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DANS LA MÊME COLLECTION :

1. Charles Baudouin. — BLAISE PASCAL ou l'ordre du cœur.

2. Guy Gaucher. — GEORGES BERNANOS ou l'invincible espérance.

3. Jean Onimus. - LA ROUTE DE CHARLES PÉGUY.

4 Michel Carrouges. — KAFKA CONTRE KAFKA.

5. Lucien Méroz. — RENÉ GUÉNON ou la sagesse initia- tique.

6. Jean Onimus. — PIERRE TEILHARD DE CHARDIN ou la foi au monde.

7. Victor-Henry Debidour. — SIMONE WEIL ou la trans- parence .

8. René Girard. — DOSTOÏEVSKI, du double à l'unité.

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J e a n

R a c i n e

l 'enfant

du

Désert

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DU MEME AUTEUR

Librairie Plon ;

LE TRIOMPHE DU HÉROS. Étude sur le mythe du héros dans les grandes épopées.

BLAISE PASCAL ou l'ordre du cœur (Collection La Recher- che de l'Absolu).

Chez d'autres éditeurs :

Essais : LA FORCE EN NOUS. — DÉCOUVERTE DE LA PERSONNE. — LE MYTHE DU MODERNE.

Psychologie : L'ÉVEIL DE PSYCHÉ. — INTRODUCTION A L'ANALYSE DES RÊVES. — Y A-T-IL UNE SCIENCE DE L'AME? — PSYCHANALYSE DU SYMBOLE RELIGIEUX. — DE L'INSTINCT A L'ESPRIT. — L'AME ENFANTINE ET LA PSYCHANALYSE.

Monographies : TOLSTOI, ÉDUCATEUR. — LE SYMBOLE CHEZ VERHAEREN. — PSYCHANALYSE DE VICTOR HUGO. — CARL SPITTELER.

Journal : ÉCLAIRCIE SUR L'EUROPE. — DOUCEUR DE FRANCE. — RECONNAISSANCES LORRAINES.

Poésie : LE VOILE DE LA DANSE. — LIVRE D'IMAGES. — LIVRE D'HEURES. — PAROLES SUR DE VIEUX AIRS.

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LA RECHERCHE DE L'ABSOLU Collection dirigée par G.-H. de RADKOWSKI

Jean Racine l'enfant du Désert

par Charles Baudouin

p l o n

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COUVERTURE : Po r t r a i t de Racine par son fils a îné PHOTO : SNARK INTERNATIONAL

© 1963 by Librai r ie Plon, 8, r ue Garancière, P a r i s - 6

Droits de r ep roduc t ion e t de t raduc t ion réservés p o u r tous pays, y compris l 'U.R.S.S.

Si vous dé s i r ez recevoi r g r a t u i t e m e n t e t s ans e n g a - g e m e n t de vo t r e p a r t nos BULLETINS D ' I N F O R M A -

T I O N S LITTÉRAIRES, f a i t e s - n o u s c o n n a î t r e vos nom, a d r e s s e e t p rofess ion .

LIBRAIRIE PLON — 8, rue G a r a n c i è r e — P a r i s - 6

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INTRODUCTION

PARADOXES DE RACINE

On s'entendait, au début de ce siècle, sur certai- nes propositions touchant Racine, ainsi que sur bien des anecdotes pittoresques illustrant les étapes de sa vie. L'université enseignait les unes et les autres. Puis, tout fut remis en question. Parce que, certes, les historiens avaient fouillé de plus près, mais aussi, nous le craignons (comme nous avons cru le recon- naître pour Pascal, mais bien plus encore), le seul moyen pour beaucoup de renouveler un sujet si re- battu était de lancer des thèses paradoxales. Tout avait été dit sur Racine; il restait à dire le contraire.

Nous connaissions comme des repères indiscutables, la formation par Port-Royal, la conversion de 1677, la disgrâce du roi dans les derniers temps. Mais non, nous dit-on, Racine n'est nullement formé par Port- Royal; la conversion ne fut pas une conversion : con- formisme plutôt; la disgrâce ne fut pas une disgrâce. Quant aux anecdotes..., Racine repentant tombant à genoux devant Arnauld qui tombe à genoux en même temps devant lui, c'est trop beau; c'est bon pour Vol- taire et la Clairon. Les tragédies brûlées lors du renoncement au théâtre, mais non, « il a trop de res- pect pour un bel ouvrage » (Thierry-Maulnier, p. 256). L'invitation d'un seigneur refusée, d'attendrissante manière, sur le prétexte de la « vieille carpe » (Mas- son-Forestier, p. 320), que ses enfants auraient eu tant de peine à ne pas manger en famille avec lui : tout cela, bien suspect; et la dernière histoire, par

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surcroît, de mauvais goût. Et cette sorte de tour- noi qui aurait été malicieusement institué par Hen- riette d'Angleterre sur le sujet de Bérénice, proposé par elle séparément à Corneille et à Racine, voilà encore une anecdote qui éveille bien des méfiances (Moreau, p. 36; Truc, p. 77). Cependant, il resterait vrai que Racine a délibérément, en choisissant ce sujet, voulu rivaliser avec Corneille.

Il n 'est pas jusqu 'à l 'amit ié exemplaire de Racine et de Boileau, jusqu 'à l ' influence du critique sur le tragique, qui n 'aient été contestées. Les recherches de Demeure auraient, là aussi, « détruit une lé- gende » (Mornet, p. 223).

Et que dire de Phèdre même, qu' i l était devenu classique de tenir pour un témoin de la conversion imminente ? Un de nos maîtres, en une belle simpli- fication, nous avait appris jadis à voir, après Iphi- génie chrétienne, Phèdre janséniste. Mais c'est là pour le moins, nous avertit Jean Pommier (p. 206), oubli de prudence; car il est à la vérité p iquant d'ob- server que les passages de Phèdre cités le plus sou- vent en témoignage du jansénisme de l 'auteur, vien- nent généralement de l 'antique. Et que Phèdre est « celle de ses tragédies qui, à certains égards, est la plus païenne de toutes ».

Pour nous, défions-nous à notre tour de tant d'ico- noclastie. Songeons toujours à ce mobile de réno- ver un vieux sujet. Parmi tant de thèses contradic- toires jusqu 'au vertige, nous avons des raisons de penser que les plus classiques — disons celles de Sainte-Beuve — sont encore bien souvent, tout au moins, de bonnes lignes directrices, quant à l 'ordon- nance des proportions, et que les nouvelles ont sou- vent dépassé la mesure à force de subtilité. Elles mé- ritent certes notre plus vive attention; mais on doit plutôt leur demander des correctifs, des retouches bien utiles sans doute, qu ' un renversement des va- leurs.

Pour ce qui est des anecdotes, elles sont en géné- ral empruntées à la biographie de Louis Racine, et si elles ne sont pas confirmées par d'autres sources,

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nos sévères censeurs croient de bonne méthode de les rejeter purement et simplement. Ce qui est peut- être aller trop loin. Au reste, n'accable-t-on pas ce pauvre Louis Racine sous les reproches opposés d'ê- tre menteur et d'être naïf ? Ne serait-il pas temps de le réhabiliter quelque peu ? Certes, un moment vient où il est indéfendable, et tout le monde est d'accord pour penser que sa biographie est insuffi- sante et partiale. Certes, il pratique cette piété mal comprise qui est trop souvent le fait des familles s'employant à édulcorer assez sottement la biogra- phie de leurs grands hommes; et l'on ne saurait trop dire combien cela est détestable. Mais s'il déforme, c'est en voilant, en émoussant (candidement, certes, parfois; ainsi, quand il pense nous laisser croire que les rapports de Racine et de la Champmeslé ne furent que leçons de diction). Mais il n'apparaît guère qu'il pèche autrement que par omission. S'il était trop petit pour avoir été témoin de tel événement qu'il raconte, il le tenait alors de témoins aussi proches que sa mère, son frère aîné ou ses sœurs. De seconde main, donc, sinon de première. Et si certaines anec- dotes avaient commencé à s'embellir en manière de légende familiale, nous ne voyons aucune raison de penser qu'elles soient simplement controuvées. Pour l'épisode, par exemple, de Racine et d'Arnauld tom- bant à genoux l'un devant l'autre, Mauron dit avec pertinence : « On a peut-être dramatisé l'anecdote, mais le fond est sûrement vrai » (C. M., p. 279) 1

Sur les caractéristiques les plus essentielles de ce théâtre et de cet homme, les assertions les plus opposées s 'entrechoquent. C'est devenu un sujet banal

1. Louis Racine commet , c 'est au t re chose, des e r r e u r s m a t é rielles manifestes, parfois un peu grosses. Ainsi dans la pre- miè re édi t ion de ses Mémoires, il p rena i t la g r a n d - m è r e pater- nelle de Jean, Marie Desmoulins , qui le recuei l l i t , p o u r la g r a n d - m è r e mate rne l le , veuve de P ie r re Sconin (C. M., p. 190).

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de dissertation scolaire que de savoir s'il faut dire « le tendre Racine » ou « le cruel Racine ». La première thèse allait de soi depuis la douce hagio- graphie de Louis Racine, mais se justifiait surtout parce qu'on opposait toujours Racine et Corneille, et qu'il fallait de fausses fenêtres pour la symétrie. La seconde fut présentée au début de ce siècle, avec es- prit et mesure, par Jules Lemaître, qui dépeint les personnages de ce théâtre comme des « fauves bien- disants ». Elle fut reprise avec une brutalité cava- lière par Masson-Forestier, ce petit-neveu du poète, qui ne craint pas de présenter le grand ancêtre comme une sorte de condottiere violent, cynique et amoral. Il « ne croit pas », non, que Racine ait empoisonné la Duparc; mais encore l'aurait-il fait, il n'y aurait pas, à son avis, de quoi se formaliser pour si peu. Il faut dire que c'était le temps où une école de pein- tres avait arboré le qualificatif de « fauves » et où sévissait, d'autre part, un certain nietzschéisme de salon.

Mais voici qui n'est pas le moindre paradoxe de Racine. D'une part, on nous enseigne que son art, décanté du temps et du lieu, cet art classique entre tous et « jaloux d'évoquer l'éternel fond de l'homme » (Sully-Prudhomme) est le plus universel qui soit; que cet art, classique s'il en fut, peut être dit par là même cartésien (Emile Krantz); que la raison lu- cide, impersonnelle, simplement humaine, le gou- verne. Et certains de nos Français scolaires parlent de lui presque comme de notre système métrique, destiné à conquérir le monde; et tant pis pour ceux d'Angleterre s'ils en restent à leurs poids et mesu- res et à leur Shakespeare. Et cependant, d'autre part, on constate toujours à nouveau que les étrangers, même nos voisins, n'y mordent guère. Les Allemands notamment. « Il paraît que les Allemands réclament Racine. Bon, laissons-les réclamer... je les crois,

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en général, incapables de le comprendre » (Belles- sort, p. 296). Et Thierry-Maulnier accuse « un cer- tain barbare, nommé Schlegel » de lourds contresens sur Néron (T. M., p. 176) 2 Maulnier exagère. Mais il me souvient pour ma part d'une conversation à Salzbourg avec Stefan Zweig, cet esprit si ouvert à tout, si cosmopolite, ce bon Européen si curieux de tous les aspects de l'humain : je regrette de n'a- voir pas noté ce jour-là ses propos; mais il disait à peu près en substance que Racine était un préjugé français, et qu'il était exorbitant de le voir, même par hypothèse, mis en balance avec Shakespeare.

C'est que Racine a, dans Je ton, dans cet air qui est bien plus que la chanson, quelque chose de spéci- fiquement, d'exquisement français. Pas français seu- lement, mais accordé surtout au ciel d'Ile-de-France, et de ce Valois que Gérard de Nerval nous offrira à son tour comme un camée à la transparence sans pareille. Masson-Forestier note, à propos de La Ferté, « la beauté noble des horizons dans cette vallée et le vaporeux très fin des ciels » (M.-F., p. 97; cf. Mo- reau, p. 13). « Les ciels sont très beaux dans la vallée d'Ourcq », déclarait Daubigny. Corot séjourna longtemps à la Ferté, il y fut entouré d'élèves (M.- F., p. 98).

Ce Français des confins d'Ile-de-France devait vi- vre, en outre, en pur Parisien. Après la courte paren- thèse languedocienne d'Uzès — où il ne cesse de sou- pirer après Paris, comme Ovide exilé après Rome — il ne quittera plus Paris, où il vivra « resserré dans quelques quartiers » (Moreau, p. 33), habitant suc- cessivement la rue Saint-André-des-Arts, l'île Saint- Louis (où il se trouve lors de son mariage), la rue des Maçons-Sorbonne, enfin son hôtel de la rue du Marais-Saint-Germain, aujourd'hui rue Visconti, où il se fixa en 1692 et où il m o u r u t Devenu cour-

2. Cf. aussi J. SEGOND : A propos de Hegel, de Schlegel encore (J. S., p. 21) ou de Lessing : « Il est for t ra re que les é t r anger s le c o m p r e n n e n t » (p. 63).

3. De cette maison qui n 'exis te plus , Lucien Dubech a racon té l 'h is toi re (Revue Hebdomada i re , 15 ju i l le t 1922). Cf. Gonzague TRUC, p. 236.

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tisan, il ne se partagea vraiment qu'entre la Cour et la ville.

Il n'est pas sûr, en France même, que la Bre- tagne rêveuse, la sérieuse Lorraine, le Midi exubé- rant, viennent à lui très aisément, très spontanément. Circonscrit ainsi dans le lieu, il l'est aussi dans le temps. Il est le Français au moment où sa civilisa- tion la plus mondaine, la plus raffinée, pousse sa pointe la plus extrême. Même Stendhal, si racinien dans sa psychologie, mènera, aux côtés des romanti- ques, la bataille pour Shakespeare. Même Péguy des rives de Loire, l'honnête Péguy fidèle au peuple de France, restera outrageusement cornélien contre Ra- cine.

Mais une fois reconnu de la sorte que Racine est la fleur la plus rare d'un rare pays, d'une époque excellente, d'aucuns entendent se tailler des quartiers de noblesse en affichant leur adhésion à cet art uni- que. C'est ainsi qu'il y a un snobisme de Racine; il se conjugua un temps avec le snobisme d'Action Française. Etre pour Racine et pour le Roi, était se montrer de bonne compagnie. Et un jour, vers 1910, où à l'Odéon René Fauchois, fort jeune alors et fron- deur, introduisit une pièce de Racine par une confé- rence assez combative, certes, où il ne le louait pas sans réserve, ce fut un beau chahut des Camelots du Roi.

Ce snobisme racinien, qu'il soit royaliste ou non de surcroît, n'est pas mort. On le retrouve dans les couplets de maints de nos critiques et esthètes.

Et ceci est pour dire que de ceux qui adhèrent à Racine avec l'expression du ravissement, il faut dé- duire encore un certain nombre, qui sont de cette phalange-là.

Et c'est pour dire enfin que Racine, classique entre tous, et scolaire, et universellement enseigné et ré- puté universel, n'est pas du tout aussi accessible qu'on le croirait, et qu'il faut, même aux Français, le dé- couvrir et le mériter, ni plus ni moins que ces autres grands scolaires : La Fontaine, Hugo, que les Fran- çais ignorent parce qu'ils les croient connaître de- puis l'école primaire.

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On a dit qu'un peu de science éloigne de la reli- gion, que beaucoup de science y ramène. Nous ose- rions transposer et dire que si un peu de science exégétique nous a éloignés de l'image classique et vénérée que nous nous faisions de Racine, un peu plus de science nous en rapproche.

Parmi les plus récents historiens, Raymond Picard a fait un effort d'érudition et d'objectivité fort remar- quable. Il est, en tout, remonté aux sources. Il a eu la patience d'établir un Corpus Racinianum, « recueil-inventaire de textes et documents du XVII siècle, concernant Jean Racine », auquel tous les chercheurs devront désormais se reporter.

Ce faisant, il a pensé liquider bien des légendes, bien des assertions erronées ou douteuses que la criti- que se repassait de main en main depuis trois siè- cles, faute d'avoir pris la peine de vérifier. N'a-t-il pas, sur certains points, exagéré lui aussi dans le sens de la défiance ? Il est possible. Mais sur l'es- sentiel, il a été amené par cette méthode — la mé- thode — à des jugements pondérés et nuancés qui font également justice des iconoclasties faciles et pour tout dire, avec certes maintes retouches, dis- crètes et précises, au portrait, il a contribué à nous restituer Racine.

Plus récemment, Henri Guillemin, dont les inves- tigations minutieuses ont été comparées à des enquê- tes policières, nous a orientés dans le même sens. Et tout compte fait, et compte tenu de tout, il croit bien, notamment, à une vraie conversion et même à une « demi-disgrâce ». La restauration de l'équilibre n'est pas obtenue ici par la méthode des atténuations et du juste milieu; mais bien plutôt par un sens aigu des contrastes et des contradictions d'une nature. Précisément, parce qu'à l'inverse de Louis Racine, il ne recule devant aucun des traits déplaisants, ce qui

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demeure en faveur de ce caractère prend sous son burin un relief sais issant

Il n'est pas de notre compétence d'ajouter à ces travaux des érudits et des historiens. Nous les pre- nons comme des données, mais nous avons le droit de nous demander si la psychologie ne peut pas éclai- rer ces données d'une lumière encore plus convain- cante. Il nous semble qu'il en est bien ainsi.

Ludwig Karl a tenté, dès 1937, une approche psy- chanalytique, à vrai dire assez sommaire, de Racine. Charles Mauron depuis lors a engagé dans le même sens une exploration beaucoup plus poussée et déli- cate, qui est vraiment fort instructive. A propos des épisodes mêmes, qui comportent sans doute une part de légende, il se souvient qu'aux yeux de la psycho- logie, la légende est parfois dans un sens plus vraie que l'histoire, et il s'efforce de dégager ce sens.

Nous nous sommes souvent laissé guider par lui. Il nous a semblé, en outre, que sur certains points son analyse pouvait être poursuivie, soit que l'on recourût davantage aux fines remarques de Charles Odier sur l'abandon, soit surtout que J'on élargît l'investigation freudienne par certaines considérations inspirées de C. G. Jung. Celles-ci nous ont paru no- tamment bien propres à apporter un argument mieux fondé sur les faits de la « seconde moitié de la vie », sur l'expérience spirituelle de Racine.

De sorte qu'après avoir lu tant de travaux contra- dictoires et déroutants parus depuis le début de ce siècle, nous pourrions conclure enfin par les mots que prononça naguère Louis Dimier (dans un sens, il est vrai, plus restreint et tout esthétique) : « Racine perdu et retrouvé. »

Sainte-Beuve, qui a vu et dit si juste en tant de choses, a vu et dit encore ceci :

Quoiqu'il semble qu'en littérature et en morale, les choses ne se passent point comme dans la science proprement dite et que ce soit toujours à recom-

4. Henri GUILLEMIN, « Notes sur Jean Racine », Journal de Genève, 17-18 décembre 1960.

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mencer, je pense toutefois qu'il y a, dans cet ordre d'observation aussi, de certaines conclusions acqui- ses et démontrées sur lesquelles il n'y a pas lieu pour les bons esprits de revenir. La science morale, bien comprise, bien appliquée aux individus, a comme toutes les sciences ses jugements définitifs et ses résultats 5.

Et cela, si modeste que doive être la psychologie, nous avons peut-être aujourd 'hui quelques raisons de plus encore de le penser.

5. SAINTE-BEUVE, Nouveaux Lundis, t. III, Calmann-Lévy, Paris, 1883, p. 2.

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1

L 'ENFANT DU DÉSERT

L'enfant Jean Racine, né en décembre 1 6 3 9 perd, à treize mois, sa mère Jeanne Sconin, morte en cou- ches en donnant le jour à la petite sœur Marie. Le père ne tarde guère à se remarier avec Madeleine Vol et, en outre, il ne survit que de trois mois à ce second mariage.

Le Corpus racinianum donne les dates suivantes :

22 décembre 1639 : acte de baptême de Racine. 24 janvier 1641 : acte de baptême de Marie. 2 9 j a n v i e r 1 6 4 1 : a c t e d ' i n h u m a t i o n d e D a m e

J e a n n e S c o n i n .

4 n o v e m b r e 1 6 4 2 : a c t e d e m a r i a g e d e J e a n R a c i n e

p è r e e t d e M a d e l e i n e V o l .

7 f é v r i e r 1 6 4 3 : a c t e d ' i n h u m a t i o n d e J e a n R a -

c i n e p è r e .

A i n s i , à l ' â g e d e t r o i s a n s e t d e u x m o i s , J e a n R a -

c i n e a v é c u t o u t e u n e s é r i e d e c h o c s d o n t u n s e u l e û t

s u f f i à p e r t u r b e r u n e n f a n t s e n s i b l e . E t l e d r a m e v a

c o n t i n u e r . D è s l a m o r t d u p è r e , l a s e c o n d e m è r e , à

p e i n e a p p a r u e — c o m m e n t a c c e p t é e ? — d i s p a r a î t e l l e

a u s s i d e l ' h o r i z o n . L e p e t i t J e a n e s t c o n f i é « à

s a g r a n d - m è r e p a t e r n e l l e M a r i e D e s m o u l i n s » , d i s e n t

l e s b i o g r a p h e s . Q u e l q u e s - u n s s e s o n t a v i s é s d e d i r e :

à s e s g r a n d s - p a r e n t s ; m a i s d u g r a n d - p è r e , n u l l e s n o u -

1. Louis Racine d i t : le 22. En réali té , il f u t bapt isé le 23. P i ca rd es t ime qu ' i l est né « vers la mi -décembre » (PICARD, .p. 21).

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velles. Peut-être parce que Racine n'en parle pas lui- même, alors qu'il montre tendresse et gratitude pour la mémoire de sa grand-mère qu'il appelle « ma mère » :

Et puis, écrira-t-il à sa sœur, lorsque j'ai un moment de loisir, je vais à Port-Royal, où ma mère est maintenant. Elle est malade à l'extrémité, et il n'y a pas d'apparence qu'elle en revienne. Je ne vous saurais dire combien j'en suis affligé, et il faudrait que je fusse le plus ingrat du monde, si. je n'aimais une mère qui m'a été si bonne, et qui a eu plus de soin de moi que de ses propres en- fants.

(Lettre du 23 juillet 1663.)

Et trois semaines plus tard :

Tout affligé que je suis, je crois être obligé de vous mander la perte que vous avez faite avec moi de notre bonne mère. Je ne doute pas que vous n'en receviez beaucoup d'affliction...

(Lettre du 13 août 1663.)

Les meilleurs historiens (Lanson) s'y sont peut- être trompés, en croyant voir cet enfant entouré d'in- fluences uniquement féminines. Pourquoi ce silence sur le grand-père ? Effacement réel ? Préférence « œdipienne » de l'enfant ? Toujours est-il que la mort du grand-père — à neuf ans — fut certainement une nouvelle cause de perturbation, puisque la grand- mère se retira alors à Port-Royal des Champs, où elle avait deux sœurs religieuses et où l'avait pré- cédée sa fille, la jeune tante du poète, de treize ans seulement son aînée, qui y avait déjà fait profession et qui deviendra la mère Agnès de Sainte-Thècle.

Jean va lui-même entrer aux Petites Écoles de Port-Royal. Et son enfance, puis son adolescence — à part la parenthèse du collège de Beauvais où agissaient d'ailleurs des influences jansénistes — vont se développer désormais dans l'ombre de la sainte maison.

Est-il étonnant, après tout cela, que dans le théâtre

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de Racine, le thème de l'orphelin reparaisse avec une fréquence peu commune? Charles Mauron, dans la remarquable étude d'inspiration psychanalytique qu'il consacre au poète, remarque que, dans cette œuvre, « les m o i sont orphelins avec insistance » (Mauron, p. 190). Et de citer à l'appui Astyanax, Britannicus, Bajazet, Monime, Eriphile, Esther, Eliacin... sans oublier les couples touchants d'orphe- lins entre qui a grandi dès l'enfance un délicat amour : Britannicus et Junie, Bajazet et Atalide, — « même exil partagé d'orphelins royaux mais impuissants » (p. 79). Car Junie est

Seul reste des débris d'une illustre famille (Britannicus, II, 3.)

Et Acomat dit à Bajazet :

La p l u s s a i n t e d e s lo i s , a h ! c ' e s t d e v o u s s a u v e r , E t d ' a r r a c h e r , s e i g n e u r , d ' u n e m o r t m a n i f e s t e Le s a n g d e s O t t o m a n s d o n t v o u s f a i t e s l e r e s t e .

(Bajazet, II, 3.)

I l n ' e s t p a s j u s q u ' a u x P l a i d e u r s q u i n e n o u s p r é -

s e n t e n t u n e v a r i a t i o n c o m i q u e s u r le m ê m e t h è m e ;

c ' e s t d a n s l a p l a i d o i r i e d e l ' I n t i m é e n f a v e u r d e s

p e t i t s c h i e n s :

V e n e z , f a m i l l e d é s o l é e ;

Venez , p a u v r e s e n f a n t s q u ' o n v e u t r e n d r e o r p h e l i n s : V e n e z f a i r e p a r l e r vos e s p r i t s e n f a n t i n s . O u i , M e s s i e u r s , v o u s voyez ici n o t r e m i s è r e :

N o u s s o m m e s o r p h e l i n s ; r e n d e z - n o u s n o t r e p è r e , N o t r e p è r e , p a r q u i n o u s f û m e s e n g e n d r é s , N o t r e p è r e , q u i n o u s . . .

(Plaideurs , III, 3.)

C e n ' e s t c e r t e s n i le h a s a r d , n i u n c h o i x a r b i -

t r a i r e , q u i p o u s s e a v e c c e t t e o b s t i n a t i o n la p e n s é e c r é a t r i c e d e R a c i n e d a n s c e t t e v o i e . M a u r o n r e m a r -

q u e e n o u t r e q u e c e s o r p h e l i n s d e l a t r a g é d i e o n t

2. C'est-à-dire les personnages dans lesquels il a des raisons de penser que l ' a u t e u r a proje té son « moi », tandis q u e d ' au - tres f igure ra ien t p lu tô t ses « puls ions » ou son « su rmoi ».

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cela aussi en commun, qu' « ils sont menacés de mor t par des puissances néfastes » (Mauron, p. 190). Et cela répond bien à ce que la psychologie sait au- jourd 'hu i de l ' insécurité profonde dans laquelle con- tinue de vivre l 'enfant auquel se sont dérobés les premiers appuis naturels. L'on dirait que, pour lui, c'est le sol qui se dérobe, comme il fait sous les pas de Britannicus :

Ah ! Narcisse, tu sais si de la servitude Je prétends faire encore une longue habitude; Tu sais si, pour jamais, de ma chute étonné, Je renonce à l'Empire, où j'étais destiné. Mais je suis seul encore. Les amis de mon père Sont autant d'inconnus que glace ma misère. Et ma jeunesse même écarte loin de moi Tous ceux qui dans le cœur me réservent leur foi.

(Britannicus, 1, 4.)

Une question demeure toujours sourdement posée, remarque Mauron; et c'est : « Faut-il tuer l 'enfant ? » (p. 123), que l 'enfant se n o m m e Astyanax, Iphigé- nie, Xipharès ou Hippolyte. Le père se pose cette question. On se souvient de l 'ambivalence d'Aga- memnon, de Thésée, de Mithridate :

Agamemnon à Ulysse :

Seigneur, vous le savez, j'ai donné ma parole, Et si ma fille vient, je consens qu'on l'immole. Mais malgré tous mes soins, si son heureux destin La retient dans Argos, ou l'arrête en chemin, Souffrez que sans presser ce barbare spectacle, En faveur de mon sang j'explique cet obstacle, Que j'ose pour ma fille accepter le secours De quelque dieu plus doux qui veille sur ses jours.

(Iphigénie, 1, 3.)

Monologue de Mithridate :

Ma colère revient, et je me reconnois. Immolons, en partant, trois ingrats à la fois... Sans distinguer entre eux qui je hais ou qui j'aime, Allons, et commençons par Xipharès lui-même. — Mais quelle est ma fureur ? et qu'est-ce que je dis ?

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Tu vas sacrifier, qu i ? Malheureux ! ton fils ! Un fils que Rome cra in t ? qu i veut venger son père ? Pourquo i r épandre u n sang qu i m ' e s t si nécessa i re?

(Mithridate, IV, 5.)

M o n o l o g u e de T h é s é e :

Misérable, tu cours à ta perte infaillible. Neptune, pa r le fleuve aux dieux m ê m e s terr ible , M'a donné sa parole, et va l 'exécuter . Un dieu vengeur te suit , t u ne peux l 'éviter. Je t ' a imai ; et je sens que ma lg ré ton offense, Mes entrai l les p o u r toi se t r oub l en t par avance. Mais à te c o n d a m n e r t u m ' a s t rop engagé. Jamais père en effet fut-il p lus o u t r a g é ? . . .

(Phèdre, IV, 3.)

Tels son t les p è r e s p a r t a g é s . La f i g u r e m a t e r n e l l e , q u a n t à el le, est p l u t ô t s épa rée en d e u x i m a g e s con- t ra i res . Il exis te u n e « m a u v a i s e m è r e » (A tha l i e )

q u i v e u t t u e r l ' e n f a n t ; t a n d i s q u ' u n e « b o n n e m è r e » ( A n d r o m a q u e , C l y t e m n e s t r e , Jo sabe t ) n ' e s t a n i m é e que d u dés i r de s a u v e r cet e n f a n t m e n a c é de m o r t ( M a u r o n , p. 137).

Q u a n t à l ' o r p h e l i n J e a n R a c i n e , c ' e s t be l et b i e n à P o r t - R o y a l q u ' i l t r o u v a asi le e t p r o t e c t i o n . P ro t ec - t i o n p r é c a i r e enco re , m e n a c é e t o u j o u r s , p u i s q u e P o r t - Roya l es t pe r sécu té , p u i s q u ' i l ne r e n t r e ( a u r e t o u r de Beauva i s ) aux Pe t i t e s Eco les q u ' u n a n a v a n t l e u r f e r m e t u r e ; et il n e d e m e u r e , seu l élève, a u x m a i n s

de ces Mess ieurs , q u ' e n v e r t u des l i ens de f a m i l l e q u i l ' u n i s s a i e n t à c e r t a i n e s p e r s o n n e s d u m o n a s t è r e et de la r e c o n n a i s s a n c e de ce lu i -c i e n v e r s ces b o n n e s

g e n s de La F e r t é q u i a v a i e n t h é b e r g é n a g u è r e des so l i t a i res pe r sécu té s . E n bref , il fit v r a i m e n t , à P o r t - Royal , f i g u r e d ' o r p h e l i n recue i l l i .

Déjà, il est vrai, la « haine du jansénisme » avait conduit naguère Joseph de Maistre à retrancher Ra- cine à Port-Royal (Crouzet, p. 61). Et plus près de