daniel-cohen-richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdf

18
Procultura 5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 fax +33 (0) 1 40 20 01 21 www.procultura.fr Richesse du monde, Pauvretés des nations Daniel Cohen Introduction Peut-croire que le commerce avec les pays pauvres est la cause de notre appauvrissement quand cela ne représente que 3% des richesses produites chaque année par les nations les plus riches ? Il semble que non. Tout est faux ou presque des peurs qui attribuent à la mondialisation les crises des pays riches, selon Daniel Cohen. Si les peurs sont légitimes c’est parce qu’elles correspondent à la nouvelle réalité interne du capitalisme, à ses propres transformations qui ont eu pour conséquence une ouverture brutale. Cette réalité interne du capitalisme se caractérise par des unités de production plus petites, le recours à la sous-traitance, la professionnalisation des tâches. La misère du monde L’auteur commence par faire un constat. Qu’est ce qu’un pays riche sans opposants ? Un pays « prospère et vieillissant », d’où la nécessité de faire du commerce avec les pays pauvres. Mais, le commerce avec les pays pauvres n’expose pas les pays riches au risque de revenir en arrière, à la « loi du marché » telle qu’elle s’impose au XIXème aux premières heures du capitalisme européen? Il convient d’expliquer la raison de cette pauvreté avant d’examiner la prospérité récente des nouveaux pays industriels. L’homme le plus pauvre du monde. Tout d’abord quelques chiffres : 60% de la Chine et de l’Inde sont paysannes, 70% de l’Afrique est paysanne. Un paysan gagne entre 5 et 10 000 francs en Chine et en Inde, c’est 2 à 3 fois plus qu’en Afrique. Dans ces conditions, l’homme le plus pauvre du monde est sans nul doute la femme africaine, exploitée par l’homme qui n’investit pas dans la machine, l’épargne servant à acheter une autre femme qui lui donnera des enfants qui travailleront pour leur père. Les villes et les campagnes Une étude de la Banque mondiale, montre que la moitié des richesses des campagnes reviennent aux villes. L’exploitation des campagnes par les villes se fait de manière transparente avec l’implication des Centrales d’Etats, les Marketing Boards, les administrations publiques auxquelles est accordé le monopole d’achat des produits agricoles. L’origine de ces boards est diverse : elles ont été créées par les paysans eux-mêmes pour soutenir le cours des matières premières ou par les grands exportateurs pour exploiter les petits paysans. Sous la seconde Guerre Mondiale, ils ont été utilisés par l’Angleterre pour approvisionner l’armée.

Upload: hamza-zinbi

Post on 01-Feb-2016

7 views

Category:

Documents


4 download

DESCRIPTION

Daniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdfDaniel-COHEN-Richesse-du-monde-pauvretés-des-nations.pdf

TRANSCRIPT

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Richesse du monde, Pauvretés des nations

Daniel Cohen

Introduction

Peut-croire que le commerce avec les pays pauvres est la cause de notre appauvrissement quand cela ne

représente que 3% des richesses produites chaque année par les nations les plus riches ? Il semble que non.

Tout est faux ou presque des peurs qui attribuent à la mondialisation les crises des pays riches, selon Daniel

Cohen.

Si les peurs sont légitimes c’est parce qu’elles correspondent à la nouvelle réalité interne du capitalisme, à ses

propres transformations qui ont eu pour conséquence une ouverture brutale. Cette réalité interne du

capitalisme se caractérise par des unités de production plus petites, le recours à la sous-traitance, la

professionnalisation des tâches.

La misère du monde

L’auteur commence par faire un constat. Qu’est ce qu’un pays riche sans opposants ? Un pays « prospère et

vieillissant », d’où la nécessité de faire du commerce avec les pays pauvres. Mais, le commerce avec les pays

pauvres n’expose pas les pays riches au risque de revenir en arrière, à la « loi du marché » telle qu’elle s’impose

au XIXème aux premières heures du capitalisme européen?

Il convient d’expliquer la raison de cette pauvreté avant d’examiner la prospérité récente des nouveaux pays

industriels.

L’homme le plus pauvre du monde.

Tout d’abord quelques chiffres : 60% de la Chine et de l’Inde sont paysannes, 70% de l’Afrique est paysanne. Un

paysan gagne entre 5 et 10 000 francs en Chine et en Inde, c’est 2 à 3 fois plus qu’en Afrique. Dans ces

conditions, l’homme le plus pauvre du monde est sans nul doute la femme africaine, exploitée par l’homme qui

n’investit pas dans la machine, l’épargne servant à acheter une autre femme qui lui donnera des enfants qui

travailleront pour leur père.

Les villes et les campagnes

Une étude de la Banque mondiale, montre que la moitié des richesses des campagnes reviennent aux villes.

L’exploitation des campagnes par les villes se fait de manière transparente avec l’implication des Centrales

d’Etats, les Marketing Boards, les administrations publiques auxquelles est accordé le monopole d’achat des

produits agricoles.

L’origine de ces boards est diverse : elles ont été créées par les paysans eux-mêmes pour soutenir le cours des

matières premières ou par les grands exportateurs pour exploiter les petits paysans. Sous la seconde Guerre

Mondiale, ils ont été utilisés par l’Angleterre pour approvisionner l’armée.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Les gouvernements les ont maintenus afin de stabiliser le cours des matières premières. Le but étant

d’accumuler les réserves en période de « vaches grasses » et de les reverser aux productions en période de

« vaches maigres ». Mais, la tentation par les Boards de dépenser les surplus accumulés au fur et à mesure a

été trop forte… Cela a entrainé des réglementations obligeant les paysans à reverser toutes leurs productions

au pouvoir central, aux prix les plus bas possibles. Les boards sont devenus en quelque sorte leur tuteur.

Les élites urbaines tiennent leur légitimité politique des villes. Ce sont les révoltes urbaines qui déclenchent les

coups d’Etat et les révolutions. Tout pouvoir en place redoute les émeutes de faim qui surgissent chaque fois

que le FMI essaie de libéraliser le prix des produits alimentaires. Cette épée Damoclès urbaine induit un cercle

vicieux : en maintenant le prix des produits agricoles artificiellement bas, les pouvoirs urbains ruinent les

paysans, les contraignant à l’exode rural qui les entasse dans des villes dont la seule richesse est de pouvoir

compter sur des prix agricoles subventionnés… La moitié de la consommation urbaine est constituée de

produits alimentaires, ce qui rend le processus irréversible.

Le mercantilisme

Comment le passage des sociétés européennes d’un âge agraire à un âge industriel s’est heurté à des politiques

voulant « aider » les villes contre les campagnes ?

En ce qui concerne l’agriculture, à la Renaissance, la circulation du blé est encadrée, l’exportation interdite et

l’importation favorisée.

Le mercantilisme est l’ensemble des écrits qui dessinent ce que l’on appellerait aujourd’hui la politique

économique des Etats.

Le terme d’économie politique est forgé par Antoine de Montchrestien. Le but des Etats et de faire rentrer

autant d’or que possible par le soutien aux exportations et l’interdiction des importations, le vecteur

mercantiliste est le commerce et l’industrie.

L’Europe de la Renaissance est à 80% paysanne, tout comme l’Afrique aujourd’hui. Les auteurs mercantilistes

défendent une théorie de la richesse où la production agricole vient toujours en dernier : « on gagne beaucoup

plus par l’industrie que par l’agriculture et plus par le commerce que par l’industrie » précise, William Petty

Political Arithmetic 1678.

Comment une telle conception a-t-elle pu venir à l’esprit d’auteurs qui vivaient dans des économies rurales à

80% ?

Du fait des famines et des épidémies au XIVème siècle, 40% de la population européenne est détruite,

l’agriculture cesse d’être le souci des peuples. Mais surtout, l’Europe qui se dessine au sortir du Moyen Age est

en train de fermer sa géographie politique. La surenchère militaire de la France, de l’Espagne et de l’Angleterre

ruine les finances publiques de ces nations. La richesse fiscale et monétaire des campagnes est trop mince,

seules les villes où ont lieu les échanges marchands les plus denses sont la promesse d’une fiscalité abondante.

Une alliance politique est proposée aux Princes par les mercantilistes : elle offre aux Etats de prendre appui

sur l’industrie et le commerce pour remplis leurs caisses. Les guildes, les corporations d’artisans, les

Compagnies de commerce obtiennent des rois le monopole d’exercice de leur métier et paient en contrepartie

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

des droits (source principale de revenus des Etats). La contribution des campagnes sera indirecte : on fera tout

pour que les prix des denrées vendues en villes soit le plus faible possible pour maintenir une population

urbaine nombreuse et facile à nourrir.

Or, on n’aide pas les villes en appauvrissant les campagnes. Les famines viennent tôt ou tard sanctionner un

exode rural mal maitrisé. Il n’y a de populations urbaines viables qu’à concurrence du surplus venu des

campagnes et cela exige qu’on ne ruine pas les paysans, expliquent les physiocrates du XVIIIème siècle tel le

docteur Quesnay. Il faut abolir les régulations favorables aux villes, et laissez faire l’équilibre naturel que dicte

la production alimentaire.

Les progrès de l’agriculture sont l’une des causes majeures de la première révolution industrielle, qui voit le

jour à la fin du XVIIIème siècle. C’est dans les campagnes que se développe d’abord l’industrialisation, grâce à

au temps libre qu’offrira aux paysans une productivité agricole augmentée avec un équilibre entre la

production de biens industriels (textiles) et celle de bien alimentaires.

Ce schéma sert de référence au développement asiatique aujourd’hui. La même étude de la Banque

mondiale qui concluait au pillage des richesses agricoles africaines, révélait que les campagnes coréennes ont

été subventionnées par les villes !

La corruption

En Afrique, l’exploitation de la nation tout entière par les élites économiques pose un réel problème. Les

despotes appauvrissent jusqu’à l’extrême les nations qu’ils gouvernent. Victor Naim a qualifié cela d’effet

« anti-Midas » : quand le système transforme l’or noir en misère.

L’exemple du Venezuela est éclairant : avec la hausse du prix du pétrole, le gouvernement vénézuélien a

constitué au cours de la deuxième moitié des années 70 des caisses d’investissement pour aider prétendument

à l’industrialisation du pays. Comme les Marketing Boards en Afrique, ces caisses sont rapidement détournées

de leurs fins pas les groupes d’influence qui formaient l’entourage du Président de l’époque, Carlos Andrès

Perès. Des usines d’aluminium ou d’acier, sans aucun rapport avec les besoins du pays, sont construites pour le

seul bénéfice des détournements de subventions auxquels elles donnent lieu. Résultat dans les années 70-80,

malgré l’abondance offerte par la manne pétrolière, le Venezuela s’est appauvri !

Au Nigeria, la création d’une nouvelle capitale Abuja, avec la richesse pétrolière, a dissipé les richesses. Le

ministère des Finances estime que sur 23 milliards de nairas investis, 500 millions ont été utiles.

« Démocratie pour l’Afrique »

Cela se ferait au nom des trois rouages : exploitation de la femme, des campagnes, corruption des élites, selon

René Dumont. C’est en vertu de ce diagnostic que la démocratie apparait comme le programme grâce auquel

un cercle vertueux est susceptible de s’engager.

Par la démocratie, l’éducation devient un objectif crédible et la société pourrait passer à d’autres formes

d’accumulation de richesses et permettre de tenir le pouvoir discrétionnaire des élites.

Le discours de René Dumont, agronome de formation se rapproche de celui de Quesnay, physiocrate qui

dénonçait le mercantilisme urbain qui oppresse les campagnes, à deux siècles d’intervalles : le libre jeu des

marchés suffit à émanciper l’humanité.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Le conte de deux villes

A l’aube de la 1ère

révolution industrielle, l’écart de revenu par habitant entre l’Europe Occidentale, l’Inde,

l’Afrique ou la Chine est probablement inférieur à 30% seulement. Le phénomène inégalitaire entre les nations

est donc « récent » : il est le produit des deux derniers siècles.

Sous certaines conditions, on peut déceler que les nations pauvres parviennent à rattraper les nations riches.

C’est ce que l’on appelle la « convergence conditionnelle ».

Quelles sont ces conditions ?

- Un fort taux d’investissement

- Une forte scolarisation de la population

- Un taux d’ouverture commerciale élevé.

Ces remèdes sont employés en Asie : initialement au Japon, puis par Hong Kong, Singapour, la Corée et Taiwan.

Hong Kong et Singapour

Deux bidonvilles devenus aujourd’hui plus riches que leur colonisateur. Singapour figure parmi les dix pays les

plus riches au monde, au même niveau que le Canada, Hong Kong se situe au niveau de l’Italie. Les deux villes

ont un revenu par habitant supérieur à celui de la Grande Bretagne.

Au lendemain de la révolution chinoise, Hong Kong accueillent des anciens entrepreneurs de Shanghai qui

apporte une expérience industrielle incomparable. La ville assoit d’abord son industrialisation sur le textile puis

sur l’habillement où le protectionnisme a plus de mal à fixer des normes efficaces. Dans les années 70, Hong

Kong devient le 1er

producteur mondial de jouets et surtout l’un des premiers exportateurs de produits

électroniques, de montres à quartz notamment. Vers le début des années 80, happée par la libéralisation

économique chinoise, les habitants de Hong Kong retournent à Shanghai recréer le capitalisme dont ils étaient

issus, tandis que la ville tend la redevenir l’entrepôt du commerce entre le monde et la Chine…

Le destin de Singapour est plus extrême encore. Le niveau de scolarisation est l’un des plus bas au monde : en

1947, plus de 75% de sa population n’a reçu aucune éducation ! Et le contexte politique est très instable du fait

de l’insurrection communiste en Malaisie, puis de la guerre entre l’Indonésie et la Malaisie. En 1967,

l’Angleterre se retire. S’en suivent des réformes : la législation du travail est « simplifiée » avec la création

d’une cour d’arbitrage industrielle ; le gouvernement dégage un surplus de ses finances publiques qui dépasse

10% du PIB, un régime de retraite par capitalisation obligatoire est mis en place et va financer la moitié de

l’investissement de la ville ; et, le gouvernement offre aux investisseurs étrangers des exemptions fiscales

pouvant aller jusqu’à 90% des profits générés.

Singapour devient le premier récipiendaire du monde des investissements internationaux. Prés de 60 milliards

d’investissements extérieurs reçus ces quinze dernières années (50% de plus que l’Indonésie et vingt fois

supérieurs à ceux reçus par l’Inde). Le gouvernement multiplie les aides à l’industrie chimique et pétrolière, à

l’industrie du jouet et dans l’électronique, l’informatique : 1er

exportateur mondial de disques durs à la fin des

années 80 ! C’est aussi un centre financier fort.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Le parallèle avec l’ile Maurice

Elle connait aussi une instabilité politique forte suite à son indépendance en 1968 : baisse considérable des

salaires prédit par James Meade dans son rapport sur les perspectives de développement, l’état d’urgence est

décrété et envoie les leaders en prison, la baisse de cours du sucre, son principal produit d’exportation, se fait

sentir de 1978 à 1982. En 1982, le nouveau gouvernement démocratiquement élu joue la carte du

développement des zones franches. Avec le soutien des industriels de Hong Kong qui contourne les restrictions

imposées à leurs propres exportations, la production textile de l’ile est multipliée par cinq ! Le pouvoir d’achat

des salaires double.

Les pièges de pauvreté dont on a vu la logique dans le cas africain, ne sont pas inéluctables.

La Richesse des Nations

Les économistes distinguent trois facteurs de production :

- Le capital : somme des investissements matériels du pays corrigés par l’obsolescence des équipements

installés,

- Le travail : nombre d’heures travaillées corrigées par un indicateur de la scolarisation des travailleurs,

- Le progrès technique ou « productivité globale » des facteurs de production : mesure l’efficacité de

l’économie à marier le travail et le capital.

La productivité globale selon Daniel Cohen est finalement une sorte de boite noire où les économistes mettent

tout ce que n’expliquent ni le travail, ni l’accumulation du capital…

Chaque fois qu’une décomposition des sources a été faite par les économistes, ils ont été stupéfaits de

découvrir que la productivité jouait un rôle au moins aussi important que les facteurs de production

traditionnels.

De 1950 à 1973, la France rattrape les Etats Unis. A cette période la croissance de la productivité explique 60%

de la croissance totale ! Le progrès technique y est très important (comme dans la plupart des pays

industrialisés dans l’après guerre).

Cette décomposition appliquée aux quatre dragons (Hong Kong, Singapour, Corée, Taiwan) : doivent-ils

l’essentiel de leur enrichissement à l’effet mécanique de l’accroissement des hommes et des machines

employés ou bien faut-il l’imputer à leur « productivité globale » ? Si leur richesse résultait de leur stratégie de

spécialisation, des niches qu’ils ont occupées sur le marché mondial, de leurs « valeurs asiatiques » alors, la

croissance de la productivité serait forte.

Que découvre-t-on ? Le contraire. Ces dragons se situent dans les cinq premiers, après le Botswana avec ses

mines de diamants, quand il s’agit de leur croissance totale. En revanche, lorsqu’on fait le classement du

progrès technique, ils sont passables. Comme le dit Paul Krugman, les dragons doivent leur richesse à leur

transpiration plutôt qu’à leur inspiration.

Selon l’auteur, s’il fallait résumer d’un chiffre la méthode de développement asiatique ce serait celui de

l’épargne mobilisée. En Chine le taux d’épargne en 1995 s’élevait à 43% du revenu national !

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Il semble que ce soit les remèdes les plus simples qui donnent à la Chine sa richesse : épargner, investir,

éduquer sa main d’œuvre.

La richesse et le commerce international

Pourquoi alors ont-ils choisi de se tourner vers le commerce mondial pour se développer ? Notons que des

stratégies ont été différentes comme celle de l’ancienne URSS et de l’Algérie qui a pratiqué « l’industrialisation

industrialisante ». La scolarisation dans ces pays n’a pas suffit.

Comment penser la différence entre ces stratégies d’industrialisation « intraverties » et celles choisies par les

dragons ? Grâce au marché mondial, les pays asiatiques ont pu accéder à une économie de marché en

quelques années alors que les occidentaux ont mis plus d’un siècle.

Un marché rend la relation entre les producteurs et les consommateurs non manipulable, et confère une

structure de prix ainsi que des exigences de qualité. Bien plus que des « parts » de marché, une « structure » de

marché est captée par les pays asiatiques. Les choix domestiques de ces pays comptent peu face à l’impératif

de prix, de qualité du marché mondial. A Hong Kong, le seul rôle du gouvernement a été de louer les terres

dont il demeure propriétaire.

Le « libéralisme économique » des pays asiatiques ne doit pas faire illusion. L’Etat est bien souvent l’acteur

majeur des stratégies de croissance. La stratégie coréenne, même protectionniste, se soumet au prix et règles

du marché pour commercialiser les produits coréens.

Le rôle primordial du marché mondial dans l’organisation interne des économies asiatiques est bien illustré par

la Chine. La Chine, en 1975, était l’une des nations les moins ouvertes du monde (avec un taux d’importation

inférieur à 5%), et commerce aujourd’hui, proportionnellement à ses richesses, autant que la France (avec un

taux d’importation de 20%). L’une des raisons est que les provinces chinoises commercent souvent entre elles

via le marché mondial.

Les trente glorieuses à venir

Selon la Banque mondiale, la croissance asiatique pourrait s’élever à 7,5% l’an, en moyenne, au cours des vingt

prochaines années. Un phénomène de « rattrapage » est à l’œuvre. Ce resserrement des inégalités est « le

grand espoir du XXIème siècle ». Le rattrapage économique s’accompagnera-t-il d’un rattrapage politique ?

En Occident, la démocratie a été l’adjuvant de la croissance, comme elle pourrait l’être en Afrique. En Asie, la

démocratie commence à être l’effet de la croissance car les conflits redistributifs ont été moins vifs, le conflit

ville-campagne moins aigu, les inégalités de revenue moins acerbes. Enfin la scolarisation, élément de justice

sociale, a donné lieu à peu de blocages. L’éducation est apparue comme un facteur crucial du développement

économique.

Les cultures de ces pays doivent-elles rallier le modèle occidental? Le Japon a très tôt tiré le bénéfice de

l’insertion au marché mondial tout en parvenant à préserver sa culture. Mais comme le remarque Louis

Dumont, la société japonaise se dissout progressivement au profit d’une société plus égalitaire dont l’économie

de marché est un vecteur puissant.

Les pays riches doivent-ils se préparer à subir la loi d’une économie de marché dont ils ont été les

initiateurs ?

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

La grande peur de l’Occident

L’auteur expose le cas du Mexique. En 1992, au moment où se préparait la signature de l’accord de libre-

échange entre le Mexique et les Etats-Unis : la crainte était que les marchés américains soient absorbés par la

production mexicaine. Ross Perot parle de « giant sucking sound » (immense déglutissant). Or, avant la crise, le

peso était surévalué. Malgré les craintes alarmistes sur les bas salaires des travailleurs mexicains, le peso

« fort » a permis aux Américains d’envahir le marché mexicain. Il a fallu la crise financière pour que le peso

devienne « faible », grâce à quoi le Mexique a dégagé des excédents qui lui permettent de rembourser ses

dettes.

La leçon de l’épisode est universelle : il y a toujours un taux de change pour lequel les achats et les ventes de

marchandises s’équilibrent, et la crainte d’une perte de compétitivité « globale » est donc absurde.

La question est de savoir : quels sont les secteurs qui vendront, quels sont les secteurs qui achèteront ?

Les avantages comparatifs

David Hume est un auteur du XVIIIème siècle qui est resté célèbre pour son écrit contre la pensée mercantiliste

qui tient au contraire que des excédents indéfinis sont possibles et souhaitables. Cette phobie des déficits est

une préoccupation de l’époque qui tend à ramener l’or espagnol, l’or et l’argent des mines de Potosi, en

exportant plus qu’on achète. Selon William Petty, la richesse des nations se mesure à « l’abondance d’argent,

d’or et de bijoux » qui sont la richesse « en tout temps et en tout lieu » comparé « au blé, au vin, au volaille »

qui est la richesse « ici et maintenant ». Cela aide à comprendre la méfiance des mercantilistes à l’égard de la

concurrence internationale.

Pour Smith, Malthus et Ricardo, la richesse d’une nation sera donnée, non par le stock d’or mais par le travail

de ses habitants et par les moyens dont elle dispose pour l’employer au mieux.

La concurrence étrangère ne vole pas mon « trésor » puisque mon trésor c’est mon travail, que je garde la

liberté totale d’affecter aux tâches qui le valorisent au mieux.

David Ricardo notamment appellera cela la théorie des avantages comparatifs.

Adam Smith avance l’idée que dans le monde moderne, chacun se spécialise dans une tâche, et abandonne les

autres aux marchés. Je choisis le métier où je suis, comparativement aux autres, le meilleur. Le revenu que me

rapporte l’activité où j’excelle me dédommagera nécessairement du temps que j’aurais passé à faire l’autre

activité qui me plaisait.

De même, explique Ricardo, le commerce entre les nations obéira-t-il à des principes similaires : chaque nation

se spécialisera dans le domaine où elle dispose d’un avantage comparatif.

L’Angleterre par exemple est la meilleure en industrie, laisse à d’autres le domaine agricole. L’ironie de

l’Histoire est que l’Angleterre lorsqu’elle a cherché à se spécialiser dans la production industrielle, l’a fait en

important des produits agricoles qui ruinent sa paysannerie. Inversement, les pays du Sud commercent avec

l’Angleterre en important des produits anglais qui ruinent l’artisanat…

Dans les deux cas, la transition est cruelle pour ceux qui subissent la reconversion induite par le commerce.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Rappelons comment s’est faite la « mondialisation » au XIXème siècle dans le sillage de la première révolution

industrielle qui explique la crainte des pays du Sud à commercer avec le Nord et notre peur vis-à-vis du

commerce Nord-Sud.

Le commerce destructeur

L’Angleterre se spécialise donc dans l’industrie. La théorie de Ricardo est brutale : les produits alimentaires

importés se substituent irrésistiblement à la production nationale. Les paysans ruinés, arrivés en ville font

l’épreuve de l’insalubrité, ce qu’on appellera vite la précarité de la condition ouvrière. L’Angleterre doit trouver

des pays qui fassent le trajet inverse et acceptent de se « désindustrialiser ». L’Inde, exportateur net de

produits textiles au début du XIXème siècle voit sa base industrielle totalement détruite. A la fin du siècle, les ¾

de la consommation textile seront importés d’Angleterre.

Quels sont alors les produits pour lesquels l’Inde jouit du meilleur avantage comparatif ? Ce sont les produits

exotiques : le coton, le jute, l’indigo. Autrement dit, l’Inde se spécialise dans la culture de produits qui ne

garantissent plus son alimentation et doit importer son alimentation de base. Or, quand la conjoncture

mondiale sera défavorable, l’Inde ne pourra plus payer ses importations de produits alimentaires, et la famine

s’ensuivra. L’Inde excelle aussi dans la culture du pavot et le principal marché se trouve être la Chine, qui

souhaite en interdire le commerce. Les Anglais vont donc forcer la Chine à importer du pavot, ce sera la

« guerre de l’opium » et le traité de Nankin, signé en 1842.

La plupart des pays aujourd’hui du tiers monde ont subi la désindustrialisation du commerce à cause de

l’Angleterre. D’où une peur de la désindustrialisation, qui traduit l’idée que la division internationale du travail

n’est pas uniformément bonne car elle réserve « l’industrialisation industrialisante » pour reprendre la formule

de Gaston de Bernis, aux seuls pays riches.

La nouvelle désindustrialisation

La part des produits manufacturés dans les exportations des pays en voie de développement est passée de 20%

en 1970 à 60% en 1990. En 1990, 17% de la main-d’œuvre des pays du tiers monde travaillent pour un secteur

d’exportation industriel. Ce sont désormais les pays riches qui craignent que la « mondialisation » signe leur

propre désindustrialisation. Il est manifeste que le commerce mondial est devenu aujourd’hui l’un des moteurs

de l’industrialisation du Sud, et entraine une désindustrialisation partielle du Nord qui va vers une

spécialisation des échanges (de nouvelles compétences, de nouvelles industries, les TGV, les logiciels). Ces

nouveaux débouchés sont quasiment équivalents aux produits importés. Mais, quel sera l’effet « net » des

échanges mondiaux ?

L’ajustement macroéconomique

Les néo-ricardiens attribuent aux pays riches un avantage comparatif dans la production de biens à « haute

valeur ajoutée » qui nécessite peut de travail et beaucoup de capital et aux pays pauvres un avantage

comparatif dans la production de biens qui utiliseront à l’inverse beaucoup de travail et peu de capital. Cela

provoquera donc un déséquilibre sur le marché de l’emploi des pays riches. Peu d’emplois sont en effet créés

par les exportations, beaucoup seront détruits par les importations venant du Sud. Les travailleurs sans emplois

exerceront sur les salaires une pression à la baisse, et les capitalistes amélioreront du coup leurs marges.

Comme les secteurs d’exportation sont fortement utilisateurs de capital, le capital bénéficiera d’une demande

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

accrue. Cette analyse fait dire que la mondialisation se produit au profit du « capital », les capitalistes imposant

aux travailleurs une rigueur salariale et améliorant leurs profits…

Or, l’idée que les pays du Nord exportent des marchandises riches en capital, et importent des marchandises

riches en travail est fausse. Dés 1955, Léontieff comparait le contenu en emploi et le contenu en capital du

commerce des Etats-Unis avec les autres pays et le résultat est tout autre : les Etats-Unis exportent des biens

plus intensifs en travail que ceux qu’ils achètent à l’étranger. Ce sont donc des marchandises qui réclament

beaucoup de travail et peu de capital qui sont exportées par les pays riches.

Si le capital ne donne pas la clé pour différencier le Sud et le Nord, quelle est-elle ? Quels sont les avantages

comparatifs du Nord vis-à-vis du Sud, qui organisent la structure des échanges ? L’avantage comparatif du Nord

réside dans la composition de sa main-d’œuvre : c’est la part de travail qualifié dans la main-d’œuvre totale qui

est le point discriminant de la différenciation Nord-Sud.

Les économistes ont donc cherché à partir de la méthode de Léontieff, quel était le contenu en travail qualifié

de nos exportations, et le contenu en travail non qualifié de nos importations. Pour la majorité des pays riches,

les exportations consomment beaucoup plus de travail qualifié que la moyenne de la production, et les

importations ont à l’inverse, un contenu en travail non qualifié beaucoup plus fort. Les exportations paieront

mieux un nombre plus faible d’heures de travail plus qualifié.

Cela provoque une hausse des inégalités salariales : c’est au sein même du monde du travail qu’il faut chercher

les effets de la mondialisation.

Les nouveaux avantages comparatifs

L’effet du marché mondial sur les marchés du travail des pays riches peut s’expliquer avec la typologie de

Robert Reich qui découpe la société américaine en quatre quarts :

- Les « manipulateurs de symboles » : ce sont les producteurs d’ « idées » dont les débouchés sont à

l’échelle du monde. Ex : les utilisateurs d’internet

- Les enseignants, le personnel médical, ceux qui contribuent à l’Etat-Providence

- Les travailleurs occupés à des tâches de « service ». Ex : restauration, travail ménager

- Les travailleurs « routiniers » dont les métiers s’exposent au risque de délocalisation. Ex : ceux qui

entrent des données dans les ordinateurs, travail répétitif sans exigence de qualification particulière

Le 1er

quart gagne à la mondialisation, le 2nd

perd. Les autres quarts, cela dépendra de l’intensité des

mécanismes en cours et de l’évolution démographique des différents groupes.

Les producteurs de symboles

Pour expliquer la relation subtile entre les producteurs de symboles et la mondialisation, l’auteur sépare les

producteurs d’ « objets » et les producteurs d’ « idées ». Sa logique est simple : les idées n’ont besoin d’être

produites qu’une seule fois, pour tous ceux qui vont les utiliser (ex : un logiciel) ; un objet ne peut servir qu’à

son propriétaire (ex : un ordinateur). En terme économique, on dirait qu’une idée est un « bien public non

rival ». Un logiciel pourra être utilisé un milliard de fois sans jamais nuire à l’un de ses utilisateurs.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Plus le marché sur lequel les « idées » pourront être déployées sera vaste, plus il sera rentable d’en inventer de

nouvelles puisque la même invention peut être vendu un nombre indéfini de fois sans entrainer aucun coût de

fabrication additionnel (il faut bien sûr veiller à ce que les copyrights soient bien défendus).

Il y a une réelle dynamique entre la « mondialisation » avec le marché des « idées » des producteurs de

symboles et l’enchainement d’innovations. Plus que jamais il devient en effet « rentable » d’invertir au Nord

dans la production « d’idées » et d’abandonner la fabrication des objets correspondants à ces idées aux pays

du Sud. Les logiciels sont conçus au Nord, les ordinateurs, au Sud, par exemple.

La peur inégalitaire

Les économies productrices d’idées sont plus inégalitaires que celles qui fabriquent des objets. La propension à

exclure ceux qui n’ont pas d’idées est plus forte. Le commerce mondial, moteur d’un enrichissement inégal,

brise la cohésion de la société salariale. La désaffection à l’égard du travail non qualifié que prédit la peur

salariale va se réaliser au cours des années 1980. Aux Etats-Unis le salaire des travailleurs les moins qualifiés a

baissé de 30%. Or, cela ne prouve pas qu’on puisse imputer la désaffection à l’égard du travail non qualifié au

commerce international. La plupart des travaux récusent cette idée : il est impossible d’attribuer plus du 5ème

de la hausse des inégalités à concurrence du Sud, qu’elle provienne du commerce international ou de

l’immigration.

Le cas français est atypique, le commerce international est générateur d’emplois non qualifiés dans le domaine

agro alimentaire.

La relation empirique entre commerce et inégalité est faible, voire inexistante.

La troisième révolution industrielle

Aux Etats-Unis, l’essentiel du fait inégalitaire est inscrit dans la question salariale. De 1970 à 1990, le salaire

médian a régressé de 5% alors que l’écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres augmentait

de 40%. Jamais une telle explosion n’avait été enregistrée. Le terme « working poor » vient de là.

Aux origines des inégalités américaines

L’écart de revenu entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres est désormais de 1 à 9 aux Etats-Unis

et de 1 à 7,5 en France.

La liste des suspects responsables de cette paupérisation est vite établie : outre la mondialisation, il y a la

tertiarisation, l’immigration, le démantèlement des syndicats, la dérégulation.

La tertiarisation de l’économie

Les ¾ de la population active sont employés dans les « services ». La tertiarisation est le résultat d’une

dissociation de certaines tâches qui étaient autrefois répertoriées comme industrielles. Les données

dissimulent une forte hétérogénéité sociologique. Ainsi en France, près de 40% des hommes sont encore

« ouvriers ».

On remarque dans l’image donnée à la société américaine, une attirance pour le « cyber world » et un

dénigrement des « petits boulots ». Pourtant, les 2/3 des emplois crées aux Etats-Unis ces cinq dernières

années l’ont été dans le domaine des services aux entreprises, des services médicaux ou des métiers de la

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

finance. Nulle tendance à la déqualification des tâches n’est donc directement associée à la tertiarisation de

l’économie. Tout au contraire la tertiarisation est créatrice d’emplois qualifiés et destructrice d’emplois non

qualifiés.

En France, une étude de l’INSEE réalisée par Dominique Goux et Eric Maurin, montre que la désaffection à

l’égard du travail non qualifié français est essentiellement expliquée par le glissement des emplois vers une

structure qui se rapproche de l’économie américaine. Preuve que la tertiarisation revalorise les tâches et

abandonne le travail non qualifié. Ils en arrivent donc à la même conclusion.

Les autres coupables : l’immigration, la dérégulation du marché de l’emploi et l’affaiblissement de la

syndicalisation.

11 millions de travailleurs immigrés principalement non qualifiés ont gagné le marché du travail américain au

cours des années 1980. L’immigration représente à elle seule 20% du nombre des ouvriers non qualifiés.

Dans cette même période, le taux de syndicalisation baisse de 10 points.

Ces facteurs ne suffisent pas à expliquer la paupérisation récente des travailleurs non qualifiés vis-à-vis des

travailleurs qualifiés. Un autre terme bouleverse l’équilibre : la scolarisation croissante de la société

américaine. Mais en dépit de ces facteurs démographiques qui ont joué contre eux, les travailleurs diplômés

ont bel et bien vu leur situation relative s’améliorer vis-à-vis des travailleurs non qualifiés. L’explication est la

suivante : si le travail qualifié résiste à une démographie qui joue contre lui, c’est tout simplement parce que la

demande de diplôme est tirée par le haut par l’évolution des techniques de production elles-mêmes.

Mais bien plus que le glissement mécanique des emplois d’une structure industrielle vers une structure

tertiaire, le facteur dominant qui accélère la transformation sociale des pays riches est la

« professionnalisation » des tâches de production.

Le travail est engagé dans un processus de professionnalisation croissante. C’est une révolution des techniques

de production qui est à l’origine de la formidable explosion d’inégalités qui s’observe aujourd’hui.

La 3ème

révolution industrielle : celle de l’informatique !

La 1ère

révolution industrielle avait offert une croissance de l’ordre de 1% l’an aux économies qui s’y étaient

engagés au XIXème siècle. La seconde atteint le taux record de 2% l’an, en moyenne, tout au long du siècle. Il

est difficile de savoir si la révolution informatique produira une croissance supérieure car les erreurs de mesure

sont considérables dans un domaine où l’innovation de produits rend presque impossible de mesure la

croissance du nombre d’ordinateurs, de téléviseurs, d’automobiles… C’est presque l’idée même de

« croissance » qui se dissout dans une société qui raccourcit continûment la durée de vie de ses objets de

consommation.

La production « O-Ring » de Michael Kremer

L’O-Ring est le nom du joint (torique) dont le dysfonctionnement a été à l’origine de l’explosion de la navette

spatiale Challenger. La navette a couté plusieurs milliards à la NASA.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

La leçon de Kremer est la suivante : pour une chaîne de production donnée, le moindre dysfonctionnement

d’une pièce des parties menace la production du tout. Il en résulte que les niveaux de qualité, de qualification,

des travailleurs qui sont engagés dans un processus de production commun doivent être très proches.

Ce phénomène d’« appariement » des talents va être exacerbé par la révolution informatique.

A l’heure où l’informatique permet de combiner des processus de fabrication plus décentralisés, l’agrégation

des parties devient beaucoup plus flexible : la sous-traitance est possible (comptabilité, design, produits). Un

processus de segmentation des marchés, des produits et des personnes se met irrésistiblement en place.

Des données de l’INSEE sur les entreprises françaises témoignent de la force de ce processus. Entre 1986 et

1992, l’homogénéité des travailleurs au sein des entreprises françaises de plus de 10 salariés a augmenté de

plus de 20%. Si ce rythme devait se poursuivre, 25 ans suffiraient pour que les entreprises soient constituées de

salariés parfaitement identiques !

Cela a pour conséquence que de faibles écarts de performances individuelles peuvent dès lors donner lieu à

des écarts de revenus considérables. Dans le monde « O-Ring » la négociation porte d’abord sur la qualité du

service rendu, des prestations.

Les nouvelles inégalités

Cela induit un processus inégalitaire beaucoup plus lourd que celui auquel conduit la « mondialisation » de

l’économie. Si le commerce internationale ou l’immigration étaient la cause principale des inégalités

contemporaines, on observerait un phénomène inégalitaire qui se « limiterait » à une inégalité inter-groupe :

les travailleurs sans diplômes s’appauvrissement, les autres s’enrichissent. Or, la réalité est celle de

l’éclatement des inégalités au sein de chaque groupe socio-culturel (tranche d’âge, diplôme…).

Plus de 70% du phénomène inégalitaire américain s’explique ainsi par l’écartement des salaires des jeunes

travailleurs entre eux, des diplômés entre eux, des travailleurs de l’industrie entre eux.

La nouvelle misère du capitalisme contemporain est donc de créer au sein de chaque groupe social, au sein de

chaque vie, des tensions qui étaient jusqu’alors l’apanage de rivalités inter-groupes.

La théorie O-Ring offre un schéma d’explication riche qui renvoie à la nouvelle organisation du travail.

C’est la nouvelle flexibilité dans la combinaison des tâches qui explique la segmentation beaucoup plus forte de

la division du travail et la perméabilité plus forte des économies aux échanges internationaux.

L’exemple d’Apple et de Microsoft est éclairant. Même si Microsoft avait pris 10 ans de retard sur Apple, pour

la création de son logiciel Windows 95, Microsoft a dépassé Macintosh… Apple a en effet commis une erreur

fondamentale : elle a adopté une stratégie « protectionniste » si l’on peut dire : au lieu de se spécialiser dans la

fabrication de logiciels, où elle était la meilleure, la firme a voulu tout fabriquer : les logiciels, les ordinateurs,

les imprimantes… Au lieu de quoi Microsoft adoptait une stratégie « ouverte » : elle laissait les frimes Compaq

et Dell fabriquer les meilleurs ordinateurs, Hewlett Packard, les meilleures imprimantes… Résultat : Apple est

proche de la faillite, tandis que Microsoft a dépassé la capitalisation boursière d’IBM.

Microsoft est entré dans le monde O-Ring et a limité sa « fenêtre de vulnérabilité » au seul produit où elle était

experte, la fabrication de logiciels. En créant de nouveaux « appariements », le mode de production O-Ring

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

crée de nouvelles marges où les pays pauvres peuvent glisser : parfois, certaines fabrications venues d’Asie

trouvent à se nicher dans l’ensemble de produits entrainés par Microsoft.

La « désaffiliation » du travail

Pour le travail non qualifié, la fin du « fordisme » signe le début d’une véritable « désaffiliation » en dehors du

cœur de la machine capitaliste. Cette idée a été éclairée par Robert Castel dans son livre Les métamorphoses de

la question sociale.

Si la désaffiliation du travail en dehors de la grande usine fordiste est le signe d’une recomposition des lieux de

production autour d’ensembles plus petits, plus « professionnels » et surtout plus homogènes, le travail

qualifié n’est désaffilié qu’en un sens partiel. Son appartenance au « système » reste centrale mais l’incertitude

est plus forte quant aux lieux de son appartenance. (Qui débutera sa carrière chez Microsoft, ne sait où il la

terminera)

La désaffiliation des travailleurs qualifiés est d’une nature différente de celle dont souffrent les travailleurs non

qualifiés dont le destin semble scellé… ce sont les laissés pour compte d’une période de transition où la

demande de travail non qualifié s’effondre.

Les appariements sélectifs

La méthode de production O-Ring a permis d’expliquer pourquoi les appariements doivent d’effectuer selon un

principe d’homogénéité maximale dans le domaine de la production semble à l’œuvre dans l’ensemble du

corps social. Les lieux habituels se socialisation tendent à devenir des lieux d’associations entre personnes

homogènes.

L’école

Le commerce avec les pays pauvres crée des emplois à forte qualification. Le remède serait d’accroître le

niveau de la scolarisation de la population. La qualification croissante de la population change la logique des

appariements : ils sont « sélectifs » c'est-à-dire que les diplômés restent entre eux.

Cette nouvelle logique serait la réponse de la société au changement de la composition de sa force de travail.

La famille, Gary Becker

Si le monde moderne doit se caractériser par l’affranchissement de la question amoureuse de la question

matérielle et devient surtout une affaire de goût, alors Becker établit le résultat suivant : le « marché des

relations matrimoniales » fonctionnera par « appariement sélectif », les couples seront plus homogènes que

par le passé, cherchant un conjoint qui partage les mêmes goûts. Lorsqu’elle fonctionne à l’amour plutôt qu’à

l’argent, la constitution des couples ne devient donc pas plus « égalitaire ». Chercher à partager les goûts de

son conjoint plutôt que sa richesse est en effet plus sélectif puisqu’aucun phénomène de compensation ne

peut intervenir.

L’analyse de Becker des causes du divorce renvoie à une transformation majeure : la hausse des salaires et

notamment la hausse des salaires féminins. Le destin professionnel des individus devient une variable cardinale

qui contribue à définir leur identité. Les vicissitudes auxquelles le marché du travail expose les gens se

traduisent irrémédiablement par une menace pour le couple.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Les sociologues établissent un constat de même nature : la relation entre les couples est désormais fondée sur

un contrat mettant en présence deux sujets qui se veulent égaux, il peut être repris librement aussitôt qu’il

cesse de convenir à l’une des parties.

Le sentiment égalitaire qui fonde les couples contemporains, rappelle Louis Dumont, est l’une des pièces de la

dissolution des sociétés hiérarchiques, elle-même intimement liée à l’émergence d’une économie de marché.

L’homme démocratique cherche à se débarrasser des traditions, mais dés qu’il y parvient, il en a la nostalgie,

dit Pascal Bruckner. Cela illustre les transformations que connait le capitalisme contemporain : l’homme

moderne a soif de partager la « mondialisation » mais a peur qu’elle ne soit « déshumanisante », la crainte

qu’elle crée un monde trop vaste.

La patrie

L’idée selon laquelle il vaut mieux un grand marché intérieur qu’un petit se dissout à l’heure où le marché

mondial offre à chacun le plus grand marché possible. Du coup, nombre de petites nations ont pu voir le jour

au cours de la dernière décennie. Elles sont nées de l’éclatement de l’URSS et de la chute du mur de Berlin. Et

le succès de Singapour et Hong Kong suffirait à lui seul à invalider l’idée qu’un « grand marché intérieur » est la

condition de croissance.

Du coup, l’économie politique apporte un argument contre les grandes nations. Elles sont constituées de

populations hétérogènes qui oblige à d’importantes redistributions, qui grèvent le budget, nuisent aux finances

publiques et font peser le poids de la dette et de l’inflation sur l’économie.

La mondialisation rend moins nécessaire de maintenir des grandes nations pour le bénéfice de leurs grands

marchés intérieurs. La politique locale et régionale prend des couleurs.

Un seul monde ?

L’ouverture brutale de nos sociétés à un monde plus « vaste » demande des relations sociales plus proches.

Tout se passe comme si la vie économique et la vie politique suivaient ainsi un chemin inverse. L’une s’ouvre et

l’autre se ferme. Cette rétraction de la vie politique pose le problème de la nouvelle « cohésion

internationale » à laquelle il faudra mettre des principes élémentaires, qu’il s’agisse du commerce ou de

principes humanitaires guidant une politique de santé publique internationale.

Chômage et exclusion

« Moneyless America, Jobless Europe ». Cette citation illustre parfaitement la manière dont américains et

français représentent la crise de leur société industrielle.

Le chômage de masse

Lorsque que la croissance se ralentit, il est inéluctable que la demande d’emplois, tout comme celle des biens

d’équipements, ralentisse également. Du fait que l’embauche et l’accumulation de capital engendraient

spontanément un supplément de richesses annuel de 3% après guerre tandis qu’ils ne génèrent plus à présent

qu’un surplus inférieur à 1% l’an, la croissance est évidemment devenue plus difficile à mettre en œuvre

aujourd’hui.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Mais, les pays qui ont le mieux réussi à résorber le chômage ne sont pas ceux où la croissance a été la plus vive.

De 1973 à 1992, les Etats-Unis et la France ont connu une croissance moyenne identique. Le chômage français

a crû considérablement alors que le chômage américain est resté stable. Il y a donc un autre facteur que la

croissance. Il faut prendre en compte les fluctuations, les cycles. La France dispose d’une marge de résorption

de son chômage de 12 à 9% qui ne tient qu’à elle d’employer à la faveur d’un retournement de cycle, spontané

ou provoqué.

La désaffection pour le travail non qualifié

Avec la progression du taux de chômage français du début des années 70 jusqu’à la fin des années 80, on voit

en effet une formidable asymétrie se creuser entre les le destin des travailleurs munis ou non d’un diplôme. La

« crise » de l’emploi n’est en réalité que la crise du travail non qualifié. En 1990, lorsque le taux de chômage

des travailleurs qualifiés est passé de 2,5% à 4,5%, celui des travailleurs non qualifiés a explosé pour atteindre

20%.

Les diplômes sont-ils alors des moyens de créer des emplois de meilleure qualité, ou fonctionnent-ils

seulement comme des passe-droits dans la file qui mène à un monde l’emploi lui-même intangible ?

Selon la théorie de Michael Spence, seule l’aptitude révélée à apprendre, ou à réagir à des situations de

compétition, compte. Christian Baudelot et Michel Gaude valident l’approche de Spence en montrant que la

structure des salaires est remarquablement stable, à condition de ne pas rapporter les salaires aux années

d’études, mais à la hiérarchie des diplômes. Si donc les hiérarchies salariales reflètent celles de l’Université,

force est d’admettre que le mécanisme de Spence est à l’œuvre. Pourquoi le phénomène inégalitaire joue-t-il

en France sur les quantités de travail disponible tandis qu’aux Etats-Unis il s’exprime par le niveau des salaires ?

Libéralisme et keynésianisme

La critique de l’idée selon laquelle la demande de travail ne serait elle-même que l’effet exclusif de la

négociation salariale est au cœur de l’œuvre de Keynes. Sa démonstration est claire. S’il y a du chômage, nul

doute, admet Keynes, que les salaires baisseront, traduisant le moindre pouvoir de négociation des salariés.

Mais, comme les prix sont eux-mêmes indexés sur les salaires, ils baisseront également. Le chômage

provoquera donc une baisse des salaires nominaux mais rien ne garantit qu’il produise une baisse des salaires

réels (c’est-à-dire des salaires obtenus après correction de l’inflation).

La question est de savoir si les prix baisseront plus vite (ou progresseront plus lentement) que les salaires et,

c’est la conjoncture économique qui en décidera. Si elle est bonne, alors oui: les prix augmenteront plus vite

que les salaires et le salaire réel baissera, facilitant l’embauche ; sinon en période de récession, le salaire réel

augmentera malgré la baisse des salaires nominaux.

Au terme de la théorie keynésienne c’est l’emploi qui fixe le salaire (réel). L’évolution des débouchés des

entreprises détermine l’emploi et la conjoncture économique. Faute de débouchés, l’entreprise licenciera

d’abord ses ouvriers et quelle que soit la baisse des prix, il n’y aura jamais assez de débouchés pour atteindre le

« plein emploi » car les ouvriers ne disposent d’aucun pouvoir d’achat. D’un point de vue keynésien, tout ce qui

peut contribuer à freiner les licenciements et soutenir le pouvoir d’achat sera une bonne chose. Keynes est

l’apôtre d’un nouvel âge de l’économie politique.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

La courbe de Phillips (1956)

Le chômage a pour rôle de déterminer l’inflation. La courbe de Phillips dessine la relation entre inflation et

chômage : lorsque le chômage est trop élevé, les salaires et les prix baissent, lorsqu’il est trop bas, ils

augmentent. Quand la crise a gagné les pays de l’OCDE, la logique de la courbe de Phillips aurait voulu que le

ralentissement de la croissance et la hausse du chômage fasse pression à la baisse des salaires. Or, cela n’a pas

été le cas. Après le 1er

choc pétrolier, la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente continûment. La

« stagflation » (combinaison de chômage et d’inflation) était inexplicable… La seule explication un peu faible

était que les salariés ont reporté sur les entreprises la charge de l’ajustement de la hausse du prix du pétrole ;

malgré la hausse du chômage.

Les inclus et les exclus : la théorie des insiders/outsiders

Cette théorie explique la raison pour laquelle les salaires continuent de croître malgré la hausse du chômage.

Pour protéger son emploi, il suffit de caler son salaire sur l’évolution de sa productivité, et non pas sur la

productivité potentielle des chômeurs.

Chômage et exclusion

Le chômage résulte du rythme auquel les emplois seront détruits : ce qu’on appelle les taux de séparation. Il

dépend aussi de la rapidité avec laquelle un chômeur trouvera un emploi : chiffre qui sera mesuré par la durée

moyenne passée au chômage. Or, la différence fondamentale entre la France et les Etats-Unis est moins

donnée par le nombre de chômeurs eux-mêmes que par des écarts considérables entre les vitesses auxquelles

on perd et on retrouve un emploi.

Ainsi, chaque mois près de 2% de la population active américaine perd son emploi. Le chiffre français est cinq

fois inférieur ! A l’inverse, le chômeur américain restera en moyenne moins de trois mois au chômage quand

un français cherchera plus d’un an…

Le chômage américain est beaucoup plus fréquent et beaucoup plus bref que le chômage français.

Misère de la politique

La crise du Keynésianisme doit plus aux transformations internes de la société qu’aux influences externes. La

régulation « macroéconomique » de Keynes a du mal à suivre les évolutions internes de sociétés divisées.

La crise de la politique économique

Les gouvernements, dans les années 50-60, entendent le message keynésien comme une incitation à utiliser le

déficit public pour réguler la demande, donc comme le moyen adapté d’éviter les récessions. Quand il y a

récession, les gouvernements injectent du pouvoir d’achat, via les dépenses publiques pour raviver l’activité

économique. Cette politique rencontre deux limites :

- la peur de l’inflation précisée par la courbe de Phillips : à trop relancer l’activité économique, on risque

les entreprises augmentent leurs prix plutôt que leur production.

- la crainte de déficits de la balance des paiements : à trop dépenser ce que l’on produit, on risque de

devoir importer de l’étranger.

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

Aujourd’hui, l’action concertée des politiques budgétaires au niveau européen permettrait de relâcher la

crainte de déficits de la balance des paiements car les importations des pays européens sont les exportations

des autres.

L’Europe souffre d’un handicap dans sa gestion macroéconomique, du fait, en réalité, que la politique

budgétaire est atteinte par la crise des finances publiques. Aujourd’hui, la charge des intérêts sur la dette

publique est devenue dans la majeure partie des pays de l’OCDE, le premier poste de dépenses de l’Etat. Ils ont

atteint des niveaux d’endettement qui leur rendent extrêmement coûteux de mener des politiques de relance

à base de déficit budgétaire.

Les gouvernements mènent des politiques budgétaires qui épousent mollement la conjoncture. Cette prudence

ne doit rien à la peur de l’inflation et des déficits externes.

Le mauvais argument des contraintes

Cette crise des finances publiques est niée par ceux qui ne mesurent pas le risque d’insolvabilité des pays les

plus endettés.

Certes la globalisation financière crée une dialectique subtile de dépendance et de soutien aux finances

publiques, les Etats ont recours aux marchés financiers internationaux pour financer leurs déficits, ils

deviennent vulnérables au jugement des investisseurs extérieurs.

Il ne s’agit pourtant pas de cela dans le cas de la Sécurité sociale. La dette qui pourrait être répudiée (le

paiement des retraites) n’est pas cotée sur les marchés financiers et peu leur importerait par exemple que les

actifs décident que les retraités ne perçoivent pas ce qu’ils pensent être leur dû.

L’éternel retour de paupérisme

Le paupérisme revient dans le paysage des pays riches. L’idée d’une puissance publique œuvrant pour le « bien

commun » se dissout désormais. L’instrument qui pourrait être mobilisés si l’objectif de lutte contre la

pauvreté était effectivement au cœur du projet politique des gouvernements, serait : l’impôt négatif. L’impôt

négatif accorde à chaque personne en âge de travailler un « revenu minimum », et lui en garantit le bénéfice,

que cette personne trouve un emploi ou non. Cette proposition a le mérite fondamental de ne plus obliger la

société au choix de désigner une personne comme « RMIste » ou « smicard ». Elle fait débat. Du côté libéral, il

n’excéderait pas 1 000F par mois. D’autres pensent qu’il devrait être un véritable salaire d’existence comme le

SMIC. L’enjeu est d’éviter que les aides ne les enferment dans un piège de pauvreté, à ce titre un revenu de

l’ordre du RMI conviendrait mieux.

L’administration Clinton a développé un instrument efficace : l’Earned Income Tax Credit. Il s’agit de

subventionner le travailleur, chaque fois qu’il gagne 100, l’Etat lui verse jusqu’à 40. Cette mesure permet à la

société de pallier aux inégalités salariales sans créer un mur entre ceux qui sont employables au SMIC et les

autres. C’est l’efficacité d’une fiscalité libre de déterminations politiques.

Feue la volonté politique

Si la peur de la mondialisation est partagée par la majorité d’électeurs, pourquoi s’accompagne-t-elle d’un tel

doute politique sur leur propre capacité à annuler les effets ? Pourquoi cette majorité ne choisit pas d’engager

une économie dans une voie inégalitaire et une politique dans une voir redistributrice ? Le consensus

Procultura

5 rue Saint-Benoît 75006 PARIS – Tel +33 (0) 1 40 20 15 50 – fax +33 (0) 1 40 20 01 21

www.procultura.fr

démocratique exclura les « perdants » de la prospérité parce que les lois de la politique ne suffisent plus à

invalider leurs effets. Quand chacun connait sa position sur l’échiquier social, il devient beaucoup plus difficile

de redistribuer les richesses.

Le nouvel individualisme

L’attitude vis-à-vis de la pauvreté n’est pas dictée seulement par sa propre position sociale. Les travaux de

Thomas Piketty en attestent : les électeurs votent beaucoup plus souvent en fonction des « représentations »

du monde qu’ils se donnent qu’en fonction de leur strict intérêt économique. L’expérience sur des enfants

illustre ce propos : un enfant qui reçoit une récompense qu’il n’avait pas prévue pour son dessin, elle le rend

plus généreux, il pourra la donner à un autre enfant qui en a besoin. Un second enfant prévenu de la

récompense pour le plus beau dessin, croira avoir mérité cette récompense pour son effort et restera égoïste.

Dans les trente glorieuses, aussi longtemps qu’on gagne plus que ce que l’on croyait recevoir, on est généreux.

Maintenant qu’il faut réviser à la baisse ses attentes, on est plus égoïste et individualiste.

Quand on interroge un français sur les causes de son succès professionnel : il répond : les relations, la chance…

Un américain dira l’ambition, le travail. Un français qui a réussi est comme le 1er

enfant il croit en sa chance.

L’américain ressemble au second il croit en l’aboutissement de ses efforts.

Le 4ème

âge de l’économie politique

C’est un âge où l’économique et le politique s’examine sans qu’aucun ne parvienne plus à dominer l’autre. Le

politique perd le surplomb que lui conférait le keynésianisme sans que le « marché » ne réussisse pour autant à

imposer sa loi. Nous entrons dans une période où le politique se constitue lui-même en « marché ». Les

hommes politiques « vendent » des programmes et visent l’espace le plus « solvable » du marché, le segment

central d’une « classe moyenne ».

Le débat semble pris dans la tenaille d’une alternative : faut-il s’en remettre au « marché » pour gérer la

société ou faut-il mettre en place des institutions complémentaires qui en limitent la portée. Transformer

l’Etat-Providence signifierait modifier une structure qui a été pensée dans le cadre de l’époque « fordiste »,

celle de la 2nde

révolution industrielle, pour l’adapter aux inégalités créées par la 3ème

.

Conclusion

C’est en se convaincant que la menace qui pèse sur leurs sociétés vient du dehors que les pays riches se

rendent aveugles aux transformations qu’ils ont eux-mêmes engagées. Donner à croire que les pays du Sud

sont cause de nos malheurs engagent les démocraties sur de fausses pistes : dont les plus graves sont qu’il faut

affaiblir l’Etat providence pour « affronter » la concurrence internationale et qu’il faut « internationaliser » la

vie politique elle-même pour « gérer » la mondialisation. Adapter l’Etat-Providence au nouveau monde des

inégalités contemporaines obéit à une logique interne où la mondialisation compte pour peu. Pour les pays

pauvres, le commerce mondial est la promesse que soit annulé deux siècles où les nations du monde ont laissé

se creuser des écarts de prospérité et de puissance sans précédent.