croissance, innovation, santé - étude du lir
DESCRIPTION
En tant que think tank et laboratoire d’idées sur la santé, l’association LIR s’est fixée comme priorité non seulement de produire de l’expertise en publiant des travaux d’analyse économique, de débattre des questions relatives à la recherche, l’efficience thérapeutique et l’équilibre des comptes de l’assurance maladie, mais aussi de proposer des solutions pour renforcer les liens entre recherche publique et recherche privée.TRANSCRIPT
Gérard de PouvourvilleMathieu Joyau
Impact sur la longévité et croissanceéconomique
INNOVATION EN SANTÉ :
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Association loi 1901 représentant 13 filiales françaisesde Laboratoires Internationaux de Recherche, le LIRa pour vocation d’analyser, de proposer et d’agirpour faire avancer le progrès thérapeutique.
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Gérard de PouvourvilleMathieu Joyau
Rapport de recherche pour le LIR - Juillet 2008
Impact sur la longévité et croissanceéconomique
INNOVATION EN SANTÉ :
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 5
SOMMAIRE
ÉDITO PAGE 7
INTRODUCTION PAGE 9
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR PAGE 21
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE PAGE 31
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE PAGE 49
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS PAGE 59
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE PAGE 103
CONCLUSION PAGE 113
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 7
ÉDITO
Les déficits cumulés de notre système d’assurance maladie, le vieillissement
de notre population, l’augmentation de son espérance de vie, et l’augmentation
des coûts associés à l’apparition de nouveaux équipements, posent avec
acuité le problème du financement des dépenses de santé.
Si différentes réformes ont été introduites au cours des dernières années
pour stabiliser nos dépenses de santé, les effets potentiels sur le secteur de
la santé, l’innovation dans les industries et la croissance, ont trop rarement
fait l’objet d’analyses approfondies.
Dans son rôle de « think tank » santé, le LIR a confié au Professeur Gérard de
Pouvourville - directeur de la chaire Essec Santé - des travaux
de recherche dans le but de décrypter les mécanismes nécessaires à la
compréhension de l'impact de l'innovation en santé sur la longévité comme
sur la croissance économique.
Bousculant les idées reçues, cette brillante revue de la littérature nourrit
l’échange et le dialogue entre tous les acteurs de santé sur la valeur du
progrès thérapeutique d’un point de vue médicale, économique et sociétale.
Introduction
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 9
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 11
INTRODUCTION
1. Position du problème
L'industrie des biens de santé, entreprises du médicament, des équipements
et des dispositifs médicaux, partage avec d'autres secteurs industriels
l'importance de son investissement en R&D et l'intervention sur des marchés
réglementés. Dans les autres secteurs, cependant, la libéralisation du
commerce international et la construction de l'espace européen ont poussé
vers le démantèlement de réglementations qui se concrétisaient souvent par
l'existence de monopoles publics ou de relations très fortes de collusion entre
des administrations nationales et des opérateurs industriels. De ce point de vue,
la réglementation du secteur de la santé présente des différences importantes
économiquement parlant.
Une première différence tient à la nature du bien « santé » : bien premier dont
la possession conditionne la possibilité d'une vie normale et autonome, entre
autres l'exercice d'une activité productive. Deuxièmement, la dimension de la
sécurité des personnes existe dans d'autres secteurs, mais elle prend une
ampleur particulière en santé par le nombre de personnes exposées et la fina-
lité du produit. Une troisième différence tient à la médiation de la relation
avec l'utilisateur final par les services de soins de santé et en particulier par
les médecins, qui sont les premiers clients de l'industrie. La dernière diffé-
rence tient à la solvabilisation du marché par des mécanismes d'assurance,
avec, au sein de la plupart des pays développés qui constituent les premiers
marchés de l'industrie, des systèmes de couverture universelle. Ces systèmes
universels ont été fondés sur des principes de droit à la santé, mais aussi de
la reconnaissance de l'importance du capital santé dans le développement
économique et social des pays.
Ces caractéristiques ont un impact important sur les industries des biens de
santé. L'existence d'une couverture universelle et la forte priorité accordée à
la santé dans les pays développés ont garanti le financement des produits sur
des marchés de masse en croissance régulière depuis cinquante ans. En
France, la DREES a publié en 2007 une étude rétrospective sur 55 ans de
consommation des soins et des biens médicaux : son rythme annuel moyen
de croissance a été de 11,2% en valeur et de 6,2% en volume, contre respec-
tivement 8,7% et 3,6% pour le PIB sur la même période1.
1 Fenina Annie. Cinquante-cinq années de dépenses de santé. Une rétropolation de 1950 à 2005. Etudes et Résultats n° 572, DREES, mai 2007.
12 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
INTRODUCTION
En contrepartie, les conditions économiques de l'accès à ce marché (accès
au remboursement et fixation des prix) sont soumises dans tous les pays à
encadrement par les « payeurs », qu'ils soient décideurs publics ou assureurs.
L'industrie des biens de santé est donc un secteur industriel capitaliste et
concurrentiel, qui doit dégager des profits pour continuer d'investir dans le
développement de produits nouveaux et qui fait face à des « clients » en position
de monopsone sur leurs marchés nationaux.
Contrairement à un marché concurrentiel classique, les facteurs déterminant
la marge de ces entreprises font l'objet de négociations dans des cadres régle-
mentaires. Elles disposent d'atouts non négligeables dans ces négociations :
la protection par le brevet en est un, qui leur concède un monopole temporaire
sur l'exploitation de leurs découvertes. La forte demande de santé en est un
autre, mais celle-ci est de plus en plus canalisée par les « payeurs », qui sont
mandatés par les citoyens-assurés pour décider de l'allocation des ressources
collectives des systèmes de protection sociale. Dans ce contexte, les décideurs
se substituent aux mécanismes habituels des marchés concurrentiels pour
évaluer l'innovation thérapeutique et décider de rendre un produit accessible
financièrement à tous. Mais malgré cette barrière à l'accès, le « payeur »
contrôlera plus ou moins, selon les pays, la demande finale qui va s'adresser
au produit par l'intermédiaire, d'une part, des recours aux soins des patients,
d'autre part, par les prescriptions réalisées par les médecins.
Cette situation présente également des avantages pour les « payeurs ». En
effet, peu de pays disposent de suffisamment de ressources collectives pour
entreprendre le développement de produits nouveaux à l'échelle de l'industrie,
avec la prise de risque correspondante. Même si les chiffres varient selon les
auteurs, le coût du développement d'un médicament nouveau se situe entre
800 millions et 1 milliard de dollars. A titre de comparaison, le budget de
l'INSERM en 2007 était d'un peu plus de 600 millions d'euros et celui des
sciences du vivant au CNRS de l'ordre de 450 millions d'euros. Il s'agit certes
de montants dédiés à la recherche fondamentale, mais on imagine mal l'Etat
français investir à une échelle suffisante pour le développement d'innovations
thérapeutiques, de la découverte scientifique initiale jusqu'à l'autorisation de
mise sur le marché. Les Etats-Unis d'Amérique sont le seul pays capable de
mobiliser des sommes considérables pour la recherche publique à l'échelle
des sommes consacrées par le secteur privé : le budget du NIH est de l'ordre
de 27 milliards de dollars. Aujourd'hui, les seuls concurrents crédibles des
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 13
INTRODUCTION
entreprises du médicament seraient éventuellement les fondations de bien-
faisance, comme la fondation Bill et Melinda Gates, mais il est important de
souligner qu'il s'agit là de réinvestissements de bénéfices privés.
Malgré cet intérêt objectif conjoint, les relations entre « payeurs » nationaux
et industrie sont conflictuelles. Même si les premiers sont convaincus des
bénéfices des innovations thérapeutiques, ils doivent tenir compte de leur
capacité de financement des soins de santé, en fonction de la situation éco-
nomique globale du pays et des finances publiques et aussi des autres
besoins collectifs, y compris dans les services de santé : les dépenses de
médicaments et des autres biens médicaux sont partiellement en concurrence
avec le financement des soins ambulatoires et des services hospitaliers.
A court terme, dans une contrainte budgétaire, l'innovation médicamenteuse
est en concurrence avec d'autres innovations de services. La seconde,
l'industrie, est naturellement concernée par un niveau suffisant de profit pour
maintenir son potentiel de recherche et son attractivité pour ses financeurs.
Un marché administré mais portant sur des produits de masse présente par
ailleurs une autre caractéristique par rapport à un marché équivalent, mais
concurrentiel (l'électronique grand public par exemple). Dans le second cas,
s'il y a plusieurs producteurs, l'apparition régulière d'innovations ou de
produits différenciés entretient la concurrence sur les prix sans qu'il y ait
besoin en principe d'interventions d'un régulateur. Dans le cas du marché du
médicament, il y a concurrence entre des produits dans un même domaine
thérapeutique, mais cette concurrence a des règles particulières. En théorie,
le ou les brevets pris pour un médicament nouveau octroient au laboratoire
un monopole temporaire d'exploitation de son produit. Cependant, un
laboratoire ne peut pas empêcher ses concurrents de développer des
produits analogues mais différents, donnant lieu à d'autres brevets ; ces produits
seront dans les faits en concurrence directe sur une indication thérapeutique
donnée. Ceci est attesté par les efforts promotionnels consentis par les labo-
ratoires pour gagner des parts de marché. Mais comme les conditions d'accès
au marché sont administrées, les effets éventuels de cette concurrence sur
les prix sont médiatisés par la régulation. Les « payeurs » publics tentent de
récupérer par la règle ou par la négociation une partie de la rente privée de
l'innovation, soit par des accords prix/volume, soit par des quotas de parts de
marché, soit, comme en Angleterre, par le contrôle des profits réalisés par
l'industrie au travers des ventes au Service national de santé.
14 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
INTRODUCTION
Cependant, sur cette opposition entre « acheteurs » et « offreurs » de soins en
termes de partage de la rente de l'innovation, se greffe une autre problématique
économique. Il n'est pas indifférent pour un pays d'avoir une industrie des
biens de santé dynamique et créatrice, dont les centres de contrôle se trouvent
sur son territoire. Cette industrie emploie une proportion importante de
personnels qualifiés à très qualifiés, elle investit plus de 10% de son chiffre
d'affaires en R&D ; ses produits nouveaux ont vocation à être vendus bien
au-delà des frontières du pays, elle a donc un fort potentiel d'exportation.
Un gouvernement national ne peut donc pas négliger les opportunités de
croissance liées à l'industrie des biens de santé, au-delà des effets des
produits nouveaux sur la santé, en même temps qu'il est « acheteur » de ces
biens pour la population nationale. Un gouvernement peut donc être
confronté à un arbitrage entre l'intérêt de bénéficier d'externalités positives
de croissance liées à la présence d'une industrie qui investit sur son territoire
et le rendement en santé de la dépense publique.
Un pays comme la Suisse est de ce point de vue dans une situation favorable
avec deux champions nationaux, Novartis et Roche, pour lesquels le marché
suisse ne peut suffire seul à rentabiliser leurs produits. A l'autre extrême et
de façon simpliste, les Etats-Unis d'Amérique cumulent l'existence d'un vaste
marché national, la présence des centres de décision de la plupart des « bigpharmas » et une R&D publique et académique très dynamique en sciences de
la vie. L'industrie se confronte à un oligopole d'assureurs privés (et publics)
en situation de concurrence, face auquel elle agit plus comme un « price
maker » que sur les marchés européens. Une fois l'accès garanti sur ce marché
par les autorisations de la Federal Drug Administration (FDA), cette industrie
se tourne vers les marchés extérieurs pour accroître son développement.
La situation française est intermédiaire : notre pays est exportateur net de
produits pharmaceutiques, même si le solde positif des échanges tend à diminuer
au cours des dernières années. Cette capacité d'exportation est liée à la fois
à l'existence d'une industrie nationale et de centres de production d'entreprises
multinationales. Mais les centres de recherche de ces entreprises ne sont
pas, pour la plupart, localisés en France. Les centres de production corres-
pondent certes à des investissements importants, mais ne présentent pas le
caractère stratégique des laboratoires de recherche dans la création de
connaissances et de produits nouveaux.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 15
INTRODUCTION
La problématique macroéconomique du secteur des biens de santé peut alors
se résumer de la façon suivante. Il existe un intérêt pour la puissance publique
d'un pays à favoriser l'investissement dans ce secteur, compte tenu d'exter-
nalités positives attendues sur la croissance et l'emploi : en termes économiques,
le rendement social de cet investissement serait supérieur au rendement
privé. La puissance publique a également intérêt à investir dans la santé de
sa population et les bénéfices en santé des innovations qui résultent de cet
investissement font partie de son rendement social.
D'un autre côté, le financement public des dépenses de santé peut avoir des
effets négatifs sur la croissance économique, essentiellement par l'effet
d'éviction qu'elles peuvent produire pour d'autres postes de dépenses collec-
tives elles-mêmes productrices de croissance ; par exemple, en limitant la
capacité d'un pays à investir dans la recherche fondamentale en sciences de
la vie ou à favoriser les investissements privés par des incitations fiscales.
Dans cette équation, la modalité choisie de financement des dépenses de
santé peut intervenir : des prélèvements assis principalement sur les salaires
ont un impact sur le coût du travail et donc sur la compétitivité des entre-
prises, avec un impact dérivé sur la croissance. Dans ce cas, un cercle vicieux
peut s'enclencher par le développement du chômage avec une diminution
induite des recettes de la protection sociale. A contrario, le maintien d'un haut
niveau de dépenses de protection sociale et notamment de santé joue un rôle
contra-cyclique, par le biais des revenus de transfert et par le maintien des
emplois dans le secteur des services. En France, le secteur de la santé au
sens large du terme emploie plus de 1,7 million de personnes, dont une
grande majorité dans des emplois protégés.
Enfin, on peut faire l'hypothèse d'une relation positive entre l'augmentation
du bien-être induite par l'amélioration de l'état de santé de la population et la
croissance économique, par sa contribution à la capacité productive d'un pays.
Mais dans la mesure où la croissance économique génère une croissance
plus rapide des dépenses de santé prises en charge, le bilan économique global
est difficile à établir dans les pays développés qui ont atteint un haut niveau
de développement. Parallèlement, on peut aussi supposer que l'augmentation
de la richesse nationale a un effet positif sur la sécurité matérielle des individus
et donc sur leur santé, indépendamment de l'amélioration de l'offre de soins.
Les travaux sur les inégalités sociales de santé suggèrent qu'une condition
nécessaire à un lien positif entre croissance économique et santé est le
16 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
INTRODUCTION
caractère équitable de la distribution des fruits de cette croissance, ce qui fait
intervenir un autre facteur en partie exogène au système de soins de santé
dans l'analyse économique globale2.
2 Wilkinson RG. Unhealthy societies. 1996, Routledge, Londres, 255 pages.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 17
INTRODUCTION
2. Le contexte français
Peut-on appliquer le raisonnement global qui précède dans le contexte
français ? La situation actuelle est celle d'une croissance économique faible,
d'un chômage encore élevé et de déficits des finances publiques et de la
protection sociale. De surcroît, la croissance française comme celle d'autres
pays développés a été soumise récemment à des chocs exogènes importants :
crise financière internationale, hausse des prix des matières premières et, sur
le moyen terme, concurrence accrue des grands pays émergents. Il est même
prévisible que cette concurrence se fera à terme sur la production de
connaissances scientifiques, l'Inde et la Chine ayant un potentiel de dévelop-
pement de leurs élites scientifiques sans commune mesure avec celui des
pays européens.
Ce contexte de quasi stagnation (et peut-être bientôt de stagflation) entre-
tient un cercle vicieux. En l'absence d'une réduction drastique des dépenses
publiques, une faible croissance signifie une faible marge de manœuvre pour
rembourser la dette et diminuer sa charge dans les budgets courants de
l'Etat. Cela signifie également une faible marge de manœuvre en termes de
dépenses d'investissement destinées à relancer la croissance à moyen
terme, par exemple en investissant dans la recherche publique. Cette faible
croissance limite aussi les possibilités de réduction du chômage, même si une
décrue s'est amorcée en partie grâce au départ à la retraite des générations
du baby-boom de l'immédiat après-guerre. La capacité de financement des
dépenses de protection sociale est donc limitée par l'insuffisance du rendement
de l'impôt. En revanche, l'introduction de la CSG a découplé en partie les
recettes de l'Assurance Maladie du taux de chômage.
Dans ce contexte, la confrontation « payeurs »/industrie se pose essentiellement
dans des termes budgétaires : toute innovation thérapeutique apporte certes des
bénéfices en santé mais génère des dépenses supplémentaires. Le « payeur »
souhaite concentrer ses efforts sur ce qu'il évalue comme étant des innovations
majeures : la part « contribution à la santé » du rendement social de certains
nouveaux produits est jugée insuffisante. La publication de méta-analyses,
comme celle récente sur les antidépresseurs, conforte cette thèse d'un
apport thérapeutique faible, voire nul, de certains médicaments. On fait
observer qu'il n'y a pas ou peu de relations entre les différences d'espérance
18 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
INTRODUCTION
de vie entre pays et la dépense médicamenteuse par tête. La progression des
pathologies chroniques et les dépenses afférentes d'ALD font resurgir des critiques
à l'égard d'un système de santé essentiellement curatif, alors que les princi-
pales causes de ces pathologies sont d'ordre comportemental : tabagisme,
prise excessive d'alcool, sédentarité et alimentation trop riche ou déséquilibrée
sont des facteurs de risque reconnus et importants des pathologies cardio-
vasculaires, métaboliques et tumorales. Les pratiques de marketing de
l'industrie sont dénoncées, accusées de pratiquer une information biaisée
auprès des praticiens et d'inciter à une sur-prescription propre à notre pays.
La priorité affichée est celle d'une réduction des déficits publics dont celui de
la sécurité sociale et de la part attribuable à l'Assurance Maladie.
De son côté, l'industrie pharmaceutique et des biens de santé met en avant
des succès thérapeutiques indéniables obtenus au cours des décennies, dans
le domaine du SIDA, du cancer, même si ce progrès se fait dans certains
domaines de façon incrémentale, par l'accumulation de petites avancées,
lorsqu'une voie thérapeutique nouvelle a été ouverte. D'un point de vue
macroéconomique, elle peut mettre en avant sa contribution à l'emploi, au
PIB, aux exportations et au financement de la R&D comme autant d'apports
à l'économie nationale qui ne sont pas pris en compte dans un bilan économique
d'ensemble.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 19
INTRODUCTION
3. L'objectif du rapport : la chaîne de création devaleur autour de l'innovation thérapeutique
Les débats autour de l'innovation thérapeutique et la dépense de médicaments
sont radicalisés au point que les perspectives des deux parties apparaissent
inconciliables. Dans le travail entrepris à la demande du LIR, nous avons pris le
parti d'examiner les arguments un par un à la lumière des travaux scientifiques
publiés sur le sujet et en utilisant les outils de l'analyse économique.
Trois questions ont guidé notre recherche :
• Que sait-on sur l'impact de l'innovation sur la croissance ? Que sait-on
en particulier de l'impact de l'innovation pharmaceutique sur la
croissance économique ? Si rendement social il y a, de quelle ampleur
est-il ? Est-il plus important pour la pharmacie que pour d'autres
secteurs ?
• Que sait-on de l'impact des dépenses de soins sur la santé des
populations ? Que sait-on en particulier de l'impact de l'innovation
médicamenteuse sur cet état de santé ? Comment cet impact se
compare-t-il avec celui d'autres innovations thérapeutiques ?
• Les dépenses d'assurance maladie ont-elles un impact négatif ou
positif sur la croissance économique ?
Obtenir des réponses à ces quatre questions est une condition nécessaire
pour savoir si l'on peut passer de ce qui apparaît actuellement comme un cercle
vicieux en enclenchant une spirale vertueuse gagnant/gagnant. Dans une
première partie, on présente brièvement la logique économique sous-jacente
à cette spirale vertueuse de création de valeur autour de l'innovation médica-
menteuse. Une deuxième partie est consacrée à un état des lieux de la situation
française du point de vue macroéconomique, de façon à situer les ordres des
grandeurs économiques qui sont en jeu. Puis, les trois parties suivantes
documentent les réponses aux questions posées. Enfin, la dernière partie est
consacrée à l'identification des leviers d'actions possibles pour se rapprocher
d'une situation gagnante/gagnante dans le contexte français.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 21
1ère partie : La chaîne de création de valeur
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 23
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
1. Un modèle intégrateur
On présentera ici de façon simplifiée les différents apports des théories éco-
nomiques de la croissance, permettant de mettre en évidence les liens entre
santé, innovation en général et innovation en santé en particulier, et crois-
sance économique. Des schémas successifs permettront d'illustrer la dyna-
mique des relations qui existent entre ces différents facteurs.
Le point d'entrée de l'analyse est tiré des théories économiques du dévelop-
pement, notamment des modèles de croissance endogène. La notion de
croissance endogène renvoie à l'opposition entre des modèles explicatifs de
la croissance économique reposant sur le rôle joué par des facteurs macroé-
conomiques « exogènes » et considérés comme autonomes dans la crois-
sance économique, tels que l'accumulation du capital ou la démographie, et
des modèles qui laissent une part explicative à des comportements explicites
d'agents économiques qui peuvent modifier la dynamique de la croissance.
Pour simplifier, dans un modèle exogène, on expliquera la croissance par des
facteurs macroéconomiques agrégés observés ex post, alors que les modèles
endogènes prendront en compte des variables stratégiques mobilisées de
façon différente par les acteurs économiques, Etat, entreprises, ménages,
dans le but d'obtenir un avantage économique supérieur. Deux dimensions
particulières ont été étudiées par les théoriciens de la croissance endogène :
d'une part, l'investissement par la puissance publique dans l'éducation, la
santé et les infrastructures publiques, d'autre part, le facteur « recherche » ou
« progrès technique »3.
D'une façon générale, on considère que les facteurs suivants sont détermi-
nants (nécessaires, mais pas suffisants) dans la genèse de la croissance éco-
nomique d'un pays : l'existence de ressources naturelles, la disponibilité de
capital financier, une population éduquée et en bonne santé, des institutions
politiques et économiques stables permettant aux agents économiques de
faire des anticipations et de prendre des risques. Il peut exister plusieurs
combinaisons possibles de ces facteurs conduisant à des régimes différents
de croissance. Ces théories donnent tout leur sens au terme « endogène » :
les acteurs économiques et politiques d'un pays peuvent jouer un rôle déter-
minant dans les choix qu'ils font d'allocation de ressources rares. Le progrès
technique n'apparaît pas en tant que tel dans cette liste : dans les théories de
3 Notons cependant que les modèles de croissance « exogène » ou néo-classique montrent, tout comme les modèles « endogènes », que le progrès techniquejoue un rôle important en tant que l'un des moteurs de la croissance.
24 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
la croissance endogène, il est le fruit de l'action des agents économiques,
dont l'inventivité et la capacité de découverte trouvent un environnement plus
ou moins favorable au développement de produits et de services nouveaux.
On met dans un premier temps l'accent sur l'investissement en capital humain,
éducatif et santé. La logique de l'investissement en santé est simple : il vise
à garantir la disponibilité d'une main d'œuvre productive. L'avantage direct
est simple. L'allongement de la longévité permet une augmentation de la
population en bonne santé et donc de la force de travail l'avantage à long
terme est la capacité des individus à se projeter dans le futur et donc à déve-
lopper un comportement d'épargne. Dans un premier temps, cet investissement
ne passe pas nécessairement par la disponibilité de services de soins modernes,
mais par la disponibilité d'eau potable, de ressources alimentaires suffisantes
et par l'éradication de pathologies infectieuses endémiques, soit par l'hygiène
publique, soit par des programmes de vaccination et de promotion de la
santé. Il existe alors une interaction entre l'investissement dans l'éducation
et la santé : l'éducation permet aux individus de s'approprier des règles
élémentaires de conduite de santé, elle permet de diminuer la mortalité infantile
en éloignant les enfants d'un travail trop précoce. A son tour, elle permet
d'élever par palier le niveau de qualification de la population et sa créativité.
Le schéma suivant illustre ces interactions et la croissance économique.
Schéma 1 : les facteurs d'amorçage
Système éducatif
Investissement santé
Capitaux Public/privé
Croissanceéconomique
+
+
+
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 25
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
Une fois la croissance économique amorcée, il s'enclenche un cercle
vertueux qui a les conséquences suivantes. La croissance de la richesse
nationale a plusieurs effets positifs. Elle permet d'augmenter les ressources
publiques prélevées par l'impôt qui seront réinvesties dans les services exis-
tants, dans l'infrastructure du pays ou dans de nouveaux services. Elle a donc
des effets rétroactifs directs favorables sur l'investissement dans le système
éducatif et dans la santé. A terme, l'investissement dans le système éducatif
peut favoriser le développement non seulement de l'éducation primaire et
secondaire, mais également du système d'enseignement supérieur et de
recherche. Sur le long terme, celui-ci peut commencer à produire un stock de
connaissances qui pourront donner lieu à des brevets et être utilisées par des
investisseurs privés prenant le risque du développement de l'idée et de sa
transformation en produit, procédé ou service nouveau. L'accroissement de
la sécurité matérielle et de la santé de la population se traduit par
l'émergence d'un comportement d'épargne privée et par la possibilité de
développer une épargne de prévoyance (santé, retraite), forcée ou non par les
pouvoirs publics. Cette épargne de prévoyance peut « solvabiliser » une offre
de soins de santé d'un caractère nouveau. L'amélioration de la santé des
individus liée à une plus grande sécurité matérielle fait émerger une demande
de santé d'un nouveau type, à laquelle répond l'offre d'innovations privées
stimulée par la croissance économique et par l'existence d'un stock de
connaissances. Les schémas suivants représentent ces différents effets
positifs et, en synergie, par sous-systèmes.
L'enchaînement décrit plus haut est évidemment idéalisé et contracté dans
le temps. L'histoire du développement de la connaissance scientifique et du
progrès technique a pris plusieurs siècles dans les pays occidentaux, mais
l'émergence des pays du groupe BRIC suggère qu'il peut y avoir des
phénomènes de rattrapage rapide, surtout si le gouvernement d'un pays fait
de l'accumulation du capital une priorité compte tenu d'une main d'œuvre
abondante et à bon marché. Nous raisonnons également dans le cadre d'une
économie isolée, sans tenir compte de la concurrence entre pays et du rôle
du commerce international. Par ailleurs, il existe aussi des conditions institu-
tionnelles et organisationnelles nécessaires pour qu'il y ait également inter-
action positive entre recherche publique et R&D privée. Nous reviendrons sur
ce point plus loin.
26 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
Schéma 2 : La rétroaction sur le système éducatif et de recherche
Schéma 3 : Impact de la croissance sur la santé et les services de soins
Investissement dans la recherche
publique
Effet de rétroaction positive
Croissanceéconomique
+ de ressourcesfiscales
Potentialités de R&D privée
Renforcement du système
éducatif
Le schéma 3 présente les effets de rétroaction sur la santé des individus et le
développement des services de soins de santé.
Croissanceéconomique
+ de ressourcesfiscales
Nouveaux services de santé
Epargne de prévoyance
Sécurité matérielleaccrue
Santé++
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 27
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
2. Discussion
Aussi simplistes soient-ils, les schémas précédents permettent de mettre en
évidence les interactions entre progrès technique, investissement dans le
capital humain et croissance économique. Cependant, chacune de ces inter-
actions n'est effective que sous certaines conditions ; il s'agit aussi d'en
connaître la force relative ; enfin, ce modèle s'applique dans notre cas non
pas à toute l'économie, mais au secteur particulier des sciences du vivant et
de l'industrie des biens de santé. Dans ce domaine, la puissance publique est
aux deux bouts de la chaîne de création de valeur.
En amont, les investissements qu'elle réalise en recherche ont potentiellement
plusieurs retombées. Si cette recherche est performante, elle devient attractive
pour des investisseurs privés, nationaux ou internationaux. Le flux induit de
capitaux vient en complément des financements publics, opérant ainsi un
effet de levier. Une première retombée est l'augmentation de la production de
connaissances nouvelles, donc du potentiel d'inventions et d'innovations. Si
ces innovations sont des succès, les droits d'exploitation des brevets repré-
sentent une première retombée économique directe d'un partenariat
public/privé. Si, de surcroît, une grande partie du développement de l'innovation
est faite sur le territoire national, il y a création directe d'emplois de haute
qualification, avec création de débouchés pour les étudiants de l'enseignement
supérieur (docteurs ès sciences, ingénieurs et techniciens). Par ailleurs, le
marché de la pharmacie est un marché mondial : si la production des innovations
est localisée dans le pays, il y a aussi développement des exportations,
contribuant là encore à la création de richesse supplémentaire. Enfin, on peut
faire l'hypothèse qu'un investissement dans les sciences de la vie trouvera
des applications dans d'autres domaines : au plus près de la santé humaine,
la santé animale, mais également l'agriculture, l'environnement ou d'autres
applications industrielles. Pour résumer, l'investissement en amont peut se
traduire par un partage de la rente privée d'innovation (par le biais des droits
d'exploitation) et par des externalités positives de croissance. Dans ce raison-
nement, on a volontairement fait abstraction du rendement « santé » spécifique
à l'innovation médicamenteuse.
En aval, la puissance publique devient « acheteuse » des innovations par
le biais des systèmes publics d'assurance maladie. Le rendement social de
28 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
l'innovation est alors l'amélioration de l'état de santé de la population.
Supposons que l'on sache valoriser ce rendement social avec un équivalent
monétaire. D'un point de vue économique, la problématique des pouvoirs
publics est celle de l'allocation optimale des ressources collectives entre les
différents services contribuant à l'amélioration du bien-être de la population.
A court terme, cette allocation se fait dans une enveloppe fermée, celle des
ressources publiques disponibles dans le cadre d'une fiscalité donnée et en
fonction de la richesse nationale. Cette enveloppe n'a pas vocation à rester
fixe : les dépenses publiques ont augmenté en volume et en part relative du
PIB dans tous les pays développés. Mais en théorie, sa gestion doit se sou-
mettre à la règle suivante : le rendement marginal d'un euro supplémentaire
de dépense publique doit être supérieur ou égal à son coût d'opportunité. En
première approximation, ce coût est égal à l'impact négatif sur la croissance
économique d'un euro supplémentaire de dépense publique. Cette règle
pourrait alors servir de critère décentralisé d'allocation de ressources entre
les différents services publics. Pour chaque secteur, tant que le rendement
social d'un investissement nouveau est supérieur à ce coût d'opportunité, cet
investissement est légitime.
C'est le raisonnement appliqué en Angleterre et au Pays de Galles par le
National Institute for Clinical Excellence (le NICE) pour le compte du service
national de santé (le NHS). En fixant à environ 30 000 £ par QALY (année de
vie ajustée sur la qualité), le NICE considère explicitement que toute innovation
en santé dont le rendement serait inférieur à cette limite (dont le ratio coût
par QALY serait supérieur à 30 000 £ par QALY) dégraderait le rendement global
de la dépense publique. A contrario, le gouvernement français ne fixe pas de
limite au rendement social attendu d'une innovation thérapeutique, si celle-ci
a franchi la barre de l'évaluation de son service médical rendu (le SMR) et
l'accès au remboursement. En faisant ce choix, le gouvernement affirme deux
principes : celui de l'accès à tous de l'innovation thérapeutique, mais aussi
celui d'une préférence collective pour le secteur de la santé par rapport à
d'autres secteurs de dépenses publiques. En revanche, considérant l'amélio-
ration du service médical rendu (l'ASMR), il en détermine la valeur pour la
collectivité par le biais de la négociation des prix et des volumes de vente. Par
ailleurs, il considère que les conditions de concurrence sur le marché et l'exis-
tence d'un monopole temporaire de l'industriel légitiment un partage négocié
dans le temps de la rente privée de l'innovation, grâce à des accords prix-
volume, et de la décroissance programmée des prix dans le temps.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 29
1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR
Synthèse de la première partie
Comment agréger les bénéfices potentiels d'un investissement en amont
et le rendement social de la dépense publique en aval ? Autrement dit,
comment rendre compatible le bon emploi de la ressource collective
en aval tout en engrangeant les bénéfices de l'amont ? La discussion
qui précède a eu pour objet de préciser les termes généraux de la pro-
blématique présentée en introduction : quelles sont les conditions
requises pour que le rendement social en amont vienne s'ajouter au
rendement social en aval ; dit autrement, pour que le gouvernement
d'un pays ait la possibilité , soit de bénéficier d'une partie de la rente
privée en amont, soit de créer des externalités positives de croissance,
qui viendraient en atténuation du coût d'opportunité de la dépense
publique de santé ? Avant d'apporter des éléments de réponse à cette
question, on rappellera quelle est la situation macroéconomique
actuelle de la France, de façon à situer l'ordre de grandeur des enjeux.
2e partie : Le contexte macroéconomique en France
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 33
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
1. Les agrégats macroéconomiques ayant un impactsur le financement de l'Assurance Maladie et les dépenses de santé
1.1 La richesse nationale
Selon les données de la comptabilité nationale, le PIB de la France a été de
1 892 milliards d'euros en 2007, soit environ 30 700 € par habitant. Sur les dix
dernières années, le taux de croissance annuel moyen du PIB a été de 4,1%
en valeur et de 2,33% en volume. Le taux de croissance attendu en volume
pour 2008 par rapport à 2007 serait de 1,6% selon les estimations de l'INSEE
publiées en juin 2008, contre une fourchette attendue de 1,7% à 2% affichée
par le gouvernement. Ces prévisions ont été revues très à la baisse à la suite
de la crise financière de l'automne 2008.
Source : www.insee.fr
1.2 Les dépenses publiques
Le montant total des dépenses publiques en 2007 était de 991,5 mds d'euros,
soit 52,4% du PIB selon les critères de Maastricht. De 2001 à 2007, ce taux
des dépenses publiques a augmenté moins rapidement que le PIB (voir gra-
phique 2), l'élascticité s'établissant à 0,87% en 2007.
0
1
2
3
4
5
6
Taux de croissance en volume
Graphique 1 - Taux annuel de croissance du PIB en %
Taux de croissance en valeur
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
34 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Source : www.insee.fr
La répartition de la dépense publique entre administrations de l'Etat, adminis-
trations locales et organismes de sécurité sociale était la suivante en 2007 :
Tableau 1
Dépenses des administrations françaises en 2007 (en mds d'euros)
Administrations publiques centrales 411,4 38,0%
Administrations publiques locales 212,2 19,6%
Administrations sociales 459,7 42,4%
Parmi les dépenses des administrations sociales, les dépenses d'assurance
maladie ont été de 151,2 mds d'euros (accidents du travail et indéminités
journalières inclus), soit environ 1/3 des dépenses de protection sociale et
14% des dépenses publiques totales.
1.3 La dette publique
La dette publique de la France était de 1 209 mds d'euros en 2007, soit 63,9%
du PIB. Cette part a été croissante de 2001 à 2005, pour connaître un léger
fléchissement en 2006 et une reprise en 2007. Son élasticité par rapport au
PIB a toujours été supérieure à 1 sur la période (cf. graphique 3). Ceci s'explique
que les recettes collectives ont évolué comme le PIB sur la période, avec une
croissance plus rapide des dépenses.
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1
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6
Taux de croissance des dépenses publiques
Graphique 2 - Élasticité des dépenses publiques/PIB
Taux de croissance du PIB
Élasticité dép/PIB
2002 2003 2004 2005 2006 2007
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 35
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Source : www.insee.fr
Le graphique 4 représente la part des différents débiteurs dans la dette totale4.
La catégorie ODAC recouvre différents organismes rattachés à l'administra-
tion centrale, dont notamment la CADES (Caisse d'amortissement de la dette
sociale), qui a pour mission d'amortir la dette des organismes de sécurité
sociale. La CADES couvre la majeure partie des dettes des ODAC. La part des
organismes de sécurité sociale dans la dette est donc de l'ordre de 11%, soit
du même ordre de grandeur que les administrations locales.
Selon le rapport annuel de la Cour des Comptes sur les finances publiques, la
charge d'intérêt de la dette a été de 51,8 mds d'euros en 20076.
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Taux de croissance de la dette
Graphique 3 - Élasticité de la dette/PIB
Taux de croissance du PIB
Élasticité dép/PIB
2002 2003 2004 2005 2006 2007
Graphique 4 - Part dans la dette des différents
État
Administrations locales
ODAC
Administrations de la Sécurité Sociale
77,6%
3,5%7,9%
11,1%
4 Ministère de l'Economie et des Finances. Projet de loi de Finances 2008, Rapport économique, social et financier, tome II, annexe statistique5 Cour des Comptes. Rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2008.
36 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
1.4 La dette de l'assurance-maladie
Il est plus difficile d'identifier de façon précise le poids de la dette de l'assu-
rance-maladie seule, ainsi que sa charge annuelle d'intérêts. En effet, ses
déficits courants Assurance Maladie(et du régime général de la sécurité
sociale) alimentent le découvert de trésorerie de l'ACOSS (Agence centrale
des organismes de sécurité sociale). Cette dette est elle-même régulièrement
transférée à la CADES qui doit procéder à son financement, au paiement des
intérêts et à son remboursement par un impôt dédié, la Contribution au
remboursement de la dette sociale (CRDS), dont le rendement a été de
5,7 mds d'euros en 2007. Le montant de la dette non amortie de la CDES était
de 72,9 mds d'euros à la fin 2007. Le rapport d'information de la Commission
des Affaires sociales du Sénat6 fait état d'une dette cumulée du régime général
auprès de l'ACOSS de 20,1 mds d'euros à la fin 2007, mais qui atteindrait près
de 30 mds d'euros à la fin 2008. Les charges d'intérêt sur la dette de 2008
atteindraient alors 1 md d'euro. La dette cumulée des organismes de sécurité
sociale serait alors de l'ordre de 90 à 100 mds d'euros, dont une majeure
partie attribuable sur les dix dernières années au Régime général de l'assu-
rance-maladie. Une autre approche consiste à additionner les déficits du
régime général de l'assurance-maladie depuis la création de la CADES en
1997. Selon les comptes de la sécurité sociale, on aboutirait à un déficit brut
non amorti de 90,2 mds d'euros. La CADES ayant amorti environ 1/3 de la
dette transférée depuis sa création, on peut donc estimer la dette cumulée de
l'assurance-maladie à 60 mds d'euros.
Ce montant est difficile à comparer avec la dette cumulée de l'Etat, compte
tenu d'une estimation faite sur une période plus restreinte. Néanmoins, il
convient d'observer que ce montant cumulé est sans commune mesure avec
la dette publique globale, dont elle ne représenterait qu'environ 5% sur la base
de l'estimation précédemment calculée. A l'évidence, la maîtrise des déficits
de l'assurance-maladie et le financement de la dette sociale ont reçu une
attention beaucoup plus soutenue de la part des gouvernements successifs
que la dette de l'Etat ou des administrations locales.
6 Vasselle A. Rapport d'information de la Commission des affaires sociales, n° 456, séance du 9 juillet 2008.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 37
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
1.5 Le chômage
L'évolution du taux de chômage sur la longue durée est représentée par le
graphique suivant.
L'introduction de la CSG en 1990 a découplé partiellement le financement de
l'assurance-maladie du niveau et des variations du taux de chômage. En effet,
son financement est assuré aujourd'hui pour moitié par les cotisations sociales
et pour moitié par la CSG. La CSG est un impôt assis sur l'ensemble des revenus
et son rendement varie à peu près proportionnellement au PIB (coefficient
d'élasticité égal à 1). Les cotisations sociales sont assises sur la masse salariale.
Mais l'évolution de celle-ci peut également être partiellement découplée de
l'évolution du chômage. Si la part des salaires et des profits dans la valeur
ajoutée nationale évolue peu au cours du temps, alors la masse salariale va
évoluer également de façon parallèle au PIB, si le chômage ne varie pas
lui-même.
Graphique 5 - Taux de chômage
1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 20070
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12
38 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
De 1993 à 1999, le taux de chômage est resté à peu près constant, aux
alentours de 10% de la population active, alors que le PIB augmentait en
moyenne de 3,2%. L'augmentation du chômage n'aurait un impact majeur sur
le financement de l'assurance-maladie que si elle était accompagnée d'une
baisse de la part des salaires dans le PIB, induite par une baisse des salaires
nominaux et accompagnée d'un ralentissement de la croissance.
Paradoxalement, une baisse du chômage pourrait ne pas avoir d'effets
majeurs à court terme sur les recettes de l'assurance-maladie, à taux de
croissance du PIB inchangé. C'est le cas lorsque le moteur principal de cette
baisse est le départ à la retraite d'une classe d'âge nombreuse, comme la
génération des baby-boomers. La base des cotisations est constituée
aujourd'hui à la fois des salariés actifs et des retraités. Ces derniers continuent
de cotiser, mais moins, leurs revenus ayant baissé et le taux de cotisation
étant plus faible. Les premiers arrivent sur le marché du travail avec pour
partie d'entre eux des salaires plus faibles que ceux qui partent à la retraite.
Un dernier paramètre est le taux de remplacement. Le bilan global de ces flux
sur l'assiette des cotisations peut donc être neutre, voire négatif, si le taux de
remplacement est bas.
Autrement dit, la baisse du chômage augmente relativement les recettes
sociales si la population active avec un emploi augmente ou si les salaires
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 39
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
moyens augmentent. Sur 2007, il semble qu'on ait observé ce phénomène
avec une croissance vive de la masse salariale des emplois privés (4,4%,
comptes de la sécurité sociale), se traduisant par un apport net de recette.
Autrement dit, s'il y a une différence de rythme entre les créations d'emplois
et la croissance économique, il peut y avoir une amélioration conjoncturelle
des recettes de l'assurance-maladie. Combinée avec une politique drastique
de diminution des dépenses, ceci pourrait conduire à un retour à l'équilibre.
Cependant, sur le moyen terme, il est plus prudent de faire l'hypothèse que le
taux d'élasticité des recettes de l'assurance-maladie par rapport au PIB est à
peu près égal à 1, sauf si l'on se rapproche du taux de chômage structurel
associé à une absence d'inflation. Dans ce cas, une situation tendue sur
l'offre de travail peut conduire à une augmentation du salaire moyen
augmentant sa part dans la valeur ajoutée nationale. C'est également le cas
si, de façon massive, les emplois créés sont en moyenne d'un niveau de
qualification plus élevé.
L'analyse qui précède ne tient pas compte des politiques actives d'aide à
l'emploi qui ont été mises en œuvre en France, dont le vecteur principal a été
une baisse des charges sociales des employeurs. Ces exonérations de charges
se sont traduites mécaniquement par une baisse des recettes des organismes
d'assurance-maladie. En théorie, cette baisse était compensée à l'euro près
par le budget de l'Etat, ce qui a été approximativement vrai sur le moyen
terme, mais s'est traduit dans le court terme par une augmentation conjonc-
turelle du déficit des caisses. Cette politique, préconisée notamment par
Blanchard et Fitoussi en 1998 dans leur rapport au Conseil d'analyse écono-
mique, a été mise en œuvre de façon massive ces dernières années, afin de
rendre attractives les embauches pour les entreprises françaises, d'améliorer
ou de maintenir leur compétitivité au niveau international dans un contexte de
renchérissement de l'euro et de bénéficier d'un effet de demandes par la
baisse du chômage. Ces exonérations ont été respectivement de 21,6 mds
d'euros en 2006, 25,2 mds d'euros en 2007 et le montant prévisionnel pour
2008 est de 29,3 mds d'euros. Ces exonérations valent pour tous les risques,
mais portent en partie sur l'assurance-maladie. Leur effet ne doit intervenir
dans le jugement porté sur le déficit actuel que si l'Etat n'a pas compensé
cette perte de recette (il semblerait qu'il reste une dette de l'ordre de 1 md
d'euros à l'égard de l'assurance-maladie). En revanche, ces mesures doivent
être jugées en fonction de leur rendement en termes de création d'emplois
par rapport à leur coût, notamment en termes d'impact sur les finances publiques.
40 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
2. Les dépenses de santé
Ce qui nous intéresse est la tendance longue d'évolution des dépenses de
santé et la capacité de l'économie nationale à les financer sans créer à
nouveau un déséquilibre des comptes de la Nation. Rappelons que l'endettement
spécifique dû à l'assurance-maladie est réel mais petit par rapport à la dette
de l'Etat et des collectivités territoriales ; par ailleurs, le déséquilibre le plus
menaçant viendrait plutôt dans les années à venir des régimes de retraite.
2.1 L'évolution des dépenses de santé sur le long terme
On s'appuie, dans un premier temps, sur l'étude rétrospective de la DREES
déjà citée pour indiquer les tendances lourdes du passé. Cette étude porte
sur la consommation des soins et biens médicaux (CSBM), remboursée ou
non par les régimes d'assurance-maladie obligatoires, et sur la période 1950-
2005. Les résultats les plus marquants sont les suivants. Sur la période, la
CSBM a un taux de croissance annuel moyen supérieur à celui de PIB de 2,6%
en volume et de 2,5% en valeur. Ceci traduit une baisse relative du prix des
biens de santé de 0,2% par an par rapport aux prix du PIB.
Cette croissance relative par rapport au PIB a été très forte en début de
période et s'établit autour de 2% au cours des 15 dernières années, comme le
montre le tableau suivant extrait de l'étude DREES.
Tableau 2.
Taux de croissance annuels moyens en % de la CSBM et du PIB
CSBM en volume PIB en volume Prix relatif de la santé1
1950-1955 9,4 5,7 1,9
1955-1960 6,3 5,8 0,3
1960-1965 10,8 5,9 -0,2
1965-1970 8,5 5,4 -0,1
1970-1975 8,8 3,5 -1,5
1975-1980 5,8 3,3 -0,7
1980-1985 5,5 1,5 -1,4
1985-1990 4,7 3,3 -0,6
1990-1995 3,0 1,2 0,4
1995-2000 2,3 2,8 0,0
2000-2005 3,6 1,5 -0,1
1950-2005 6,2 3,6 -0,21. Rapport entre les indices de prix de la CSBM et du PIB.Sources - Drees, rétropolation des comptes de la santé
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 41
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Cette augmentation de la CSBM peut être expliquée par les facteurs suivants.
L'effet démographique pur (la population française a augmenté de 46% sur la
période) expliquerait à lui seul 0,8% par an d'augmentation de la CSBM, à taux
de couverture inchangé. La généralisation de la couverture expliquerait en
moyenne annuelle 1,67% de l'augmentation. Le solde, soit 3,6% - 2,5%= 1,1%,
serait dû à un effet de cohorte (recours accru aux soins face à une offre plus
abondante), de longévité (accroissement des effectifs des classes d'âge les
plus élevées) et au progrès technique.
Pour notre propos, on retiendra de cette étude les éléments suivants. Sur le
long terme, les auteurs constatent une relative stabilité de la part des trois
composantes majeures de la CSBM, les dépenses hospitalières, les dépenses
de soins ambulatoires et les dépenses de médicaments. En réalité, ces
composantes ont des évolutions différentes : au cours de la période, la part
en valeur des médicaments a d'abord décrue de 25% dans les années
cinquante avec un plancher de 17,5% atteint en 1983, puis une reprise de sa
croissance pour atteindre 20,8% en 2005. La dernière tendance correspond
à une augmentation des volumes, dont le moteur essentiel a été la croissance
du nombre de patients pris en charge en ALD depuis 2003. Le nombre
d'assurés sociaux bénéficiant du 100% est en effet passé d'environ 5 millions
en 2000 à plus de 8 millions en 2007. Sur la longue période, en revanche, les
prix du médicament ont baissé et ce, relativement plus vite que les prix des
autres composantes, comme le montre le graphique suivant tiré de l'étude.
42 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Selon les Comptes de la santé 2006, les derniers connus, la consommation
de médicaments aurait cru en 2006 de 5,4% en volume mais seulement de
1,5% en valeur, traduisant donc une baisse de prix de 4,7% Cette modération
serait due selon les auteurs à la pénétration accrue des génériques, aux
baisses imposées de prix, au déremboursement de spécialités à SMR insuffisant
et à la montée en charge de conditionnement à trois mois. Ces facteurs
modérateurs ont en partie compensé l'extension des prises en charge en ALD
et la part plus importante prise par des médicaments coûteux à l'hôpital.
Dernier point, le taux de couverture des dépenses par la protection collective
(assurance-maladie + Etat) est resté relativement stable, autour de 75%,
depuis 1990. Compte tenu de l'extension des ALD, cette stabilité traduit un
transfert de charges vers les assurés non ALD.
Graphique 7 - Évolution du prix relatif de la consommation de soins et de biens médicaux et de ses composantes, par rapport au prix du PIB (1950=100)
1950
Hôpital
1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 20050
20
40
60
80
100
120
140
160
180
Ambulatoire Médicaments CSBM
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 43
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Ce sont plutôt les soins ambulatoires qui ont donné lieu à une moins bonne
couverture, comme le montre le graphique 9.
0 %
10 %
20 %
30 %
40 %
50 %
60 %
70 %
80 %
90 %
100 %
%
%
%
%
%
%
%
%
%
%
%
Soins ambulatoires
Transports de malades
Officines pharmaceutiques
Autres biens médicaux
Graphique 9 - évolution du taux de couverture par la Sécurité Sociale des divers postes de dépenses de 1950 à 2005
Soins hospitaliers
Part Sécurité sociale dans CSBM
1950 1960 1970 1980 1990 2000
Source : Drees, rétropolation des comptes de la santé.
0 %
10 %
20 %
30 %
40 %
50 %
60 %
70 %
80 %
90 %
100 %
Mutuelles
Graphique 8 - Structure du financement de la consommation de soins et de biens médicaux de 1950 à 2005
Ménages et autres assurances complémentaires
1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005
État et collectivités locales
Sécurité sociale
Source : Drees, rétropolation des comptes de la santé.
44 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
2.2 Les projections
Quelles sont les tendances futures d'évolution des dépenses de santé dans
l'absolu et par rapport au PIB ? On raisonnera ici en volume, car il est difficile
d'anticiper l'évolution relative des prix des biens et services de santé par
rapport aux prix du PIB. Selon les projections démographiques réalisées par
l'INSEE, la population française devrait passer de 60,7 millions d'habitants à
66,2 millions en 2025, soit un taux moyen d'augmentation de 0,4% par an. On
fera l'hypothèse que le taux de couverture de la population ne changera pas
sur cette période. L'effet moteur principal est alors celui de l'allongement de
la longévité, se traduisant par un nombre croissant de personnes âgées en
nombre absolu et en pourcentage de la population totale. Un scénario de
base simpliste consiste à faire l'hypothèse que les coûts relatifs par classe
d'âge resteront constants, l'effet longévité étant alors seulement un effet
d'accroissement en part relative et en effectif des classes d'âge des personnes
âgées dans la population totale. L'effet supplémentaire en termes d'accrois-
sement des dépenses de santé remboursées par rapport au PIB est alors de
0,9% par an (Grignon, 2003)8. Donc, toutes choses égales par ailleurs, les
dépenses remboursées augmenteront plus vite que le PIB.
Cette estimation est évidemment simpliste et les simulations qui ont été réa-
lisées intègrent d'autres hypothèses. La première série d'hypothèses
concerne l'évolution de l'état de santé des classes d'âge élevées. Elles vont
augmenter en effectif, mais le débat porte sur la part de personnes qui seront
en bonne santé dans cette classe d'âge dans le futur. Deux scénarios s'oppo-
sent : soit la part des personnes en bonne santé va augmenter dans chaque
classe d'âge (compression de la morbidité), soit elle va diminuer (augmentation
de la morbidité). On peut compliquer ce scénario en gardant une hypothèse
de compression de la morbidité en part relative, mais faire l'hypothèse que
les personnes en mauvaise santé seront en bien plus mauvaise santé
qu'aujourd'hui. En effet, les personnes qui atteignent une classe d'âge élevée
aujourd'hui sont des survivants qui sont en bonne santé, alors que dans dix
ans, pour la même classe d'âge, elles auront été maintenues en vie plus long-
temps malgré une maladie grave.
A titre d'illustration, le tableau suivant montre, avec des chiffres fictifs,
l'impact de différents scénarios sur les dépenses globales de santé et sur le
8 Grignon M. Les conséquences du vieillissement de la population sur les dépenses de santé. Questions d'économie de la santé, IRDES, n° 66, mars 2003.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 45
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
coût unitaire de prise en charge. L'année 0 correspond à la situation actuelle.
La classe d'âge des plus de 75 ans a un effectif d'un million de personnes.
60% d'entre elles sont en bonne santé et dépensent 4 500 € par an, 40% sont
en mauvaise santé et dépensent 7 500 € par an. La dépense totale pour cette
classe d'âge est de 5,7 milliards d'euros et la dépense moyenne par personne
de 5 700 €.
La première colonne correspond au scénario de base de Grignon. Les structures
de coûts et de morbidité sont les mêmes, l'effet mesuré est uniquement
démographique. La deuxième colonne correspond à une hypothèse de
compression de la morbidité, à coûts constants selon l'état de santé. La
dépense totale augmente, mais la croissance relative des dépenses de santé
par rapport au PIB n'est plus que de 0,62%. Si l'état de santé des personnes
en mauvaise santé se dégrade et leurs dépenses augmentent (augmentation
de la morbidité), le taux de croissance relatif par rapport au PIB passe à
1,87%. Si le pourcentage de personnes en mauvaise santé augmente sans
que leur état s'aggrave et sans que les dépenses n'augmentent, l'évolution
relative par rapport au PIB est de 1,03%. Un scénario mixte d'augmentation
du pourcentage des personnes en bonne santé mais d'augmentation de la
morbidité des personnes en mauvaise santé montre que l'effet de compression
de la morbidité l'emporte sur l'effet d'augmentation de la gravité. La dernière
colonne est optimiste : grâce aux progrès techniques et aux effets positifs
d'une politique de prévention, les personnes âgées en bonne santé sont plus
nombreuses et tous les patients coûtent moins cher. Il n'y a pas de différentiel
de croissance entre les dépenses de santé et le PIB.
Ces simulations illustrent la difficulté des prévisions quant au rythme de
croissance futur des dépenses de santé. Par ailleurs, elles négligent une
composante importante, qui est l'effet du progrès technique. Celui-ci peut
avoir deux effets : diminuer le coût de la prise en charge pour les pathologies
existantes, mais aussi augmenter les moyens d'action et répondre à des
besoins non satisfaits ou à des pathologies nouvelles. De ce fait, les estimations
de la progression future des dépenses de santé et de leur rythme relatif par
rapport au PIB varient selon les auteurs. Le Haut Conseil pour l'avenir de
l'assurance-maladie avait retenu dans son rapport de janvier 2004 trois
scénarios : les dépenses de santé remboursées pouvaient augmenter soit de
1% de plus que le PIB, soit de 1,5%, soit de 2%. Au vu des simulations réalisées
plus haut, ces trois scénarios sont plausibles.
46 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Deux études réalisées aux Etats-Unis pour les assurés de Medicare donnent
des indications intéressantes sur la plausibilité des scénarios d'évolution des
dépenses pour les personnes âgées. Dans une première étude de Lubitz et al.9,
les personnes âgées de 70 ans en bonne santé vivent plus longtemps que les
personnes de même âge en santé dégradée, mais leurs dépenses de santé
cumulées jusqu'au décès sont équivalentes. La différence se fait sur les
dépenses de prise en charge de la dépendance. Spillman et al.10 comparent
deux cohortes par simulation : des assurés de Medicare ayant 65 ans en
2000 ou 65 ans en 2015. L'accroissement de la longévité dans la deuxième
cohorte a un impact faible sur la dépense cumulée de 65 ans au décès,
notamment sur les dépenses de soins ; la différence est faite principalement
par les dépenses d'hébergement en section de long séjour. Ces deux études
suggèrent d'une part que les personnes âgées du futur auront une meilleure
santé que celles d'aujourd'hui et coûteront moins cher par an, ce qui compenserait
l'accroissement de la longévité.
S'il est difficile de trancher sur un chiffre d'élasticité des dépenses de santé par
rapport au PIB, il est cependant raisonnable de retenir que celles-ci augmen-
teront plus vite que la richesse nationale, induisant ainsi un besoin de finan-
cement supplémentaire dans les années à venir. Les solutions préconisées
ont été l'augmentation régulière du taux de la CSG et de la TVA sociale.
L'augmentation de la CSG et de la TVA sociale a un impact sur le pouvoir
d'achat des ménages, avec un effet négatif potentiel sur la demande de biens
et de services. Mais la CSG est neutre sur le coût du travail. L'amortissement
de la dette de l'assurance-maladie pourrait être accéléré par une augmentation
du taux ou de l'assiette de la CRDS. Enfin, l'assurance-maladie reçoit les
recettes liées à la taxation du tabac et de l'alcool. Dans les deux cas, une
augmentation significative de ces taxes aurait à la fois un effet sur la santé de
la population et sur les recettes.
9 Lubitz J et al. Health, Life expectancy and Health Care Spending among the elderly NEJM 2003;349:1048-105510 Spillman B, Lubitz J. The effect of longevity on spending for acute and long term care NEJM 2000; 342:1409-1415
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 47
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
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48 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE
Synthèse de la deuxième partie
L'examen simplifié des fondamentaux de l'économie française et de
l'Assurance Maladie a mis en évidence les points suivants, qui sont
directement pertinents pour notre analyse. Compte tenu des déficits
publics et de l'endettement du pays, les pouvoirs publics ont peu de
marges de manœuvre pour investir de façon significative dans l'amont,
c'est-à-dire dans le potentiel public de recherche. De plus, cet inves-
tissement ne portera ses fruits que sur le moyen terme et s'il est
soutenu. Les déficits de l'assurance-maladie sont récurrents, mais d'un
ordre de grandeur bien inférieur à celui des déficits publics. Le moteur
principal de l'augmentation des dépenses est l'extension du nombre
d'assurés pris en charge à 100% et l'amélioration de cette prise en
charge par la rationalisation des pratiques. Face à des perspectives de
croissance plutôt moroses et incertaines, les leviers d'action pour le
retour conjoncturel à l'équilibre sont, d'une part, la continuation de la
réduction du chômage par l'effet de renouvellement démographique,
et d'autre part, l'amélioration de l'efficience du système de soins et la
diminution du taux de couverture des risques pour maintenir la solidarité
pour les pathologies lourdes et chroniques. Cependant, ce retour à
l'équilibre sera remis en cause par une élasticité des dépenses de
santé par rapport au PIB supérieure à 1 : le maintien du système passe
donc par le recours à des prélèvements supplémentaires, qui préser-
veraient la composante de solidarité, ou par le recours accru à la
contribution des assurés eux-mêmes. Dans ce contexte, la fenêtre
d'action conjointe entre les pouvoirs publics et l'industrie pharmaceu-
tique pour agir sur l'amont est étroite, d'autant qu'elle dépend de la
volonté et de l'intérêt à agir de sociétés multinationales pour lesquelles
le marché français est certes attractif, mais pour lesquelles il existe
également d'autres opportunités d'investissement en termes de R&D
et de production. Pour autant, il existe plusieurs raisons d'agir pour la
puissance publique : le domaine des industries de santé présente un
potentiel de création de richesse par la valorisation de la recherche
publique, par la création d'emplois de haute qualification et par le
potentiel à l'exportation. L'objectif de la 3e partie est d'évaluer les
ordres de grandeur de ce potentiel.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 49
3e partie : Innovation et croissance
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 51
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
La relation entre l'innovation et la croissance économique est un domaine à
part entière de la science économique. Une interrogation sur ce thème sur
Econlit, la base documentaire de référence en économie, a fait ressortir plus
de 1 000 références. Il n'est pas possible dans ce rapport de rendre compte
de la richesse des connaissances produites, d'autant que les auteurs ne sont
pas macroéconomistes de formation. Dans cette introduction, on reprendra
à grands traits les résultats essentiels de ces travaux, en s'appuyant sur
l'ouvrage de Philippe Aghion11 et Peter Howitt, d'une part, sur le rapport
présenté en 1998 par Robert Boyer et Michel Didier au Conseil d'Analyse
Economique en 199812, d'autre part. La question centrale est de connaître les
ordres de grandeur de la relation entre innovation et croissance économique
en général, et si possible en particulier en relation avec le secteur pharma-
ceutique. L'enjeu est d'évaluer ce que l'on pourrait attendre d'un investissement
accru en R&D et sous quelle forme de l'industrie pharmaceutique en France.
En cela, nous poursuivons notre hypothèse d'un jeu gagnant/gagnant pour
les pouvoirs publics et l'industrie.
1. Les théories de la croissance et le rôle de l'innovation
Les points de départ reconnus de la réflexion théorique sur les liens entre
innovation et croissance sont les articles de Solow13 et de Swan, publiés en
1956. Solow montre qu'un régime de croissance économique continu n'est
pas possible sans l'introduction du progrès technique, qui permet de pallier
les rendements décroissants du capital au cours du temps. Dans ce modèle,
le progrès technique intervient comme un facteur autonome, exogène et indé-
fini quant à sa forme. Solow ne s'intéresse pas à la genèse de ce progrès : son
objectif est de montrer qu'il est un ingrédient indispensable à la croissance.
Un résumé très simplificateur des travaux qui ont suivi la voie ouverte par
Solow conduit à dire que les travaux théoriques et empiriques ultérieurs ont
tenté d'améliorer le modèle de Solow en restant dans un modèle au sein
duquel le progrès technique est exogène, soit par des spécifications plus
complexes du progrès technique, soit en intégrant d'autres variables à l'effet
supposé sur l'établissement d'un régime de croissance ; ou bien, à l'instigation
de travaux plus qualitatifs d'analyse de la croissance économique des pays,
de changer de perspective en considérant que le progrès technique n'est pas
11 Aghion Ph, Howitt P. Théorie de la croissance endogène/ Paris : Dunod, 750 p. 2000.12 Boyer R, Didier M. Innovation et croissance. Rapport préparé pour le Conseil d'analyse économique, Paris : La Documentation française, 195 p. 13 Solow R. A contribution to the theory of economic growth Quarterly Journal of Economics 1956 70:1;65-94Swan TW Economic growth and capital accumulation Economic Record 1956 32: 334-361.
52 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
une donnée autonome d'une économie, mais qu'il est le fruit de l'action
d'acteurs économiques poursuivant un objectif de renforcement de leur position
concurrentielle. On passe alors de modèles avec progrès technique exogène
à des modèles qui rendent endogène ce facteur. Notre réflexion se situe dans
ce courant, puisque nous nous intéressons aux décisions que pourraient
prendre les pouvoirs publics en France et les industriels du médicament, dans
le but de bénéficier pour les premiers d'externalités positives d'innovations en
santé et pour les seconds d'augmenter leur rentabilité.
En première analyse, la genèse du progrès technique requiert un stock de
connaissances, nouvelles ou anciennes, qui seront combinées pour développer
une application, une invention porteuse de fonctionnalités nouvelles. Cette
invention trouvera un débouché sur un marché et c'est à ce moment qu'elle
sera considérée comme une innovation. L'existence du progrès technique est
donc liée à une activité de recherche (au sens large du terme), mais aussi une
volonté d'exploiter les fruits de cette recherche à des fins économiques. La
difficulté de caractérisation du progrès technique dans une perspective de
modélisation économique est la variabilité des formes que peut prendre cette
genèse. Une innovation peut naître d'une combinaison nouvelle de connais-
sances ou de techniques existantes : l'innovation est l'idée du développement
d'un produit ou d'un procédé nouveau, mais pas connaissances nécessaires
à sa réalisation. La recherche entreprise est alors le travail de bureaux d'études
composés de techniciens et d'ingénieurs compétents. En sciences de la vie,
la recherche fondamentale sur les mécanismes du vivant et l'innovation
thérapeutique sont à la fois étroitement liés et néanmoins autonomes. La
recherche fondamentale est certes conduite au sein de structures publiques
ou non lucratives, comme les grandes universités américaines, mais l'industrie
finance aussi des laboratoires propres conduisant des recherches qui peuvent
être parallèles à celles des centres académiques. Mais les deux organisations
ont des finalités différentes : la production de la connaissance quelle que soit
son application dans un laboratoire économique, la production de la connais-
sance pour aboutir à une application commercialisable dans le second cas. Il
y a donc a priori dans la recherche publique ou à but non lucratif production
de connaissances qui ne trouveront jamais d'application et d'incorporation
dans une innovation.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 53
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
L'innovation serait donc la concrétisation dans un bien ou service nouveau du
progrès technique. Boyer et Didier soulignent alors que l'impact que peut
avoir cette innovation sur l'économie dépend de la forme qu'elle prend effec-
tivement. Ils reprennent la distinction classique entre innovation de procédé
et innovation produit. La première conduit, si elle est adoptée, à modifier la
façon de produire plus que le produit lui-même, avec une recherche de gains
de productivité. La deuxième permet à l'entreprise de conquérir de nouvelles
parts de marché en obtenant une position de monopole temporaire. Ils distinguent
également les innovations selon le potentiel de changement qu'elles contiennent,
en opposant de innovations de rupture et innovations incrémentales. Cette
distinction peut néanmoins être difficile à définir a priori, des innovations en
apparence incrémentales à leur apparition pouvant induire au fil du temps et
de leur diffusion des changements majeurs. Enfin, Boyer et Didier distinguent
soigneusement innovation et recherche, ce qui découle logiquement de ce
qui précède. L'innovation se prête à une appropriation privée des bénéfices
qui en découlent, c'est même l'anticipation de cette rente privée qui incite
des entrepreneurs à la développer.
Qu'en est-il des liens empiriques démontrés entre innovation et croissance
économique ? Boyer et Didier distinguent deux niveaux d'analyse : celui des
entreprises innovantes et celui de la croissance économique d'un pays.
Malgré les remarques sur la distinction entre recherche et innovation, la
variable d'intérêt de ces études est toujours la dépense en R&D. L'ensemble
des travaux présentés conclut à une relation positive entre intensité de la
R&D et productivité globale, l'élasticité variant de 0,1 à 0,3 selon les secteurs ;
elle serait d'autant plus forte dans les secteurs à forte intensité de R&D.
Autrement dit, 1% de dépenses supplémentaires en R&D se traduirait par 0,1
à 0,3% de production globale en plus. Plus précisément, ces études étant faites
sur des données de panel, comparant plusieurs entreprises entre elles en
coupe transversale, l'élasticité mesure la différence de productivité entre les
entreprises qui investissent le plus ou le moins en R&D : une entreprise qui
investirait 10% de son chiffre d'affaires en R&D aurait une productivité globale
supérieure de 3% à celle qui n'investirait que 5%. Cette relation
R&D/productivité est également retrouvée de façon systématique pour
l'emploi et les performances à l'exportation. La relation positive à l'emploi
est d'autant plus forte que la recherche de l'innovation est menée de façon
continue. Enfin, les secteurs à forte R&D ont une croissance plus forte. Les
auteurs citent une étude française qui montre que les secteurs à très forte
54 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
intensité technologique développent simultanément leur croissance et l'em-
ploi, l'élasticité étant de l'ordre de 1/3. Les exemples cités sont précisé-
ment le secteur pharmaceutique et les machines de bureau.
Les résultats sont plus nuancés dès lors que l'on passe à l'étude du lien entre
innovation et croissance à long terme et au niveau macroéconomique. On
dispose cependant d'une étude récente réalisée en France à la demande du
Sénat par l'Ecole Centrale de Paris14. Les auteurs utilisent un modèle avec
« endogénéisation » de la variable R&D, pour simuler les effets sur la croissance
d'une convergence européenne à l'horizon 2010 vers l'objectif de Lisbonne
d'un effort de R&D égal à 3% du PIB. L'année d'origine de leur simulation est
2003. L'hypothèse de convergence introduit une limitation de l'effort à
accomplir pour la France, dont l'effort à l'origine est de 2,2%, mais également
une limitation des bénéfices attendus. A la valeur actuelle du PIB, cet effort
correspond à un investissement en R&D de 15 mds d'euros sur 7 ans, soit
environ 2 mds d'euros par an sur 7 ans. Cet effort est financé dans le modèle
pour 2/3 par l'industrie et pour 1/3 par les pouvoirs publics, soit environ
700 millions d'euros par an pour l'Etat français (l'équivalent du budget actuel
du CNRS en sciences de la vie).
Avec ces paramètres de parts, le modèle prédit une contribution à la
croissance du PIB de 0,22% à 0,34% par an jusqu'en 2030. La richesse nationale
se serait alors accrue de 6,5% à 9,5%. La création d'emplois serait de 0,8 million
à 1,3 million, dont 350 000 à 400 000 dans la recherche. Avec un effort bud-
gétaire annuel relativement modéré mais soutenu, les effets sur la croissance
économique et l'emploi sont néanmoins substantiels.
2. L'innovation dans l'industrie du médicament et la croissance économique
Nous n'avons pas trouvé de modèle spécifique permettant d'estimer la contri-
bution potentielle du secteur pharmaceutique à la croissance d'un pays. Dans
les études trans-secteurs citées par Boyer et Didier, la pharmacie est identifiée
comme secteur à haute intensité de R&D et par là même créditée d'un potentiel
élevé de croissance et d'emplois. En France, on dispose de l'étude réalisée
14 Rapport d'information n°391 présenté par M. Joël Bourdin, sénateur, le 20 juin 2004. ERASME- Evaluation pour la France des conséquences de l'augmentation de l'effort de R&D-Modèle NEMESIS- Annexe au rapport n° 391.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 55
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
par CEMKA15 pour le compte du LEEM sur l'année 2004, dont l'objectif était
d'évaluer le potentiel de création de richesse du secteur. Mais on ne dispose pas
de données équivalentes sur plusieurs années, ce qui permettrait d'estimer
une relation entre croissance du secteur et croissance économique nationale.
La méthode adoptée est celle des tableaux entrées-sorties, selon la méthode
développée par Leontief en 1965. Le principe en est le repérage des flux
économiques directs et indirects entre un secteur industriel et les autres
secteurs de l'économie, en termes d'activité induite par le secteur étudié. Les
principaux résultats de cette étude sont présentés sous la forme de multipli-
cateurs (d'emplois, de valeur ajoutée, etc.). Trois effets sont analysés : les
effets directs, liés à l'activité propre du secteur, les effets indirects, liés à
l'activité induite par le secteur sur ses fournisseurs, et les effets induits,
conséquences de l'utilisation des revenus des salariés du secteur et des
fournisseurs, la formation brute de capital fixe de l'industrie et de ses
fournisseurs, ainsi qu'auprès des administrations.
En 2004, le chiffre d'affaires HT du secteur était de 38,2 mds d'euros générant
une valeur ajoutée de 10,3 mds d'euros, soit 0,63% du PIB et 16 mds d'euros
à l'exportation. Le secteur employait 95 819 salariés. Le budget interne de
R&D était estimé à 1,5 md d'euros et la R&D externalisée et réalisée en
France à 2,4 mds d'euros. Le ratio R&D sur CA est donc de l'ordre de 10%. Le
total des effets indirects et induits conduisait aux résultats suivants. Le CA HT
induit était de 58,3 mds d'euros, soit un coefficient multiplicateur de 1,53. La
valeur ajoutée indirecte et induite était de 20,8 mds d'euros (coeff. 2.01) : la
part totale dans le PIB du secteur était donc de 1,9%. Le coefficient multipli-
cateur des emplois était proche de 4. Enfin, le montant total des dépenses
directes et indirectes de R&D était de 4,7 mds d'euros, mettant l'industrie
pharmaceutique en tête de l'impact du CA sur la R&D.
L'application des résultats du modèle Nemesis au secteur donne un ordre de
grandeur du potentiel de valeur ajoutée induit par la R&D pharmaceutique. La
part actuelle de R&D dans la valeur ajoutée du secteur est de 38,6%. Une aug-
mentation de 0,8% de cette part sur sept ans correspondrait à une dépense
supplémentaire de 32 millions d'euros, dont les effets induits sur la valeur
ajoutée totale (directe et indirecte) varieraient entre 0,22 % et 0,34%, soit
d'environ 69 millions d'euros à 145 millions d'euros. L'effet multiplicateur de
15 Fagnani F, Saint-Cast F. Impact macroéconomique de l'industrie pharmaceutique en France. Etude pour le LEEM. Référence 2005-101, Paris, 44 p.
56 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
croissance varierait entre 2,15 et 4,5. Un effort supplémentaire de 5% étalé
sur 7 ans conduirait alors à une contribution de 1 md d'euros à la richesse
nationale.
Il existerait donc un potentiel important de contribution du secteur à la crois-
sance nationale par un investissement accru en R&D. Néanmoins, il convient
de prendre garde à une extrapolation rapide de résultats obtenus sur des
modèles globaux. De surcroît, l'investissement en R&D en France est princi-
palement concentré sur la recherche appliquée et expérimentale (les déve-
loppements cliniques), la recherche fondamentale ne représentant que 6% du
montant total (source : LEEM). Or, c'est cette recherche qui est à l'origine des
innovations thérapeutiques. L'application des coefficients de Nemesis à la
recherche fondamentale donnerait alors des résultats beaucoup plus modestes.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 57
3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE
Synthèse de la troisième partie
Les travaux théoriques et empiriques sur la croissance économique
confirment l'importance de l'innovation comme facteur de richesse.
Les entreprises dont l'effort de R&D est le plus important connaissent
des taux de croissance et d'emploi élevés, ainsi qu'une plus grande
productivité. En France, l'impact économique d'un effort de R&D
permettant de passer en 7 ans de 2,2% du PIB à 3% serait un surcroît
annuel de croissance estimé entre 0,22% et 0,34%. L'analyse de l'activité
économique induite par le secteur pharmaceutique en France montre
qu'il existe un potentiel de création de richesses supplémentaires,
malgré sa part modeste dans la création globale de valeur ajoutée.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 59
4e partie : Impact des dépenses de santé sur la santé des populations
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 61
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
1. Introduction
Le question de l'impact du recours aux soins, et partant de la consommation
de médicaments, sur l'état de santé des populations resurgit de façon régulière
dans les débats publics, généralement sous des formes rhétoriques qui ne
permettent pas de trancher entre des positions parfois radicalement opposées.
Il est donc nécessaire dans un premier temps de revenir au point de départ de
la controverse, afin de poser de façon claire les bonnes questions, puis de se
référer aux données publiées qui ont tenté d'y apporter des réponses rigoureuses.
La controverse s'inscrit dans une opposition entre tenants d'explications
différentes de l'amélioration observée de la longévité dans les pays développés
et du poids relatif de déterminants de la santé. Schématiquement, cette
controverse oppose ceux qui se consacrent à l'étude des causes immédiates
et des manifestations de la maladie à ceux qui s'intéressent aux facteurs de
risques et aux causes plus lointaines des mêmes affections. Les deux se
rejoignent dans la mesure où l'étude approfondie de la maladie peut permettre
d'identifier des causes et des facteurs de risques, sur lesquels il est possible
d'intervenir en amont de leur survenue, et où les autres peuvent avoir besoin
de connaître les agents pathogènes impliqués pour agir dessus. Une
deuxième dimension oppose ces deux visions : les premiers s'appliquent plutôt
à prendre en charge l'individu malade, les seconds ont une vision plus « popu-
lationnelle » de leurs actions, puisqu'ils cherchent à agir sur l'environnement
de celle-ci.
Cette controverse a un enjeu en termes d'allocation de ressources. Si l'on
considère qu'il est plus efficace d'agir sur les causes lointaines que sur les
causes immédiates, car on évite alors la survenue de la maladie, alors les
ressources rares consacrées à la santé et même à la recherche doivent
plutôt être orientées vers des programmes de santé publique, d'actions sur
les comportements à risque et sur l'environnement. Par exemple, une vision
de santé publique conduit aujourd'hui à souligner que la survenue des patho-
logies chroniques qui font la masse des patients pris en charge en ALD est en
grande partie due à des comportements à risque en matière d'alimentation,
de consommation de tabac et d'alcool ou d'absence d'exercice physique. Une
version radicale de cette approche irait jusqu'à soutenir que l'innovation
médicale apporte des bénéfices marginaux, voire insignifiants, en termes
62 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
d'amélioration de la santé de la population par rapport à son coût. Il en
découle alors une critique radicale des industries de santé, qui captureraient
une partie des ressources collectives au détriment d'actions de santé moins
coûteuses et plus rentables.
Le travail de Thomas McKeown16 est souvent cité comme exemple d'une
démonstration de l'apport marginal des interventions médicales dans l'amé-
lioration de la longévité de la population. Dans deux ouvrages publiés en
1976, il étudie le déclin de la mortalité en Angleterre et au Pays de Galles
entre 1850 et 1971. On peut résumer sa thèse de la façon suivante :
- le déclin observé de la mortalité est essentiellement lié à un déclin
de la mortalité due aux agents infectieux ;
- or, au cours de la période étudiée, il n'existait pas d'interventions
médicales qui avaient démontré leur efficacité dans la guérison de ces maladies ;
- les antibiotiques sont apparus dans les années 40 quand les gains
en termes de mortalité étaient déjà acquis ;
- ce sont donc d'autres facteurs, notamment l'amélioration générale
des conditions de vie, qui ont contribué aux progrès de la longévité.
Ce travail de recherche sert de « mythe fondateur » pour ceux qui contestent
la contribution des services curatifs de soins de santé à l'amélioration de
l'espérance de vie. D'autres arguments viennent en renfort : le rapport de
l'OMS en 2000 sur la performance relative des systèmes de santé montrait
que des pays dépensant peu pour les soins de santé par rapport au PIB,
comme la Grèce, pouvaient néanmoins avoir d'excellentes performances en
termes de longévité. A contrario, l'augmentation de la mortalité pour des
pathologies guérissables dans les pays de l'Europe de l'Est, suite à la disparition
des régimes communistes et l'effondrement des services publics de santé,
témoigne d'un effet réel d'un système de santé curatif.
Parmi d'autres, Johan Mackenbach17, spécialiste hollandais de la santé publique,
a mené une critique constructive de la thèse de McKeown, en remarquant
d'une part que l'apparition des antibiotiques dans les années quarante avait
contribué à accélérer la baisse de la mortalité par maladie infectieuse. D'autre
part, il souligne le caractère daté de l'étude et s'applique à montrer l'apport
des moyens d'intervention de la médecine au cours de la deuxième moitié du
16 McKeown Th. The role of medicine-dream, mirage or Nemesis ? London: Nuffield Provincial Hospitals trust, 1976McKeown Th. The modern rise of population. London: Edward Arnold, 197617 Mackenbach JP. The effects of health care on the health of populations. Conférence prononcée à la Honda Foundation Conference, “Determinants of health:prosperity, health and well-being”, Toronto, 16-18 Octobre, 1993.Mackenbach TH et al. Post-1950 mortality trends and medical dare: gains in life expectancy due to declines in mortality from conditions amenable to medicalintervention, Social Science and Medicine 1988 27:889-894.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 63
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
20e siècle. Il a comparé l'évolution de la mortalité en Hollande entre la
période 50/54 et la période 80/84, pour des maladies pour lesquelles des
progrès avérés des interventions médicales étaient apparus. Il montre alors
un gain d'espérance de vie de près de 3 ans pour les hommes et de 4 ans pour
les femmes, pour ces maladies, soit 1,2 mois par an pour les hommes et 1,6 mois
pour les femmes.
Sur le fond, cette opposition n'a pas de sens. On ne peut que louer l'efficacité
de l'action entreprise en France depuis 2002 pour diminuer le nombre d'acci-
dents de la circulation, néanmoins il faut continuer à prendre en charge les
accidents qui se produisent et les victimes passées ; il faut également continuer
les travaux de recherche qui permettent d'améliorer autant que faire se peut
la qualité de vie des patients survivants polytraumatisés. La politique de lutte
contre la mortalité infantile combine des mesures de santé publique et un
recours accru aux services de santé au cours de la grossesse, ainsi que le
déploiement de services hautement spécialisés en réanimation néo-natale.
D'un point de vue d'une politique de santé publique, l'enjeu est de déterminer
quelle est la meilleure stratégie combinant programmes de santé publique
(au sens large du terme) et services de soins de santé. D'un point de vue
économique, l'identification de cette stratégie optimale passe par la mesure
de la contribution relative de chaque action et de sa mise en relation avec son
coût pour la collectivité.
On peut alors reformuler les questions précédentes de la façon suivante :
- Que sait-on de l'impact du recours aux soins de santé sur la morbidité
et la mortalité de la population ? Quel rôle les innovations jouent-elles dans
cet impact ? On raisonne alors qualitativement et en volume sur les recours
au système de santé.
- Que sait-on de l'impact des dépenses de soins de santé induites par
ces recours ? On raisonne alors en valeur, pour comparer le rendement de ces
recours au rendement d'autres interventions visant à diminuer la morbidité
ou à augmenter la longévité.
- Que sait-on du rendement relatif de différentes actions de soins ?
On compare alors l'euro investi dans le système hospitalier, les actions de
prévention primaire et secondaire, les médicaments, les innovations diagnostiques.
- Que sait-on des bénéfices tirés d'une adoption plus ou moins rapide
et plus ou moins étendue d'innovations thérapeutiques ?
64 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Dans la suite de cette partie, on traitera les trois dernières questions, en se
concentrant pour les deux dernières sur l'innovation médicamenteuse. Les études
qui abordent ces questions se sont heurtées à des obstacles importants de
méthode et d'accès aux données. En termes de méthode, il est très difficile
de ne pas introduire de biais dans l'évaluation des effets d'une intervention,
parmi l'ensemble des autres facteurs. Par exemple, la forte corrélation entre
accroissement du PIB et augmentation des dépenses de santé peut conduire
à des attributions causales erronées. La longévité augmente-t-elle principalement
parce que la richesse apporte plus de sécurité matérielle, qui elle-même
conduit à consommer plus de soins ? Un autre problème de méthode est lié
à l'attribution à un type d'intervention d'effets sur la santé. Des interventions
chirurgicales innovantes ne sont pas possibles sans l'utilisation combinée de
médicaments nouveaux : les médicaments qui permettent de diminuer les
réactions de rejet aux greffes d'organes en sont un bon exemple.
Réciproquement, l'administration de certains produits efficaces mais toniques
en cancérologie ne sont pas possibles sans un ensemble de dispositifs de
diagnostics, de monitorage et des dispositifs médicaux. Enfin, les études
requièrent dans l'idéal la disponibilité sur le temps et l'espace de données de
morbidité, de consommation de ressources et de longévité.
2. Impact des dépenses de santé sur la longévité
Pour répondre à cette question, on s'appuie sur un article de Nixon et Ulmann18
qui présente à la fois une revue de la littérature sur cette question et une
étude originale sur 15 pays européens. Les 16 articles retenus présentaient
les caractéristiques suivantes : a) ils traitaient principalement de la relation
entre dépenses de santé et résultats, ou dépenses de santé, crois-
sance économique et résultats ; b) ils présentaient des résultats empiriques
en utilisant des méthodes économétriques au niveau macroéconomique ; c) ils
portaient sur des pays européens ou de l'OCDE ; d) ils pouvaient également
inclure des panels de pays développés et en voie de développement. L'étude
originale a examiné l'impact sur l'espérance de vie à la naissance des hommes,
des femmes et sur la mortalité infantile des variables suivantes : la dépense
de santé par tête, la dépense de santé en part du PIB, la densité médicale, la
densité de lits hospitaliers, le nombre d'admissions à l'hôpital par tête, la
18 Nixon J, Ulmman Ph. Relationship between health care expenditures and Health Outcomes. European Journal of Health Economics 2006 7:1;7-18
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 65
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
durée moyenne de séjour, le taux de couverture des dépenses par un système
d'assurance maladie, le taux de chômage, les consommations de tabac et
d'alcool, les comportements alimentaires et des indicateurs de pollution
atmosphérique. La période d'étude était de 1980 à 1995.
Les résultats marquants de la revue de la littérature, tels qu'ils sont résumés
par les auteurs, sont les suivants. Dans 12 études sur 16, une relation signi-
ficative et positive a été trouvée entre dépenses de santé per capita et au
moins l'un des indicateurs de longévité. Cinq études ont trouvé de plus que le
revenu avait un effet indépendant, alors que cet effet annule l'effet « dépenses »
dans une étude. Pour notre propos, les auteurs notent que les quatre études
qui ont inclus la dépense de produits pharmaceutiques par tête ont trouvé
une relation positive entre cette consommation et la longévité. Les compor-
tements à risque ont été associés avec une moindre longévité.
L'étude originale a abouti aux résultats suivants : pour les trois indicateurs de
résultats, la longévité masculine, la longévité féminine, la mortalité infantile,
les dépenses de santé et la densité de médecins ont un impact positif sur la
longévité. Pour les hommes, les comportements alimentaires à risque et la
pollution ont un effet péjoratif qui n'existe pas chez les femmes. L'estimation
des gains de longévité obtenus grâce aux dépenses de santé a été de
2,6 années pour les hommes, de 2,8 années pour les femmes. Le taux de
mortalité infantile a baissé de 0,63% en relation avec les dépenses de santé.
Rapportés à l'année, ces gains de longévité correspondent à une moyenne de
1,18 mois chez les hommes et de 2,24 mois chez les femmes. Les auteurs
concluent à un effet marginal, alors que cela correspondrait à un peu moins
de la moitié de l'augmentation annuelle d'espérance de vie observée
aujourd'hui dans les pays développés, qui est de trois mois par an ! Sur la
base des données françaises de 2006, la dépense moyenne de santé percapita est de 2500 € ; la moyenne des gains pour les hommes et les femmes
serait de 1,8 mois par an, soit un coût par année de vie gagnée de l'ordre de
17 000 €.
66 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
3. Impact de la consommation de médicaments sur la longévité
3.1 Méthode
La méthode de recherche adoptée a été l'interrogation de Pubmed et de
Econlit avec comme association de mots clés « drug innovation and health,health care expenditures and health, drug expenditures and health, drug inno-vation and mortality, pharmaceutical innovation/utilization and mortality » ;, on
a procédé par la suite en utilisant les références citées dans les premières
publications sélectionnées.
Au total, dix-sept publications ont été identifiées sur les thèmes d'intérêt,
avec une forte concentration (douze) d'articles émanant du National Bureau
of Economic Research (NBER, USA) et d'un seul auteur, Frank R. Lichtenberg.
Malgré une recherche approfondie, il n'a pas été jusqu'à présent possible de
trouver d'autres articles publiés sur ce thème, qui n'apparaît pas comme une
priorité des économistes de la santé ou des économistes de l'innovation.
Compte tenu du petit nombre de travaux, on a choisi de présenter les résultats
de chacun (le numéro renvoyant à la référence en fin de texte).
3.2 Résultats
Lichtenberg FR. The effect of pharmaceutical utilization and innovation onhospitalization and mortality. 1996(publiée dans American Economic Review 2001 86(2):384-388)
L'objectif de l'étude était de démontrer l'impact de l'utilisation de médicaments
sur le recours à l'hôpital et sur la mortalité, en utilisant des données des USA.
L'étude est fondée sur une comparaison du recours à l'hospitalisation, la
durée de séjour, le nombre d'interventions chirurgicales et sur l'âge moyen au
décès entre deux dates, 1980 et 1991, en fonction des changements intervenus
dans la quantité et la structure des prescriptions de médicaments réalisées
en médecine de ville, ajustées sur les maladies traitées.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 67
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Matériau et méthode
De façon opérationnelle, l'auteur teste si la variation en quantité et en qualité
des prescriptions médicamenteuses entre les deux dates a un impact sur le
nombre d'hospitalisations pour chaque maladie traitée, le nombre de journées
d'hospitalisation et la mortalité par cause. De façon secondaire, l'étude analyse
aussi le rôle de l'innovation chirurgicale sur les mêmes variables, en particulier
sur le recours à l'hospitalisation. L'hypothèse de base est que l'innovation
chirurgicale devrait augmenter le recours à l'hospitalisation et l'innovation
médicamenteuse le réduire.
La même méthode est utilisée pour toutes les variables d'intérêt. Par exemple,
pour le recours à l'hospitalisation, le nombre d'hospitalisations décroît-il plus
pour les maladies (les diagnostics) pour lesquelles l'intensité et la nouveauté
des traitements médicamenteux ont augmenté le plus ? Adopter cette démarche
permet à l'auteur de ne pas avoir à introduire d'autres variables de contrôle
dans son modèle, comme par exemple des changements de niveau de rem-
boursement. La technique utilisée est un modèle de régression avec la
méthode des moindres carrés.
Neuf modèles sont testés, dont le pouvoir explicatif est relativement faible (la
part de variance expliquée varie entre 2,3% et 43%).
Résultats
On n'indique ici que les résultats les plus solides.
Premièrement, la quantité et le degré de nouveauté des médicaments prescrits
ont un impact négatif sur le recours à l'hospitalisation. Plus une pathologie a
bénéficié d'une intensification et de l'apparition de nouvelles molécules,
moins il y a de recours à l'hôpital pour les malades qui en souffrent. L'ordre
de grandeur de l'effet relatif est le suivant : une augmentation de 10% du nombre
de différents médicaments prescrits (à incidence constante des pathologies)
entraînerait une diminution de 3,9% des hospitalisations. Dans le contexte
des USA et compte tenu des données fournies par l'auteur, l'intensification
des traitements médicamenteux a été de 9,2%, induisant une diminution de
3,6% des hospitalisations. Sur la période d'étude, celles-ci avaient baissé de
68 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
21,7%. L'intensification des traitements médicamenteux aurait donc contri-
bué à hauteur de 42% (3,9%/21,7%) à cette baisse.
Cet effet se retrouve dans une moindre mesure pour la variable mesurant un
effet structure dans la prescription médicamenteuse (apparition/disparition
de molécules). Pour un effet structure de 10%, la baisse des hospitalisations
serait de 2%.
L'intensification des traitements a aussi un effet sur le nombre de journées
d'hospitalisation et le nombre d'interventions chirurgicales par séjour. Les
résultats sont plus ambigus en termes d'impact sur la mortalité. L'auteur
trouve bien un effet bénéfique de l'intensification et de la diversification des
traitements sur la mortalité intra hospitalière et la mortalité totale, mais ces
résultats sont sans doute biaisés dans le modèle par le non ajustement des
données sur la structure âge/sexe dans les deux échantillons de patients des
années 1980 et 1991. De ce fait, il n'y a pas d'impact sur la longévité. Enfin,
les deux variables de traitement médicamenteux ont un impact très faible sur
le nombre de consultations.
Conclusion
En résumé, plus les traitements d'une pathologie s'intensifient et serenouvellent dans le temps, moins il y a de recours à l'hospitalisation, etcelle-ci durent moins longtemps. La limite majeure du modèle est le faiblepouvoir explicatif des modèles estimés, qui peut s'expliquer par le trèspetit nombre de variables explicatives utilisées dans le modèle. Sous laréserve de ces limites importantes, cette publication met néanmoins enévidence de façon agrégée pour les pathologies étudiées une réductiondes hospitalisations et de leur intensité.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 69
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Lichtenberg FR. Pharmaceutical Innovation, mortality reduction and economicgrowth. 1998 NBER Working Paper # 6569, Cambridge, USA
La méthodologie utilisée dans cette publication est la même que celle de la
publication précédente : l'étude reprend comme objectif principal l'impact de
l'innovation médicamenteuse sur la longévité. Celle-ci est mesurée de deux
façons : par l'âge moyen au décès par cause et par le nombre d'années de vie
perdues liées aux décès par cause avant 65 ans. La mesure de l'innovation
médicamenteuse est également plus précise. Comme dans l'étude précé-
dente, on compare la contribution à l'évolution de la mortalité du changement
dans la structure de prescriptions des médicaments, mais l'indicateur retenu
est cette fois-ci la part des nouvelles entités chimiques (NEC) apparues au
cours des dix années dans la prescription totale. L'auteur mène également
une analyse plus fine en distinguant dans les NEC celles qui ont été classées
« prioritaires » de celles qui ont été classées « standard ». Deux périodes sont
étudiées : 1970-1980 et 1980-1991. La question posée est la suivante : les
maladies qui ont bénéficié du plus grand nombre d'innovations thérapeutiques
au cours de la décennie précédente ont-elles vu leur taux de mortalité baisser ?
Plus exactement, la longévité des patients, mesurée par l'âge moyen au
décès, a-t-elle augmenté pour ces maladies et le nombre d'années de vie
perdues pour décès précoce a-t-il également baissé ?
Matériau et méthode
La méthode est la même que dans l'étude précédente.
Résultats
Les principaux résultats sont présentés avec les deux mesures adoptées de
l'innovation médicamenteuse : la part des médicaments nouveaux sur
l'ensemble des médicaments sur la période, la part des médicaments « prio-
ritaires » sur l'ensemble des médicaments sur la période. Lorsqu'on utilise la
première mesure du degré d'innovation (la moins spécifique), les modèles
estimés ont peu de pouvoir explicatif : la part de variance expliquée par le
degré d'innovation varie ente 0% et 10%. Il n'y a donc pas d'effet mesurable
sur la longévité. Le modèle estimé le meilleur est obtenu lorsqu'on étudie la
part de médicaments nouveaux sur la période 1970-1980 et son impact sur le
70 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
nombre d'années de vie perdues pour mortalité précoce (part de variance de
32%). Dans ce cas, on observe que sans nouveaux médicaments, le nombre
d'années de vie perdues pour mortalité précoce aurait légèrement augmenté.
En revanche, les pathologies pour lesquelles le pourcentage de nouveaux
médicaments est le plus élevé ont bénéficié d'une réduction de cette mortalité
précoce. Une différence de 10% de degré d'innovation pour une pathologie
donnée (la part prise par les nouveaux médicaments aurait augmenté de 10%
sur la période) se traduirait, pour cette pathologie, par une réduction de 31,7%
du nombre d'années de vie perdues par mortalité précoce sur les dix ans étudiés,
soit un impact substantiel de 3,2% par an.
Ces résultats se retrouvent lorsqu'on utilise le taux d'innovations « priori-
taires » : des modèles à faible pouvoir explicatif pour la longévité, et moins
bons pour la période 1980-1991 que pour la période 1870-1980. En revanche,
le modèle qui estime l'impact du taux d'innovations « prioritaires » sur le nombre
d'années de vie perdues pour mortalité précoce est meilleur sur la première
période et avec cette mesure du degré d'innovation. On retrouve sur cette
période le fait que l'absence d'innovation aurait aggravé la mortalité précoce ;
une différence de 10% du taux d'innovations prioritaires sur la période se traduit
par une réduction de 42,7% du nombre d'années de vie perdues pour mortalité
précoce, soit 4,2% par an, la part de variance expliquée est de 50%.
Conclusion
En résumé, l'auteur confirme les résultats de l'étude précédente en nemettant pas en évidence d'effet probant sur l'âge moyen au décès. L'impactsur le nombre d'années de vie perdues par mortalité précoce est plus probant,mais uniquement sur la période 1970-1980. L'effet de l'innovation seraitdonc variable dans le temps. Par ailleurs, il reste à expliquer pourquoi ceteffet sur la mortalité précoce n'a pas d'impact sur l'âge moyen au décès parpathologie. Une analyse plus fine montre que l'effet principal de l'inno-vation sur la période 1970-1980 a porté sur la classe d'âge de 0 à 1 ans,ce qui laisse à supposer qu'il y a dans l'analyse un facteur de confusionentre l'amélioration de la mortalité infantile au cours de cette période,causée par la combinaison de multiples facteurs, et le degré d'innovationmédicamenteuse. De ce fait, les résultats de cette étude sont ambigus,voire peu convaincants.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 71
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Lichtenberg FR. Are the benefits of newer drugs worth their cost? Evidencefrom the 1996 MEPS. 2001 Health Affairs 20(5): 241-251.
Cette étude analyse les données disponibles sur la prescription de médi-
caments tirées du panel Medical Expenditure Panel Survey de 1996 aux
Etats-Unis. Comme dans les études précédentes, l'hypothèse testée par
l'auteur est que le degré d'innovation des médicaments prescrits permet de
diminuer le recours aux autres types de dépenses de santé et d'améliorer la
longévité des bénéficiaires.
Méthode
La méthode employée est similaire à celle des études précédentes : il s'agit
d'une analyse transversale des données de consommation de services de
santé par pathologie sur un an. La mesure adoptée du degré d'innovation des
médicaments prescrits est celle de l'âge des molécules, mesuré par la dif-
férence entre 1996 et la date de première commercialisation. Par ailleurs,
l'auteur calcule les dépenses de santé par pathologie et par poste pour chaque
individu. Le panel permet par ailleurs d'identifier des caractéristiques indivi-
duelles des patients (âge, sexe, ethnie, niveau d'éducation, couverture
d'assurance). L'unité de base de son analyse est donc la pathologie : pour
tous les individus souffrant d'une même pathologie, on connaît, outre leurs
caractéristiques individuelles, l'âge moyen des molécules prescrites et le
total des dépenses non médicamenteuses relatives à cette pathologie. Les
variables d'intérêt sont la mortalité (pour une pathologie donnée, on sait si le
patient est décédé ou survivant sur la période), les éventuels arrêts de travail
ou confinements au lit, les dépenses de soins non médicamenteuses.
Résultats
Les principaux résultats sont les suivants. En ajustant l'âge des molécules
prescrites dans le panel sur la dépense de médicaments par pathologie,
l'auteur estime que la dépense marginale de médicaments liée à la réduction
d'un an de millésime est de 18 $.
Il y aurait un impact négatif de l'âge des médicaments sur la mortalité : les
pathologies pour lesquelles l'âge moyen des molécules est le plus grand corres-
pondent à des taux plus forts de mortalité, mais ce résultat n'est pas significatif.
72 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Plus les molécules prescrites sont récentes, moins les individus s'arrêtent de
travailler. Cet effet est très significatif mais faible, puisqu'il faudrait que
la journée de travail perdue coûte 4 500 $ pour compenser le surcoût de
prescription dû à l'innovation.
Enfin, il y a aussi un lien significatif et positif entre le millésime d'un médicament
pour une pathologie donnée et le nombre de séjours hospitaliers pour cette
pathologie. Pour une augmentation du 18 $ du coût d'une prescription,
l'auteur estime à 56 $ l'économie liée à la diminution des séjours hospitaliers.
Un résultat identique est trouvé pour l'ensemble des dépenses de soins non
médicamenteuses : 18 $ supplémentaires du coût d'une prescription conduisent
à une économie de 72,2 $ du total des dépenses hors médicaments.
L'auteur conclut que l'augmentation des dépenses liées à l'innovation théra-
peutique est très largement couverte par les économies sur les autres dépenses
de santé : le gain moyen serait de 121 $ par personne traitée.
Discussion
L'article publié et la note de travail associée ne donnent pas assez d'éléments
sur la méthode pour pouvoir évaluer complètement le travail de recherche. En
particulier, le modèle est très complexe et il est difficile de comprendre com-
ment l'auteur a réglé les questions d'imputation des dépenses et de mortalité
par pathologie pour les patients présentant plusieurs affections. L'auteur ne
précise pas non plus comment les caractéristiques sociodémographiques et
économiques des patients ont été utilisées. La méthode statistique utilisée et
son pouvoir explicatif ne sont pas précisés. Le modèle mélange trois niveaux
d'analyse, le patient, la pathologie et la prescription, mais n'utilise appa-
remment pas des modèles d'analyse multi-niveaux qui seraient requis dans
ce cas d'espèce.
Zhang et Soumerai ont repris en 2007 l'analyse de Lichtenberg. La première
critique adressée est celle de l'ajustement des données aux caractéristiques
des patients, notamment en matière de sévérité de la maladie. Ils notent par
ailleurs que, tant pour l'étude de la mortalité que pour celle des dépenses hos-
pitalières, la distribution des données est très asymétrique : les décès et les
hospitalisations se concentrent sur un petit nombre de patients. Ils préconisent
donc une analyse en deux étapes : vérifier dans un premier temps si l'âge des
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 73
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
médicaments a un impact sur la probabilité d'une hospitalisation, puis, sur le
groupe des patients hospitalisés, vérifier si on retrouve le même effet de l'âge
des médicaments sur les coûts des hospitalisations. Ils ont par ailleurs
procédé à une réévaluation de l'âge des médicaments et du coût de l'innovation.
Ils aboutissent aux résultats suivants.
Diminuer d'un an l'âge moyen des molécules prescrites coûterait 57 $ et non
pas 18 $. Après ajustement sur la sévérité de la maladie des patients et adoption
d'une méthode en deux temps, les auteurs ont confirmé l'existence d'une
réelle économie liée à l'innovation, mais de 23 $ par patient et par année de
millésime et non plus de 121 $.
En résumé, en tenant compte à la fois du travail princeps et de sa révisionpar Zhang et Soumerai, cette étude apporte des éléments de démonstrationde la productivité de l'innovation médicamenteuse, puisquecelle-ci permettrait de diminuer les autres dépenses de santé au-delà ducoût marginal de l'innovation. Les limites principales à ce résultat tiennentà la complexité de la méthode utilisée et de sa présentation, ainsi qu'àdes choix discutables.
Lichtenberg FR, Virabhak S. Pharmaceutical embodied technical progress,longevity, and quality of life: drugs as “equipment for your health”. 2002 NBERWorking Paper # 9351, Cambridge, USA.
Dans cette publication, les auteurs testent l'hypothèse d'un impact agrégé de
l'utilisation de médicaments et de leur degré d'innovation sur l'état de santé
des bénéficiaires. Leur étude s'apparente à une étude avant/après. Ils utilisent
à nouveau les données du panel MEPS, présenté pour le travail précédent.
Ils exploitent les données déclaratives des patients sur leur état de santé, à
l'entrée et à la sortie de l'enquête. Ils étudient donc l'impact de l'innovation
médicamenteuse sur l'état de santé final conditionnel à l'état de santé initial.
Ils utilisent plusieurs variables d'intérêt : la probabilité de décès, la santé
perçue, un index de qualité vie similaire aux QALYs, la présence ou l'absence
de limitations aux activités professionnelles et domestiques, la présence ou
l'absence de limitations aux relations sociales, la santé mentale perçue, la
présence ou l'absence de limitations cognitives, la présence ou l'absence de
limitations physiques ou fonctionnelles, un index composite de difficultés
rencontrées liées à la santé.
74 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Matériau et méthode
Un modèle de régression avec la méthode des moindres carrés et pondération
des variables par la fréquence relative des pathologies est utilisé. L'unité
d'analyse reste la prescription. L'équation de régression inclut à nouveau des
variables de différents niveaux : prescriptions, individus, pathologies.
L'originalité du modèle est la prise en compte de l'état de santé en début de
période d'enquête comme variable explicative. Par ailleurs, il fait l'hypothèse
qu'entre le début de la période d'enquête et la fin les individus peuvent avoir
des problèmes de santé considérés comme « chocs exogènes » avec un
impact sur la santé en fin de période. Ces variables sont donc prises en
compte dans le modèle sous la forme du nombre total de prescriptions, de
consultations et d'hospitalisations sur la période. Le modèle présente
plusieurs variantes, selon la méthode utilisée, pour estimer le millésime des
médicaments et la prise en compte ou non des « chocs » de santé.
Résultats
On ne présente ici que les résultats obtenus en tenant compte de la consom-
mation des services de soins sur la période et de l'état de santé initial. Le
millésime a un impact significatif et positif (plus le médicament est récent,
meilleur est le résultat de santé) quoique modeste sur les indicateurs suivants :
la probabilité de décès, l'état de santé perçue, la qualité de vie, l'absence de
limitations dans les relations sociales et le niveau moyen de difficultés
rencontrées. La prise en compte des « chocs » de santé diminue cet impact
par rapport à un modèle qui ne les prend pas en compte, ce qui traduit la
contribution des services de santé à l'amélioration des indicateurs. Les auteurs
procèdent à des estimations de la rentabilité marginale de chaque facteur des
indicateurs de santé, mais il n'explicite pas complètement ses calculs.
Discussion
Les auteurs continuent de perfectionner leurs analyses en les enrichissant de
données complémentaires. En l'occurrence, le modèle aboutit à des résultats
originaux, puisqu'il met en évidence un effet positif du millésime sur l'amélio-
ration de l'état de santé des bénéficiaires mesuré par plusieurs indicateurs. Il
reste néanmoins difficile d'évaluer la validité des résultats présentés, faute
d'un détail suffisant sur certains calculs et des questions en suspens sur les
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 75
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
méthodes d'analyse utilisées : mélange de trois niveaux d'analyse, problème
d'imputation des résultats aux patients qui souffrent de plusieurs maladies.
De plus, dans ce travail, il est discutable de considérer le recours aux services
de santé sur la période comme des chocs exogènes, alors qu'ils pourraient
être simplement la conséquence de l'état de santé en début de période.
L'auteur ne justifie pas l'exclusion d'un modèle de régression logistique pour
expliquer la probabilité de décès. Enfin, la qualité des ajustements réalisés
n'est pas rapportée dans les résultats, ce qui rend difficile leur validation.
En résumé, cette nouvelle étude suggère que l'innovation médicamenteusea un impact positif et mesurable par plusieurs indicateurs d'état de santé,en utilisant un design original d'étude avant/après. Les limites observéespour les autres travaux du même auteur, Lichtenberg, demeurent.
Lichtenberg FR. The effects of changes in drug utilization on labor supply andper capita output. 2002 NBER Working Paper # 9139, Cambridge, USA (publié en 2005 dans le Journal of Occupational and Environmental Medicine,47(4): 373-379).
L'objectif de l'étude est de montrer que l'innovation médicamenteuse a un
impact positif sur l'offre de travail et la productivité. Le schéma général de
l'étude est le même que celui adopté dans les travaux antérieurs de l'auteur,
mais la variable d'intérêt est cette fois-ci la probabilité d'un arrêt de travail
pour maladie. L'auteur teste deux hypothèses : la quantité et le millésime des
médicaments prescrits ont-ils un impact positif sur la capacité à travailler ?
Matériau et méthode
Les données utilisées sont celles du panel MEPS pour trois années consécutives,
de 1996 à 1998. Ces données permettent de calculer la probabilité d'un arrêt
de travail pour les maladies identifiées dans les résultats du panel. L'unité
d'analyse est la pathologie.
Dans le premier modèle, la variable d'intérêt est la probabilité d'un arrêt de travail
dans l'année pour une pathologie donnée. Les variables explicatives sont le nombre
moyen de prescriptions pour cette pathologie, le nombre moyen de consultations
et le nombre moyen d'hospitalisations. Ces données sont calculées pour les
trois années étudiées et introduites par le logarithme de leur valeur.
76 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Dans le deuxième modèle, la variable d'intérêt est la même, mais la variable
explicative principale est le millésime moyen des médicaments prescrits pour
une pathologie donnée dans l'année. Dans ce modèle, ce qui est effectivement
mesuré est le nombre moyen par personne de nouveaux médicaments
prescrits pour une pathologie. Les variables « nombre de consultations »
et « nombre d'hospitalisations » ont été exclues de la deuxième analyse.
Dans les deux cas, les données par pathologie relatives aux trois années sont
analysées simultanément avec un modèle d'économétrie de panel à effets
fixes. L'auteur fait en effet le postulat de l'existence de deux effets fixes, un
relatif à la pathologie, l'autre à l'année.
Résultats
Les résultats du premier modèle sont présentés succinctement. Seule la
variable « nombre moyen de prescriptions » par pathologie et par année a un
impact significatif sur la probabilité d'au moins un arrêt de travail. Une aug-
mentation de 10% du nombre moyen de prescriptions par pathologie se
traduirait par une diminution de 0,17% de la probabilité d'avoir au moins un
arrêt de travail sur la période. Les nombres de consultations ou d'hospitalisations
n'ont pas d'impact significatif sur les arrêts de travail. Ce premier résultat
conduit l'auteur à ne pas inclure dans son deuxième modèle ces deux dernières
variables explicatives.
Dans le deuxième modèle, l'auteur examine l'impact de la nouveauté des
médicaments prescrits sur une série d'indicateurs mesurant la capacité à
mener une activité normale :
- le nombre de personnes souffrant d'une maladie dont l'activité principale
est limitée, en % du nombre total de personnes souffrant de cette maladie ;
- le nombre de personnes dont la capacité à travailler est limitée,
principalement à cause de cette maladie, en % du nombre total de personnes
souffrant de cette maladie ;
- le nombre de personnes souffrant d'une maladie dont la capacité à
travailler est limitée, pour toutes causes, en % du nombre total de personnes
souffrant de cette maladie ;
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 77
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
- le nombre de personnes souffrant d'une maladie incapables de
travailler à cause de cette maladie, en % du nombre total de personnes souffrant
de cette maladie ;
- le nombre moyen de journées d'activité restreinte due à la maladie
au cours des deux semaines de l'enquête.
Le millésime est mesuré en cinq classes, l'âge moyen de toutes les prescriptions,
le % de prescriptions post-1970, post-1980, post-1995, post-1990. Des variables
de moyenne des caractéristiques des patients par pathologie sont introduites
comme variables de contrôle. Les résultats présentés ici portent sur le % de
tous les médicaments post-1980, sauf les médicaments OTC et les combinaisons
de molécules, et en tenant compte des changements éventuels de prévalence
des pathologies étudiées.
Le millésime des médicaments a un impact significatif et diminue tous les
indicateurs de capacité à travailler, sauf le nombre moyen de journées d'activité
restreinte. Une augmentation d'une unité du nombre moyen de médicaments
post-1980 se traduit par une diminution de 2,4% du pourcentage de personnes
dont l'activité professionnelle est limitée à cause de la maladie et de 1,3% du
pourcentage de personnes incapables de travailler à cause de la maladie. Une
deuxième série d'analyses montre que cet impact augmente avec le millésime
des médicaments : il est plus important lorsqu'on analyse la part des médica-
ments dont le millésime est postérieur à 1990.
L'auteur présente également une évaluation chiffrée du coût comparé de
l'innovation thérapeutique et des gains de productivité qui en découlent. S'il
conclut là encore à une économie globale, ses évaluations sont dérivées
d'extrapolations simples de ses résultats économétriques et nécessitent une
réévaluation plus approfondie.
Discussion
Les limites de l'étude présentée tiennent, comme pour les autres études, à la
méthode utilisée (une analyse transversale) et au manque de précisions relatives
à la puissance explicative des analyses réalisées. Le premier modèle présenté
aboutit à des résultats surprenants : on s'attendrait à ce que le nombre
d'hospitalisations ait un impact positif et significatif sur la probabilité d'un
arrêt de travail, compte tenu de l'hébergement forcé. L'absence d'une telle
78 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
relation est sans doute liée au caractère concentré des dépenses d'hospitali-
sations, qui ont sans doute un impact plus important sur la durée des arrêts
de travail plutôt que sur leur fréquence. Le deuxième modèle est plus solide
et les résultats confirment les autres travaux des auteurs : en ajustant sur la
maladie, les patients qui bénéficient de médicaments plus récents sont moins
sujets à des limitations d'activité liées à leur maladie. Cependant, ce
deuxième modèle n'a pas ajusté pour les recours aux autres services de
santé, sans que ce choix ne soit justifié par l'auteur. Par ailleurs, la méthode
utilisée (agrégation des données par pathologie) ne permet pas de s'assurer
d'un biais éventuel de sélection.
En résumé, cette étude confirme les travaux précédents du même auteur.Moyennant les limites méthodologiques soulignées, elle montre que ledegré d'innovation médicamenteuse a aussi un impact sur la capacité desindividus à mener une activité normale et en particulier à travailler.
Lichtenberg FR. The impact of new drug launches on longevity: evidence fromlongitudinal, disease-level data from 52 countries. 2003 NBER Working Paper #9754, Cambridge, USA(publié dans International Journal of Health Care Finance and Economics5(1):47-53 )
L'objectif de l'étude est de montrer l'impact de l'innovation médicamenteuse
sur la longévité, en utilisant une méthode d'analyse transversale internationale.
Le principe de l'étude est d'expliquer une partie des gains de longévité
observée dans 52 pays par le poids des molécules récentes dans l'arsenal
thérapeutique.
Matériau et méthode
Il s'agit d'une étude transversale sur 52 pays pour lesquels l'auteur a recueilli,
d'une part, l'âge moyen au décès par cause de mortalité et, d'autre part, la
liste des médicaments commercialisés entre 1982 et 2000, en distinguant
nouvelles entités chimiques (NEC) et autres, ainsi que la date de leur lancement.
Les médicaments ont été reclassés par classe thérapeutique de façon à les
associer aux causes de décès. La variable d'intérêt est l'âge moyen au décès
par cause. La principale variable explicative est le nombre de molécules
commercialisées. Deux modèle sont testés : le premier avec seulement les
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 79
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
NEC, le deuxième avec toutes les molécules. Des co-variables par pays ayant
un impact sur la mortalité ont été introduites. Les modèles estimés sont en
fait des modèles à effets fixes : effet fixe par pays, effet fixe par pathologie et
par année. Le modèle fait l'hypothèse d'un effet retardé de la commercialisation
de nouvelles molécules et permet le test sur plusieurs périodes de décalage
(de 1 ans à 10 ans). Dans ce cas, la variable est le nombre cumulé de nouvelles
molécules sur la période de décalage choisie.
Résultats
Sur une augmentation moyenne de 1,96 année de la longévité de 1986 à 2000,
le lancement des NEC contribuerait à 0,79 année, soit près de 40%. Le gain le
plus important est obtenu pour les molécules qui ont été commercialisées
dans les trois années précédentes. L'impact des NEC est cependant très
différent d'un pays à l'autre et le nombre de NEC n'a qu'un pouvoir explicatif
réduit des différences de longévité entre pays. Les molécules qui ne sont pas
des NEC n'ont pas d'impact sur la longévité. L'impact est même négatif,
conditionnellement au stock de NEC. Une plus grande consommation de
molécules anciennes au détriment des NEC limite l'impact positif de ces
dernières et, par suite, a un impact négatif.
Discussion
Les limites de l'étude tiennent ici à celles de l'appariement des données
relatives aux molécules et aux données de mortalité, ainsi qu'à l'hypothèse
de l'existence d'effets fixes pays/pathologie/temps. Cette hypothèse se
substitue à la prise en compte dans le modèle de variables de contrôle pour
des facteurs ayant une influence sur la mortalité, comme par exemple la
richesse nationale. On ne dispose pas dans l'article publié de données sur le
pouvoir explicatif du modèle.
En résumé, dans cette étude, l'auteur réussit à mettre en évidence auniveau agrégé un lien entre l'innovation médicamenteuse et la longévité,ce qu'il n'avait pas réussi à faire auparavant. L'ordre de grandeur del'impact des nouvelles molécules est important, puisqu'il représente 40%du gain moyen de longévité observé dans tous les pays, mais il esthétérogène d'un pays à l'autre.
80 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Lichtenberg FR. Sources of US longevity increase, 1960-2002. 2004 TheQuarterly Review of Economics and Finance, 44:369-389.
L'article étudie la relation entre l'innovation médicale et les dépenses de
santé par habitant et la longévité de la population américaine, de 1960 à
2001. L'impact de la dépense de santé est décomposé en dépense publique
et dépense privée sur la même période.
Matériau et méthode
La longévité est mesurée par l'espérance de vie à la naissance qui provient
des données statistiques nationales. Les dépenses de santé per capita sont
tirées également des statistiques publiques et déflatées en dollars courants
(base 100 en 1982-1985). L'innovation médicale est mesurée uniquement par
le nombre annuel de nouvelles molécules mises sur le marché, tiré des
données publiées par la FDA.
Le modèle utilisé est un modèle log-log. La variable d'intérêt est le log de
l'espérance de vie à l'année t. Elle est fonction des dépenses de santé percapita à l'année t-1 et du nombre de molécules disponibles sur le marché à
l'année t. L'auteur introduit également la longévité à l'année t-1 comme
facteur régressif. Cette spécification découle d'une hypothèse d'un taux de
dépréciation constant du stock disponible des ressources du système de
soins. La spécification en log permet d'interpréter les résultats en termes
d'élasticité de la longévité en fonction de la variation de la dépense de santé
et du stock d'innovations médicales. La justification du décalage d'un an
entre longévité et dépenses de santé est la suivante : ceci permet d'éviter un
problème de causalité endogène, la longévité contribuant à augmenter les
dépenses de santé. Ce décalage n'est pas envisagé pour le stock d'innovations
médicamenteuses, alors que ceci aurait été possible.
Résultats
Compte tenu de l'auto-régression de l'espérance de vie, la part de variance
expliquée par les modèles est excellente et supérieure dans tous les cas à
0,99. Dans toutes les variantes explorées, il y a une relation hautement signi-
ficative entre le nombre de nouvelles molécules mises sur le marché une
année donnée, la dépense de santé publique per capita de l'année précédente
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 81
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
et la longévité. L'auteur ne trouve aucun lien entre PIB par tête, consommation
de cigarettes par tête et un test de tendance temporelle avec la longévité.
Les coefficients estimés permettent ensuite de calculer un rendement des
différents facteurs de production.
Une augmentation de 1% par an des dépenses publiques de santé par tête
conduirait à une augmentation de 4,3% de la longévité. En dollars 1982-1984,
la dépense moyenne par tête était de 545 $. Donc 1 $ supplémentaire corres-
pond à une augmentation relative de 0,18% de cette dépense, qui en retour
induirait une augmentation relative de 0,18% x 4,3% = 0,00008 de longévité,
soit pour une espérance de vie de 75 ans, une augmentation de 2,1 jours.
Rapportée à la population américaine, cette augmentation de 1 $ par an corres-
pondrait à une augmentation globale des dépenses de 224 millions de $ et de
23 245 années de vie. Le coût d'une année de vie gagnée serait donc de 9640 $.
Le même calcul est fait pour l'innovation médicamenteuse. Sont comptabilisées
en dépenses uniquement les dépenses de R&D moyennes pour une molécule,
estimées à 500 millions de $ dans l'article. En utilisant le même principe, on
aboutit à un coût de 926 $ par année de vie gagnée.
Discussion
Le modèle proposé présente les limites suivantes, malgré l'intérêt de ses
résultats. En premier lieu, la spécification d'un modèle autorégressif en log est
fondée sur l'hypothèse d'un taux constant de dépréciation du stock d'innovations
médicamenteuses et des dépenses passées de santé, ce que semblent
contredire les résultats du modèle, mais l'auteur n'approfondit pas ce point.
En deuxième lieu, on peut contester que la seule mesure de l'innovation médicale
soit celle de l'innovation médicamenteuse. Ce choix a été fait faute de disposer
de séries temporelles longues et cohérentes pour les autres innovations, dont
le rôle est de ce fait pris en compte dans les dépenses per capita.
Troisièmement, le coût de l'innovation médicale est réduit à la dépense de
R&D requise pour mettre les produits sur le marché, alors qu'il devrait inclure
aussi la rémunération du capital investi, c'est-à-dire la dépense de médicaments
par tête per se. Par ailleurs, il serait plus exact de calculer ce coût lié à la
consommation de médicaments en incluant le coût de sa prescription : celle-ci
est l'aboutissement d'un travail de diagnostic réalisé par le médecin, sans
lequel le médicament ne serait pas prescrit. Autrement dit, il faudrait ré-imputer
82 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
une partie de la dépense de santé par tête (notamment les honoraires des
consultations) à la dépense de médicaments pour calculer son rendement. Le
fait que le PIB n'apparaisse pas comme une variable explicative est normal,
puisque la progression du PIB par tête est fortement corrélée avec la dépense
de santé. En revanche, il aurait été intéressant d'intégrer d'autres variables
explicatives portant sur des facteurs ayant un impact sur la santé dans le
modèle, notamment des dépenses sur la santé de la population.
En résumé, cette étude apporte un éclairage intéressant sur la contributiondes dépenses de santé à l'amélioration de la longévité au cours du temps.En effet, elle permet de mesurer un rendement moyen en termes de lon-gévité de cette dépense. Le coût en dépense publique par année de viegagnée serait d'environ 10 000 $, ce qui donne une indication précieusesur le coût d'opportunité de la dépense de santé par rapport à celle d'autressecteurs de l'action publique. Enfin, l'étude propose un cadre méthodologiquequi pourrait être répliqué facilement dans d'autres pays, compte tenu dela nature des données requises.
Yang Z, Gilleksie D, Norton E. Prescriptiopn drugs, medical care, and healthoutcomes: a model of elderly health dynamics. 2004 NBER Working Paper #10964, Cambridge, USA
L'objectif de l'article est d'estimer l'impact sur l'état de santé et les dépenses
de l'extension du programme Medicare à la couverture des dépenses de
médicaments décidée par le Congrès américain en 2003. L'intérêt de l'étude
pour notre propos est l'estimation faite par les auteurs de l'impact de cette
couverture étendue sur la santé des bénéficiaires.
Méthode
L'étude est fondée sur le développement d'un modèle complexe visant à
simuler sur cinq ans la consommation de soins des bénéficiaires de Medicare et
leur état de santé, suite à l'extension de la couverture des dépenses de médi-
caments. Le modèle se propose d'identifier et de quantifier les effets suivants :
- en premier lieu, l'extension de la couverture devrait se traduire par
une augmentation de la consommation pour les bénéficiaires qui n'étaient
pas couverts jusqu'alors ou jusqu'à présent ;
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 83
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
- cette extension peut avoir des effets contradictoires sur le recours
aux autres services de santé ; elle peut augmenter dans un premier temps le
recours aux médecins, pour pouvoir bénéficier de prescriptions nouvelles
(effet rattrapage), mais cet effet peut s'atténuer au cours du temps. En même
temps, la prescription de médicaments nouveaux pour les patients pourrait se
traduire par une surveillance intensive ;
- la consommation supplémentaire de médicaments peut réduire le
recours à l'hôpital, certaines études antérieures ayant montré qu'une restriction
de l'accès à certains médicaments s'était traduite par une augmentation de
la morbidité et des incapacités fonctionnelles requérant un hébergement
médicalisé ; mais les médicaments peuvent aussi requérir une surveillance
plus intensive avec recours accru à l'hôpital ;
- l'accès aux médicaments peut se traduire par une amélioration de
l'état de santé des patients et donc un moindre recours aux soins ; mais en
améliorant la longévité, elle augmente le nombre de patients bénéficiaires de
Medicare et donc les dépenses totales. Par ailleurs, si les patients survivent
mais dans un état de santé dégradé, les dépenses de santé augmenteront.
Le modèle se propose de prendre en compte tous ces effets.
Résultats
Pour notre propos, les résultats essentiels de l'étude sont les suivants.Les auteurs prédisent effectivement une consommation accrue de médi-caments, comprise en 12 et 17%. En revanche, l'extension de la couverturea très peu d'effets sur le recours à l'hôpital et augmente légèrement lerecours aux médecins de ville. La morbi-mortalité des assurés s'améliore.
Lichtenberg FR. The impact of new laboratory procedures and other medicalinnovations on the health of Americans, 1990-2003: evidence from longitudinaldisease-level data. 2006 NBER Working Paper # 12120, Cambridge, USA
L'objectif de l'étude est de tester l'hypothèse d'un impact positif de cinq types
d'innovation en santé sur la mortalité et sur l'incapacité, mesurée par la capa-
cité à travailler et le nombre de jours confinés au lit sur une période donnée.
Les cinq types étudiés sont les examens de laboratoire, les médicaments
prescrits en ambulatoire, les médicaments prescrits à l'hôpital, les actes chi-
rurgicaux et les actes d'imagerie.
84 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Matériau et méthode
Dans l'étude sur la mortalité, la variable d'intérêt est l'âge moyen au décès par
cause. Les modèles estimés analysent la variation de cet âge moyen sur la
période 1990-1998. Les données d'incapacité sont, pour chaque cause de maladie,
la fréquence des patients qui ont eu au moins un arrêt de travail et la fréquence
des patients qui ont été confinés au lit pendant la période d'enquête.
La période d'étude va de 1996 à 2003. Dans les deux études, la mortalité et
l'incapacité sont mesurées en début et en fin de période.
L'innovation est mesurée par la part relative prise par des traitements apparus
après 1990 sur l'ensemble des traitements reçus par les patients. L'auteur utilise
des bases de données existantes pour estimer ces fréquences. Ces dernières
sont mesurées par cause. Pour les médicaments, l'auteur utilise les données
de dates de commercialisation des nouvelles molécules fournies par la FDA.
Pour les autres actes, l'auteur repère dans les nomenclatures d'actes servant
à établir les tarifs des honoraires médicaux les intitulés apparus après 1990,
en excluant les actes dont le libellé est nouveau ou plus détaillé. L'unité de
base de l'analyse est la pathologie.
Les modèles sont estimés par la méthode des moindres carrés, en pondérant
les observations par le poids des différentes causes de morbi-mortalité.
L'auteur teste plusieurs méthodes d'ajustement. En particulier, compte tenu
du poids particulier du HIV, il teste les relations existantes entre mortalité et
innovation avec et sans les traitements et méthodes de diagnostic afférentes.
Par ailleurs, les modèles sont estimés en ajustant ou non sur la longévité en
début de période.
Résultats
On présente ici uniquement les résultats de l'ajustement réalisé sur la longévité
en 1990 et sans les malades atteints du HIV. La seule variable qui a un impact
significatif et positif sur la longévité est le degré d'innovation des médicaments
prescrits en ambulatoire. L'innovation médicamenteuse aurait induit une
augmentation de 0,31 année, par rapport à une augmentation moyenne de la
longévité de 1,18 année, soit 25%. Le coefficient relatif aux examens de labo-
ratoire est à la limite de la signification (0,056). Le coefficient négatif de l'âge
moyen en début de période suggère un effet de régression vers la moyenne
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 85
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
de la mortalité inter-causes : l'augmentation de la longévité serait d'autant
plus faible qu'elle est élevée en début de période. Si tel est le cas, il est
possible que le modèle sous-estime l'impact des innovations, à cause d'une
corrélation entre gravité de la maladie et innovations : plus la maladie est
grave, plus elle va bénéficier d'un effort d'innovations.
Les résultats portant sur l'incapacité sont plus décevants. Aucun type d'inno-
vations n'a d'impact sur la fréquence des arrêts de travail et la fréquence du
confinement au lit sur la période d'étude. Seule l'innovation chirurgicale a un
impact significatif, mais tend à augmenter la fréquence des patients ayant eu
au moins un arrêt de travail sur la période d'étude.
Discussion
Contrairement aux autres modèles développés par cet auteur, cette étude utilise
une approche longitudinale par pathologie pour estimer l'impact des innovations
sur des résultats de santé. Dans la publication, la puissance explicative des
modèles n'est pas précisée, ce qui limite la possibilité d'en valider les résultats.
Le seul résultat conforme à ceux des autres études transversales est celui de
l'impact de l'innovation médicamenteuse sur la longévité. Ces deux études
longitudinales présentent deux limites importantes. La première concerne la
mesure de l'innovation non médicamenteuse, moins précise que celle portant
sur les médicaments. La deuxième porte sur le petit nombre de variables
d'ajustement dans les deux modèles, permettant de connaître la contribution
d'autres facteurs à l'allongement de la vie.
En résumé, cette étude, moins complète que les précédentes, confirme néanmoins
des résultats déjà obtenus concernant l'impact de l'innovation médicamenteuse
sur la longévité. En revanche, cette tentative ne permet pas de conclure sur
l'impact d'autres innovations en santé.
Lichtenberg FR. Pharmaceutical innovation and US cancer survival in the 1990s:evidence from linked SEER-MEDISTAT data. 2006 NBER, Cambridge, USA
L'objectif de l'étude est de tester l'hypothèse de l'impact de l'innovation médi-
camenteuse dans le domaine du cancer sur la mortalité aux Etats-Unis.
L'étude intègre également le rôle de l'innovation dans le domaine de la chirurgie
et de la radiothérapie.
86 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Matériau et méthode
L'auteur dispose de données, d'une part, de mortalité par localisation cancé-
reuse, d'autre part, de recours aux traitements médicamenteux, chirurgicaux,
de radiodiagnostic et de radiothérapie. Ces sources ne portent cependant
pas sur les mêmes patients, ce qui le conduit à travailler sur la localisation
cancéreuse ajustée ou non sur son stade : l'hypothèse testée est que le degré
moyen d'innovations pour une localisation a un effet sur la survie moyenne
pour celle-ci. La caractérisation de l'innovation est la même que celle adoptée
dans d'autres études similaires : c'est la part des traitements apparus après
1990 dans ceux mis en œuvre entre 1992 et 2003. Dans son modèle de base,
il contrôle la progression de la survie dans la population générale, hors
patients décédés pour cancer. En fait, il mesure l'augmentation relative de
survie des patients cancéreux par rapport aux autres patients. Il utilise deux
techniques différentes d'estimation, un modèle probit et une régression par
la méthode des moindres carrés avec pondération par le poids de la localisation
dans l'ensemble des cancers. Le modèle estime le log de la survie. A nouveau,
plusieurs variantes sont estimées, pour tester la sensibilité des résultats à la
prise en compte de différentes variables d'ajustement. En particulier,
l'ajustement sur les stades de cancer pose le problème de l'évolution des
techniques de diagnostic sur la période, se traduisant éventuellement par des
prises en charge plus précoces ou traitements plus adaptés. Enfin, trois
mesures différentes de la survie ont été utilisées : la survie à 1, 2 et 3 ans. Le
modèle postule un effet fixe centre et un effet fixe année. De ce fait, le résultat
trouvé s'interprète de la façon suivante : la localisation cancéreuse qui aurait
connu le plus fort taux d'innovation est aussi celle qui aurait connu la plus
forte augmentation relative de la survie.
Résultats
Pour information, le pourcentage de médicaments post-1990 est passé sur
l'échantillon de 9% en 1992 à 33% en 2003, traduisant une forte progression des
innovations sur la période. Quelle que soit la spécification du modèle adopté,
la progression du taux d'innovation médicamenteuse est associée significati-
vement à une amélioration du taux de survie relatif (comparé à la mortalité pour
d'autres causes). En revanche, la progression des innovations en chirurgie et
en radiodiagnostic n'a pas d'impact significatif sur la survie. Seule l'innovation
en radiothérapie a un impact significatif sur le taux de survie à deux ans.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 87
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Le gain relatif est le suivant. Avec le modèle probit, la progression du taux
d'innovations médicamenteuses se traduit par une augmentation de la survie
relative qui varie suivant les variables de contrôle utilisées de 26% à 39% en un
an, de 14% à 37% en deux ans, et de 12% à 20 % en trois ans. Une progression
observée de 20% du taux de médicaments nouveaux se traduirait donc, en un
an, par une amélioration relative de la survie pour cancer de 26% à 39%. Avec
le modèle log, les résultats obtenus sont plus importants : par exemple, entre
77% et 121% en un an. Autrement dit, si on prend la limite supérieure de l'estima-
tion trouvée, la progression des innovations médicamenteuses se traduirait
par un gain de survie en un an de 1,21 fois le gain de survie des patients qui
ne sont pas atteints de cancer. En moyenne sur toutes les estimations, le gain de
survie relatif serait de 44%. L'auteur ne donne cependant pas d'estimations
du nombre total d'années de vie gagnées.
Discussion
Le principal biais de l'étude présentée par l'auteur tient à la base de données
permettant d'estimer les recours aux soins durant la période d'étude : celle-ci
n'apparaît pas représentative de la prise en charge des cancers au niveau
national. L'auteur estime que ce biais aurait conduit à sous-estimer les bénéfices
de l'innovation, mais ce point est peu argumenté. La deuxième limite tient à
l'ajustement sur le stade des cancers. La troisième limite tient comme dans
d'autres études aux erreurs de mesure de l'innovation non médicamenteuse.
Cependant, l'absence d'effet de l'innovation hors médicament sur la période peut
s'expliquer par le faible taux d'innovations mesuré sur la période, par contraste
avec les innovations médicamenteuses. Par ailleurs, dans le cas du cancer, on peut
discuter du choix de mesurer de façon indépendante l'impact des différentes
modalités de traitement : chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, alors que
ces trois modalités sont souvent associées. La publication n'indique pas la
valeur explicative des estimations réalisées, ce qui ne permet pas de juger de
la puissance de l'analyse explicative. L'étude suggère néanmoins que les progrès
ont été essentiellement réalisés dans le domaine de la chimiothérapie.
En résumé, cette étude montre de façon solide un réel impact agrégé del'innovation médicamenteuse sur la survie des patients atteints d'un cancer.Cette amélioration est relative à celle des autres patients non cancéreux,ce qui signifie que les patients cancéreux ont à la fois bénéficié des progrèsde survie de l'ensemble de la population et des bénéfices de l'innovation.
88 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Lichtenberg FR. Why has longevity increased faster in some states than others?2007 NBER, Cambridge, USA
L'objectif de cet article est d'expliquer les différences de progrès de longévité,
de productivité du travail salarié et des dépenses de santé par tête entre les
Etats américains, entre 1992 et 2004. Le modèle conceptuel adopté inclut les
variables explicatives suivantes :
- le millésime moyen des médicaments prescrits en ambulatoire par
les programmes Medicaid ;
- le millésime moyen des médicaments prescrits en milieu hospitalier
dans le cadre du programme Medicare ;
- la prévalence des patients HIV, des patients obèses et du tabagisme ;
- le revenu moyen par tête et le niveau moyen d'éducation ;
- le taux de couverture par une assurance maladie ;
- un effet fixe Etat et un effet fixe année.
Matériau et méthode
On ne détaillera pas ici les différentes sources utilisées pour construire les
données par Etat et par année. La mesure du millésime moyen des médicaments
est la moyenne de l'âge de chaque molécule présente sur une prescription
pondérée par la fréquence des prescriptions comportant cette molécule. Les
modèles sont estimés par la méthode des moindres carrés avec pondération
des variables par Etat par la population de l'Etat. Comme on l'a dit plus haut,
quatre variables d'intérêt ont été retenues :
- l'espérance de vie à la naissance dans chaque Etat et pour chaque
année ;
- l'espérance de vie à 65 ans dans chaque Etat et pour chaque année ;
- la productivité moyenne par salarié, mesurée par le PIB de chaque
Etat par le nombre d'emplois ;
- les dépenses de médicaments par tête, par Etat et par an, et les
dépenses totales de santé, par Etat, par tête et par an.
Les différences d'incidence des pathologies entre les Etats ont été contrôlées
par la distribution de la prescription des médicaments entre les différentes
classes thérapeutiques. L'utilisation de cette mesure indirecte fait l'objet
d'une discussion dans le texte, car les différences observées entre Etats peuvent
autant signaler des différences de morbidité, que des différences de pratiques
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 89
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
médicales et de recours aux soins. Compte tenu de l'imperfection de la
méthode, l'auteur utilise la prévalence du HIV comme index de la gravité relative
de l'état de santé de la population des Etats. Par ailleurs, l'auteur fait l'hypo-
thèse que les changements de millésime se font à l'intérieur d'une classe,
sans transfert d'une classe à l'autre, et que ces distributions se modifient peu
au cours du temps.
Résultats
Les variations de millésime pour les médicaments prescrits et couverts par
Medicaid et Medicare ont toutes les deux un impact positif sur l'accroissement
de longévité. Toutes choses égales par ailleurs, les Etats dans lesquels le
millésime des médicaments a le plus augmenté (part prise par les médicaments
les plus récents) sont ceux qui ont vu leur longévité progresser le plus. La pré-
sence d'une forte prévalence du HIV, de l'obésité et du tabagisme a un impact
péjoratif sur la longévité. Les Etats qui ont eu une forte croissance de leur
revenu sont aussi ceux pour lesquels la longévité a augmenté le moins, ce qui
signalerait un rendement décroissant d'un effet richesse. L'augmentation du
millésime des médicaments prescrits sur la période aurait contribué à une
augmentation moyenne de la longévité dans tous les Etats de 2,43 années,
qui représenterait 63% de l'augmentation totale de l'espérance de vie. Cette
contribution à l'augmentation de la longévité était de 1,19 année sur
2,15 années (55%) pour les patients âgés de 65 ans et plus. Les différences
de millésime entre Etats ont un pouvoir explicatif plus faible des différences
de longévité que les évolutions temporelles.
Le degré d'innovation des médicaments a aussi un impact positif sur la
productivité des salariés : l'augmentation du millésime (rajeunissement de la
gamme) sur toute la période s'est traduite par une augmentation moyenne
annuelle de 1% de la productivité du travail.
Les variations temporelles du niveau d'éducation et les taux de couverture
par une assurance maladie n'ont pas d'impact sur la longévité. Finalement,
l'augmentation du millésime augment le coût par tête des dépenses de médi-
caments, à hauteur de 3,5% par an et par année de millésime gagnée. Mais il
n'y a pas d'impact sur les dépenses totales de santé par tête, suggérant qu'il
y a compensation de l'augmentation des médicaments sur les autres dépenses
de soins.
90 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Discussion
Dans cette publication, contrairement aux autres, l'auteur ne dispose pas
d'une mesure du degré d'innovation des médicaments sur l'ensemble de la
population, mais seulement sur les assurés par Medicare et les programmes
Medicaid. Même si ces programmes représentent environ 45% du total des
dépenses de santé, l'inclusion des autres prescriptions pourrait modifier les
résultats obtenus. Par ailleurs, le contrôle des changements intervenus dans
les causes de morbidité au sein de chaque Etat est fait de façon indirecte, par
le nombre de prescriptions par classe thérapeutique. Enfin, à nouveau, on ne
connaît pas le pouvoir explicatif des ajustements réalisés.
En résumé, on retrouve dans cette étude des résultats déjà publiés par lemême auteur sur l'impact positif des dépenses de médicaments et, surtout,de leur caractère innovant, sur la longévité, la productivité au travail etsur l'ensemble des dépenses de santé. Ces résultats sont acquis avec lesmêmes limites méthodologiques que dans les autres travaux.
Lichtenberg FR, Jonsson B, Wilking N. Pharmaceutical innovation and cancersurvival. 2007, Communication, IHEA 6th Congress in Health Economics,Copenhaguen.
On ne dispose pour cette étude que de la communication orale présentée au
Congrès de l'IHEA en 2007. On ne présentera ici que les résultats de ce
travail. L'auteur a analysé trois études dont l'objectif principal était d'estimer
la part de l'augmentation de la survie pour les patients cancéreux expliqué
par l'apparition de nouvelles molécules. La première étude a déjà fait l'objet
d'une analyse dans ce rapport.
La deuxième étude analyse la survie à cinq ans par localisation cancéreuse
dans cinq pays : la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni,
en 2002. L'auteur montre que la part des médicaments mis sur le marché
après 1985 a un impact positif et significatif sur la survie à 1 an et à 5 ans.
Les différences inter pays en termes de part de ces médicaments expli-
quaient entre 14% et 19% des différences de taux de survie, après ajustement
pour les différences de fréquence des localisations cancéreuses.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 91
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
La troisième étude analyse l'impact de la même variable (avec ajustement sur
d'autres variables) sur le taux global de mortalité par cancer dans vingt pays,
sur la période 1995-2003. L'étude montre que les pays pour lesquels la part
de médicaments innovants était la plus importante étaient ceux qui avaient le
plus fort déclin du taux de mortalité. Un « rajeunissement » de 10 ans du millésime
des médicaments diminuait le taux de mortalité par cancer de 5,9%, après
ajustement sur la croissance de la richesse nationale. Le « rajeunissement »
des médicaments expliquait 30% de la baisse du taux de mortalité.
Legg RF & al. Cost benefit of Sumatriptan to an employer, 1997.(publié dans Journal of occupational and environmental medicine, 199739(7):652-657)
Cette étude s'intéresse à l'une des pathologies les plus fréquentes : la
migraine. Sa prévalence, aux Etats-Unis, varie entre 5,3% et 19% chez les
hommes, et 11% et 29% chez les femmes. La tranche d'âge la plus touchée est
celle des 35-45 ans.
Les conséquences de la migraine sont notamment une baisse de productivité
au travail, et des jours d'arrêt maladie. De plus, il s'agit souvent d'une patho-
logie que les patients détectent et soignent eux-mêmes, ce qui conduit à des
résultats peu fiables d'un point de vue statistique.
Les auteurs proposent ici d'étudier l'impact économique d'un médicament
contre la migraine (le sumatriptan) sur la productivité.
Matériau et méthode
L'étude se base sur un échantillon de patients issus d'une population de 58 000
individus ayant souscrit au plan Qual-Med Health Plan, propriété de Health
Systems International, qui fournit une assurance maladie à 1 million et demi
d'Américains. Les 220 patients retenus dans un premier temps ont été identifiés
comme ayant reçu une injection de sumatriptan (la formule orale n'existait
pas au moment de l'étude) durant l'année 1994. De plus, pour être inclus dans
l'étude, les patients devaient avoir plus de 18 ans et avoir déclaré souffrir de
migraines.
Les individus sélectionnés ont été sondés par téléphone, en deux temps : une
première fois avant le traitement, une seconde fois après, et ce afin de mesurer
les changements en termes de perte de productivité. Lors du sondage, il était
92 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
demandé aux patients de décrire leur niveau de productivité pendant et avant
le traitement, mais aussi l'impact de la pathologie sur leur temps de loisir,
étant donné qu'il est considéré qu'un temps de loisir réduit a un impact négatif
sur la productivité.
Résultats
17 des 220 patients ont été exclus de l'étude, car ils ne satisfaisaient pas à
tous les critères précisés précédemment. Parmi les 203 restants, 168 ont pu
être joints au téléphone, et 164 ont accepté de répondre, pour un taux final
de participation de 81%.
L'âge moyen des répondants est de 44 ans, très majoritairement des femmes
(91%). 61,6% des répondants travaillent à temps plein hors de leur domicile,
pour 17,2% des employés à temps partiel. Un patient a précisé être dans
l'impossibilité totale de travailler à cause de ses migraines.
Pour les patients travaillant à temps plein hors de leur domicile, l'usage de
sumatriptan a conduit à une baisse de 71% du nombre de jours de travail
manqués par mois, plus précisément une baisse de 2,75 ± 3,03 jours à
0,8 ± 1,64 jour. Concernant le nombre de jours travaillés en présence des
symptômes, les patients ont déclaré une évolution de 6,0 ± 7,32 jours (avant
le traitement) à 4,76 ± 8,40 jours après, soit une baisse de 20,6% (notons
toutefois que le test statistique utilisé n'est pas valide au seuil de 5%,
seulement à 9%). Au final, la productivité (telle que reportée par les patients)
a augmenté de 85%.
Concernant les coûts de ces pertes de productivité, on estime qu'ils sont passés
de 681 $ ± 714 $ à 246 $ ± 522 $, soit une réduction de 64%. Cela représente
un bénéfice net mensuel de 435 $ par employé à temps plein, sans compter
le coût du médicament, qui sera abordé ci-dessous.
Le taux d'utilisation du sumatriptan est passé de 0 (avant le traitement) à
0,73 ± 0,82 prescription par mois. Le coût moyen d'administration du suma-
triptan par prescription (2 injections) est estimé à 60 $, sans tenir compte du
co-paiement à la charge du patient. Le coût par utilisateur est estimé à
43,78$ par mois.
Le sumatriptan coûte donc 43,78 $ par mois, mais engendre un bénéfice de
435 sur cette même période. Cela représente donc un ratio coût/bénéfice
d'environ 1/10, ou encore un bénéfice net de 391 $.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 93
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Du point de vue des employeurs, l'utilisation d'injections de sumatriptan diminue
les coûts liés au temps de travail perdu. Il paraît à cet égard important de
prendre conscience que diminuer les dépenses de santé peut être moins
important qu'en optimiser les conséquences, surtout dans le cas de pathologies
ayant une forte influence sur la productivité, comme la migraine.
Discussion
Dans cette étude, l'auteur obtient des résultats qui vont dans le sens d'un effet
bénéfique du sumatriptan sur la migraine et sur la productivité des individus.
Toutefois, les intervalles de confiance fournis recouvrent quasiment tous la
valeur zéro, ce qui doit inciter à la plus grande prudence dans l'interprétation
des résultats.
Bertram Häussler & al. The impact of pharmaceuticals on the decline of cardio-vascular mortality in Germany, 2007.(publié dans Journal Pharmacoepidemiology and drug safety, 2007 ; 16 : 1167-1176)
L'étude se base sur des données allemandes. Les auteurs observent dans
quelle mesure la mortalité due à des troubles cardiovasculaires a été affectée
par les interventions médicales au cours des 30 dernières années. Il s'agit
surtout d'estimer l'impact des nouveaux médicaments et des actes chirurgicaux.
Matériau et méthode
Une analyse de séries temporelles a été effectuée. Pour davantage de fiabilité
dans les résultats, l'analyse a été restreinte aux maladies cardiovasculaires
chroniques pour lesquelles de nouveaux médicaments ont été développés au
cours des 30 dernières années. Les auteurs ont examiné dans quelle mesure
les nouveaux médicaments ont modifié la mortalité des maladies concernées.
Plusieurs autres facteurs pouvant avoir un effet, comme le développement
des conditions socioéconomiques, les politiques de prévention, l'hygiène de vie
et les interventions non pharmaceutiques, ont été inclus dans l'étude. Leurs
effets sur la mortalité seront estimés par des modèles de régression linéaire.
Les données pharmaceutiques sont celles de la période 1968-2001, uniquement
pour l'ex-Allemagne de l'Ouest, seule zone pour laquelle des données complètes
94 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
sont disponibles. Concernant les données de style de vie, elles ont été
observées sur une plus longue période, à savoir 1950-2001.
Plutôt que d'utiliser les taux de mortalité classiques, les auteurs ont calculé
les DMDR (Direct Method Death Rates), séparément pour les maladies
cardiovasculaires et hors cardiovasculaires, ce qui permet de tenir compte
des évolutions démographiques au cours de la période. Puis, les séries tem-
porelles des DMDR ont été différenciées à l'ordre 1, afin de distinguer les
effets à court et moyen termes des effets à long terme. En outre, on choisit
comme variable dépendante une mesure qui reflète, non pas directement
l'évolution de la mortalité dues aux maladies cardiovasculaires, mais plutôt la
façon dont l'évolution de cette mortalité (symbolisée par les différences
premières) diffère de celle de la mortalité pour des causes hors cardiovas-
culaires. Cette soustraction de différences premières est appelée « et firstdifference » ou NFD. Cette méthode a permis de se concentrer sur les effets
qui étaient spécifiquement responsables d'un développement de la mortalité
cardiovasculaire différent decelui de la mortalité hors cause cardiovasculaire.
Ainsi, furent exclus les effets entraînant une baisse globale de la mortalité,
parmi lesquels on s'attend notamment à retrouver les améliorations socioé-
conomiques. Les variables explicatives incluent l'utilisation de médicaments
appartenant à des classes dont l'introduction a mené à une chute de la
mortalité pour causes cardiovasculaires. Pour mesurer l'hygiène de vie, des
données de consommation ont été agrégées en un « indice de comportement
préventif » (noté PBI) pour tenter de modéliser (de façon forcément approxi-
mative) la réalité à l'aide d'une unique mesure. Cet indice agrège un certain
nombre de variables liées à la consommation de produits jugés bons pour la
santé (fruits, produits ne contenant pas d'acides gras saturés) et de produits
néfastes (tabac, alcool, produits contenant des acides gras saturés). En agrégeant
ces diverses variables, leurs effets individuels ne pourront pas être quantifiés,
mais cela n'est de toute façon pas l'objectif de l'étude. Il y a également un risque
de sur-simplifier un problème en réalité complexe.
Des analyses préliminaires montrent de fortes colinéarités entre les densités
de traitement dans les diverses classes de médicaments. Par conséquent,
toutes les classes ne pourront pas être utilisées dans une même équation. On
résout ce problème à l'aide de deux méthodes différentes :
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 95
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
- Dans la première méthode, on transforme toutes les densités en variables
dummy. Ces dernières indiquent si l'utilisation d'un médicament a augmenté
(vitesse de propagation), ou bien encore si cette augmentation est en baisse
(accélération de propagation).
- Un second modèle est établi pour estimer quantitativement l'impact
des interventions. De telles estimations ont été réalisées pour deux phases
distinctes :
- phase I : introduction des diurétiques et des bêta-bloquants,
- phase II : introduction des agents anti-thrombotiques, des calcium-
bloqueurs, des inhibiteurs ECA, des inhibiteurs CSE et des antagonistes
angiotensines II.
Pour chacune des phases, on a commencé par aditionner les quantités des
médicaments concernés, puis on a différencié les séries obtenues à l'ordre un.
Pour la phase I, on modélise le NFD par les différences premières du PBI et
des médicaments concernés par la phase. On utilise ensuite ce modèle pour
prédire les valeurs du NFD durant la phase II. Cette prédiction représente la
mortalité due à des pathologies cardiovasculaires, à supposer qu'il n'y ait pas
eu d'autres influences sur la mortalité que celles des médicaments de phase I.
Autrement dit, on fait l'hypothèse qu'il n'y a eu aucune innovation durant la
phase II.
Résultats
Taux des causes de mortalitéLa mortalité de la population allemande a fortement chuté sur la période
d'étude. Pour les maladies cardiovasculaires, le DMDR a chuté de 731 en
1968 à 395 en 2001 (46%). Pour les autres causes, la réduction a été de 42%
(de 1121 à 648). Ainsi, la proportion de décès dus à des causes cardiovas-
culaires a chuté de 40 à 38% sur la période d'étude. L'évolution de la différence
entre les deux DMDR permet d'identifier deux phases : durant la première, qui
dure jusqu'à 1984, l'évolution des mortalités est en faveur des maladies hors
cardiovasculaires. Mais après 1984, cette tendance s'inverse.
MédicamentsPour toutes les classes de médicaments étudiées, on observe, quelques
temps après la mise sur le marché, une croissance rapide qui s'atténue par la
96 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
suite. En général, la croissance d'une classe de médicaments est provoquée
par l'arrivée d'un nouveau médicament de cette classe.
Interventions chirurgicalesIntroduites à la fin des années 1960, elles ont connu une hausse lente
jusqu'au milieu des années 1980, avant de connaître une croissance rapide qui
n'a ralenti qu'en 1997. Cette forte hausse est notamment venue des nouvelles
possibilités de traiter des personnes âgées.
Facteurs de style de vieL'indice de prévention (PBI), qui était élevé en 1950, a progressivement chuté
pour atteindre son minimum en 1970, minimum auquel il a stagné jusqu'au
début des années 1980. Les causes majeures étaient l'augmentation de la
consommation de tabac, alcool, beurre et viandes.
L'indice a par la suite progressivement augmenté jusqu'à atteindre, en 2000,
le niveau auquel il se situait 50 ans auparavant et ce grâce à une consommation
accrue de fruits, légumes, huiles végétales et poissons.
On notera que la remontée de l'indice, au début des années 1980, a coïncidé
avec la période où les comportements à risque et leurs effets sur le cœur
commençaient à être connus du grand public, par diverses campagnes de
sensibilisation. L'encouragement à faire une activité physique, s'il n'a pas été
mesuré ici, a certainement contribué lui aussi à cette amélioration.
Modèles de régressionLe premier modèle analyse l'effet sur la mortalité des comportements préventifs
d'une part, et d'autre part de l'apparition des classes thérapeutiques étudiées.
Le meilleur ajustement est obtenu pour un effet différé des comportements
préventifs de 12 ans. Autrement dit, les changements de comportement de la
population ont un effet maximal douze ans plus tard. Dans ce même modèle,
le coefficient du comportement préventif est de -8,3, soit un effet au moins
5,5 fois plus important que ceux des autres variables mesurant l'apparition
des innovations médicamenteuses. Parmi celles-ci, les traitements anti-
thrombotiques sont l'effet les plus importants, (-1,5) suivis par les traitements
de l'hypertension qui ont tous un coefficient autour de 1. Leur effet étant indé-
pendant, la prise en charge de l'hypertension par des médicaments innovants
apparaît comme le deuxième facteur explicatif de la diminution relative de la
mortalité cardiovasculaire, avec un coefficient global de - 5,3. Le coefficient
de l'angioplastie de -0,6 est significatif..
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 97
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Le modèle en deux phases analyse la relation entre le volume de consommation
des innovations identifiées précédemment et les progrès de longévité.La première
phase porte sur la période d'apparition d'une première vague de médica-
ments innovants, les diurétiques et les bêta-bloquants, et inclut l'analyse des
effets des comportements préventifs. Les comportements préventifs ont un
effet deux fois supérieur aux innovations thérapeutiques (613,1 contre 6,5)
mais les deux coefficients sont hautement significatifs. Le modèle portant sur
la deuxième phase de diffusion des innovations, incluant l'angioplastie, les
pontages et les autres classes thérapeutiques, considère comme acquis les
bénéfices de la première phase. Les bénéfices du pontage et de l'angioplastie
sont alors supérieurs à ceux des innovations médicamenteuses de la
deuxième phase, les anti-thrombotiques, les inhibiteurs de canal calciques et
les IEC (-9,9 contre -6,9). Il convient cependant de remarquer que les bénéfices
de l'angioplastie et du pontage ne sont pas indépendants de l'utilisation
d'anti-thrombotiques efficaces.
Discussion
L'auteur utilise ici deux approches statistiques, en ajoutant aux modèles
classiques de régression des indicateurs de mortalité issus de séries temporelles,
différant en cela des études plus conventionnelles proposées par Frank
Lichtenberg. Il accorde également beaucoup d'importance aux notions de
comportement à risque et de prévention. Au final, il parvient à montrer que
l'introduction de certaines classes de médicaments a eu un impact significatif
et bénéfique sur la mortalité.
Simon Capewell & al. Contribution of modern cardiovascular treatment and riskfactor changes to the decline in coronary heart disease mortality in Scotlandbetween 1975 and 1994 (publié dans Heart, 1999; 81: 380-386)
Depuis le milieu des années 1960, les taux de mortalité des suites de mala-
dies coronariennes ont chuté de moitié. Plusieurs études suggèrent que cette
baisse est du fait de la baisse du risque coronarien, tandis que le progrès
médical se voit attribuer environ 40% de cette baisse. Certaines études vont
même jusqu'à annoncer que la chute de mortalité est à 80% attribuable à des
changements favorables au niveau des facteurs de risque. Pourtant, il a été
montré que beaucoup de thérapies (thrombolytiques, aspirines, statines...)
réduisent la mortalité.
98 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Récemment, des méta-analyses, ainsi que plusieurs enquêtes menées
notamment au Royaume-Uni, ont fourni des données importantes sur la
consommation de médicaments, données qui ont permis de réévaluer plus
précisément la contribution des traitements cardiologiques à la baisse de la
mortalité.
Matériau et méthode
Le nombre de décès attendus en 1994, dans le cas où il n'y aurait eu aucun
changement de mortalité par classe d'âge depuis 1975, a été calculé par stan-
dardisation indirecte sur l'âge. Cela signifie que les taux de mortalité par
classe d'âge observés en 1975 ont été appliqués à la population de 1994.
Puis, on a soustrait aux résultats obtenus la mortalité réelle en 1994, pour
obtenir la chute de mortalité entre 1975 et 1994.
Sept traitements ont été considérés pour l'étude :
- traitements initiaux de l'infarctus du myocarde : réanimation cardio-
pulmonaire pré-hospitalière, réanimation hospitalière, aspirine, traitement
thrombolytique, bêta-bloquants par intraveineuse, inhibiteurs ACE ;
- prévention secondaire, faisant suite à un infarctus : traitement à
base d'aspirine, bêta-bloquants, warfarine, rééducation, etc. ;
- prévention secondaire faisant suite à une angioplastie ou une inter-
vention chirurgicale. Traitements identiques :
- traitement hospitalier de l'angine : aspirine, héparine, angioplastie
coronarienne ;
- aspirine pour les patients souffrant d'angine ;
- traitement de défaillances cardiaques à l'aide d'inhibiteurs ACE ;
- traitement de l'hypertension.
Impact des évolutions des facteurs de risque
Les modifications des prévalences des risques mesurables, incluant le tabagisme,
le cholestérol, la pression sanguine, ont été obtenues via divers sondages et
études épidémiologiques. Leur contribution à la chute de mortalité entre 1975
et 1994 a été calculée en prenant la moyenne de deux résultats obtenus avec
deux méthodes distinctes :
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 99
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
- La première est une régression linéaire, donnant lieu à un coefficient,
qui décrit le pourcentage de réduction de mortalité que l'on peut attendre en
cas de réduction d'un pourcent du facteur de risque en question. Pour le cas
du cholestérol, une méta-analyse publiée peu avant l'article a également été
utilisée.
- La deuxième méthode a consisté à reprendre une étude qui
déterminait les principales causes de décès. Pour les hommes (resp. femmes),
40% (37%) des décès sont attribués au tabagisme, 31% (39%) à une pression
sanguine accrue, 25% (32%) à la classe sociale et 24% (21%) à un taux de
cholestérol accru.
Pression sanguineEntre 1986 et 1995, la pression sanguine chez les adultes de 45-64 ans du
nord de Glasgow est passée de 6,8 mm Hg à 6,1 mm Hg. L'extrapolation de
ces résultats à la population écossaise a été faite sous trois hypothèses :
(a) la baisse observée a été la même partout dans le pays ;
(b) la baisse entre 1975 et 1986 était égale à au plus la moitié de celle observée
entre 1986 et 1995 ;
(c) la baisse chez les individus de plus de 65 ans est égale à au plus la moitié
de celle observée chez les 45-64 ans.
CholestérolEntre 1985/6 et 1994/5, la concentration moyenne de cholestérol, chez les
individus de 45-64 ans du nord de Glasgow, a chuté de 3,3% chez les hommes
et 4,9% chez les femmes. Pour extrapoler à la population entière, on a fait les
mêmes hypothèses que précédemment.
Changements socioéconomiquesUn indice de privation, tenant compte de la classe sociale, de la surpopulation,
du chômage chez les hommes, et du fait de posséder ou non une voiture, a
été calculé. Les évolutions de mortalité ont ensuite été calculées en se basant
sur les proportions mentionnées précédemment (25% chez les hommes et
32% chez les femmes).
100 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Résultats
Mortalité en Ecosse entre 1975 et 1994Il y a eu 18 251 décès (dont 10 321 pour les hommes) en Ecosse en 1975 suite
à des troubles cardiovasculaires (codes CIM 410-414). Si cette mortalité était
restée, pour chaque classe d'âge, la même par la suite, et en tenant compte
du vieillissement de la population, il aurait dû y avoir 21 439 décès en 1994.
En fait, il y en a eu 15 234, soit 6 205 (3 690 pour les hommes, 2 515 pour les
femmes) de moins qu'attendu.
Effets des traitements et des interventionsPour chaque type de traitement, on a calculé le nombre minimal de décès évités
ou repoussés, le nombre maximal et l'estimation la plus fiable. Ces valeurs
ont été calculées en multipliant le nombre de patients éligibles par la consom-
mation, l'acceptation et la réduction de risque absolu pour 100 patients traités
par chaque traitement.
Infarctus du myocarde
En 1994, le traitement a évité ou repoussé 694 décès (minimum 366,
maximum 1 083). Les thérapies de prévention post-infarctus, la chirurgie
CABG, ainsi que les angioplasties ont évité 545 morts supplémentaires.
Traitement des angines et des troubles cardiaquesLes traitements de l'angine à l'hôpital, ainsi que l'aspirine, ont évité 329
décès. Les traitements de défaillances cardiaques (inhibiteurs ACE) ont évité
563 décès.
Traitement de l'hypertensionCes traitements ont évité 590 décès.
Réduction totale de mortalitéAu total, les procédés médicaux et chirurgicaux ont évité ou repoussé un
nombre estimé à 2 722 décès en 1994 (minimum 1 373, maximum 5 986).
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 101
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Effets des évolutions des facteurs de risque dans la population
TabagismeLa prévalence a chuté de 46% en 1975 à 28% en 1994 chez les hommes, et de
37% à 25% chez les femmes. Cela a permis d'éviter ou de repousser un nombre
de décès estimé à 2 405 (minimum 1 792, maximum 3 126).
CholestérolLa baisse de 5% du taux moyen de cholestérol a occasionné la prévention de
383 décès (minimum 71, maximum 1 859).
Pression sanguineUne baisse de 9% a provoqué une diminution de 1 015 décès (minimum 319,
maximum 2 202).
Changements de statut socioéconomiqueL'augmentation de 7% de l'aisance de la population a évité 213 décès (mini-
mum 82, maximum 456).
Nombre total de décès évités ou repoussésLes effets combinés des traitements et des évolutions de facteurs de risque
ont permis d'éviter un nombre de décès estimé à 6 747 (minimum 4 790,
maximum 10 695).
Comparaison entre les chutes de mortalité estimée et observée entre 1975 et 1994Il était estimé que les traitements existant en 1975 avaient évité environ 544
décès (minimum 234, maximum 1 314). Ainsi, le déclin attribuable aux
nouveaux traitements et aux facteurs de risque pouvait être estimé à 6 203
(6 747 moins 544), une estimation très proche de l'observation réelle (6 205).
Sur les 6 203 décès en moins, 3 558 (57%) concernaient des hommes. Ce
bénéfice était prédominant dans les classes d'âge les plus jeunes (25% chez
les moins de 65 ans, 17% chez les 65-74 ans, et 15% chez les plus de 75 ans).
Chez les femmes par contre, le bénéfice augmente avec l'âge (9%, 11% et 23%
respectivement). Ces estimations restent en accord avec les baisses
réellement observées.
102 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Discussion
De toutes les études abordées, celle-ci est sans doute l'une des plus prolifiques
en résultats. Toutefois, la prise en compte des facteurs à risque paraît avoir
été effectuée de manière nettement moins rigoureuse que dans l'étude de
Haüssler. D'une façon plus générale, la méthode de calcul (comparer une
valeur attendue en supposant un taux de mortalité constant, à la valeur
réellement observée) paraît simpliste (et suppose entre autres que la structure
âge/sexe de la population écossaise n'a pas changé entre 1975 et 1994, point
qui n'est pas soulevé dans l'article). Enfin, les intervalles de confiance obtenus
dans la dernière partie sont très larges, ce qui indique une variance impor-
tante et une fiabilité modérée des résultats.
2.3 Discussion des résultats précédents
Les travaux présentés ci-dessus émanent en majorité d'un même auteur,
Frank Lichtenberg, de l'Université Columbia, à New York. Ils ont été publiés
sous forme de « working papers » du National Bureau of Economic Research
et peu d'entre eux (3 sur 14) ont été publiés dans des revues à comité de lecture
en économie de la santé. Pour des raisons de manque de disponibilité de données
longitudinales au niveau individuel, l'auteur a la plupart du temps recours à
des unités d'analyse au niveau des pathologies et doit réconcilier des données
provenant de bases hétérogènes. Certains modèles mélangent des données
de niveau différent (prescription/patient/pathologie) sans pour autant diffé-
rencier les contributions de ces niveaux aux résultats obtenus. Les modèles
estimés utilisent peu de variables de contrôle, ou à un niveau agrégé. En par-
ticulier, l'ajustement sur les variations inter-temporelles des incidences des
différentes maladies et de leur sévérité n'est pas toujours réalisé de façon
satisfaisante. Les articles ne donnent pas tous les éléments requis pour juger
du pouvoir explicatif de la variance des estimations réalisées. Mais il est
habituel dans ce type d'études d'obtenir des résultats modestes sur ce point.
Enfin, les articles sont en très grande majorité relatifs au contexte des
Etats-Unis d'Amérique. Les résultats des études portant sur des pathologies
spécifiques (le cancer, les pathologies cardiovasculaires) sont plus solides
méthodologiquement.
Sous réserve de ces limites, certains résultats se retrouvent de manière régulière
d'une étude à l'autre. Le premier résultat est que plus que la consommation
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 103
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
globale de médicaments, ce qui compte est le degré de nouveauté des médi-
caments prescrits et sa variation dans le temps. De façon consistante mais
avec des variations quant à l'ordre de grandeur de l'impact, l'auteur trouve une
relation entre millésime des médicaments prescrits et longévité, productivité
du travail et recours aux autres services de santé. Sur ce dernier point, le
degré d'innovation médicamenteuse aurait pour effet de diminuer les recours
à l'hospitalisation. Une étude suggère même que l'augmentation de la
dépense pharmaceutique liée à l'innovation serait compensée au-delà de son
coût par les économies générées sur les autres dépenses. Faute de disposer
de mesures précises de l'innovation dans les autres modalités thérapeutiques
(examens diagnostiques, radiologiques et chirurgie), l'auteur ne parvient pas
à mettre en évidence des résultats similaires pour celle-ci.
Les études qui se concentrent sur une pathologie sont plus convaincantes
d'un point de vue méthodologique. En particulier, Lichtenberg a réalisé trois
études sur l'innovation thérapeutique en cancérologie. L'objectif de la première
est de tester l'hypothèse de l'impact de l'innovation médicamenteuse dans le
domaine du cancer sur la mortalité aux Etats-Unis. L'étude intègre également
le rôle de l'innovation dans le domaine de la chirurgie et de la radiothérapie.
Les résultats sont les suivants.
La progression du taux d'innovation médicamenteuse est associée significa-
tivement à une amélioration du taux de survie relatif (comparé à la mortalité
pour d'autres causes). En revanche, la progression des innovations en chirurgie
et en radiodiagnostic n'a pas d'impact significatif sur la survie. Seule l'innovation
en radiothérapie a un impact significatif sur le taux de survie à deux ans.
Le gain relatif est le suivant. La progression du taux d'innovations médica-
menteuses se traduit par une augmentation de la survie relative qui varie
suivant les variables de contrôle utilisées de 26% à 39% en un an, de 14% à
37% en deux ans, et de 12% à 20 % en trois ans. Une progression observée de
20% du taux de médicaments nouveaux se traduirait donc à un an par une
amélioration relative de la survie pour cancer de 26% à 39%. Si on prend la
limite supérieure des estimations de l'étude, la progression des innovations
médicamenteuses se traduirait par un gain de survie à un an de 1,21 fois le
gain de survie des patients qui ne sont pas atteints de cancer. En moyenne
sur toutes les estimations, le gain de survie relatif serait de 44%. L'auteur ne
donne cependant pas d'estimations du nombre total d'années de vie gagnées.
104 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
La deuxième étude analyse la survie à cinq ans par localisation cancéreuse
dans cinq pays : la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni
en 2002. L'auteur montre que la part des médicaments mis sur le marché
après 1985 a un impact positif et significatif sur la survie à 1 an et à 5 ans.
Les différences entre pays en termes de part de ces médicaments expli-
quaient entre 14% et 19% des différences de taux de survie, après ajustement
pour les différences de fréquence des localisations cancéreuses.
La troisième étude analyse l'impact de la même variable (avec ajustement sur
d'autres variables) sur le taux global de mortalité par cancer dans vingt pays,
sur la période 1995-2003. L'étude montre que les pays pour lesquels la part
de médicaments innovants était la plus importante avaient le plus fort déclin
du taux de mortalité. Un « rajeunissement » de 10 ans du millésime des médi-
caments diminuait le taux de mortalité pour cancer de 5,9%, après ajustement
sur la croissance de la richesse nationale. Le « rajeunissement » des médi-
caments expliquait 30% de la baisse du taux de mortalité.
On rapprochera ces résultats de l'étude de Jönsson et Wilkings19 sur le taux
d'adoption d'innovations en cancérologie en Europe, qui met la France en tête
des pays étudiés pour la rapidité d'adoption et de diffusion des nouvelles
molécules dans ce domaine. Parallèlement, l'étude Concord20 montre que la
France est dans les cinq premiers pays parmi 31 en termes de survie pour les
cancers du sein, de la prostate, du rectum et du côlon.
Enfin, on retiendra les résultats de l'étude de Haüssler et al. qui mesure l'impact
sur l'amélioration relative de la longévité par rapport à la longévité moyenne
de la population pour les patients souffrant d'une affection cardiovasculaire.
L'auteur conclut qu'environ 40% de la diminution de la mortalité cardiovasculaire
peut être attribuable aux innovations thérapeutiques, avec une part sensiblement
identique entre innovations médicamenteuses et innovations chirurgicales.
19 Wilkinsg N, Jönsson B. A pan-european comparison regarding patient access to cancer drugs. Karolinska Institute, Stockholm School of Economics,Stockholm, 2005. 20 Coleman M e al. cancer survival in five continents : a worldwide population-based study (Concord). 2008 The Lancet Oncology, online.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 105
4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS
Synthèse de la 4e partie
Cette partie avait pour objectif de répondre aux questions suivantes.
Les dépenses de santé ont-elles un impact sur la longévité ? La
consommation de médicaments a-t-elle un impact sur la longévité, et
de quelle ampleur ? Quelle est la part jouée par l'innovation dans cet
impact ? Y a-t-il des différences d'effets entre l'innovation médicamenteuse
et les autres innovations thérapeutiques ? A la première question, la
réponse est oui, avec un impact non négligeable, qui pourrait aller
jusqu'à 40% de l'amélioration de l'espérance de vie. Le coût d'une année
de vie gagnée serait de l'ordre de 17 000 € en France. La consommation
de médicaments a également un effet sur la longévité. Cet effet est
surtout marqué par un effet innovation, l'impact sur la longévité étant
d'autant plus important que les traitements disponibles sont plus
récents. Il est en revanche difficile d'estimer le rendement économique
de ces innovations, la méthodologie des études ne permettant pas de
l'évaluer de façon rigoureuse. Les études semblent montrer également
que la consommation de médicaments a un impact sur la réduction des
soins hospitaliers. Il existe peu d'études sur la comparaison du rendement
de l'innovation médicamenteuse par rapport à d'autres formes d'inno-
vations thérapeutiques, aussi est-il difficile de conclure sur ce point,
cela d'autant plus que les innovations peuvent apparaître de façon
combinée. L'impact de l'innovation est plus facile à montrer sur les
domaines pathologiques précis. Ainsi, ont été identifiés deux domaines,
la cancérologie et le domaine des pathologies cardiovasculaires, pour
lesquels l'impact de l'innovation sur la longévité est montré de façon
solide. Dans le cas du cancer, les pays ayant adopté plus rapidement et
plus largement les innovations médicamenteuses auraient de meilleurs
résultats en termes de survie. Dans le domaine des pathologies cardio-
vasculaires, les comportements préventifs sont les plus efficaces et
expliqueraient 60% de la baisse de la mortalité, mais les innovations
médicamenteuses et chirurgicales expliqueraient à part égal les 40%
restants. Les études ne répondent cependant pas à une question impor-
tante, celle du rapport coût/efficacité de la dépense, mais elles
permettent de remettre en cause l'idée selon laquelle l'innovation
médicamenteuse aurait peu, voire pas, d'effet sur la santé des populations.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 107
5e partie : Impact des dépenses publiques de santé sur la croissance
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 109
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
1. Introduction
Dans les parties qui précèdent, nous avons montré l'importance du rôle de
l'innovation dans la croissance économique. Nous avons également tenté
d'évaluer la contribution de l'industrie pharmaceutique à l'innovation et, partant,
sa contribution potentielle à la croissance économique d'un pays. Nous avons
également fait état des travaux qui montrent le rôle positif joué par l'amélio-
ration de l'état de santé d'une population dans la croissance économique
d'un pays. Puis, nous avons présenté des résultats de recherche qui plaident
en faveur d'un impact des services de santé sur la santé de la population et
en particulier du rôle joué par l'innovation dans l'amélioration de l'état de
santé. Nous avons donc mis en évidence les contributions positives de l'innovation
thérapeutique pour le bien-être et la croissance économique d'une société,
soit par l'amélioration de la santé des personnes, soit par la contribution
directe à l'activité économique.
Cependant, comme nous l'avons écrit en introduction, la caractéristique du
marché des biens et services de santé est d'être lourdement financé par des
prélèvements obligatoires, y compris dans un pays aussi libéral que les Etats-Unis.
Ceci est la règle dans les pays développés dotés d'un système de protection
sociale à vocation universelle, que celui-ci soit financé par l'impôt ou relève
d'un modèle d'assurance sociale. Dans ce cas, la question qui se pose au
décideur public est double. Du point de vue de la rationalité économique, l'uti-
lisation des ressources collectives devrait tenir compte du rendement collectif
des différents services qu'elles financent. Le rendement en santé des services
de soins de santé doit être en théorie comparé à celui d'autres services
publics, comme l'éducation, la sécurité des personnes, l'environnement, etc.
Trop investir dans les services de soins peut induire un effet d'exclusion pour
d'autres dépenses collectives pourtant génératrices de santé. Nous avons
tenté de répondre partiellement à cette question lorsque nous avons traité le
sujet de l'impact des dépenses de santé sur l'amélioration de l'espérance de vie.
Deuxièmement, le décideur public doit se poser à tout instant la question du
niveau de prélèvement obligatoire compatible avec la croissance économique,
puisque par définition ces prélèvements ne sont possibles que s'il y a création de
richesse par la société, en dehors de la sphère publique. Cette question ne
reçoit pas de réponse unique, puisqu'on peut observer conjointement des
modèles nationaux à faible et à fort taux de prélèvement obligatoire et avec
des niveaux de croissance économique comparable.
110 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
Dans le contexte économique français que nous avons présenté en 2e partie,
cette question se pose de façon aiguë. En effet, les questions d'arbitrage
entre différents types de dépenses publiques sont réglées en France par le
déficit budgétaire et le recours à l'emprunt. Le constat qui est fait aujourd'hui
est celui d'un recours excessif au déficit pour financer des dépenses de fonc-
tionnement courant, au détriment d'investissements créateurs de croissance.
Or, le contexte actuel de croissance faible, voire de récession, limite considé-
rablement la possibilité pour les pouvoirs publics de dégager des marges de
manœuvre pour réinvestir dans des secteurs potentiellement créateurs de
richesse, y compris dans le secteur de la santé. Dans la mesure où le finan-
cement des dépenses de santé contribue au déficit des finances publiques,
celles-ci présentent un coût d'opportunité qu'il convient d'évaluer au regard
de leur rendement sur la création de richesse qui a été mise en évidence dans
les parties précédentes. Ce coût d'opportunité n'est pas indépendant du
mode de financement de ces dépenses, ce que nous analyserons dans un
premier temps. Dans un deuxième temps, on évaluera à partir des travaux
existants, fort rares, l'impact des dépenses collectives de santé sur la croissance
économique par le biais de leur poids dans les finances publiques. Il conviendra
de distinguer les dépenses globales de soins de santé des dépenses couvertes
par la collectivité : une question ouverte est en effet celle de la part que doit
prendre la collectivité dans le financement des dépenses de soins de santé et
dans quelle mesure l'introduction d'une part plus importante de financement
privé peut contribuer à la fois à l'amélioration de la santé de la population et
à la création de richesse par le secteur de la santé.
2. L'impact du mode de financement des dépenses de soins de santé sur la croissance
Dans cette partie, on limitera la discussion aux systèmes de protection
sociale à vocation universelle. On oppose alors traditionnellement les systèmes
financés par l'impôt, reposant sur un principe de solidarité nationale, aux
systèmes dits d'assurance sociale, dont le financement repose principalement
sur un prélèvement avant impôt d'une cotisation fondée sur les revenus du
travail.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 111
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
Dans le premier modèle, si l'on sort de la discussion sur le rendement de
différentes dépenses collectives et sur le niveau optimal des prélèvements
obligatoires, la première question est celle de l'assiette de l'impôt et sur la
contribution respective des ménages, des entreprises et des agents finan-
ciers : un équilibre est à trouver entre le niveau de revenus des premiers
après impôt, qui détermine leur niveau de consommation et d'épargne, la
capacité d'investissement des seconds et le rendement du capital investi
pour les troisièmes. La deuxième question est relative au caractère redistri-
butif de l'impôt, qui détermine en partie le niveau d'inégalités sociales. Ce
niveau est un facteur important du bien-être de la population, et donc indirec-
tement de son état de santé. Mais ce modèle est considéré comme neutre
par rapport à la formation des revenus primaires dans l'économie, en particulier
le niveau du coût du travail.
Dans le modèle d'assurances sociales, le prélèvement primaire avant impôt
sur les revenus du travail a au contraire un impact direct sur le coût de celui-ci,
donc sur la compétitivité des entreprises sur le marché international. Cet
impact peut être modulé par les parts relatives de la contribution des salariés
et des entreprises : l'augmentation de la part des entreprises accroît le coût
du travail, l'augmentation de la part des salariés sans répercussion sur les
salaires bruts diminue le revenu disponible de ces derniers et impacte leur
pouvoir d'achat et leur capacité d'épargne.
Le débat sur le coût du travail en France a pris une acuité particulière, non pas
par rapport aux autres pays européens de même niveau de développement,
mais par rapport au coût du travail dans les pays émergents, conduisant à des
politiques de délocalisation destructrices d'emplois domestiques. En première
analyse, on considère donc que les charges sociales à leur niveau actuel sont
un frein à la croissance économique, par le biais du chômage qu'elles induisent.
C'est ce raisonnement qu'avaient privilégié Olivier Blanchard et Jean-Paul
Fitoussi dans leur rapport au Conseil d'analyse économique en 1998 intitulé
« Croissance et Chômage ». Le rapport retenait comme recommandation une
baisse des cotisations sociales à la charge des employeurs. Dans le court
terme, à recettes fiscales inchangées, de telles mesures augmentent les
dépenses publiques, puisque l'Etat doit compenser le manque à gagner de la
Sécurité Sociale : le pari est celui d'un investissement dans l'emploi, se
traduisant à terme par une augmentation de la masse salariale du secteur
privé, une augmentation de la consommation des ménages, une baisse des
allocations chômage avec, au final, un impact positif sur la croissance écono-
112 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
mique permettant une augmentation mécanique des recettes fiscales. C'est
aussi ce raisonnement qui conduit à mettre en place des politiques actives de
soutien à l'emploi financées sur fonds publics, avec le même pari à la clé.
Le modèle français est depuis la création de la CSG un mélange des deux
modèles précédents. La CSG a été créée pour deux raison affichées :
l'augmentation de l'assiette des prélèvements sociaux par son extension aux
revenus du capital, la recherche d'une plus grande justice redistributive.
L'introduction de la CSG en France a partiellement déconnecté le coût du
travail du financement de l'Assurance Maladie, en augmentant ses recettes,
mais en contribuant aussi à augmenter les prélèvements obligatoires. De
même, la politique de l'emploi a conduit à de multiples exonérations de charges
compensées en principe par l'Etat : l'impact direct du financement de l'Assurance
Maladie sur le coût du travail a décru, transformé en impact sur le revenu dis-
ponible des ménages et donc sur la consommation ou l'épargne des ménages.
Selon la Commission des comptes de la Sécurité Sociale, l'évolution des
recettes de l'Assurance Maladie dépend aujourd'hui principalement de la
croissance de la masse salariale du secteur privé et du PIB, qui détermine le
rendement de la CSG. Le premier terme dépend lui-même du taux de chômage,
qui est fonction de la démographie de la population active et de la croissance
économique. Dans ces conditions, le maintien d'une progression des dépenses
collectives pour les services de santé plus élevée que celle du PIB et sans
augmentation des prélèvements obligatoires, n'est possible que si d'autres
secteurs de dépenses publiques voient leur part relative décroître. Dans le
cas contraire, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB (financés ou
non par l'emprunt) doit augmenter ou la couverture collective diminuer.
3. Estimation du coût d'opportunité des dépensespubliques d'assurance maladie
Le coût d'opportunité d'une dépense correspond à la perte de surplus écono-
mique générée par un emploi alternatif de la ressource. Pour l'estimer, il faut
alors être capable de répondre à la question suivante : quels bénéfices
aurais-je tirés d'une utilisation autre que l'actuelle de ma ressource ? Du point
de vue du sujet qui nous intéresse, la dépense publique de santé a un coût
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 113
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
d'opportunité à court terme : celui lié au coût du financement des déficits
cumulés de l'Assurance Maladie par l'emprunt. Dit autrement, ce coût
d'opportunité serait égal aux bénéfices tirés d'un investissement de la charge
de la dette pour une autre dépense publique, par exemple l'investissement
dans la recherche publique. Plus précisément, dans ce cas, le coût d'oppor-
tunité serait égal aux bénéfices induits sur la croissance économique de cet
investissement supplémentaire dans la recherche.
Dans la deuxième partie, nous avons estimé la dette cumulée de l'Assurance
Maladie à 60 mds d'euros. Ce chiffre doit être réévalué à la hausse, compte
tenu de l'annonce récente du transfert à la CADES du déficit courant des orga-
nismes de sécurité sociale, mais nous le conserverons pour les calculs qui
suivent. En 2008, la dette publique est de 1 260 mds d'euros. La dette cumulée
de l'Assurance Maladie est donc de l'ordre de 5% de la dette totale. Selon le
rapport annuel de la Cour des Comptes, déjà cité, la charge d'intérêt de cette
dette publique serait de 51,8 mds d'euros. Si on applique une règle de propor-
tionnalité simple au calcul du service de la dette, les déficits cumulés de
l'Assurance Maladie contribueraient pour 2,6 mds d'euros pour le paiement
des intérêts. Si on ne considère que le déficit prévisible de l'Assurance
Maladie en 2008, de l'ordre de 4 mds d'€, son coût serait alors de 15 fois
moins (60 mds/4 mds), soit d'environ 174 millions d'euros. Le coût d'oppor-
tunité de la dépense publique de santé serait donc égal à la richesse poten-
tiellement créée par l'injection de ce montant dans l'économie, par exemple
pour des dépenses de R&D. Malheureusement, on ne dispose pas d'éléments
chiffrés permettant d'estimer l'impact sur la croissance économique d'une
telle dépense, mais on peut néanmoins procéder à un autre calcul pour évaluer
la part des dépenses de médicaments dans ce montant et, partant, dans la
détermination du coût d'opportunité.
Le calcul suivant permet en effet d'estimer la valeur ajoutée créée par l'industrie
pharmaceutique liée à ce dépassement de 4 mds d'euros des dépenses de
l'Assurance Maladie. La dépense de médicaments remboursés est de l'ordre
de 15 % des dépenses de biens et de services médicaux, soit une dépense de
600 Mos d'euros correspondant aux 4 mds d'euros de déficit. En 2007, le
montant total des dépenses de médicaments remboursés était de 18,7 mds
d'euros, pour un chiffre d'affaires domestique HT de 22,7 mds d'euros. La
dépense totale de médicaments induite par les 4 mds d'euros de déficit est
donc de l'ordre de 728 Mos d'euros (0.6 Mos x 22,7/18,7). Selon les résultats
114 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
des comptes de la santé, les dépenses domestiques de médicament (rem-
boursées et non remboursées) étaient d'environ 33 mds d'€ TTC en 2007, soit
environ 31 mds € HT, pour un chiffre d'affaires domestique HT de l'industrie
d'environ 22 mds €. On peut en déduire que la dépense supplémentaire de
728 Mos € correspondrait à un CA de 485 Mos €.
On ne connaît pas l'élasticité de la valeur ajoutée par rapport au chiffre d'affaires
de l'industrie pharmaceutique. On connaît seulement le rapport entre le CA HT
réalisé par l'industrie et la valeur ajoutée directe créée, mesuré par l'étude
CEMKA précitée, qui est de 27%. L'élasticité indique le rendement marginal en
valeur ajoutée de 1 € supplémentaire du chiffre d'affaires de l'industrie. Il pourrait
être établi si l'étude réalisée par CEMKA était répétée sur plusieurs années.
Pour l'exemple, nous supposerons qu'il existe un rendement constant entre le
CA HT de l'industrie et sa valeur ajoutée, qui, rappelons-le, mesure sa contri-
bution au PIB. L'étude CEMKA nous conduit donc à dire qu'un euro supplé-
mentaire de CA génère 0,27 euro de valeur ajoutée. Donc, les 485 Mos € de
CA contribuant au déficit de l'Assurance Maladie généreraient 131 Mos € de
valeur ajoutée directe. Toujours selon les estimations de l'étude CEMKA, les
retombées indirectes de l'activité de la branche pharmacie en valeur ajoutée
seraient de l'ordre de deux fois la valeur ajoutée créée par l'industrie elle-même,
soit 262 Mos €. La valeur ajoutée totale induite par ce chiffre d'affaires
supplémentaire serait donc de 393 Mos €, dont une partie serait dédiée à des
prélèvements obligatoires. Il est donc plausible que les dépenses de médica-
ments remboursées mais non financées contribuent, pour tout ou partie, à
leur financement par le biais de la valeur ajoutée créée par l'industrie.
Il faut prendre garde à plusieurs limites de calcul, à savoir l'hypothèse de
rendement constant du CA en termes de valeur ajoutée directe et indirect, les
règles simples de proportionnalité utilisées et le calcul de la charge d'intérêt
liée à la dette de l'Assurance Maladie. Par ailleurs, ce calcul ne répond
qu'incomplètement à la question posée : nous ne connaissons pas le rendement
en valeur ajoutée de la dépense publique correspondant à la charge de la
dette. Ce calcul ne permet donc pas de justifier une augmentation des prélè-
vements obligatoires pour équilibrer les dépenses d'assurance maladie. Mais
nous avons voulu montrer que les effets économiques induits par la dépense
de santé pouvaient pour tout ou partie compenser leur coût d'opportunité en
termes de dépenses publiques.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 115
5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE
Synthèse de la 5e partie
Dans cette partie, on a posé le cadre d'analyse permettant de calculer
le coût d'opportunité de la dépense publique de santé, pour le comparer
à la richesse générée par l'industrie pharmaceutique. Ce coût est égal
à la richesse créée par un emploi alternatif de la dépense publique, par
exemple le financement de la recherche en sciences de la vie. Dans un
premier temps, on a rappelé que la dépense de santé, en tant qu'elle a
un impact positif sur la santé de la population, est en elle-même géné-
ratrice de richesse. La question du coût d'opportunité de la dépense
de santé est liée à son financement collectif et donc à l'effet d'exclusion
qu'elle peut produire par rapport à d'autres dépenses, mais elle est
aussi liée aux modalités concrètes de ce financement. Dans le contexte
français, l'évolution vers un système de financement associant cotisations
sur les revenues du travail et impôt assis sur l'ensemble des revenus a
contribué à atténuer l'impact des prélèvements sur le coût du travail,
et donc sur la compétitivité. Aujourd'hui, c'est plutôt parce que les
dépenses publiques de santé contribuent à l'augmentation de la dette
publique qu'elles ont potentiellement un impact négatif sur la croissance,
par l'effet d'éviction déjà signalé. On a alors proposé une méthode
d'estimation de la valeur ajoutée marginale créée par l'industrie phar-
maceutique, pour montrer que celle-ci, par la richesse qu'elle crée,
peut compenser en partie les charges de la dette publique induites par
le déficit de l'Assurance Maladie.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 117
Conclusion
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 119
CONCLUSION
L'objet de ce travail était la réalisation d'une revue de la littérature dans le but
de répondre aux trois questions suivantes :
• Que sait-on sur l'impact de l'innovation sur la croissance ? Que sait-on
en particulier de l'impact de l'innovation pharmaceutique sur la croissance
économique ? Si rendement social il y a, de quelle ampleur est-il ? Est-il plus
important pour la pharmacie que pour d'autres secteurs ?
• Que sait-on de l'impact des dépenses de soins sur la santé des
populations ? Que sait-on en particulier de l'impact de l'innovation médica-
menteuse sur cet état de santé ? Comment cet impact se compare-t-il avec
celui d'autres innovations thérapeutiques ?
• Les dépenses d'assurance maladie ont-elles un impact négatif ou
positif sur la croissance économique ?
Sur la première question, les travaux qui montrent l'impact positif de l'innovation
sur la croissance économique d'un pays sont nombreux et convergents, même
s'il y a débat sur la nature des relations qui lient ces deux termes et sur les
conditions de la réalisation de ces relations dans un sens positif. En particulier,
une question importante est celle du poids relatif de la recherche fondamentale
publique par rapport à une recherche plus appliquée dans la création de
richesse. Dans le contexte français, le modèle Nemesis, développé à la
demande su Sénat par l'Ecole Centrale de Paris, montre qu'un effort modéré
d'augmentation de la part des dépenses de R&D dans le PIB pendant sept ans
conduirait à une augmentation moyenne annuelle du PIB de 0,22% à 0,34%
par an jusqu'en 2030. La richesse nationale se serait alors accrue de 6,5% à
9,5%. La création d'emplois serait de 0,8 million à 1,3 million, dont 350 000
à 400 000 dans la recherche.
On manque en revanche de travaux sectoriels permettant de mesurer préci-
sément l'impact de l'innovation pharmaceutique sur la croissance, même si
celle-ci est considérée par les auteurs comme une industrie à fort pouvoir
multiplicateur, compte tenu de l'importance de ses dépenses en recherche et
développement. Ce pouvoir multiplicateur a cependant été mesuré sur une année
en France. En 2004, le chiffre d'affaires HT du secteur était de 38,2 mds d'euros
générant une valeur ajoutée de 10,3 mds d'euros, soit 0,63% du PIB et 16 mds
d'euros à l'exportation. Le secteur employait 95 819 salariés. Le budget
120 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
CONCLUSION
interne de R&D était estimé à 1,5 md d'euros et la R&D externalisée et réalisée
en France à 2,4 mds d'euros. Le ratio R&D sur CA est donc de l'ordre de 10%.
Le total des effets indirects et induits conduisait aux résultats suivants. Le CA
HT induit était de 58,3 mds d'euros, soit un coefficient multiplicateur de 1,53.
La valeur ajoutée indirecte et induite était de 20,8 mds d'euros (coeff. 2.01) :
la part totale dans le PIB du secteur était donc de 1,9%. Le coefficient multi-
plicateur des emplois était proche de 4. Enfin, le montant total des dépenses
directes et indirectes de R&D était de 4,7 mds d'euros, mettant l'industrie
pharmaceutique en tête de l'impact du CA sur la R&D. La répétition d'une telle
étude sur plusieurs années consécutives permettrait alors de mesurer plus
précisément en dynamique les liens entre variations de l'effort de R&D
pharmaceutique sur le territoire français et création de richesse. D'autre part,
les données disponibles montrent qu'en dehors des entreprises françaises,
l'investissement en R&D est surtout centré sur le développement et non la
découverte.
Les travaux portant sur la deuxième question permettent de répondre positi-
vement sur trois points. D'une part, l'investissement dans la santé d'une
population a un impact positif sur la croissance économique, par le biais de
l'amélioration de l'espérance de vie et notamment de la diminution de la mor-
talité précoce évitable. Deuxièmement, les dépenses de soins de santé ont
elles mêmes un impact mesurable et significatif sur l'espérance de vie, parmi
d'autres facteurs, tels que l'amélioration générale des conditions d'hygiène,
de l'alimentation, l'augmentation de la sécurité matérielle liée à la croissance
économique, l'éducation et d'autres investissements collectifs. Troisièmement,
il existe un faisceau d'études convergentes montrant la contribution du médi-
cament, et plus particulièrement du rythme d'innovations, dans le prolongement
de la vie. Le cancer et les pathologies cardiovasculaires sont deux maladies
pour lesquelles des études de bon niveau méthodologique convergent pour
montrer un effet significatif des innovations médicamenteuses sur l'espé-
rance de vie, avec une contribution aussi voire plus importante que d'autres
innovations thérapeutiques. Les résultats publiés suggèrent également que
l'amélioration de la prise en charge des pathologies cardiovasculaires se traduit
non seulement par un allongement de la vie, mais également par un allongement
des années de vie en bonne santé, induisant une diminution des coûts des
soins compensant pour tout ou partie les dépenses de santé supplémentaires
au cours des années de vie gagnées.
INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 121
CONCLUSION
Sur la troisième question, faute de travaux publiés dans le contexte français
sur le lien entre dépenses publiques de santé et croissance économique, on
a montré que dans l'analyse de l'impact budgétaire des ces dépenses, il fallait
tenir compte dans le bilan économique global de la contribution de l'industrie
pharmaceutique à la création de valeur ajoutée. Le coût d'opportunité de la
dépense publique, qui peut se mesurer par la perte relative de bien-être et de
richesse liée à l'effet d'éviction d'emplois alternatifs, et son coût budgétaire
sont en partie compensés par les effets multiplicateurs sur l'emploi et la création
de richesse par l'industrie.
Ainsi, l'innovation thérapeutique crée du bien-être par son effet direct sur la
santé des populations, de la richesse par l'effet d'une amélioration de ce capital
santé sur la capacité productive d'une société et par la création directe de
richesse par son activité économique propre. Néanmoins, il reste difficile de
faire la synthèse complète de ces bénéfices et de les valoriser en rapport
avec la dépense consentie par la collectivité, car nous ne connaissons pas le
coût d'opportunité en termes de croissance économique des prélèvements
obligatoires, que ce soit au niveau global de la dépense publique, ou en ana-
lysant celle-ci secteur par secteur.
Malgré cette absence de synthèse, il ressort des travaux publiés sur les liens
entre innovation et croissance que les pouvoirs publics peuvent améliorer ce
rendement social en favorisant le développement de l'innovation sur le
territoire national. En effet, ils peuvent alors bénéficier non seulement des
retombées directes et indirectes de l'innovation en santé qui ont été citées,
mais également du partage de la rente de l'innovation lorsque les recherches
qu'ils ont financées donnent lieu à exploitation de brevets, au niveau national
mais surtout au niveau international.
Ceci requiert cependant à la fois un effort public spécifique d'investissement
dans la recherche fondamentale pour rendre celle-ci attractive pour des acteurs
du développement, la facilitation de partenariats public/privé et la mise en
place d'incitations économiques à l'investissement privé en R&D. Outre le crédit
impôt recherche, d'autres incitations sont possibles. Le Comité stratégique
des industries de santé a pris acte de l'engagement du CEPS de tenir compte
des investissements des laboratoires en France dans le calcul des reverse-
ments annuels. Une autre piste, pour l'instant rejetée, est que les sommes
ainsi reversées soient fléchées vers des projets de recherche en partenariat
122 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
CONCLUSION
public/privé. L'état des finances de l'Assurance Maladie a été évoqué pour
écarter cette mesure. Le calcul présenté dans la dernière partie de ce rapport
suggère qu'il s'agit là d'une vision comptable et partielle de l'équilibre des
finances publiques, dans la mesure où ces dépenses seraient créatrices de
valeur ajoutée.
De façon symétrique, les industriels du médicament ne doivent pas considérer
ces incitations comme des effets d'aubaine et en consacrer effectivement les
montants à une recherche d'amont. Là encore, les chiffres existants sont
fragiles, mais suggèrent en effet que l'effort en R&D en France porte margi-
nalement sur la recherche amont et reste concentrée sur le développement
clinique. Ceci est sans doute lié à la perception négative de la recherche
publique en sciences de la vie en France et au fonctionnement de ses
institutions, mais conduit aussi à négliger les points forts de la recherche
française. Cette perception négative est renforcée par le fait que la majeure
partie des centres de décision des grandes entreprises du médicament n'est
pas située en France.
Gérard de PouvourvilleMathieu Joyau
Impact sur la longévité et croissanceéconomique
INNOVATION EN SANTÉ :
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Association loi 1901 représentant 13 filiales françaisesde Laboratoires Internationaux de Recherche, le LIRa pour vocation d’analyser, de proposer et d’agirpour faire avancer le progrès thérapeutique.
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