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1 METHODOLOGIE D’ECRITURE SOMMAIRE. CHAPITRE 2 : L’Analyse ....................................................................................................................................... 2 2.1. Analyse de plusieurs textes. ....................................................................................................................... 2 Particularité de l’analyse : ............................................................................................................................. 2 Approche de l’analyse d’un corpus de textes ............................................................................................... 5 Prendre connaissance du dossier ............................................................................................................. 8 Entrainement : .......................................................................................................................................... 9 proposition de correction sur l’approche des textes ............................................................................. 11 Entrainement à la rédaction : ................................................................................................................. 15 Proposition de correction de rédaction : ............................................................................................... 16

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METHODOLOGIE D’ECRITURE

SOMMAIRE.

CHAPITRE 2 : L’Analyse ....................................................................................................................................... 2

2.1. Analyse de plusieurs textes. ....................................................................................................................... 2

Particularité de l’analyse : ............................................................................................................................. 2

Approche de l’analyse d’un corpus de textes ............................................................................................... 5

Prendre connaissance du dossier ............................................................................................................. 8

Entrainement : .......................................................................................................................................... 9

proposition de correction sur l’approche des textes ............................................................................. 11

Entrainement à la rédaction : ................................................................................................................. 15

Proposition de correction de rédaction : ............................................................................................... 16

2

CHAPITRE 2 : L’ANALYSE

La méthodologie de l’analyse reprendra le travail qui a été proposé dans les démarches communes

aux épreuves en chapitre 1.

Concernant chaque épreuve des particularités vont s’ajouter. Elles ont été mises en avant dans le

tableau d’approche initial. Il convient maintenant de les détailler.

2.1. ANALYSE DE PLUSIEURS TEXTES.

L’arrêté du 19 avril 2013 précise qu’il est attendu une réponse structurée « argumentée, articulée,

cohérente » qui permettra à votre jury de mesurer votre compréhension et la capacité de votre

analyse.

Les deux sujets 0 de 2014, qui ont suivi ce texte ont tous deux mis en avant les termes d’analyse.

� G.1. : A partir du corpus proposé vous analyserez comment la mémoire inscrit l’homme

dans le temps et donne sens à son existence.

� G.2. À partir du corpus proposé vous analyserez comment les objets sont révélateurs d’un

rapport au monde et à soi-même.

� G.3. : À partir des textes du corpus, vous analyserez dans quelle mesure le voyage apparait

comme une épreuve révélatrice.

En 2015 les groupements recevaient les sujets suivants :

� G.1 : Dans ce corpus, vous analyserez comment les auteurs invitent à une réflexion sur la

place du sport dans la société et dans la construction de l’individu.

� G.2 : Quels regards les auteurs des textes du corpus portent-ils sur l’éducation des filles ?

� G.3 : Dans le corpus, vous analyserez le regard que les auteurs portent sur les fables.

Tous comportaient un corpus de textes. Tous guidaient sur une analyse. À l’exception du G2 2015

qui ne mentionnait pas le terme.

PARTICULARITÉ DE L’ANALYSE :

SUJET SUR LEQUEL NOUS ALLONS TRAVAILLER

À partir du corpus fourni, vous proposerez une analyse qui dégage les différentes manières de concevoir le jeu théâtral.

Conseils :

Contrairement à la synthèse, l’analyse ne se borne pas à confronter des textes les uns aux autres

même si des points communs apparaissent clairement entre les deux types d'exercices. L’analyse

est un exercice à part entière, même si l’approche de textes est commune aux deux autres épreuves.

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L’analyse est un travail qui demande une approche très précise des textes, en particulier des textes

littéraires.

APPROCHE DU TEXTE LITTÉRAIRE :

C’est un genre de texte qui met en jeu plusieurs éléments que vous devez connaitre.

Le texte littéraire peut donner une information explicite sur le thème. Ou au contraire elle sera implicite. Donc tout comme vous aurez à l’apprendre à vos futurs élèves il y a un décodage à réaliser tant sur le vocabulaire, que sur la syntaxe, que sur la cohésion textuelle (anaphores connecteurs). S’il s’agit d’un récit il faut identifier les personnages, leurs but, et pouvoir ainsi reformuler leur intention dans l’optique du sujet.

Le genre poétique est encore plus « demandeur » : la lecture contrairement à un roman n’est pas toujours linéaire. Les contraintes formelles sont nombreuses (vers, rimes, strophes) même si justement elles sont « libres » pour celui qui écrit.

Quant au théâtre il est à la fois spectacle et littérature. La double structure dialogues (propos des comédiens) et didascalies (présentation des personnages, des scènes, des indications de mise en scène) sont aussi éloquents parfois. La didascalie permettant de provoquer une situation ou une mimique ou un désespoir…

Comprendre un texte littéraire dans le cadre de l’analyse consistera à repérer ce dont il parle (le thème) et donner ce que vous pouvez en dire (propos).

LES DEMANDES DE L’ANALYSE

1. DEGAGER LES IDÉES PRINCIPALES ET LES REFORMULER AVEC CITATIONS

Les idées essentielles, principales seront reconnues et distinguées des idées secondaires voire accessoires. Analyser dans son sens premier c’est délier. Les idées seront reformulées et leur affirmation dans le travail de rédaction s’appuiera obligatoirement sur des éléments du texte, des citations placées entre guillemets. Vous pouvez déjà à ce stade de travail repérer certaines d’entre elles.

NB : Attention, le texte ne doit pas être recopié chaque fois que vous évoquez une idée. Vous devez sectionner judicieusement les termes.

Le conseil méthodologique : quand vous lisez un texte, il est conseillé au fur et à mesure de dégager de chaque partie et à partir des liens logiques retenus, la construction, les thèmes et les arguments avancés. (Ce travail sera très important et encore plus poussé dans le cas d’une analyse d’un seul texte)

Dans le texte littéraire, retrouvez l’implicite. L’auteur peut utiliser une figure de style pour énoncer une idée majeure… on pense ici surtout à la métaphore.

NB : Votre relevé de notes peut être très proche du texte. La reformulation aura lieu dans le cadre de la rédaction, pas du travail d’approche.

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Une fois le texte « décortiqué » une vue d’ensemble se dégage. Vous pouvez alors répondre à la question du sujet. La construction du texte est forcément tournée vers une argumentation porteuse.

2. REPÉRER GENRE, STYLE ET TON DES TEXTES.

Rappel chapitre 1 : genres et types de textes

On distingue trois principaux genres de textes qui comportent chacun de nombreux sous-genres associés :

- Roman (autobiographie ; journal ; mémoires ; conte ; roman courtois ; roman

fantastique...).

- Théâtre (tragédie ; comédie ; drame romantique...).

- Poésie (lyrique ; épique ; élégiaque ; satirique ; didactique...)

Les différents types de texte retenus sont :

- Narratif : il sert à raconter des événements, des suites de faits.

Genres : récit historique, roman, légende, reportage journalistique, nouvelle... - Descriptif : il peint au lecteur un lieu ou un personnage.

Genres : guide touristique, roman, texte documentaire... - Argumentatif : son but est de persuader, de convaincre, en apportant des éléments pour

étayer le point de vue de l'auteur.

Genres : essai, pamphlet, plaidoyer, critique de film...

- Informatif / explicatif : ce type de texte est utilisé pour transmettre une analyse objective

d'un phénomène afin qu'il soit correctement assimilé.

Genres : article scientifique, ouvrage scolaire... - Injonctif : il sert à imposer une opinion ou à conseiller, en usant de consignes ou en

donnant des ordres, des injonctions.

Genres : recette de cuisine, notice de montage, décision de justice... - Dialogué : il rapporte la conversation entre plusieurs personnages.

Genres : interview, dialogue de théâtre, rapport de débat... - Poétique : il s'affranchit des différents types de texte en les détournant dans une grande

liberté créative.

Genres : poème, comptine, chanson, proverbe...

3. RESTER NEUTRE.

C’est une caractéristique de la synthèse et de l’analyse qui ne demandent pas d’avis personnel. Et c’est ici toute la différence d’avec un commentaire qui lui demande non seulement de décrire mais encore d’interpréter et d’apprécier le texte. Ici vous allez travailler à partir d’un sujet dont la problématique est pratiquement donnée d’emblée, contenant même parfois le plan.

Il n’y a pas à intervenir, les auteurs ont tous donné une réponse à la question posée.

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À vous d’organiser la réponse.

APPROCHE DE L’ANALYSE D’UN CORPUS DE TEXTES

Sujet : À partir du corpus fourni, vous proposerez une analyse qui dégage les différentes manières de concevoir le jeu théâtral.

- Denis DIDEROT, « Paradoxe sur le comédien », in Œuvres esthétiques, Classiques Garnier, 1988, pp. 306-307 (texte rédigé entre 1773 et 1777, publié à titre posthume en 1830)

- Roland BARTHES, « Deux mythes du Jeune Théâtre », in Mythologies, Le Seuil, 1957, pp. 117-119 (1ère édition : 1957)

- Eugène IONESCO, « expérience du théâtre », in notes et contre-notes, Gallimard, 1966, pp. 50-51 (1ère édition : 1962)

- Bruno CREMER, « Un certain jeune homme », livre de poche, 2003, pp. 283-284 (1ère édition : 2000)

CORPUS DE TEXTES :

Texte 1 Denis DIDEROT, Paradoxe sur le comédien, in Œuvres esthétiques, Classiques Garnier, 1988, pp. 306-307 (texte rédigé entre 1773 et 1777, publié à titre posthume en 1830)

« LE PREMIER Le point important, sur lequel nous avons des opinions tout à fait opposées, votre auteur et moi, ce sont les qualités premières d'un grand comédien. Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; il me faut dans cet homme un spectateur froid et tranquille ; j'en exige, par conséquent, de la pénétration et nulle sensibilité, l'art de tout imiter, ou, ce qui revient au même, une égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles. LE SECOND Nulle sensibilité ! LE PREMIER Nulle. Je n'ai pas encore bien enchaîné mes raisons, et vous me permettrez de vous les exposer comme elles me viendront, dans le désordre de l'ouvrage même de votre ami. Si le comédien était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? Très chaud à la première représentation, il serait épuisé et froid comme un marbre à la troisième. Au lieu qu'imitateur attentif et disciple réfléchi de la nature, la première fois qu'il se présentera sur la scène sous le nom d'Auguste, de Cinna, d'Orosmane, d'Agamemnon, de Mahomet, copiste rigoureux de lui-même ou de ses études et observateur continu de nos sensations, son jeu, loin de s'affaiblir, se fortifiera des réflexions nouvelles qu'il aura recueillies ; il s'exaltera ou se tempérera, et vous en serez de plus en plus satisfait. S'il est lui quand il joue, comment cessera-t-il d'être lui ? S'il veut cesser d'être lui, comment saisira-t-il le point juste auquel il faut qu'il se place et s'arrête ? Ce qui me confirme dans mon opinion, c'est l'inégalité des acteurs qui jouent d'âme. Ne vous attendez de leur part à aucune unité ; leur jeu est alternativement fort et faible, chaud et froid, plat et sublime. Ils manqueront demain l'endroit où ils auront excellé aujourd'hui ; en revanche, ils excelleront dans celui qu'ils auront manqué la veille. Au lieu que le comédien qui jouera de réflexion, d'étude de la nature humaine,

d'imitation constante d'après quelque modèle idéal, d'imagination, de mémoire, sera un, le même à

toutes les représentations, toujours également parfait : tout a été mesuré, combiné, appris,

ordonné dans sa tête ; il n'y a dans sa déclamation ni monotonie, ni dissonance. »

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Texte 2 Roland BARTHES, « Deux mythes du Jeune Théâtre », in Mythologies, Le Seuil, 1957,

pp. 117-119 (1ère édition : 1957)

« Si l'on en juge par un récent Concours des Jeunes Compagnies, le jeune théâtre hérite avec rage

des mythes de l'ancien (ce qui fait que l'on ne sait plus très bien ce qui les distingue l'un de l'autre).

On sait par exemple que dans le théâtre bourgeois, l'acteur, « dévoré » par son personnage, doit

paraître embrasé par un véritable incendie de passion. Il faut à tout prix « bouillir », c'est-à-dire à

la fois brûler et se répandre ; d'où les formes humides de cette combustion. Dans une pièce

nouvelle (qui a eu un Prix), les deux partenaires masculins se sont répandus en liquides de toutes

sortes, pleurs, sueurs et salive. On avait l'impression d'assister à un travail physiologique

effroyable, une torsion monstrueuse des tissus internes, comme si la passion était une grosse

éponge mouillée pressée par la main implacable du dramaturge. On comprend bien l'intention de

cette tempête viscérale : faire de la « psychologie » un phénomène quantitatif, obliger le rire ou la

douleur à prendre des formes métriques simples, en sorte que la passion devienne elle aussi une

marchandise comme les autres, un objet de commerce, inséré dans un système numérique

d'échange : je donne mon argent au théâtre, en retour de quoi j'exige une passion bien visible,

computable, presque ; et si l'acteur fait la mesure bien pleine, s'il sait faire travailler son corps

devant moi sans tricher, si je ne puis douter de la peine qu'il se donne, alors je décréterai l'acteur

excellent, je lui témoignerai ma joie d'avoir placé mon argent dans un talent qui ne l'escamote pas,

mais me le rend au centuple sous la forme de pleurs et de sueurs véritables. Le grand avantage de la

combustion est d'ordre économique : mon argent de spectateur a enfin un rendement contrôlable.

Naturellement, la combustion de l'acteur se pare de justifications spiritualistes : l'acteur se donne

au démon du théâtre, il se sacrifie, se laisse manger de l'intérieur par son personnage ; sa

générosité, le don de son corps à l'Art, son travail physique sont dignes de pitié, d'admiration ; on

lui tient compte de ce labeur musculaire, et lorsque, exténué, vidé de toutes ses humeurs, il vient à

la fin saluer, on l'applaudit comme un recordman du jeûne ou des haltères, on lui propose

secrètement d'aller se restaurer, refaire sa substance intérieure, remplacer toute cette eau dont il a

mesuré la passion que nous lui avons achetée. Je ne pense pas qu'aucun public bourgeois résiste à

un « sacrifice » aussi évident, et je crois qu'un acteur qui sait pleurer ou transpirer sur scène est

toujours certain de l'emporter : l'évidence de son labeur suspend de juger plus avant. »

Texte 3 Eugène IONESCO, « Expérience du théâtre », in Notes et Contre-notes, Gallimard, 1966,

pp. 50-51 (1ère édition : 1962)

« Tout m'exaspérait au théâtre. Lorsque je voyais les comédiens s'identifier totalement aux

personnages dramatiques et pleurer, par exemple, sur scène, avec de vraies larmes, cela m'était

insupportable, je trouvais que c'était proprement indécent. Lorsque, au contraire, je voyais le

comédien trop maître de son personnage, hors de son personnage, le dominant, se séparant de lui,

comme le voulaient Diderot ou Jouvet, ou Piscator, ou, après lui, Brecht, cela me déplaisait autant.

Cela aussi me paraissait être un mélange inacceptable de vrai et de faux, car je sentais le besoin de

cette nécessaire transformation ou transposition de la réalité que seule la fiction, la création

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artistique peut rendre significative, plus « vraie », plus dense et que les didactismes réalistes ne

font qu'alourdir et appauvrir à la fois, au niveau de la sous-idéologie. Je n'aimais pas l'acteur, la

vedette, que je considérais comme un principe anarchique, dissolvant, détruisant à son profit

l'unité de l'organisation scénique, et qui tire tout à soi au détriment de l'intégration cohérente des

éléments du spectacle. Mais la déshumanisation du comédien, telle que la pratiquaient Piscator ou

Brecht, ce disciple de Piscator, qui faisaient du comédien un simple pion du jeu d'échecs du

spectacle, un instrument sans vie, sans feu, sans participation ni invention personnelles, au profit,

cette fois, de la mise en scène qui, à son tour, tirait tout à elle, cette primauté de l'organisation

m'exaspérait autant ; me donnait, littéralement, la sensation d'un étouffement : annuler l'initiative

du comédien, tuer le comédien, c'est tuer la vie et le spectacle. Plus tard, c'est-à-dire tout

dernièrement, je me suis rendu compte que Jean Vilar, dans ses mises en scène, avait su trouver le

dosage indispensable, en respectant la nécessité de la cohésion scénique sans déshumaniser le

comédien, rendant ainsi au spectacle son unité, au comédien sa liberté. »

Texte 4 : Bruno CREMER, Un certain jeune homme, Livre de Poche, 2003, pp. 283-284

(1ère édition : 2000)

« Ce matin du 8 octobre 1959, depuis deux jours, j'avais trente ans et j'étais résolu à me battre et à

m'affirmer. En arrivant dans les coulisses du théâtre, j'ai rencontré un Ivernel aussi combatif que

moi. Nous nous sommes embrassés, bien décidés à « mettre le paquet ». Cette « générale », nous

voulions l'enlever au tonus ! Nous pensions à toutes les personnalités qui se trouvaient dans la

salle : Laurence Olivier, Maurice Chevalier, Jean Vilar, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, et

bien d'autres metteurs en scène ou acteurs célèbres, une salle terrifiante par laquelle nous étions

bien décidés à ne pas nous laisser manger. Dans mon esprit, cette représentation était devenue une

bataille, un combat pour la vie, j'en avais oublié mon trac mais aussi, hélas, ma concentration et,

dans notre euphorie belliqueuse, Ivernel et moi avons gaillardement surjoué toute la première

partie de la pièce. Mais à l'entracte, nous étions plutôt contents de nous, les applaudissements

avaient été suffisamment nourris. Pour une « générale », nous avions senti le public bien disposé à

notre égard. Anouilh débarqua sur scène avec son sourire sarcastique et furieux : « Qu'est-ce qui

vous a pris ? Vous hurlez, c'est vraiment très mauvais, vous faites n'importe quoi. On va se faire

massacrer ! Essayez tout de même de sauver la deuxième partie ! » Puis il disparut, suivi de son

inséparable Piétri. J'étais consterné, d'autant plus que j'attendais la visite promise de Chantal et

Pierre à l'entracte et que je ne voyais personne arriver, même pas un petit mot d'encouragement,

ou une indication utile sur ma prestation. Rien. Heureusement, la deuxième partie, plus grave pour

mon personnage, plus méditative et tragique, risquait moins de m'entraîner à surjouer. J'avais

donc conscience de pouvoir me ressaisir, et échapper au massacre annoncé par l'auteur. Je

m'appliquai à jouer sagement, sérieusement, laborieusement, humblement, sans le moindre

plaisir. Et ce fut un triomphe ! Le public criait : « Bravo », ce qui était exceptionnel à l'époque, et

rappelait sans cesse sur scène les deux personnages principaux. Ce soir-là, le rôle, la pièce, le

public, les critiques, les photographes, les astres, l'air du temps, la chance, firent de moi une

vedette de théâtre. »

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PRENDRE CONNAISSANCE DU DOSSIER

• APPROCHE DU SUJET :

Le sujet

À partir du corpus fourni,( 1) vous proposerez une analyse (2) qui dégage les différentes manières de concevoir le jeu théâtral.(3)

1. Auteurs du corpus en référents.

2. Consigne d’épreuve.

3. Différentes manières de concevoir le jeu théâtral. (3) (orientation)

La définition des mots :

(Même si cela semble évident, il faut toujours procéder à cette étape, pour éviter de passer à côté de la consigne, tant celle-ci peut parfois paraitre évidente)…

Manières : Forme particulière que revêt l'accomplissement d'une action, le déroulement d'un fait,

l'être ou l'existence. Synonyme : façon. Mode. Moyen

Concevoir : Avoir une idée, une représentation de. Synonyme : comprendre, saisir. ◆ Se former

une idée de; imaginer. = Envisager, se représenter.

Jeu théâtral : renvoie à la manière dont on joue. Qui a les caractères spécifiques du théâtre.

• LE CORPUS

Les auteurs :

• Denis DIDEROT (1713-1784) : écrivain et philosophe, il est aussi l’encyclopédiste français (Avec d’Alembert). Romancier, dramaturge, conteur, essayiste, dialoguiste, critique d'art, critique littéraire, et traducteur il pose les bases du drame bourgeois au théâtre. Paradoxe sur le comédien expose ses idées dramaturgiques.

• Roland BARTHES : (1915-1994) critique littéraire, sémiologue français, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et professeur au Collège de France, il fut l’un des piliers durant la période structuraliste française.

• Eugène IONESCO (1909-1994) dramaturge et écrivain roumain et français. Il fut le chef de file du théâtre de l’absurde.

• Bruno CREMER (1929-2010) Comédien Français. Un certain jeune homme est une autobiographie.

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Lecture d’approche :

Lecture synthétique et analytique : Vous allez procéder au repérage des mots-clés, des liens logiques avec des marqueurs de couleurs. Votre attention va se porter avec intensité sur le 1er texte. Il vous servira de référent car vous allez au fur et à mesure de votre approche du corpus, analyser les convergences, les complémentarités les différences, ou divergences. La question est donnée dans le sujet. Vous devez toujours la garder en tête pour axer votre travail. Votre lecture sera donc très active.

Concrètement vous pouvez construire un tableau. Il vous oblige à apporter des réponses claires et axées sur les mêmes thèmes pour tous les textes. A défaut une feuille de brouillon par texte sera nécessaire pour une meilleure manipulation des documents.

Rappel du tableau :

Documents

Doc1 Titre

Doc2 Titre

Doc3 Titre

Paratexte : auteur date type et genre d’écrit.

Propos d’ensemble. Organisation des idées principales et secondaires

Comment la problématique est abordée. Comment l’auteur y répond-il ?

ENTRAINEMENT :

Vous répondrez aux mêmes questions si vous n’utilisez pas ce support.

La correction proposée ci-dessous opte pour cette deuxième possibilité. Sur un plan matériel écrivez en marge de votre document et au fur et à mesure de la lecture les idées formulées.

INDICATIONS MÉTHODOLOGIQUES SUR LE TEMPS !

Vous devez minuter votre travail : 1 h 45 à 2 heures sont en principe retenues pour l’épreuve. Cela est plus aisé pour organiser une synthèse. Vous devez aussi vous y contraindre pour l’analyse et le commentaire.

Comment gérer le temps ?

Voici un guide sur lequel vous pouvez vous appuyer et adapter en fonction de vos facilités.

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• Lecture et repérage du sujet et de la consigne + définitions des mots : 10 minutes • Lecture des textes synthétique et analytique : 50 minutes • Comparaison, confrontation de documents et mise en place du plan détaillé (précisément

avec textes) : 15 minutes • Rédaction : 40 minutes • Relecture : 5 minutes.

CONSEILS RÉDACTIONNELS :

• Aucun signe personnalisé sur la copie. A défaut elle serait annulée. • Les titres d’ouvrages seront en italiques : Paradoxe sur le comédien. Ils servent à faire la

différence entre le titre et le personnage. Exemple : « le père Goriot » et le père Goriot. Titre et personnage.

• Le paragraphe peut être débuté par un léger décalé par rapport à la marge. Chaque idée est ainsi mieux définie.

• Les textes sont rarement visés sous leur numéro. Ils peuvent l’être mais il sera bien plus facile de lire que l’auteur X répond à l’auteur Y plutôt que Texte 2 répond au texte 3. On écrira « Trois » textes et texte « 3 ».

• L’écriture sera appliquée…pour le bien être du correcteur et on évitera de couper les mots. • La langue sera appliquée. Pas de registre de langue familier, on ne parle pas de télé, mais

de télévision…D’ouvrages mais pas de bouquins. • Attention aux tournures langagières inadaptées, on ne solutionne pas un problème, on le résout.

« Malgré que » n’existe pas ! « pallier à » non plus… le premier ne peut être suivi qu’un d’un substantif, le second est un verbe transitif direct…

• La ponctuation ; l’orthographe sont notées. se relire au fur et à mesure peut être une solution pour éviter trop d’erreurs.

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PROPOSITION DE CORRECTION SUR L’APPROCHE DES TEXTES

Texte 1. Denis DIDEROT, Paradoxe sur le comédien, in Œuvres esthétiques, Classiques Garnier, 1988, pp. 306-307 (texte rédigé entre 1773 et 1777, publié à titre posthume en 1830)

« LE PREMIER Le point important, sur lequel nous avons des opinions tout à fait opposées, votre

auteur et moi, ce sont les qualités premières d'un grand comédien. Moi, je lui veux beaucoup de

jugement ; il me faut dans cet homme un spectateur froid et tranquille ; j'en exige, par conséquent,

de la pénétration et nulle sensibilité, l'art de tout imiter, ou, ce qui revient au même, une égale

aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles.

LE SECOND Nulle sensibilité !

LE PREMIER Nulle. Je n'ai pas encore bien enchaîné mes raisons, et vous me permettrez de vous

les exposer comme elles me viendront, dans le désordre de l'ouvrage même de votre ami. Si le

comédien était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle

avec la même chaleur et le même succès ? Très chaud à la première représentation, il serait épuisé et froid comme un marbre à la troisième. Au lieu qu'imitateur attentif et disciple réfléchi de la

nature, la première fois qu'il se présentera sur la scène sous le nom d'Auguste, de Cinna,

d'Orosmane, d'Agamemnon, de Mahomet, copiste rigoureux de lui-même ou de ses études et

observateur continu de nos sensations, son jeu, loin de s'affaiblir, se fortifiera des réflexions

nouvelles qu'il aura recueillies ; il s'exaltera ou se tempérera, et vous en serez de plus en plus

satisfait. S'il est lui quand il joue, comment cessera-t-il d'être lui ? S'il veut cesser d'être lui, comment saisira-t-il le point juste auquel il faut qu'il se place et s'arrête ? Ce qui me confirme dans

mon opinion, c'est l'inégalité des acteurs qui jouent d'âme. Ne vous attendez de leur part à aucune

unité ; leur jeu est alternativement fort et faible, chaud et froid, plat et sublime. Ils manqueront demain l'endroit où ils auront excellé aujourd'hui ; en revanche, ils excelleront dans celui qu'ils auront manqué la veille. Au lieu que le comédien qui jouera de réflexion, d'étude de la nature

humaine, d'imitation constante d'après quelque modèle idéal, d'imagination, de mémoire, sera un,

le même à toutes les représentations, toujours également parfait : tout a été mesuré, combiné,

appris, ordonné dans sa tête ; il n'y a dans sa déclamation ni monotonie, ni dissonance. »

(Illustrations : idées secondaires)

textes Arguments principaux :

Le point important, …ce sont les qualités premières d'un grand comédien. Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; ….un spectateur froid et tranquille ; j'en exige… de la pénétration et nulle sensibilité, l'art de tout imiter, ou… une égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles.

Diderot exige de son comédien qu’il soit froid et tranquille. Comédien = art de l’imitation. Pas de surjeu.

Au lieu qu'imitateur attentif et disciple réfléchi de la nature,

…copiste rigoureux de lui-même ou de ses études et observateur

continu de nos sensations, son jeu, … se fortifiera des réflexions

Pas de sensibilité. Une distance doit se faire entre comédien et personnage

12

nouvelles qu'il aura recueillies …, et vous en serez de plus en plus

satisfait.

Nécessaire aptitude à imiter mais aussi et surtout à réfléchir

Ce qui me confirme dans mon opinion, c'est l'inégalité des acteurs

qui jouent d'âme.

Diderot est convaincu de son analyse

le comédien qui jouera de réflexion, d'étude de la nature humaine,

d'imitation constante d'après quelque modèle idéal, d'imagination,

de mémoire, sera un, le même à toutes les représentations,

toujours également parfait : tout a été mesuré, combiné, appris,

ordonné dans sa tête ; il n'y a dans sa déclamation ni monotonie, ni

dissonance

Argumentation et démonstration de la nécessité du jeu assorti de la réflexion. De l’intellection.

COMMENT LA PROBLÉMATIQUE EST ABORDÉE. COMMENT L’AUTEUR Y RÉPOND-IL ?

Diderot défend au travers d’un échange entre deux personnages, sa vision du comédien. Le

Premier est son porte-parole, le second son interlocuteur. Il défend un comédien qui ne doit pas

jouer « d’âme », c'est-à-dire éprouver des sentiments ou « incarner » des personnages. Cela serait

trop fatigant pour lui et dangereux dans pour le rôle qui pourrait être mal interprété selon les

humeurs de l’acteur. Il faut au contraire un comédien qui joue « de réflexion », c'est-à-dire avec

intelligence en mettant sa sensibilité à part. Il doit agir en intelligence, comprendre son jeu et son

personnage.

(Dans votre approche gardez en tête l’opinion de Diderot pour « placer » les opinions en fonction de son avis et de la problématique.)

Texte 2 Roland BARTHES, « Deux mythes du Jeune Théâtre », in Mythologies, Le Seuil,

1957, pp. 117-119 (1ère édition : 1957)

« Si l'on en juge par un récent Concours des Jeunes Compagnies, le jeune théâtre hérite avec rage

des mythes de l'ancien (ce qui fait que l'on ne sait plus très bien ce qui les distingue l'un de l'autre).

On sait par exemple que dans le théâtre bourgeois, l'acteur, « dévoré » par son personnage, doit

paraître embrasé par un véritable incendie de passion. Il faut à tout prix « bouillir », c'est-à-dire à

la fois brûler et se répandre ; d'où les formes humides de cette combustion. Dans une pièce nouvelle (qui a eu un Prix), les deux partenaires masculins se sont répandus en liquides de toutes sortes, pleurs, sueurs et salive. On avait l'impression d'assister à un travail physiologique effroyable, une torsion monstrueuse des tissus internes, comme si la passion était une grosse éponge mouillée pressée par la main implacable du dramaturge. (RUPTURE APRÈS ILLUSTRATIONS). On comprend bien l'intention de cette tempête viscérale : faire de la

« psychologie » un phénomène quantitatif, obliger le rire ou la douleur à prendre des formes

métriques simples, en sorte que la passion devienne elle aussi une marchandise comme les autres,

un objet de commerce, inséré dans un système numérique d'échange : je donne mon argent au théâtre, en retour de quoi j'exige une passion bien visible, computable, presque ; et si l'acteur fait la mesure bien pleine, s'il sait faire travailler son corps devant moi sans tricher, si je ne puis douter de

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la peine qu'il se donne, alors je décréterai l'acteur excellent, je lui témoignerai ma joie d'avoir placé mon argent dans un talent qui ne l'escamote pas, mais me le rend au centuple sous la forme de pleurs et de sueurs véritables. Le grand avantage de la combustion est d'ordre économique : mon

argent de spectateur a enfin un rendement contrôlable. Naturellement, la combustion de l'acteur se

pare de justifications spiritualistes : l'acteur se donne au démon du théâtre, il se sacrifie, se laisse

manger de l'intérieur par son personnage ; sa générosité, le don de son corps à l'Art, son travail

physique sont dignes de pitié, d'admiration ; (CHAMPS LEXICAL DE LA PASSION AU SENS RELIGIEUX )

on lui tient compte de ce labeur musculaire, et lorsque, exténué, vidé de toutes ses humeurs, il

vient à la fin saluer, on l'applaudit comme un recordman du jeûne ou des haltères, on lui propose

secrètement d'aller se restaurer, refaire sa substance intérieure, remplacer toute cette eau dont il a

mesuré la passion que nous lui avons achetée. Je ne pense pas qu'aucun public bourgeois résiste à

un « sacrifice » aussi évident, et je crois qu'un acteur qui sait pleurer ou transpirer sur scène est

toujours certain de l'emporter : l'évidence de son labeur suspend de juger plus avant. »

LES IDÉES MAJEURES : Barthes fait référence au « jeune théâtre » . Mais il semble dépité que ce dernier ait repris la formule « bourgeoise » dans son jeu. Il dénonce celle-ci comme le théâtre non de la sensibilité mais presque de la sensiblerie. Mais très vite il justifie cette approche en se plaçant du côté spectateur. Le théâtre est devenu un objet marchand. On paie pour voir. Il faut donc que chacun joue son rôle. Je donne mon argent (il emploie la 1ère personne) et mon acteur, celui que j’ai payé sera dévoré par le jeu. Son succès est remporté pour de mauvaise raisons.

COMMENT LA PROBLÉMATIQUE EST ABORDÉE. COMMENT L’AUTEUR Y RÉPOND-IL ?

Barthes répond avec ironie et dérision au sujet. Il dénonce non seulement le jeu surfait et galvaudé du comédien mais également toute l’entreprise capitaliste qui se trouve derrière.

Texte 3 Eugène IONESCO, « Expérience du théâtre », in Notes et Contre-notes, Gallimard,

1966, pp. 50-51 (1ère édition : 1962)

« Tout m'exaspérait au théâtre. Lorsque je voyais les comédiens s'identifier totalement aux

personnages dramatiques et pleurer, par exemple, sur scène, avec de vraies larmes, cela m'était

insupportable, je trouvais que c'était proprement indécent. Lorsque, au contraire, je voyais le

comédien trop maître de son personnage, hors de son personnage, le dominant, se séparant de lui,

comme le voulaient Diderot ( rappel explicite) ou Jouvet, ou Piscator, ou, après lui, Brecht, cela me

déplaisait autant. Cela aussi me paraissait être un mélange inacceptable de vrai et de faux, car je

sentais le besoin de cette nécessaire transformation ou transposition de la réalité que seule la

fiction, la création artistique peut rendre significative, plus « vraie », plus dense et que les

didactismes réalistes ne font qu'alourdir et appauvrir à la fois, au niveau de la sous-idéologie. Je

n'aimais pas l'acteur, la vedette, que je considérais comme un principe anarchique, dissolvant,

détruisant à son profit l'unité de l'organisation scénique, et qui tire tout à soi au détriment de

l'intégration cohérente des éléments du spectacle. Mais la déshumanisation du comédien, telle que

la pratiquaient Piscator ou Brecht, ce disciple de Piscator, qui faisaient du comédien un simple

pion du jeu d'échecs du spectacle, un instrument sans vie, sans feu, sans participation ni invention

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personnelles, au profit, cette fois, de la mise en scène qui, à son tour, tirait tout à elle, cette

primauté de l'organisation m'exaspérait autant ; me donnait, littéralement, la sensation d'un

étouffement : annuler l'initiative du comédien, tuer le comédien, c'est tuer la vie et le spectacle.

Plus tard, c'est-à-dire tout dernièrement, je me suis rendu compte que Jean Vilar, dans ses mises

en scène, avait su trouver le dosage indispensable, en respectant la nécessité de la cohésion

scénique sans déshumaniser le comédien, rendant ainsi au spectacle son unité, au comédien sa

liberté. »

LES IDÉES MAJEURES : dans cet extrait Ionesco se situe entre les deux extrêmes. D’abord tout

l’exaspère au théâtre. Le surjeu (dénoncé par Barthes) et au contraire la froideur et la distance « le

pion » de Diderot. Il justifie son choix en se référant à Jean Vilar : un juste dosage entre l’humanité

du comédien et la mise en scène qui pâtit trop souvent du surjeu ou au contraire du minimalisme

théâtral. Ce n’est pas le spectateur qui est pris à partie dans l’explication mais le spectacle lui-

même. Sa mise en scène.

COMMENT LA PROBLÉMATIQUE EST ABORDÉE. COMMENT L’AUTEUR Y RÉPOND-IL ?

L’auteur a pris l’option de critiquer ouvertement le surjeu ou la froideur et la distance de jeu. Il s’appuie pour cela sur des dramaturges ou encore sur des littéraires ou des philosophes pour les contrer ouvertement et justifier que la mise en scène perd de son intérêt par cette position malvenue du comédien. Un juste milieu, avec comme référent Jean Vilar, est attendu.

Texte 4 : Bruno CREMER, Un certain jeune homme, Livre de Poche, 2003, pp. 283-284

(1ère édition : 2000)

« Ce matin du 8 octobre 1959, depuis deux jours, j'avais trente ans et j'étais résolu à me battre et à

m'affirmer. En arrivant dans les coulisses du théâtre, j'ai rencontré un Ivernel aussi combatif que

moi. Nous nous sommes embrassés, bien décidés à « mettre le paquet ». Cette « générale », nous

voulions l'enlever au tonus ! Nous pensions à toutes les personnalités qui se trouvaient dans la

salle : Laurence Olivier, Maurice Chevalier, Jean Vilar, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, et

bien d'autres metteurs en scène ou acteurs célèbres, une salle terrifiante par laquelle nous étions

bien décidés à ne pas nous laisser manger. Dans mon esprit, cette représentation était devenue une

bataille, un combat pour la vie, j'en avais oublié mon trac mais aussi, hélas, ma concentration et,

dans notre euphorie belliqueuse, Ivernel et moi avons gaillardement surjoué toute la première

partie de la pièce. Mais à l'entracte, nous étions plutôt contents de nous, les applaudissements

avaient été suffisamment nourris. Pour une « générale », nous avions senti le public bien disposé à

notre égard. Anouilh débarqua sur scène avec son sourire sarcastique et furieux : « Qu'est-ce qui

vous a pris ? Vous hurlez, c'est vraiment très mauvais, vous faites n'importe quoi. On va se faire

massacrer ! Essayez tout de même de sauver la deuxième partie ! » Puis il disparut, suivi de son

inséparable Piétri. J'étais consterné, d'autant plus que j'attendais la visite promise de Chantal et

Pierre à l'entracte et que je ne voyais personne arriver, même pas un petit mot d'encouragement,

ou une indication utile sur ma prestation. Rien. Heureusement, la deuxième partie, plus grave pour

mon personnage, plus méditative et tragique, risquait moins de m'entraîner à surjouer. J'avais

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donc conscience de pouvoir me ressaisir, et échapper au massacre annoncé par l'auteur. Je

m'appliquai à jouer sagement, sérieusement, laborieusement, humblement, sans le moindre

plaisir. Et ce fut un triomphe ! Le public criait : « Bravo », ce qui était exceptionnel à l'époque, et

rappelait sans cesse sur scène les deux personnages principaux. Ce soir-là, le rôle, la pièce, le

public, les critiques, les photographes, les astres, l'air du temps, la chance, firent de moi une

vedette de théâtre. »

LES IDÉES MAJEURES : Dans ce récit autobiographique, B. Crémer raconte une soirée de Générale. Il

expose au travers de ses émotions et ses envies comment il fut amené à surjouer au théâtre.

Comment voyant le public comme un adversaire il allait combattre, et ne pas (se) laisser manger.

(Le surjeu de Diderot est ici envisageable). Le public à l’entracte semble conquis (Texte3 : il en a

pour son argent). Mais il semble que l’impression soit fausse, et d’ailleurs aussi faussée par

l’approche erronée de Crémer. Anouilh metteur en scène intervient et « remet » de l’ordre

assignant aux comédiens de modifier leur jeu désastreux. La seconde partie de la pièce et du texte

donnent raison à Anouilh et à la nécessité de doser le travail du comédien.

COMMENT LA PROBLÉMATIQUE EST ABORDÉE. COMMENT L’AUTEUR Y RÉPOND-IL ?

Le texte expose au travers d’une autobiographie le nécessaire équilibre dans le jeu théâtral. Crémer a expérimenté les deux « façons » de jouer. Le surjeu et le trop plein d’émotions dénoncés dans les textes précédents et la nécessaire mesure et intelligence qui relève de l’intellection.

ENTRAINEMENT À LA RÉDACTION :

Après avoir proposée un plan vous rédigerez l’analyse.

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PROPOSITION DE CORRECTION DE RÉDACTION :

Les étapes de structuration du devoir ici proposées, ne doivent pas figurer sur la copie, pas plus

que les titres et sous-titres.

Plan proposé :

1. Les points communs : jouer n’est pas surjouer. Pas de débordements. Pas de

démonstration. T1. T2. T3. T4.

2. La maitrise totale et l’intellection nécessaire. T1.

3. Le juste équilibre entre surjeu et imitation pure : la sensibilité jouée plutôt que vraie. T2.

T4.

INTRODUCTION :

Accroche : Chaque fois que le rideau de la scène d’un théâtre s’ouvre, le comédien ou l’acteur à la

lourde tâche par son interprétation, de nous faire rencontrer, connaitre, aimer ou détester son

personnage. De lui dépend l’illusion de leur existence réelle. Si des noms d’acteurs ont traversé le

temps et l’histoire, emportant avec eux une identification complète au personnage, c’est qu’ils sont

parvenus à cette osmose possible mais mesurée. Comment y parvenir ?

Corpus : La manière de concevoir le jeu théâtral, l’expérience du jeu, l’engagement personnel, la

difficulté à convaincre sont au centre de ce corpus. De siècles différents ces auteurs témoignent au

travers d’essai et de roman de la difficulté à jouer « juste ».

Denis Diderot dans Paradoxe sur le comédien écrit en 1777, publié seulement en 1830, ici réédité

aux éditions Garnier, argumente au travers d’un dialogue sur la nécessité de posséder certaines

qualités par rapport au jeu, dont la distance , la froideur mais aussi et surtout l’intelligence. Roland

Barthes semble le suivre dans ce sens, un siècle plus tard, lorsqu'il s'insurge dans Mythologies

(1957) contre le jeune théâtre dont il critique les débordements mais dénoue surtout les intentions

marchandes qui animent la représentation. Eugène Ionesco, dramaturge célèbre dans « expérience

de théâtre »in Notes et Contre-notes réédité chez Gallimard fait du travail du comédien un jeu

d’équilibre loin des extrêmes du surjeu ou au contraire de la sûr- maitrise. Trois essais qui sont

accompagnés d’un témoignage relativement récent de Bruno Crémer qui narrateur/acteur d'Un certain jeune homme , extrait publié dans le livre de poche en 2003, s’applique à rendre compte du

travail du comédien mais surtout de ses erreurs à trop vouloir se battre pour gagner le public et en

oublier ainsi la mise en scène . Il raconte ici une représentation mémorable d’une première.

Problématique : (+ plan) Même si tous les auteurs souscrivent à une conception objective de l'art

dramatique, ce dossier fait apparaître plusieurs versions du travail d'acteur. Ceci conduit à

s’interroger sur les multiples possibilités de concevoir le jeu théâtral : doit-il passer par l’émotion ?

La seule intellection ou réflexion ? Où se trouve le point d’équilibre ?

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DÉVELOPPEMENT.

(I)Une constant traverse ce corpus de textes. Tous les auteurs admettent lé dérive du surjeu, définit

comme une participation outrancière du comédien dans le jeu. (Analyse transversale +citation).

D. Diderot déclare que ces acteurs qui « jouent d’âme » ne pourront jamais deux fois de suite

assurer « le même rôle », ils ne pourront en effet selon leurs positionnements, jouer de façon égale

à chaque représentation, victime de leurs propres troubles : « Chaud froid, plat ou sublime ». E.

Ionesco qui est aussi sévère face aux postures de retrait, s’exaspère, il le dit dès la première ligne

lorsqu’il « voit les comédiens s’identifier totalement au personnage », il parle d’indécence » à

pleurer sur scène ». Bruno Crémer en fait l’amère expérience quand après avoir manifesté un

surinvestissement dans son jeu, se fait reprendre par J. Anouilh. C’est le texte de Roland Barthe qui

pousse la réflexion et s’attarde particulièrement sur le sujet. Non seulement il attaque la

représentation du surjeu qu’il dénonce « ridicule » et épuisante, « un travail physiologique

effroyable » mais il l’explique par une approche politico-économique à connotation marxiste,

considérant qu’il s’agit là d’une réponse à une marchandisation du travail de l’acteur envers le

spectateur. Face à la justification » spiritualiste dont se pare l’acteur », se trouve une idéologie

bourgeoise sous-jacente. Le spectateur en veut pour son argent et l’acteur entre dans ce jeu.

L’acteur devient une marchandise « come une autre », « un objet de commerce », dont le prix est

fixé dans le billet acheté par le spectateur.

(II)Que faut-il alors conseiller face à ce débordement d’émotions ? (phrase de transition et guide

dans le plan). Pour contrer ce phénomène quasi dérangeant, les auteurs divulguent des conseils. D.

Diderot réclame une grande mesure chez le comédien, et évoque « l’art d’imiter »sans pour autant

le priver de sa réflexion. Selon lui « l’initiative du comédien » est indispensable, à défaut de laquelle

le spectacle perdrait de sa vie et de son intérêt. Le travail d’imitation est avant tout un travail de

compréhension et d’observation. « Moi je lui veux beaucoup de jugement ». L’intellection lui

permet d’écarter le risque de jeu instinctif, émotionnel, « de la pénétration et nulle sensibilité ». Et

ce n’est qu’à ce prix de travail de mémoire et de réflexion que l’acteur peut se déshumaniser et

rendre un jeu parfaitement juste. E. Ionesco conteste les théoriciens et penseurs qui prônent cette

distanciation qui pour lui réduit le comédien à « un simple pion du jeu d’échecs qu’est le spectacle,

un instrument sans vie, sans feu, sans participation ni invention personnelle. ».

(III) Où se trouve-t-il alors ce jeu idéal ? Le comédien doit avant tout rechercher l’équilibre « un

dosage indispensable » déclare Ionesco que l’on trouve dans la mise en scène juste de J. Villard.

L’exemple type de ce qu’est un bon acteur est donné dans son théâtre avec un subtil dosage chez le

comédien qui parvient à contrôler son jeu. C’est d’ailleurs un évènement parfaitement relaté par B.

Crémer lors d’une représentation. Applaudi, donc satisfait, dans la première partie de son jeu dans

une pièce d’Anouilh, il pense avoir atteint son juste équilibre mais c’était sans compter avec le

regard acerbe de son metteur en scène qui lui reproche justement de s’être laissé aller aux

débordements. « Sagement, sérieusement, laborieusement, humblement » sont des qualificatifs

réclamés par J. Anouilh et qui font que le succès et le triomphe de l’acteur et de la pièce, car tout est

respecté le jeu et la mise en scène, respectant la « nécessité de la cohésion scénique sans

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déshumaniser le comédien ». Il exprime ici ce que Diderot souhaitait trouver « le point juste

auquel il faut que (l’acteur) se place et s’arrête ».

CONCLUSION

Le corpus de texte dans ses écarts chronologiques et dans la qualité de ses penseurs, permet

d’affirmer la permanence de la question du jeu théâtral. Travail d’équilibriste certes, c’est aussi une

travail troublant qui demande « d’être et de ne pas être ». Un paradoxe constant qui oblige en tout

état de cause de passer par la réflexion et la compréhension du mot et du sens scénique voulu par

le metteur en scène et qui aboutir ainsi à une conjugaison parfaite du mot, du corps et de l’esprit.

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SUJET D’ENTRAINEMENT :

VOICI UN SUJET D’ENTRAINEMENT AU TERME DE CETTE ÉTUDE.

IL S’AGIT D’UN SUJET PROPOSÉ PAR LE MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE 2014.

UNE CORRECTION VOUS EST PROPOSÉE.

TENTEZ DE VOUS PLACER EN CONDITION DE CONCOURS. DEUX HEURES AU MAXIMUM. QUAND VOUS

AUREZ TERMINÉ VOTRE TRAVAIL NE VOUS PRÉCIPITEZ PAS SUR LA CORRECTION. CONSIDÉREZ QUE VOUS

AVEZ RENDU LA COPIE ET LAISSEZ ENCORE MURIR LE SUJET. LÀ SURGIRONT SPONTANÉMENT « J’AURAI PU

PUIS J’AURAIS DÛ… » NOTEZ CE QUI VOUS VIENT POSTÉRIEUREMENT À L’ESPRIT.

ET LE LENDEMAIN…COMPAREZ

SUJET

Question relative aux textes proposés (11 points)

À partir du corpus proposé, vous analyserez comment la mémoire inscrit l'homme dans le temps

et donne sens à son existence.

Texte 1 : J.M.G. LE CLÉZIO, L'Africain, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, pp. 119-123.

« C'est à l'Afrique que je veux revenir sans cesse, à ma mémoire d'enfant. À la source de mes

sentiments et de mes déterminations. Le monde change, c'est vrai, et celui qui est debout là-bas au

milieu de la plaine d'herbes hautes, dans le souffle chaud qui apporte les odeurs de la savane, le

bruit aigu de la forêt, sentant sur ses lèvres l'humidité du ciel et des nuages, celui-là est si loin de

moi qu'aucune histoire, aucun voyage ne me permettra de le rejoindre. Pourtant, parfois, je

marche dans les rues d'une ville, au hasard, et tout d'un coup, en passant devant une porte au bas

d'un immeuble en construction, je respire l'odeur froide du ciment qui vient d'être coulé, et je suis

dans la case de passage d'Abakaliki, j'entre dans le cube ombreux de ma chambre et je vois derrière

la porte le grand lézard bleu que notre chatte a étranglé et qu'elle m'a apporté en signe de

bienvenue. […] Si je n'avais pas eu cette connaissance charnelle de l'Afrique, si je n'avais pas reçu

cet héritage de ma vie avant ma naissance, que serais-je devenu ? Aujourd'hui, j'existe, je voyage,

j'ai à mon tour fondé une famille, je me suis enraciné dans d'autres lieux. Pourtant, à chaque

instant, comme une substance éthéreuse qui circule entre les parois du réel, je suis transpercé par

le temps d'autrefois, à Ogoja. Par bouffées cela me submerge et m'étourdit. Non pas seulement

cette mémoire d'enfant, extraordinairement précise pour toutes les sensations, les odeurs, les

goûts, l'impression de relief ou de vide, le sentiment de la durée. C'est en l'écrivant que je le

comprends, maintenant. Cette mémoire n'est pas seulement la mienne. Elle est aussi la mémoire

du temps qui a précédé ma naissance, lorsque mon père et ma mère marchaient ensemble sur les

routes du haut pays, dans les royaumes de l'ouest du Cameroun. La mémoire des espérances et des

angoisses de mon père, sa solitude, sa détresse à Ogoja. La mémoire des instants de bonheur,

lorsque mon père et ma mère sont unis par l'amour qu'ils croient éternel. Alors ils allaient dans la

liberté des chemins, et les noms de lieux sont entrés en moi comme des noms de famille, Bali,

20

Nkom, Bamenda, Banso, Nkongsamba, Revi, Kwaja. Et les noms de pays, Mbembé, Kaka, Nsungli,

Bum, Fungom. Les hauts plateaux où avance lentement le troupeau de bêtes à cornes de lune à

accrocher les nuages, entre Lassim et Ngonzin. »

Texte 2 : René de CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque

de la Pléiade », 1946, pp. 76-77.

« Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait

par intervalles. À la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des

nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le

soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu

quand ces Mémoires seront publiés. Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive

perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. À l'instant, ce son magique fit reparaître à mes

yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté

subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je

l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui

naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve

actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les

bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc

de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai

plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient

et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de

lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me

promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de

peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un

rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. »

Texte 3 : « Entretien avec Georges Perec », L'Arc, n° 76, 1979, pp. 29-30.

« Je me souviens(1) est un peu comme ce qui se passe lorsque deux camarades de classe qui ne se

sont pas vus depuis vingt ans se rencontrent sur le quai d'une gare et commencent à se remémorer

la binette de leur prof de maths, les tics du surveillant général, les sobriquets donnés aux pions et

leurs autres copains également perdus de vue. Aucun de ces microsouvenirs n'est réellement

important. Mais ils sont partageables, ils scellent une connivence et ils en sont même les signes les

plus précieux. Je pense que j'ai essayé dans Je me souviens d'appliquer cette remémoration

systématique à toute ma génération : écrire un fragment d'autobiographie qui pourrait être celle de

tous les Parisiens de mon âge. Il importe peu que ces souvenirs soient personnels (uniques) ou

généraux (collectifs), il importe peu, même, qu'il y ait ou non des erreurs dedans, cela fonctionne

comme une grille où chacun peut venir déchiffrer un fragment de sa propre histoire. »

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QUESTION RELATIVE AUX TEXTES PROPOSÉS (11 POINTS)

Texte 1 : J.M.G. LE CLÉZIO, L'Africain, Paris, Gallimard, « Folio », 2005, pp. 119-123.

« C'est à l'Afrique que je veux revenir sans cesse, à ma mémoire d'enfant. À la source de mes

sentiments et de mes déterminations. Le monde change, c'est vrai, et celui qui est debout là-bas au

milieu de la plaine d'herbes hautes, dans le souffle chaud qui apporte les odeurs de la savane, le

bruit aigu de la forêt, sentant sur ses lèvres l'humidité du ciel et des nuages, celui-là est si loin de

moi qu'aucune histoire, aucun voyage ne me permettra de le rejoindre. Pourtant, parfois, je

marche dans les rues d'une ville, au hasard, et tout d'un coup, en passant devant une porte au bas

d'un immeuble en construction, je respire l'odeur froide du ciment qui vient d'être coulé, et je suis

dans la case de passage d'Abakaliki, j'entre dans le cube ombreux de ma chambre et je vois derrière

la porte le grand lézard bleu que notre chatte a étranglé et qu'elle m'a apporté en signe de

bienvenue. […] Si je n'avais pas eu cette connaissance charnelle de l'Afrique, si je n'avais pas reçu

cet héritage de ma vie avant ma naissance, que serais-je devenu ? Aujourd'hui, j'existe, je voyage,

j'ai à mon tour fondé une famille, je me suis enraciné dans d'autres lieux. Pourtant, à chaque

instant, comme une substance éthéreuse qui circule entre les parois du réel, je suis transpercé par

le temps d'autrefois, à Ogoja. Par bouffées cela me submerge et m'étourdit. Non pas seulement

cette mémoire d'enfant, extraordinairement précise pour toutes les sensations, les odeurs, les

goûts, l'impression de relief ou de vide, le sentiment de la durée. C'est en l'écrivant que je le

comprends, maintenant. Cette mémoire n'est pas seulement la mienne. Elle est aussi la mémoire

du temps qui a précédé ma naissance, lorsque mon père et ma mère marchaient ensemble sur les

routes du haut pays, dans les royaumes de l'ouest du Cameroun. La mémoire des espérances et des

angoisses de mon père, sa solitude, sa détresse à Ogoja. La mémoire des instants de bonheur,

lorsque mon père et ma mère sont unis par l'amour qu'ils croient éternel. Alors ils allaient dans la

liberté des chemins, et les noms de lieux sont entrés en moi comme des noms de famille, Bali,

Nkom, Bamenda, Banso, Nkongsamba, Revi, Kwaja. Et les noms de pays, Mbembé, Kaka, Nsungli,

Bum, Fungom. Les hauts plateaux où avance lentement le troupeau de bêtes à cornes de lune à

accrocher les nuages, entre Lassim et Ngonzin. »

(Réminiscence et nostalgie sont données par l’auteur dans une autobiographie. Le passé a un rôle déterminant sur l’avenir et sur le devenir. Il n’empêche pas d’avancer mais il est toujours présent au travers d’un souffle, d’une odeur / la mémoire des gens et des images. Ce passé dépasse le simple souvenir il est porteur d’une histoire, celle des parents de leurs bonheurs et de leur encontre avant même sa naissance. Le Clézio admet aussi que c'est à sa mémoire seule qu'il doit le lien qui dure entre la personne adulte qu'il est devenu et le personnage de son enfance. )

COMMENT LE TEXTE RÉPOND À LA QUESTION : Accidentellement l’auteur se trouve plongé

dans un passé plus ou moins lointain. Il analyse alors l'existence. Narration et commentaire sur le

passé sont importants.

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Texte 2 : René de CHATEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque

de la Pléiade », 1946, pp. 76-77.

« Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait

par intervalles. À la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des

nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le

soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu

quand ces Mémoires seront publiés. Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive

perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. À l'instant, ce son magique fit reparaître à mes

yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté

subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je

l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui

naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve

actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les

bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc

de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai

plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient

et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de

lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me

promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de

peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un

rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. »

(Deuxième texte autobiographique empreint de mélancolie sur la fuite du temps, la disparition des hommes, et la fin de la vie. Le chant d’oiseau provoque la réminiscence, renvoie dans le passé très lointain mais rassure en même temps qu’il rend triste. Conscience du temps écoulé et de sa fuite. Amertume et langueur face à la vie. Attente de la mort imminente.)

COMMENT LE TEXTE RÉPOND À LA QUESTION : Comme dans le 1er texte, par la relation que

l’auteur entretient avec sa mémoire, à partir d’un son il analyse l'existence et ici l’approche de la

mort. La course du temps exige l’entretien de la mémoire, précisément par l'écriture qui sert de

transmission aux générations qui suivent.

Texte 3 : « Entretien avec Georges Perec », L'Arc, n° 76, 1979, pp. 29-30.

« Je me souviens(1) est un peu comme ce qui se passe lorsque deux camarades de classe qui ne se

sont pas vus depuis vingt ans se rencontrent sur le quai d'une gare et commencent à se remémorer

la binette de leur prof de maths, les tics du surveillant général, les sobriquets donnés aux pions et

leurs autres copains également perdus de vue. Aucun de ces microsouvenirs n'est réellement

important. Mais ils sont partageables, ils scellent une connivence et ils en sont même les signes les

plus précieux. Je pense que j'ai essayé dans Je me souviens d'appliquer cette remémoration

systématique à toute ma génération : écrire un fragment d'autobiographie qui pourrait être celle de

tous les Parisiens de mon âge. Il importe peu que ces souvenirs soient personnels (uniques) ou

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généraux (collectifs), il importe peu, même, qu'il y ait ou non des erreurs dedans, cela fonctionne

comme une grille où chacun peut venir déchiffrer un fragment de sa propre histoire. »

(Perec a une démarche très active par rapport au souvenir. Il lui donne un rôle et il analyse son intention de recenser des thèmes communs non pour le fond même mais pour le partage. COMMENT LE TEXTE RÉPOND À LA QUESTION : une intention est donnée de se servir de la mémoire pour fédérer. Ce n'est pas tant le contenu des souvenirs qui compte que leur fonction de lien. Les souvenirs « scellent une connivence », car ils confirment avant tout d'une expérience partagée. L’écriture est encore importante car toute une génération se sent concernée à partir d’une histoire qui de personnelle devient commune. Pour Perec, la mémoire est le signe d'un « temps » donné, d’une époque qui admet la mémoire individuelle et un « moment générationnel. »

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PROPOSITION DE REDACTION.

À PARTIR DU CORPUS PROPOSÉ, VOUS ANALYSEREZ COMMENT LA MÉMOIRE INSCRIT L'HOMME DANS LE TEMPS ET DONNE SENS À SON EXISTENCE . DÉFINITION DES MOTS :

Inscrit : Écrire dans un registre, sur une liste afin de conserver la trace ou de transmettre

Donner un sens. Idée intelligible à laquelle un objet de pensée peut être rapporté et qui sert à

expliquer, à justifier son existence : Raison d'être.

Introduction

• Accroche / corpus/ annonce du plan

Développement

• La mémoire (accidentelle ou pas) crée un lien entre les hommes : soit social, historique ou

psychologique. (Deux premiers textes). Développement de la notion de temps.

• La mémoire permet à l'homme de créer une dimension collective dans laquelle il peut se

reconnaître. (Perec)

• D’où la nécessité pour tous les auteurs d'écrire, acte qui désigne ce qu'il faut retenir pour un individu ou une population, à un moment donné dans une époque donnée, comme un acte de conservation, un témoignage destiné à être transmis. Développement de la notion de temps.

Conclusion.

INTRODUCTION :

Comment se situer dans notre propre histoire sans jamais se retourner sur un passé plus

ou moins lointain ? Comment le souvenir enfoui dans les méandres de la vie peut-il un jour

ressurgir et s’imposer ? Comment enfin ce souvenir donne un sens à la vie ? (Accroche avec problématique sous-entendue)

Autant de questions que ce corpus se pose au travers de l’œuvre de trois écrivains. J.M Le

Clezio d’abord, dans un extrait de son autobiographie « l’Africain » paru en 2004 aux éditions

Gallimard, qui analyse avec nostalgie ses souvenirs et leur rôle déterminant dans le devenir de

chacun ; Chateaubriand ensuite, auteur classique du XIXème siècle qui, dans un extrait des

Mémoires d’outre-tombe, ouvrage publié après sa mort en 1849, médite de façon très mélancolique

sur la fuite du temps et l’approche de la mort ; et enfin Georges Perec qui dans un recueil intitulé

« je me souviens » tiré de la revue L'Arc (n° 76, 1979), expose, au travers de ses souvenirs

personnels, comment une mémoire individuelle peut se faire l’écho d’une mémoire collective.

(Corpus)

Trois approches qui démontrent la partie prenante de la mémoire et donc du temps sur la

construction identitaire et collective et qui surtout confirment que la mémoire ainsi donne un sens

à l’existence de chacun.

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Comment les auteurs abordent-ils ces thèmes ? C’est ce à quoi nous nous attacherons à répondre

sans avoir au préalable précisé ce qu’il faut entendre par mémoire. (Problématique reprise et annonce du plan) DEVELOPPEMENT :

« Accidentelle » ou pas, la mémoire est chez les individus un marqueur de temps. C’est à

partir d’une odeur, d’une image ou d’un son, que le réel s’interrompt. « Tout d’un coup en passant devant la porte d’un immeuble » déclare JM Le Clezio, « je respire l’odeur froide du ciment » tandis que Châteaubriand note « je fus tiré de mes réflexion par le gazouillement d’une grive ». Mais au-delà de cette interruption brutale dans le temps, la mémoire offre cette possibilité

de faire surgir le passé dans le présent et de créer une fusion totale ; C’est le chant de l’oiseau qui

permet à Chateaubriand de faire réapparaitre à ses yeux « le domaine paternel ». C’est encore

l’odeur froide » qui renvoie Le Clezio en Afrique « dans la case de passage d’Abakalili » : deux

évènements de vie qui transportent les auteurs dans un passé lointain qui s’impose au temps

présent : « je suis dans la case, j’entends, je vois », comme une hallucination voire une

envoûtement chez Chateaubriand au point de gommer son passé immédiat « j’oubliai les

catastrophes dont je venais d’être témoin ».

Pour autant si le souvenir « accidentel » renvoie les auteurs à leur propre vie, il les oblige

aussi à s’interroger sur leur propre identité. Ils formulent chacun l’importance du passé, son rôle

dans leur construction et dans leur devenir. C’est avec une constante nostalgie que JM. Le Clezio

déclare « je veux revenir sans cesse à ma mémoire d’enfant » une nostalgie parfois lourde, « cela

me submerge, m’étourdit » mais pourtant presque obligée. Il veut rester dans cette recherche car

par la dimension du souvenir il se sent porteur d’une sorte d’atavisme : « Cette mémoire n’est pas

seulement la mienne. Elle est aussi la mémoire du temps qui a précédé ma naissance ». Sa mémoire

est un héritage mythique « une substance éthéreuse » qui circule entre les parois du réel », de ce

qu’ont vécu ses parents « lorsque mon père et ma mère marchaient ensemble sur les routes du haut

pays, dans les royaumes de l'ouest du Cameroun ».

C’est au travers d’une même approche que Châteaubriand s’interroge quant à lui sur le

sens de vie: « Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires

seront publiés » mais plus encore que chez JM Le Clezio cette dimension historique le fait basculer

dans la méditation mélancolique et le destin de l’homme voué à la mort qui semble le poursuivre,

ne vient que de ces souvenirs « Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai

fait le tour de la vie ». L’évocation de l’enfant qu’il fut, le conduit vers de la morosité et de la

tristesse. Ces Mémoires sont écrites contre l’oubli, comme une trace avant qu’il ne disparaisse, une

façon d’exister après la mort et donner ainsi un sens à la vie. À sa vie.

Ainsi si la toute-puissance constructive de la mémoire dans la personnalité est reconnue de

façon évidente, la réflexion de chaque auteur conduit à lui donner une mesure universelle, un

point de vue pour lequel G. Perec opte volontairement. (Transition)

En effet c’est davantage vers cette démarche intentionnelle de se servir du souvenir

personnel pour s’ancrer dans le temps et l’histoire commune que décide G. Perec. Il travaille

davantage sur une intention de partager le moment et de rappeler, remémorer une réaction à tous

ceux qui ont une vision commune d’un évènement donné à une époque donnée. « Je me souviens

d'appliquer cette remémoration systématique à toute ma génération : écrire un fragment

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d'autobiographie qui pourrait être celle de tous les Parisiens de mon âge ». La mémoire est le

signe d'une appartenance, ce ne sont pas tant les évènements qui importent, que leur fonction de

lien humain et social, ils « scellent une connivence ». Abolir le temps lui aussi, mais de façon

organisée et volontaire « une remémoration systématique à toute ma génération », telle est sa

démarche, donnant ainsi à la mémoire une dimension qui devient « partageable » donc historique.

CONCLUSION

Les trois auteurs grâce à leur écriture ont permis de mesurer comment la mémoire au-delà

du simple enregistrement d’informations, inscrit l’homme dans le temps et donne sens à son

existence. Mémoire individuelle, ou mémoire collective dans les deux cas, la mémoire semble jouer

un rôle majeur dans ce qu’on appelle l’identité. Savoir qui je suis, c’est au moins savoir qui j’ai été.

Oublier son passé en tout ou en partie, c’est gommer une partie de soi.

Mais au-delà de cette démarche les auteurs ont démontré que cette réminiscence très

personnelle était aussi un témoignage destiné à être transmis faisant ainsi œuvre pour certains de

relayeur de mémoire et pour d’autres de gardien de la mémoire.