Dans la même collection :

GHETTO, Joshua Sobol.

A paraître :

UN AUTRE NOM POUR LA FOLIE, Marion Roach, traduction Gabrielle Rolin

La véritable identité d'ARSENE LUPIN ou Le secret des rois de France

suivi de Le secret des caramels

© Editions de Minuit, 1955, pour le texte « La véritable identité d'Arsène Lupin, ou Le secret des Rois de France».

© La Manufacture, 1986, 13, rue de la Bombarde, 69005 Lyon Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

L a v é r i t a b l e i d e n t i t é

d ' A R S E N E L U P I N

suivi de Le secret des caramels

VALÈRE CATOGAN

Préface de François Georges

documents

LA MANUFACTURE

PREFACE

Réjouissons-nous, lupiniens ! Voici réédité l'un de nos classiques les plus chers, nanti de surcroît d'un com- plément essentiel. Ainsi, la réflexion des plus jeunes ne demeurera pas plus longtemps privée d'un instrument indispensable. Au moment où, après une trop longue éclipse, nos études repartent de plus belle, où, sous une direction éclairée, notre association s'ouvre l'avenir, l'initiative de La Manufacture scintille du sceau de la pertinence.

Certes, il est redoutable, l'honneur qui m'échoit de pré- senter une thèse aussi fameuse, déjà puissamment dis- cutée, et encore promise à de fortes gloses. Les symbo- les les plus profonds qui nous réunissent sont ici en cause, et parfois soumis à une rude vacillation. Au-delà encore, il y va de notre avenir politique et de notre identité natio- nale. Inutile par conséquent de souligner, même s'il sied d'en présenter l'excuse au lecteur, que le sujet ne peut être abordé qu'avec le plus pesant sérieux, en jetant du haut de la falaise la tentation ludique et les démons de la frivolité.

Mais sérions les problèmes, car sinon nous risquerions de les confondre, nous privant de la sorte de nos chan- ces d'aboutir. Commençons par le commencement, qui ne peut être que la naissance d'Arsène Lupin. L'indica-

tion la plus précise que nous ayons à cet égard se trouve dans La Comtesse de Cagliostro. Le premier chapitre, on s'en souvient, s'intitule : « Arsène Lupin a vingt ans », et son texte confirme pleinement cette assertion. Or, nous y lisons, de la bouche même d'Arsène Lupin : « Tenez, nous ne serions pas en l'an de grâce 1894... » 1894 - 20 = 1874, ou 1873 à l'extrême rigueur. Quelle que soit l'habileté parfois confondante des herméneu- tes, nous attendons sur ce point de pied ferme la contestation.

Or, nous apprenons dans Le Collier de la Reine, autre pièce maîtresse, recueillie dans le cycle Arsène Lupin gentleman-cambrioleur, que notre héros, Mozart en son genre, accomplit à l'âge de six ans son premier exploit, et, nous précise Maurice Leblanc, « l'aventure remonte au début du siècle ». 1900 - 6 = 1894, il n'y a pas à sortir de là, ou très peu. Et notre admirable guide vers les sommets de la lupinologie, celui qui nous a frayé les plus beaux chemins, notre cher et infiniment regretté Jean-Claude Dinguirard, a écrit ces lignes qui sont tou- jours à méditer : « On reprochera tout d'abord à Leblanc de s'être plu à entretenir la confusion : Le Collier de la Reine, par exemple, contredit formellement la data- tion établie à l'aide de La Comtesse de Cagliostro ou de La Demoiselle aux Yeux verts : suivant ces ouvra- ges, le vol du collier remonterait à 1880, mais Leblanc écrit froidement dans Le Collier... que les événements remontent aux premières années du XX siècle ! » (1).

Francis Lacassin, auquel, nous semble-t-il, il convient de reconnaître la compétence d'un nouveau Koechel, admet la date de 1874, et précise « mai ou juin » (2),

(1) Cf. son article « Méfiez-vous des contrefaçons ! », dans le n° 8 d ' Enigmatika. (2) Cf. la chronologie publiée en annexe du troisième tome de son édition, dans la série « Bouquins » chez Robert Laffont.

selon des calculs qui ne nous sont pas dévoilés, mais qui, à nos yeux, émargent au registre de l'évidence scien- tifique. Est-il malséant de se citer soi-même ? Oui, cer- tainement. Néanmoins, compte tenu de l'importance de l'enjeu, faisons écho à notre propre démonstration : « Pour notre part, sans rejeter absolument ces explica- tions (N.B. celles de la psychanalyse en son détermi- nisme), nous dirions plutôt que, double et même multi- ple, primesautier, vagabond, espiègle, mondain, céré- bral, et par excellence mercurien (Mercure est le dieu des commerçants mais aussi des voleurs), il est très pro- bablement natif du signe des Gémeaux. Ne retrouve-t- on pas chez lui la fantaisie de Giraudoux, l'humour de Tristan Bernard, le sens de l'hermétisme de Mallarmé, l'habileté manœuvrière de Talleyrand, le génie dialec- tique de Sartre, le rapport problématique à la loi de Kafka ? » (1). Francis Lacassin est donc amené à situer le vol du Col- lier de La Reine en 1880, ce qui est en contradiction avec la phrase sus-mentionnée. Du reste, quel que soit le soin aussi méticuleux qu'érudit avec lequel cette chro- nologie a été établie, l'admiration ne saurait nous dis- penser d'en signaler les apories qui ressortent à la chose même.

Citons encore Jean-Claude Dinguirard : « C'est ainsi que Leblanc présente comme s'étant écoulées peu d'années avant la guerre les aventures de Jim Barnett ; or, on l'a souvent remarqué, tout y porte la marque des années folles. Rappelons simplement que La Barre-y-va, troi-

(1) Nous-même, La Loi et le Phénomène, chez Christian Bourgois, 1978. - Franz Kafka est né le 3 juillet (1883), mais sous une con- jonction Lune-Mercure-Vénus en Gémeaux qui devait induire une névrose douloureuse. Quant à Giraudoux, il est né le 29 octobre (1882), mais tout prouve qu'il aurait dû naître environ cinq mois auparavant, le Scorpion ne lui correspondant nullement. Des remar- ques analogues peuvent être faites dans les autres cas.

En 1955, la thèse révolutionnaire de Valère Catogan éclata comme un coup de tonnerre dans le ciel de la lupinologie. Depuis lors, elle n'a pas cessé de provoquer des débats passionnés, se révélant, à l'expérience, proprement « infal- sifiable ». Pour reprendre la formule de l'inspecteur Gani- mard, on ne sait ce qu'il faut y admirer le plus, la hardiesse de la conception d'ensemble ou l'ingéniosité des détails. François George a pu parler d'une « coupure épistémolo- gique ». Au-delà même des cercles érudits, quelle que soit leur extension prévisible au moment où vient de se fonder l'asso- ciation des amis d'Arsène Lupin, l'honnête homme se sent interpellé par un texte qui s'enfonce jusqu'aux sources de l'identité nationale pour rejaillir dans l'avenir lumineux d'une vie humaine inespérément prolongée. Trente ans après, le secret des rois de France n'a rien perdu de sa puissance ni la démonstration catoganienne de sa stupéfiante audace.

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