cros jacques:souvenirs de la mascarade

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-1- Prélude A propos d’un Cessenonais Mort pendant la guerre d’Algérie Il s’appelait Henri Phalip, il était né en 1934, le 29 novembre exactement. Comme les jeunes de son âge il avait été appelé en Algérie pour y faire une guerre qui ne disait pas son nom. Il y est mort, le 23 avril 1956, victime d’un accident de camion je crois. C’est qu’il y a eu presque autant de morts par accident qu’au combat. Il n’avait guère plus de vingt ans. Son père, qu’on surnommait La Verdure, était mineur de bauxite. Evidemment i l y avait beaucoup de monde aux obsèques. Personnellement j’étais interne à l’Ecole Normale de Montpellier, je n’y avais donc pas assisté mais j’avais lu dans La Marseillaise (je suppose qu’elle avait déjà succédé à « La Voix de la Patrie) l’article, il tenait toute une page, qui était consacré à l’événement. Je me rappelle que dans le titre il était fait état de « la maison du mineur. » J’ai appris par la suite que c’est notre ami Pierre Escande de Murviel les Béziers, maréchal des logis à la caserne Du Guesclin où il participait à la formation militaire des jeunes recrues, qui avait commandé le peloton chargé de rendre les honneurs.

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Témoignage d'un appelé durant la la révolution algérienne de 54

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Page 1: Cros Jacques:Souvenirs de la mascarade

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Prélude

A propos d’un CessenonaisMort pendant la guerre d’Algérie

Il s’appelait Henri Phalip, il était né en 1934, le 29 novembre exactement.Comme les jeunes de son âge il avait été appelé en Algérie pour y faire uneguerre qui ne disait pas son nom.

Il y est mort, le 23 avril 1956, victime d’un accident de camion je crois. C’estqu’il y a eu presque autant de morts par accident qu’au combat. Il n’avait guèreplus de vingt ans.

Son père, qu’on surnommait La Verdure, était mineur de bauxite. Evidemment ily avait beaucoup de monde aux obsèques. Personnellement j’étais interne àl’Ecole Normale de Montpellier, je n’y avais donc pas assisté mais j’avais ludans La Marseillaise (je suppose qu’elle avait déjà succédé à « La Voix de laPatrie) l’article, il tenait toute une page, qui était consacré à l’événement. Je merappelle que dans le titre il était fait état de « la maison du mineur. »

J’ai appris par la suite que c’est notre ami Pierre Escande de Murviel lesBéziers, maréchal des logis à la caserne Du Guesclin où il participait à laformation militaire des jeunes recrues, qui avait commandé le peloton chargé derendre les honneurs.

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NON A DE GAULLE

C’est une inscription qui est longtemps restée, écrite en gros caractères et à lapeinture noire, sur le rempart qui protège Cessenon de l’Orb. Elle étaitparfaitement visible depuis le pont. J’ai participé à l’initiative. C’était une nuitde l’été 1958.Rappelons la situation. Aidé par les factieux d’Alger, le général de Gaulle avaitfait un Coup d’Etat le 13 mai précédent. Il entendait légitimer son opérationavec le référendum du 28 septembre qui portait sur les fonts baptismaux laconstitution de la 5ème république.

La question posée était simple : Êtes-vous pour la création de la VèmeRépublique ? Naturellement rien n’était clair dans la tête des électeurs. Deuxans plus tôt le parti socialiste avait remporté les élections sur un programme depaix en Algérie mais avait trahi la confiance qui lui avait été accordée puisqueGuy Mollet avait envoyé le contingent en AFN et rappelé les soldats qui avaienteffectué leur période légale sous les drapeaux.

Seul en tant que parti, le PCF était opposé au retour de de Gaulle au pouvoir (lePSU sera créé en 1960). Il s’opposait de fait à une constitution qui instituait enFrance un bipartisme au terme duquel l’alternance politique pouvait s’exercersans rien changer quant au fond.

Mon frère m’avait donc proposé d’écrire ce NON A DE GAULLE. Nousavions acheté une boîte de peinture, du noir métallique, dans une drogueriebiterroise, peut-être un pinceau. Il devait être entre minuit et 1 h du matin et ilétait entré dans ma chambre pour que je l’accompagne. Je me rappelle quej’avais plutôt sommeil et que j’avais suggéré de remettre notre affaire à un autrejour.

Finalement il me décida, nous voilà donc partis. Nous habitions tout à côté durempart, dans la rue de l’Orb. Celle-ci était en cul de sac mais une échelle avaitété laissée en place et permettait d’atteindre la voie ferrée qui courait le long durempart. Il me semble que mon frère avait mis une blouse.

Une fois sur la voie nous avons hissé l’échelle et nous l’avons placée de façon àdescendre dans une rue parallèle, la rue du Bac, qui atteint l’Orb par Lo portalde Tamben. Nous avons ensuite placé notre échelle contre le rempart, mon frèrey est monté et s’est occupé de peindre, j’ai dû me rendre utile, soit en tenantl’échelle, soit en faisant passer le pot de peinture.Il existait alors à Cessenon une cellule du parti communiste qui avait faitcampagne pour le NON au referendum. Je me souviens vaguement du texte del’une des affiches qui déclarait « Les châteaux voteront OUI, les chaumières

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voteront NON ». Mais nous n’étions pas en contact avec ses adhérents et, je l’aisu plus tard, ceux-ci se sont longtemps interrogés sur les auteurs de l’inscription.Evidemment à Cessenon comme ailleurs, le OUI a été largement majoritaire :680 voix contre 323. Toutefois le pourcentage des NON (plus de 32%) a étésupérieur au score qu’il a obtenu au plan national. Il y a eu en effet 82,6% deOUI et 17,4% de NON. Je ne prétends pas bien sûr que notre inscription sur lerempart en a été la cause !

Lors des élections législatives qui ont suivi le parti communiste n’a eu que dixdéputés et n’a donc pas pu constituer un groupe à l’assemblée nationale.

Mais assez rapidement l’opinion publique s’est retournée contre la politique dugouvernement du général de Gaulle et Cessenon, comme beaucoup de villagesdu Biterrois, a vu dès 1962 une forte opposition au pouvoir central.

Il faut dire que les socialistes s’étaient ressaisis. Mon père leur avait prêté, enguise d’acte de contrition, le propos suivant : « Nos sem tornarmai engarçats ! »(nous nous sommes trompés encore une fois !)

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De quelques souvenirs de Bédarieux

Le décès de Pierre-Henri Bonet m’a rappelé quelques souvenirs de Bédarieux oùje l’avais connu en 1959. J’y débutais ma carrière d’enseignant, c’était monpremier poste d’instituteur à la sortie de l’Ecole Normale. Lui était mineur debauxite et conseiller municipal dans la municipalité de René Pagès. Ce maireétait une figure !

En fait je connaissais davantage les filles Bonet qui étaient de ma génération etavec lesquelles j’étais aux Jeunesses Communistes. Claudette, l’aînée, doit avoirdeux ou trois ans de moins que moi, la seconde Danièle ne devait avoir que 14ans à cette époque. Ceci étant, je la trouvais belle !

J’exerçais à l’école de La Plaine et on m’avait confié, c’était tout à fait illégalpour un débutant, des instructions strictes avaient été données à ce sujet, uncours moyen 2ème année. Il y a eu une mise au point de Favier, l’inspecteurprimaire après qu’il m’a eu fait passer mon Certificat d’Aptitude Pédagogiqueau mois d’octobre. Il avait obligé les maîtres plus anciens à prendre en coursd’année la classe dont ils n’avaient pas voulu à la rentrée.Dans cette classe de CM2 j’avais un élève du nom de Grau, je n’ai pas sonprénom en mémoire, dont la famille avait habité Cessenon. Deux de ses frères,José et Octave, qu’on appelait Tatave, étaient à peu près de mon âge. Je n’avaispas fait le lien entre mon élève et ses frères dont j’ignorais qu’ils vivaient àBédarieux. Je l’ai en fait appris en même temps que le décès de José, tué enAlgérie.

Oui il est mort, « Pour la France » ne manque-t-on pas de dire en pareillescirconstances, le 14 octobre 1959. Il avait dix mois de plus que moi. Je mesouviens vaguement de la cérémonie au cimetière où nous avions conduit lesélèves. Je me rappelle la veste pied-de-poule que j’avais et je perçois de manièretrès floue un incident qui avait éclaté avec la mère du défunt !

De ce temps là date mon premier contact avec les pages dactylographiées dulivre d’Henri Alleg « La question ». J’ignore auprès de qui je me les étaisprocurées.

De ce temps là aussi date le combat du Syndicat National des Instituteurs pour lalibération de René Domergue auquel j’avais participé, de manière sans doute pastrès efficace.

J’ai le souvenir d’un déplacement avec un car d’une trentaine de placesemmenant les JC de Bédarieux à Béziers où avait lieu une rencontre à la salleAzam. J’avais été très impressionné d’entendre « La jeune garde » chanté par lesjeunes filles dont à coup sûr Danièle et Claudette.

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Octave Grau était avec nous et avec sa « copine », encore que le mot n’était pasemployé à cette époque avec le sens qu’il a pris par la suite. Il était manœuvremaçon et m’avait présenté à elle en indiquant que nous avions été à l’écoleensemble à Cessenon et que j’étais à présent instituteur. Elle l’avait interpelléd’un « Pourquoi n’as-tu pas suivi la même branche ? » Philosophe il avaitrépondu : « C’est que nous n’étions pas sur le même arbre ! »

J’ai aussi le souvenir d’une manifestation importante qui s’était tenue dans la ruede la République contre la fermeture annoncée des mines de charbon du secteur.

Je me revois encore à un rassemblement organisé à l’Hôtel de Ville pourprotester contre les agissements des émeutiers lors des barricades d’Alger enjanvier 1960.

Je ne sais trop où le situer dans le temps mais je sais que j’avais assisté à unmeeting avec Raoul Calas à la salle du peuple où par ailleurs le jeudi j’assuraisla projection cinématographique pour le compte du patronage laïque.

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Inscription à Aumes

La photo nous a été envoyée par Marianne et Jean-Pierre, des Vosgiens qui ontune résidence secondaire à Aumes. Elle montre une inscription qui figure sur lechâteau d’eau du village.Ladite inscription date de plus de cinquante ans puisqu’elle concerne la guerred’Algérie.Si elle ne pose pas clairement la question de l’indépendance de l’Algérie, elle al’immense mérite de dénoncer la guerre que la puissance colonisatrice a choisicomme réponse aux problèmes des Algériens.

"DU PAIN ET DES ROSES PAS DES CANONS » a écrit une main anonyme.Enfin, anonyme pour nous, il existe peut-être à Aumes des personnes qui saventqui a tenu le pinceau !

Il me semble qu’un mot d’ordre semblable avait été peint à Cessenon, ce quiavait valu à leurs auteurs une interpellation par les gendarmes du canton.

L’histoire a tranché et on mesure aujourd’hui toutes les souffrances inutiles qu’aproduites la guerre d’Algérie Du côté du peuple algérien d’abord, du côté dupeuple français aussi car « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être unpeuple libre » !

Et de fait les appelés du contingent étaient conditionnés par l’idéologie d’unearmée colonialiste à caractère fascisant, ce qu’ont illustré les diverses tentativesde rébellion contre la République : coup d’Etat de 1958, semaine des barricadesen janvier 1960, putsch des généraux félons en avril 1961 et terrorismedésespéré de l’OAS après cette date avec aujourd’hui encore des justificationspour ses attentats meurtriers.

Alors je suggère que l’inscription sur le château d’eau de la commune de Aumessoit l’objet de mesures de protection pour qu’elle reste un témoignage de lavolonté du peuple, contre l’avis des hommes politiques de l’époque, à l’évidenceatteints de cécité, d’obtenir la PAIX EN ALGERIE autrement que par le recoursà la force armée, à la torture et aux exactions qui l’ont accompagnée.

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Défense d’afficher… sauf pour la paix en Algérie

Cette photo a été retrouvée récemment en faisant du rangement à la section deBéziers du parti communiste.

Je me souviens de cette inscription à la peinture blanche « SAUF POUR LAPAIX EN ALGERIE », qui complétait le « DEFENSE D’AFFICHER », quiavait été tracée sur un mur du côté du Faubourg.

L’endroit exact je ne saurais dire mais je me rappelle que je voyais cela depuisle car que je prenais pour me rendre à Cessenon à la fin des années 50. Peut-êtrequ’à l’arrière ce sont les fenêtres d’une école primaire (Louis Malbosc ?),aujourd’hui désaffectée, mais je ne jure de rien.

C’était astucieux d’utiliser le « DEFENSE D’AFFICHER » en le complétantcomme on peut le voir sur la photo. Une photo sépia qui a souffert du temps, ilm’a fallu la trafiquer un peu pour la rendre « lisible » !

Peut-être que quelque vieux Biterrois en sait plus que moi sur l’endroit et sur quitenait le pinceau à une époque où le parti communiste était engagé pour la Paixen Algérie, c'est-à-dire pour le droit à l’autodétermination qui s’est finalementimposé et qui a conduit à l’indépendance de ce pays après 132 ans decolonialisme et presque 8 ans d’une guerre atroce et parfaitement inutile !

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Mes « Trois jours »

Je vais essayer de me rappeler ce qu’ont été mes « Trois jours » effectués àTarascon. Ayant consulté mon livret militaire je constate qu’ils se sont déroulésdu 4 ou 6 novembre 1959. Ce devait donc être pendant les vacances de LaToussaint et effectivement je n’ai pas le souvenir d’avoir demandé uneautorisation d’absence à mon travail.Je revois une grande salle où nous étions je ne sais plus combien, unesoixantaine peut-être, à subir des tests. Il s’agissait d’un questionnaire à choixmultiples. Nous devions cocher au crayon à papier la case qui nous paraissaitêtre la bonne réponse à la question posée.

Je me souviens de deux d’entre elles : quel était, parmi une série d’appareilsélectriques (rasoir, fer à repasser…), celui qui consommait le moins d’énergie ?Quelle avait été la première victoire de la Révolution française (Valmy,Jemmapes…) ?

J’avais été retenu parmi les quatre meilleurs. Il me semble que j’avais subi destests complémentaires, mais là je ne suis sûr de rien ! De toute façon cela ne m’apas amené bien loin !

Je n’ai jamais pu suivre l’Ecole des Officiers de Réserve, pas même le pelotonpour être sous-officier, j’ai juste passé celui de brigadier (l’équivalent de caporaldans l’artillerie) sans jamais accéder à ce grade, je suis resté 2ème CST(Canonnier Servant Tireur) jusqu’à la fin de mon service militaire.Je me rappelle l’entretien avec un officier supérieur, un commandant mesemble-t-il, à qui j’avais fait part de mon désir d’intégrer le bataillon deJoinville. Eh non, malgré une bonne performance sur 800 m (1mn 58 s 9/10) jen’avais pas été pris, les places étaient chères.Restait à choisir une arme. A vrai dire je n’avais pas grand-chose à en faire.Espérant me soustraire au contact avec l’ennemi (qui pour moi n’en était pasun !) j’avais demandé la marine et l’artillerie.C’est dans cette deuxième arme que j’ai été affecté. Eh bien cela ne m’a pasempêché d’aller crapahuter comme un quelconque fantassin, j’ai dû tirer descoups de canon lors de l’école à feu qui clôturait nos classes, une seconde foispeut-être lors de manœuvres destinées à faire passer un examen à un sous-officier et une troisième pour préparer une DZ. Ah, une DZ ? Après recherchej’ai appris que cela signifie Drop Zone c’est à dire un terrain destiné à recevoirun héliportage. Donc nous canonnions la DZ afin de permettre aux unitéshéliportées d’atterrir sur le site sans danger majeur. Il paraît que l’artillerie étaitplus efficace que l’aviation.

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De toute façon cela n’a eu aucun effet quant au résultat de la guerre. Devant lemanque d’enthousiasme des appelés du contingent nous avons dû abandonnertrois départements français.

Mais devant les protestations des nostalgériques qui condamnent les dernierspropos de Sarkozy, lequel a récemment déclaré que le colonialisme n’était pasune bonne chose, je ne désespère pas de voir avant la fin de mes jours prêcherune croisade moderne pour envoyer un corps expéditionnaire en Algérie afin deles reconquérir !

Mes trois jours n’ont pas duré le temps indiqué, je suis revenu chez moi ledeuxième je pense, rapportant de mon expédition une serviette de toilette quequelqu’un avait oubliée !

La première page de mon livret militaire

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Sur un stage à l’Institut National des Sports

Il me semble bien que c’est ainsi que s’appelait l’organisme qui avait accueilliquelques coureurs de demi-fond proposés comme stagiaires par la FédérationFrançaise d’Athlétisme.Ce stage avait eu lieu un week-end de février 1960. J’étais alors instituteur àl’école de La Plaine, à Bédarieux.

J’avais pris le train dans cette ville et j’avais rejoint la capitale par la ligne ducentre.

A Millau étaient montés des Maghrébins qui avaient pris place dans moncompartiment. Nous avions sympathisé. Ils venaient d’être libérés du campd’internement qui avait été installé sur le Larzac. Nous vivions alors lesdernières années de la guerre d’Algérie.Je leur avais appris que la France venait de faire exploser sa première bombeatomique dans leur pays. Cela s’était passé le 13 février 1960 à Reggane, ets’était accompagné d’un « Hourra ! » enthousiaste du général De Gaulle. Lestage à l’INS où je me rendais avait donc dû avoir eu lieu quelques jours plustard.

Mes interlocuteurs m’avaient parlé de leur vie au camp d’internement : ilss’étaient efforcés de ne pas trop perdre leur temps, profitant de la présence dansle camp de compatriotes qui avaient des compétences dans divers domaines pours’instruire et se cultiver.

Nous avions échangé sur la question de l’indépendance de l’Algérie pourlaquelle ils étaient engagés et sur l’état de l’opinion publique en France.Naturellement j’étais pour la Paix en Algérie et ipso facto pour lareconnaissance du droit des Algériens à l’autodétermination. Hélas, la guerreallait durer, pour mon plus grand désagrément, encore deux ans avant qu’il nesoit effectif.

Arrivé à la gare d’Austerlitz et ne connaissant guère Paris j’avais pris un taxipour me rendre à l’INS, indiquant simplement « INS » au chauffeur. Celui-cim’avait déclaré : « Ah, vous allez faire le stage ? » Après coup je me suis dit quecela devait être habituel des stages à l’Institut National des Sports.Il me semble que nous étions quatre pour ce stage. Il y avait André Lopez quiétait de l’Aude, de Salles d’Aude me semble-t-il, à moins que ce ne soit deSallèles d’Aude, et Jean-Marie Argelès originaire de la région de Grenoble maisqui pour l’heure se trouvait en Allemagne.

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J’avais couru plusieurs fois avec le premier et assez régulièrement il me battaitau sprint jusqu’à ce que j’aie compris qu’il me fallait adopter une autre tactique :décrocher « au train » ! Jean-Marie Argelès avait été champion de Francescolaire du 1500 m l’année précédente au stade Charléty. Je concourais aussipour ces championnats de France, également sur 1500 m, mais dans la catégoriejunior alors que lui, de quatre ans mon aîné, était senior. Mon résultat ? Eh bienbousculé par le peloton je m’étais foulé une cheville sur la lice et j’avais souffertpour finir la course.

En marge du stage nous avions vu Mimoun venu s’entraîner sur lesinfrastructures du site. Je me rappelle qu’André Lopez m’avait dit : « Tiens àl’apogée de ma carrière athlétique je voudrais seulement être comme Mimoun àprésent ! » Je n’étais pas loin d’avoir de plus grandes ambitions. C’était oublierqu’il y avait quelque part une guerre coloniale où à la suite de décisions prisespar des hommes politiques qui n’avaient rien compris à l’évolution des choses,on allait m’envoyer.Le bilan du stage ? J’avais été bon au niveau respiratoire et de l’influx nerveux,faible ou insuffisant au plan cardiaque et musculaire. Je ne le savais pas encore,mais je n’avais guère plus rien à faire de cela ! J’allais faire un excellentDeuxième Canonnier !

Jean-Marie Argelès m’a rappelé récemment que nous avions été hébergés dansla même chambre et que nous avions pas mal dialogué sur la guerre d’Algérie.C’est que nous étions tous les deux communistes mais lui en savait beaucoupplus que moi sur l’aide, notamment financière, que les Algériens qui vivaient enFrance, apportaient au FLN ainsi que sur les réseaux leur permettant de quitter lepays quand ils étaient appelés pour effectuer leur service militaire dans les rangsde l’armée ennemie !

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Départ pour l’Algérie, arrivée à Oran

C’était à la fin février 1960 peut-être le 26, c'est-à-dire le jour de mes 20 ans.C’était l’après-midi. J’étais dans ma classe de CM1 à l’école de La Plaine àBédarieux. Envoyé par Monsieur Espitalier, le directeur du courscomplémentaire, qui était aussi le directeur de l’école primaire, un élève estvenu m’apporter un courrier.Il s’agissait de ce que dans la région on appelait « la billette ». C’était l’avis demon affectation pour effectuer mon service militaire. Il m’était ordonné de merendre au Camp Sainte Marthe le 1er mars à Marseille afin de prendre le bateaupour Oran où je devais faire mes classes au 1/66ème Régiment d’Artillerie, unrégiment disciplinaire était-il précisé.

J’ai accusé le coup. J’espérais en effet que mes classes se feraient en France etque cela me permettrait d’avoir un délai avant de partir en Algérie. Avec lesdéclarations de De Gaulle sur le droit à l’autodétermination je pensais même quece serait bientôt la fin de la guerre. Eh non !

Je ne sais plus si je suis allé en classe le lendemain. En tout cas le 29 je ne mesuis pas rendu à mon travail. Le dimanche j’étais allé m’entraîner à La Prades.Oui, à cette époque là je faisais du cross-country l’hiver et du demi-fond l’été. Jeme revois en train de faire ce qu’on appelait du fractionné. Je ne savais pasencore que c’était déjà la fin de ma carrière sportive !

J’avais écouté la chanson de Berthe Sylva « On n’a pas tous les jours 20 ans »en compagnie... elle s’appelait Jacqueline et nous avions l’un et l’autre perdunotre vertu il y avait quelques jours !

Il fallait s’organiser pour aller prendre un train assez tôt à Béziers le 1er mars.Jeannot Escudier un Cessenonais de ma classe qui était appelé à Alger avaittrouvé une solution. Lucien Taillades qui était épicier allait se ravitailler àBéziers le matin de bonne heure avec sa camionnette. C’est ce moyen detransport que nous avons emprunté.

Nous avions beaucoup de temps devant nous avant le départ de notre train. Nousl’avons passé chez un boulanger, il s’appelait Charles Orus, un parent de JeannotEscudier, et la boutique se trouvait pas très loin des Allées, rue Solferino.

En gare de Béziers d’autres conscrits prenaient également le même train quenous. Je leur ai demandé si eux aussi allaient défendre nos puits de pétrole afinde pouvoir approvisionner nos briquets en essence !

A Marseille nous n’avons pas eu à flâner. Des camions militaires nous ontemmenés illico au Camp Sainte Marthe. C’était Mardi Gras et c’est ce jour-làque j’ai été déguisé en troufion. Nous avons fait un paquet de nos vêtements

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civils et l’armée s’est chargée de les expédier à l’adresse que nous avonsindiquée.

Il me semble qu’il y a avait un self installé sous une tente et que c’est là quenous avons mangé.

Je revois le soir sous la lumière des réverbères du camp mon ombre portée avecun calot sur la tête ! Je découvre aussi que la bière pouvait être conditionnéeautrement que dans des bouteilles puisqu’on la trouvait en boîte !

La veille il y avait eu un tremblement de terre à Agadir. Dans ma naïvetéj’imaginais que nous pouvions être envoyés au Maroc pour apporter notre aideaux sinistrés. Mais la guerre se fout des serments d’amour… elle n’aime que leson du tambour !

A l’armée on ne fait rien mais on le fait de bonne heure. Nous avons dû nouslever vers les 3 h du matin pour embarquer au milieu de la matinée sur Le Villed’Alger. Le navire appartenait à la Compagnie Générale Transatlantique. Lesvêtements de l’équipage portaient le sigle CGT ! Il y avait de quoi rêver !

La société propriétaire du bateau Le Ville d’Alger (et de quelques autres à n’enpas douter) a dû faire de bonnes affaires pendant toute la durée de la guerre.Dommage pour elle que celle-ci se soit terminée. Le Ville d’Alger a été démolien 1969.

Sur le pont les postes radio à transistors donnaient la chanson de Bourvil« Salade de fruits, jolie, jolie… »

Pour moi la nuit s’est passée sur un transat. Les membres de l’équipage louaientleurs cabines à ceux qui pouvaient payer.

Nous avons dû arriver en vue des côtes d’Afrique au petit matin. La silhouettebleue des montagnes que nous avions aperçues m’avait impressionné. Noussommes entrés dans le port d’Oran sans doute en début d’après-midi. Dans tousles cas on nous avait servi un repas dans un plateau métallique à alvéoles. Al’entrée du port, sur le quai apparaissait l’inscription en lettres énormes « ICI LAFRANCE ». De rage j’ai envoyé mon plateau par-dessus bord ! C’était haut, il amis du temps à atteindre la mer !

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ICI LA FRANCE

C’est donc l’inscription qui figurait sur la jetée du port d’Oran quand j’y suisarrivé sur le Ville d’Alger en mars 1960. Je l’ai raconté ci-dessus, cela m’avaitmis hors de moi et de rage j’avais jeté par-dessus bord le plateau métallique danslequel on nous avait servi notre repas.

Un ancien d’Algérie, avec lequel j’ai pris contact via Internet, m’a envoyé laphoto de cette jetée et de cette inscription. De six mois mon aîné, lui n’avaitdécouvert l’inscription qu’après moi car il avait effectué 14 mois en métropoleavant de rejoindre le théâtre des opérations de « maintien de l’ordre ». Oui c’estainsi qu’on désignait ce que plus tard on a avoué être une guerre, la guerred’Algérie.Avec le recul on mesure combien les autorités civiles et militaires n’avaient paspréparé les Européens d’Algérie à l’issue pourtant prévisible. Deux ans avant lecessez-le-feu, prélude à l’indépendance du pays, on entretenait encore la fictiond’une Algérie française.Fiction lourde de conséquences pour la suite. On a conditionné les Pieds Noirs àl’idée qu’il n’y avait d’autre avenir pour eux que dans la perpétuation ducolonialisme lequel avait débuté en 1830 avec le débarquement à Sidi-Ferruch ets’était maintenu par la force, y compris militaire, jusque là.

Que ce colonialisme ait été par nature source d’injustices et de révolte n’étaitpas reconnu. Les rapports entre les communautés, entachés au mieux de

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condescendance, mais le plus souvent de racisme, faisaient des autochtones desgens que la logique des choses maintenait dans une manière d’apartheid.En France aussi on avait entretenu l’illusion que nous apportions là-bas « lacivilisation ». L’Ecole laïque elle-même avait joué sa partition dans ceconcert même si des voix s’étaient élevées pour réclamer l’égalité entre lescitoyens d’Algérie, qu’ils soient d’origine européenne ou maghrébine.A Oran nous étions donc en France affirmait l’inscription sur la jetée du port !Pourtant dès 1959 De Gaulle avait déjà lâché le mot « d’autodétermination »pour la plus grande colère d’ailleurs des Européens d’Algérie. Oui, on ne leuravait vraiment offert aucune alternative, en tout cas pas celle de rester dans unpays, qui était celui où ils vivaient, si celui-ci devait accéder à l’indépendance.A partir de là s’est déroulé un enchaînement d’actes désespérés parmi lesquels,outre la semaine des barricades à Alger, s’inscrit la tentative de putsch desgénéraux félons en avril 1961 puis le déchaînement de violences qui acaractérisé l’action de l’OAS.On connaît la suite, particulièrement ce qu’ont été les événements du 5 juillet1962 à Oran.

ICI LA FRANCE disait l’inscription sur la jetée ! Il eut à coup sûr été préférabled’engager le dialogue sur d’autres bases. Mais le colonialisme n’est que le fruitdu capitalisme et à vrai dire ceux qui le justifient encore aujourd’hui sontcohérents avec leur acceptation d’un tel système dans lequel « la raison du plusfort est toujours la meilleure ». Sauf que… l’histoire a tranché !

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Arrivée à Oran, l’instruction militaire

A peine débarquées du Ville d’Alger les nouvelles recrues étaient embarquéesdans des camions militaires direction le District de Transit situé dans le quartierd’Eckmühl.De la traversée d’Oran j’ai encore dans ma tête l’image, elle est floue à présent,d’un Algérien vêtu d’un pantalon qui pendait entre les jambes.Au District de Transit on se serait cru dans un camp de concentration nazi. Lehaut-parleur donnait le ton en aboyant les ordres.

La caserne du 1/66ème régiment d’artillerie dans lequel j’étais affecté n’était pastrès loin. C’était un bâtiment neuf, blanc, avec une architecture particulièrepermettant de l’aérer par temps chaud. J’ai su qu’après l’indépendance elle étaitdevenue la résidence du chef de l’Etat Algérien quand il se rendait en Oranie.

Le premier soir on nous a laissés tranquilles et je garde le souvenir d’avoir passéune nuit à dormir profondément. Le lendemain après-midi on nous a remis notrepaquetage. Je revois le lieutenant inspectant notre habillement. Comme je necherchais pas spécialement à finasser dans ce domaine j’ai été interpellé d’un :« Mais vous iriez vous marier dans cette tenue vous ! »

Là je n’avais pas le moral et je regardais le Murdjajo qui domine la ville, enrêvant de désertion, de maquis… A son sommet était le fort de Santa-Cruzreprésenté sur l’écusson du régiment. La statue de la vierge qui s’y trouvait a étérapatriée dans le Gard.

Ce soir là j’ai dû monter ma première garde avec un fusil assez archaïque, unmousqueton, et des cartouches soigneusement emballées !

Devant le bâtiment principal était un vaste espace où étaient disposés les canons.Quatre me semble-t-il. En fait, à cause du calibre, 105 mm, on ne les appelaitpas canons mais obusiers ! Pendant l’instruction on avait droit à tous les détailssur les caractéristiques de nos engins de mort : masse, portée… Bien que cela neme passionna pas j’étais capable de réciter tout ce qui avait été dit après l’avoirentendu une fois !

Dans la caserne il y avait une salle destinée à l’action psychologique. Despanneaux avaient pour objectif de nous persuader du bien fondé de l’action del’armée française. Ferrat Abbas était cité d’un « J’ai interrogé les morts, j’aiinterrogé les cimetières, je n’ai vu nulle part trace de la nation algérienne. » Il yavait aussi des recommandations qui valaient leur pesant de confiture. « Nepense pas au pays si tu veux le revoir » ou encore « Si tu tombes dans uneembuscade, tu jaillis du camion comme un diable de sa boîte, tu te postes et turipostes. »

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Les chambrées n’étaient pas très grandes, une douzaine de lits je crois, des litssuperposés bien sûr. J’étais perché en haut. C’était propre mais cela n’empêchaitpas la présence de punaises que nous noyions dans un verre d’eau laissé àdemeure sur une table.

Ah une scène s’est produite disons une quinzaine de jours après moninstallation. Deux maghrébins se sont pris d’une querelle, probablement àpropos de la guerre. Gater, l’un des protagonistes, avait participé à l’affaire desbarricades en janvier 1960, l’autre, je ne sais plus son nom, m’avait avoué qu’ilavait été sollicité pour des actes terroristes. Gater s’est retrouvé avec un coup decouteau dans le ventre qui avait, je crois, touché le foie et qui avait nécessité sonhospitalisation. Précisément j’étais « d’intervention » c'est-à-dire que j’ai faitpartie de l’équipe qui l’a emmené à l’hôpital.A peine de retour nous avons dû effectuer le transport de quatorze cercueilsdepuis la morgue jusqu’au port où ils ont été embarqués pour être rapatriés enFrance. Quatorze cercueils recouverts d’un drapeau tricolore. La mort devaitremonter à plusieurs jours car derrière le camion sur lequel on les avait chargéson sentait une odeur de cadavre en décomposition.

Il y avait d’immenses WC et j'avais été intrigué par des bruits que pendantlongtemps je n'avais pas identifiés. Je crois que j’étais de corvée d’entretien deslieux quand j’ai entendu des gémissements, comme si quelqu’un se trouvait mal.J’ai demandé ce qui se passait mais je n’ai pas eu de réponse et ça a continué.Ben oui, il devait y en avoir un qui se faisait sodomiser !

Il y avait trois sections au centre d’instruction : celle des élèves gradés, celle destransmetteurs et chauffeurs, celle des servants tireurs. Dans cette dernière lesrecrues étaient destinées à enfourner l’obus dans le canon et à tirer sur la cordepour faire partir le coup. C’est dans cette section de canonniers servants tireursque j’ai été enrôlé. Lors de l’école à feu j’ai tiré je ne sais combien de fois surcette corde, impressionné par la tache noire de l’obus qui restait un bon momentvisible dans le ciel.

Nous passions à tour de rôle devant le capitaine qui commandait l’instruction. Ilme fut demandé si je n’avais pas été étonné de me trouver dans la section desservants tireurs. Je répondis que je pensais qu’il devait s’agir d’une erreur. Ehnon, m’a-t-il été signifié. Et le capitaine a enchaîné en me questionnant sur ceque je pensais de la guerre d’Algérie. Je fis la bête, prétendant que j’attendais devoir pour me faire une idée juste. « Ah, ce n’est pas ce que vous avez exprimédans le civil ! » rétorqua mon interlocuteur.

Quelque temps plus tard le sous-lieutenant qui commandait ma section devantfournir la liste de ses hommes qui avaient le niveau pour présenter le peloton debrigadier m’informa qu’il m’avait inscrit sur cette liste. J’ai bien passé mon P1mais cela ne me servit jamais à rien, comme me l’avait annoncé un secrétaire, il

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était inutile que je fayote j’étais marqué à l’encre rouge, j’étais condamné àrester dans le grade de deuxième canonnier. C’est effectivement ce qui arriva.Quelques souvenirs encore de cette période de quatre mois au centred’instruction ? Le démontage de je ne sais plus quel fusil dont on nous précisaiten guise d’entrée en matière que c’était « pour le tir à tuer ! » Les manœuvresdans le Murdjajo ? Je revois un autochtone raclant de l’agave pour en extraire lafibre et confectionner des sandales. Les exercices de tir à... Canastas ? J’entendsles balles miaulant au-dessus de ma tête alors que je me trouvais dans la fosse.Les manœuvres ? Ah oui là je me rappelle un capitaine complètement déphasénous donnant l’ordre d’aller à tel endroit en répétant comme une scie « Sans idéede manœuvre. »

Car à l’armée comme dans toute institution il y a des tarés, sauf qu’ici on subitdirectement leurs manies sans guère pouvoir réagir. Par exemple cet autrecapitaine que nous appelions « Petits Pieds » mais dont le nom était Mariette,exigeait que nous chantions haut et nous menaçait d’un « Dans l’Antiquité onleur coupait les couilles, là on vous fera une piqûre ! »

Ce maréchal des logis n’avait pas apprécié que je m’éloigne de quelques mètrespour un besoin urgent pendant qu’il fournissait des explications. J’eus droit àune punition qui consistait à copier 50 fois je ne sais plus quel texte. Un quidevait se venger de ses déboires scolaires !

Cet autre, un brigadier originaire d’Oran qui avait un nom espagnol, c’étaient lesnoms les plus fréquents dans le secteur (il y avait d’ailleurs des arènes à côté dela caserne), considérait sans complexe qu’on devait voir l’Algérie comme uneprostituée dont il fallait tirer bénéfice.

Dans l’enceinte de la caserne circulait librement une mascotte, un jeunedromadaire désigné par le vocable de Wagram.

Une après-midi, un dimanche il me semble, je montais la garde avec le fameuxmousqueton et les cinq cartouches soigneusement empaquetées quand j’ai étéverbalement agressé par de jeunes maghrébins qui passaient de l’autre côté dumur. Comment leur expliquer que je n’y étais pour rien ?

Un autre dimanche on m’avait collé une corvée qui n’avait rien d’urgent et jerâlais en mon fort intérieur en poussant une brouette.

J’ai quelques autres souvenirs divers comme la fois où un tremblement de terre aébranlé l’édifice et le goût de la salade, très fort ! La décision de je ne sais quelgradé de nous faire commencer la journée par un décrassage. Celui-ci consistaiten fait à un footing mais l’un d’entre nous avait mal interprété les choses ets’était pointé avec un gant de toilette et une serviette !

Un détail encore : pendant la corvée de vaisselle, les mains plongées dans lesbacs il se chantait « Oh, when the saints go marching in. »

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La première sortie en ville a eu lieu environ après un mois d’instruction. C’estqu’il fallait avoir appris à saluer les gradés ! Oran est une très belle ville mais làon ne la voyait pas sous son meilleur jour !

Les piqûres réglementaires (le TABDT) nous laissaient un peu fiévreux et nousétions soumis à la diète après les avoir reçues. Lors de ces séances j’avaiscontracté la varicelle. Il faut dire que le médecin major ne disposait que d’unthermomètre pour la file de militaires qui se présentaient à lui. C’est sans douteainsi que j’ai été contaminé et que j’ai effectué un séjour à l’hôpital d’Oran.Quand je m’y trouvais, de la fenêtre de la chambre je pouvais voir les régatesqui se déroulaient à l’entrée du port. Mais que faisais-je là ?

J’ai eu l’occasion d’assister à un match de football d’un tournoi internationalmiliaire dans lequel jouait l’équipe de l’armée grecque ainsi qu’à une rencontred’athlétisme au cours de laquelle j’ai revu un certain Argelès qui avait gagnéune épreuve de demi-fond aux championnats scolaires de 1959 au stade Charlétyauxquels j’avais moi-même participé.

Le séjour à Oran s’est achevé à la fin juin. L’avant-dernière nuit avant le départen zone opérationnelle j’étais de garde au mirador. Je m’étais offert unebouteille de rhum. La dernière nuit nous avions couché sous des tentes et j’avaiseu la désagréable surprise de sentir une main se glisser sous mon traversin dansle but de prendre mon portefeuille ce qui m’avait conduit à crier « Au voleur ! »Qui volait qui dans ce pays ?

Trois vues d’Oran :Le fort de Santa-Cruz ; le port ; le quartier d’Eckmühl avec les arènes

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L’incident de l’écusson

Je ne sais plus à quel moment situer cet épisode de mon opposition à lahiérarchie militaire. A Oran à la fin des classes ? C’est possible.Comme tous les régiments, le 1/66ème RA avait un insigne. Celui-ci reproduisaitle fort de Santa Cruz qui, au sommet du Murdjajo, domine le port d’Oran.Cet insigne était reproduit sur un écusson en métal, fixé sur un support en cuirque l’on accrochait à la pochette gauche de son veston. Cet écusson n’était pasfourni par l’armée et tout le monde l’achetait au foyer où il était en vente.

Tout le monde ? Non, je considérais que je n’avais rien à acheter de monéquipement militaire. Un jour de revue j’étais le seul à ne pas avoir d’écussonpendu à la pochette de mon veston. Le gradé qui vérifiait la tenue de chacun, uncommandant je crois, mais je ne jure de rien, me demanda la raison de cettesingularité.

« Il n’y en avait pas dans le paquetage ! » ai-je répondu. Il n’y eut absolumentaucune suite à ma répartie. Je crois que cette absence d’écusson m’avait valud’être dispensé, pour cause d’irrégularité dans mon uniforme, de quelque défiléprévu les jours suivants !

De la même façon nous était attribuée, après 90 jours de présence sur le terrain,la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre(de l’ordre colonial cela s’entend, j’ai eu l’occasion de le préciser par ailleurs !)avec agrafe Algérie. Là encore le matériel n’était pas fourni, il fallait l’acheter.Je n’allais quand même pas investir dans une telle médaille. Je n’en ai doncjamais eu et n’ai jamais arboré cette décoration que pratiquement tout le mondeavait cousue sur sa tenue de sortie. Enfin elle n’était pas pendante toutefois, il nes’agissait que du ruban !

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Le Bled, Bled, Bled 5/7

Ce sont les trois titres successifs d’un hebdomadaire publié par l’armée françaisependant la guerre d’Algérie. C’était un instrument de propagande destiné à« remonter » le moral des troupes. C’était un outil dans la panoplie de l’actionpsychologique essentiellement destiné aux appelés du contingent dontl’enthousiasme n’était généralement pas excessif dans cette affaire !

Le mot « bled » désignait la campagne, souvent aride et désolée, de l’Algérie.Le journal qui se voulait organe d’information, de liaison entre les unités, étaittiré à 350 000 exemplaires et diffusé gratuitement. Je n’ai pas souvenir del’avoir beaucoup lu !

Je me rappelle toutefois cette analyse se voulant scientifique produite dans un deses numéros paru pendant que je faisais mes classes à Oran : « une pelle-mécanique enlève le travail à 50 manœuvres et… à 500 avec une cuillère àcafé » !

J’ai appris que Le Bled avait été créé en décembre 1955 dans le cadre desactivités du 5ème bureau. Très rapidement l’état major constata la collusion despartisans de l’Algérie Française et des responsables du journal. Ce fut le cas dès1958 : le numéro 109 du 10 mai, consacré à Jeanne d'Arc, affirme de façonprémonitoire que l'heure est venue de donner à la France un gouvernement desalut public. Il était le journal des factieux ! Le commandant Caniot, un momentdirecteur du Bled, se ralliera au putsch en avril 1961.

Le dessinateur Cabu mettra ses compétences au service du Bled en tantqu’appelé du contingent pendant la guerre d’Algérie. Il gardera de cette périodeun antimilitarisme militant et mettra en scène dans ses bandes dessinées lepersonnage de l’adjudant Kronenbourg qu’il a peut-être réellement connu.

Je recevais deux publications envoyées par le parti communiste aux appelés ducontingent dont il avait l’adresse : « Secteur postal d’Algérie » et « Soldats deFrance » mais je n’ai pas réussi à en récupérer un exemplaire.

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Première phase en zone opérationnelle

Après les classes effectuées à Oran j’ai donc été envoyé en zone opérationnelleprès d’Aïn el Hadjar, une commune située au sud de Saïda. Nous étionscantonnés à côté d’une ferme, logés dans des baraquements en tôle onduléedoublés à l’intérieur d’une manière de bâche. Je suppose que l’altitude devaitêtre d’environ 1000 m.Tout autour du cantonnement c’était des champs de blé, quasiment à perte devue. Toutefois bordant la route qui y arrivait il y avait une vigne. Des cigognesnichaient sur les cheminées des bâtiments de la ferme.

Peut-être que l’endroit s’appelait Bou Rached mais à vrai dire je n’en sais rien.Nous le désignons sous le vocable de BCS, c'est-à-dire Batterie deCommandement et de Services. C’était là qu’étaient le lieutenant-colonel Singeret le chef d’escadron Guyot.Il faut dire qu’en application des directives de l’Etat-major chaque régimentdispersait ses unités au maximum pour occuper tout l’espace possible. C’estainsi que les quatre batteries du 1/66ème RA étaient étalées sur une centaine dekilomètres.

J’étais arrivé là en juin 1960 et j’avais presque deux ans de service à effectuer. Ilvalait mieux essayer de ne pas y penser ! Le soir vers l’ouest on voyait deslumières qui me rappelaient celles de Prades s/ Vernazobres que l’on apercevaitdepuis Cessenon !

A la radio passait une émission qui avait pour titre « En Alger il y a cent ans ! ».On y évoquait la visite de Napoléon III.

L’eau était très calcaire et nous étions ravitaillés par une remorque qui nouspermettait d’avoir une boisson qui l’était moins. Malheureusement comme ellerestait exposée au soleil ce que nous buvions était vraiment tiédasse !

Ah, les latrines ? Une tranchée avec des planches en travers… et des mouchesqui n’avaient pas la patience d’attendre la fin des opérations. Les officiersavaient droit à une cabane. Détail pittoresque, un jour celle-ci était occupée et lecapitaine était entré dans les WC collectifs. Un idiot avait crié « A vos rangs,fixe ! »

Lors de ma première opération j’étais en protection du lieutenant-colonel. Il y aeu une fusillade mais c’était quand même loin, je ne me suis pas senti en danger.Je n’avais pas de fonction particulière dans cette BCS, j’étais « en section »c'est-à-dire employé aux tâches les plus variées qui soient. C’est ainsi que j’aiété amené à garder des prisonniers. Ils avaient été arrêtés dans un douar situé à

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côté de la ligne téléphonique qui reliait la Première Batterie à la BCS. A ceniveau les poteaux avaient été coupés. Il n’en fallait pas plus pour rendresuspects les habitants du lieu. En fait ces prisonniers avaient été tabassés toute lanuit et le matin ils étaient dans un piteux état quand on me les a confiés.J’essayais dans mon regard d’exprimer ma compassion.Plus tard les choses se sont « améliorées », on a construit, en dehors du camp,une salle affectée aux « interrogatoires » !

Cette après-midi là, ou une autre je ne sais plus, certains avaient été employés àdes travaux près d’immenses meules de paille. J’étais toujours de service, monfusil, un Garant, en bandoulière. Parmi mes prisonniers se trouvait un jeune quien avait sûrement fait plus que les autres. Pour l’heure je le surveillais et unejeune fille qui m’a déclaré être sa sœur s’était approchée des fils de fer barbeléset m’avait demandé l’autorisation de donner des pâtisseries à son frère,autorisation que j’avais accordée, prenant quelques risques avec l’autoritémilitaire. D’après ce qui m’a été rapporté par la suite ce garçon a eu une fintragique. On lui avait proposé de s’enrôler dans l’armée française et fourni unemitraillette. Il avait tiré sur les gendarmes de la brigade d’Aïn el Hadjar et avaitété abattu.

La chose la plus pénible était de monter la garde. Nous le faisions une nuit surtrois ! Quelle barbe qu’une faction de deux heures. Nous allions d’ailleurs lamonter dans un village qui s’appelait Wagram et qui était à quelques kilomètresde la BCS. Avec l’indépendance, le village a changé de nom et s’est appeléMoulay Larbi.

Le poste de garde était l’école du village et j’ai le souvenir d’avoir retrouvé untexte que je connaissais dans un livre de lecture. Il y était question d’unméridional exilé dans le Nord qui « aurait pleuré si pleurer n’était pas quelquepeu ridicule, en songeant que jamais plus sans doute il ne mangerait de cerisessur un cerisier. »

Je me rappelle aussi avoir écrit au tableau la célèbre phrase « Un peuple qui enopprime un autre ne saurait être un peuple libre » Personne n’avait réagi et si lebrigadier Rettier, que nous ne manquions pas d’appeler Ratier, s’en était pris àmoi, je n’en connais plus le motif. Il m’avait quand même menacé de la gégène !Le pauvre, brigadier à 40 ou 45 ans, ce n’était pas le signe d’une fortepersonnalité !

Je revois aussi, mais c’est très vague, le jour de marché à Wagram avec lesdromadaires, les marchands, la foule…J’ai eu l’occasion, j’avais encore des velléités, d’aller courir tout seul, sans arme,un peu loin du cantonnement. Il y avait quelques oueds avec de l’eau oùplongeaient quelques tortues aquatiques à mon passage.

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Mais revenons aux baraquements en tôle. Plusieurs d’entre nous avaient despostes de radio à transistors. Quelqu’un avait laissé le sien en marche et tout lemonde devait dormir dans la chambrée. C’est ainsi que j’ai entendu dans unsilence total le récit de l’incendie du Reichstag dans le cadre d’une émission surl’histoire où devaient sévir Alain Decaux et André Castelot.Quelques autres souvenirs de ce premier séjour à la BCS ? Oui, le 31 juillet1960. Nous étions allés sécuriser un bal qui avait lieu à Aïn el Hadjar. Nous qui,sur le plan affectif, étions particulièrement sous-alimentés, nous assurions laprotection de la jeunesse européenne du coin. Belles filles, beaux gars… et moiqui n’ai jamais dansé de ma vie, en train de monter la garde à 1500 km deCessenon pour dissuader les terroristes éventuels de l’envoi d’une grenade sur lapiste de bal. Je ne suis ni méchant ni rancunier mais sans doute que si unegrenade avait éclaté là je n’en aurais guère été traumatisé ! Dans ce pays lesEuropéens avaient construit leur sécurité sur la base d’un rapport de forcesfavorable. C’était évidemment une conception des choses parfaitement illusoire.D’autres souvenirs encore ? Un dromadaire, une femelle qui était en état degestation, dépecé par un appelé qui était boucher dans le civil, et qui était destinéà améliorer l’ordinaire.Oui, je m’en rends compte, mon récit est décousu, c’est qu’il y a, au moment oùje le rédige, 47 années qui se sont écoulées !

Ceci étant, je continue. Ah, là, j’étais encore chargé de surveiller les prisonniersqui nourrissaient des cochons pour le bénéfice de… allez, bien que je ne sois sûrde rien je pense que ce devaient être des gradés ! J’ai l’image d’un cochon noirqui éjaculait pendant je ne sais combien de temps ! Très fort l’animal !

J’entends aussi les commentaires du chef d’escadron Guyot passant devant uneéquipe occupée à entretenir une route. Elle était commandée par un Pied Noir :« Ces cons là, ils sont tous chefs de chantier ! » Oui, ça commençait à sedégrader du côté de l’état d’esprit « Algérie française ! »

Cette fois nous étions en protection de la moisson. Tiens voilà une escouaded’employés des PTT qui viennent s’occuper de la ligne du téléphone qui passedans le secteur. De petites gens, j’entends les propos de l’un d’eux concernant leprogramme du concours qu’il fallait passer pour monter en grade dans sonadministration : « Ils te demandent : Les effets du courant électrique ? » J’ai eul’occasion plus tard de repenser à lui en intitulant ainsi un des chapitres de moncours de physique !

Il y a aussi l’histoire de ce Corse qui s’était blessé au pied avec une balle enmontant la garde. Il n’est pas impossible, il est même probable, que ce n’étaitpas un accident ! Et cet autre, toujours zélé pour aller voir ce que contenaient lescaches. Eh oui, il a dû être amputé d’un pied déchiqueté par une mine. Je ne sais

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plus pour lequel des deux j’étais « d’intervention » quand il a fallu l’emmener àl’hôpital de Saïda !

On pouvait toujours se blesser, voire se détruire, sans trop se compliquer la vie.Celui-ci, ayant je pense reçu de mauvaises nouvelles de chez lui, n’avait mêmepas dégagé son arme du câble terminé par un cadenas qui la maintenait dans lerâtelier. Sans plus de cérémonie il s’était suicidé devant ses camaradesimpuissants à intervenir !

Bon, j’ai dit que nous étions dans une grande misère sexuelle ! Eh bien cela n’apas été sans conséquences. Un soir, mais j’étais de garde, je n’ai pas assisté à lascène, un jeune, il était communiste et il était resté longtemps avec un seul verreà ses lunettes, l’autre était cassé mais non remplacé, s’était occupé avecefficacité d’en soulager publiquement quelques-uns dans la chambrée !

Comme disait De Gaulle : « C’est beau, c’est grand, c’est généreux la France ! »

La carte du secteur

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Ma période à la Base Arrière

Nous étions au mois d’août 1960. Le capitaine qui commandait la BCS m’aaccosté dans le cantonnement pour m’informer qu’on m’avait trouvé un emploiplus adapté à ma qualification. J’allais partir pour la Base Arrière située à Aïn ElHadjar où je devais travailler dans un bureau.

La Base Arrière ? Comme son nom l’indique c’était là qu’était entreposé tout untas de matériel. Je revois une quantité incroyable de casques empilés les uns surles autres ! Les diverses batteries venaient s’y approvisionner. Le site est devenuFerme expérimentale d’état après l’indépendance.Il existait à Aïn El Hadjar une papeterie qui fabriquait du papier de boucherie,épais et vert, comme on en utilisait autrefois. J’ai le souvenir d’une carriole,tirée par un âne, qui en était chargée. Dans « Bel-Ami » Maupassant fait décrirepar Madeleine Forestier une aventure imaginée entre son héros et une ouvrièreespagnole de cette manufacture d’alfa.C’est un lieutenant, Guérin je crois, qui avait le commandement de cette BaseArrière. Il ne semblait pas avoir vraiment besoin d’un secrétaire. J’étais disposéà m’employer aux cuisines ou aux fournitures vestimentaires mais il considéraitque c’eut été ne pas utiliser mes compétences !

J’ai donc été installé dans un bureau dans lequel je devais coucher pour répondreau téléphone, ce qu’au demeurant je ne savais pas faire ! J’étais donc dispenséde monter la garde, ce qui n’était pas rien. En fait la solitude c’était pire !

Fort heureusement je ne suis pas resté dans cette situation, on m’a envoyé avecles autres dans une grange immense reconvertie en dortoir. Nous devions êtreune soixantaine là-dedans.

J’ai quelques souvenirs de ce dortoir. Le matin on nous servait du café et… desboîtes de sardines ! Mais non nous ne trempions pas les sardines dans le café ! Jerevois aussi le tube de lait concentré que je m’étais procuré pour améliorer leschoses.

Je me rappelle aussi un numéro du Canard Enchaîné montrant de Gaulle ensurvêtement. Devant l’échec des Français aux Jeux Olympiques de Rome ledessinateur avait commenté « Dans ce pays, si on ne fait pas tout soi-même ! »

En fait j’ai été successivement dans deux bureaux. Arrivé dans le premier j’avaisrempli un curriculum vitae que je soupçonnais destiné à la Sécurité Militaire.C’était bien cela et j’ai cru savoir qui à Cessenon s’occupait de répondre àl’enquête !

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Pour l’heure je suis dans un des deux bureaux. Dans le second sans doute.L’adjudant chef qui en était responsable, un Maghrébin qui devait êtrecomplexé, avait eu l’occasion de m’agresser d’un « Ce n’est pas la peine d’êtreinstituteur pour être si con ! »

Ben oui, j’ai beaucoup plus souffert des gradés que des fellaghas. Tiens à proposde fellaghas. Un jour le passage d’une katiba (une compagnie) de l’ALN a étésignalé pas très loin de la Base Arrière. Grand branle-bas de combat chez nous.Tout le monde prend son arme et sus aux rebelles.

Tout le monde ? Non, je n’ai pas bronché ! Après coup le lieutenant m’ademandé des comptes. Je lui ai répondu que je n’avais pas reçu d’ordre. Jen’allais quand même pas faire du zèle ! Et si cela n’avait dépendu que de moinous aurions présenté les armes aux hommes de la katiba !

Un autre ennui avec mes supérieurs a lieu un dimanche en fin d’après-midi. Jesuis de garde à la porte d’entrée. Je suis à la fin de ma faction, il doit me resterune dizaine de minutes. Après moi il n’est pas prévu de relève. Je ferme labarrière et je me dirige vers le dortoir. Hélas je ne sais plus quel gradé m’a vu etm’a imposé de monter la garde une ou deux heures de plus !

Dans le deuxième bureau j’ai accès aux archives du régiment. C’est ainsi quej’ai trouvé sur une fiche le nom d’un Cessenonais : André Ibanez de deux ansplus âgé que moi. Je n’ai pas eu l’occasion de le lui dire.

Aucune explication ne m’a été donnée quand le lieutenant m’a annoncé mondépart de la Base Arrière. Je prenais sur-le-champ mon paquetage et mon fusil(j’avais encore mon Garand) et je remontais en zone opérationnelle. Je me suisnaturellement douté de ce qui était en cause, le retour de l’enquête de la sécuritémilitaire !

Je n’étais plus là quand a éclaté le drame que je relate plus loin.

Une vue de la Base Arrière ? Peut-être !

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Le drame de la Base Arrière

Je l’ai raconté, j’ai été affecté cinq semaines dans ce qui était une planque : laBase Arrière du 1/66ème Régiment d’Artillerie qui se trouvait à Aïn el Hadjar.Mon premier emploi a été celui de secrétaire dans un service dont le responsabledevait être un adjudant-chef du nom de Lambert paraît-il.

Il y avait dans le même bureau un second secrétaire, dont un autre appelé ducontingent, un certain Marcel Ferrer, un Pied Noir originaire de Mazagran, retiréà Cabestany après avoir fait carrière dans la gendarmerie, avec lequel je suisentré en contact via Internet, m’a rappelé les nom et prénom. Il s’appelaitClaude Douvier. Ils étaient de la même classe.

Claude Douvier était comme moi de taille moyenne, nettement plus carré, il fautdire qu’à l’époque, mais les temps ont bien changé, j’étais très mince. Il étaitoriginaire de Reims et était un garçon plutôt discret. En tout cas il ne semanifestait guère.

Il suivait des cours par correspondance et si les renseignements que j’ai purecueillir par la suite sont exacts, c’était dans le but de devenir préparateur enpharmacie. Ambition modeste donc, à la mesure de sa formation initiale sansdoute.

J’ai quitté ce service au bout d’une quinzaine de jours pour un autre bureau oùofficiait également un adjudant-chef qui je crois s’appelait Abache et qui étaitprésumé né en 1911. Oui, en Algérie l’état civil laissait à désirer à cette époque.On trouvait par exemple des gens qui s’appelaient SNP, c'est-à-dire Sans NomPatronymique.

Je reviens à Claude Douvier. Il était né le 09.05.1938. J’imagine qu’il jugeaitque son affectation lui avait permis de ne pas trop souffrir de cette guerre aveclaquelle il n’était certainement pas d’accord, pratiquement personne ne l’étaitparmi les appelés du contingent.

J’ai quitté la Base Arrière en septembre 1960, le temps que revienne l’enquêtede la Sécurité Militaire au terme de laquelle on avait jugé que je risquais devendre le plan des cuisines aux Russes !

Je n’ai pas vécu le drame que je vais raconter à présent, il a eu lieu le16.12.1960, mais on me l’a rapporté. Claude Douvier n’avait plus que deux mois« à tirer » avant d’avoir la quille.Un Maghrébin revenait d’Oran où il avait été hospitalisé quelque temps. Il avaitreçu de mauvaises nouvelles de sa mère. Il est donc entré dans le bureau del’adjudant-chef Lambert pour demander une permission. Celle-ci lui a étérefusée au motif qu’il avait déjà été absent.

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Le ton est monté, le Maghrébin est sorti en claquant la porte et s’est dirigé versle dortoir. A l’entrée étaient les armes, un câble passant dans chacun des pontetsqui entourent les gâchettes. Il a pris la clé qui fermait l’ensemble, a décadenassé,s’est saisi de sa mitraillette et l’a pointée vers la personne qui venait d’entrerderrière lui. Il a tiré, hélas ce n’était pas l’adjudant-chef qui était sur ses pasmais le secrétaire qu’il avait envoyé. Celui-ci a été tué sur le coup et leMaghrébin s’est donné la mort.Ah, je ne sais quelle a été la réaction de l’adjudant-chef Lambert.

J’ai vérifié sur le site Mémoire des Hommes et j’ai bien trouvé trace du décès deClaude Douvier à la date que j’ai indiquée avec évidemment, comme toujours enpareilles circonstances, la mention « Mort pour la France ». Je ne vais pasépiloguer sur ladite mention mais on sait ce que j’en pense.J’ai cherché sur l’annuaire des gens de Reims dont le patronyme est Douvier.J’en ai trouvé un, Raymond Douvier. J’ai appelé. C’est le frère du ClaudeDouvier dont je viens de relater l’histoire.Il m’a apporté quelques précisions : Claude était son aîné de 18 mois et lui-même effectuait son temps de service militaire en Allemagne avec la perspectivede devoir partir en Algérie au retour de son frère. Il en a finalement, encoreheureux, été dispensé. Il a d’ailleurs fallu pour cela que ses parents multiplientles démarches.

Raymond Douvier m’a confirmé que Claude était pour la paix en Algérie et pourle droit à l’indépendance des Algériens. Il militait pour cela dans une section dela Ligue des Droits de l’Homme de Reims.Le lieutenant-colonel Singer qui commandait le 1/66ème RA avait écrit à sa mère.Qu’avait-t-il pu dire pour la consoler ?

« Quelle connerie la guerre ! » a écrit Prévert. C’est assez universel mais dans lecas de celle d’Algérie on a atteint des sommets !

A Reims, sur la tombe de Claude DouvierPhoto Jean-Claude Brouiller

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Le Gros Jules

En fait son vrai nom c’était Vern. C’est le chien dont j’étais chargé dans lafonction de maître-chien pour laquelle j’avais été volontaire lorsque j’ai fait monservice militaire.

Il faut préciser que c’était pendant la guerre d’Algérie. Après mes classes, quej’avais effectuées à Oran, dans le quartier d’Eckmühl, au 1/66ème Régimentd’Artillerie, j’avais d’abord été affecté à la Batterie de Commandement et deServices (la BCS) située un peu au sud de Saïda. Dans un premier temps onm’avait envoyé dans un commando mais le sous-lieutenant qui l’avait en chargene voulait que des volontaires. Je ne l’étais pas, j’en étais même très loin !

Je suis donc resté un ou deux mois dans cette BCS, sans fonction particulière.Puis le capitaine m’a annoncé que j’étais muté dans un bureau à la Base Arrièrequi se trouvait plus près de Saïda, dans une localité qui s’appelle Aïn el Hadjar.Je n’y suis resté que cinq semaines, le temps que revienne l’enquête de laSécurité Militaire. Je n’ai eu droit à aucune explication quand celle-ci estarrivée. J’ai été invité à prendre mon paquetage et mon fusil et à repartir pour laBCS.

Si on ne m’a jamais donné les raisons de ma disgrâce (sans doute que la SécuritéMilitaire craignait que je ne vende le plan des cuisines aux Russes), à la BCS oùj’étais donc de retour les gradés eux étaient au courant. Aussi je n’étais guèreépargné. Toutes les corvées étaient pour moi et en opération on me chargeait duposte radio, qui je crois faisait 11 kg, ou du fusil mitrailleur ou des sacoches demunitions… A tel point que j’avais fait part de mon inquiétude à mon adjudant.« Mais comment ferez-vous quand j’aurai la quille ? »

On demandait des volontaires pour être maître-chien. Ben oui, quand il y a laguerre tout le monde participe. Déjà sous Hannibal on avait embauché deséléphants. En 14 – 18 les chevaux et les mulets avaient été fortement sollicités.Il y eut même des pigeons voyageurs dans les transmissions. Bon là c’était deschiens de guerre.

Tout compte fait j’ai estimé qu’un chien je ne l’aurais pas sur le dos, au senspropre du terme. Je me suis donc porté volontaire pour le stage de maître-chienqui était proposé.

Dans un premier temps je suis descendu à Saïda où les chiens ont été tirés ausort pour les postulants à l’emploi. C’est ainsi que j’ai hérité de Gros Jules. Il yavait Zito qui avait des allures de renard, Emolf, Faro, Fangio qu’on a fini parabattre car il ne comprenait pas que l’ennemi n’était pas dans les rangs del’armée française mais en face. Oui à plusieurs reprises il s’était jeté sur sonmaître. On l’avait remplacé par Azno, un chien pisteur qui, quand on traçait une

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piste pour l’exercer à la suivre, prenait un air inspiré et partait à peu prèssystématiquement de l’autre côté.On nous a envoyés ensuite à Mostaganem à la caserne de La Remonte avec noschiens, nos fusils et nos paquetages. Nous y sommes restés tout le mois denovembre 1960. Nous avions comme instructeur un sergent corse passpécialement mauvais diable.

Nous allions souvent avec nos chiens sur le plateau de Mazagran qui se trouveau-dessus de Mostaganem. J’ai appris par la suite que Mazagran avait été lethéâtre de la résistance héroïque d’une centaine de chasseurs commandés par lecapitaine Lelièvre qui a tenu tête avec succès à des milliers d’Arabes des troupesd’Abd El Kader. Les assiégés buvaient du café arrosé d’eau-de-vie. Quandj’étais enfant j’ignorais l’origine de l’expression « Un mazagran » qui était lacommande que faisaient plusieurs clients du café le Helder après le repas demidi. Nous allions aussi sur la plage de La Salamandre ou des Sablettes.

Les chiens étaient entraînés à s’attaquer à un mannequin et à mordre dans unemanchette rembourrée que lui présentait l’un d’entre nous, évidemment vêtud’une djellaba !

Il y avait un parcours du combattant du chien aménagé. Celui-ci devait ramper,passer dans un cerceau, franchir une palissade haute de deux mètres environ…Au début le gros Jules arrivait à sauter la palissade mais quelques mois plus tard,devenu vieux et un peu handicapé, il n’aurait pu que la traverser aussi il avaitrenoncé !

Gros Jules était naturellement privé d’amour mais dans le chenil il avait connuspontanément une érection qui l’avait mis dans une situation embarrassante, iln’arrivait pas à obtenir un… retour au calme ! Je crois qu’il en était gêné !

A l’issue de notre stage de un mois nous avons été affectés en zoneopérationnelle. C’est ainsi qu’accompagné de mon Gros Jules j’ai été cantonné àBou Ktoub, un bordj situé un peu à l’est du chott El Chergui, à l’endroit oùcelui-ci est le plus étroit. Il y avait avec moi un autre maître-chien, BernardDonjon, dont le chien, très beau, s’appelait Bipso. Donjon était vraiment trèsrigolo et avait un toupet incroyable.

Je sortais mon chien dans les environs du cantonnement, allant régulièrementdans un bois de tamaris qui avait été planté de l’autre côté de la ligne de cheminde fer Perregaux – Aïn Sefra. Après avoir fait promener ma bête je m’installais àl’ombre et je lisais. Un livre durait à peine deux jours !

Nous revenions régulièrement à Saïda pour un regroupement des chiens et deleurs maîtres dispersés dans les différentes batteries de notre régiment. Le chenilétait à côté de la gare de Saïda et un vétérinaire contrôlait la santé de nos bêtes.L’intendance achetait quelquefois des ânes pour les nourrir mais nous prélevionsnotre part pour améliorer notre ordinaire.

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J’ai un épisode amusant sur un de ces séjours à Saïda. Je prenais les pattes demon Gros Jules et je le mimais dirigeant un orchestre qui jouait La Marseillaise.Cela n’avait pas plu à un autre maître-chien qui m’avait menacé de son arme endéclarant qu’il ne voudrait pas qu’on « souille la mémoire de son chien » !J’imagine qu’il avait un peu bu.Le gros Jules, officiellement éclaireur, n’a jamais eu à s’en prendre à unquelconque fellagha, du moins tant qu’il a été sous mes ordres. Une fois il afailli empoigner un adjudant qui l’avait surpris en tournant à un angle debâtiment.

Le seul souci que j’ai eu avec lui c’est, au cours d’une opération, l’accrochagequ’il avait eu avec Zito, l’éclaireur de la section voisine. En les séparant j’ai étémordu mais je n’ai jamais su par lequel des deux !

Une autre fois j’avais dû le frapper avec ma mitraillette car il s’était attaqué aujarret d’un âne lors d’une patrouille nocturne dans le village de Bou Ktoub.Même qu’à cette occasion j’avais perdu un chargeur de cette mitraillette ce quin’aurait pas manqué de me créer des ennuis si un habitant ne l’avait ramenée aubordj le lendemain !

A la fin de 1961, peut-être au début de 1962 mon unité a changé de secteur et,pour des raisons administratives je pense, mon chien ne m’a pas suivi. Il fautdire qu’à partir de cette période l’armée française faisait penser au poème deRimbaud « Bateau ivre ». Nous nagions en plein surréalisme.

J’avoue que nous ne risquions pas de gagner la guerre tant je manquaisd’enthousiasme, mais enfin j’ai contribué à faire flotter le drapeau français auxconfins du Sahara !

Là c’est sur le plateau de Mazagran en novembre 1960.J’avais mis un bracelet-montre à la patte du Gros Jules

Photo Paul Malaurie

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L’autre maître-chien

Il s’appelait Donjon, Bernard Donjon. Je l’ai connu quand je me suis portévolontaire pour être maître-chien. Lui aussi avait été candidat à cette fonction.

C’était un garçon pas très grand, bien physiquement, avec une moustache. Ilétait Parisien. Il habitait la même rue que Jean-Paul Sartre et avait l’occasion dele croiser. Dans le civil il avait été ajusteur je crois et avait travaillé dans uneusine qui fabriquait des compteurs de voiture, des compteurs Jaeger me semble-t-il.

Il avait été sinon au parti communiste du moins aux jeunesses communistes et ilavait effectué une partie de son service militaire, 14 mois, en Allemagne.

Après notre stage de maître-chien à Mostaganem nous avions été affectés tousles deux à la 4ème batterie du 1/66ème Régiment d’Artillerie, au cantonnement deBou-Ktoub plus précisément. Nous partagions la même chambre à côté de ce quitenait lieu de chenil.

Il avait une guitare et en jouait quelquefois, chantant notamment une chanson deJacques Brel :

Sur la place chauffée au soleil / Une fille s'est mise à danser

…/…L'amoureux l'appelle l'amour / Le mendiant la charité / Le soleil l'appelle le jour

Ainsi qu’une autre de Jean Ferrat :

Ma môme, ell' joue pas les starlettes / Ell' met pas des lunettes / De soleil / Ell'pos' pas pour les magazines / Ell' travaille en usine / A Créteil

Il avait aussi fait des poèmes. Je vais essayer de retrouver une partie du texte del’un d’eux :

Cigarette dorée au bout des doigts vernis,

Chaussures Milano et bas que l’on soupçonne,On pourrait croire qu’elle vit presque complètement.

Il lui arrivait aussi de peindre. C’étaient de petits tableaux non figuratifs etj’étais chargé de leur trouver des titres. Je me rappelle que pour l’un d’eux je luien avais proposé deux : dans le sens horizontal, « Le passage de la Bérézina »,dans le sens vertical « la défenestration de Prague » !

Il était réfractaire à toute contrainte mais curieusement il s’en sortait toujours.Par exemple le matin les maîtres-chiens étions assez régulièrement embauchéspour les pluches. Il traînait, traînait, n’arrivant que quand nous étions sur la fin.

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Il se faisait naturellement sermonner par le maréchal des logis de semaine. Ilavait une parade : « J’écrivais à ma fiancée. C’est que si je ne lui écris pas, ellene me répond pas et si je n’ai pas de nouvelle je n’ai pas le moral. Vous savez ceque c’est, un soldat qui n’a pas le moral… »

Au début il feintait les diverses revues prétextant qu’elles avaient lieu aumoment où nous sortions les chiens et qu’il ne fallait pas les perturber dansl’organisation de leurs activités. Ce n’est pas qu’il ne souhaitait pas faire larevue, au contraire disait-il « Il aimait savoir où il en était de ses affaires ! »Naturellement cela n’a duré qu’un temps.Une fois je ne sais quel gradé voulait que nous graissions ou cirions le dessousde nos rangers il avait ostensiblement attiré l’attention sur lui en soulevant sespieds et montrant ses semelles, déclamant à la cantonade « Moi chef, moi… »

Un jour, au cours d’une opération, il était chef de pièce, c'est-à-dire qu’ilcommandait l’équipe chargée d’un fusil mitrailleur. Un sanglier avait déboulédevant la section. Il avait fait tirer sur l’animal, lequel s’en était d’ailleurs sortisans une égratignure. A l’adjudant qui demandait qui était le responsable il avaitmontré le soleil en disant que c’était lui, il faisait vraiment trop chaud.Il avait relevé dans une revue assez bourge des adresses de jeunes filles qui seproposaient pour être marraines de guerre. Il avait écrit et avait reçu un colisavec je me rappelle des asperges en boîte ! Il s’était accommodé de la chosed’un « Ça commence par des colis mais ça va suivre avec des mandats ! »

A propos de la misère de notre vie affective il avait ce commentaire : « On nepourrait pas s’empêcher de faire des avances à une chèvre qui aurait un tablier àfleurs ! »

Comme il était plus ancien que moi j’avais encore quelques mois à effectueraprès son départ. A partir de là j’ai commencé à ne plus être protégé par lachance insolente qui était la sienne et dont je bénéficiais. Ben oui quelques joursaprès j’écopais de huit jours de prison pour avoir abandonné quelque temps monposte alors que je montais la garde. Huit jours que je n’ai d’ailleurs jamais faits !

Avec notre peu d’enthousiasme l’armée française n’avait aucune chance degagner la guerre mais nous pouvons cependant nous vanter d’avoir contribué àfaire flotter le drapeau tricolore aux confins du Sahara !

J’avais eu l’occasion de rendre visite à ce copain de régiment, et de manger chezlui, lors d’une réunion syndicale qui s’était tenue à Paris en 1972. Il était alorsmarié, avait un garçon et habitait un tout petit appartement près du Luxembourg.Il avait changé de métier et s’occupait de coller des affiches.Je l’ai perdu de vue quelque temps plus tard et en avril 2000 quand les maîtres-chiens du 1/66ème RA nous nous sommes retrouvés du côté de Parthenay pourfêter les soixante ans de l’un d’entre nous il était le seul absent.

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Donjon est assis à droite

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Vern et Bipso

Pierre Liebert m’a fait parvenir des photos de Vern, le chien qui m’avait étéattribué lors du tirage au sort et de Bipso, le chien de Bernard Donjon, l’autremaître-chien qui était avec moi à la 4ème batterie du 1 /66ème RA.

Vern est à gauche et je ne sais pas avec précision à quel endroit la photo a étéprise. Peut-être au Kreider ? Je n’en suis pas sûr, je n’y suis resté qu’unesemaine. Bipso c’est apparemment à Bou-Ktoub qu’il a été pris en photo, Bou-Ktoub où nous avons été cantonnés plusieurs mois.

Bipso était un très beau chien, Vern commençait à vieillir et avait l’arrière trainqui se bloquait. Il ne pouvait plus franchir la planche verticale haute de plus de 2m qui faisait partie du parcours sportif que nous retrouvions à Saïda où nousallions à intervalles réguliers.

Pierre Liebert a envoyé d’autres photos difficilement exploitables. Il y ad’ailleurs des paysages et des personnages que je ne situe pas très bien.Toutefois il y en a quelques-unes qui montrent l’armement dont nous disposions,notamment les mitrailleuses lourdes de 12,7 montées sur des half-tracks. Il y aaussi une colonne de GMC, tractant les obusiers de 105, qui partait en opération(mais là c’est très flou).

De toute façon, je me tenais, autant que je le pouvais, fortement éloigné de cegenre de matériel !

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Quel temps faisait-il à Bou-Ktoub ?

Comme Bou-Ktoub est sur les hauts plateaux, à 1026 m d’altitude, j’ai plussouffert du froid que du chaud. Il m’est même arrivé de voir tomber quelquesflocons. J’ai rencontré toutefois davantage de neige à Géryville où nous avonsété déplacés en janvier 1962.

Je me rappelle une nuit passée, au cours d’une opération qui n’avait guèred’intérêt sinon d’occuper la troupe, dans un abreuvoir du point d’eau de Kef ElAhmar. Au petit matin il faisait froid et les autochtones incorporés dans l’arméefrançaise étaient en quête de bouse de dromadaire pour allumer un feu et fairechauffer le café. Je n’ai guère de souvenir de la pluie. Sans doute que nousavons dû l’avoir quelquefois.Cela ne s’est produit qu’à quelques reprises mais j’ai connu le vent de sable, lesimoun. C’est véritablement infernal : on se calfeutre à l’intérieur car dehors onne voit rien ou pas grand-chose et le sable cingle le visage et tout ce qui estexposé.

Il rentre par toutes les ouvertures qui s’offrent à lui, sous les portes enparticulier.

Ça dure en général une journée.

Il y avait dans le secteur des dunes assez hautes qui s’étaient formées. Plus versle sud, à Mécheria, c’était nettement plus désertique.Naturellement il fait quand même chaud, et sec, en été. J’ai d’ailleurs appris quela sécheresse s’étant étendue il n’y a plus d’alfa sur les hauts plateauxSur la route goudronnée qui remonte vers Saïda on pouvait observer lesphénomènes bien connus de mirages chauds. Des illusions de flaques d’eaulointaines apparaissaient sur la route. Elles disparaissaient quand on avançaitpour se former plus loin.

En fait point n’est besoin d’aller au Sahara pour être confronté à ce phénomènemais là c’était véritablement spectaculaire.Sur le chott El Chergui on avait à droit au spectacle de l’image de La Rafale, letrain circulant sur la voie ferrée de faible écartement qui reliait Perrégaux à AïnSefra, qui se reflétait dans la couche de sel.

Par ici c’était plat comme la main, sans une pierre. Ah si, il y en avait au moinsune. Un jour, descendant du camion où il était chef de voiture, un brigadier dontj’ai oublié le nom, originaire de Phalempin dans le Nord, avaitmalencontreusement posé son pied sur la seule qui se trouvait là à des centainesde mètres à la ronde. Il avait écopé d’une cheville foulée !

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Bou-Ktoub, la rue principale

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Bou-Ktoub : le marabout

J’ai trouvé la photo qui illustre le présent article sur la Toile. J’ai un vaguesouvenir de ce monument mais je ne suis pas sûr de l’endroit exact où il setrouve. « A la sortie de Bougtob » (oui, c’est ainsi que s’écrit le nom de la ville àprésent) dit la légende qui l’accompagne.Alors sur la route d’El Bayadh (anciennement Géryville) ? Peut-être, rien n’estmoins sûr !

Ce monument est donc un marabout c’est à dire le tombeau d’un… marabout !

Mais qu’est-ce donc qu’un marabout ? On pourrait traduire par « saint »,« ermite », « homme sage »…Toujours selon la légende qui accompagne la photo ce serait le marabout deMkam Sidi Bahous El Hadj encore appelé Abou Hafs El Gharib ou Dafin Missrdont nous ne savons rien. C’est le fils de Abdelhakem, lui-même fils de SidiChikh, un personnage important dans la région.

Il s’agit donc d’un mausolée. Naturellement il est en vert et blanc, couleurs de lapaix et de la bénédiction dans l’islam.On connaît en Algérie, du côté de Sidi Bel Abbés un marabout célèbre, celui deSidi Brahim, célèbre pour la bataille qui s’y est déroulée du 23 au 26 septembre1845. 82 chasseurs à pied retranchés dans le marabout résistèrent pendant troisjours et trois nuits à 10 000 cavaliers d’Abdel Kader. 11 en sortirent vivants.Déjà à cette époque la France ne lésinait pas avec le sang de ses soldats !

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Khaïma

On écrit aussi kheima et elle désigne la tente bédouine utilisée par les nomadesqui doivent se déplacer pour faire paître leurs troupeaux.Une armature de bois soutient un assemblage de bandes de laine brune de teintesdifférentes, cousues ensemble.A Bou-Ktoub il y avait un camp de regroupement fait de khaïmas et j’ai eul’occasion de boire le thé devant l’une d’elles. L’occupant des lieux, un chibani(un vieux monsieur) nous avait quasiment avoué que ses fils étaient « audjebel », c'est-à-dire dans les rangs du FLN.Un soldat maghrébin avait découvert, en piquant sa baïonnette dans le sol, uncasque de soldat enterré devant la khaïma. Je ne sais pas par quoi l’affaire s’étaitsoldée. Je ne sais pas non plus à quoi le chibani destinait ce casque, il ne mesemble pas que les fellaghas s’en coiffaient.Dans les camps de regroupement, destinés à isoler les combattants du FLN de lapopulation, les pasteurs comme les agriculteurs, ne pouvaient plus avoir lesactivités économiques qui étaient les leurs et bien sûr cela aggravait encore unesituation déjà difficile.La guerre est une chose atroce et on ne répétera jamais assez qu’il fautcommémorer comme il se doit le 19 mars qui est la date d’entrée en vigueur ducessez-le-feu. Ce qui s’est passé par la suite est une autre histoire qui mériteanalyse mais au moins les soldats du contingent n’étaient plus directementconcernés.

Photo Noureddine Toumi

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Sur le putsch d’avril 1961

Je ne suis pas exactement sûr de la chronologie dans le récit que je vais faire deces événements que j’ai vécus en tant qu’appelé du contingent.Le samedi 22 avril, en fin d’après-midi en revenant de la piscine du Kreider quise trouve à une dizaine de kilomètres au nord de Bou-Ktoub où était cantonnéela moitié de la 4ème batterie du 1/66ème régiment d’artillerie, j’ai appris lanouvelle de la tentative de putsch qui venait d’avoir lieu à Alger.Ce soir-là nous n’avons pas bougé. Le lendemain les langues allaient bon traindans le bordj de Bou-Ktoub où était une garnison d’une cinquantaine de soldats,essentiellement des appelés du contingent. Le capitaine était un certain Giscardd’Estaing et était je crois un oncle du futur président de la république. Ceux quiservaient au mess des officiers nous avaient signalé qu’il avait fait enlever laphoto du général de Gaulle aux murs de celui-ci.

Le dimanche après-midi nous avons décidé de rédiger une déclaration exprimantnotre volonté de rester fidèle au gouvernement légal. J’ai été chargé de larédaction du texte et Bernard Donjon, l’autre maître-chien de l’unité, s’estoccupé de le recopier.

Nous avons présenté cette déclaration à la signature de tous. Nous avonsrecueilli me semble-t-il 47 signatures. Parmi le contingent il n’y a pratiquementpas eu de refus, sauf celui du chauffeur du capitaine, lequel, selon le mot deDonjon pratiquait de manière constante l’alliance du volant et du goupillon. Ouiil ne manquait pas la messe le dimanche !

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N’avait pas non plus signé un maréchal des logis d’origine bretonne, dont lenom était peut-être Hascouet ou quelque chose d’approchant et qui avait paraît-ille projet de s’engager dans les CRS.

Par contre un autre maréchal des logis, un certain Lucien Dugardin, originaire deRoubaix et communiste, de « semaine » selon l’expression en usage dansl’armée, nous avait fait distribuer la totalité de nos munitions. Oui, pour desraisons de sécurité, on ne nous en laissait qu’une partie.Dans l’après-midi du dimanche des camions de la Légion Etrangère sont passés,montant sans doute vers Oran. Il y en avait un grand nombre, peut-être unrégiment complet, et nous n’aurions pas été en mesure de nous opposer à quoique ce soit.

Je pense que c’est le dimanche en fin d’après-midi qu’un train rempli delibérables parti de Méchéria qui est à quelques dizaines de kilomètres au sud deBou-Ktoub avait été renvoyé depuis Saïda ou Perrégaux vers son lieu de départet avait stationné quelque temps dans la gare de notre localité. Nous étions allésessayer de convaincre ces libérables de protester mais ils étaient trop accabléspour réagir.

Le dimanche soir j’étais de garde. Pendant cette période les postes à transistorsont joué un rôle important pour faire passer les informations. Nous avionsentendu, sur je ne sais plus quelle station, que le lieutenant colonel Singer quicommandait le 1/66ème R.A. avait rallié les putschistes. Nous n’avons jamais pule vérifier.

Au milieu de la nuit il y a eu l’appel de Michel Debré précédé de LaMarseillaise. Comme j’étais à ce moment là au poste de police je me suis misostensiblement au garde-à-vous ! On sentait de l’angoisse dans la voix duPremier Ministre !

Le lundi nous avons fait partir notre pétition à notre lieutenant colonel qui setrouvait à la Batterie de Commandement et de Services située près de Saïda.Nous avons également envoyé un double dans les batteries où nous avions descontacts.

Nous avons également avisé les deux sous-lieutenants, des appelés, qui étaienten poste l’un à Bou-Ktoub l’autre au Kreider que nous leur confierions lecommandement s’il s’avérait que notre capitaine prenait partie contre legouvernement légal. Quoiqu’en désaccord avec les putschistes ils étaient dansl’expectative ! L’aspirant responsable du service de santé avait lui par contresigné notre déclaration de principe, fustigeant avec insistance et déterminationles généraux félons !

Le lundi ou le mardi soir je ne sais plus, nous avons tenu une réunion dans unepièce qui servait de salle de classe. Oui l’armée faisait du social à bon compte

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avec les appelés du contingent qui étaient instituteurs dans le civil et même avecceux qui n’avaient pas de formation particulière en la matière.Nous étions un groupe assez décidé. Pierre Liebert, le responsable du magasind’entretien, peintre dans le civil, était d’accord pour nous fournir de la peintureafin d’aller badigeonner les murs de la ville d’inscriptions donnant notreposition sur le putsch. Comme j’étais surveillé il fut convenu que l’opération seferait le mercredi où je devais être de garde à nouveau. Mais le mercredi c’étaitla reddition des putschistes !

Il y avait deux bistrots à Bou-Ktoub, l’un très exactement devant l’entrée dubordj, l’autre guère plus loin, en face du chenil. Les propriétaires avaientpavoisé et mis un drapeau tricolore sur la devanture de leurs établissements. Lemaréchal des logis qui n’avait pas signé notre pétition voulut se rattraper. Ilsubtilisa le drapeau qui était le plus éloigné de l’entrée du bordj… et me leremit !

Qu’en faire ? Je l’ai finalement planqué dans une espèce de galetas qui était au-dessus de la chambre des deux maîtres-chiens. J’étais un peu inquiet car il y étaitpendant que s’effectuait une revue de munitions étalées sur nos lits. Oui, commeil y en avait qui étaient subtilisées et qu’elles arrivaient sans doute dans lesmains des combattants de l’ALN ces contrôles étaient fréquents. Au passage jedois dire que ce n’était pas très exaltant d’enlever les 8 fois 25 cartouches de noschargeurs de mitraillette et de les remettre après la revue. Aussi Donjon leslaissait dans un chapeau d’où il les sortait à la demande ! Pour un peu il seraitparti en opération avec des bouteilles de bière dans ses sacoches à la place de seschargeurs, arguant qu’en cas d’accrochage il se contenterait de les décapsuler !

Quelques jours après la fin du putsch le chef d’escadron Guyot qui commandaiten second fit une visite dans notre cantonnement. Nous étions tous rassemblésdans la cour du bordj quand l’adjudant Chassagne me fit sortir des rangs afinque je sois présenté à l’autorité en visite. Je n’en menais pas large ! Il y eutsimplement un discours au terme duquel on nous assura que nous n’aurions enaucun cas été entraînés dans une aventure ! Après coup c’était facile de le dire !

Après ces événements nous ne revîmes plus notre capitaine Giscard d’Estaing.Sans doute fut-il muté de manière disciplinaire. Nous reçûmes en remplacementun capitaine que j’avais connu à la BCS avant de la quitter pour devenir maître-chien. Le bruit courait qu’il était chargé de la sécurité militaire et qu’il enquêtaitpour savoir qui était à l’origine de la pétition.Ce n’était pas mon écriture qui figurait sur celle-ci j’étais donc un peu à l’abri.Donjon était tellement farfelu qu’on ne pensait pas à lui. Il était pourtantcommuniste ! Les soupçons s’étaient portés sur un certain José Bianco,originaire de Marseille lui aussi aux jeunesses communistes et fils de républicainespagnol. Là c’est un maréchal des logis, un engagé, qui avait tenté de trouver leresponsable, faisant venir les choses de loin dans le style : « Vous, Bianco si vos

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parents sont partis d’Espagne c’est à cause du régime ? » A quoi Donjon, quiassistait à l’interrogatoire, avait répondu ! « Mais non, c’est à cause du climat etde la nourriture ! »

Ah non, nous n’étions pas encore au bout de nos peines, j’ai dû subir l’absurditéde cette guerre pendant encore un an !

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Lui c’est Messmer

C’est le nom, celui du ministre des armées à l’époque, que nous avions donné àce chien qui était la mascotte de la 4ème batterie du 1/66ème Régiment d’Infanteriecantonnée à Bou-Ktoub au sud de Saïda et au bord du chott el Chergui.La photo m’a été envoyée récemment par Pierre Liebert qui était responsable dumatériel pour l’entretien du cantonnement. C’est lui qui devait nous fournir lapeinture pour aller mettre des inscriptions hostiles aux factieux lors du putschdes généraux félons en avril 1961.Mais voici Pierre Liebert en train de peindre l’écusson du régiment à l’entrée dubordj et à côté il s’occupe de la guérite. Le soldat accroupi s’appelle Legros.

Messmer ? On l’a coiffé d’un calot avec un galon de Premier canonnier. Il mesemble qu’il avait été abattu quand nous avons quitté Bou-Ktoub pour Géryville.

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La champignonnière

On s’ennuyait ferme au bordj de Bou-Ktoub. Un bordj ? C’est un fort. Celui-ciavait dû être construit au début de la conquête de l’Algérie.Bou-Ktoub est sur les hauts plateaux du Sud Oranais à 1026 m d’altitude. Cen’est pas encore le désert mais c’est presque désespérément que le regardcherche un arbre. Ici c’est le pays de l’alfa. Géryville, la sous-préfecture, situéeà une centaine de kilomètres au sud est, est la capitale de cette graminée utiliséepour la fabrication d’un papier de luxe. Elle nourrissait aussi des troupeaux demoutons, de chèvres et de dromadaires.

A Bou-Ktoub on emballait l’alfa récolté dans le secteur et un dispositifpermettait de tresser des cordages avec la plante. Celui qui le servait couraittoute la journée !

A une dizaine de kilomètres au nord, de l’autre côté de l’étranglement du ChottEch Chergui, est Le Kreider, petite oasis qui possédait une caserne plusimportante et surtout une piscine alimentée par une source naturelle d’eauchaude. A vrai dire à Bou-Ktoub aussi il y avait de l’eau chaude qui étaitpompée et qui alimentait un établissement public de douches où nous allions unefois par semaine.

La ville comportait une station de chemin de fer sur la ligne à voie étroite quireliait Perrégaux à Aïn Sefra (et peut-être antérieurement Colomb-Béchar). Letrain qui l’empruntait était appelé La Rafale et des wagons étaient placés àl’avant de la locomotrice pour réduire les risques provoqués par une mine.Je ne sais pas combien il restait d’Européens à Bou-Ktoub en dehors des deuxfamilles qui tenaient les bistrots situés face à notre cantonnement. Le cimetièredont ils disposaient était envahi par le sable et sans doute désaffecté.

Il y avait un village en dur fait de mechtas et un douar formé de tentes qu’onappelait des raïmas, peut-être un village dit de regroupement. Il y avait aussi uneSAS (Section Administrative spécialisée) avec laquelle nous n’avions pas decontact. Une harka avait été recrutée et a dû compter une trentaine de supplétifs.

En dehors de la cour du bordj était un espace sablonneux entouré de fil de ferbarbelé. C’est dans cet espace qu’étaient installés les deux canons de 105 mmdont nous disposions. Ils n’ont jamais guère quitté leur emplacement.

Comment s’appelait-il ? Je ne sais plus ! Sicard peut-être m’a soufflé LucienDugardin, maréchal des logis dont j’ai retrouvé la trace 45 années plus tard.Selon lui, Sicard, si c’est son nom, était originaire de… la Loire ?

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Ce qui est sûr par contre c’est que dans le civil il cultivait des champignons deParis dans les galeries d’une ancienne carrière. L’ennui, et le mal du pays aidant,il avait réalisé une champignonnière miniature avec des tôles cintrées enprincipe destinées à servir d’abri. Il s’était procuré du fumier de cheval, sansdoute auprès d’un régiment de spahis qui était cantonné dans le secteur, s’étaitfait envoyer de chez lui du mycélium et avait obtenu quelques spécimensd’Agaricus bisporus.

Le capitaine qui commandait la 4ème batterie avait manifesté beaucoup d’intérêtpour l’expérience clandestine ainsi menée. Aussi, avec l’aide du spécialiste, lagrande culture du champignon de Paris avait été entreprise… au sous-sol.

Enfin le sous-sol il avait fallu le créer. Deux galeries d’une douzaine de mètresavaient été creusées dans le tuf que recouvrait un sable moins compact. Celan’alla pas très vite car planqué dans la fraîcheur du chantier on n’était pas obligéde faire du zèle. Je me rappelle un Corse, remontant à la surface à l’heure dudéjeuner, avoir avoué qu’il n’avait donné que deux coups de pelle dans toute lamatinée !

On était loin des kilomètres de galeries dont disposait notre champignonniste deprofession mais enfin l’affaire fut menée à bien et j’ai le souvenir d’avoir vu unsoir flotter des champignons de Paris dans la soupe qui nous avait été servie.

Quand une autorité passait dans le secteur on ne manquait pas de lui faire visiterla champignonnière, le responsable prenant un malin plaisir à le faire pataugerdans du grésil pour éviter toute contamination de sa culture.

L’ambition affichée de notre capitaine, qui souhaitait qu’à terme son unitén’émarge plus au budget de la défense ne fut toutefois pas réalisée. Un jour, unenuit plutôt, une des deux galeries, non étayées, s’effondra, sans toutefois faire devictime, il n’y avait personne à l’intérieur.Notre ordinaire n’en fut pas vraiment affecté mais peut-être que bien boisées cesgaleries auraient pu être généralisées à l’ensemble des hauts plateaux, voire auSahara tout entier.

La relance de l’économie de l’Algérie par la culture du champignon de Parisnous aurait qui sait permis de gagner la guerre !

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L’école de Bou-Ktoub

Je suis arrivé à Bou-Ktoub avec mon chien en novembre ou décembre 1960.L’école était déjà en place dans un bâtiment en dur mais Mustapha Arzew, unécolier qui a pris contact avec moi via mon blog, m’a affirmé qu’elle avaitd’abord été installée sous des tentes. Oui, en 130 ans de colonisation la Francen’avait pas encore construit d’école à Bou-Ktoub !

Vous savez les Arabes… Qui n’a pas entendu ce propos raciste !

Un mot sur Mustapha Arzew à qui j’ai demandé ce que faisait son père à Bou-Ktoub. Avant la guerre il était paysan, sans doute avait-il des moutons ou desdromadaires, on ne voyait pas de culture dans les parages.

Il avait rejoint les rangs du FLN et avait été tué début 1960, lors d’un ratissage,par un commando de Saïda. Sans doute le commando George, composé deharkis (au sens générique du terme.) Oui l’armée avait réussi ce tour de force defaire se battre les Algériens entre eux. On appelait ça la pacification !Evidemment ça ressemblait davantage à une guerre civile !

Bis repetita placent : "C'est beau, c'est grand, c'est généreux la France !" avaitdéclamé De Gaulle !

Avec Bernard Donjon, l’autre maître chien, nous avons été logés après l’écoledans une chambre où nous n’étions que tous les deux, le chenil étant juste à côté.Il y avait trois appelés du contingent qui faisaient la classe dans cette école :Jacques Flotté, instituteur dans le civil, qui a fini sa carrière comme principal decollège dans le Calvados, Robert Brochard originaire de l’Allier où il a travailléau Crédit Agricole et Serge Roccaz qui était de Grenoble.

Serge Roccaz était je crois ouvrier d’usine mais je ne sais pas exactement cequ’il est devenu. Je l’ai eu au téléphone il y a quelques mois et je lui ai envoyéun courrier postal. Il n’a pas répondu à ce dernier.C’était un homme de taille moyenne, pas très grand même, rouquin. Je penseque son statut d’enseignant, même dans le cadre de son service militaire, l’avaitvalorisé.

Je ne sais pas pourquoi il s’était mis à faire la cuisine et ma fois là aussi ilprenait les choses au sérieux avec son torchon noué autour de la taille !

Je lui avais demandé de nous préparer un hérisson que j’avais trouvé. Il s’étaitcertes exécuté mais m’avait fait remarquer qu’il y avait incompatibilité entrel’ail et l’oignon avec lesquels je lui avais suggéré de le cuire.

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J’ai échangé chaque année et sans interruption mes vœux de nouvel an avecRobert Brochard. Avec Jacques Flotté nous avions perdu le contact mais il a étérenoué, via mon blog.

L’école n’était pas exactement mixte, elle accueillait les garçons et les filles pardemi-journées me semble-t-il.

Jacques Flotté m’a envoyé diverses photos de Bou-Ktoub. Sur l’une on voit unjardin qui a dû être créé par l’école. Je n’en ai aucun souvenir.Je ne sais pas à la suite de quelles circonstances j’ai, quoique toujours maître-chien, enseigné un temps dans cette école. Peut-être en attendant le retour deJacques Flotté qui, ayant contracté une jaunisse pendant sa permission, avaittardé à revenir.

Il faut dire que j’ai fait un peu tout à l’armée : maître-chien, maître d’école,maître nageur. Il n’y a que de ma propre personne dont je n’étais pas maître !

Tiens voilà Serge Roccaz et sa classe

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Toujours à Bou-Ktoub

Il va de soi que je m’y ennuyais ferme ! Aussi quand j’ai été désigné parl’adjudant Chassagne pour servir d’escorte et de rabatteur à deux Nemrod, enl’occurrence un capitaine et un commandant, cela m’allait plutôt !

Mais voilà, avais-je fait un déplacement de plus de 1500 km hors de chez moipour ce type de mission ?

Aussi, si je n’en disais pas plus, je n’en pensais pas moins. Et j’ai toujours eucette particularité qu’on pouvait lire ce que je pensais sur mon visage et dansmon regard, ce que n’ont pas manqué de comprendre les gradés quej’accompagnais. Je ne les ai pas démentis !

Par ailleurs à cette époque j’étais mince et bon « crapahuteur ». J’ai eu droit àdes éloges à ce sujet. Crapahuteur, je le suis encore, mince beaucoup moins !

Nous sommes donc partis dans une zone qui devait être interdite, en tout cas lachasse l’était. Qu’est-ce que nous avons pu lever comme lapins et perdreaux !Lever et tirer naturellement. Enfin moi je ne faisais que rabattre et peut-êtreramasser, je ne sais plus. Je n’ai aucune précision à apporter sur le tableau dechasse. Qu’ont-ils fait du gibier abattu ? Je l’ignore.Une autre anecdote. Un dimanche l’armée avait prêté un camion pour emmenerà Méchéria l’équipe de football de Bou-Ktoub. J’avais prétexté que j’avais là-bas un copain pour demander l’autorisation de m’y rendre. Elle me fut accordée.Ce Chassagne aura finalement mérité le Ciel !

Je n’ai guère de souvenir du match, par contre de celui des autochtones chantantquelque chose que je vais essayer de rapporter « Harkia, arbia… ! » oui. Quelleest la traduction ? Je l’ignore, absolument !

Il y avait des passages de poids lourds qui se dirigeaient vers le sud. Leschauffeurs faisaient halte devant le café situé en face du chenil et par temps froidlaissaient tourner leur moteur diesel. Je crois même que du feu était entretenusous le capot.

Ah, une image, entre l’entrée du bordj et la gare, distance d’environ deux centsmètres, un autochtone élevait un veau en plein air. Un veau ? L’autochtonedevait être quelqu’un d’aisé ! Ce veau s’était trouvé une occupation : il couraitaprès les hirondelles !

Moi aussi j’avais tenté de me trouver une activité qui m’aurait permis desupporter l’imbécillité de notre situation. Des bandes de moineaux venaient dansles fils de fer barbelés qui entouraient le cantonnement. J’avais demandé à monpère de m’envoyer des tendas (des pièges à oiseau). J’en ai reçu six mais je ne

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crois pas avoir attrapé un seul des ces muralhièrs ! Par contre l’ami Serge Rocaz(il était de Grenoble) nous avait convenablement cuisiné le hérisson que j’avaisrapporté !

Autre chose : j’étais de garde à l’entrée du bordj, une activité passionnante vousvous en doutez ! Je ne sais pas ce que réclamaient des Algériens qui sont venusmanifester devant moi mais l’adjudant Chassagne était impuissant à les calmer.Complètement dépassé il m’a dit « Mais tirez donc dans le tas ! » Pour touteréponse j’ai souri. Ça ne me déplaisait pas de voir l’autorité militaire endifficulté !

Peut-être vais-je mentionner pour finir ce chapitre l’histoire de ce Corse quidégageait sur lui une odeur de rance. Ayant appris que l’huile permettait debronzer il avait ouvert une boîte de sardines et s’en était badigeonné les bras etles épaules.

L’armée rend ingénieux !

Tiens ça c’est une vue de l’activité économique à Bou-KtoubLe charroi d’alfa et des meules derrière

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Engagez-vous, rengagez-vous,

L’armée vous donnera un métier

Oui c’était le slogan des sergents recruteurs qui jouaient sur la situation queconnaissaient les jeunes sans formation et sans emploi.

Je ne me suis ni engagé ni rengagé mais l’armée m’a quand même permisd’apprendre un métier : veilleur de nuit !

Photo Jacques Flotté

Vous avez ci-dessus un des endroits où j’ai eu l’occasion de me familiariseravec une activité tout ce qu’il y a de plus exaltant : monter la garde.

C’était à raison d’une nuit sur trois et de deux heures de faction suivies de quatreheures de repos, voire de sommeil, dans le poste. Pénible d’être réveillé pour« avoir l’honneur de monter la garde pour deux heures de faction ! »

Il y avait des gradés de quart (brigadier, brigadier chef, maréchal des logis) quiétaient particulièrement attentionnés et qui vous secouaient en évitant d’être tropbrutaux, d’autres qui au contraire faisaient cela sans ménagement.

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Là nous sommes à l’entrée du bordj de Bou-Ktoub, qui s’écrit Bougtobaujourd’hui malgré les efforts que nous avons fait pour garder la graphie (etl’Algérie) françaises. Il faut reconnaître que je manquais réellement demotivation pour cet objectif. Il m’est même arrivé de rêver que lors durassemblement l’adjudant annonçait « En raison de son manque visibled’enthousiasme, le canonnier Cros est renvoyé dans ses foyers ! » Hélas cela nes’est pas produit.Donc on était planté pendant deux heures, devant cette entrée ou ailleurs. C’étaitcomme pour « Le désert des Tartares » il ne se passait rien ! Encore heureux medirez-vous.

J’ai le souvenir de nuits de clairs de lune où l’on y voyait presque comme enplein jour. On pouvait, je ne sais pas si c’était autorisé, écouter un poste radio àtransistors muni d’une oreillette (le mot n’existait pas encore !)

On pouvait aussi regarder sa montre à intervalles plus ou moins réguliers etavoir du plaisir quand la grande aiguille avait fait un bond d’importance et de ladéception quand ça n’avait pas beaucoup avancé.Je ne vous dis pas à quoi on pouvait par ailleurs penser. Le bromure, ce produitde contrebande qui permet au pain de ne pas durcir, n’avait pas tout à fait lesmêmes résultats dans d’autres domaines.Dans le jour, si les autres postes de garde n’étaient pas pourvus, il y avaitconstamment une sentinelle à l’entrée du bordj. Ce n’était guère pluspassionnant que la nuit.

Le dimanche on se mettait sur son 31 quand on était en faction devant le fort :tenue de ville et ceinture de flanelle rouge. Ce qu’on était beaux, on devaitimpressionner favorablement les autochtones. Bien sûr cela n’a pas suffi à nousfaire gagner la guerre !

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L’alfa

Géryville, une sous-préfecture située sur les hauts plateaux où j’ai été cantonnéquelques jours, est la capitale de l’alfa. En fait entre Bou-Ktoub et Géryville iln’y a guère que l’alfa comme végétation.Verte au printemps, grise en été, la plante est une graminée qui peut atteindre 1m de haut. Le mot alfa vient du provençal « elfa » et a donné « halfa » en arabe.Son nom scientifique est Stipa tenacissima.

L’alfa se lignifie en vieillissant et n’est alors plus consommable par les moutons.Il l’est encore par les dromadaires, les chevaux et les ânes. Il peut être alorsutilisé comme combustible.

Il sert à la sparterie (fabrication de corbeilles, paniers, cordes…) mais son usagele plus important c’est la production d’une pâte à papier qui permet l’obtentiond’un papier de luxe, l’alfa.A Bou-Ktoub une entreprise, qui appartenait à un certain Rodriguez, propriétairedu café situé devant l’entrée du bordj, collectait l’alfa récolté dans le secteur, enfaisait des ballots, les compressait, les liait par des cordages confectionnés surplace avec les tiges de la plante. Ils étaient expédiés par la gare.

J’ai trouvé la photo qui illustre le présent article sur le site de NoureddineToumi. Elle montre de l’alfa au printemps avec un troupeau de moutons quibroutent sur cet espace. L’arbre isolé que l’on voit au loin est appelé « bétoum »en langue arabe et j’ai cru comprendre que c’est un pistachier dont le nomscientifique serait Pistacia mutica.

L’alfa fixe le sable et limite l’érosion éolienne. J’ai appris par un correspondantqui habite Méchéria, au sud de Bou-Ktoub, que, conséquence du réchauffementclimatique et du surpâturage, l’alfa s’est raréfié sur les hauts plateaux. Lerésultat c’est que le vent de sable est à présent plus fréquent, presque quotidienai-je lu.

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Ma permission

Oui, nous avions droit à une permission trois semaines qui coupait notre séjourde vingt six mois en Algérie. Qui a dit que les gouvernements successifs, de GuyMollet à De Gaulle, n’étaient pas attentionnés avec les soldats du contingentappelés en Afrique du Nord ?

Comme j’avais changé d’unité ma permission n’avait pas été programmée alorsque tous ceux de ma classe l’avaient déjà prise. Je ne disais rien bien sûr,souhaitant qu’elle soit retardée au maximum car cela me permettait d’avoirmoins de temps à effectuer à son issue.

Finalement je ne suis parti en permission qu’en septembre 1961, au bout de dix-huit mois de service militaire. Au retour de celle-ci il ne me resterait plus quesept ou huit mois à effectuer.

J’avais ce qu’on pouvait appeler une fiancée mais dix-huit mois c’est long !Enfin pour moi je n’avais pas vraiment le choix. Elle ? C’est plus compliqué,mais à cette époque je ne savais pas !

Curieusement elle m’a proposé que nous nous mariions lors de ma permission.Ma foi comme c’était dans l’air avant et qu’elle aurait droit au versement d’unepension… Quand on n’a pas encore 22 ans !

Partait en permission en même temps que moi Jacques Flotté d’Alençon, commemoi instituteur dans le civil et qui a fini sa carrière d’enseignant commeprincipal du collège de Dives s/ Mer.

Je me rappelle que nous sommes montés en camions jusqu’à Perrégaux où nousavons pris le train de la ligne Alger / Oran et avons passé une nuit à la BaseArrière. En soirée nous avions eu droit à un film amusant qui nous avait divertis.

Le bateau ? C’était le Kairouan. Un bateau blanc et qui devait rallier non pasMarseille mais Port Vendres. La nuit passée sur un transat a été comme il se doitinconfortable. L’arrivée sur la Côte Vermeille fut un enchantement. Les vignesqui montaient à l’assaut des collines, c’était vraiment très beau !

Sur le mole une jeune femme suivait les opérations d’accostage. C’était elle !

Les retrouvailles ne furent pas l’objet d’effusions excessives. Jacques Flottéavait même été quasiment impressionné par la façon très calme avec laquelleelles s’étaient effectuées !

Nous avions ralliés Béziers en auto-stop. Je n’ai pas le souvenir del’enchaînement des choses. Je me souviens aussi de l’émerveillement quem’avait valu la vue sur le port de Collioure. Je m’étais promis d’y aller dès que

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l’occasion se présenterait. Hélas il m’a fallu attendre plus de quarante ans pourle faire, dans le cadre d’un échange scolaire avec l’Allemagne.J’ai dû arriver à Cessenon dans la journée à moins que ce soit le lendemain ? Jene sais plus si c’est cette fois que mon père recevait un copain de régiment à lui,un certain Guiraud de Siran avec lequel il avait été à l’initiative d’une pétitioncontre la mauvaise qualité de la nourriture alors qu’ils étaient à Bizerte. Si c’estcette fois là je revois alors la petite chienne Tou Fou bien dégradée par l’âge !

Ce qui m’a le plus surpris lors de mes premiers jours de permission c’était lescoups de feu. Oui c’était la saison de la chasse, peut-être aussi y avait-il un ball-trap, mais en Algérie, les coups de feu…Donc pour moi c’était la confusion la plus complète qui régnait. Maryse,« L’amie » de mon imminente épouse était fille d’un viticulteur. J’ai été sollicitépour aider à vendanger au domaine qui était du côté de Lespignan me semble-t-il. J’ai retrouvé le nom de ce domaine « Bellevue ».

Nous nous sommes mariés à Béziers, Maryse et mon frère nous ont servi detémoins. Nous sommes allés manger ensuite à Agde. J’ai toujours eu, j’aiencore, horreur des restaurants ! Enfin mon frère a dû payer, il était d’unegénérosité maladive.

Quels autres faits marquants de cette permission ? J’étais allé chez le dentistecar une dent s’était cassée sur un pépin de raisin. Naturellement je n’étais pasassuré ou du moins je ne savais pas ce que je devais faire pour me fairerembourser.

A la fin de ma permission, à mon arrivée au Camp Sainte Marthe à Marseille unsecrétaire m’a informé qu’il n’y avait pas de bateau avant le surlendemain. J’aidonc bénéficié de deux jours supplémentaires.

Je suis revenu sur Béziers et dans une gare, à Avignon peut-être, j’ai aperçu descollègues qui avaient passé le concours d’entrée de quatrième année à l’EcoleNormale mais qui avaient obligation d’effectuer un certain nombre d’annéesdans un département déficitaire, l’Yonne en l’occurrence. C’était la rentréescolaire ils allaient reprendre leur poste pour la troisième année consécutive. Jene sais pas s’ils changeaient de train ou s’ils étaient simplement descendus duleur.

J’ai pu bénéficier d’une soirée supplémentaire, peut-être deux, en compagnie demon épouse et… de ma rivale dont j’ignorais toujours le statut ! Oui en fait lemariage qui m’avait été proposé était probablement une solution de ma fiancéepour sortir de la situation dans laquelle elle s’était engagée.Je me rappelle que nous sommes allés au cinéma voir « Un taxi pour Tobrouk »

Il a bien fallu revenir à Marseille. J’ai observé un arrêt chez mon frère àMontpellier et un de ses collègues m’a ensuite reconduit à la gare avec son

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scooter en s’excusant de ne pas avoir une mission plus exaltante à remplir. Jel’ai rassuré, je n’avais pas le sentiment de courir un grand risque !

Le retour à Oran s’est effectué sur le Ville d’Alger et je crois que sur le pont jelisais «La condition humaine » de Malraux cependant que les dauphins suivaienten effectuant des sauts, l’avancée du bateau.

Le Kairouan

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La médecine militaire est à la médecine…Ce que la musique militaire est à la musique !

A 20 ans j’étais à peu près en bonne santé quand je suis parti faire flotter ledrapeau français aux confins du Sahara.

J’avais toutefois suspendu les soins entrepris à une dent par un praticien deBédarieux. Ma tentative de les reprendre à Oran où j’effectuais mes classes nefut pas évidente. Il me fut quasiment reproché de faire financer par l’armée unproblème survenu alors que j’étais civil. Je ne sais plus trop comment s’étaitsoldée cette affaire. Il me semble que c’est à cette occasion que j’avaisdécouvert l’Ecole Normale d’Institutrices de ce département d’Algérie.J’avais un deuxième problème : je portais des semelles orthopédiques pourcorriger une malformation de mes pieds. « Avant pied plat avec appui rétro-capital » tel était le diagnostic. Ces semelles étaient en liège recouvertes de cuir.

Je n’avais aucune difficulté à marcher, ni même à courir, je faisais del’athlétisme, avec ces semelles. Michel Bernard, le traditionnel second deMichel Jazzy, était dans la même situation.

Après avoir crapahuté plusieurs mois ces semelles avaient besoin d’êtreremplacées. J’avais signalé la chose à l’aspirant qui s’occupait de la santé à Bou-Ktoub. Il m’a envoyé à l’hôpital militaire d’Oran où on n’a rien compris à mademande.

Le mot prothèse ayant été écrit quelque part on était prêt à me placer un dentier !J’ai finalement renoncé à poursuivre plus avant ma requête !

J’ai le souvenir d’avoir couché dans un foyer militaire dont le nom était je croisle Foyer Lyautey. Il fallait payer mais c’était une somme modique et on avaitdroit, dans un dortoir, à un lit pourvu de draps.

Il me semble aussi que c’est à cette occasion que j’avais fait la connaissanced’un sergent avec qui j’étais allé au cinéma voir « Alamo », un film sorti en1960. J’ai un autre souvenir de cette journée : la tentative infructueuse dusergent de commander un demi-panaché dans un établissement qui ne vendaitque des glaces !

Je me rappelle également les petits Maghrébins, équipés de leur matériel, quiciraient les chaussures. Oui nous avions apporté la civilisation en Algérie !

J’ai une vision très vague du retour à Bou-Ktoub en partie en stop (pris par unPied Noir je crois) et du repas consommé dans un restaurant arabe, à Saïda sansdoute, où, seul européen, j’avais mangé du couscous.

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Je ne sais plus comment j’ai réglé mon problème de semelles orthopédiques.Lors de ma permission peut-être ? Ou ai-je fait jusqu’à la fin avec celles trèsabîmées dont je disposais ?

Je sais que pendant cette permission j’étais allé chez un dentiste à Béziers. Unpépin de raisin avait ouvert une dent, qui sait celle dont les soins n’avaient pasété menés jusqu’à leur terme ?

J’ai évoqué dans un autre chapitre comment j’avais contracté la varicelle lorsdes piqures obligatoires. Oui, le même thermomètre servait à prendre latempérature de toute la file de ceux qui allaient les subir.

Je pourrais ajouter ici la projection d’un film, commentée par un major sur lesMST, même si le sigle n’était pas employé à l’époque. Oui celui qui n’était pasallé voir les prostituées était un excellent combattant et revenait auréolé degloire et adulé par les femmes.

Ah, il était question aussi dans ce film des moustiques, du paludisme et de laquinine censée nous en prémunir.

Une autre tentative de recours à la médecine militaire de ma part avait eu lieu unsamedi à Bou-Ktoub. J’étais victime d’une oppression thoracique, une sensationde douleur au niveau du sternum. L’aspirant du service santé avait bien voulum’ausculter mais n’avait rien proposé d’efficace ! Toutefois cela, c’est peut-êtrede la spasmophilie, n’a pas été mieux traité quand ça s’est à nouveau produitalors que j’étais revenu à la vie civile.Dernier point, les stations debout prolongées pendant les heures de garde en sontje pense la cause, j’avais presque des varices sur une jambe ce que j’avaissignalé lors de l’examen auquel nous étions soumis avant la fin de notre servicemilitaire. Cela a peut-être été inscrit dans mon dossier mais ce n’est pas allé au-delà !

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Le maréchal des logis Simorre

Il s’appelait Simorre et il était originaire de Toulouse. Il devait avoir unequarantaine d’années et était maréchal des logis, c'est-à-dire l’équivalent desergent. Pas un foudre de guerre donc au plan intellectuel. Pourtant je ne croispas qu’il était plus idiot que la moyenne mais comme il avait l’air benêt…C’était un grand gaillard, qui s’appliquait du mieux qu’il pouvait dans ce qu’onlui confiait. Il n’était pas spécialement désagréable, loin de là.Je l’entends mettre en garde ceux qui fumaient pendant qu’ils montaient lagarde, « Cela pouvait leur être fatal ! » Je le revois donnant dans le poste radio lerésultat de l’avancée de notre section auprès d’un douar autour duquel nouseffectuions un bouclage : « RAS (Rien A Signaler) autour de la mechta ! » Cen’était pas un scoop, c’était toujours RAS !

Il y avait comme ça des tas de sigles. Je peux traduire le RAB qui signifiait RienA Branler. Il y avait aussi NTPUB, Ne Touche Pas Une Bille, que je complétaisquand cela concernait un gradé d’un « Oui mais il touche sa solde ! »

On avait essayé Simorre à différents postes. Tiens par exemple à l’intendance. Ilne fut pas pire que d’autres. Toutefois il y eut des situations cocasses, c’est dumoins les bruits qui circulaient.

Pour le réveillon de la Noël ou de la Saint Sylvestre 1961 il avait prévu deshuîtres. Voici l’échange qu’on lui prêtait à ce sujet avec le capitaine. « Combienpar homme ? – Une – Une douzaine Simorre ? C’est bien ça ! – Ah non moncapitaine, une huître par canonnier ! – Mais enfin Simorre ça ressemble à quoi ?– Je pouvais fournir trois huîtres pour deux mais j’ai pensé que cela ferait deshistoires ».

Lors d’une opération où nous devions coucher sur le terrain il avait eu en chargeles lits Pico. Il en manqua un, le sien ! C’est du moins ce qui s’était dit !

L’armée française était confrontée à des militaires de carrière qui n’étaient pasvraiment à la hauteur de ce qu’on attendait d’eux. C’était semble-t-il le cas dumaréchal des logis Simorre. Sous peine de ne pouvoir renouveler son contrat ildevait passer un examen. Il y eut donc tout un branle-bas de combat, onaccrocha les obusiers de 105 aux GMC (Général Motors Company) afin deprocéder à des manœuvres permettant de donner le diplôme nécessaire àSimorre pour rempiler.

Il vérifia beaucoup de choses, notamment si les boutons étaient bien dans lesboutonnières. Il oublia quelque chose d’essentiel à savoir si la goupille desécurité du canon avait été bien mise lors de son attelage au camion. Eh non, à

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peine avions-nous parcouru quelques centaines de mètres qu’on vit passer unobusier qui ne suivait plus le GMC auquel il aurait dû être accroché !

L’erreur corrigée on put continuer. Peut-être est-ce cette fois là que nous allâmesdans une zone strictement interdite à toute personne. Il y avait quelques mechtasabandonnées. Dans le cadre de nos manœuvres les servants de la pièce reçurentun ordre du lieutenant Baguet qui n’était pas au répertoire de ce que nous avionsappris lors de nos classes. C’était « Alerte au char ! »

L’obusier de 105 fut pointé sur une des mechtas et un tir tendu fut exécuté. Jerevois à peu près l’environnement et deux ans plus tard, le 24 décembre 1963,alors que j’arrivais pour la première fois chez mes futurs beaux-parents, l’imagede leur ferme au fond d’un chemin creux me rappela curieusement la mechta surlaquelle nous avions effectué un tir au but !

Ce sera tout pour le maréchal des logis Simorre !

Cela ressemblait à cela !

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Images diverses et floues

Là j’ai dans ma tête plusieurs images qui se chevauchent. Nous étions partis enopération, sacs à dos accrochés aux rambardes des GMC.

A quelle période et où était-ce ? Je dirais, sans rien pouvoir garantir, à la fin del’hiver 1961 / 1962, quelques semaines avant le cessez-le-feu, dans le secteur deGéryville. Il me semble que je n’avais plus mon chien.J’étais avec un certain Martinez, je ne sais plus son prénom. Fils de Républicainespagnol exilé après la victoire du Franquisme, il était né à Oran et était prochedu parti communiste. Il avait vécu en métropole et nous avions sympathisé. Ilm’avait fait des confidences sur sa vie... sexuelle ! Il aurait aimé que jeconnaisse sa sœur… mais je ne l’ai jamais vue !

Sur le terrain nous ne faisions pas grand-chose, sinon une longue station deboutpour assurer, avec un déploiement de troupes considérable, le bouclage d’unespace immense. Toute cette opération ne servait strictement à rien, c’étaitl’évidence ! Martinez m’avait dit en espagnol : « ¡ Y todo eso paraindependencia de Algeria ! »

Il avait un peu plu et la couverture que nous avions emportée pour la nuit étaitmouillée. La nuit ? Nous l’avions passée à même le sol en ciment d’uneconstruction en dur, désaffectée, une longue bâtisse dont je n’ai jamais su quelleavait été la fonction originelle.

Je revois un oued, parfaitement à sec, avec son lit de galets qui me rappelait leVernazobre, l’affluent de l’Orb qui se jette dans celui-ci quelques centaines demètres en amont de Cessenon.

Ce qui me marquait par-dessus tout c’était l’aspect désertique du paysage deshauts plateaux dans lequel nous nous trouvions. Au mieux quelques arbustes ou,ici et là, un arbre isolé, avec partout de l’alfa bien sûr. Je rêvais d’eau, devégétation… En plus je sentais le printemps proche et j’imaginais le vivre dansd’autres conditions de ce qu’elles étaient ce jour là tout en percevant quej’appréciais qu’il arrive !

Avec une couverture mouillée il était difficile de ne pas avoir froid et de trouverle sommeil ! Dans tous les cas c’est ce que j’ai vécu, les autres je ne sais pas, etdont je me souviens.

Le lendemain je crois nous nous étions arrêtés quelque part où se tenait unmarché pour ainsi dire en pleine campagne. Un commerçant maghrébin vendaitdes dattes, sèches et plutôt dures, contenues dans un sac en toile de jute.Quelqu’un devait en avoir acheté et en avait probablement offert autour de lui.Je me rappelle que j’en avais mangé et que j’avais aimé !

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Quelles images ai-je encore de cette expédition ? Avec nos sacs accrochés auxrambardes nous avions impressionné les soldats d’une unité rencontrée là ! Nousfaisions figure de commando ! Ah, là, là, il ne faut pas se fier aux apparences !

Mais que diable allions nous faire dans cette galère ?

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Les Arbaouat

C’est sans doute en janvier 1962 que nous avons occupé Les Arbaouat. En toutcas nous y étions le 8 février au moment des événements de Charonne quiavaient si fortement indigné Jacques Flotté, un Normand, comme moi instituteurdans le civil, lequel a fini sa carrière à Dives s/ Mer en tant que principal decollège.

Les Arbaouat ? C’est une manière d’oasis située à une centaine de kilomètres ausud ouest de Géryville. Il y avait un ksar, c'est-à-dire un village plus ou moinsfortifié. Il y avait des palmiers, je peux vous dire que le tronc est un excellentcombustible ! Il nous est arrivé d’en brûler.Nous logions dans un cantonnement aménagé par la Légion. Les légionnairesqui nous avaient précédés avaient construit avec des palmes un plafond décoréaux couleurs, rouge et vert, de leur régiment.

Bien que la fin de la guerre soit proche nous continuions les opérations. Je vaisraconter l’une d’elles. Le commandement avait obtenu des renseignements sur laprésence à quelques kilomètres d’une katiba. Une expédition avait donc étéorganisée.

Je revois un harki, équipé d’un MAS 56, embarqué dans notre camion. Il avaitun visage révélateur de l’engagement qui était le sien, déterminé, dégageant uneimpression de force. Le bruit a couru que par la suite il avait été tué. Je negarantis rien à ce sujet !

Nous avons formé le carré des véhicules, dans un endroit plat et nous avonsattendu la tombée de la nuit. Comme j’avais déjà vécu plusieurs fois de cesmanœuvres qui n’étaient suivi d’aucun effet j’avais enlevé mes rangers pour êtreplus à l’aise !

Le capitaine avait envoyé une escouade de harkis (ben oui, la tactique c’était defaire se battre les Algériens entre eux !) en reconnaissance sur une espèce deterrasse que formait le relief.

L’endroit était occupé par des nomades qui vivaient dans des rheïmas. C’est lenom que l’on donne aux tentes en poils de chameau qu’utilisent ceux qui ne sontpas sédentarisés.

Nous avons été alertés par des coups de feu et les fusées de toutes couleurs. Les« nôtres », enfin ce n’étaient pas les miens, étaient entrés en contact avec desfellaghas venus se ravitailler ou se reposer là !

Grand branle-bas de combat, je remets mes rangers mais je ne trouve pas lechargeur de ma carabine US qui avait dû quitter son logement. Oui, avec

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l’ancienneté j’étais passé d’un Garand à une MAT 49 puis à une carabine US,beaucoup plus légère !

J’ai averti mon capitaine de la situation. Il m’a demandé de chercher le chargeurperdu. J’ai fini par le retrouver. Cela nous a retardés quelque peu, sans doutesuffisamment pour que nous n’arrivions sur les lieux qu’après que les fellaghaseurent décroché.

Les occupants des rheïmas eux aussi avaient pu disparaître sauf un chibani (unancien) qui avait été blessé à une jambe dans cette affaire. Il fut emmené avecnous et le pauvre, laissé sans soin, mourut le lendemain. Des objets ont été prisdans les tentes : une djellaba par exemple qui a été vendue je ne sais plus à quipar celui qui l’avait dérobée. Moi-même j’avais récupéré une théière bleue quej’avais rapportée en France.La guerre conduit aux pires des comportements !

Le capitaine était plutôt satisfait de l’opération qu’il avait conduite, ne regrettantqu’une chose, que nous n’ayons pas pu faire état de deux ou trois macchabées !

C’est aux Arbaouet, à quelques jours du cessez-le-feu que nous a été lu un ordredu jour du Général Ailleret, commandant supérieur interarmées en Algérie. Auxtermes de cet ordre du jour les militaires de tous grades étaient félicités pouravoir eu la maîtrise du terrain pendant toute la durée des opérations.

Il n’empêche, cette guerre nous l’avons perdue et le mieux aurait été à coup sûrde ne pas la faire ! Mais comme on dit chez moi « Lo piquet es pas jamai dintratdins lo cap d’un borriquet ! » expression qui rend compte du fait que certainssont inaccessibles à la compréhension des choses (littéralement : le piquet – ils’agit du jeu de cartes – n’est jamais entré dans la tête d’un petit âne !)

Dans l’enceinte du cantonnementSéance de coiffeur pour Jacques Flotté

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La corvée de bois

Eh non, il ne s’agit pas ici de l’exécution sommaire d’un prisonnier à qui onavait dit qu’il pouvait s’en aller. C’est tout simplement le ramassage et letransport de fagots de bois pour la cuisson des aliments.

Photos Noureddine Toumi

J’ai eu l’occasion de voir cette activité du côté des Arbaouet. Comme le montreles photos c’étaient les femmes qui en étaient chargées. Il n’y avait pas d’arbres,simplement des buissons qui fournissaient donc le combustible nécessaire à lacuisine.

J’ai le souvenir de femmes revenant en fin de journée vers le village, chargéescomme des baudets de branches qu’elles avaient ramassées et assemblées enfagots. Elles avaient encore une bonne trotte avant d’arriver chez elles.Comme vous l’expliqueraient les nostalgériques, la France avait vraimentapporté les technologies de pointe en Algérie !

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Le 19 mars 1962

A cette date j’étais encore « sous les drapeaux » et mon unité se trouvait àGéryville, une sous-préfecture au sud de Saïda, située sur les hauts plateaux àl’est du Chott Ech-Chergui, qui porte aujourd’hui le nom de El Bayadh.Culminant à 1376 m la ville est la capitale de l’alfa.Dans les dernières semaines qui avaient précédé le 19 mars nous avions étédéplacés à plusieurs reprises. Venus de Bou-Ktoub nous étions arrivés unepremière fois à Géryville, en étions repartis pour l’oasis « Les Arbaouet » etnous étions à nouveau à Géryville. Après le cessez-le-feu nous avons encorequitté la ville pour l’oasis de Ghassoul située plus au sud. C’est d’ailleurs àpartir de Ghassoul qu’a commencé vers la fin avril mon long rapatriement enFrance.

Personne ni chez les gradés ni parmi la population européenne ne donnaitl’impression d’une prise de conscience de ce qui se passait avant le 19 mars.Le cessez-le-feu entrait en vigueur à midi. Dans la cour du cantonnement KadriBenkadour, que les circonstances avaient amené à être dans l’armée française,m’avait invité à boire une bière pour célébrer la fin de la guerre. L’espoirchangeait de camp, le combat changeait d’âme !

Déjà, je l’ai su par la suite, des militaires de carrière d’origine arabe ou kabyle,négociaient leur pardon auprès des Algériens en détournant des munitions qu’ilsfaisaient passer au FLN.

Dans l’après-midi de ce 19 mars 1962 ma section a été appelée à une opérationde maintien de l’ordre dans un quartier périphérique de Géryville. Il y avait làdes mechtas, c'est-à-dire des maisons basses avec un toit en terrasse. Leursoccupants avaient mis de petits drapeaux verts, ceux du FLN, sur ces toits.

Un groupe de soldats de mon unité, normalement affectés au garage, constituéde pieds-noirs qui avaient participé aux barricades de janvier 1960 à Alger et quià ce titre et sous peine de sanctions pénales s’étaient vus contraints de s’engager,a fait irruption dans le quartier. Apparemment ils n’avaient pas reçu d’ordremais agissaient de leur propre chef. Leur action consistait à se faire ouvrir lesportes et à faire enlever les drapeaux. Les gens n’ayant pas le choix ilsobtempéraient. Malgré les coups frappés une porte ne s’ouvrit pas. Toutsimplement parce que l’habitant était chez ses voisins. Les coups contre la porteont redoublé au point de risquer de l’enfoncer. Le propriétaire des lieux est sortiet a été molesté par le groupe.

Je n’ai pas pu m’empêcher de crier mon indignation d’un : « Chapeau l’arméefrançaise ! » qui a pu été entendu par tous et notamment par le lieutenant qui

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commandait notre section, un « deux barrettes », un certain Baguet. Ne sachantcomment réagir il appela le capitaine par radio. Celui-ci ne tarda pas à venir surles lieux et me demanda ce que j’avais dit. J’amputais un peu mon propos enreconnaissant que j’avais crié « Chapeau ! » et je complétais en déclarant que jetrouvais indigne que l’armée ne respecte pas les engagements de notregouvernement qui venait de signer les Accords d’Evian, lesquels se traduisaientpar le cessez-le-feu.

A vrai dire le capitaine était embarrassé. Il savait que j’étais communiste maisme rendait justice, je ne lui avais jamais posé de problème particulier. Il ajoutaqu’il m’avait même proposé pour être Premier canonnier ! Il faut vous préciserque j’étais pratiquement le plus ancien dans le grade le moins élevé ! En fait saproposition n’était pas vraiment franche puisque, je l’ai appris par la suite,j’avais bien été inscrit sur une liste mais à la fin, de façon à ne pas être promu.J’ai donc fini mon service militaire comme Deuxième canonnier ce qui audemeurant n’avait aucune espèce d’importance !Mais ce qui s’était passé dans les faubourgs de Géryville était sans communemesure avec ce qui s’est déroulé au centre. Des fusillades ont éclaté pendant unepartie de l’après-midi. Le bruit a couru que le commando Cobra, normalementbasé à Saïda, avait ouvert le feu sur la population qui avait été appelée par leFLN à manifester. Il y avait une trentaine de morts a-t-il été dit. Je n’ai jamaispu établir la réalité ce qui a eu lieu. Je pense que le couvre-feu a été décrété parl’autorité militaire.Il y a eu dans le secteur où opérait ma section un autre fait que je vais relater. Unofficier, un lieutenant me semble-t-il, qui n’appartenait pas à notre unité, m’aapostrophé. Il tenait une MAT (mitraillette) à la main et était complètementpaniqué, m’expliquant que pendant que nous regardions en face nous risquionsd’être attaqués par l’arrière. Décidément encore un qui n’avait absolument riencompris. Je n’ai pas pu dialoguer vraiment avec lui tellement nous étions à desannées lumière l’un de l’autre mais mon visage a dû être suffisamment expressifpour qu’il mesure le fossé qui nous séparait.Le lendemain ma section était encore de service de maintien de l’ordre maiscette fois j’en ai été dispensé par le capitaine qui m’a affecté à la fonction degarde chambre. Chaque jour l’un d’entre nous restait en effet au cantonnementpour ce faire. Toutefois l’état d’esprit n’était plus à la soumission parmi lecontingent et Jean-Pierre Valade, originaire de la Corrèze, avait déclaré : « S’il ya encore des choses qui ne vont pas il y en aura d’autres pour le dire ! »

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Plus de 51 ans après le 19 mars 1962

Je suis en contact avec le webmestre du site Géryville Nostalgie qui avait mis enligne il y a quelque temps le récit que j’avais rédigé des événements que j’avaisvécus le 19 mars 1962 à Géryville.

Mon récit a donné lieu de la part d’internautes à quelques compléments oucorrectifs. Ils me permettent d’ajouter divers éléments supplémentaires à monhistoire.

Des photos m’ont conduit à situer le quartier où ma section était en « maintiende l’ordre ». Selon toute vraisemblance il s’agit du quartier Legraba encoreappelé « Village Nègre ». Oui, en Algérie des quartiers de maisons basses avecdes toits en terrasse avaient été créés à la périphérie des villes au moment del’expansion du colonialisme. Ils étaient occupés par les indigènes.Sur ces photos on voit des personnes, hommes, femmes, enfants, qui quittent lequartier avec des drapeaux. Sans doute s’agit-il de gens qui vont manifester aucentre ville pour exprimer leur joie du cessez-le-feu qui est entré en vigueur àmidi et qui ouvre la voie à l’indépendance de l’Algérie.

J’avais fait état de la fusillade que nous avions entendue dans l’après-midi et desmorts qu’elle avait à coup sûr engendrés, sans avoir de précision ni sur leurnombre ni sur qui a tiré.

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Il m’a été rapporté que ce seraient les hommes du commando Cobra ou ducommando Georges (basés à Saïda), qui sont les responsables du drame. Je n’aipas le moyen de vérifier. Si c’est exact on comprend la volonté de représaillesde la population envers ceux de leurs compatriotes qui s’étaient mis au servicede l’occupant.Grâce au site que gère Monsieur Toumi Noureddine j’ai eu un échange avecMme Fatima Esstitnia, une fille d’une victime. Celle-ci s’appelait BelaouniMebarka et devait être… nous dirions aujourd’hui une militante de la causealgérienne. Fatima avait alors 17 ans et était restée à la maison, tandis que samère était partie manifester, drapeau en main, avec sa jeune sœur.Hélas la mère n’est pas revenue ! On l’a retrouvée le lendemain, morte près dupont de Legraba nous a dit sa fille, en cherchant sans doute à entrer dans le bainmaure dont la porte est restée désespérément fermée. Peut-être a-t-elle été tuéeaprès le couvre-feu qui avait été décrété ?

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Dans un café de Géryville

C’était quelques jours après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et je me trouvaisdans un bistrot de Géryville, sans doute avec Jacques Flotté, comme moi àl’époque instituteur dans le civil.Nous avons d’ailleurs deux souvenirs différents de ce qui s’est passé ce soir làdans ce café.

Pour ce qui me concerne je revois au comptoir un Maghrébin satisfait de lasituation et déclarant que du Maroc à l’Egypte « ils » étaient chez eux à présent.Je revois aussi un Pied Noir particulièrement mécontent des propos qu’il venaitd’entendre et qui s’était montré agressif à l’encontre du Maghrébin. Oui il devaity avoir dans la tête de la majorité des Européens cette idée que l’indépendancede l’Algérie n’était pas acceptable et qu’elle ne serait pas !

Je ne garantis pas que ce soit ce soir là et dans ce café qu’a eu lieu la scène quese rappelle Jacques Flotté. Nous avions été interpellés par un client maghrébin,le même peut-être que celui dont je viens de parler. Il avait déclaré être leresponsable du FLN à Bou-Ktoub où nous avions étés cantonnés pendant delongs mois et que nous les appelés du contingent ne risquions rien. Il avaitajouté être chauffeur de poids lourd et précisé qu’il arrêtait son camion pourboire un coup dans un des deux cafés du village.

A Bou-Ktoub je ne suis jamais allé au café mais je me souviens d’un camionsouvent stationné au petit matin, le moteur en marche, devant le bâtiment oùl’autre maître-chien et moi logions, en face du bistrot que tenait un Européen quis’appelait peut-être Martinez.

N’en sachant pas davantage je n’en dirai pas plus !

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La quille

Je me trouvais à Ghassoul, une manière d’oasis située au sud est de Géryvillequand a commencé mon long rapatriement vers la France.

Ghassoul ? Qu’en dire ? Il y avait je crois un oued avec dans la vallée quelquescultures. Nous étions en avril et le printemps était là.

A côté du casernement, un village, aujourd’hui une commune de la Wilaya de ElBayadh, ex Géryville.

Je me rappelle avoir proposé d’aller déposer un chargement de poutres résultantd’une démolition non pas à la décharge comme prévu mais sur la place de cevillage. J’avais obtenu satisfaction !

Il me semble que bien que le cessez-le-feu soit intervenu le 19 mars nous avonsencore effectué des « opérations » dans le secteur. Le mot « opération » mesemble d’ailleurs usurpé car une opération donne un résultat et des résultats…Dans l’armée c’est colossal finesse. Il y avait un code, par exemple on pouvaitentendre dans le poste radio « De roulettes… à ventilateur ». Là c’était unmessage envoyé depuis un camion à un hélicoptère.

Des fois ça compliquait la vie de celui à qui il était adressé. Ainsi àl’interrogation « Carmen-bolivien 43 ? » qui signifiait que le récepteur devaitêtre le chef de la troisième section de la quatrième batterie du 1/66ème Régimentd’Artillerie il avait été répondu « Non, ici le maréchal des logis Ziouane » !

Notre cantonnement était en aplomb d’une espèce de ravin. Naturellement jecomptais le nombre de « jours au jus. » J’étais là quand est arrivé le moment dudépart.

J’avais glissé une cartouche dans une enveloppe, mis comme adresse celle denotre adjudant et déposé le tout dans la boîte à lettres. Heureusement que levaguemestre n’a pas dû donner suite, j’aurais pu avoir des ennuis !

Nous sommes partis pour Géryville où nous avons dû rendre nos armes. Nousavons dû y passer une nuit. J’ai d’ailleurs oublié là la plaque qui nous avait étéremise au moment de notre incorporation. Elle était perforée par le milieu et encas de décès l’autorité militaire en envoyait une moitié à notre famille, l’autremoitié étant clouée sur le cercueil !

Nous avons rejoint Oran en camions, faisant me semble-t-il étape à la basearrière près d’Aïn el Hadjar où nous avons dû remettre l’essentiel de notrepaquetage. Je revois des Maghrébins, incorporés dans l’armée comme appelésdu contingent, cuisinant des tripes de mouton dans une poêle. J’ai su qu’ils

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avaient pu déserter peu de temps après. La France avait réussi ce tour de forcede faire se battre les Algériens entre eux !

A Oran nous avons été hébergés au District de Transit où j’étais arrivé 26 moisplus tôt ! Ben oui, c’était long !

Nous entendions des fusillades dans la ville et en écho cela était reproduit par lespostes à transistors. L’OAS tentait désespérément de remettre en cause lesaccords d’Evian ! L’état d’esprit qui régnait parmi les libérables était que nousn’avions pas à nous en mêler. J’aurais volontiers accepté d’en découdre !

Le lendemain matin une colonne de camions, précédée et suivie d’un half-track,survolée par un hélicoptère, a emmené les 800 hommes qui allaient embarquerdans le port militaire de Mers el-Kebir. C’est que la ville et le port d’Orann’étaient pas sûrs. Nous avons donc traversé le Murdjajo et… ouf, nous noussommes trouvés en sécurité dans l’enceinte de Mers El-Kebir.

C’était le 23 avril 1962 et je suis monté une nouvelle fois sur le « Villed’Alger », direction Marseille où j’ai débarqué le 24.Ah, il fallait changer la monnaie algérienne contre la monnaie française. Oui,l’Algérie c’était la France mais il y avait quand même une monnaie différente. Ala descente du bateau il fallait donc faire la queue mais on n’avait droit qu’àchanger 100 ou 200 f. Eh bien j’ai fait deux fois la queue et j’ai pu ainsi changerles deux billets algériens dont je disposais.

J’avais le projet de rendre visite aux parents de José Bianco qui habitaient lequartier des Crottes à Marseille. Comme je disposais d’un peu de temps avant ledépart de mon train je m’y suis rendu. J’avais même offert une paire debabouches achetées à bon prix je ne sais plus où à la jeune sœur de José.J’ai pris mon train et je suis arrivé dans la nuit à la gare de Béziers. Evidemmentil n’y avait plus de car à cette heure là ! Je me suis arrêté à l’Agence de LaMarseillaise et devant l’affiche : « Le fascisme ne passera pas ! » j’avaisexprimé mon scepticisme. Il était déjà bien passé dans l’armée !

Comme je demandais à deux messieurs où on pouvait trouver un taxi, ils ont étésuper sympathiques et m’ont emmené à Cessenon avec leur voiture. C’est quej’avais hâte de renter chez moi.Il était tard et la maison était naturellement fermée. J’étais jeune et j’ai escaladéla façade pour atteindre le premier étage où la fenêtre de la cuisine avait étélaissée entrebâillée. J’ai donc pu rejoindre mon lit et la personne qui l’occupait !

Quelques jours plus tard les gendarmes de Saint-Chinian sont venus récupérerles affaires militaires que j’avais encore avec moi : un pantalon, un blouson, unechemise, une cravate et des chaussures. Il n’y a pas eu de problème avec le faitque je n’avais pas ma plaque matricule.

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La vie est ainsi faite que j’ai fini par évacuer de mon esprit cette période de majeunesse. A l’occasion du récit que j’en fais les souvenirs reviennent !

Convoi de camions ralliant Mers El-Kébir via le Murdjajo

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Sur le camp de harkis du Plô de Mailhac

A la rentrée qui a suivi mon retour d’Algérie en 1962 (une guerre que nousn’avions pas gagnée tant je manquais d’enthousiasme !) j’ai pris mon posted’instituteur à Saint-Pons de Thomières. J’avais la classe de Cours Moyenpremière année.

Au cours du troisième trimestre de l’année scolaire 1962 / 1963 l’école aorganisé une sortie de la journée au Plô de Mailhac où avait été installé un campde harkis. Trois classes y avaient participé : la Fin d’Etudes dans laquelleexerçait Marcel Collot le directeur, le Cours Moyen deuxième année que RenéGleizes avait en charge, et le Cours Moyen première année.

Nous avions pris le pique-nique et avions atteint notre objectif par Teussine oùse trouve une maison forestière.

Il n’y eut guère de contacts entre nos élèves et ceux de l’école du Plô deMailhac. Il me semble qu’il y avait trois classes dans cette dernière école.On avait reconduit avec les harkis rapatriés les mêmes mentalités qu’en Algérie :outre les conditions d’hébergement à coup sûr déplorables, c’étaient le mêmeracisme, les mêmes structures qui avaient déjà cours à l’époque coloniale quiétaient toujours la règle.

J’ai une anecdote à ce sujet qui m’a été rapportée par un camarade qui aenseigné quelques jours dans cette école. Il faisait chaud et un des instituteursavait mis ses pieds dans une bassine d’eau fraîche et avait demandé à un de sesélèves de changer l’eau quand il jugeait qu’elle devenait chaude !

Bien sûr je n’avais pas approuvé le choix des Algériens qui avaient pris lesarmes contre leur peuple dans la lutte courageuse que celui-ci avait engagéepour l’indépendance de l’Algérie.Mais ce qui l’emportait alors c’est la pitié que j’avais pour ces gens que l’oncontinuait à mépriser. Comme quoi il vaut mieux ne pas pactiser avec l’ennemi,que ce soit la puissance coloniale ou le patronat, on n’y gagne rien !

La photo qui illustre le présent article fait état de la prise de conscience dedescendants de harkis qui en mai 2010 ont campé place Edouard Herriot près del'Assemblée nationale.

Plus tard en 1968, aidé par un Maghrébin nous avions exhorté les harkis quitravaillaient comme forestiers à participer à la grève qui s’était développée enFrance. Je n’ai aucun souvenir du résultat de notre démarche.

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Jacques Cros