenant l’importanced’un véritable chef d’orchestre aucœur de la démarche, capable de dia-logue avec tous les intéressés (hiérar-chies, responsables de ressourceshumaines, médecins traitants, lieux decure spécialisés et familles), et enimputant ce rôle aux ISP, le comitéGRAAL non seulement s’est forgé ladynamique nécessaire à son actionmais encore en a assuré la pérennité.

La composition même du ComitéGRAAL intègre des entités-clés ettrès impliquées dans l’entreprise(membre de la Direction, syndicalisteformé en alcoologie, médecin-alcoologue, médecin d’entreprise,hiérarchie et ISP) ce qui a pourconséquence d’asseoir une réelledimension opérationnelle et de don-ner au sein du comité une expertisereconnue autant par les divers parte-naires internes qu’externes.En y ajoutant le soutien offert à l’é-quipe des personnes dépendantes

Elle incite surtout les collaborateursen difficulté à se prendre en charge età résoudre leurs problèmes avec l’al-cool grâce au soutien des infirmièresde santé publique du personnel quiassurent le suivi du collaborateur et lacoordination entre les différents par-tenaires internes et externes aux HUG. Au retour du traitement, un contrat«GRAAL» est défini et signé par lecollaborateur et les HUG; il permetde fixer les engagements pris de partet d’autre, ainsi que les moyens desoutien offerts au collaborateur. D’un côté le collaborateur s’engage àse soigner et à régler ses dysfonction-nements, de l’autre l’institution s’en-gage à lui offrir les moyens nécessai-res à son rétablissement. A ce jour,une centaine de personnes ont déjà

bénéficié de ce programme, dont lamoitié est rétablie à 2 ans. La devisedu GRAAL pourrait être résuméeainsi : «Ni accuser, ni excuser».

L’originalité du programme GRAAL

L’originalité de la démarche résidedans le fait d’agir sur l’environne-

de l’alcool sous contrat GRAAL, lefonctionnement même de cecontrat, la pluridisciplinarité dansles actions menées et le polymor-phisme de ces actions (prise encharge et soutien individuels, coor-dination des partenaires médicaux,sociaux, ressources humaines ethiérarchies, séances de sensibilisa-tion, formation des cadres), oncomprend l’impact et les résultatsd’un tel programme.

Son développement et son évolu-tion

A la demande de la Direction del’Hôpital Cantonal (HC), le grouped’étude est constitué en 1990 et avaitpour mission de définir une politiquede prévention de l’alcoolisme enentreprise, de créer et mettre enplace un programme d’interventionet une formation des cadres.Entre 1990 et 1992, la politique d’en-treprise en matière d’alcool proposéepar le GRAAL, ainsi que le programmed’intervention sont acceptés par laDirection de l’Hôpital Cantonal. Dansdeux secteurs pilote la démarche esttestée avec succès et les actions duGRAAL sont alors étendues à l’ensem-ble de l’HC.Entre 1993 et 1995, une nouvelle for-mation est créée et mise à dispositiondes cadres.En 1995, le groupe devient un comitéet est mandaté par la Direction géné-rale de l’HC pour continuer sesactions de prévention et d’aide auxcollaborateurs souffrant de la mala-die alcoolique, de conseils et appuis àla hiérarchie et de formation du per-sonnel d’encadrement.Le programme GRAAL, en 1999, est àla demande de la Direction étendu àl’ensemble des HUG.Dès 2001, le GRAAL décide de déve-lopper parallèlement à ses actionsd’aide au collaborateur maladealcoolique, l’axe de la promotion de lasanté par la mise sur pied de diversprojets visant à agir en amont de lamaladie, avant la maladie alcoolique;ceci notamment par des informationsau personnel non-cadre sur les effetset risques de l’alcool.

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nence, elle se situe dans la reconnais-sance acquise et par les nombreusesdemandes de conseils ou d’interven-tions (entreprises ou institutions,médecins du travail, particuliers).

Perspectives

L’action du GRAAL se fait au sein del’institution et ne prend en chargeque les cas de maladie alcooliquedéclarés, souvent lors de dysfonc-tionnements à la place de travail. Onpourrait s’attrister d’une telle réalitéarguant le fait d’une interventiontardive. On voit mal pourtant com-ment intervenir officiellement auprèsd’une personne sans griefs précis etsur le terrain hautement sensible dela liberté individuelle. Et l’idée n’estpas d’encourager une délation ou unetraque de la personne malade alcoo-lique mais de faire évoluer chacunvers une plus grande maturité face àl’alcool et développer une meilleureconnaissance des moyens d’aide àdisposition dans l’institution. C’est àce propos que le GRAAL a développéun projet d’une action préventiveaxée sur les consommateurs excessifs.

On retient ainsi les trois perspectivessuivantes :

– continuer à former les cadres(nécessité due au renouvellementdes cadres)

– continuer et développer les infor-mations au personnel non-cadre

– rendre opérationnel le projet depromotion de la santé: interven-tion brève auprès des collabora-teurs consommateurs excessifs.

En conclusion, on retiendra le carac-tère original de la démarche duGRAAL, visant à prendre en charge lapersonne malade alcoolique au seinde l’institution par le biais d’unepolitique claire et opérationnelle. Saforce est dans son approche plura-liste et une meilleure intégration desdivers partenaires concernés par laréalité de la maladie alcoolique. Onne peut sous-estimer l’importancede la hiérarchie et des ressourceshumaines dans cette démarche et laplace particulière tenue par les infir-mières de santé publique, ainsi quele soutien indispensable assuré parla Direction. L’expérience et ladémonstration de cette démarcheau cours du temps, même si ellereste perfectible, en font une réfé-rence et un modèle intéressant cer-tainement applicable à d’autresentreprises.

Cette action a notamment permisaux HUG d’obtenir le label OMS:Hôpital Promoteur de santé.L’année 2003 a vu naître un site Webintranet interactif GRAAL, présentantle programme GRAAL, sa mission, sesactions, ainsi que les personnes deréférence en la matière. Enfin, il per-met à chaque collaborateur de testeranonymement sa consommationd’alcool et de recevoir des conseils desanté adaptés à sa consommation età sa personne.

Principaux résultats

Sous un angle quantitatif, on peutconstater que, de 1991à 2002, 100collaborateurs dépendants de l’alcoolont bénéficié du contrat GRAAL avecun taux de rémission à 2 ans de 50%.

Dans une perspective plus qualitative,on relève les bénéfices implicitescomme permettre au collaborateurmalade alcoolique de conserver sonemploi, de restaurer sa santé, dediminuer les risques d’accident etl’absentéisme.

Quant à l’aura plus élargie du pro-gramme et de son expertise à l’exté-rieur des HUG, soulignant sa perti-

L’expérience du GRAAL ou le succès d’un programmede prévention en entreprise

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Jean-MarcBellagamba,médecin dutravail à CIMO,Compagnieindustrielle deMonthey SA

Problèmes d’alcoolau travail : le point de vued’un médecin d’entreprise

Quel est le rôle du médecin d’entreprise dans laprévention des dépendances? A quels problèmesspécifiques est-il confronté? La réflexion de Jean-MarcBellagamba démontre le bien-fondé d’une interventionprécoce, qui engage chaque employeur à exercer sesdroits et devoirs en la matière. (Réd.)

La pratique de médecintraitant, puis celle demédecin du travail sontdeux expériences profes-sionnelles riches et inté-ressantes qui ouvrentdeux

approches différen-ciées des dépen-dances et des toxi-comanies. L’impor-tance du rôle édu-catif et préventifn’est pas compara-ble sous ces deuxfonctions. A monavis, l’interventiondu médecin traitantse situe essentielle-ment au niveau ter-tiaire et en partieau niveau secondaire de la préven-tion, alors que le rôle du médecin dutravail se veut résolument placé auniveau de la prévention primaire eten partie moindre au niveau de laprévention secondaire. Ce niveau dif-férencié d’intervention peut s’expli-quer en partie pour différentes rai-sons: d’une part, la souscriptionspontanée, volontaire et motivéedans le temps à un plan de préven-tion fait de limites, de contraintes,voire d’interdits n’est pas évidente àintégrer dans des règles de vie ; d’au-tre part, le médecin traitant rend des

décisions d’inaptitude au travail alorsque le médecin du travail doit éva-luer l’aptitude à réaliser certainestâches de travail ; par ailleurs, iltombe sous l’évidence qu’il est plusfacile d’aborder un problème d’abus

de substances ou dedépendance dans unservice de médecine dutravail que dans uncabinet privé, le seuléclairage du travail lejustifiant. Comme celavient d’être dit, si l’ap-proche initiale est plusaisée ou confortable, iln’en pas de même pourprovoquer le passage austade cognitif et versune démarche théra-peutique; le plus sou-

vent, ce n’est qu’après une sanctionadministrative pour faute profes-sionnelle grave et afin d’éviter deperdre son emploi qu’un collabora-teur décide d’entreprendre unedémarche thérapeutique.

Historique du site chimique deMonthey et toxicodépendances

Le site chimique de Monthey estplus que centenaire : son identité achangé à plusieurs reprises, celle quireste encore aujourd’hui la plus

ancrée dans les esprits est «La Ciba».C’est sous cette direction qu’en1976 a été développé et mis enplace un programme de préventiondes dépendances en milieu profes-sionnel, programme pour l’époquenovateur et ambitieux. Depuis, ladonne a changé dans le monde éco-nomique et industriel : comme par-tout, la grande «Ciba» a été l’objetde fusions, de restructurations ; cetenchaînement de modificationsd’organisations et du paysageindustriel de Monthey s’est accom-pagné de son lot de questions, d’in-certitudes et de priorités à gérer.Dans ce climat particulier, les res-sources sont davantage consacréesaux activités purement opération-nelles visant la vie ou la survie desentreprises, plutôt qu’au problèmedes dépendances où la préventionprimaire fait place à la gestion dessituations de crises. C’est pourtantbien dans ces périodes plus difficilesque l’investissement de temps et demoyens ainsi que l’engagement desentreprises devraient être les plusmarqués, car ces moments sont sou-vent emprunts de souffrancesmorales et accompagnés de leurcortège de maladies et de déviationscomportementales. Qu’elles le revendiquent ou le réfu-tent, les entreprises ont un rôle et undevoir social à jouer envers l’individu

Deux fonctions, deuxapproches ?

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et, au-delà, envers le pays : ellesreprésentent un lieu et un espacetemps privilégié d’échanges, d’ac-compagnement, de formation et desensibilisation; c’est un endroit idéalpour implanter des programmes dedépistages de maladies ainsi que descampagnes d’information. Les direc-tions du site chimique de Montheyont cette conscience: le programmede prévention développé en 1976 vaprochainement reprendre sa justeplace.

Au sujet de certains facteurs derisque

La mondialisation très présenteentraîne un accroissement des atten-tes en matière de performance et deproductivité : l’optimisation des pro-cédés de fabrication, les change-ments d’organisation ne suffisent pasà garantir un bon niveau de compéti-tivité des entreprises ; ce qui est mal-heureusement parfois oublié, c’estque le résultat passe obligatoirementpar les travailleurs, leur investisse-ment personnel, leur degré de moti-vation et de compétences, mais aussileur santé et leur «présentéisme»;cet engagement quotidien devientlui-même un important facteur de

stress contre lequel le travailleur vadevoir développer des stratégies delutte. Au regard des chiffres avancésen terme de dépendances, quelleentreprise ayant des vues et une stra-tégie dépassant le court terme a lesmoyens d’ignorer ce fléau social?

Quelles difficultés en médecine dutravail ?

Pour prendre un exemple de situa-tion possible à Monthey, sur quel cri-tère un médecin va-t-il décider qu’untravailleur, opérateur en chimie, estapte ou inapte à piloter une installa-tion, dont on sait qu’elle présente desdangers particuliers? En cas de suspi-cion d’imprégnation alcoolique, fau-dra-t-il prendre position en fonctionde la réactivité pupillaire, de la qua-lité de l’haleine, des résultats obtenusà une épreuve d’équilibre, du niveaude réussite à un test praxique (exécu-tion volontaire de mouvements plusou moins complexes), mental…sachant qu’aucun de ces examens n’ade valeur précise quant au niveaud’imprégnation alcoolique. Faut-ilalors décider d’une inaptitude dans ledoute, avec en conséquence poten-tielle des sanctions administrativessecondaires qu’encourt le travail-

leur? Ou vaut-il mieux décider d’uneaptitude, au risque de compromettrele niveau de sécurité du travailleurlui-même, de ses collègues, desinstallations? Faut-il prendre enconsidération le niveau d’entraîne-ment à la consommation de boissonsalcoolisées dans l’interprétation sub-jective qu’il faut rendre en touteresponsabilité? Faut-il se donner desmoyens objectifs d’évaluation?

Droits et moyens d’interventiondes entreprises

Les employeurs ont donc enversleurs employés des devoirs enmatière sociale, mais ils ne peuventles remplir en l’absence de moyenset de droits. Dans le domaine desabus de substances, les lois chan-gent d’un pays à un autre; le cadrelégal peut parfois paraître flou ouimprécis. Certaines entreprises réali-sent des tests de dépistage (mesuredu taux d’alcool par analyse de l’ha-leine ou recherche de drogues illé-gales dans les urines). Ces procédu-res sont extrêmement controversées,y compris entre les spécialistes eux-mêmes, qu’il s’agisse de juristes, demédecins, de responsables de res-sources humaines, d’employeurs. Il

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n’est pas question d’ouvrir le débatdans cet article, mais de susciter uneréflexion qui peut se décliner auniveau du dépistage systématique,ciblé ou aléatoire. Dans les obliga-tions faites aux travailleurs, l’article11 de l’Ordonnance sur la préventiondes accidents stipule : «Le travailleurne doit pas se mettre dans un étattel qu’il expose sa personne ou celled’autres travailleurs à un danger.Cela vaut en particulier pour laconsommation d’alcool ou d’autresproduits enivrants». Dans l’article 2de la même Ordonnance, «L’em-ployeur est tenu de prendre pourassurer la sécurité au travail, toutesles dispositions et mesures de pro-tection qui répondent aux prescrip-tions de la présente ordonnance…»;le fait d’être sous l’emprise d’alcoolou de drogues peut être un motifd’inaptitude temporaire, mais latoxicodépendance doit être recon-nue comme une maladie curable.Pour un employeur, entre passivitécoupable et complice, et chasseouverte aux abus de substances, ilest tout à fait possible de s’engagerdans une position intermédiaire,responsable et respectueuse: pour yparvenir, il est indispensable de s’endonner les moyens, par la publica-tion d’une politique et d’un règle-ment d’entreprise univoques, ens’assurant la collaboration de spé-cialistes et en s’entourant d’unréseau social suffisant capable d’as-sistance ou d’accompagnement. Uneattitude répressive ne peut êtreacceptée qu’en dernier recours aprèséchec des autres démarches.

Rôles et devoirs des cadres enmilieu du travail

La pression du temps, le besoin deconsommer, juste retour de l’investis-sement sur travail, l’énergie dépenséeà résoudre nos propres préoccupa-tions, nous éloignent les uns des aut-res. Cet individualisme croissant, s’iln’est pas nécessairement source deconduites dépendantes, est parcontre certainement un frein àl’identification des problèmes ainsiqu’à la volonté d’une prise en charge

précoce. Notre devoir moral d’ac-compagner ou d’aider nos proches etnos amis est également le devoir detout cadre ayant une responsabilitéde conduite de personnel : il ne s’agitcertainement pas de vouloir s’immis-cer dans la vie privée de ses collabo-rateurs ou de se substituer à l’assis-tante sociale ou au médecin, maissimplement d’exécuter chacun à sonniveau de responsabilité la mission etles devoirs de l’entreprise. Cette par-tie du cahier des charges d’un cadredemande du courage, de l’énergie, dela compassion ou de l’empathie, par-fois de la fermeté, mais c’est biensous la conduite de tels cadres que lenombre d’interventions est le plusréduit : l’esprit de solidarité et lesrésultats y sont souvent de hautniveau.

Au su du partage du travail

Prendre et assurer son rôle dans ledomaine de la prévention, de la pro-tection et de la promotion de lasanté, présenter ainsi une imaged’entreprise socialement responsablene peut être que propice au dévelop-pement d’un climat social favorableet au sentiment de sécurité et debien-être. Présenter une politiqued’entreprise transparente et sansparadoxe, c’est renforcer sa crédibi-lité : comment peut-on honnêtementfixer des objectifs de sécurité à zéroaccident sans se préoccuper des abusde substances alors que les statis-tiques font état d’un accident du tra-vail sur cinq lié à la consommationd’alcool, sans parler des accidents liésà la consommation d’autres psycho-tropes? Est-il acceptable de deman-der à ses collaborateurs de redoublerd’efforts pour compenser la défec-tion d’autres travailleurs dont l’ab-sence découle d’une consommationdéviante de substances, voire d’unedépendance, sans même leur(se)donner les moyens de se(les) soigner?

Rappel de la nécessité d’une inter-vention précoce

Qu’il s’agisse d’un problème dedépendance, de conduite de person-

nel, de sécurité ou d’hygiène au tra-vail, seule une identification et uneintervention précoce restent les prin-cipales sources de réussite d’unerésolution efficace. A contrario, levieillissement sauvage de situationscomportementales déviantes finitpar être interprété par leurs acteurscomme une caution implicite et doncun droit et va tendre vers l’émer-gence de maladies psychiques, phy-siques et sociales, entraînant secon-dairement des absences répétées deplus ou moins longues durées et àterme les risques de rupture avec lemonde professionnel, celui d’éclate-ment de la cellule familiale et au-delà celui de désinsertion socialecomplète.

Les résultats

Malgré l’absence de statistiques fia-bles et le manque de recul par rap-port à mon expérience profession-nelle, les résultats de démarches thé-rapeutiques dans le domaine desdépendances me paraissent sensible-ment meilleurs quand leurs initia-tions sont réalisées à partir du milieudu travail. Il existe probablement deschiffres à ce sujet ; si tel n’était pas lecas, il semblerait très intéressant d’enfaire l’étude.

Conclusion

Pour ceux qui l’ont vécu, d’Homme àHomme, il est très difficile de dépas-ser le non-dit, le tabou du problèmedes dépendances. Cette situationparaît identique au niveau des entre-prises qui ne peuvent que difficile-ment reconnaître que 10% de leursemployés sont des toxicomaniaques,de peur de voir se dégrader leurimage en terme de crédibilité ou defiabilité, ou au risque de se présentercomme employeur irresponsable outellement exigent qu’il est l’originedes conduites déviantes de ses prop-res employés. Stoppons le langage dusilence et devenons enfin tousresponsables et pourquoi pas, desacteurs de santé. Qu’avons-nous àperdre…ou à gagner?

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Willy Chuardresponsable dusecteur desateliers de laFondation lesOliviers

La réinsertion professionnelle:une nécessité pour tous

A l’heure où les hommes sont supplantéspar les machines, les ateliers deréinsertion professionnelle doiventinventer de nouvelles stratégies pourrester concurrentiels. Pourtant, leurutilité ne se mesure pas seulement àl’aune du chiffre d’affaires, mais aussi etsurtout en coûts sociaux économisés.Quel prix donner à l’estime de soiretrouvée? A l’intégration dans un tissusocial? La collaboration doit se faire plusétroite avec les entreprises, qui ont ellesaussi à gagner en prenant le relais dutravail accompli dans ces ateliers. (Réd.)

En quoi la réinsertionprofessionnelle pourune personne dépen-dante est-elle différented’une autre? A ce stadede mes connaissancesj’ai de la difficulté à

répondre à cette question. Par le sim-ple fait que toutes les personnesayant une problématique liée à unedépendance ne sont pas coupées dumilieu professionnel.Beaucoup travaillent, gagnent leurvie et même très bien.

La dépendance n’entraîne pas radi-calement un processus de désinser-tion, mais plutôt diverses inadéqua-tions comportementales «des dys-fonctionnements» : en rapport avecl’activité professionnelle, les obliga-tions civiles (telles que payer ses fac-tures) et l’environnement médical etsocial.

Je me propose de vous exposer mesappréciations et réflexions empiriques

au sujet de la réinsertion profession-nelle, celles-ci n’ont comme intentionque de vous transmettre ma pensée etnon la vérité. La réinsertion professionnelle estpour moi une équation algébriquecomplexe, composée de la capacitéde travail de l’individu, du rendementdes activités, des besoins de l’écono-mie, des investisseurs, du lieu géogra-phique, des tendances politiques et,non des moindres, de l’émotionnel…Cet ensemble d’éléments permet autravailleur de prétendre à une capa-cité de gain, si pour autant la capa-cité de travail amène une valeurajoutée, un profit et par conséquentune rémunération.

L’évolution du travail

Lorsque nous demandons à une per-sonne de ramasser des fleurs touteune journée, 5 jours sur 7, sa capacitéde travail est bien de 100%. Mais quelgain peut produire ce travail? Quellessont les possibilités de réinsertion

professionnelle pour cette personne?Pourra-t-elle gagner sa vie, commeon dit chez nous? Je vous laisse yréfléchir.

La réinsertion professionnelle ne peuts’entrevoir sans un lien direct avec lemarché économique de la région.Du travail pour tout le monde, certesil y en a, mais pour quel profit? Letravail permet-il une valeur ajoutéeentraînant une capacité un gain?

Si nous reprenons notre exemple dela cueillette de fleurs. Quelle valeurpeut rapporter ce travail? Il demeureun profit pour les personnes quisèment, qui exploitent leur terre,mais la cueillette? Combien de pan-neaux aujourd’hui vous signalent aubord des routes : Fleurs, ne payez quece que vous avez coupé?Combien de travaux saisonniers ontété supprimés depuis la mécanisa-tion… De plus, est-ce que la cueillette, cetravail qui a existé depuis des généra-

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tions, permet-elle de vivre à l’heureactuelle?Auparavant les changements appa-raissaient d’une dizaine d’années surl’autre. Aujourd’hui, c’est d’année enannée que le travail évolue. Et passeulement dans les coutumes ou lesprestations de service.Il y a quelques années lorsque l’oneffectuait un mailing, une quinzainede personnes travaillaient sur unesemaine pour adresser 40000 envois.Aujourd’hui en quatre heures detemps une machine réalise le travail.En tant qu’entrepreneur, vous n’avezplus qu’un leasing à payer, plus decotisations, pas de problèmes d’ab-sences ou de retard. La machinedemande une petite vérification parsemestre, et le tour est joué.

Que pouvons-nous réaliser au seinde nos ateliers ?

Tout d’abord, nous commençonsnotre travail en réduisant notreéquation à deux inconnues: l’individuet sa capacité de travail.Cette phase est celle de la réadapta-tion de la personne. Nous mettonsl’accent sur la valorisation des com-pétences personnelles, l’augmenta-tion de la capacité de travail et lerespect des règles établies. Notre

objectif est de permettre à l’individude reprendre confiance en lui, deretrouver une autonomie tout entenant compte des exigences com-portementales établies dans nos ate-liers.

En parallèle, nous restons en relationavec l’économie par l’intermédiairedu chiffre d’affaires. Je parle biend’un chiffre d’affaires puisqu’il est ensoi une équation entre la valeur ajou-tée et son rendement économique.Cette contrainte nous oblige cons-tamment à rechercher, développerdes capacités de travail ayant unevaleur économique, par conséquent,des capacités de gain.

Lorsqu’un de nos ateliers reçoit unedemande d’offre pour un publipos-tage de 40000 exemplaires, avec dif-férentes langues, pour différentspays, le moniteur de l’atelier doitréaliser une offre qualitative, concur-rentielle, tout en sachant qu’il doitégalement proposer un délai prochedu marché actuel (sans tenir comptebien entendu de l’exemple précédem-ment cité concernant la «machine àmailings»). La relation à l’économieest très nette et dans nos ateliersnous y sommes confrontés tous lesjours.

Dès que le client a accepté l’offre,voire même lors de la conception del’offre, le moniteur doit alors, eninterne, trouver et transmettre lescompétences pour réaliser ce travail.Le penser, voir qu’elles sont les barriè-res de sécurité qu’il devra placer pourne pas mélanger les différentes bro-chures, classer les divers pays selonles zones recommandées par la poste.Assurer la responsabilité et laconfiance de son équipe et, jour aprèsjour, progresser avec les travailleurspour augmenter les compétences,visant une valeur économique sur lemarché du travail actuel. La mise souspli n’est pas réellement un métier.Mais tout ce qui entraîne cette capa-cité de travail peut engager un métierpar la suite. Vérification des données,mesures de temps comparés, résis-tance, responsabilité, précision dutravail….

Dès lors et en fonction des évalua-tions en rapport avec les exigenceséconomiques, nous pouvons parler deréinsertion professionnelle. En d’au-tres termes, nous pouvons envisagerla reprise d’un emploi qui entraîneraun salaire au travailleur, et un retourdans la vie active.A ce stade, il est important à mesyeux de vous indiquer qu’il existedeux types de réinsertions profes-sionnelles :

Tout d’abord la capacité de gain par-tielle, soit une capacité de travailréduite en durée, en rythme, ou/et encompétences. Ces situations entraî-nent généralement des rentes d’inca-pacités de gain (rente AI), mais ellespermettent aux personnes de mieuxvivre leur handicap, de rompre avecl’isolement, d’avoir un travail. Lacapacité de gain partielle peut êtremise en valeur chez un employeuret/ou dans un atelier dit «protégé».

Malheureusement, à l’heure actuelle,nous sommes de plus en plus àconnaître ou avoir connu, nous-mêmes ou nos proches, le chômage,sur de plus ou moins longues durées.Combien de chômeurs ont eu des dif-ficultés à retrouver un rythme, se

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Témoignages

Dans ces témoignages, c’est la conscience d’uneinadéquation avec les charges professionnelles, motivéeou non par l’employeur, qui a servi de déclic à unevolonté de changement. Celle-ci doit être ensuitepleinement intégrée par la personne concernée, souspeine d’échec du traitement. La collaboration entrel’institution thérapeutique et l’employeur s’avèreégalement un soutien essentiel au processus derétablissement, par la confiance accordée engarantissant un «après», qui se construit aussi avec lescollègues.. Parole à Jean*, André* et Christian. (Réd.)

Jean*

Je m’appelle Jean. Je suis âgé de 48ans, je suis célibataire et j’habite dansle Nord-Vaudois. Suite à mes problè-mes d’alcoolisme, (que je réfutaisdepuis longtemps), j’ai été amené àrecevoir plusieurs avertissements dela part de mes supérieurs.En juillet 2002, j’ai été contrôlé posi-tif à ma reprise de travail, ce qui m’avalu, en tant que fonctionnaire depolice, à une mise à pied immédiatede plusieurs mois, en attendant unedécision définitive. J’ai été convoquépar la responsable des ressourceshumaines à qui j’ai fait part de monintention d’effectuer une cure dedésintoxication, qui m’a été dispen-sée durant tout le mois d’août 2002,à la Fondation des Olivier, au Mont-sur-Lausanne. Je précise qu’à cemoment, je pensais que j’allais êtrelicencié. Durant mon séjour à l’insti-tut, la cheffe du personnel est venueme rendre visite à deux reprises, met-tant en évidence qu’il n’était pas

question que je retrouve mon ancienposte de travail. Toutefois elle précisaqu’elle mettait tout en œuvre, suite àune proposition de «contrat tripar-tite» entre la Fondation, l’employeuret moi-même, pour que je puissecontinuer à travailler dans un secteurqui, selon elle, me conviendrait par-faitement, d’après les qualités qu’ellevoulait bien m’accorder. Au moisd’octobre 2002, j’ai commencé dansma nouvelle fonction et, aujourd’hui,grâce à mon abstinence, je me sensparfaitement bien dans ma peau etdans ma tête. Je ne peux que diretoute la gratitude que j’ai envers lepersonnel de la Fondation des Olivierset, surtout, à notre responsable desressources humaines, qui m’a bienfait comprendre que de MOI l’entre-prise voulait, mais de mon ALCOO-LISME NON. De plus, je sais quedepuis mon cas (j’étais le premier ausein de la commune), elle entreprendles mêmes démarches auprès du per-sonnel de différents secteurs, afin detendre la main à certaines personnes

qui sont ou risquent de se trouverdans la même situation que j’ai vécue,personnes que je ne peux qu’encou-rager à faire ce pas, qui peut semblerdifficile, mais ô combien bénéfique, àtout point de vue.

André*

Il est dangereux de provoquer unchoc émotionnel pour que la per-sonne alcoolique ait le «déclic» quiva la faire «décrocher». Par exemple,sanctionner sur le plan disciplinaire lapersonne pour la faire réagir. La déci-sion d’arrêter est le fruit d’un chemi-nement personnel, dont seule la per-sonne dépendante doit avoir l’initia-tive. Les arrêts de travail prolongés ou qui serépétaient, pour cause de maladie nonprofessionnelle, me mettaient mal àl’aise, je me culpabilisais, je savais quecela pouvait avoir des conséquencessur le fonctionnement de mon poste.C’est avec cet état d’esprit que je suisallé voir mon patron.

*Prénoms d’emprunt

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J’explique: travaillant avec desenfants et des préados, j’ai réaliséqu’en étant alcoolisé, mon employeuraurait eu du mal à me garder malgrétoutes les qualités que j’avais pour cetravail.Il était en effet impossible de conti-nuer à enseigner les bonnes choses dela vie et être alcoolique actif. Si jen’avais pas eu cette décision de com-mencer un cheminement de rétablis-sement, avec toute la volonté dumonde, un jour ou l’autre cela seserait cassé.

Quelle que soit la frustration ressen-tie par l’entourage, mes collèguesn’ont jamais revendiqué de me «sau-ver». Je pense que mon sevrageaurait été voué à l’échec. Par contre,ils m’ont accompagné. Je veux direpar là qu’ils m’ont aidé à sortir dusilence, c’est-à-dire m’écouter. Ce quim’a aidé au début, c’est le respect dusecret, il n’y a pas eu de questionne-ment sur ma maladie d’alcoolisme.J’ai été motivé par les moyens mis enplace et surtout par la collaborationentre mes employeurs et les Oliviers.On a travaillé en parallèle. De cettemanière, j’ai pu garder ma place etmême gagner de l’espace.Une nouvelle confiance s’était instal-lée. Mon employeur n’a pas eu du malà me garder avec toutes mes qualitéstout en sachant je suis encore un

alcoolique mais cette fois, passif.C’est un cheminement personnel quia commencé il y a cinq ans et quicontinue aujourd’hui encore!

Christian

Quand je me suis rendu compte quema consommation d’alcool en privéet au travail ne faisait plus qu’un ilétait presque déjà trop tard. En effet,mes employeurs ainsi que mes collè-gues se sont bien vite rendu compteque mon comportement au travail lesderniers temps n’était plus le mêmequ’auparavant: absences, oublis,mauvaise gestion du temps, mal àdiriger une équipe, humeurs chan-geantes, etc…) sont vite devenus unlot quotidien.L’entreprise m’a donc « invité» à entre-prendre quelque chose pour que celacesse et je ne me suis pas fait tropd’illusions en cas de refus de ma partconcernant ma place de travail.Je me suis donc inscrit au stage P33,1ere inscription que je n’ai pas honoréepar ma présence car je ne me sentaispas du tout prêt à ce moment-là. En effet, il faut savoir que même pardes pressions extérieures (travail, amis,famille etc…) la personne qui entrep-rend ce changement radical (même s’ily va de sa vie) doit être complètementconvaincue de l’importance de cettedémarche et de sa volonté de réussir.

C’est pour cela qu’après un mois deréflexion, je me suis réinscrit. Cetteréflexion a été longue et en fait assezsimple.Une fois décidé, je me suis dit :– Ne le fais pas pour les autres, fais-

le pour toi !– Les personnes qui t’accompa-

gneront connaissent le sujet, nemens pas, ne te mens pas, écoute-les, n’oublie pas ton avant maisessaie de penser à après, sois durmais reste juste avec toi, tâche decomprendre le pourquoi et le com-ment de cette maladie qui ruine tavie.

J’avais évidemment peur comme toutle monde de rechuter après le stagemais par malchance ou chance, je suistombé malade la troisième semaine.Verdict : mon foie me lâchait. C’étaitguérissable mais toute consomma-tion me serait fatale. J’ai quandmême réussi à finir le stage et me suisfait soigner et continue à le faire.Avec une résolution à vie : plus d’al-cool sinon la mort.La reprise du travail a rimé avecappréhension: serai-je capable? Quevont dire les gens? Quel va être moncomportement vis-à-vis d’eux? Et leleur vis-à-vis de moi? Je n’ai évidemment pas de solutionmiracle, mais voici comment j’ai fait.D’abord, les sentiments de culpabilitédoivent être exclus. J’ai changé maisles autres ne savent peut-être pas àquel point.Je n’ai pas caché ce que j’avais entre-pris pour m’en sortir. Je n’ai pasdonné trop de détails, à part aux per-sonnes proches et concernées. J’aisalué les gens en confiance (les autresne savent pas en général comment secomporter avec vous). Je n’ai pas faitcomme si rien ne s’était passé, maisessayé de rester sur mes acquis pro-fessionnels d’avant. De toute façon, sichangement il y a, rien que le fait deme voir sobre et en forme les rassure.

Conclusion: il faut savoir que ladépendance est une maladie à vie, lavaincre est une expérience formida-ble.

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Parmi les thèmes publiésLe devenir des patients alcooliques (no 2).Balade au pays du tabac (no 4). Politiquedes dépendances: réflexions, propositions (no 5). La prévention, d’une définition à un choix de société (no 6). Groupes d’entraide (no 7). Les institutions résidentielles en crise (no 9).Pour une prise en compte des rapports hommes-femmes (no 11). Former des spécialistes en addiction (no 12).

A consommer sans modération!

La revue «dépendances»s’adresse à toute personne intéressée par le champ des toxicomanies légales et illégales. Elle paraît trois fois l’an et traite de ces questions sous lesangles social, politique, de prise en charge, de prévention et de réduction des risques.

Abonnement: Frs 45.– par an

Revue éditée par

Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies

Groupement romand d’études sur l’alcoolisme et les toxicomanies

Perfectionnementprofessionnel ARIA

Travailler avec les émotions après lesevrage: concepts et pratiques.Approche par l’analyse transaction-nelle et la théorie de l’attachementFrédéric Neu3 jours – 24 novembre 2003, 19 janvieret 2 février 2004Délai d’inscription 3 novembre 2003

Réduire les risques liés à l’injectionet prévenir les overdosesJacqueline Reverdin – Emmanuel Ducret et/ou Béatrice Gomez Rogers –Thierry Musset2 jours – 3 et 4 décembre 2003 (complet)28 et 29 avril 2004 (seconde édition)Délai d’inscription pour la seconde édition mercredi 7 avril 2004

Pratiques du message de préventiondans la réduction des risques Viviane Prats – Nathalie Christinet –Martine Baudin – Tony Rotondo1 jour – 8 décembre 2003Délai d’inscription 13 novembre 2003

De sa représentation «récréative» à son impact dévastateur, la cocaïnedans nos pratiques psychosocialesOlivier Guéniat – Jean-Jacques Deglon –Danielle Romanens – Anne François1 jour – 27 janvier 2004Délai d’inscription jeudi 8 janvier 2004

Alcool: aborder la consommation à risque dans mon cadre professionnelBeat Stoll – Alain Bolle1 jour – 11 mars 2004Délai d’inscription jeudi 11 mars 2004

Modules de formation fordd Autour de la consommation, la pré-vention et la promotion de la santé:les maux et leurs mots. Histoire etdéfinition des concepts (module 13)18, 19 et 20 novembre 2003Philippe Granget – Pierre-Yves Aubert –Dwight Rodrick – Michel Graf – Viviane Prats

Travailler avec les émotions après lesevrage: concepts et pratiques(module 21)24 novembre 2003, 19 janvier et 2 février 2004Frédéric Neu

Analyse de pratique interprofessionnelle (module 26)27 novembre 2003, 29 janvier, 18 marset 29 avril 2004Jean Zufferey

Approche centrée sur la personnedépendante (module 8)10 décembre 2003, 21 janvier et 4 février 2004Jean-Marc Randin – Renaud Stachel

Les produits psychotropes et la réducion des dommages sanitaires(module 1)14, 15 et 16 janvier 2004M. Croquette-Krokar –N. Feldman –R. Khan – T. Musset – M. Monnat

Approche cognitivo-comportementale- niveau 1 (module 7)

15 et 22 mars, 26 avril et 3 mai 2004Françoise Bourrit, psychologue – Marina Corquette-Krokar – Christine Davidson – Catherine Jaquet –Rita Manghi – Arlette Perrin

Drogues légales: alcool, tabac, médicaments (module 17)

24, 25 et 26 mars 2004B. Broers – Pr. V. Barras – J.-B. Daeppen– J.-F. Etter – N. Feldamn – P. Gache – J.-P. Humair – P. Granget – M. Van derLinden – C. Lüscher – R. Manghi – J.-D.Michel – R.-M. Notz – J.-C. Rielle – E.Sekera – B. Stoll – C. Wahl

Formations Fil RougeApproches et pratiques actuelles dansle domaine de la prévention et de lapromotion de la santé22 et 23 janvier 2004B. Meili – M. Bloch – D. Bonvin – T. Dietrich – M. Kauffman – M. Geiser –D. Rodrick

Différentes lectures de la probléma-tique des substances psychoactives 16 et 17 mars 2004Jean-Dominique Michel – Viviane Prats –Renaud Stachel – Jean-Alain Dubois –Christophe Mani

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