critique l'autre - fabien legeron

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  • 8/14/2019 Critique L'autre - Fabien Legeron

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    LAutre Bernard/Trividic - 2009

    Critique Fabien Legeron 2 toiles

    Voil donc un film que daucuns voudront vous forcer aller voir pour cause de

    prix dinterprtation Venise, comme cela se fait dans les milieux culturels de cheznous. Aller voir LAutre sur ces seules prmisses serait lerreur ne pas commettre, en

    ce sens que le dernier Bernard/Trividic est un mtrage paradoxal, qui confirme les

    qualits de formalistes et de crateurs dambiances des deux cinastes, mais conforte

    aussi les postures un rien artificielles quils croient devoir entretenir comme certaines

    coquettes leur accent. Dont la direction dacteurs justement.

    Guettez bien les divers papiers que vous trouverez surLAutre il y a fort parier quonny trouvera peu ou prou que des dithyrambes sur le rle de Dominique Blanc (pourquoi pas,ya eu un prix pour en attester, on risque rien sbaubir avec ostentation, pis sur un quart decolonne yaurait pas la place de faire une analyse filmique de toutes faons), des

    considrations sur le mode de vie autofictionnel des cinastes (carrment hors sujet, mais bon,a permet toujours de causer de cul le court ceci est une pipe, dj vieux et de sarroger uncertificat dhumanisme peu de frais "ouais, moi jsuis trop laise avec lhomosexualit,comment jsuis trop courageux"), sans compter les considrations auteuristes dusage (avecmots tarte la crme tels que : interstices, filigrane, portrait en creux, etc.. Le premier qui entrouve quatre autres gagne un pins parlant Tlrama). De telles saillies sont bien entenduassez striles, et il convient de se pencher sur le film en lui-mme, bien plus riche enenseignements quil ny parait.

    Anne-Marie a couvert son miroir de papier journal et se regarde dans une petiteouverture quelle y a pratique. Elle insulte son reflet, puis utilise un marteau sur ledit avantde le retourner contre elle. lhpital elle se remmore sa rupture - facile - davec un beau

    jeune homme qui sest vite trouv une nouvelle amie, et son obsession propos de cette"autre" qui la remplace. Lors de prgrinations diverses (affectives, thoriques, sexuelles)dans la grande banlieue et dans sa propre psych, elle sest trouve en proie une paranoagrandissante, confinant bientt au trouble schizophrnique, se trouvant mme confronte limage de son double, pour se trouver dans un climat constant dinquitante tranget. Et

    puis plus rien : elle gurit des excroissances les plus violentes de son trouble, reprend sa vie,nous cause un peu en off, et gnrique.

    On voit bien ici que Bernard et Trividic creusent leur sillon thmatique et travaillent les

    mmes matires que prcdemment : doppelganger, trouble psychotique, isolement,fantastique en demi-teintes, obsession plus ou moins malsaine, sentiment amoureux, PeterBonke en trickster. Premier paradoxe du film : sil se droule dans un cadre plus ouvert que

    Dancing(ici la banlieue des centres commerciaux anonymes, des espaces urbains interstitielset des transports en commun, l o le film prcdent prenait place dans un dcor quasi-uniquemalgr quelques excursions), LAutre est bien plus localiste, centr sur le particulier, en unmot il possde moins dampleur narrative et thmatique. Exemple : les premiers plans de

    Dancing nous montrent la cte Atlantique, tendue vers des horizons extrmement larges.LAutre souvre sur des plans (trs beaux dailleurs) dautoroutes dans un mouvement deconvergence (vers des pages, puis Paris et sa rgion). De mme, le lieu qui souvre sur latentation fantastique est ouvert dans le premier en termes dittiques (le sous-sol, la

    multiplication finale du galeriste), et ferm dans le cas prsent (puisque voqu en flash-back,et localis explicitement dans la tte de la protagoniste via lintervention du marteau),

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    lexception notable DU plan le plus troublant du film, celui du recouvrement du miroir vu delintrieur de celui-ci, et qui ramne (volontairement, sans doute) au Prince of Darkness deJohn Carpenter. Resserrement narratif ou appauvrissement thmatique, le dbat est ouvert.

    Second paradoxe, lapproche de la sexualit au sens large : bien quaborde avec une

    plus grande pudeur graphique que prcdemment (en mme temps, difficile de faire plusgraphique que les empoignades rectiles un peu vaines de leurs prcdents efforts), lasexualit est trs "cinma franais" dans son traitement, cest--dire quon y met beaucoupdemphase tout en la traitant avec un manque de ludisme confondant. Dieu que ces gens sont

    peu primesautiers ! Quil vous soit dit, cinastes franais cherchant choquer le bourgeoisdune main en lui flattant le poireau de lautre, il ne suffit pas de dire "queue" voix haute

    pour en provoquer les tressaillements Ici lon baise comme dans un film dauteur : avant ona peur, pendant on semmerde un peu, et aprs on regrette. Par exemple, le rapprochement

    physique avec Lars apparat comme anecdotique, anachronique dans leur relation, vrai direpas la partie la plus intressante de leur amiti pour les deux personnages. Mais encore unefois, occasionnellement, les cinastes surprennent agrablement par une retenue bienvenue :

    on se doute bien quil arrive quelque chose de physique entre lhrone et sa collgue venuepasser la soire, mais aucun plan revendicatif et incongru ne vient tayer cela, et cest tout fait bienvenu, car sitt quelles se fussent embrass devant la camra, le trouble eut disparu,on eut t en terrain connu.

    Cest ce qui agace un peu la vision du mtrage. On sent que sils scoutaientvraiment, Bernard et Trividic feraient leur film comme ils lentendent et sans se soucier duquen dira ton des voisins, du microcosme cultureux ou des communauts diverses. Maisnon, il faut sacrifier toutes sortes de conventions, parce que cest comme a quil faut faire,

    point trait, au CNC cest ce quon ma dit et ils sy connaissent en cinma. Lexemple le plusreprsentatif, et accessoirement le truc pnible subir pendant la projection, cest lincroyable

    prciosit de la diction rclame Dominique Blanc sur la quasi-totalit du mtrage (bon, etle fait de la teindre en blonde aussi, mais on donne plus facilement les prix dinterprtationfminine aux actrices grimes dune manire ou dune autre pour un rle, de Cotillard Theron en passant par Kidman). Pas tout fait thtrale, certainement pas naturelle, cettediction ampoule dnote le plus souvent une affectation bressonnienne, et sonne, le plussouvent, comme du Rohmer, c'est--dire mal. Bref cest jou comme un texte lu sur

    prompteur. Or, Blanc sait jouer avec naturel et la quasi-intgralit du cast autour delle jouetout fait juste galement. Et mme quand il y a un peu de thtralit, elle passe trs bien(Peter Bonke justement). Pourquoi diable alors, le perso principal doit-il causer comme unevoix off dAgns Varda ? Mystre ! Un mystre aisment dmontable cependant sil lon veut

    bien se souvenir du jeu fort similaire de Trividic dansDancing, et dans une moindre mesuredes voix off du docu Le cas Lovecraft. Tentative de distanciation brechtienne ? Citation deBresson ? On a tout de mme du mal croire que cest rellement par got quun cinaste vasaboter une partie de sa dramaturgie en faisant dclamer aussi grossirement ses dialogues !Cest plus vraisemblablement une affectation de cinmatographe A.O.C. Qualit ExceptionCulturelle, estampill je fais comme a parce que cest la valeur prescrite dans mon cercle(les vnements vnitiens semblent dailleurs leur donner raison sur ce point). Le spectateurqui se fout un peu de ce genre de considrations, qui na pas envie de faire le pion de collgeet de distribuer des points de bonne conduite, lui, sembte un peu devant tant de pose.

    Pose dont ILS NONT PAS BESOIN, rptons-le. Ici mme, ils font preuve de grandes

    qualits formelles, composent des tableaux vraiment trs beaux : toutes les plages atonales entrain et dans les rues, certaines rveries autour de la nouvelle amante/arlsienne, et surtout les

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    squences de nuit en lumires artificielles (les toits de Rosny 2, les parkings de ValdEurope). Ce sont pour le moment quasiment les seuls savoir se dpatouiller de la vido

    pour faire de vraies belles images avec. Crateurs dambiances troubles, ambigus et lalisire entre trange et fantastique, Bernard et Trividic font merveille ds quon se laisse

    porter dans une narration qui procde plutt par analogies de formes que par rigueur

    scnaristique. Le film reste voir, assurment. Moins couter, pour ne pas se gter le plaisir,mais part les changes avec Lars, les dialogues ne sont pas absolument ncessaires auvoyage. Toutefois, ne pas changer trop promptement contre son baril de Dancing, plusdigeste, plus trange, et plus quilibr car il na pas, lui, autant le cul entre deux chaises, faire du fantastique honteusement, en le niant constamment dans un traitement vou en partie flatter les plus frileuses commissions de notre beau pays.

    Il est certes difficile de faire un film avec du fond quand on adapte du Ernaux.Autofiction et imaginaire ne font pas bon mnage. Allez-y pour les cinastes et ce quilssavent faire, pas pour les multiples "bonnes raisons" compatibles avec la charte du bonspectateur intelligent. Car un vrai film se cache derrire.